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31/10/2023 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/38/23

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 31 octobre 2023, ECW/CCJ/JUD/38/23


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
*i COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES
ÉTATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST - (CEDEAO)
Dans l'affaire
1) L’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI),
2) L'Association Villageoise,
3) La Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme,
4) Et le Centre Africain de Formation et d’Information sur les Droits Humains et
l’Environnement contre l’ETAT de Guinée.
Requête N°. : ECW/CCJ/APP/39/21 Arrêt N°. : ECW/CCJ/

JUD/38/23
ARRÊT
ABUJA
Le 31 octobre 2023
AFFAIRE N°. : ECW/CCJ/APP/39/21
...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
*i COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES
ÉTATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST - (CEDEAO)
Dans l'affaire
1) L’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI),
2) L'Association Villageoise,
3) La Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme,
4) Et le Centre Africain de Formation et d’Information sur les Droits Humains et
l’Environnement contre l’ETAT de Guinée.
Requête N°. : ECW/CCJ/APP/39/21 Arrêt N°. : ECW/CCJ/JUD/38/23
ARRÊT
ABUJA
Le 31 octobre 2023
AFFAIRE N°. : ECW/CCJ/APP/39/21
ARRÊT N° ECW/CCI/TUD/38/23
1
Plot 1164 Ah Ag Ai, Gudu District, Abuja Ad.
Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) et 3 autres REQUERANTS
L’ETAT DE GUINEE DÉFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Gberi-bèà OUATTARA Président/Juge rapporteur
Hon. Juge Dupe ATOKI Membre
Hon. Juge Sengu M. Z Membre
ASSISTES DE : Me. Yaouza OURO-SAMA - Greffier en Chef
I. REPRÉSENTATION DES PARTIES :
Y X AJ Conseils des requérants
L’Agent judiciaire de l’Etat Conseil du défendeur
« IL. ARRÊT DE LA COUR
Le présent arrêt est celui rendu par la Cour, en audience publique virtuelle
conformément à l’article 8 (1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique
des affaires et les audiences virtuelles, de 2020.
III. DÉSIGNATION DES PARTIES
1. Les requérants sont des Organisations Non Gouvernementales (ONG) de
nationalité guinéenne ayant respectivement leur siège social à Conakry ci-après
dénommés « les requérants ».
2. Le défendeur est l’Etat de Guinée, un Etat membre de la Communauté,
signataire de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que
d’autres instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme
(ci-après dénommé « le défendeur »).
IV. INTRODUCTION
3. La présente procédure a pour objet la constatation de la violation par l’Etat de
Guinée du droit à la liberté d’expression des requérants.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4. Le 22 juillet 2021, les requérants ont déposé au greffe de la Cour, une requête
contre le défendeur pour violation de leur droit à la liberté d’expression.
Cette requête accompagnée des annexes A, B, C, D, E et F a été signifiée au
défendeur le 08 septembre 2021. (Pièce n°1)
5. Le 03 février 2023, les requérants ont déposé au greffe une requête aux fins
d’obtenir un jugement par défaut contre le défendeur. (Pièce n°2).
Cette requête a été notifiée au défendeur le 17 février 2023.
6. A l’audience du 18 mai 2023, le délai d’un mois qui était imparti au défendeur
pour déposer son mémoire en défense étant expiré et, à défaut de demande de prorogation de délai émanant du défendeur, la Cour a mis l’affaire en délibéré pour
arrêt être rendu le 14 novembre 2023.
VI. ARGUMENTATION DES REQUÉRANTS
a) Exposé des faits
7. Le 22 juillet 2021, les requérants ont saisi la Cour de Justice de ce siège
pour l’inviter à constater les violations de leurs droits humains qu’ils imputent à
l’Etat de Guinée.
8. A l’appui de leur requête, ils ont expliqué que l’élection présidentielle du 18
octobre 2020, a été précédé de longs mois de protestations dans l’ensemble du pays
contre le Président Alpha Condé à qui les partis d’opposition reprochaient de
mépriser la Constitution et de vouloir se présenter pour un troisième mandat
consécutif.
9. Ils ont relaté que le Président Alpha Condé, a en effet, présenté sa candidature
après avoir modifié la Constitution guinéenne afin qu’elle autorise un troisième
mandat, sept mois avant l’élection présidentielle, et à la suite de cette élection, il
s’est maintenu au poste de Président de la République. Ils ont soutenu que cette
modification de la Constitution a été réalisée par le biais d’un référendum qui s’est
tenu en mars 2020.
10. Les requérants ont expliqué que les manifestations contre la modification de la
Constitution avaient déjà éclaté en octobre 2019 dans toute la Guinée et qu’un certain
nombre de chaînes d’information nationales et internationales, dont Al Ak,
BBC, et the Guardian en avaient fait état dans leurs publications. Des organisations
internationales dans le domaine des droits de l’homme telles qu’B
A et Ae Al Ab, avaient annoncé des affrontements violents
entre les autorités étatiques et les manifestants.
11. Les requérants ont fait valoir que depuis le début des manifestations en octobre
2019, les partis d’opposition et les organisations de la société civile ont toujours
soulevé des inquiétudes quant aux modifications apportées à la Constitution. Au lieu
de répondre à ces préoccupations, le Gouvernement de la République de Guinée les
a ignorées.
12. Ils ont avancé que dans le cadre d’un référendum destiné à recueillir l’avis du
peuple guinéen sur cette modification envisagée de la Constitution, le Gouvernement
a perturbé la connexion à l’internet, interdit les manifestations et arrêté les
manifestants, ainsi que les journalistes et militants de la société civile qui appelaient
à une réforme démocratique.
13. Les requérants ont réitéré qu’à plusieurs reprises, le Gouvernement a restreint
l’accès à l’internet. Selon eux, la connexion internet a été limitée à partir du 18
octobre 2020. Ils ont soutenu par ailleurs que du 23 octobre au 27 octobre 2020,
l’internet était totalement inaccessible dans toute la Guinée et qu’après le 27 octobre,
As était resté bloqué jusqu’au mois de décembre 2020.
14. Ils ont indiqué que leurs témoins ont décrit dans les moindre détails les
événements survenus pendant les périodes concernées dans leurs différentes
déclarations et que ces récits appuient leurs conclusions dans la mesure où elles ont
décrit les circonstances dans lesquelles les interruptions de l’accès à l’internet ont eu
lieu.
15. Les requérants ont maintenu que la perturbation d’internet en octobre 2020 a été
d’abord constatée le soir du 18 octobre, le jour des élections présidentielles par les
organisations de surveillance de la connexion internet telles que Ao Internet
et Ar Ao qui ont indiqué que du 23 au 27 octobre 2020 il y a eu une
perturbation quasi totale de l’internet et une restriction de l’accès aux médias
sociaux. Ao Internet a confirmé des perturbations majeures sur le réseau
Orange, réduisant le niveau de connexion nationale à seulement 9 % des niveaux normaux. D’autres opérateurs de réseaux cellulaires MTN et Celicom ont également
connu des restrictions partielles limitant l’accès aux principaux médias sociaux et
plateformes de communication.
16. Les requérants ont fait valoir que l’impact de la perturbation d’internet ainsi que
du blocage des médias sociaux sur eux en mars et en octobre 2020 est contenu dans
les déclarations de leurs témoins. Ces déclarations ont montré l’effet de la
perturbation de l’internet sur leur capacité à exercer leurs activités professionnelles.
Leurs témoins ont décrit également l’impact de la coupure de l’internet sur la société
guinéenne ainsi que les difficultés rencontrées par la population guinéenne pour
recevoir des nouvelles vitales, notamment des informations sur la manière de
participer aux élections, ainsi que des détails sur les manifestations contre la
modification de la Constitution.
17. Les requérants ont affirmé qu’ils ont été gravement affectés par la perturbation
de l’accès à l’internet en violation de leurs droits de l’homme dans la mesure où la
population avait davantage besoin de l’internet en raison de la pandémie COVID-19
qui a entraîné des confinements de nombreuses personnes à leur domicile et avait
limité les contacts physiques. L’utilisation des plateformes de médias sociaux,
comme As était vitale pour de nombreux citoyens guinéens qui l’utilisaient
principalement comme source d’information sur des sujets d’actualité importants
dans l’intérêt général. L’un des témoins a relevé l’importance de As en
précisant qu’il s’agit là de la « forme principale d’échange d’informations en
Guinée ».
18. Estimant que ces faits constituent la violation des articles 9 paragraphes 1 et 9
de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), 19,
paragraphe 2 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP)
et 66, paragraphe 2 (point c) du Traité Révisé de la CEDEAO, les requérants ont
saisi la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) afin qu’elle constate cette violation et condamne le défendeur à
leur allouer des dommages et intérêts à titre de réparation.
6. b) Moyens invoqués
19. Les requérants ont invoqué les moyens de droit suivants :
- Violation des articles 9 paragraphes 1 et 2 de la CADHP ;
- Violation des articles 19 paragraphe 2 du PIDCP ;
- Violation de l’article 66 paragraphe 2 point c du Traité révisé de la CEDFAO ;
c) Conclusions
20. Les requérants ont sollicité qu’il plaise à la Cour :
- Dire et juger que le défendeur, en procédant à l’interruption de l’accès à l’internet
et en bloquant les sites de médias sociaux, l’Etat de Guinée a violé leurs droits de
l’homme en particulier le droit à l’information prévu par l’article 9 paragraphes 1 et
2 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), la liberté
d’expression prévue à l’article 19, paragraphe 2, du Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques (PIDCP), et les droits des journalistes en vertu de l’article
66, paragraphe 2, (point c) du Traité révisé de la CEDEAO ;
-Ordonner à l’Etat de Guinée de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre
fin auxdites violations ;
-Condamner l’Etat de Guinée à des réparations qu’ils vont préciser et soumettre à
cette Cour en temps utile ; JL VII. ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR
a) Exposé des faits
21. Le défendeur qui disposait du délai de trente (30) jours à compter de la
notification de la requête pour déposer au greffe un mémoire en défense n’a ni
déposé ledit mémoire, ni sollicité un délai pour le déposer au greffe de la Cour.
22. La Cour rappelle que sa compétence en matière de droit de l’homme est régie
par les dispositions de l’article 9-4 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19
janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de
justice qui dispose que : « La Cour est compétente pour connaître des cas de
violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre ».
23. La Cour observe que les droits invoqués par les requérants font partie des droits
de l’homme qui relèvent de sa juridiction. Par conséquent elle doit se déclarer
compétente pour connaitre de la requête.
IX. RECEVABILITÉ
24. La Cour note que la recevabilité des requêtes par elle est régie par les dispositions
de l’article 10-d du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant
amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour qui dispose que : « peut saisir
la Cour, toute personne victime de violation des droits de l’homme ;
La demande soumise à cet effet :
i) ne doit pas être anonyme ;
ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté lorsqu'elle
a été déjà portée devant une autre Cour internationale compétente »
En l’espèce, la Cour note que les requérants sont bien identifiés. La requête n’est
donc pas anonyme. / ae 25. La Cour note cependant qu’il ressort de l'article précité que quiconque veut
introduire une requête devant elle, doit avoir la qualité pour agir, faute de quoi sa
requête sera déclarée irrecevable. L'expression qualité pour agir signifie simplement
l’intérêt légitime ou le droit à protéger dont est titulaire le requérant.
26. En l’espèce, les requérants ont soutenu qu'ils sont des organisations non
gouvernementales (ONG) qui œuvrent pour la protection des droits de l'homme et
que lorsque l’accès à l’internet leur est refusé, cela constitue une violation de leur
droit à la liberté d’expression notamment le droit de faire des recherches, de recevoir
et de partager des informations.
27. La Cour estime en conséquence que les requérants ont établi un intérêt et un droit
digne d'être protégé. Cependant, les requérants étant des ONG donc des personnes
morales, la question peut se poser de savoir s’ils peuvent saisir la Cour d’une requête
pour violation des droits humains en application de l’article 10-d du Protocole
Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole
A/P.1/7/91 relatif à la Cour.
28. Pour répondre à cette préoccupation, la Cour rappelle les énonciations de la
décision qu’elle a rendue dans l'affaire Dexter Oil contre République du Liberia
(2019) ECW/CCI/JUD/03/19, où elle à tranché la question de savoir si les personnes
morales peuvent intenter une action pour violation des droits de l'homme en vertu
de l'article 10 (d). La Cour a jugé en effet que : « Les droits de l’homme signifient
les droits appartenant à la personne humaine, quelle que soit sa nationalité, sa race,
sa caste, sa religion et son sexe, entre autres, tels que le droit à la vie, le droit à la
santé et le droit à ne pas subir la torture et des traitements inhumains et dégradants.
D'autre part, les droits d’une personne morale, sont des droits fondamentaux
nécessaires à l'existence d’une personne morale, des droits dont une entité juridique
peut jouir et dont elle peut être privée ; par exemple, le droit à la liberté d'expression
vu que la société a le droit de parler de son produit ; le droit à la propriété vu que
la société génère des bénéfices et des actions et ou de l’ rent liquide et le droit à la jouissance de cet argent. Les dérogations établies, en vertu desquelles les
personnes morales peuvent intenter une action en justice, sont les suivantes : les
droits fondamentaux qui ne dépendent pas des droits de l’homme et qui comprennent
le droit à un procès équitable et le droit à la liberté d’expression ».
29. Conformément à la décision citée ci-dessus, la Cour indique que les personnes
morales peuvent jouir de la liberté d'expression, y compris d'autres droits qui ne
dépendent pas des droits de l'homme (c'est-à-dire les droits dérivés), et peuvent ester
en justice pour protéger ces droits s'ils sont violés.
30. Par conséquent, les requérants, bien que n'étant pas des personnes physiques, ont
la qualité pour agir devant la Cour en tant que victimes lorsque les droits qui leur
sont garantis en tant que personnes morales sont soit violés soit menacés sans aucune
justification légale.
31. La Cour estime donc, qu’en l’espèce, les requérants ont la qualité pour agir bien
qu'ils ne soient pas des personnes physiques dans la mesure où les droits dont la
violation est alléguée, font partie des droits qui sont reconnus aux personnes morales.
32. Par ailleurs, la preuve que les requérants ont saisi une autre juridiction
internationale compétente en matière de droits de l’homme pour connaitre de cette
même affaire n’est pas rapportée. Il n’est donc pas établi que la requête a déjà été
portée devant une autre Cour internationale compétente. En conséquence, la Cour
doit déclarer la requête recevable.
X SUR LE CARACTERE DE LA DECISION
33. Les requérants ont sollicité qu’il plaise à la Cour, rendre une décision par défaut
contre le défendeur. A l’appui de leur demande, ils ont expliqué qu’ils ont saisi la
Cour de Justice de ce siège d’une requête contre l’Etat de Guinée le 22 juillet 2021
et que le 8 septembre 2021, le Greffier en Chef de la Cour,a notifié leur requête à l’agent judiciaire du défendeur en lui précisant qu’un délai d’un mois, (30) jours, lui
est imparti pour produire un mémoire en défense.
34. Les requérants ont fait valoir que le délai d’un mois, (30 jours) imparti au
défendeur pour produire un mémoire en défense est épuisé sans qu’il le fasse alors
qu’aux termes de l’article 90 du Règlement de la cour, «si le défendeur,
régulièrement mis en cause, ne répond pas à la requête dans les formes et les délais
prescrits, le requérant peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions ».
Ils ont sollicité en conséquence que la Cour rende une décision par défaut contre le
défendeur en application des dispositions de l’article 90 précité.
ANALYSE DE LA COUR
35. La Cour rappelle qu’un jugement est considéré comme rendu « par défaut »
lorsque le défendeur, bien qu’informé du procès pour avoir reçu notification de la
requête et des pièces afférentes, n’a pas, sans motifs portés à la connaissance de la
Cour, organisé sa défense en produisant un mémoire en réplique. Le jugement qui
est rendu hors la présence du défendeur et du fait de sa non-participation au procès
est qualifié de « jugement par défaut »
36. La Cour note qu’en l’espèce, les requérants ont déposé au greffe leur requête
contre l’Etat de Guinée le 22 juillet 2021. La Cour relève que le 08 septembre
2021, le Greffier en Chef a notifié leur requête à l’agent judiciaire du défendeur en
lui précisant qu’un délai d’un mois, (30) jours, lui est accordé pour produire un
mémoire en défense.
37. La Cour fait observer que le délai d’un mois, (30 jours) imparti au défendeur
pour produire un mémoire en défense est épuisé depuis le 08 octobre 2021 et que le
03 février 2023, les requérants ont déposé au greffe une requête aux fins d’obtenir
un jugement par défaut. La Cour note que cette requête a été notifiée au défendeur
le 17 février 2023 qui est demeuré sans réaction. da 38. La Cour relève qu’aux termes de l’article 90 du Règlement de la cour : « si le
défendeur, régulièrement mis en cause, ne répond pas à la requête dans les formes
et les délais prescrits, le requérant peut demander à la Cour de lui adjuger ses
conclusions ».
La Cour conclut donc qu’en l’espèce, en application de l’article 90 du Règlement, il
y a lieu de statuer par décision de défaut.
XI SUR LE FOND DE L’AFFAIRE
39. Les requérants ont invoqué la violation par le défendeur de leur droit à
l’information (A), de leur droit à la liberté d’expression (B), et des droits des
journalistes (C).
A- SUR LA VIOLATION DU DROIT A L’INFORMATION
40. Les requérants ont allégué que le défendeur, en procédant à l’interruption de
l’accès à l’internet et en bloquant les sites de médias sociaux, a violé leurs droits de
l’homme en particulier le droit à l’information prévu par l’article 9 paragraphes 1 et
2 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP).
Le défendeur n’a produit aucun mémoire pour faire connaître son opinion sur cette
allégation.
ANALYSE DE LA COUR
41. La Cour note que l'information est l'ensemble de données dans les
domaines techniques, scientifiques, économiques, institutionnels, culturels
et historiques pouvant être sous forme d'images, de textes, de discours et
de sons. La liberté de l’accès à l’information est supposée garantir à un
public aussi large que possible, la mise à disposition de toute
connaissance (événement, fait, jugement, chiffres, document, etc.) par tous moyens dont les médias (la télévision, la radio, la presse) et Internet qui
diffuse les informations plus rapidement et à un niveau mondial.
42. Le droit à l'information est un droit reconnu notamment par
l'UNESCO qui prescrit un libre accès aux connaissances. Le but de ce droit
est de garantir aux citoyens la possession de l'information nécessaire pour
participer utilement au processus démocratique et aux décisions qui
concernent leur avenir. En effet, l'accès à l’information est considéré
comme le fondement de la démocratie.
43. Le droit à l'information est pour certains une sorte de prolongement ou un
synonyme de la liberté de presse ou de la liberté d'expression. Le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) précise que le droit à la
liberté d'expression « comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de
répandre des informations et des idées de toute espèce ». Il y a donc, dans l'idée
de libre circulation de l'information, la reconnaissance d'un droit d’avoir accès à
l'information.
44, Le droit à l'information est surtout un droit-standard en ce qu'il prescrit à celui
qui est chargé d’interpréter la loi, de soupeser les intérêts en présence, de
départager les valeurs et enjeux et de tracer la limite concrète des différents
droits fondamentaux qui viennent en contradiction. Alors, le droit à l'information
prend l'allure non plus d'un droit susceptible de produire en lui-même des
prérogatives et des obligations mais comme un outil permettant d'aider à
résoudre une contradiction entre les droits tendant à empêcher la circulation de
l'information et ceux qui tendent à la favoriser.
45. Le droit à l'information étant un droit fondamental, il apparait tout à fait
normal qu'il bénéficie d'un encadrement spécifique par la législation. Cette
nécessité d'encadrement est justifiée par le besoin de, favoriser la démocratie. I! existe par conséquent de nombreuses dispositions légales
garantissant à tous et à chacun, l’accès à l'information.
Ainsi, aux termes de l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples (CADHP), «1) Toute personne a droit à
l'information ;
2) Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le
cadre des lois et règlements »
Selon l'article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
(DUDH), « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui
implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de
chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit »
46. En Suisse, la Constitution fédérale garantit les libertés d'opinion et
d'information à l’article 16 qui dispose que :
« La liberté d'opinion et la liberté d’information sont garanties. Toute
personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son
opinion. Toute personne a le droit de recevoir librement des informations,
de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les
diffuser. »
47. Au regard de tout ce qui précède, la Cour juge que constitue une
violation du droit à l'information, toute mesure injustifiée qui vise à
suspendre ou à restreindre l’accès libre à l'information.
48. En l’espèce, la Cour constate qu’alors que les requérants soutiennent que les
actions du défendeur consistant à limiter l’accès à l’internet et à bloquer les médias
sociaux constituent une violation de leur droit à l’information prévu par l’article 9
paragraphes 1 et 2 de la CADHP, et que les perturbations des services de
télécommunication constituent une ingérence dans leur droit de rechercher, de
recevoir et de communiquer librement des informations,et idées, le défendeur n’a pas conclu pour démontrer que ces mesures sont justifiées. Par conséquent, la Cour
juge qu’en interrompant l’accès à l’internet et aux médias sociaux sans justification,
le défendeur a violé le droit des requérants à l’information.
B SUR LA VIOLATION DU DROIT A LA LIBERTE D’EXPRESSION
49. Les requérants ont soutenu qu’en interrompant l’accès à l’internet depuis la
soirée du 18 au 27 octobre 2020 ainsi que l’accès aux sites de médias sociaux du 20
au 23 mars et en gardant As bloqué du 18 octobre jusqu’au mois de décembre
2020, le défendeur a violé leur droit à la liberté d’expression.
Le défendeur s’est abstenu de faire connaître ses moyens de défense.
ANALYSE DE LA COUR
50. La Cour note que le droit à la liberté d’expression est prévu par l’article 19,
paragraphe 2, du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP)
et l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP)
ainsi conçus :
Article 19 paragraphe 2 du PIDCP : « Toute personne a droit à la liberté
Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des
informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une
forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
Article 9 de ja CADHP « /. Toute personne a droit à l’information.
2. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des
lois et règlements »
51. La Cour relève que le droit à la liberté d’expression est un droit essentiel qui
garantit l’exercice de la liberté de la presse. Il est reconnu par les mécanismes
internationaux des droits de l’homme comme étant un élément nécessaire et
indispensable de toute société démocratique et un instrument précieux pour la
défense et la protection des droits de l’homme. Aussi, les États n’ont pas seulement l’obligation de s’abstenir d’interférer dans l’exercice du droit à la liberté
d’expression mais ils sont également soumis à une obligation d’adopter toutes les
mesures nécessaires pour donner effet à ce droit. À cet égard, le Comité des droits
de l’homme de l’ONU, en ce qui concerne l’article 19 du PIDCP, a déclaré que le
droit à la liberté d’expression englobe «/’expression et la réception des
communications de toute forme d’idée et d’opinion susceptibles de transmettre à
d’autres la discussion relative aux droits de l’homme ».
52. La Cour fait remarquer que le défendeur a adhéré au PIDCP en 1978 et ratifié la
CADHP en 1982. Elle en conclut qu’il a consenti à être liée par l’obligation de
respecter et de protéger le droit à la liberté d’expression en vertu du PIDCP et de la
53. La Cour est certes d’avis qu’aux termes de l’article 19, paragraphe 3, du PIDCP
et 27, paragraphe 2, de la CADHP, le droit à la liberté d’expression connait des
limites ou restrictions. Elle rappelle cependant qu’une limitation ou une restriction
du droit à la liberté d’expression n’est justifiée que si elle est prévue par la loi, sert
un intérêt légitime, est nécessaire et proportionnée, respecte le droit d’autrui, la
sécurité collective, la morale et l’intérêt commun. Par conséquent, toute restriction
ou limitation doit satisfaire ces conditions cumulatives afin d’être considérée comme
une restriction légitime au droit à la liberté d’expression.
54. La Cour note que le premier critère selon lequel la restriction ou la limitation
doit être « prévue par la loi », exige que la mesure soit imposée en vertu d’une loi
qui soit accessible au public, soit formulée avec suffisamment de précision pour
permettre à une personne de régler son comportement en conséquence, et fournit des
garanties adéquates contre le pouvoir discrétionnaire absolu concernant la restriction
de la liberté d’expression de la part des personnes en charge de son exécution.
55. La Cour note qu’en l’espèce, les restrictions de l’accès à l’internet aux dates
indiquées n’étaient pas prescrites par une loi.
Au demeurant, la restriction doit poursuivre l’un des objectifs énumérés à l’article
19, paragraphe 3, 27, paragraphe 2 de la CADHP. Les re frictions ou limitations au droit à la liberté d’expression ne peuvent être utilisées qu’aux fins du respect des
droits ou de la réputation d’autrui, ou de la sauvegarde de la sécurité nationale, de
l’ordre public, de la santé ou la moralité publique.
56. En l’espèce, la Cour constate que le défendeur n’a pas précisé l’objectif qu’il
désirait atteindre puisque les perturbations de l’internet ont coïncidé avec les
manifestations relatives aux réformes constitutionnelles et aux élections.
57. La Cour relève que le critère selon lequel la restriction ou la limitation du droit
à la liberté d’expression doit être « nécessaire dans une société démocratique »,
exige qu’une telle restriction ou limitation soit absolument nécessaire pour atteindre
un objectif légitime et qu’elle soit proportionnée à l’intérêt à protéger. Ce critère
exige que les mesures soient l’instrument le moins intrus parmi ceux qui pourraient
permettre d’atteindre cet objectif.
58. La Cour fait observer qu’en l’espèce, même si un objectif légitime était visé par
le défendeur, les mesures de blocage de l’accès à l’internet utilisées demeureraient
un moyen disproportionné dans la mesure où elles rendent les communications
quasiment impossibles, et l’internet inaccessible à tous les utilisateurs.
59. La Cour note que pour savoir si une mesure de restriction du droit à la liberté
d’expression est appropriée et proportionnée à l’objectif poursuivi, la Cour Africaine
des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) a énuméré dans l’affaire Af
An for Ae Al C Aj Aq AI Af c. Zimbabwe,
une série de questions. Selon cette juridiction, il importe de chercher à savoir :
1°) S°il existe des raisons suffisantes justifiant la mesure de restriction ;
2°) S’il existe une solution moins stricte ;
3°) Si la procédure ayant conduit à la prise de cette décision est équitable ;
4°) S’il existe des clauses de sauvegarde contre les abus ;
60. La Cour estime qu’en l’espèce, les réponses à toutes ces questions demeureront
inconnues puisque le défendeur ne s’est pas prononcé pour apporter son éclairage.
Par ailleurs, la Cour est d’avis que l’internet joue un rôle important dans le
développement d’un pays du fait que les sites internet contribuent à améliorer l’accès à l’actualité par la diffusion en temps réel de l’information. C’est pour cette raison
que le Rapporteur spécial de l’ONU a affirmé qu’« en étendant la capacité des
personnes à jouir de leur droit à la liberté d'opinion et d’expression, qui est un
« déclencheur » des autres droits de l’homme, l’internet stimule le développement
économique, social et politique et contribue aux progrès de l’humanité dans son
ensemble ».
61. Par conséquent, l’article 19, paragraphe 2, du PIDCP exige non seulement que
les États s’abstiennent de prendre des mesures qui pourraient interférer avec
l’indépendance des médias en ligne et l’accès des individus à ces médias, mais il
impose également aux États une obligation de veiller à ce que les citoyens puissent
accéder et utiliser l’internet librement.
62. La Cour rappelle que le fait de perturber ou de bloquer l’accès à l’internet et aux
sites web constitue une restriction préalable. Or, en raison de l’effet extrêmement
paralysant que peut avoir la restriction préalable sur l’exercice du droit à la liberté
d’expression, l’article 13, paragraphe 2, de la Convention américaine des droits de
l’homme interdit explicitement toute forme de restriction préalable du droit à la
liberté d’expression.
63. La Cour fait observer que toute restriction imposée au fonctionnement des sites
Web, des blogs et de tout autre système de diffusion de l’information par le biais de
l’internet, de moyens électroniques ou autres, y compris les systèmes d’appui
connexes à ces moyens de communication, comme les fournisseurs d’accès à
l’internet ou les moteurs de recherche, n’est licite que dans la mesure où elle est
compatible avec l’article 19, paragraphe 3, du PIDCP.
64. Les restrictions licites devraient d’une manière générale viser un contenu
spécifique ; les interdictions générales de fonctionnement frappant certains sites et
systèmes ne sont pas compatibles avec l’article 19, paragraphe 3, du PIDCP.
65. La Cour estime en effet qu’interdire à un site ou à un système de diffusion de
l’information de publier un contenu uniquement au motif qu’il peut être critique à l’égard du gouvernement ou du système politique et social adopté par le
gouvernement est tout aussi incompatible avec l’article 19, paragraphe 3, du
PIDCP »
66. La Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples a expliqué dans l’affaire
Ac Al Aa et d’autres c. Ad, qu’« étant donné que le droit nigérian
contient toutes les dispositions traditionnelles pour les poursuites pour diffamation
de sorte que les individus puissent se défendre en cas de besoin, le fait que le
gouvernement interdise une publication particulière, nommément, est
disproportionné et injustifié. Ce fait constitue une violation de [article 9, paragraphe
2, de la Charte Africaine. »
67. De même dans l’affaire B A TOGO et 7 autres
contre LA REPUBLIQUE TOGOLAISE, arrêt N° ECW/CCI/JUD/09/20, la Cour de
ce Siège a jugé que « le blocage de l’accès à Internet par l’Etat défendeur a violé
les droits des requérants à la liberté d’expression ».
68. En l’espèce, il ressort des faits de la procédure que le défendeur a limité l’accès
à l’internet et bloqué les médias sociaux. En conséquence, faute d’avoir rapporté la
preuve que ces mesures s’inscrivaient dans le cadre très limité des exceptions
prévues au paragraphe 3 de l’article 19 du PIDCP et 27 de la CADHP, la Cour juge
que le défendeur a violé le droit des requérants à la liberté d’expression.
C SUR LA VIOLATION DU DROIT DES JOURNALISTES
69. Les requérants ont soutenu que le défendeur, en bloquant l’accès à l’internet, aux
sites de médias sociaux et en gardant As bloqué du 18 octobre jusqu’au mois
de décembre 2020, a violé leur droit à la liberté d’expression. De plus, par cet acte,
il a altéré la capacité du cinquième requérant à travailler en tant que journaliste. Or,
l’article 66, paragraphe 2, point (c), du Traité révisé de la CEDEAO reconnaît
l’obligation des États membres de « s’engager à respecter les droits du journaliste ».
70. Ils ont fait valoir que les États n’ont pas seulement l’obligation de s’abstenir
d’interférer dans l’exercice du droit à la liberté d’expression et aux droits des journalistes en vertu de l’article 19 du PIDCP, de l’article 9 de la Charte Africaine
et de l’article 66, paragraphe 2, point (c), du Traité révisé mais ils sont également
soumis à une obligation d’adopter toutes les mesures nécessaires pour « donner
effet » à ces droits. Ils ont affirmé que la présente Cour a reconnu que l’article 66,
paragraphe 2, point (c), du Traité révisé de la CEDEAO impose aux États membres
l’obligation d’assurer « une atmosphère sécurisée et favorable à la pratique du
Le défendeur n’a déposé aucune écriture au dossier pour assurer sa défense.
ANALYSE DE LA COUR
71. La Cour note que le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son
contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de
qualité ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du
temps et des moyens, quel que soit le support. La notion d’urgence dans la
diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux
de l’enquête et la vérification des sources.
72. Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte ou exprimer une
opinion contraire à sa conviction ou sa conscience professionnelle, ni aux principes
et règles de sa profession. Le journaliste accomplit tous les actes de sa profession
(enquête, investigations, prise d’images et de sons, etc…) librement, a accès à
toutes les sources d’information concernant les faits qui conditionnent la vie
publique et voit la protection du secret de ses sources garantie.
73. La Cour relève qu’aux termes de l’article 66 paragraphe 1 point c du Traité
Révisé, « En vue d'associer les citoyens de la Communauté au processus
d’intégration régionale, les Etats membres conviennent de coopérer dans le
domaine de l’information.
A cet effet, ils s'engagent à : d £ a (a) Assurer en leur sein et entre eux la liberté d'accès des professionnels de la
communication aux sources de l'information ;
(b) Faciliter les échanges d’information entre leurs organes de presse;
promouvoir et encourager la diffusion efficace de l'information au sein de la
Communauté ;
(c) Respecter les droits du journaliste ; »
74. La Cour admet que le fait de suspendre l’accès à l’internet et aux sites des médias
sociaux ne garantit pas la liberté d’accès des professionnels de la communication
aux sources de l’information. Il ne facilite pas non plus les échanges d’information
entre les organes de presse et ne promeut ni n’encourage la diffusion efficace de
l’information au sein de la Communauté.
Par conséquent la Cour juge que ce fait ne respecte pas les droits des journalistes.
75. La Cour fait observer cependant que le cinquième requérant dont les droits
auraient été ainsi violés par le défendeur n’est pas identifié.
La Cour rappelle en effet que dans leur requête introductive d’instance, les
requérants ont indiqué eux-mêmes à la première page qu’ils sont au nombre de
quatre et que le premier requérant est l’Association des Blogueurs de Guinée, le
deuxième requérant est l’Association Villageoise, le troisième requérant étant la
Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme et le quatrième et dernier requérant est le
Centre Africain de Formation et d’Information sur les Droits Humains et
l’Environnement qui sont des organisations non gouvernementales établies en
Guinée exerçant des activités en matière de protection, promotion et réalisation des
droits de l’homme notamment en ce qui concerne la liberté d’expression et de la
presse ainsi que le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres traitements
cruels, inhumains et dégradants en Guinée. Nulle part il n’est mentionné la présence
d’un cinquième requérant qui serait un journaliste dont les droits auraient été
méconnus par le défendeur en l’espèce. La Cour de ce siège juge par conséquent que
le droit des journalistes n’a nullement été violé par le défendeur.
XII SUR LA DEMANDE EN REPARATION DES PREJUDICES
ALLEGUES
‘76. Les requérants ont sollicité qu’il plaise à la Cour :
Dire et juger que le défendeur a violé leur droit à la liberté d’expression ainsi que les
droits de journaliste du cinquième requérant ;
Enjoindre au défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que
ces violations se reproduisent à l’avenir ;
Condamner le défendeur à leur accorder des réparations telles que la restitution,
l’indemnisation et la satisfaction qu’ils vont préciser et lui soumettre en temps utile ;
Leur accorder toute autre réparation qu’elle juge appropriée :
ANALYSE DE LA COUR
77. La Cour rappelle que sa compétence en matière de violation des droits de
l’homme lui permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi
d’ordonner leur réparation s’il y a lieu.
78. La Cour note qu’il est admis en droit international que toute violation d’un
instrument juridique international de protection des droits de l’homme entraîne
l’obligation de réparer le préjudice causé à la victime de la violation. L'arrêt rendu
par la Cour de ce siège dans l’affaire HEMBADOON CHIA ET 7 AUTRES c.
ÉTAT FÉDÉRAL DU Ad ET UN AUTRE ECW/CCJ/JUD/21/18 PAGE 33
en est une bonne illustration.
79. La Cour rappelle qu’un État est tenu de réparer intégralement tout préjudice
causé par une violation des droits de l’homme dont il a été reconnu
internationalement responsable. La réparation prend diverses formes, notamment le
rétablissement de la situation d’origine si possible, l’indemnisation, la satisfaction,
c’est-à-dire la reconnaissance de la violation ou des excuses pour celle-ci. A ce propos, l’arrêt AG Am c. LE GOUVERNEMENT DE L’ÉTAT
DE JIGAWA ET 2 AUTRES ECW/CCI/JUD/12/14, PAGE 40 peut être utilement
consulté. Voir aussi HAMMA HIYA ET UN AUTRE c. ÉTAT DU MALI ARRÊT
N°. ECW/CCI/JUD/05/21 PARAGRAPHE 64.
80. La Cour rappelle également que l’octroi des réparations est subordonné à
l’établissement d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage
causé à une victime pour laquelle une réparation est demandée. À cet égard, la Cour
a jugé que « Pour être victime, il faut établir un lien entre le requérant et la violation
alléguée des droits de l’homme, c’est-à-dire qu’il doit exister des faits démontrant
que le requérant a subi un préjudice direct ou une perte directement imputable aux
actes du défendeur ».
La Cour de ce siège en a ainsi décédé dans l’affaire AH Ap et 3 autres
c. RÉPUBLIQUE du BURKINA FASO ECW/CCI/TUD/07/20 PAGE 10.
81. La Cour admet que l’indemnisation peut porter sur des préjudices matériels et
moraux. En ce qui concerne les dommages-intérêts en réparation d’un préjudice
matériel, ils sont accordés en réparation d’un préjudice tangible, d’un dommage ou
d’une perte qui peuvent faire l’objet d’une évaluation en argent. Lorsque des
indemnisations pécuniaires sont demandées, la victime ou le requérant doit fournir
des preuves documentaires des pertes subies, notamment des reçus, des preuves de
propriété de biens, des preuves d’emploi et de paiement de salaires, des certificats
médicaux ou autres expertises etc.
82. Les dommages-intérêts non pécuniaires ou les dommages moraux, comme on
les appelle parfois, visent à indemniser les victimes pour la souffrance, notamment
le préjudice psychologique, l’angoisse, le chagrin, la tristesse, la détresse, la peur,
la frustration, l’anxiété, les désagréments, l’humiliation et l’atteinte à la réputation
causés par la violation comme ce fut le cas dans l’affaire LES AYANTS DROIT
DE FEU NORBERT ZONGO ET 4 AUTRES c. BURKINA FASO
(RÉPARATIONS) 2015 1 AFCLR 258. 4 83. En l’espèce, à l’appui de leurs allégations, les requérants versent au dossier des
témoignages contenus dans les pièces N° A, B, C, D, E et F annexées à la requête
pour corroborer leurs propos.
Au regard de toutes ces pièces, la Cour a admis plus haut que le défendeur a violé
le droit des requérants à la liberté d’expression de sorte qu’elle ne peut que faire
droit à leur demande en paiement de dommages et intérêts.
84. Néanmoins, la Cour précise que les dommages et intérêts étant alloués à la
victime d’un dommage pour réparer le préjudice qu’elle a subi par la faute de
l’auteur de ce dommage, elle doit indiquer le quantum de la somme qu’elle
souhaiterait recevoir à titre de dommages et intérêts.
85. En l’espèce, les requérants n’ont pas chiffré leur demande en réparation du
préjudice qu’ils prétendent avoir subi du fait de la violation de leur droit à la liberté
d’expression. Ne l’ayant pas fait, la Cour ne peut que rejeter leur demande en
réparation du préjudice allégué.
86. Aux termes de l’article 66, alinéa 2 du Règlement de procédure, la partie qui
succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens par l’autre partie. La
Cour note qu’en l’espèce les requérants n’ont pas conclu dans ce sens. Le défendeur
n’a pas conclu.
La Cour dit en conséquence que chaque partie supportera ses propres dépens.
XIV. DISPOSITIF
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les
requérants :
Statue par décision de défaut à l’égard du défendeur ;
Sur la compétence :
Se déclare compétente pour connaître du litige ;
Sur la recevabilité
Déclare la requête recevable ;
Sur le fond
Dit que le défendeur n’a pas violé le droit des journalistes ;
Dit en revanche que le défendeur a violé le droit des requérants à l’information ;
Dit que le défendeur a violé le droit des requérants à la liberté d’expression ;
Rejette néanmoins la demande en payement de dommages et intérêts non chiffrée
des requérants ;
Enjoint à l'Etat défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir
que cette violation ne se reproduira plus à l'avenir.
Enjoint à l'État défendeur d'adopter et de mettre en œuvre des lois, règlements et
garanties afin de s'acquitter de ses obligations en matière de droit à la liberté
d'expression, en vertu des instruments internationaux des droits de l’homme.
DES DÉPENS :
Dit que chacune des parties supporte ses propres dépens.
Ainsi fait et jugé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
Hon. Juge Gberi-bèà OUATTARA - Président Juge Rapporte ponte
Hon. Juge Dupe ATOKI - Membre
Hon. Juge Sengu M. Z - Membre $
ASSISTES DE : Me. Yaouza OURO-SAMA -— Greffier en Chef es


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/38/23
Date de la décision : 31/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2023-10-31;ecw.ccj.jud.38.23 ?
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