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30/11/2023 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/38/23

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 30 novembre 2023, ECW/CCJ/JUD/38/23


Texte (pseudonymisé)
> COMMUNITY COUR DE JUSTICE COURT DE OF LA JUSTICE, COMMUNAUTE, ECOWAS CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, 13D14O 10
11
12
13 AI AU, CHEF DE VILLAGE DE AL
CE AU AI FILS ET AYANT DROIT DE FEUE AX Ap
BM BR AU
AW AN Ah
CC AU BC
AO AW CE
AV BH
AU BY AJ Ay
BE BK AU,
AW BI AZ
GBOKO YAO VICTOR
AM BD
B BZ AH REPRÉSENTÉ PAR SON FILS BZ AW JEAN
AJ AW BK, représenté par son fils AW AN As BK
LA MUTUELLE DE DEVELOPPEMENT DE AL, association regroupant les ressortissants de AL.
Agissant tous en leurs noms personnels et aussi au nom et p

our le compte de la Communauté villagevise de AL.
C
L'ETAT DE COTE D'IVOIRE
1
Pl...

> COMMUNITY COUR DE JUSTICE COURT DE OF LA JUSTICE, COMMUNAUTE, ECOWAS CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, 13D14O 10
11
12
13 AI AU, CHEF DE VILLAGE DE AL
CE AU AI FILS ET AYANT DROIT DE FEUE AX Ap
BM BR AU
AW AN Ah
CC AU BC
AO AW CE
AV BH
AU BY AJ Ay
BE BK AU,
AW BI AZ
GBOKO YAO VICTOR
AM BD
B BZ AH REPRÉSENTÉ PAR SON FILS BZ AW JEAN
AJ AW BK, représenté par son fils AW AN As BK
LA MUTUELLE DE DEVELOPPEMENT DE AL, association regroupant les ressortissants de AL.
Agissant tous en leurs noms personnels et aussi au nom et pour le compte de la Communauté villagevise de AL.
C
L'ETAT DE COTE D'IVOIRE
1
Plot 1164 Az Bm Bb, Gudu District, Bl AR. ARRET
Le 30 novembre 2023 AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/08/21
ARRET N° ECW/CCJ/FUD/46/23
1. AI AU, CHEF DE VILLAGE DE AL
2. CE AU AI FILS ET AYANT DROIT DE FEUE ASSAMOI AKOUARIOR
3. BM BR AU
7. AV BH
8. AU BY AJ Ay
10. AW BI AZ
11. GBOKO YAO VICTOR
12. AM BD
13. B BZ AH REPRÉSENTÉ PAR SON FILS BZ AW JEAN
14. AJ AW BK, représenté par son fils AW AN As BK
15. LA MUTUELLE DE DEVELOPPEMENT DE AL, association regroupant les ressortissants de AL.
REQUÉRANTS
CONTRE
L'ETAT DE COTE D'IVOIRE DÉFENDEUR COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président
Hon. Juge Dupe ATOKI - Membre
Hon. Juge Ricardo Claûdio Monteiro GONÇALVES - Juge Rapporteur
ASSISTES DE :
Dr. Athanase ATANNON - Greffier en Chef Adjoint
REPRESENTATION DES PARTIES
Bj Av et plusieurs autres avocats - Pour les requérants
Le Ministre de L’Economie, pris en la personne de l’Agent judiciaire du trésor et
de la comptabilité publique - Pour le défendeur ARRET
1. Cet arrêt de la Cour est rendu en audience publique virtuelle,
conformément à l'article 8 (1) des Instructions Pratiques sur la Gestion
Électronique des Affaires et des Audiences Virtuelles de la Cour de 2020.
I. LES PARTIES
Les requérants sont: 1. AI AU, CHEF DE VILLAGE DE
AL, 2. CE AU AI FILS ET AYANT DROIT DE
FEUE ASSAMOI AKOUARIOR, 3. BM BR
AU, 4. ABENAN KRA ODETTE, 5. CC AU BC, 6.
AO AW CE, 7. AV BH, 8. AU BY
AJ Ay, 9. BE BK AU, 10.
AW BI AZ, 11. GBOKO YAO VICTOR, 12.
AM BD, 13. B BZ AH, représentée par son fils BZ
AW JEAN, 14. AJ AW BK, représenté par
son fils AW AN As BK et 15. LA MUTUELLE DE
DÉVELOPPEMENT DE AL, Association regroupant les
ressortissants de AL ainsi que les résidents du village de AL, dans
la sous-préfecture de BA, en Côte d’Ivoire.
Le défendeur est l'État de la République de COTE D'IVOIRE, État membre
de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest, CEDEAO
et signataire de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples,
ci-après dénommée la Charte Africaine.
II. INTRODUCTION
4. En l'espèce, les requérants font valoir que le défendeur est responsable de la
violation de leurs droits à un environnement sain, à la santé, à la propriété et
autres violations, pour avoir failli à les protéger des violations des droits de
l’homme commises par des tiers dans le cadre des opérations de la société
minière Boundoukou Manganèse SA (anciennement dénomméeCXX),
une mine de manganèse située à AL, dans le nord-est de la Côte
d’Ivoire.
IV. PROCEDURE DEVANT LA COUR
5. La requête introductive d'instance (Doc.1), accompagnée de 72 (soixante-
douze) pièces jointes, stockées sur une clé Usb, a été enregistrée au greffe de
cette Cour le 4 mars 2021.
6. L'Etat défendeur, la République de CÔTE D'IVOIRE, régulièrement notifié
le 11 mars 2021, a déposé son mémoire en défense (Doc. 2) le 4 avril 2022,
qui a été notifié aux requérants à la même date.
7. Le 19 avril 2022, les requérants ont déposé leur mémoire en réplique (Doc.
3), qui a été notifié au défendeur le 18 mai 2022.
8. Le 13 mai 2022, l'Etat défendeur a déposé son mémoire en duplique (Doc.
4), qui a été notifié aux requérants le 18 mai 2022.
9. Le 05 mai 2023 fixé pour l'audition des parties, seul le représentant des
requérants a comparu à l'audience, a été entendu et y a formulé ses
observations orales.
10. Le procès a été reporté au 30 novembre 2023.
6 ? a ARGUMENTS DES REQUERANTS
Résumé des faits
11. BA Aj AS (BMSA) exploite une mine de manganèse dans
la préfecture de BA depuis septembre 2010.
12. Cette exploitation, qui comprend des creusements de puits à ciel ouvert, une
usine d’enrichissement du manganèse, et un réseau de routes non-bitumées
pour le transport du minerai, apportent beaucoup de souffrances aux
requérants.
13. Avant le démarrage des opérations, BMSA a préparé une Etude d’Impacts
Environnementaux et Sociaux (EIES) et un Plan de Gestion
Environnementale et Social (PGES) selon les exigences de la législation
minière ivoirienne.
14, Les résultats de l’EIES n’ont pas été validés par les autorités qualifiées à
savoir le Centre Ivoirien Antipollution (CIAPOL) et l’Agence Nationale De
l'Environnement (ANDE).
15. En 2010, BMSA a commencé des opérations à proximité du village de
AL, une communauté agricole entourée de plantations de noix de cajou,
qui est le plus important produit de rentes des villageois.
16. Les habitants cultivent également de l’igname, du cacao, du café et autres
arbres fruitiers comme l’oranger, l’avocatier, et le bananier.
17. Il y a deux rivières dans la communauté, le Djêlè et le At, qui servent de
sources d’alimentation pour la population (Photos des deux rivières
ANNEXE A3).
18. Tous les besoins familiaux et sanitaires se font avec l’eau de la rivière At.
19. La rivière Djêlè, qui prend sa source dans le At, traverse les champs et
sert à alimenter les plantations, et les paysans l’utilisent comme eau de
boisson.
20. La société a creusé des puits à moins de 200 mètres de l’entrée du village, et
d’autres excavations et installations aux alentours des zones résidentielles et
agricoles.
21. La mine de manganèse se trouve à moins de 100 mètres du village (Carte de
AL ANNEXE A4), mettant en danger tout le village, qui est envahi par
la mine.
22. L’EIES fait seulement ressortir le fait que le village AL est situé sur
l'une des collines dans la concession du projet minier alors que la
délocalisation apparaît comme inévitable.
23. Le village de AL se trouve en fait être à l’intérieur du permis
d’exploitation de BMSA.
Impacts subis
24. L'exploitation a eu des effets destructeurs sur des plantations, des forêts, les
rivières et les lieux de culte.
Impacts sur l'eau
25. Les terres stériles déposées de façon anarchique autour du village et dans le
village sous l’effet de l’érosion, créent des lacs artificiels qui se déversent
dans les deux rivières : le Djêlè et le At (Photos de l'érosion, terre aride
ANNEXE A5).
26. Ce qui entraîne la pollution et est à la base de certaines maladies chez les
habitants, qui ne disposent d’aucune autre source de consommation d’eau.
27. Avant l'arrivée de la société, les rivières étaient claires et buvables
(Déclaration d'Abdoulaye BR AU, requérant ANNEXE B1).
28. Maintenant, ils ont changé de couleur du fait de l’érosion sur les terres
stériles, rendant ainsi l’eau impropre à la consommation (Rapport de mission
conjoint des Directeurs régionaux des Mines et de la Géologie et de
l'Environnement et du Développement durable de BA à AL (17
juin 2019) ANNEXE A6).
29. Selon les villageois :
« Lorsqu'il pleut, la boue qui ruisselle des terres stériles laissées par la
compagnie viennent se déverser dans les eaux . . . L'eau qu’on consomme
est devenue de la boue, c’est devenu rouge. . . . Nous savons tous que l’eau
que nous consommons n’est pas propre mais nous n’avons pas d'autre choix
que de la consommer parce que nous n’avons pas les moyens d’aller acheter
de l’eau potable en ville. En consommant cette eau, j'ai des maux de ventre
et de la diarrhée très souvent. » (Déclaration de BE BK AU
para. 11, requérant ANNEXE B2) ;
« Ma famille et moi nous utilisons l’eau de la rivière pour nos besoins.
Malgré que nous pensions que l’eau des deux rivières qui traversent le
village n’est pas pure, nous la consommons toujours parce que c’est la seule
source d’eau qu’on peut utiliser. En consommant cette eau, nous avons de
la diarrhée et des maux de ventre. Mes enfants et moi avons également eu
des maux de ventre. . le médecin nous dit que c'est à cause de l’eau qu’on
boit.» (Déclaration d'Abenan Kra Ah AJ 10, requérante,
présidente de l'association des femmes de AL ANNEXE B3) ;
il Poussière et impacts sur la qualité de l'air
@ 30. « Avant l’arrivée de la société, on « respirait du bon air » au village »
(Déclaration d'Abdoulaye BR AU, paragraphe 9 ANNEXE B1).
Maintenant, les populations subissent régulièrement le soulèvement de la
poussière et matières particulières à cause des routes non-bitumées
construites par la société, exacerbé par les camions à poids lourd qui vont et
viennent des sites d’extraction toute la journée (Photos de la poussière
soulevée à cause des routes non bitumées ANNEXE A7 ; 2d An
Ac, Audit environnemental BA Aj CD p. 392
(Décembre 2016) ANNEXE A8 ; GVGCS-CI SARL, Evaluation de la Qualité
des Composants Environnementale Connexe à la Société BA
Aj SA p.15 (Août 2020) ANNEXE A9).
31. La poussière se dépose sur les feuilles des arbres économiques (Photos de la
poussière sur les arbres d’anacarde ANNEXE A10) et réduit drastiquement
leur productivité.
32. Les habitants se plaignent de rhumes et autres problèmes respiratoires liés à
la poussière, surtout chez les enfants :
« Mes enfants tombent souvent malades, et chaque fois que je les amène à
l'hôpital, le médecin me dit que c’est parce qu’ils sont trop exposés à la
poussière et qu’ils s’amusent dans la poussière. J'avais fait un accident
pendant que je faisais mon travail à la compagnie, je suis tombé sur un
caillou et depuis ce jour, j'ai des problèmes au niveau de la poitrine. La
poussière que je respire me rend la respiration très difficile et me cause des
douleurs … » (Déclaration d'Abdoulaye BR AU 9-10 ANNEXE
B1)
iii. Explosions, bruit, et tremblements du sol 33. BMSA effectue des explosions de dynamites souvent et sans information
préalable de la population, et utilise des machines qui produisent des
émissions sonores et secouent le sol.
34. Les explosions causent des bruits fatigants et assourdissants et des fumées
nauséabondes, provoquent des fissures dans le mur des maisons, et poussent
des fois les habitants à sortir des maisons par peur (Déclaration de AW
BI AZ, par. 11, requérant ANNEXE B4, Déclaration de Gboko
Yao Victor par. 9, requérant ANNEXE B5 ; GVGCS-CI SARL août 2020 p.
19 ANNEXE A9).
35. Ces expériences perturbent leur qualité de vie et leur causent une angoisse
psychologique.
36. Les tremblements affectent aussi les racines des arbres et des plantes,
agissant négativement sur leur productivité.
iv. Blocage et destruction des lieux de culte
37. population de AL a vu sa vie culturelle chamboulée par la société.
38. Ils sont à majorité animistes et pratiquent des rites traditionnels par les
adorations cultuelles et bien d’autres.
39. La source du fétiche appelé « CE Ag » a été détruite par BMSA, et la
colline sacrée sur laquelle la population pratiquait des cérémonies rituelles
pendant les périodes de chasse a été occupée: « La colline sur laquelle se fait
l’exploitation a une histoire. Les grands parents y pratiquaient la chasse et
les périodes de chasse étaient précédées par une grande cérémonie rituelle
aux dieux.
40. Les activités de la société empêchent les villageois de pratiquer leurs cultes
quand arrive la période de chasse. » (Déclaration de AJ AW AN
Ah, par. 9 ANNEXE B3).
41. En fait, le féticheur qui gardait ces lieux a été tellement affecté par la
destruction qu’il en est décédé quelques mois plus tard » (Déclaration de
AJ AW AN Ah, par. 9 ANNEXE B3)
42. En outre, des membres de la communauté avaient dans leurs champs des
arbres sous lesquels ils adoraient leurs fétiches, auxquels ils faisaient des
sacrifices pour avoir des bénédictions et de bonnes saisons de récoltes : «
Dans la plantation de notre maman, il y avait un endroit où elle faisait des
sacrifices d’animaux, de cabris et de poulets, pour demander pardon aux
ancêtres pour les désobéissances et pour que les cultures soient beaucoup. »
(Déclaration de CE AU AI P/C de Ax AX Ap par.
7, requérant ANNEXE B7)
43. Le sieur AW BI AZ, les dames AI AU BC et
AM BD faisaient des cérémonies rituelles dans leurs plantations sous
un arbre. La souche du fétiche appelé « CE Ag » se trouvait dans le
champ du chef de village.
44, Maintenant, ils ne peuvent plus accomplir leurs rites et pratiques comme
avant parce qu’ils n’ont plus accès à ces lieux qui ont été détruits du fait des
activités de la compagnie.
45. Par conséquent, ils pensent que les fétiches sont fâchés contre eux car leurs
prières et leurs invocations ne sont plus exaucées : « Maintenant qu’il n’y a
plus de source, le fétiche n’est plus adoré comme il se doit et ça commence
à perdre sa puissance et ça ne protège plus le village comme avant. » (Déclaration d'Adou Kouamé par. 14, chef de village, requérant ANNEXE
B8)
46. La destruction de leurs lieux de culte a été effectuée sans consultation : « Si
j'avais été informé de sa destruction, j’aurais empêché la société de toucher
à la source du fétiche quel que soit le montant qu’elle allait donner. » (Idem.
par. 15)
Occupation et destruction des terres agricoles sans compensation
appropriée
47. BMSA a spolié les habitants de AL de leurs champs. Ceux qui ont reçu
une compensation de la société n’ont pas été compensés pour la perte du sol
et des subsistances qu’ils peuvent en tirer à long terme mais plutôt pour les
plantes. La compensation offerte pour les pieds de plantes détruites était
dérisoire. Par exemple :
« Les villageois ont dû accepter une somme de 2 000 F CFA par pied de
plant, au lieu de la somme de 150 000 F CFA qu’ils avaient proposé à
la compagnie (Déclaration d'Adingra Koffi, par. 2 ANNEXE B6).
e La société a promis au chef de village, AI AU, 1.000.000
FCFA par hectare pour 9 hectares. Mais il n’a reçu à ce jour qu’un total
de 1.350.000 F CFA. Déclaration d'Adou Kouamé par. 9 ANNEXE B8)
« Après avoir détruit sa plantation sans son consentement, la société a
promis de payer 4.000.000 FCFA pour 4 hectares à M. AZ
AW. Mais il n'a reçu qu'un total de 1.600.000 FCFA
(Déclaration de AW BI AZ, par. 3 ANNEXE B4) 48. Avec le consentement et la complicité de l'administration locale de
BA, BMSA n'a pas appliqué le barème de compensation établi par
le Décret d’application du Code minier.
49. Selon ce barème, la société aurait dû payer un montant équivalent à 15
années des revenus de la parcelle plus le prix moyen d’usufruit ou acquisition
d’un hectare multiplié par la superficie de la parcelle. (Décret n° 2014-397,
du 25 juin 2014, déterminant les modalités d'application de la Loi n° 2014-
138 du 24 mars 2014 portant Code minier, art. 134 ANNEXE C1).
Les montants offerts et reçus ne reflètent pas ce barème
50. Les propriétaires ont essayé de résister à l’accaparement de leurs terres, mais
ils ont subi la pression du Sous-Préfet et du Préfet, qui leurs ont dit que
l’Administration ne les soutiendrait pas s’ils n’acceptaient pas les termes
offerts.
51. Par conséquent, ils se sont sentis contraints à céder leurs terres et à accepter
les montants imposés par la société. (Déclaration d'Adou Kouamé, par. 9
ANNEXE B8; Déclaration de AW BI AZ, par. 4
ANNEXE B4).
52. En outre, BMSA a déversé des stériles sur les terres de certains des
requérants, entravant l’accès à leurs champs ainsi que le droit de jouir de ses
fruits, sans compensation :
« Pendant l'hivernage, la terre stérile avec les cailloux déposés tout alentour
se déverse dans le champ. Tout mon champ devient boueux. Quand je pars
au champ dans cette période, je me trouve dans la boue jusqu’au niveau du
cou. Ce qui rend mon travail difficile et joue sur la récolte parce que ça gâte
les maniocs et les ignames. J'ai une 2e plantation de café et de cacao de 3
ha à côté de ma plantation de 4 ha. Quand la boue se déverse sur ma plantation de manioc et d’igname, ça entre dans la plantation de café et
cacao et ça gâte les plantes. » (Déclaration d'Abdoulaye BR AU
par. 3 ANNEXE B1).
53. Les conséquences à la qualité de vie des requérants sont très graves, parce
qu’ils sont privés de leurs moyens principaux de subsistance : leurs champs
agricoles :
« J’ai des enfants en charge (6 enfants) qui vont à l’école et je ne peux plus
payer les frais de leur scolarité. Une de mes filles qui étudie à Bn m'a
appelé pour me dire qu'elle a été renvoyée parce que je n'arrive plus à payer
les frais de scolarité. Je n'arrive plus à soigner mes enfants car mes sources
de revenus venaient de ma parcelle. Psychologiquement cela m’a affecté car
je ne peux plus faire des prévisions, des projets. Il y'a des problèmes entre
ma femme et moi car je n'arrive plus à subvenir à ses besoins et ceux de mes
enfants (Déclaration d'Adou Kouamé par. 12-13 ANNEXE B8).
Aujourd'hui, ma plantation étant détruite, je me retrouve sans ressource. J'ai
03 filles et 02 garçons. C’est avec les revenus des champs que je m’occupais
d’eux. La compensation proposée est très petite pour me permettre de vivre
sur de longues années. J’ai une fille qui a eu le baccalauréat. Faute de
moyen, je n’ai pas pu lui permettre de continuer ses études. » (Déclaration
de AW BI AZ, par. 5 ANNEXE B4).
54. La perte des plantations a des conséquences encore plus graves sur les
femmes par rapport aux hommes. En effet, outre qu’elles sont contraintes de
participer aux charges de ménage, leur choix de métier est par ailleurs plus
limité comparé aux hommes :
« Je me sens doublement affectée parce que le champ que j'avais me
permettait d’être indépendante économiquement, de partager les charges et les besoins de la famille avec mon mari. Car dans notre coutume, la femme
doit également participer aux charges du ménage, elle est responsable de
l’entretien de la maison, de l’éducation, de la santé et du bien-être de la
famille. En perdant ma terre, je perds mon indépendance économique et je
deviens dépendante de mon mari. Je n'arrive plus à remplir mes devoirs en
tant que mère comme je le faisais avant . . . Mon travail dans le champ me
permettait de me sentir libre et forte. Un homme peut encore avoir la force
de faire d’autres activités, mais pour une femme c'est très difficile. H y a des
travaux que les hommes peuvent faire pour avoir de l’argent ; pour une
femme c'est difficile. Pour moi, il est très difficile de refaire ma vie et d’avoir
une vie meilleure comme avant, dit AW AN Ah AJ. CC
AU BC et AM BD AU vivent la même situation. »
(Déclaration d'Abenan Kra Ah AJ par. 13 ANNEXE B3 ; Voir
également les déclarations d'Akoua BK BC par. 6, requérant
ANNEXE B9 et AM BD AU par. 8, requérant, ANNEXE B10).
55. À cause de tous ces impacts, les habitants de AL veulent être réinstallés
dans un site plus loin de la mine, où ils pourront reprendre leurs activités
économiques traditionnelle.
B. Le rôle de l'État
56. L’Etat ivoirien a sciemment permis, facilité et exacerbé les impacts néfastes
des opérations de BMSA à AL.
Echec de prendre en compte AL dans la gestion des impacts de la mine
et la réinstallation
57. Avant le démarrage des opérations, l’Etat n’a pas pris soin d’examiner
sérieusement l’EIES et le PGES de la société BMSA pour leur validation avant l’octroi du permis d’exploitation du 23 septembre 2010, si bien que les
problèmes sociaux et environnementaux sont légion dans le cas de AL.
58. Pire, les mesures correctives résultant d’une mission d’inspection conjointe
des autorités de 2015, et censé corriger les insuffisances criardes de l’EIES
et du PGES de 2010 (Arrêté n° 00109/MINESUDD/CAB/CIAPOL du 11
novembre 2015 mettant en demeure la société BA Aj S.A.
de suspendre ses activités d’exploitation de manganèse dans le Département
de BA BTRégion de Gontougouo) ANNEXE C2), n'ont pas été
respectées, aggravant ainsi la situation qui était déjà critique en 2010.
59. La société a mené un nouvel audit environnemental en 2016 qui reconnaît la
situation de AL et le désir des riverains d’être réinstallés. L'’audit
constate aussi de nombreuses carences par rapport à la gestion sociale et
environnementale de la mine, y compris : le défaut d’arrêté d’exploiter une
installation classée et de certificat de conformité environnementale ; absence
de systèmes pour le suivi ou le contrôle des eaux usées, des émissions
gazeuses et sonores, et de la poussière ; et la non-réalisation de plus de 70%
des engagements sociaux (audit environnemental en 2016 ANNEXE A8, pp.
139, 140, 158-59, 161, 169, 173, 175, 247, 392).
60. Les habitants de AL et des organisations de la société civile ont
organisé plusieurs fois en 2017, 2018 et 2019 des rencontres entre les élus
locaux et l’administration, y compris des représentants de la Préfecture, la
Direction Générale des Mines et de la Géologie, la Direction Régionale des
Mines et de la Géologie, et la Direction Régionale de l’Environnement
(Procès-verbaux de réunions de concertation, de rencontres à BA
ANNEXE A11). Chaque fois, les fonctionnaires présents ont avoué qu’ils
connaissent bien la situation enclavée de AL, que AL avait été
omis à tort dans l’EIES, et que les habitants doivent être compensés et réinstallés, mais aucune structure gouvernementale n’a pris l’initiative ou la
responsabilité pour résoudre le problème, soit par la révision de l’audit, soit
par la prise en charge de la réinstallation de manière directe.
61. Aucun plan de réinstallation des habitants n’est envisagé ni par
l’administration minière, ni par la société BMSA.
62. Après plusieurs réunions, les élus locaux de AL ont saisi les autorités
pour demander de manière officielle la réinstallation de la communauté
(lettres de demande aux autorités ANNEXE A12), mais jusqu’à ce jour,
aucune action concrète n’a été prise.
63. En 2018, le Ministre des Mines et de la Géologie de la République de Côte
d’Ivoire a renouvelé le permis d’exploitation de la société de BMSA alors
que les atteintes à l’environnement persistent encore. Or selon le Code minier
de 2014, le titre minier est renouvelable quand le titulaire « a satisfait aux
obligations lui incombant. » (Loi N° 2014-138 du 24 mars 2014 portant Code
minier, art. 40 ANNEXE C3). Le renouvellement était donc une opportunité
pour l’Etat d’amener la société BMSA à respecter toutes les dispositions de
la loi ivoirienne qui visent la protection des droits humains : les obligations
de s’abstenir des activités de recherche ou exploitation dans un rayon de cent
mètres des structures, puits, et lieux de cultes ; (Idem. art. 113) ; d’observer
les Principes de l’Equateur ( Idem. art. 117) qui intègrent les dispositions des
Normes de Performances de la SFI (Principes de ! ‘Équateur, Principe 3, p.
11, ANNEXE C4), garantissant, entre autre, une réinstallation juste pour
ceux qui subissent la délocalisation physique ou économique (Bi
Ab Ao, Normes de Performance en Matière de Durabilité
environnementale et sociale, Norme de performance 5, pp. 32-40, ANNEXE
C5) ; de respecter, protéger, et promouvoir les droits humains dans les
communautés (Code minier, art. 122 ANNEXE C3) ; de respecter les droits des populations et des communautés locales (Idem. art. 123); et de
compenser les dommages et troubles de jouissance occasionnés par ses
activités selon le barème établi par le Décret d’application du Code minier
(Idem. art. 127 ; Décret d'application art. 134 ANNEXE C] ).
64. Le renouvellement aurait également été le moment d'assurer le respect de
toutes les obligations de la société selon la Convention Minière, y compris
l’obligation de mener les relations avec les propriétaires du sol
conformément à la réglementation minière en vigueur (Convention minière
entre l'État de Côte d'Ivoire et BA Aj CD, art. 7.2, joint à
l'Audit Environnemental de 2016 en Annexe 12-27 ANNEXE A8); de
réinstaller et indemniser les titulaires des titres d’occupation dont la présence
ou proximité du Périmètre minier pourrait entraver les opérations minières
(Idem art. 7.3) ; et respecter les dispositions législatives et réglementaires
relatives à la protection de l’environnement et du patrimoine culturelle
(dem. art. 13.1).
65. Malgré les nombreuses plaintes contre la société, les résultats critiques et
déplorables de l’audit de 2016, et le non-respect de toutes les dispositions
mentionnées ci-dessus, l’Etat a, envers et contre tous, renouvelé le permis
sans exiger aucune modification dans la conduite et les pratiques de BMSA.
Echec dans la protection des habitants de AL contre les impacts
environnementaux de la mine
66. En 2015, une mission conjointe du Centre Ivoirien Antipollution (CIAPOL)
et de l’Agence nationale de l’environnement (ANDE) a été effectuée dans la
zone, suite à une plainte du collectif de riziculteurs, maraîchers et pêcheurs,
à Aq (localité voisine de BA) que BMSA ne respectait pas
l’environnement et déversait des déchets qui polluaient les aires agricoles et
le barrage de Aa. Le CIAPOL et l’ANDE ont déterminé que la plainte était bien fondée et ont donc soulevé de nombreuses irrégularités de BMSA.
Le Ministre de l'Environnement, en novembre 2015, a pris un arrêté (Arrêté
N°00109/MINESUDD/CAB/CIAPOL du 11 novembre 2015 ANNEXE C2)
sommant la compagnie minière de cesser toute activité.
67. Après la décision du Ministre de l’Environnement, le Ministre de Mines a
émis un deuxième ordre qui a permis la reprise et la continuation des
opérations de BMSA au mépris des mesures correctives exigées par le
Ministre de l’Environnement (Lettre du Ministre de l'Industrie et des Mines
N° E1200/MIM/DGMG/DDM, du 27 mai 2016, autorisant la reprise
d'activités de la société BA Aj S.A. ANNEXE C6). Par
conséquent, BMSA a pu reprendre ses activités sans améliorer ses pratiques.
68. En 2019, le CIAPOL a mené une nouvelle étude qui prouve que BS avait
corrigé des pratiques contaminantes identifiées dans l’étude de 2015, mais
qui préconisait l’établissement d’un système de suivi et surveillance
environnementale (Centre Ivoirien Antipollution (CIAPOL), Evaluation
d'Impacts environnementaux après la Mise en Œuvre de Recommandations
par BA Aj CD (BMSA) : Rapport de Mission
LCE MNP_04 2019, p. 13 ANNEXE A13).
69. En 2020, une étude indépendante a confirmé que la qualité de l’eau était
mieux qu’avant, mais a identifié des niveaux élevés d’émissions sonores et
de matière particulière (Rapport GVGCS-CI 2020, pp. 15, 19, ANNEXE A9)
- précisément les problèmes identifiées dans l’audit de 2016 qui était notifié
au gouvernement, et desquels la population de AL se plaint.
Facilitation de l'accaparement de terres sans compensation appropriée
70. Quand BMSA a commencé à négocier avec les habitants de AL pour
l’occupation de leurs terres, c’était l’administration ivoirienne qui a permis d’appliquer à tort les barèmes de compensation, ce qui signifiait que les
cultures seraient compensées mais pas la perte durable des terres et des sols
détruits.
71. Quand les habitants de AL ont refusé les sommes dérisoires que BMSA
leur offrait, c’était le Sous-Préfet qui les a convaincus qu’il fallait accepter
l’offre de la société ou risquer de perdre le soutien du gouvernement.
b. Moyens de droit invoqués
72. À l'appui de leurs prétentions, les requérants ont invoqué les articles :
i. 1, 8, 14, 16 et 24 de la Charte africaine ;
ii. 11 et 12 du Pacte International relatif aux Droits Économiques,
Sociaux et Culturels (PIDESC) ;
iii. —17, 18 et 27 du Pacte International relatif aux Droits Civils et
Politiques (PIDCP) ;
iv. — 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) et la
Déclaration de Pretoria sur les Droits Économiques, Sociaux et
Culturels en Afrique (17 septembre 2004).
73. Ils ont également invoqué la jurisprudence internationale.
c. Conclusions des requérants :
74. Les requérants demandent à la Cour de :
i Déclarer que l’Etat de la Côte d’Ivoire a violé le droit de propriété, le
droit à un environnement sain, le droit à la santé, le droit à la vie privée
et familiale, le droit à un niveau de vie suffisant et à l’alimentation, et
la liberté de religion et de culture des requérants et de la communauté
de AL ;
@ ii. — Retenir la responsabilité de l’Etat dans la commission de toutes les
violations précitées ;
iii. Ordonner à l’État d’indemniser la population de AL pour les
dommages causés à leur environnement ;
iv. Ordonner à l’Etat d’indemniser collectivement les requérants et la
population de AL pour toutes causes ; de préjudices confondus
à hauteur de 12 Milliards de FCFA ; ladite population étant estimée à
600 personnes;
v. Ordonner à l’Etat d’indemniser individuellement les requérants à
hauteur de 3 Milliard de FCFA pour les souffrances émotionnelles et
psychologiques résultant de la détérioration de leur qualité de vie et
de leur santé, ainsi que de l'instabilité et de l'incertitude quant à leur
réinstallation ;
vi. Ordonner à l'État de s'assurer que BA Aj réinstalle la
communauté de AL en se conformant à toutes les dispositions
par rapport au droit de propriété et au droit d’un niveau de vie suffisant
vii. Ordonner toute autre injonction que la Cour estime appropriée dans
les circonstances de l’espèce ;
viii. Condamner l’Etat de la Côte d’Ivoire aux entiers dépens.
VI. LES ARGUMENTS DU DEFENDEUR
a. Résumé des faits
75. Par décret n° 2006-273 du 23 août 2006, la société TAURIAN
MANGANESE & FERRO ALLOY CI SA devenue MANGANESE DE
BA SA (BMSA), filiale du groupe Ae X, a obtenu
le permis de recherche minière n° 202 (PR 202) valable pour le manganèse,
à Au dans le département de BA. (Pièce 1 : Décret n° 2006-
273 du 23 août 2006)
76. Dès l'octroi du permis de recherche, la société TAURIAN MANGANESE &
FERRO ALLOY CI SA a effectué des travaux de recherche minière à l'issue
desquels, cinq (5) zones minéralisées ont été identifiées à savoir Al,
AL, Bh, Dingbl et kufo.
TT. L'Etude d'Impact Environnemental et Social relative au projet d'exploitation
des gites suscités a été réalisée par SGS Environnement et approuvée par
arrêté n° 0015/MINEEF/ANDE du 14 janvier 2010 pris par le Ministère de
l'Environnement et des Eaux et Forêts. (Pièce 2 : Arrêté n°
0015/MINEEF/ANDE du 14 janvier 2010)
78. Le rapport de cette étude contient mention des impacts potentiels prévisibles
de l'exploitation sur l'environnement naturel, physique et social, ainsi que
l'examen de l'acceptabilité de leur niveau et des mesures d'atténuation
permettant d'assurer l'intégrité de l'environnement.
79. L'étude de faisabilité technique et économique en date du 29 janvier 2009 a
été jugée satisfaisante, eu égard au bénéfice que pourrait en tirer l'Etat de
Côte d'Ivoire et les communautés locales concernées.
80. Ainsi, conformément à l'article 27 de la loi n° 2014-138 du 24 mars 2014
portant Code minier, le permis d'exploitation n° 38 (PE 38) a été attribué à la
société TAURIAN MANGANESE & FERRO ALCOY CI SA par décret n°
2010-269 du 23 septembre 2010. (Pièce 3 : Décret n° 2010-269 du 23
septembre 2010)
81. Ce permis d’exploitation a été par la suite transféré à la société
BA Aj SA par arrêté n°
0061/MMPF/DGMG/DDM du 04 septembre 2012.
82. Le 14 2014, la convention minière entre l'Etat de Côte d'Ivoire et la société
BA Aj SA a été signée pour l'exploitation du
gisement de Manganèse de BA.
83. Le Comité de Développement Local Minier (CDML) de la mine de
BA a alors été créé par arrêté interministériel n° 543/MIM/MEMIS
du 27 novembre 2014 puis installé le 16 février 2015.
84. Au cours de l’exploitation de son permis, la société minière BA
Aj SA a été confrontée à plusieurs conflits avec les
communautés riveraines pour des motifs liés aux indemnisations des
propriétaires terriens, à l’emploi, aux impacts de l’exploitation sur les eaux
et la santé des personnes.
85. Courant l’année 2015 en effet, le Collectif des Riziculteurs, maraichers et
pécheurs regroupés au sein de la Compagnie (COBA), a saisi le ministère
chargé de l’Environnement pour dénoncer les nuisances environnementales
causées par l’exploitation de la société BA Aj SA.
86. Le Ministre de l’Environnement a alors dépêché sur les lieux une mission
conduite par le Centre Ivoirien Antipollution (CIAPOL) et par l’Agence
Nationale De l'Environnement (ANDE).
87. Sur la base du rapport émis par ces experts, le Ministre de l’Environnement
a suspendu les activités de la société minière BA Aj par
arrêté du 11 novembre 2015. (Pièce 4 : Arrêté n°
00109/MINESUDD/CAB/CIAPOL du 11 novembre 2015 portant
suspension des activités d’exploitation de manganèse)
88. Le rapport de la mission avait en effet conclu que la société minière
BA Aj avait méconnu les règles environnementales.
89. L’Administration des mines et le ministère de l’environnement ont tenu des
réunions de travail à ce sujet, réunions à l’issue desquelles le Ministère de
l’Environnement a permis à la société minière BA Aj de
reprendre provisoirement ses activités le 22 août 2016, pour une durée de 04
mois nécessaires à la mise en œuvre des mesures correctives. (Pièce 5 :
Lettres de reprise provisoire des activités d’exploitation de la société minière
BA Aj)
90. En comptant de cette date, l’Etat de Côte d’Ivoire, par son Ministère des
Mines et de la Géologie pour ce qui concerne l’administration centrale, et
par ses autorités administratives décentralisées, a régulièrement suscité des
missions et des réunions avec les communautés villageoises de la région de
Boundoukou impactés par les activités extractives de la société minière
BA Aj SA.
91. La dernière mission dans ce cadre est intervenue 29 février 2020, tandis que
la dernière assemblée générale du Comité de Développement Local Minier
de la mine de BA s’est tenue le 02 mars 2021. (Pièce 6 : Procès-
verbal de l’Assemblée Générale du CDLM du 02/03/2021)
SUR LE CARACTÈRE NON FONDÉ DES ACCUSATIONS FORMULÉES
CONTRE L'ETAT DÉFENDEUR
1.2.1 Du grief fondé sur la non-prise en compte de AL dans la
gestion des impacts de la mine et la réinstallation
92. Comme indiqué ci-dessus, le village de AL, contrairement aux
allégations des requérants, a, en effet, été pris en compte dans l'EIES.
1.2.2 Du grief fondé sur l'échec dans la protection des habitants de
AL contre les impacts environnementaux de la mine
@ a) Sur le dispositif législatif de protection du droit à un environnement
sain
93. Conscient de l’impact des exploitations minières sur le plan humain, culturel,
social, économique et environnemental, le Code Minier ivoirien met,
notamment, à la charge des titulaires de titres miniers ou les bénéficiaires
d’autorisation d’exploitation minières un certain nombre d’obligations, en
l’occurrence :
i. respecter, protéger et promouvoir les droits humains ;
ii. respect des droits des populations et des communautés locales ;
iii. élaboration d’un plan de développement communautaire en concertation
avec les communautés riveraines et les autorités administratives
territoriales locales avec des objectifs précis et un pal d’investissement ;
iv. constitution d’un fonds alimenté annuellement destiné à la réalisation
des projets de développement socio-économique ;
v. la mise en place d'un Comité de Développement Local Minier — CDLM
(Cf. Art. 121 à 125 du Code Minier).
94. Dans le cadre du permis d’exploitation minière de la société BA
Aj SA, conformément aux dispositions légales, le Comité de
Développement Local Minier a été créé par arrêté ministériel le 27 novembre
2014 et installé le 15 février 2015 ;
95. Le Comité de Développement Local Minier reçoit 0,5% du chiffre d’affaires
de la société BA Aj SA pour la réalisation des
projets communautaires identifiés par les communautés villageoises elles-
mêmes ;
96. Le procès-verbal de l’Assemblée Générale du Comité de Développement
Local Minier du 02 mars 2021 retrace :
i. les fonds alloués par BA Aj SA au Comité de
Développement Local Minier ;
il. village après village, les projets réalisés : écoles, logement
d’enseignement, centres de santé, latrines… ;;
iii. les projections de l’année 2021 ; (Cf. Pièce 7 : PV AG du CDLM du
02/03/2021)
97. Le Comité de Développement Local Minier a donc pour mission de
minimiser l’impact des activités des industries minières sur la qualité de la
vie des populations concernées ;
98. Il faut relever que le village de AL est représenté au sein du Comité
de Développement Local Minier ;
99. Lors de l’Assemblée Générale du 02 mars 2021, l’on notait la présence, pour
le compte du village de AL, de Mme DAKOUA Yaoua Sournla,
présidentes des femmes de AL, de MM. AV BH et
AW BK AN As ;
100. MM. AV BH et AW BK AN As font partie
des requérants dans la présente procédure. Lors de l’Assemblée Générale du
Comité de Développement Local Minier du 02 mars 2021 cependant, en leur
qualité de représentant du village de AL, ils n’ont pas saisi ledit
Comité des griefs actuellement articulés contre l’Etat de Côte d’Ivoire
notamment, l’exigence de la communauté de AL de voir délocaliser
leur village sur un autre site ;
101. Des projets concernant le village de AL ont même été évoqués et sont
en cours de réalisation, notamment, des projets de construction de trois
classes, d’un bureau, de deux latrines, d’un château d’eau. (Pièce 8 : Note de
la Direction Générale des Mines et de l’Energie)
b) Sur l'inspection des installations et le contrôle environnemental à travers
des audits chaque trois ans
102. En 2015 sur saisine du Collectif des Riziculteurs, maraîchers et pécheurs dit
COBA, dénonçant des nuisances environnementales causées par la société
BA Aj SA, le 11 novembre 2015, le ministère
chargé de l’environnement, après le rapport de mission du CIAPOL, a
suspendu les activités de la BMSA ;
103. À la suite de cette suspension, des recommandations ont été faites ont été
faites par le CIAPOL ;
104. Le 22 août 2016, la société BA Aj SA a été
autorisée à rouvrir provisoirement pendant quatre (04) mois pour mettre en
œuvre les mesures correctives édictées par le CIAPOL, la réouverture
provisoire a été subordonnée à la mission d’information des autorités
administratives et coutumières par le CIAPOL ; (CF. Pièce 5) : Courrier
portant réouverture provisoire du 22/08/2016)
1.3.3 Du grief fondé sur la facilitation de l’accaparement de terre sans
compensation appropriée
105. L'article 127 du Code Minier énonce que l’occupation des terrains par le
titulaire du permis d’exploiter ouvre droit au profit de l’occupant et de
l’occupant légitime du sol, à une indemnité qui fait l’objet d’un protocole
d’accord entre l’exploitant, l’occupant du sol et l’occupant légitime du sol,
sous la supervision de l’Administration des Mines ;
@ 106. La formule de détermination du montant de l’indemnité à payer à l’occupant
ou à l’occupant légitime du sol dont les terres sont devenues impropres à la
culture, est posée à l’article 134 du décret déterminant les modalités
d’application du Code Minier :
D=15xR+PxS
D = dédommagement en francs CFA ;
R = revenu annuel de la parcelle ;
P = prix moyen d’acquisition ou d’usufruit d’un hectare ;
S = superficie en hectare
107. Les valeurs des variables sont définies par le Ministère en charge de
l’Agriculture et les modalités de paiement précisées par arrêté du Ministre
chargé des Mines ;
108.En l’espèce, conformément aux dispositions précitées, la société
BA Aj SA a procédé à l’indemnisation des
propriétaires de AL.
109. Si les propriétaires de AL s’estimaient insuffisamment indemnisés,
ils ne prouvent pas qu’ils ont saisi de leur différend la Commission
Interministérielle des Mines, comme il est dit à l’Article 158 du décret no
2014-397 du 25 juin 2014 déterminant les modalités d'application de la loi n
o 2014-138 du 24 mars 2014 portant Code minier qui institue une
commission consultative dénommée « Commission Interministérielle des
Mines », en abrégé CIM, chargée notamment :
« …d'arbitrer les litiges entre les occupants du sol et les titulaires de titres
miniers ou les bénéficiaires d'autorisation d'exploitation …».
@ 110. Les requérants soutiennent qu’ils ont subi des pressions des représentants de
l’Etat Défendeur, sans rapporter la preuve de telles pressions;
111. Ils affirment également qu’ils n’ont eu d’autre choix que d’accepter l’offre
d’indemnisation de la société BA Aj SA parce que
cette société a le soutien de l’administration et qu’ils ne peuvent rien faire
contre l’Etat;
112. Or, comme précisé ci-dessus, tant le Code de l’Environnement que le Code
Minier offraient aux requérants des recours effectifs pour faire valoir leurs
droits contre toute personne morale ou physique et, le cas échéant, obtenir
réparation des violations desdits droits;
b. Moyens de droit invoqués
113. Le défendeur a fondé ses allégations sur les dispositions légales suivantes :
i. Le décret n° 2006-273 du 23 août 2006 ;
ii L'Etude d'Impact Environnemental et Social relative au projet
d'exploitation des gites suscités a été réalisée par SGS Environnement
et approuvée par arrêté n O0 0015/MINEEF/ANDE du 14 janvier 2010
pris par le Ministère de l'Environnement et des Eaux et Forêts.
iii. Ainsi, conformément à l'article 27 de la loi n° 2014-138 du 24 mars
2014 portant Code minier, le permis d'exploitation n° 38 (PE 38) a été
attribué à la société TAURIAN MANGANESE & FERRO ALCOY CI
SA par décret n° 2010-269 du 23 septembre 2010.
iv. Le décret n° 2010-269 du 23 septembre 2010 ;
v. (Pièce 4 : Arrêté n 00109/MINESUDD/CAB/CIAPOL du 11
novembre 2015 portant suspension des activités d’exploitation de
manganèse)
vi. Les articles 74 et 110 de la Loi n° 96-766 du 3 octobre 1996 portant
Code de l'Environnement ;
vii. Les articles 121 à 125 et 127 du Code Minier ;
viii. Les articles 158 du décret n° 2014-397 du 25 juin 2014 déterminant les
modalités d'application de la loi n° 2014-138 du 24 mars 2014 portant
Code minier;
ix. L'article 2 (3) du Pacte International relatif aux Droits Civils et
Politiques (PIDCP) ;
x. L'article ler de la Charte Africaine ;
xi. l'article 9 (4) du Protocole Additionnel de 2005 relatif à la Cour ;
xii. L'article 38 (1) du Règlement de la Cour Internationale de Justice.
c. Conclusions du défendeur
114. L'Etat défendeur demande à la Cour de :
IN LIMITE LITIS
i. Dire et juger, qu’en vertu de la compétence subsidiaire de la Cour de
Justice de la Communauté, les juridictions nationales exercent une
compétence principale en matière de garantie et de protection des droits
consacrés dans les instruments internationaux de défense des droit de
l’homme ;
@ ii. Dire et juger qu’en l’espèce, les requérants n’ont pas saisi les
juridictions nationales de leur pays aux fins de faire constater la
violation des droits qu’ils dénoncent et en obtenir réparation ;
iii. En conséquence, déclarer la présente requête irrecevable.
SUBSIDIAIREMENT AU FOND :
iv. Constater que l’Etat défendeur :
v. A mis en place un dispositif législatif de protection du droit à un
environnement sain ;
vi. À institué des procédures judiciaires et administratives et des recours
utiles pour la protection des droits humains, notamment du droit à un
environnement sain ;
vii. Mis en place des règles d’indemnisation des propriétaires fonciers et
agricoles impactés par les activités minières et institué une commission
interministérielle pour Jl’arbitrage des conflits relatifs à
l’indemnisation ;
viii. À mis en place des Comités de Développement Local Minier ayant pour
vocation de contribuer au développement économique et social des
localités impactées par les exploitations minières ;
ix. A mis en place un Comité de Développement Local Minier de la mine
de BA dont est membre actif le village de AL qui
bénéficie des réalisations à caractère social faites dans ce cadre ;
En conséquence :
x. Déclarer que l’Etat défendeur ne s’est pas rendu coupable de violation
des droits des requérants à un ‘ environnement sain ; a
@ xi. Déclarer en tout état de cause HHHK que les requérants se sont abstenus d’user des recours que leur offrait le Code de l’Environnement pour protéger leur droit résultant des Instruments internationaux de protection des droits de l’homme, notamment du droit à un environnement sain ;
xii. Rejeter la présente requête comme non fondée.
Sur les exceptions préliminaires du défendeur
115. La Cour note que le défendeur a invoqué l'incompétence de la Cour pour examiner la requête ainsi que la recevabilité de celle-ci.
116. Avant d'examiner les observations des parties sur l'exception préliminaire
soulevée par le défendeur, la Cour doit d'abord examiner si cette exception
est conforme à son Règlement.
117. L'article 87 du Règlement de la Cour, relatif aux exceptions préliminaires
devant la Cour, prévoit que:
«1. Si une partie demande que la Cour statue sur une exception ou un
incident sans engager le débat au fond, elle présente sa demande par acte
séparé.
2. La demande contient l’exposé des moyens de fait et de droit sur lesquels
elle est fondée, les conclusions et, en annexe, les pièces invoquées à l’appui.
(.…) » (soulignement ajouté)
118. La disposition ci-dessus implique que toute exception préliminaire devant la
Cour doit être présentée par acte séparé du document dans lequel les
@ questions de fond sont abordées. Cela permet à la Cour d'examiner et de
statuer séparément sur une telle demande.
119. La Cour note que l'exception préliminaire du défendeur n'a pas été déposée
dans un acte séparé, comme l'exige l'article 87 (1) du Règlement
susmentionné. Au contraire, l'exception préliminaire se trouve dans le corps
du mémoire en défense.
120. La Cour est liée par les dispositions de son Règlement de procédure, qui
indique aux parties comment les affaires doivent être portées devant la Cour
et quelles sont les procédures à suivre. Par conséquent, une requête non
conforme aux règles risque d'être rejetée (voir AQ BX c.
L'Etat DU NIGER, Arrêt N° : ECW/CCI/JUD/26/22, par. 47).
121. Les dispositions du Protocole et du Règlement de la Cour sont claires et sans
ambiguïté et doivent être respectées par les parties devant la Cour (voir
VISION KAM-JAY INVESTMENT LIMITED c. LE PRÉSIDENT DE LA
COMMISSION DE LA CEDEAO, Arrêt N° : ECW/CCI/JUD/26/22, p. 9).
122. En conséquence, puisque le défendeur ne s'est pas conformé au Règlement
de la Cour quant à la manière dont une exception préliminaire devrait lui être
présentée, la Cour décide de ne pas examiner l'exception préliminaire du
défendeur.
123. L'exception préliminaire du défendeur est donc rejetée.
124. Or, en l'espèce, les allégations du requérant sont fondées sur la violation de
ses droits de l'homme, contraire aux dispositions pertinentes de la Charte
africaine et d'autres instruments internationaux de protection des droits de
l'homme, notamment le PIDCP et la DUDH, tels qu'ils ont été invoqués.
125. En ce sens, la présente action relève de la compétence conférée à cette Cour,
en vertu de l'article 9 (4) du Protocole A/P1/7/91, relatif à la Cour de Justice
de la CEDEAO, portant amendement du Protocole Additionnel
A/SP.1/01/05, pour connaître des cas de violations des droits de l'homme
dans tout État membre et la Cour se déclare donc compétente pour connaître
de la présente affaire.
126. La Cour examine maintenant si la requête introductive d'instance satisfait
les conditions de recevabilité prévues à l'article 10 (d) du Protocole
Additionnel de la Cour.
127. L'article précité dispose que peuvent saisir la Cour : « Toute personne victime
de violations des droits de l'Homme. La demande soumise à cet effet : i) ne
sera pas anonyme ; ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la
Communauté lorsqu'elle a déjà été portée devant une autre Cour
internationale compétente ».
128. Il ressort de l'article précité que trois conditions de recevabilité doivent être
remplies cumulativement : (i) le requérant doit être victime de la prétendue
violation, c'est-à-dire qu'il doit avoir la qualité ou la position de victime ; (ii)
le requérant ne doit pas être anonyme, c'est-à-dire qu'il ne peut pas être une
personne anonyme ; et (iii) le recours ne doit pas être introduit devant une
autre Cour internationale (voir BO BE & AUTRES c.
RÉPUBLIQUE DU TOGO [2013] CCJELR 167, par. 7,818, ASSIMA
KOKOU INNOCENT & AUTRES c. REPUBLIQUE DU TOGO, Arrêt N°
ECW/CCI/JUD/08/13, p. 9).
129. En l'espèce, les requérants sont dûment identifiés. Les éléments contenus
dans la requête permettent de les identifier clairement. En outre, il n'existe
aucune preuve que cette affaire est pendante devant une autre Cour
internationale, où les requérants demandent des réparations identiques ou
similaires à celles qu'ils ont demandées à la Cour de céans.
130. Cela dit, la Cour conclut que la requête introductive d'instance remplit les
conditions selon lesquelles les requérants ne sont pas anonymes et que
l'affaire n'est pas pendante devant une autre Cour internationale.
131. Outre les conditions susmentionnées, le requérant doit également être une
victime présumée de la violation des droits de l'homme et c'est à lui de
prouver sa qualité pour agir (voir CONCERNED YOUTH OF GANTA FOR
RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT et M. AY Bq AO
ce ÉTAT DE LA RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA, Anë N°
ECW/CCI/RUL/06/20, par. 150).
132. En d'autres termes, le requérant doit démontrer, prima facie, qu'il a été affecté
par une loi, une politique, une pratique ou un comportement de l'Etat
défendeur, qui est la cause des prétendues violations des droits de l'homme
(voir AMNESTY INTERNATIONAL TOGO ET AUTRES c. LA
RÉPUBLIQUE DU TOGO, ECW/CCI/JUD/09/20, paragraphes 31-33).
133. Le doit relatif aux droits de l’homme considère la victime comme la personne
dont les droits ont été violés. Et cette qualification donne lieu à certains
droits, à savoir le droit à un recours et à réparation. Cela inclut le droit de
déposer une plainte et d'exercer des droits procéduraux (voir C Am
et Lutz Oette, «International Human Rights - Law and Practice »
(Bo Ak Ar, 2013), pp. 275-279, 536).
134.La Cour de céans a défini la victime comme la personne qui a subi,
directement ou indirectement, tout dommage ou douleur (blessure physique
ou mentale), souffrance émotionnelle (pour perte d'un membre de la famille
ou d'un parent), perte économique (perte de biens) ou, tout autre dommage
pouvant être classé comme une violation des droits de l'homme (voir REV.
FR. SALOMON MFA & 11 AUTRES C/ LA RÉUBLIQUE FÉDÉRALE DU
AR, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/06/19).
135.Ce concept est défini dans le principe 8 des PRINCIPES
FONDAMENT AUX ET DIRECTIVES CONCERNANT LE DROIT À UN
RECOURS ET À RÉPARATION … des Nations Unies, comme suit: « les
personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice,
notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance
morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits
fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions constituant des violations
flagrantes du droit international des droits de l'homme ou des violations
graves du droit international humanitaire. Le cas échéant, et conformément
au droit interne, on entend aussi par « victimes » les membres de la famille
proche ou les personnes à charge de la victime directe et les personnes qui,
en intervenant pour venir en aide à des victimes qui se trouvaient dans une
situation critique ou pour prévenir la persécution, ont subi un préjudice ».
136. Or, en l'espèce :
i — Le 2ème requérant, CE AU AI, introduit la présente
action alléguant qu'il est fils et héritier du défunt, ASSAMOI
AKOUARIOR ;
ii. La 13“"° requérante, B BZ AH est représentée par son fils
BZ AW JEAN ;
iii. Le 14%" requérant, AJ AW BK, est représenté par
son fils AW AN As BK.
iv. La 15*"° requérante, MUTUELLE DE DÉVELOPPEMENT DE AL,
une association qui regroupe les résidents de AL, a également introduit
la présente action au nom de la communauté villageoise de AL.
137. Il convient de déterminer si les 2°"°, 13° et 14°"° requérants ci-
dessus mentionnés sont considérés comme des victimes et si la 15%"
requérante peut intenter cette action au nom de la communauté villageoise
de AL.
138. En ce qui concerne le deuxième requérant, il convient de noter ce qui
suit :
139. Dans le droit international des droits de l'homme et dans la pratique
de divers organismes des droits de l'homme, l'exigence de la qualité de
victime a été interprétée de manière assez libérale.
140. Ainsi, en plus du cas évident des personnes, qui sont personnellement
et directement affectées par la prétendue violation des droits de l'homme
(«victimes directes»), les « victimes indirectes» (celles qui sont
autorisées à déposer une plainte soit parce qu'elles soulèvent une question
d'intérêt général concernant le respect des droits de l'homme, soit parce
qu'elles peuvent prétendre que la violation leur a causé un préjudice ou
qu'elles ont un intérêt personnel valable à mettre fin à la violation), peuvent
également être autorisées à déposer des plaintes pour violation des droits
de l'homme, en particulier lorsque les victimes directes sont décédées ou ne
peuvent pas déposer de plaintes pour une autre raison (voir AMNESTY
INTERNATIONAL TOGO ET AUTRES c. LA RÉPUBLIQUE
TOGOLAISE, Arrêt N° ECW/CCI/JUD/09/20, paragraphes 31-33).
@ 141. Ces victimes indirectes peuvent inclure « les membres de la famille
proche ou les personnes à charge de la victime directe et les personnes qui,
en intervenant pour venir en aide à des victimes qui se trouvaient dans une
situation critique ou pour prévenir la persécution, ont subi un préjudice »,
comme on peut le voir dans (PRINCIPES FONDAMENTAUX ET
DIRECTIVES CONCERNANT LE DROIT À UN RECOURS ET À
RÉPARATION DES VICTIMES DE VIOLATIONS FLAGRANTES DU
DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME ET DE
VIOLATIONS GRAVES DU DROIT =— INTERNATIONAL
HUMANITAIRE, AGNU RES. A/RES/60/147 (2005), Principe 8). Voir
aussi BENEFICIAIRES DE FEU Be AO, BM
Z C AK, ERNEST ZONGO, BLAISE ILBOUDO ET
MOUVEMENT BURKINABE DES DROITS DE L'HOMME ET DES
PEUPLES c. BURKINA FASO (REPARATIONS) (2015) 1 AfCLR 258,
par. 45-49 ; Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/24/23, par. 42).
142. En conséquence, lorsqu'un requérant n'est pas victime directe de la prétendue
violation des droits de l'homme, il doit au moins démontrer qu'il est victime
indirecte pour que l'affaire soit recevable. Il doit donc se prévaloir et prouver
qu'elle a un lien familial avec la victime de la violation des droits de l'homme,
sous peine de ne pas avoir de qualité pour agir et intenter l'action (voir en ce
sens CA Bp Bc Ad c. GOUVERNEUR DE
L'ÉTAT DE GOMBE, [2012] CCJELR, par. 46-47).
143. Pour se conformer à cette condition de recevabilité, le requérant doit fournir
la preuve d'être de la famille ou d'avoir une autre relation étroite avec la
victime directe, ce qui établit sa qualité de victime indirecte (voir l'affaire
susmentionnée REV. FR. SOLOMON MFA & 11! AUTRES C. LA
RÉPUBLIQUE FEDERALE DU AR, par. 51).
144. La Cour rappelle que dans l'affaire des Bénéficiaires de Feu Be AO,
la Cour africaine a noté que, pour les époux, un acte de mariage serait une
preuve suffisante ; pour les enfants, un acte de naissance ou autre document
serait exigé pour prouver la filiation, et pour les parents, tout certificat de
paternité ou de maternité, tel qu'un acte de naissance ou d'adoption, peut être
suffisant (voir LES BENEFICIAIRES DE FEU Be AO (2015)
1 AfCLR 258, par. 51-54).
145. La Cour constate qu'en l'espèce, le deuxième requérant prétend être le fils et
l'héritier du défunt ASSAMOI AKOUARIOR. Cependant, il n'a présenté
aucune preuve à cet effet. Il n'y a pas d'acte de naissance dans le dossier, ni
pour lui ni pour son père décédé, pour prouver qu'ils ont une filiation
commune. Il n'a pas produit de certificat d'adoption, de documents
testamentaires, ni même de déclarations sous serment ou statutaires et n'a pas
non plus versé d'autres pièces pour prouver qu'il est le frère du premier
requérant (voir ATTIPOE KUAKU RICHARD & 19 AUTRES [DÉCÉDÉS],
REPRÉSENTÉS PAR ATTIPOE CHOCHO BABAYI & 15 AUTRES C. LA
RÉPUBLIQUE DE SIERRA LEONE, ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/07/23,
par. 46)
146. La simple allégation d'un lien de parenté n'est pas suffisante pour permettre
au deuxième requérant de prétendre être le fils du défunt ASSAMOI
AKOUARIOR (voir Al BQ et Y BQ c. RÉPUBLIQUE
DE GAMBIE, Arrêt N° ECW/CCI/APP/26/23, par. 102).
147. En conséquence, la Cour conclut que le deuxième requérant n'a pas prouvé
qu'il a un intérêt qui, à première vue, le qualifie de victime directe ou
indirecte, pour l'accès à la Cour.
148. Par conséquent, le deuxième requérant n'ayant pas la qualité pour agir,
conformément à l'article 10(d) du Protocole, la présente requête est
considérée irrecevable en ce qui le concerne.
149. En ce qui concerne les treizième et quatorzième requérants, on doit dire
ce qui suit :
150. Dans des situations similaires à la présente affaire, la Cour a jugé que lorsque
l'affaire en question n'est pas couverte par le principe de l’actio popularis,
les victimes, en plus d'être dûment identifiées, doivent donner une
procuration à leurs représentants, leur accordant le pouvoir de les représenter
dans la procédure (voir l'affaire susmentionnée CONCERNED YOUTH OF
GANTA FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT et M
AY Bq AO c. ÉTAT DE LA RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA, pat.
179).
151. Cette compréhension est soulignée dans la jurisprudence de la Cour de céans
dans l'affaire NOSA EHANIRE OSAGHAE E 3 AUTRES c. LA
RÉPUBLIQUE DU AR, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/03/17, pp. 18-21, où
la Cour a déclaré que :
« Pour que les requérants puissent accéder au tribunal au nom et pour le
compte du peuple du delta du Niger, ils ont besoin du mandat en vertu duquel
ils agissent et, lorsqu'ils sont interrogés, ils doivent établir le consentement
du peuple ou une justification pour agir sans ce consentement (...) La preuve
de l'autorisation dans le cas de personnes physiques agissant au nom d’un
groupe ne peut être supprimée (..) Dans l'affaire Bakary, la Cour a souligné
que les critères de représentation doivent être respectés. Une partie
autorisée à agir au nom d'une autre personne ou d'un groupe de personnes
exerce le pouvoir de représentation dans cette action en vertu du pouvoir qui
lui a été conféré. Pour qu'une demande de cette nature aboutisse, les victimes doivent être identifiables et les représentants doivent présenter un mandat
de ces victimes les autorisant à agir en leur nom. Lorsqu'il est impossible
d'obtenir un mandat, les représentants doivent donner les raisons de cette
impossibilité ». (Voir aussi affaire A BF & 28 AUTRES C. LA
RÉPUBLIQUE DU MALI, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/03/11, pp. 72, $$ 37 et
38).
152. En l'espèce, bien que Bg B BZ AH et AJ
AW BK, aient été identifiés, les treizième et quatorzième
requérants n'ont soumis à la Cour aucune procuration accordée par et en
faveur de leurs mandants, dans laquelle on peut constater qu'ils ont reçu des
instructions précises et explicites des victimes au nom desquelles ils ont
l’intention d'agir devant la Cour et ils n'ont pas non plus prétendu qu'il était
impossible d'obtenir d'elles une procuration (voir également Ba
AS & 20 AUTRES c. LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU AR,
Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/24/15, (2015) CCJELR p. 463).
153. Ainsi, comme les 13*"° et 14*"° requérants n'ont pas le pouvoir de représenter
leurs parents dans la présente action, la Cour conclut qu'ils n'ont pas la qualité
pour agir, pour poursuivre l'État.
154. En conséquence, dans le cas de ces deux requérants, la Cour considère la
présente action irrecevable, en vertu de l'article 10(d) dudit Protocole.
155. En ce qui concerne la 15*"° requérante, il convient de mentionner ce qui suit :
156. Le recours à la doctrine de l'actio popularis est une pratique courante dans
les systèmes régionaux et internationaux de protection des droits de l'homme,
conférant un statut juridique à certains groupes qui n'ont pas besoin de
démontrer qu’ils possèdent un intérêt spécifique propre dans une affaire
donnée. (voir CONCERNED YOUTH OF GANTA FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT & AUTRE C/
RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA, Arrêt n° ECW/CCJ/RUL/06/2020, para.155
157. Ainsi, cette Cour, comme d'autres juridictions internationales, a adopté une
approche souple et large du locus standi, permettant à d'autres personnes, qui
ne sont pas directement affectées par la violation alléguée, de la saisir, au
nom des victimes.
158. Le principe de l'actio popularis et sa raison d'être ont été affirmés par cette
Cour dans l'affaire SERAP C/ REPUBLIQUE FEDERALE DU AR &
AUTRE, arrêt n° ECW/CCI/RUL/08/2009, (2010) CCJELR, pages 183 à
198, lorsqu'elle a déclaré que : "La doctrine de l'Actio Popularis a été
élaborée par le droit romain afin de permettre à tout citoyen de contester
devant un tribunal la violation d'un droit public. Cette doctrine s'est
développée pour garantir que l'approche restrictive de la question de la
qualité pour agir n'empêche pas les personnes animées d'un esprit public de
contester une violation d'un droit public devant un tribunal". (Par. 32)
159. Dans le même ordre d'idées, cette Cour a affirmé à maintes reprises qu'une
organisation non gouvernementale (ONG), dûment enregistrée dans le pays
où elle est implantée, peut intenter une action pour violation des droits de
l'homme au nom de la victime, sans avoir besoin de démontrer qu'elle
dispose d'un mandat spécifique de la part de la victime. Dans le même ordre
d’idée, la Cour a également reconnu que, conformément au principe de
l'actio popularis, des personnes animées d'un esprit public peuvent intenter
une action au nom de victimes dont les droits de l'homme ont été violés, dans
l'exercice d'un intérêt public (voir l'arrêt REV. FR. SOLOMON MFA & 11
AUTRES C/ REPUBLIQUE FEDERALE DU AR & 5 AUTRES $59
ainsi que l'affaire précitée THE CONCERNED YOUTH OF GANTA FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT & AUTRE C/ REPUBLIQUE
DU LIBERIA, para.160).
160. Toutefois, comme l'a souligné cette Cour dans l'affaire précitée, REV. FR.
SOLOMON MFA & 11 AUTRES C/ RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU
AR : "(...) il y a deux conditions dans la mise en œuvre de ce principe,
la première est que l'action doit être fondée sur l'intérêt public. Le deuxième
ingrédient qui découle de ce qui précède est que les réparations demandées
ne doivent pas profiter au requérant. (par. 63)
161. Ainsi, dans ce type d'action, le requérant doit seulement démontrer qu'il
existe un intérêt public digne d’être protégé qui aurait été violé ; que la cause
en question est justiciable et que l'action n'est pas intentée dans l’intérêt
personnel du requérant. L'identification de la victime n'est pas une condition
essentielle pour intenter l’action (voir WOMEN AGAINST VIOLENCE AND
EXPLOITATION IN SOCIETY (WAVES) ET AUTRE C/ LA RÉPUBLIQUE
DE SIERRA LEONE, arrêt n° ECW/CCJ/AP. ECW/CCJ/APP/JUD/37/19, p.
15 et THE INCORPORATED TRUSTEES OF LAW AND RIGHTS
AWARENESS INITIATIVES C/ RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU AR,
arrêt n° ECW/CCJ/JUD/16/2000, par. 78. )
162. Dans une affaire récente, THE REGISTERED TRUSTEES OF THE SOCIO-
ECONOMIC RIGHTS & ACCOUNTABILITY PROJECT (SERAP) C/
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU AR, arrêt n° ECW/CCJ/JUD/08/21,
(voir par. 44 à 47), cette Cour a conclu que, conformément à sa propre
jurisprudence, une action fondée sur le principe de l'actio popularis peut être
intentée dans deux cas de figure :
a) lorsqu'il existe un intérêt public étranger à tout groupe ou individu
déterminé, mais qui mérite d'être protégé et qui aurait été violé, et que
l'affaire est justiciable.
b) lorsque l'action est intentée à titre représentatif au nom d'un groupe
spécifique de victimes sur la base de l'intérêt public commun qui aurait été
violé, pour revendiquer la violation de leurs droits.
163. Aussi, en ce qui concerne le concept d'intérêt public, cette Cour a observé
dans l'affaire précitée WOMEN AGAINST VIOLENCE AND
EXPLOITATION IN SOCIETY (WAVES) ET AUTRE C/ LA REPUBLIQUE
DE SIERRA LEONE, p.14, que : "Selon le Black's Law Bk (9°"e
édition), le terme "intérêt public" a pour connotation "le bien-être général
du public qui mérite d'être reconnu et protégé”. En d'autres termes, un
contentieux d'intérêt public est une action intentée devant une Cour de droit
pour faire respecter l'intérêt public ou l'intérêt général où le public ou une
catégorie de personnes ont un intérêt pécuniaire ou un intérêt quelconque
par lequel leurs droits ou leurs responsabilités juridiques sont affectés. Le
contentieux d'intérêt public vise à protéger et à promouvoir les droits
humains légitimes et collectifs ainsi que la politique publique qui peuvent
faire l'objet de violation de la part du gouvernement ou d'autres formes de
violation. Il est donc impératif de dire que la protection des droits de
l'homme et l'amélioration des droits socio-économiques des personnes
vulnérables constituent une partie essentielle du contrat et l'un des objectifs
cardinaux et historiques du contentieux d'intérêt public".
164.En l'espèce, la quinzième requérante est une organisation non
gouvernementale, créée conformément au droit national, c'est-à-dire au droit
interne de la Côte d'Ivoire, comme l’indique le document portant mention
Pièce A2.
165. Cela lui confère la qualité pour agir sur la base de l'intérêt général.
166. Il ressort de l'analyse de la requête introductive d’instance que la 152m°
requérante a intenté cette action, se limitant à invoquer la violation par l'État défendeur des droits humains de cette communauté, à savoir le droit à un
environnement sain et à la santé, le droit à la vie privée et familiale, le droit
à un niveau de vie et une alimentation suffisants, le droit à la liberté de
religion et le droit des minorités d'avoir leur propre culture.
167.11 faut admettre que ces droits sont communs ou collectifs à ladite
communauté et qu'ils sont liés au principe de l'intérêt public, visé par une
actio popularis.
168. Par conséquent, il y a lieu de conclure que la 15°"° requérante a l'intention
d'intenter cette action au nom de ladite communauté, sur la base de son
intérêt public commun et spécifique, ce qui place la présente affaire dans le
deuxième cas de figure dans lequel une actio popularis est admise.
169. Cependant, comme nous l'avons vu, dans une actio popularis, le requérant
doit démontrer l’existence de deux conditions cumulatives : la première est
l'existence d'un intérêt public, qui a maintenant été établi, et la deuxième est
que l'action ne peut pas être intentée dans l’intérêt personnel du requérant,
c'est-à-dire que les avantages recherchés ne doivent pas revenir au requérant
lui-même.
170. En l'espèce, la 15“"° requérante, en plus de demander à la Cour de déclarer
que les droits humains de cette communauté ont été violés, lui demande
également de condamner l'État défendeur :
a) au paiement de dommages et intérêts à la population de AL pour les
dommages causés à l'environnement ;
b) au paiement de dommages et intérêts collectifs aux requérants et à la
population de AL, toutes causes confondues ; le cumul des pertes s'élève à 12 milliards de FCFA pour ladite population estimée à 600
personnes.
c) au paiement de dommages et intérêts aux requérants, individuellement, à
hauteur de 3 milliards de FCFA pour les souffrances émotionnelles et
psychologiques résultant de la détérioration de leur qualité de vie et de
leur santé, ainsi que pour l'instabilité et l'incertitude quant à leur
réinstallation ;
171. Comme on peut le constater, l'action n'a pas été intentée au bénéfice
personnel de la 15*"° requérante.
172. Ainsi, après avoir vérifié toutes les conditions requises susmentionnées, la
situation de la 15*"° requérante est couverte par le principe de l'actio
popularis ; son affaire est donc recevable.
IX. AU FOND
173. En l'espèce, les requérants accusent l'État défendeur d'avoir manqué à une
série d'obligations découlant de la Charte africaine et d'autres instruments
internationaux de protection des droits de l'homme, notamment les Pactes
Internationaux relatifs aux Droits Civils et Politiques et aux Droits Sociaux
et Économiques, ce qui a entraîné la violation de leurs droits de l'homme.
174. Ainsi, avant de s'aventurer à analyser si le défendeur a violé lesdits droits
invoqués dans la requête introductive d'instance, il conviendrait d'établir ce
qui est généralement attendu des États en vertu de la Charte africaine (voir
Commission africaine, 155/96: SOCIAL AND ECONOMIC RIGHTS
ACTION CENTER (SERAC) ET CENTER FOR ECONOMIC AND SOCIAL
RIGHTS (CESR) Af AR, paragraphes 43 et suivants).
175. Tel qu'accepté au niveau international, les instruments de protection des
droits de l'homme susmentionnés imposent aux États parties quatre niveaux
d'obligations, à savoir le respect, la protection, la promotion et la mise en
œuvre de tous les droits de l'homme qui y sont énoncés.
176. En ce sens, le premier niveau est l'obligation de respecter, selon laquelle
l'Etat doit s'abstenir d'entraver la jouissance de tous les droits fondamentaux.
177. Le second est l'obligation de protéger selon laquelle il appartient à l'État de
protéger les titulaires de droits contre d'autres sujets par la législation et la
mise en place de recours effectifs, afin que les individus puissent exercer
librement leurs droits et libertés.
178. Le troisième est l'obligation de l'État de promouvoir la jouissance de tous les
droits de l'homme, en veillant à ce que les individus puissent exercer leurs
droits et libertés.
179. Et le dernier niveau d'obligation exige que l'État « remplisse » les droits et
libertés qu'il a librement assumés dans le cadre des différents régimes des
droits de l'homme, afin de garantir la réalisation effective des droits.
180. C'est à cette fin que les articles 1” de la Charte et 2 (1) du Pacte International
relatif aux Droits Économiques, Sociaux ou Culturels disposent que les États
parties … « (...) reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans
cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour
les appliquer » et « (...)s'engagent à agir, tant par son effort propre que
par l'assistance et la coopération internationales, (...) en vue d'assurer
progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent
Pacte».
181. Ainsi, la réalisation de ces droits de l'homme implique des obligations
positives et négatives de la part des États parties.
182. En l'espèce, il convient de vérifier si l'État défendeur a manqué à ses
obligations en vertu de la Charte africaine et d'autres instruments de
protection des droits de l'homme auxquels il est partie.
183. Les requérants demandent à la Cour de déclarer que l’Etat de la Côte d'Ivoire
a violé le droit de propriété, le droit à un environnement sain, le droit à la
santé, le droit à la vie privée et familiale, le droit à un niveau de vie suffisant
et à l’alimentation, et la liberté de religion et de culture des requérants et de
la communauté de AL.
184.La Cour procède ainsi à l'examen de chacun des droits humains
prétendument violés par l'Etat défendeur, bien que ce ne soit pas dans l'ordre
indiqué, en tenant compte des questions que les requérants ont soumises à sa
décision.
a) Sur la prétendue violation de l'article 1” de la Charte africaine, du droit
à un environnement sain et du droit à la santé, garantis respectivement
par les articles 24 et 16 de la Charte africaine et 12 du PIDSC,
respectivement
185. A l'appui de leur demande, les requérants soutiennent qu'en permettant la
conduite polluante de BMSA et en renouvelant son permis d’exploitation
sans procéder à une évaluation du PGES, l’inspection des installations et le
contrôle environnemental à travers des audits chaque trois ans, l’Etat a violé
le droit des requérants à un environnement sain et durable; que l’Etat a
permis que BMSA verse ses stériles dans l’eau, provoquant de grands nuages
de poussière qui se déposent sur les cultures et affectent le bien-être sanitaire
des riverains, effectue des explosions qui secouent les maisons et arbres du
village;
186. Le droit à la santé est étroitement lié au droit à un environnement sain; que
l’Etat est obligé de ne pas « menacer directement la santé et l’environnement
» et ne doit pas « exercer, sponsoriser ou tolérer toute pratique, politique ou
mesure légale violant à l'intégrité de l'individu ».
187. À son tour, le défendeur a fait valoir, en résumé, que, conscient de l’impact
des exploitations minières sur le plan humain, culturel, social, économique
et environnemental, le Code Minier ivoirien met, notamment, à la charge des
titulaires de titres miniers ou les bénéficiaires d’autorisation d’exploitation
minières un certain nombre d’obligations, en l’occurrence : respecter,
protéger et promouvoir les droits humains ; respect des droits des populations
et des communautés locales ; élaboration d’un plan de développement
communautaire en concertation avec les communautés riveraines et les
autorités administratives territoriales locales avec des objectifs précis et un
pal d’investissement ; constitution d’un fonds alimenté annuellement destiné
à la réalisation des projets de développement socio-économique ; la mise en
place d’un Comité de Développement Local Minier - CDLM (Cf. Art. 121
à 125 du Code Minier).
188. Que dans le cadre du permis d’exploitation minière de la société
BA Aj SA, conformément aux dispositions
légales, le Comité de Développement Local Minier a été créé par arrêté
ministériel le 27 novembre 2014 et installé le 15 février 2015 ; que le Comité
de Développement Local Minier reçoit 0,5% du chiffre d’affaires de la
société BA Aj SA pour la réalisation des projets
communautaires identifiés par les communautés villageoises elles-mêmes ;
que le village de AL est représenté au sein du Comité de
Développement Local Minier ;
189. Qu'en 2015, sur saisine du Collectif des Riziculteurs, maraîchers et pécheurs
dit COBA, dénonçant des nuisances environnementales causées par la
société BA Aj SA, le 11 novembre 2015, le
ministère chargé de l’environnement, après le rapport de mission du
CIAPOL, a suspendu les activités de la BMSA ; qu’à la suite de cette
suspension, des recommandations ont été faites ont été faites par le
CIAPOL ;
Analyse de la Cour
190. L'article 24 de la Charte africaine dispose que :
« Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global,
propice à leur développement ».
191. Ce droit reconnaît l'importance d'un environnement propre et sûr pour la
qualité de vie et la sécurité des individus.
192. La portée de cette disposition est liée à l'article 1 de la Charte africaine qui
stipule que :
193. « Les États membres de l'Organisation de l'Unité Africaine, parties à la
présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans
cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour
les appliquer. » (Voir l'affaire SERAP c. REPUBLIQUE FEDERALE DU
AR, Arrêt N° ECW/CCI/JUD/18/12, par. 99)
194. L'article 12 du PIDESC dispose que :
« 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute
personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit
capable d'atteindre.
2. Les mesures que les Etats parties au présent Pacte prendront en vue
d'assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre les mesures
nécessaires pour assurer:
b) L'amélioration de tous les aspects de l'hygiène du milieu et de l'hygiène
industrielle;
195. En outre, l'article 16 de la Charte africaine dispose que :
« 1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et
mentale qu'elle soit capable d'atteindre.
2. Les États parties à la présente Charte s'engagent à prendre les mesures
nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur
assurer l'assistance médicale en cas de maladie. »
196. En ce qui concerne les articles susmentionnés, la Commission Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples a déclaré dans l'affaire susmentionnée,
SOCIAL AND ECONOMIC RIGHTS ACTION CENTRE (SERAC) ET
AUTRE C. BP AR, que « Le droit à un environnement général
satisfaisant tel que garanti en vertu de l'article 24 de la Charte africaine ou
le droit à un environnement sain, comme c'est bien connu, impose en
conséquence des obligations claires au gouvernement. Cela requiert de
l'Etat de prendre des mesures raisonnables et d'autres mesures pour
prévenir la pollution et la dégradation écologique, favoriser la préservation
de l'environnement et garantir un développement écologiquement durable et
l'utilisation des ressources naturelles. L'article 12 du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels auquel BP AR est partie, demande aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires en
vue de l'amélioration de tous les aspects de l'hygiène environnementale et
industrielle. Le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mental
possible, conformément aux dispositions énoncées dans l'article 16 [al.] 1
de la Charte africaine, ainsi que le droit à un environnement global
acceptable et favorable au développement (article 16 [al.] 3) [sic], droits
dont il vient d'être fait mention, obligent les gouvernements à cesser de
menacer directement la santé et l'environnement de leurs citoyens. L'Etat a
l'obligation de respecter les droits mentionnés, et cela exige un
comportement largement non-interventionniste de la part de l'Etat, par
exemple, ne pas exercer, sponsoriser ou tolérer toute pratique, politique ou
mesure légale violant l'intégrité de l'individu. » (voir $52)
197.11 a également déclaré que « Le respect par le gouvernement de l'esprit des
articles 16 et 24 de la Charte africaine doit également inclure le fait
d'ordonner ou au moins de permettre la surveillance scientifique
indépendante des environnements menacés, d'exiger et de publier des études
sur l'impact social et environnemental avant tout développement industriel
majeur; d'entreprendre la surveillance appropriée et d'informer les
communautés exposées aux activités et produits dangereux et d'offrir aux
individus la possibilité d'être entendus et de participer aux décisions
relatives au développement affectant leurs communautés. »(Voir $53)
198.Le Comité des Droits de l'Homme a également souligné, dans ses
OBSERVATIONS GÉNÉRALES N° 14, que l'allusion au meilleur état de
santé physique et mentale possible ne limite pas le droit à la santé au droit à
des soins médicaux, mais inclut également « le droit à la santé englobe une
grande diversité de facteurs socioéconomiques de nature à promouvoir des
conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener une vie saine et
s'étend aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que
© l'alimentation et la nutrition, le logement, l'accès à l'eau salubre et potable
et à un système adéquat d'assainissement, des conditions de travail sûres et
hygiéniques et un environnement sain.» (voir page 90-91- $4 page 92 811).
199. En prévoyant le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale
possible et le droit à un environnement général satisfaisant pour le
développement, ces normes obligent l'État partie à ne pas mettre en péril la
santé et l'environnement de ses citoyens et à respecter ces droits, ce qui
implique l'adoption par l'État d'un comportement largement non
interventionniste, c'est-à-dire de ne pas mettre en œuvre, parrainer ou tolérer
une pratique, une politique ou une mesure juridique qui porte atteinte à
l'intégrité de l'individu. (voir l'affaire précitée BG c. REPUBLIQUE
FEDERALE DU AR, paragraphes 100 et 101).
200. Dans le même ordre d'idées, la Commission Africaine a noté dans ses
PRINCIPES ET LIGNES DIRECTRICES SUR LA MISE EN ŒUVRE DES
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS DANS LA
CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
(voir $60 à 67).
201. Ces principes comprennent, parmi les « Plans nationaux, politiques et
systèmes » pour le droit à la santé, les éléments suivants :
« (...) le droit à la santé devrait être intégré dans les plans de développement
fondés sur la santé, la vie sociale et les évaluations d’impact
environnementaux. (et paragraphe 67, point J)
Veiller à ce que tous les plans et toutes les politiques, en incluant
particulièrement le niveau local, soient élaborés et mis en œuvre de manière
transparente et participative sans discrimination pour optimiser la
contribution des communautés. (…) (point 1.) Veiller à ce que les plans et les programmes de développement soient conçus
en vue de la réalisation d’un environnement sain et propice au droit à la
santé, comme par exemple, la gestion et l'assainissement des ressources en
eau. (point q.)
« Protéger les individus et les peuples des risques environnementaux,
industriels et professionnels, prévenir la pollution de l'air, du sol et de l’eau
et atténuer les effets adverses du développement urbain, de
l’industrialisation, du réchauffement climatique sur les écosystèmes, les
moyens de subsistance et la sécurité alimentaire. » (point s)
202. Sur la base des articles 1”, 16 et 24 de la Charte et des principes énoncés ci-
dessus, la Cour examine maintenant le comportement de l'État défendeur.
203. Or, les requérants, sur la base des preuves documentaires décrites ci-dessous,
ont fait valoir, notamment, que :
i. Il y a deux rivières dans la communauté, le Djêlè et le At, qui
servent de sources d’alimentation pour la population (ANNEXE A3).
ii. Que tous les besoins familiaux et sanitaires se font avec l’eau de la
rivière At; que la rivière Aw, qui prend sa source dans le At,
traverse les champs et sert à alimenter les plantations, et les paysans
l’utilisent comme eau de boisson.
ili. — La société a creusé des puits à moins de 200 mètres de l’entrée du
village, et d’autres excavations et installations aux alentours des zones
résidentielles et agricoles; La mine de manganèse se trouve à moins
de 100 mètres du village (carte de AL, ANNEXE A4); Le village
de AL se trouve en fait être à l’intérieur du permis d’exploitation
de BMSA.
iv. — Que l'exploitation a eu des effets destructeurs sur des plantations, des
forêts, les rivières et les lieux de culte ; Les terres stériles çé déposées de
@ façon anarchique autour du village et dans le village sous l’effet de
l’érosion, créent des lacs artificiels qui se déversent dans les deux
rivières : le Djêlè et le At (Photos de l'érosion, terre aride,
ANNEXE A5). Ce qui entraîne la pollution et est à la base de certaines
maladies chez les habitants, qui ne disposent d’aucune autre source de
consommation d’eau.
Qu'avant l'arrivée de la société, les rivières étaient claires et buvables
(Déclaration d'Abdoulaye BR AU, requérant ANNEXE
B1). Maintenant, ils ont changé de couleur du fait de l’érosion sur les
terres stériles, rendant ainsi l’eau impropre à la consommation
(Rapport de mission conjoint des Directeurs régionaux des Mines et
de la Géologie et de l'Environnement et du Développement durable de
BA à AL (17 juin 2019) ANNEXE A6).
vi. Selon les villageois :
a) « Lorsqu'il pleut, la boue qui ruisselle des terres stériles laissées
par la compagnie viennent se déverser dans les eaux ... L’eau qu’on
consomme est devenue de la boue, c’est devenu rouge. … . Nous savons
tous que l’eau que nous consommons n’est pas propre maïs nous
n’avons pas d'autre choix que de la consommer parce que nous
n'avons pas les moyens d'aller acheter de l’eau potable en ville. En
consommant cette eau, j'ai des maux de ventre et de la diarrhée très
souvent. » (Déclaration de BE BK AU, par. 11,
requérant ANNEXE B2) ;
b) « Ma famille et moi nous utilisons l’eau de la rivière pour nos
besoins. Malgré que nous pensions que l’eau des deux rivières qui
traversent le village n’est pas pure, nous la consommons toujours
parce que c’est la seule source d’eau qu’on peut utiliser. En
@ consommant cette eau, nous avons de la diarrhée et des maux de
ventre. Mes enfants et moi avons également eu des maux de ventre.
. le médecin nous dit que c’est à cause de l’eau qu’on boit. »
(Déclaration d'Abenan Kra Ah AJ par. 10, requérante,
présidente de l'Association des femmes AL, ANNEXE B3)
vil. Qu'avant l'arrivée de la société, on « respirait du bon air » au village.
(Déclaration d'Abdoulaye BR AU par. 9 ANNEXE B1)
viii. Que maintenant, les populations subissent régulièrement le
soulèvement de la poussière et matières particulières à cause des
routes non-bitumées construites par la société, exacerbé par les
camions à poids lourd qui vont et viennent des sites d’extraction toute
la journée. (Photos de la poussière soulevée à cause des routes non
bitumées ANNEXE A7, 2d An Ac, Audit
environnemental BA Aj CD p. 392 (Décembre 2016)
ANNEXE A8 ; GVGCS-CI SARL, Evaluation de la Qualité des
Composants Environnementale Connexe à la Société BA
Aj SA p.15 (Août 2020) ANNEXE A9).
ix. La poussière se dépose sur les feuilles des arbres économiques (Photos
de la poussière sur les arbres d’anacarde ANNEXE A10) et réduit
drastiquement leur productivité.
Les habitants se plaignent de rhumes et autres problèmes respiratoires
liés à la poussière, surtout chez les enfants : (Voir Déclaration
d'Abdoulaye BR AU 9,10 ANNEXE B1)
xi. Le BMSA effectue des explosions de dynamites souvent et sans
information préalable de la population, et utilise des machines qui
produisent des émissions sonores et secouent le sol; les explosions
© causent des bruits fatigants et assourdissants et des fumées
nauséabondes, provoquent des fissures dans le mur des maisons, et
poussent des fois les habitants à sortir des maisons par peur
(Déclaration de AW BI AZ par. 11, requérant
ANNEXE B4, Déclaration de Gboko Yao Victor par. 9, requérant
ANNEXE B5 ; GVGCS-CI SARL août 2020 p. 19 ANNEXE A9).
xil. Les mesures correctives résultant d'une mission d'inspection conjointe
par les autorités en 2015, et prétendument pour corriger les lacunes
flagrantes de l'EIES et du PGES 2010 (Arrêté n°
00109/MINESUDD/CAB/CIAPOL du 11 novembre 2015, notifiant à
la société BA Aj S.A. la suspension des activités
d'exploration de manganèse à BA BTRégion de Gontougouo)
ANNEXE C2), n'ont pas été respectées, aggravant la situation déjà
critique en 2010).
xiil. La société a mené un nouvel audit environnemental en 2016 qui
reconnaît la situation de AL et le désir des riverains d’être
réinstallés. L’audit constate aussi de nombreuses carences par rapport
à la gestion sociale et environnementale de la mine, y compris : le
défaut d’arrêté d’exploiter une installation classée et de certificat de
conformité environnementale ; absence de systèmes pour le suivi ou
le contrôle des eaux usées, des émissions gazeuses et sonores, et de la
poussière ; et la non-réalisation de plus de 70% des engagements
sociaux ( Audit environnemental de 2016 ANNEXE A8, pp. 139,
140, 158-59, 161, 169, 173, 175, 247, 392).
xiv. Les habitants de AL et des organisations de la société civile ont
organisé plusieurs fois en 2017, 2018 et 2019 des rencontres entre les
élus locaux et l'administration, y compris des représentants de la
© Préfecture, la Direction Générale des Mines et de la Géologie, la
Direction Régionale des Mines et de la Géologie, et la Direction
Régionale de l'Environnement (PVs de réunions de concertation, de
rencontres à BA ANNEXE A11).
xV. Après plusieurs réunions, les élus locaux de AL ont saisi les
autorités pour demander de manière officielle la réinstallation de la
communauté (Lettres de demande aux autorités ANNEXE A12), mais
jusqu’à ce jour, aucune action concrète n'a été prise.
xvi. En 2018, le Ministre des Mines et de la Géologie de la République de
Côte d’Ivoire a renouvelé le permis d’exploitation de la société de
BMSA alors que les atteintes à l’environnement persistent encore.
xvii. En 2015, une mission conjointe du Centre Ivoirien Antipollution
(CIAPOL) et de l’Agence nationale de l’environnement (ANDE) a été
effectuée dans la zone, suite à une plainte du collectif de riziculteurs,
maraîchers et pêcheurs, à Aq (localité voisine de BA) que
BMSA ne respectait pas l’environnement et déversait des déchets qui
polluaient les aires agricoles et le barrage de Aa. Le CIAPOL et
l’ANDE ont déterminé que la plainte était bien fondée et ont donc
soulevé de nombreuses irrégularités de BMSA. Le Ministre de
l'Environnement, en novembre 2015, a pris un arrêté (Arrêté n°
00109/MINESUDD/CAB/CIAPOL du 11 novembre 2015 ANNEXE
C2) sommant la compagnie minière de cesser toute activité.
xviii. Après la décision du Ministre de l'Environnement, le Ministre de
Mines a émis un deuxième ordre qui a permis la reprise et la
continuation des opérations de BMSA au mépris des mesures
correctives exigées par le Ministre de l’Environnement (Lettre du
Ministre de l'Industrie et des Mines n° E1200/MIM/DGMG/DDM
@ du 27 mai 2016, autorisant la reprise d'activités de la sociëté
BA Aj S.A. ANNEXE C6). Par conséquent, BMSA
a pu reprendre ses activités sans améliorer ses pratiques.
xix. En 2019, le CIAPOL a mené une nouvelle étude qui prouve que
BS avait corrigé des pratiques contaminantes identifiées dans
l’étude de 2015, mais qui préconisait l’établissement d’un système de
suivi et surveillance environnementale (Centre Ivoirien Antipollution
(CIAPOL), Evaluation d’Impacts environnementaux après la Mise en
Œuvre de Recommandations par BA Aj CD (BMSA)
: Rapport de Mission LCE_MNP 04 2019, p. 13 ANNEXE A13).
xx. En 2020, une étude indépendante a confirmé que la qualité de l’eau
était mieux qu’avant, mais a identifié des niveaux élevés d’émissions
sonores et de matière particulière (Rapport GVGCS-CI 2020, pp. 15,
19, ANNEXE A9) - précisément les problèmes identifiés dans l’audit
de 2016 qui était notifié au gouvernement, et desquels la population
de AL se plaint.
204. La Cour accepte la validité des documents déposés par les requérants,
d'autant plus que le défendeur ne s'est pas opposé ou n'a même pas fait
objection à ces documents et n'a pas remis en cause leur authenticité ou leur
véracité dans son mémoire en défense [(voir Cour interaméricaine,
VELASQUEZ RODRIQUEZ c. HONDURAS (Exceptions préliminaires)
(1987), par. 140); M BV AJ AP c. RÉPUBLIQUE
TOGOLAISE, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/28/23, par. 801.
205. Toutefois, en l'espèce, conformément au principe de la nécessité de la
contestation circonstanciée, il incombe au défendeur de déclarer dans ‘son
mémoire en défense s'il accepte les faits allégués et les prétentions du
requérant ou s'il les contredit, et la Cour peut considérer comme admis les faits qui n'ont pas été expressément contestés ainsi que les prétentions qui
n'ont pas été expressément contestées. (À cet égard, voir l'Arrêt de la Cour
interaméricaine dans l'affaire, Villagram Morales et Autres c/ Guatemala, 19
novembre 1999, où la Cour « a considéré, comme elle l'a fait dans d'autres
affaires, que lorsque l'État ne conteste pas expressément la requête, les faits
sur lesquels il garde le silence sont présumés vrais, pour autant que les
éléments de preuve existants conduisent à des conclusions conformes à ces
faits [..]. »
206. Voir aussi, dans le même sens, la Commission Africaine dans l'affaire,
GABRIEL SHUMBA c. ZIMBABWE, Communication N° 288/04, 8152, où
elle a écrit « Ce principe est conforme à la pratique d'autres organes
juridictionnels internationaux en matière de droits de l'homme et au devoir
de la Commission de protéger les droits de l'homme. Étant donné que l'État
défendeur n'a pas pleinement répondu à toutes les allégations, la
Commission africaine doit, malheureusement, parvenir à une conclusion
basée sur les faits et les opinions présentés par le requérant. »
207. Cela signifie que le défendeur ne peut pas se contenter de se taire face aux
faits qui lui sont reprochés par les requérants. Il doit prendre une position
définitive sur tous les faits allégués, en les acceptant ou en les réfutant, faute
de quoi la Cour pourra présumer vrais ceux sur lesquels il a gardé le silence,
dès lors qu'il est possible de tirer des conclusions cohérentes à leur sujet à
partir des éléments de preuve existants.
Examinons maintenant la position adoptée par le défendeur dans son
mémoire en défense par rapport aux faits susmentionnés :
208. Or, en l'espèce, le défendeur a admis la survenance des faits décrits au
paragraphe 157 (xvii), concernant la suspension des activités de la société
minière de BA Aj, par arrêté du 11 novembre 2015, en raison des plaintes pour atteintes à l'environnement, susmentionnées ; les
faits exposés au paragraphe 157 (xviii) dans lequel le Ministre des Mines a
émis un deuxième ordre qui a permis la reprise et la continuation des
opérations de BMSA.
209. Toutefois, le défendeur n'a pas spécifiquement contesté les faits décrits ci-
dessus avec précision en ce qui concerne les impacts négatifs que
l'exploitation de la mine de manganèse, que la société BMSA avec
l'autorisation du défendeur effectue sur le site, a sur la population locale.
210. Ainsi, en l'espèce, comme mentionné ci-dessus, les faits sur lesquels le
défendeur a gardé le silence sont présumés vrais, puisqu'il est possible de
tirer des conclusions cohérentes à leur sujet à partir des éléments de preuve
présentés par les requérants.
211. Dans ce sens, on peut conclure que dans le cadre de ses activités
d'exploitation, la société a creusé des puits à moins de 200 mètres de l’entrée
du village, et d’autres excavations et installations aux alentours des zones
résidentielles et agricoles et a déposé de façon anarchique des terres stériles
autour du village et dans le village sous l’effet de l’érosion, créant des lacs
artificiels qui se déversent dans les deux rivières : le Djêlè et le At (Photos
de l'érosion, terre aride ANNEXE A5), ce qui entraîne la pollution des eaux,
qui étaient claires et potables et ont maintenant changé de couleur et sont
devenues impropres à la consommation, affectant ainsi la seule source de
consommation d'eau et causant certaines maladies chez les villageois.
212. De plus, parce que l'entreprise en question a construit des routes non-
bitumées, où circulent des camions à poids lourd qui vont et viennent des
sites d’extraction toute la journée, les populations subissent régulièrement le
soulèvement de la poussière et matières particulières sur ces routes et se
plaignent de problèmes respiratoires liés à la poussière, surtout chez les enfants. Enfin, le BMSA effectue des explosions de dynamites souvent et
sans information préalable de la population, et utilise des machines qui
produisent des émissions sonores et secouent le sol, Les explosions causent
des bruits fatigants et assourdissants et des fumées nauséabondes,
provoquent des fissures dans le mur des maisons, et poussent des fois les
habitants à sortir des maisons par peur.
213. Ces éléments sont suffisants pour considérer que les actions de la société en
question, avec l'autorisation du défendeur, ont conduit à la pollution de l'eau,
du sol et de l'air et à la dégradation de l'environnement, affectant gravement
les populations, leur causant des problèmes respiratoires et gastro-
intestinaux, en particulier chez les enfants, endommageant leurs parcelles et
leurs plantes et troublant leur tranquillité, sans que le défendeur n'exerce
aucun contrôle ou surveillance sur l'activité et les actions de la société
BMSA.
214. D'autre part, il est également démontré que l'État de Côte d'Ivoire a permis,
facilité et exacerbé les impacts négatifs des opérations de BMSA à AL.
215. Avant le démarrage des opérations, l’Etat n’a pas pris soin d’examiner
sérieusement l’EIES et le PGES de la société BMSA pour leur validation
avant l’octroi du permis d’exploitation du 23 septembre 2010, si bien que les
problèmes sociaux et environnementaux sont légion dans le cas de AL.
Pire, les mesures correctives résultant d’une mission d’inspection conjointe
des autorités de 2015, et censé corriger les insuffisances criardes de l’EIES
et du PGES de 2010 (Arrêté n° 00109/MINESUDD/CAB/CIAPOL du 11
novembre 2015, notifiant à la société BA Aj S.A. la
suspension des activités d'exploration du manganèse à BA (Région
de Gontougouo) ANNEXE C2), ce qui a aggravé la situation.
© 216. Bien que la société en question ait mené un audit environnemental en 2016,
elle a constaté de nombreuses carences par rapport à la gestion sociale et
environnementale de la mine ; l'absence de systèmes pour le suivi ou le
contrôle des eaux usées, des émissions gazeuses et sonores, et de la poussière
et a reconnu le désir des riverains d’être réinstallés. (Audit environnemental
de 2016 ANNEXE A8, pp. 139, 140, 158-59, 161, 169, 173, 175, 247,
392),aucune mesure n'a été prise pour protéger la population locale des
impacts de l'exploitation minière, malgré les différentes rencontres
organisées par des organisations de la société civile en 2017, 2018 et 2019,
entre les habitants de AL et les représentants de la Préfecture, la
Direction Générale des Mines et de la Géologie, la Direction Régionale des
Mines et de la Géologie, et la Direction Régionale de l’Environnement (PVs
de réunions de concertation, de rencontres à BA ANNEXE A11).
217. Aucun plan de réinstallation des habitants n’est envisagé ni par
l’administration minière, ni par la société BMSA et aucune action concrète
n’a été prise malgré la demande formulée par la communauté ; (Lettres de
demande aux autorités ANNEXE A12).
218. En 2018, le Ministre des Mines et de la Géologie de la République de Côte
d’Ivoire a renouvelé le permis d’exploitation de la société de BMSA alors
que les atteintes à l’environnement persistent encore.
219. En 2019, le CIAPOL a mené une nouvelle étude qui prouve que BS avait
corrigé des pratiques contaminantes identifiées dans l’étude de 2015, mais
qui préconisait l’établissement d’un système de suivi et surveillance
environnementale (Centre Ivoirien Antipollution (CIAPOL), Evaluation
d’Impacts environnementaux après la Mise en Œuvre de Recommandations .
par BA Aj CD (BMSA) : Rapport de Mission
LCE MNP _04 2019, p. 13 ANNEXE A13).
=,
220. En 2020, une étude indépendante a confirmé que la qualité de l’eau était
mieux qu’avant, mais a identifié des niveaux élevés d’émissions sonores et
de matière particulière (Rapport GVGCS-CI 2020, pp. 15, 19, ANNEXE A9)
- précisément les problèmes identifiées dans l’audit de 2016 qui était notifié
au gouvernement, et desquels la population de AL se plaint.
221. En outre, le défendeur a fait valoir qu'il a mis en place un arsenal juridique,
conforme aux textes fondamentaux de protection du droit à un
environnement sain, pour garantir la protection, notamment, des habitants de
AL.
222. Il convient toutefois de noter que toutes ces mesures législatives n'ont pas
empêché la dégradation continue de l'environnement de la région de
AL, comme le démontrent les faits abondamment prouvés en l'espèce
(voir l'affaire SERAP c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU AR, par. 104
et 105).
223. Il est important de noter que, malgré toutes les lois qu'il a adoptées et toutes
les agences qu'il a créées, le défendeur n'a pas été en mesure d'indiquer, pour
sa défense, une seule action qui ait été entreprise ces dernières années pour
demander des comptes sérieux et diligents à l'auteur des nombreux actes de
dégradation de l'environnement qui ont eu lieu dans la région de AL
(voir l'affaire susmentionnée BG c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU
AR, par. 110)
224. À cet égard, la Cour considère que les faits exposés ci-dessus démontrent
que l'Etat défendeur a manqué à son obligation de protéger les habitants de
AL, afin qu'ils puissent librement exercer et jouir de leurs droits à un
environnement sain et à la santé, et a manqué à son obligation de les’
respecter, en ne s'abstenant pas d'interférer dans leur jouissance de ces droits
fondamentaux, ayant permis et autorisé une société privée, dans l'exercice de son activité économique, à empêcher les habitants de AL de jouir de
leurs droits de l'homme.
225. C'est précisément cette omission d'agir, de prévenir les atteintes à
l'environnement et de tenir les contrevenants responsables, qui se sentent
libres de mener leurs activités préjudiciables, avec une attente claire
d'impunité, qui caractérise la violation par l'État défendeur des articles 1°",
16 et 24 de la Charte africaine et 12 du PIDESC.
226. En conséquence, la Cour conclut que le défendeur, en se comportant comme
il le fait face aux dommages continus et incessants causés à l'environnement
dans la région de AL, a manqué à ses obligations en termes de vigilance
et de diligence, prévus par la Charte africaine et d'autres instruments
juridiques internationaux, et a donc violé les articles 1, 16 et 24 de la Charte
africaine et 12 du PIDESC.
b) Sur la prétendue violation du droit à la vie privée et familiale, prévu à
l'article 17 du PIDCP
227. À l'appui de leur argumentation, les requérants font valoir que l’Etat
défendeur, en permettant qu'ils soient exposés aux fumées et tremblements
qui perturbent leurs maisons et leurs vies alors qu’il a pour mission première
de faciliter la prise en compte de leurs préoccupations, notamment leur
réinstallation, a violé leur droit à la vie privée et familial ; dans le cas de
AL, les habitants ne peuvent pas profiter pleinement de la quiétude de
leur vie familiale du fait des bruits assourdissants et la poussière provoqués
par les activités industrielles.
228. La population riveraine est exposée aux émissions polluantes de la mine de
BMSA, en particulier la poussière étouffante causée par l’état des routes non- bitumées et des puits lors de l’excavation et explosions minières qui
produisent les maladies respiratoires chroniques.
229. Ces émissions affligent les requérants de sorte qu’ils ne peuvent pas se
reposer chez eux.
230.11 a conclu qu'en négligeant de prendre des mesures pour atténuer le
problème, l’Etat a violé le droit des requérants à la vie privée et familiale.
231. Le défendeur n'a rien dit sur ces faits.
Analyse de la Cour
232. L'article 17 du PIDCP dispose que : « Nul ne sera l'objet d'immixtions
arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa
correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation ».
233. Ce droit doit être garanti contre toutes ces immixtions et atteintes, qu'elles
émanent d'autorités étatiques ou de personnes physiques ou morales. Les
obligations imposées par cet article exigent de l'État qu'il adopte des mesures
législatives et autres pour appliquer l'interdiction de telles immixtions et
atteintes, ainsi que pour protéger ce droit (voir le paragraphe 1 de
l'Observation générale n° 16 du Comité des droits de l'homme).
234. Le Comité des droits de l'homme a écrit dans l'Observation générale n° 16
susmentionnée que : « L'adjectif illégal signifie qu'aucune immixtion ne peut
avoir lieu, sauf dans les cas envisagés par la loi. Les immixtions autorisées
par les Etats ne peuvent avoir lieu qu'en vertu d'une loi, qui doit elle-même
être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte. ($3) Il a
ajouté que : « L'expression immixtions arbitraires peut s'étendre aux
immixtions prévues par la loi. L'introduction de la notion d'arbitraire a pour
objet de garantir que même une immixtion prévue par la loi soit conforme
&
aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et soit, dans tous les cas,
raisonnable eu égard aux circonstances particulières. » ($4).
235. Et en ce qui concerne le terme « Famille », il a déclaré qu'il doit être
interprété au sens large, de manière à comprendre toutes les personnes qui
composent la famille telle qu'elle est perçue dans la société de l'Etat partie
concerné » et que « domicile » doit s'entendre du lieu où une personne réside
ou exerce sa profession habituelle » (85).
236. En effet, dans le même sens, l'article 8 de la Convention Européenne des
Droits de l'Homme dispose que :
«I. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile
et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce
droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle
constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la
sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à
la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui ».
237. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a statué que « (...) Un grief
défendable sur le terrain de l’article 8 peut naître si un risque écologique
atteint un niveau de gravité diminuant notablement la capacité du requérant
à jouir de son domicile ou de sa vie privée ou familiale. L’appréciation de
ce seuil minimum dépend des circonstances de l'affaire, comme de l'intensité
et de la durée des nuisances ainsi que des conséquences physiques ou
Psychologiques sur la santé ou la qualité de vie de l'intéressé ». Voir
DUBETSKA ET AUTRES c. UKRAINE, Requête N° 30499/03 8105 et aussi,
AG BW c. ESPAGNE, Requête N° ° 16798/90, $ 51 dans lequel la
même Cour a écrit que : « des atteintes graves à l’environnement peuvent
affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son
domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant
mettre en grave danger la santé de l’intéressée ».
238. Dans les situations décrites ci-dessus, l'État doit prendre des mesures
positives pour garantir, prévenir ou faire cesser toute violation du droit à la
vie privée et familiale. L'Etat doit prendre des mesures appropriées au
contexte et qui garantissent un juste équilibre entre les intérêts de l'individu
et ceux de la société dans son ensemble (voir Cour Européenne des Droits
de l'Homme, l'affaire FADAÏEVA c. RUSSIE, Arrêt du 9 juin 2005,
paragraphes 88-89, 96, 99).
239. Or, en l'espèce, il a été démontré que la population riveraine est exposée aux
émissions polluantes de la mine de BMSA, en particulier la poussière
étouffante causée par l’état des routes non-bitumées et des puits lors de
l’excavation et explosions minières qui produisent les maladies respiratoires
chroniques et ne leur permettent pas de se reposer dans leurs maisons.
240. Il a également été démontré que les habitants de AL ne peuvent pas
profiter pleinement de la quiétude de leur vie familiale du fait des bruits
assourdissants et la poussière provoqués par les activités industrielles de la
société BMSA, et il est également constant que le défendeur a permis et
autorisé les activités industrielles de BSMA, bien qu'il soit conscient qu'elles
ont un impact négatif grave sur la vie de la population locale, ce qui les prive
de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et
familiale.
241. Ainsi, le défendeur, en n'adoptant pas de mesures pour mettre fin à la
situation décrite ci-dessus, oblige la Cour à conclure qu'il a violé l'article 17
du PIDCP.
c) Sur la prétendue violation du droit de propriété - article 14 de la Charte
africaine
242. Les requérants soutiennent, en résumé, que le défendeur a violé leur droit à
la propriété en permettant l’accaparement de leur terre sans démontrer
l’intérêt public, contrairement à la loi ; que cette expropriation a privé les
habitants de leurs moyens de subsistance ; qu'on ne peut pas la justifier sur
la base que l’exploitation minière contribue au budget national ; qu'en 2017,
l'État ivoirien n’a reçu que 223 800 367 FCFA de BMSA, un chiffre qui ne
peut pas se comparer à la dévastation d’une communauté de centaines
d’habitants ; que l'État ivoirien a permis et — à travers l’intervention de ses
agents le sous-Préfet et le Préfet — facilité la limitation des droits à la
propriété des requérants, contre l’intérêt public ; que si l'intérêt général était
justifié, l'État avait l'obligation de minimiser l'expropriation de la propriété
des requérants et indemniser les propriétaires terriens proportionnellement à
la valeur des terres et des produits issus des activités agricoles ; que les
propriétaires ont été contraints d’accepter des compensations dérisoires par
rapport à leurs pertes, parce qu’on ne leur a compensé que les produits, à
l’exclusion de la compensation pour le sol ; que la compensation monétaire
qu’ils ont reçue ne pouvait nullement signifier qu’ils ont été compensés
intégralement ou qu’ils ont accepté la perte de leurs plantations.
243. À son tour, le défendeur a réfuté les faits susmentionnés en faisant valoir,
entre autres, que la formule de détermination du montant de l’indemnité à
payer à l’occupant ou à l’occupant légitime du sol dont les terres sont
devenues impropres à la culture, est posée à l’article 134 du décret déterminant les modalités d’application du Code Minier ; que les valeurs des
variables sont définies par le Ministère en charge de l’Agriculture et les
modalités de paiement précisées par arrêté du Ministre chargé des Mines ;
qu’en l’espèce, conformément aux dispositions précitées, la société
BA Aj SA a procédé à l’indemnisation des
propriétaires de AL ; que si les propriétaires de AL s’estimaient
insuffisamment indemnisés, ils ne prouvent pas qu’ils ont saisi de leur
différend la Commission Interministérielle des Mines, comme il est dit à
l’Article 158 du décret no 2014-397 du 25 juin 2014 déterminant les
modalités d'application de la loi n o 2014-138 du 24 mars 2014 portant Code
minier qui institue une commission consultative dénommée « Commission
Interministérielle des Mines », en abrégé CIM; que tant le Code de
l’Environnement que le Code Minier offraient aux requérants des recours
effectifs pour faire valoir leurs droits contre toute personne morale ou
physique et, le cas échéant, obtenir réparation des violations desdits droits.
Analyse de la Cour
244. L'article 14 de la Charte africaine dispose que :
(1) « Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par
nécessité publique ou dans l'intérêt général de la collectivité, ce,
conformément aux dispositions des lois appropriées. » (2) « Le droit de
propriété peut être individuel ou collectif ».
245. Les articles 17 de la DUDH et 1” du Protocole 1 de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme garantissent le même droit.
246. La Cour a déjà déclaré que le droit de propriété, en tant qu'élément important
des droits économiques attachés à la personne humaine, au sens des
instruments internationaux, notamment les articles 17 de la DUDH et 14 de
la Charte africaine, est un droit de l'homme (voir l'affaire EL HADJI
@ BB BU C. BANQUE CENTRALE DES ETATS DE
L'AFRIQUE DE L'OUEST (BCEAO) ET L'ETAT DU NIGER, Arrêt N°
ECW/CCJ/JUD/01/11, CCJ LR 2011, p. 21 $ 26.).
247.83. Dans l'Arrêt rendu dans l'affaire DEXTER OIL LIMITED c.
RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA, la Cour de céans a défini le droit de propriété
comme : « La possession à laquelle on peut prétendre sur présentation d'un
titre légal, d'une preuve de propriété ou de tout document conférant le droit
de propriété ». (voir Arrêt ECW/CCI/JUD/03/19, p. 23).
248. Ainsi, eu égard à l'allégation de violation du droit de propriété, il appartient
à cette Cour, d'une part, de vérifier si l'existence du droit de propriété invoqué
est démontrée et, d'autre part, d'examiner s'il y a eu ou non violation de ce
droit et quelle est la nature de cette violation.
249. En l'espèce, pour démontrer leur droit de propriété, les requérants ont versé
au dossier les documents intitulés «ATTESTATION DE PROPRIETE
FONCIERE COUTUMIERE RURALE », délivrés par le Directeur Régional
de l'Agriculture et du Développement Rural du Gontougouo, au nom de
chacun des requérants et autres, qui se lit comme suit : (…) selon les résultats
des travaux d'enquête effectués par ses services dans le périmètre
d'exploitation de la société BA Aj, SA, que: (….) possède
des Droits coutumiers sur une portion de terre rurale non immatriculée
d'une superficie de (…..) rende impropre à l'Agriculture par ladite société,
sise à AL sous-préfecture de BA. » (ANNEXE A15)
250. Par conséquent, ces documents fournissent des preuves suffisantes que les
requérants, AI AU ; AO AW CE;
AW BI AZ ; B BZ AH ; AJ
AW BK et autres de la population de AL, sont propriétaires de terres agricoles qui, à la suite de l'exploitation de la société
BMSA, sont devenues impropres à l’agriculture.
251. La Cour partage l'avis des requérants selon lequel le fait que leurs droits
soient coutumiers et ne comportent pas nécessairement tous les attributs des
droits de propriété légaux ne saurait réduire le niveau de protection qui leur
est dû.
252. Les requérants affirment qu'ils sont des paysans, possédaient et exploitaient
ces terres depuis des temps immémoriaux. De ces terres agricoles, dépend
leur survie économique. Leurs droits de fructus et de possession ont été
violés par l’acquisition non-volontaire des champs, sans compensation
foncière.
253. Au vu de leurs demandes, les requérants semblent invoquer l'existence de
droits de propriété individuels et collectifs, puisqu'ils demandent à la Cour
de déclarer que l'Etat de Côte d'Ivoire a violé leur droit de propriété et le droit
de propriété de la population de AL.
254. La Cour met toutefois en garde contre le fait que les requérants ne sont pas
dispensés de l'obligation de démontrer leur droit de propriété coutumier
qu'ils prétendent détenir.
255. Les requérants, bien qu'ils prétendent que la société BSMA a volé leurs
champs agricoles, n'ont apporté à la Cour aucune précision permettant
d'identifier lesdites terres, notamment en indiquant l'emplacement exact, la
superficie des terres, les confrontations respectives, les parcelles appartenant
à chacun des requérants ou à la population de AL.
256. En outre, les requérants parlent d'expropriation, mais ne précisent pas
lesquels d'entre eux ont été expropriés et de quoi il s'agissait. Notamment
parce que le document susmentionné ne fait référence qu'à quatre requérants et qu'il n'indique pas clairement si c'est cette terre ou une partie de la terre
qui a été expropriée.
257. Or, la jurisprudence de cette Cour a établi que la simple allégation de
propriété d'un bien sans preuve de cette propriété n'est d'aucune utilité pour
un requérant qui demande une indemnisation pour la violation de son droit
de propriété. MUSA SAIDYKHAN c. RÉPUBLIQUE DE GAMBIE, ARRÊT
N° ECW/CCJ/JUD/08/10 PAGE 8; CB Bc c.
GOUVERNEMENT DE L'ETAT DE JIGAWA & 2 AUTRES,
ECW/CCJ/JUD/12/14, PAGE 26.
258. Par conséquent, cette Cour considère que, les requérants n'ayant pas
démontré qu'ils sont propriétaires des terres en question, ils ne peuvent pas
bénéficier de la protection accordée par l'article 14 de la Charte africaine.
259. Et qu’en ce sens, la prétendue violation du droit de propriété doit être rejetée.
260. Par conséquent, la nécessité d'établir, s'il y a eu ou non, ingérence de l'État
défendeur dans le prétendu droit de propriété, ainsi que la nature de cette
ingérence, est mise en cause.
d) Sur la prétendue violation du droit à un niveau de vie suffisant et à
l'alimentation, prévu aux articles 11 du PIDESC et 25 de la DUDH
261. À l'appui de cet argument, les requérants ont déclaré que le fait que l’Etat a
permis à BMSA de priver les requérants, qui s’alimentent du travail de la
terre, de l’accès à la terre et de détruire ses récoltes constitue une violation
du droit à l’alimentation. Le défendeur a permis un investissement sans
s’assurer qu’il contribue aux moyens de subsistance ; plutôt, il a autorisé la
destruction des sources alimentaires en autorisant cet investissement. Par
conséquent, les requérants ont vu leurs capacités de s’alimenter affaiblie.
S 262. Les requérants ont conclu que le défendeur a violé leur droit à l’alimentation.
263. Le défendeur n'a rien dit sur ces faits.
Analyse de la Cour
264. L'article 11 du PIDESC dispose que : « Les États parties au présent Pacte
reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour
elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un
logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions
d'existence.
Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la
réalisation de ce droit (...) »
265. L'article 25 de la DUDH reconnaît également ce droit en stipulant que :
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé,
son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation,
l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services
sociaux nécessaires ; »
266. Le droit à un niveau de vie suffisant est un droit à plusieurs composantes,
dont l'une est le droit à l'alimentation.
267. Bien que la Charte africaine ne protège pas expressément le droit à
l’alimentation, la Commission africaine a considéré, dans l’affaire SERAC
& CESR c/ AR, que le droit à l’alimentation est inhérent à la protection
par la Charte des droits à la vie et à la santé et du droit au développement
économique, social et culturel. (voir $ 64).
268. Dans les PRINCIPES ET LIGNES DIRECTRICES SUR LA MISE EN
ŒUVRE DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
DANS LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES, adoptés par la Commission africaine, il est indiqué que le droit à
une alimentation adéquate est un droit individuel inséparable de la dignité
inhérente à la personne humaine et indispensable à l’accomplissement
d’autres droits fondamentaux également inscrits dans la Charte africaine, y
compris, en particulier, les droits à la santé, à l’éducation et à la participation
politique ; Que le droit à une alimentation adéquate est réalisé quand, chaque
homme, chaque femme et chaque enfant, seul ou en communauté avec
d'autres, a physiquement et économiquement accès à tout moment à une
alimentation adéquate ou aux moyens de se la procurer. Ce droit ne doit donc
pas être interprété de manière étroite ou restrictive, le réduisant à un simple
ensemble de calories, de protéines et d'autres substances nutritives
spécifiques. (voir paragraphes 83 à 86).
269. Ces principes comprennent également l'une des « Obligations essentielles
minimales » des États parties, à savoir : « S’abstenir de détruire et/ou de
contaminer les sources alimentaires et les protéger » (voir page 48).
270. Ainsi, la Commission africaine a noté, dans l'affaire susmentionnée, que la
Charte africaine exige aux États parties « de protéger et d'améliorer les
sources alimentaires existantes et de garantir l'accès à une alimentation
adéquate pour tous les citoyens, sans toucher à l'obligation d'améliorer la
production alimentaire et de garantir son accès, le droit à l'alimentation
exige que (...) ne détruise ni ne contamine les sources alimentaires. Il ne
devrait pas permettre aux agents privés de détruire ou de contaminer les
sources alimentaires et entraver les efforts déployés par les populations pour
s'alimenter. » (Voir $ 65)
271. En l'espèce, il a été prouvé que AL est une communauté agricole
entourée de plantations de noix de cajou, qui est le plus important produit de
rentes des villageois ; que les habitants cultivent également de l’igname, du
S cacao, du café et autres arbres fruitiers comme l’oranger, l’avocatier, et le
bananier
272. Il a également été établi que l'exploitation minière effectuée par la société
BSMA, avec l'autorisation du défendeur a eu des effets destructeurs sur des
plantations.
273. Parce que la poussière se dépose sur les feuilles des arbres économiques
(Photos de la poussière sur les arbres d’anacarde ANNEXE A10) et réduit
drastiquement leur productivité ; il y a eu déversement de stériles sur les
terres de certains des requérants, entravant l’accès à leurs champs ainsi que
le droit de jouir de ses fruits ; les tremblements causés par les explosions
effectuées dans l'activité minière affectent aussi les racines des arbres et des
plantes, agissant négativement sur leur productivité.
274. Que tout cela a eu de graves conséquences sur la qualité de vie des
requérants, puisqu' ils ont été privés de leurs moyens principaux de
subsistance : à savoir, leurs champs agricoles (voir d'ailleurs Ja Déclaration
d'Adou Kouamé $$ 12-13 ANNEXE B8) et la Déclaration de AW
BI AZ $ 5 ANNEXE B4.)
275. Les faits présentés ci-dessus nous permettent de conclure que l'État
défendeur a manqué à son obligation de protéger les requérants contre la
destruction de leurs sources d'alimentation, à savoir leurs champs agricoles.
276. En conséquence, la Cour constate que le défendeur a violé les articles 11 du
PIDESC et 25 de la Charte africaine, dont il est signataire.
e) Sur la prétendue violation du droit à la liberté de religion et droit des
minorités d’avoir leur propre vie culturelle — Articles 8 de la Charte
africaine, 18 et 27 du PIDCP 277. Pour invoquer la violation de ce droit, les requérants font valoir que les
habitants de AL sont à majorité animistes et pratiquent des rites
traditionnels par les adorations cultuelles et bien d’autres.
278. La source du fétiche appelé « CE Ag » a été détruite par BMSA, et la
colline sacrée sur laquelle la population pratiquait des cérémonies rituelles
pendant les périodes de chasse a été occupée: « La colline sur laquelle se fait
l’exploitation a une histoire. Les grands parents y pratiquaient la chasse et
les périodes de chasse étaient précédées par une grande cérémonie rituelle
aux dieux. Les activités de la société empêchent les villageois de pratiquer
leurs cultes quand arrive la période de chasse» (Déclaration de AJ
AW AN Ah $ 9 ANNEXE B3).
Que le féticheur qui gardait ces lieux a été tellement affecté par la
destruction qu’il en est décédé quelques mois plus tard (Déclaration de
AJ AW AN dette $ 9 ANNEXE B3). »
279. En outre, des membres de la communauté avaient dans leurs champs des
arbres sous lesquels ils adoraient leurs fétiches, auxquels ils faisaient des
sacrifices pour avoir des bénédictions et de bonnes saisons de récoltes : «
Dans la plantation de notre maman, il y avait un endroit où elle faisait des
sacrifices d’animaux, de cabris et de poulets, pour demander pardon aux
ancêtres pour les désobéissances et pour que les cultures soient beaucoup. »
(Déclaration de CE AU AI P/C de Ax AX Ap $ 7,
requérant ANNEXE B7).
280. Le sieur AW BI AZ, les dames AI AU BC et
AM BD faisaient des cérémonies rituelles dans leurs plantations sous
un arbre. La souche du fétiche appelé « CE Ag » se trouvait dans le
champ du chef de village.
78
@ 281. Maintenant, ils ne peuvent plus accomplir leurs rites et pratiques comme
avant parce qu’ils n’ont plus accès à ces lieux qui ont été détruits du fait des
activités de la compagnie.
282. Que les fétiches sont fâchés contre eux car leurs prières et leurs invocations
ne sont plus exaucées : « Maintenant qu’il n’y a plus de source, le fétiche
n’est plus adoré comme il se doit et ça commence à perdre sa puissance et ça
ne protège plus le village comme avant. » (Déclaration d'Adou Kouamé $14,
chef de village, requérant ANNEXE B8).
283. La destruction de leurs lieux de culte a été effectuée sans consultation : « Si
j'avais été informé de sa destruction, j'aurais empêché la société de toucher
à la source du fétiche quel que soit le montant qu’elle allait donner. » (Idem.
$ 15)
284. Les requérants concluent que leur droit à la liberté de religion et le droit des
minorités d’avoir leur propre vie culturelle ont été violés.
285. Le défendeur n'a rien dit sur ces faits.
Analyse de la Cour
286. Comme prévu à l'article 8 de la Charte :
« La liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion,
sont garanties. Sous réserve de l'ordre public, nul ne peut être l'objet de
mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés. »
287. Les articles 18 et 27 du PIDCP consacrent le droit à la liberté de religion
dans les mêmes termes. Ce dernier article reconnaît ce droit aux minorités
ethniques, religieuses ou linguistiques.
79
© 288. Comme le Comité des droits de l'homme l'a noté dans son OBSERVATION
GÉNÉRALE N° 22, l'article 18 distingue la liberté de pensée, de conscience,
de religion ou de conviction, et la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction. Il n’autorise aucune restriction quelle qu’elle soit à la liberté de
pensée et de conscience ou à la liberté d’avoir ou d’adopter la religion ou la
conviction de son choix. ($3). Il réaffirme également que les termes
conviction et religion doivent être interprétés au sens large. L'article 18 n’est
pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions
et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques
institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles.
289. Suivant cette interprétation, la Commission africaine, dans l'affaire CENTER
FOR MINORITY RIGHTS DEVELOPMENT (KENYA) AND MINORITY
RIGHRS GRUOP (ON BEHALF OF ENDOROIS WELFARE COUNCIL) Af
Bf, a observé, lorsqu'elle a établi si les croyances spirituelles et les
pratiques cérémonielles des "Endorois" constituaient une religion, dans le
cadre de la Charte africaine et du droit international, que: « (...) la liberté
de conscience et de religion devraient, entre autres, signifier le droit de
pratiquer un culte, de se livrer à des rituels, d'observer des jours de repos et
de porter des vêtements religieux. La Commission africaine note sa propre
observation dans FREE LEGAL ASSISTANCE c. ZAÏRE selon laquelle elle
a jugé que le droit à la liberté de conscience permet à des individus ou à des
groupes, de pratiquer un culte et de tenir des réunions se rapportant à une
religion ou à une conviction et d'établir et d'entretenir des lieux à ces fins,
ainsi que de célébrer les fêtes et cérémonies conformément aux préceptes de
sa religion ou de sa conviction.» (voir $165). Elle a également déclaré que «
la religion est souvent liée à la terre, aux croyances et pratiques culturelles,
et que la liberté de culte et de se livrer à de tels actes cérémoniels est au
centre de la liberté de religion » (voir 8166) pour conclure que « (...) les croyances spirituelles et les pratiques cérémonielles constituent une religion
en vertu de la Charte africaine » (voir 8168).
290. En l'espèce, les requérants ont soutenu que les habitants de AL sont à
majorité animistes et pratiquent des rites traditionnels par les adorations
cultuelles et bien d’autres; que la source du fétiche appelé « CE Ag »
a été détruite par BMSA, et la colline sacrée sur laquelle la population
pratiquait des cérémonies rituelles pendant les périodes de chasse a été
occupée ; que des membres de la communauté avaient dans leurs champs des
arbres sous lesquels ils adoraient leurs fétiches, auxquels ils faisaient des
sacrifices pour avoir des bénédictions et de bonnes saisons de récoltes ;
qu'ils faisaient des cérémonies rituelles dans leurs plantations sous un arbre.
La souche du fétiche appelé « CE Ag » se trouvait dans le champ du
chef de village.
291. Maintenant, ils ne peuvent plus accomplir leurs rites et pratiques comme
avant parce qu’ils n’ont plus accès à ces lieux qui ont été détruits du fait des
activités de la compagnie; ils pensent que les fétiches sont fâchés contre eux
car leurs prières et leurs invocations ne sont plus exaucées.
292. Sur la base de ces faits, il convient de conclure que l'État défendeur, en
permettant et en autorisant la société BSMA à occuper les terres où la
population locale de AL pratiquait ses rituels et ses croyances, a
interféré avec l'exercice du droit à la liberté de religion de la population de
AL.
293. L'exercice du droit à la liberté de religion peut être légitimement limité pour
des raisons d'ordre public, comme il ressort des articles 8 et 27 (2) de la 294. Mais une telle restriction ne saurait porter atteinte au noyau essentiel du droit
en cause ni s'écarter de l'esprit de la Charte. Cela signifie que cette restriction
doit être établie par la loi, à des fins d'intérêt public spécifique, être
proportionnée, nécessaire et appropriée aux objectifs à atteindre.
295. Comme l'a écrit la Commission africaine, dans l'affaire, AT BJ
Bd c. AFRIQUE DU SUD « (…) Les raisons de restrictions éventuelles
doivent être fondées sur l’intérêt légitime d'Etat et les conséquences néfastes
de la restriction des droits doivent être strictement proportionnelles et
absolument nécessaires pour les avantages à obtenir. » (voir $43)
296. Dans le cas de la population de AL, il appartenait à l'État défendeur de
démontrer que son ingérence était non seulement proportionnée et
raisonnable, mais nécessaire à l'intérêt public, ce qu'il n'a pas fait.
297. Ainsi, la Cour considère qu'en empêchant la population de AL
d'accéder aux terres sur lesquelles elle pratiquait ses cérémonies et rituels
religieux, et en autorisant la société BSMA à y mener des exploitations
minières, le défendeur a violé le droit à la liberté de religion, garanti par
l'article 8 de la Charte africaine et les articles 18 et 27 du Pacte international
relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP).
X. SUR LA REPARATION
298. En conséquence de la violation de leurs droits de l'homme, les requérants
demandent à la Cour :
L. D'ordonner à l’Etat d’indemniser collectivement les requérants et la
population de AL pour toutes causes ; de préjudices confondus à hauteur de 12 Milliards de FCFA ; Ils précisent que ladite population
est estimée à 600 personnes.
ii — D’ordonner à l’Etat d’indemniser individuellement les requérants à
hauteur de 3 Milliard de FCFA pour les souffrances émotionnelles et
psychologiques résultant de la détérioration de leur qualité de vie et
de leur santé, ainsi que de l'instabilité et de l'incertitude quant à leur
réinstallation ;
299. Le défendeur ne s’est pas prononcé sur ces conclusions des requérants.
300. En ce qui concerne la demande d'indemnisation au nom de la population
AL, la Cour note que les détails personnels des victimes n'ont pas été
fournis, à savoir leurs noms, sexe, âge, adresse, ni l'identification des biens
expropriés et la valeur des terres expropriées. En conséquence, la Cour ne
peut accorder aucune compensation monétaire (voir REV. FR. SOLOMON
MFA et AUTRES Af AR et AUTRE, arrêt N'ECW/CCI/TUD/06/19,
paragraphe 68).
301. Telle était l'interprétation de cette Cour dans l'affaire susmentionnée SERAP
c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU AR, paragraphes 115 et 117 en
déclarant que : « En tout état de cause, le fait de ne verser une indemnité
qu’à certaines victimes poserait un problème sérieux en matière de justice,
de moralité et d'équité : au sein d’une population très nombreuse, quels
critères permettraient d’identifier les victimes qui auraient besoin d’une
indemnité ? Pourquoi quelqu’un recevrait-il une indemnité, mais pas son
voisin (...) ?
« Cette série de questions sert à montrer que cette solution n’est pas
réalisable. Dans le cas de violations qui portent atteinte aux droits de
l’homme d’un nombre indéterminé de victimes ou d’une grande partie de la
@ population, comme dans le cas présent, l'indemnité ne doit pas être un
avantage pécuniaire que seules certaines personnes recevraient mais plutôt
un avantage collectif approprié qui réparerait, autant que possible, le
préjudice que la violation d’un droit collectif a causé à l’ensemble de la
302. Par conséquent, cette demande est rejetée.
303. Les requérants ont également demandé le versement d'une indemnité à titre
individuel pour la violation de leurs droits de l'homme.
304.11 a été prouvé ci-dessus qu'il y a violation des droits de l'homme des
requérants à un environnement sain, du droit à la santé, du droit à une vie
privée et familiale, du droit à un niveau de vie et à une alimentation adéquats,
du droit à la liberté de religion et du droit des minorités à avoir leur propre
culture.
305. La violation de ces droits confère aux requérants le droit à réparation,
conformément au principe du droit international qui établit que « foute
personne victime d'une violation de ses droits a droit à un recours juste et
équitable », considérant qu'en matière de violation des droits de l'homme,
une réparation intégrale est, en règle générale, impossible (voir l'Arrêt N°
ECW/CCI/TUD/0 1/06, rendu dans l'affaire DIOT BAYI TALBIA & OTHERS
c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU AR & AUTRES, CCJ ELR (2004-
2009).
306. Compte tenu de la nature, de la diversité des droits de l'homme violés et des
conséquences qui en découlent pour les requérants, la Cour estime équitable
de fixer la somme de 20.000.000 (vingt millions) FCFA, chacun, à titre
réparation aux requérants : AI AU; BM BR AU,
AW AN Ah, CC AU BC, AO AW CE, AV BH, AU BY AJ Ay, BE BK AU, AW
BI AZ, CE AH Ai et AM BD.
SUR LES DEPENS
307. Les requérants ont demandé à la Cour de condamner le défendeur aux entiers
dépens.
308. Le défendeur n’a pas répondu à cette demande.
309. 94. L'article 66 (1) du Règlement de la Cour dispose que « J] est statué sur
les dépens dans l'arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l'instance."
310. Le paragraphe 2 du même article dispose que : « Toute personne qui
succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu dans ce sens » ;
311. Par conséquent, compte tenu des circonstances de l'affaire, la Cour considère
que le défendeur doit supporter ses propres dépens.
XI. DISPOSITIF
312. Par ces motifs, la Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en
avoir délibéré :
En la forme:
i. Se déclare compétente pour connaître du litige.
ii. Déclare que les deuxième, treizième et quatorzième requérants n'ont
pas la qualité pour introduire le présent recours ;
ii. Déclare la requête recevable par rapport aux autres requérants.
Au fond :
iv. Constate que les droits des requérants à un environnement sain, à la
santé, garantis par les articles 24, 16 de la Charte africaine et 12 du
PIDESC, respectivement, et par l'article 1er de la Charte africaine, ont
été violés.
v. Constate que le droit des requérants à la vie privée et familiale, prévu
à l'article 17 du PIDCP a été violé.
vi. Constate que le droit des requérants à un niveau de vie suffisant et à
l'alimentation, prévu aux articles 11 du PIDESC et 25 de la DUDH, a
été violé.
vit. Constate que le droit des requérants à la liberté de religion et le droit
des minorités d’avoir leur propre vie culturelle, prévus aux articles 8 de
la Charte africaine, 18 et 27 du PIDCP, ont été violés.
viii. Constate que le droit de propriété des requérants, prévu à l'article 14 de
la Charte africaine, n'a pas été violé.
ix. En conséquence :
a) Ordonne à l'État de s'assurer que BA Aj réinstalle la
communauté de AL, en se conformant à toutes les dispositions par
rapport au droit de propriété et au droit d’un niveau de vie suffisant ;
b) Ordonne à l’État de prendre toutes les mesures efficaces dans les plus brefs
délais pour assurer la restauration de l'environnement sain de la communauté
AL ;
c) Ordonne à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir la
survenance de dommages à l'environnement ;
d) Ordonne à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les
auteurs des dommages causés à l’environnement soient tenus pour
responsables.
ix. Condamne le défendeur à verser aux requérants AI AU;
BM BR AU, AW AN Ah, CC AU
BC, AO AW CE, AV BH, AU BY AJ
Ay, BE BK AU, AW BI AZ,
CE AH Ai et AM BD la somme de 20.000.000 (vingt
millions) FCFA, chacun à titre d'indemnisation.
x. Rejette la demande d'indemnisation collective de la communauté de
AL.
XIIN. SUR LES DEPENS
313. Conformément à l'article 66 (2) du Règlement de la Cour, le défendeur
supportera les frais de procédure, qui doivent être évalués par le Greffier en
chef.
XIV. EXECUTION ET FOURNITURE DE RAPPORTS
xi. Ordonne à l'État défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai de trois
(3) mois, à compter de la date de la notification du présent Arrêt, un
rapport sur les mesures prises pour exécuter les ordonnances qui y sont
énoncées.
Ont signé :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE-Président--—--">>--Cen es #30
Juge Dupe ATOKI-Membre
Hon. Juge Ricardo C. M. GONÇALVES-Rapporte
314. Fait à Bl, le 30 novembre 2023, en Portugais et traduit en Français et en
Anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/38/23
Date de la décision : 30/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2023-11-30;ecw.ccj.jud.38.23 ?
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