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11/12/2023 | CEDEAO | N°ECW/CCI/JUD/54/23

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 11 décembre 2023, ECW/CCI/JUD/54/23


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ
ÉCONOMIQUE DES ÉTATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO).
M. A Y CONTRE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE
Requête N° ECW/ CCJ/ APP/24/19, arrêt N°. ECW/CCI/JUD/54/23
ARRET
AP
DATE : 11 decembre 2023
Plot 1164 Ag As Ai, Gudu District, AP Ar.
ARRÊT N°. ECW/CCI/JUD/54/23
M. A BAH- REQUÉRANT
CONTRE
LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE- DÉFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Gb

eri-Be OUATTARA - Président
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA - Membre
Hon. Juge Ricardo Clau...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ
ÉCONOMIQUE DES ÉTATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO).
M. A Y CONTRE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE
Requête N° ECW/ CCJ/ APP/24/19, arrêt N°. ECW/CCI/JUD/54/23
ARRET
AP
DATE : 11 decembre 2023
Plot 1164 Ag As Ai, Gudu District, AP Ar.
ARRÊT N°. ECW/CCI/JUD/54/23
M. A BAH- REQUÉRANT
CONTRE
LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE- DÉFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA - Président
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA - Membre
Hon. Juge Ricardo Claudio Monteiro GONÇALVES - Membre
ASSISTES DE : Æ
Af X, Esq. - Greffier
2 | Pag REPRÉSENTATION DES PARTIES
Me Drame Alpha YAYA - Conseil du requérant
Me Joachim GBILIMOU - Conseil de la défenderesse 1. Le présent arrêt est celui de la Cour de justice de la Communauté, CEDEAO
(ci-après dénommée « la Cour ») rendu virtuellement en audience publique
conformément à l'article 8(1) des Instructions pratiques sur la gestion
électronique des affaires et les sessions virtuelles de la Cour de 2020.
IK. _ DESCRIPTION DES PARTIES :
2. Le requérant est M. A Y, citoyen communautaire de la République
de Guinée résidant à Lyon, en Ak.
3. La défenderesse est la République de Guinée, État membre de la CEDEAO.
4. La requête est motivée par la violation des droits fondamentaux de l'homme,
notamment le droit à un procès équitable, devant un tribunal impartial et
indépendant, garanti par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
(CADHP) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
5. Le requérant a déposé une requête introductive d'instance au Greffe de la Cour
le 3 juin 2019.
6. La défenderesse a déposé son mémoire en défense le 16 août 2019 au Greffe de
la Cour. £ 7. Un mémoire en réplique du requérant au mémoire en défense de la défenderesse
a été déposé le 14 novembre 2019 au Greffe de la Cour, ainsi qu'une requête
visant à citer un témoin.
8. Le 23 décembre 2019, la défenderesse a déposé une duplique au mémoire en
réplique du requérant, ainsi qu'une requête demandant à la Cour de rejeter la
requête du requérant de citer un témoin.
9. Une session d'audience s'est tenue virtuellement le 15 mai 2023, au cours de
laquelle les deux parties étaient représentées par des avocats devant la Cour. La
Cour a entendu les conclusions des parties et a renvoyé l'affaire pour qu'elle soit
jugée.
a) Résumé des faits
10.Le requérant fait valoir qu'il est titulaire d'un doctorat en information et
communication et qu'il a travaillé pour le Programme des Nations Unies pour le
développement, le Centre culturel franco-guinéen, la Banque mondiale, le
Fonds des Nations Unies pour l'enfance et le gouvernement guinéen à certains
moments de sa carrière. Il se nomme M. A Y, mais ses amis
proches l'appellent également Thia'nguel. Le requérant soutient qu'à partir du
12 août 2014, il a été nommé coordonnateur principal de la cellule de
communication de l'UFDG, le principal parti politique d'opposition en Guinée.
11.11 soutient que le bureau exécutif national du parti envisageait de prendre des
mesures disciplinaires à l'encontre de M. Ap Y, alors vice-président de
l'UFDG, pour avoir créé des structures parallèles à l'étranger et tenu des discours
diffamatoires à l'encontre du président du parti. Le 5 février 2016, le parti a tenu
une réunion à laquelle M. Y n'a pas été invité, mais il s'est néanmoins rendu sur le lieu de ladite réunion. Le requérant raconte qu'une altercation entre les
agents de sécurité du parti et les partisans de M. Y s'en est suivie et a abouti
au meurtre par balle d'un journaliste, Ax Ad AQ, ce qui a nécessité
une enquête judiciaire. Le requérant déclare que le 6 février 2016, le procureur
du tribunal de première instance de Dixinn a mis en place une commission
d'enquête dirigée par le directeur des enquêtes de la gendarmerie nationale pour
enquêter sur l'affaire. I raconte que sur trente-deux (32) personnes auditionnées
par la commission du 6 au 15 février 2016, vingt-et-une (21) ont été placées en
garde à vue pour la suite de l'enquête. Il indique que le 29 février 2016, le
procureur a saisi le doyen des juges d'instruction, lui demandant d'ouvrir une
information judiciaire contre X pour des faits de tentative de meurtre et de coups
et blessures. Le requérant raconte que le procureur a ensuite rendu une deuxième
ordonnance le 3 mars 2016, demandant que 20 personnes nommément
identifiées soient placées en détention provisoire.
12.Le requérant soutient qu'aucun de ces actes judiciaires n'a mentionné son nom
ou son surnom comme indiqué ci-dessus. En outre, il soutient que les procès-
verbaux des interrogatoires menés par le doyen des juges d'instruction ne font
état d'aucune question posée sur l'identité du requérant ou sur le lieu où il se
trouve, ni d'aucune discussion sur son implication dans les affaires faisant l'objet
de l'enquête.
13.Le 16 mai 2016, le doyen des juges de première instance a rendu une
ordonnance de non-lieu partiel pour les vingt-et-une personnes et un acte
d'accusation contre cinq personnes, l'une d'entre elles portant le sumom du
requérant (mentionné ci-dessus) dans la présente affaire. Le requérant affirme
qu'en dépit de l'utilisation de son surnom, il n'a pas été identifié par ses noms
réels et n'a pas été notifié des allégations portées contre lui. La 14.11 affirme qu'au moment des enquêtes, il se trouvait à Conakry, mais que
l'autorité judiciaire a voulu l'empêcher de participer au processus de sa défense.
Il a appris par les médias, en janvier 2018, qu'il avait été condamné à la prison
à vie par le tribunal de première instance de Dixinn, à Conakry. Le requérant
affirme qu'il n'était pas au courant de la procédure et qu'il n'a reçu aucune
information relative aux accusations portées contre lui. De plus, il n'a pas eu la
possibilité d'être entendu. Il affirme également qu'aucun effort n'a été fait par
les autorités judiciaires de la défenderesse pour le contacter au cours des
différentes étapes du processus pénal, en particulier pendant les phases
d'enquête préliminaire, de confirmation des charges et d'inculpation des
suspects, étant donné qu'il se trouvait à l'époque à Conakry et qu'il avait un
emploi du temps très chargé.
15.Le requérant déclare qu'il se trouvait à Conakry au moment où son ordonnance
de mise en accusation a été rendue le 24 mai 2016, mais qu'il n'a jamais reçu de
notification de la procédure engagée contre lui. Qu’après vérification, il a
constaté que ce n'est que dans l'ordonnance de mise en accusation du Doyen des
juges d'instruction que son surnom Aa est apparu pour la première fois
dans la procédure. Il indique que le 31 mai 2016, le Procureur général près la
Cour d'appel de Conakry a saisi la première chambre d'appel de l'affaire. Le 2
août 2016, la première chambre d'accusation de la Cour d'appel de Conakry a
rendu un arrêt dont le dispositif dit en substance :
« Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance n° 181 du 24 mai
2016 du Doyen des juges d'instruction de Dixinn Conakry 2 [...]
Prononce l'inculpation de Amadou Sow, Av Aj, Aa,
Alphadio et At Ae Am pour assassinat, tentative
d'assassinat, complicité, blessures volontaires et complicité ; $ Décerne un mandat d'arrêt à l'encontre de At Ae Am
alias Dos ou Freenman.
Décerne un mandat de dépôt contre eux et les renvoie devant la Cour
d'Assises de Conakry pour y être jugés conformément à la loi en
vigueur ».
16.Le requérant affirme que ce n'est que lorsqu'il s'est rendu en Ak pour des
soins médicaux qu'un ami travaillant à la présidence l'a appelé au téléphone pour
l'avertir que sa vie était en danger, que le professeur Ao An, alors
président de la République de Guinée, lui en voulait à cause des propos
outrageants qu'il avait tenus à son encontre, dans son livre intitulé « Tranchantes
chroniques », publié chez l'Harmattan en 2015 (une copie est jointe au dossier).
ll affirme que ledit incident qui s'est produit au siège du principal parti
d'opposition, l'UFDG, le 5 février 2016, a été exploité par les « plus hautes
autorités de l'État » comme une occasion de l’impliquer dans l'affaire pénale
afin de se débarrasser de lui. I est clair pour le requérant que le choix d'inculper
un surnom, alors que les dispositions pertinentes du code de procédure pénale
guinéen exigent que le suspect soit pleinement identifié, cache l'intention du
gouvernement de l'empêcher de comparaître devant les autorités judiciaires et
les juridictions guinéennes, de répondre aux accusations portées contre lui et de
se défendre. Le requérant soutient que c'est la raison principale pour laquelle
son surnom est apparu tardivement dans la procédure, à savoir seulement dans
l'ordonnance de mise en accusation rendue par le doyen des juges d'instruction,
alors qu'il n'a jamais été mentionné auparavant, ni dans le rapport d'enquête
préliminaire de la police, ni dans l'ordonnance par laquelle le procureur a saisi
le doyen des juges d'instruction de l'affaire.
17.11 affirme également que le même intérêt des plus hautes autorités politiques
explique pourquoi il a été jugé par contumace en tant que principal suspect
8 | Page 7,
d'assassinat et de tentative d'assassinat. Le requérant soutient que la procédure
pénale cst incohérente car il n'a été accusé que de complicité dans l'ordonnance
émise par le doyen des juges d'instruction. Cette ordonnance ayant été
confirmée dans tous ses termes par la première chambre d'accusation de la Cour
d'appel de Conakry, il soutient que la Cour d'assises de Conakry 2 n'aurait pu le
juger que pour les mêmes chefs d'accusation, à savoir la complicité. Il a plutôt
été jugé par contumace et, comme il n'a pas eu la possibilité de comparaître
devant le tribunal et de se défendre, il a été déclaré coupable et condamné à la
prison à vie, tandis que le principal suspect (Amadou Sow) a été acquitté pour
manque de preuves.
18.Le requérant soutient que le nouveau code de procédure pénale guinéen (pièce
n° 17) garantit qu'une personne accusée d'une infraction pénale a le droit d'être
informée des charges retenues contre elle. Cela signifie que tous les mandats
(comparution, perquisition et arrestation) doivent être notifiés à l'accusé et
signifiés à sa dernière adresse connue. I! soutient qu'il se trouvait à Conakry
pendant l'enquête et le procès et qu'il aurait pu être notifié soit à son domicile,
soit à son lieu de travail, ces deux lieux étant connus du public.
19.En conséquence, le requérant soutient que la défenderesse a violé son droit à un
procès équitable, pour lequel il demande des dommages-intérêts généraux et
économiques.
b) Moyens de droit
20.Le requérant a invoqué les moyens suivants à l'appui de sa requête :
e Les affaires : CEDH du 1! décembre 2007 DRASSICH C. ITALIE reg.
N°. 25575/04, ss 31-32: (Article 6 (3) (a))
e CEDH du 15 mars 2005 YAHOVLEV C. RUSSIE N°. 72701/01, 20-22
e CEDH du 10 Novembre 2004, SEDJOVIC C. ITALIE 56581/00, ss 29
9 | Page FE e CEDH du 16 janvier 2018 AKBAL C. Z, Reg. N°. 3190/05, ss
32
e CEDH du 25 mars 1999, PELISSIER ET SASSI C. Ak, Req. N°.
25444/94, 85 51
e Cour inter-américaine 7 septembre 2004 TIBI C. AH, Série C,
No. 114, ss 186
e Code de procédure pénale guinéen, articles 3, 4, 214, 220, 231 et 290.
e Article 3 de la CADHP.
« Article 14(1 ) du PIDCP.
e CEDH du 12 mai 2005, B c. Turquie….46221/99, $. 140.
e CEDH du 22 février 1996, Ay c. Autriche, req. N°. 17358/90, rapports
e CEDH du 16 février 2000, Ab c. le Royaume-Uni, req. 27052/ 95,8.
e CEDH du 18 décembre 2018, MURTAZALIYEVA c. RUSSIE, reg. N°.
e CEDH du 23 février 1994, Au c. Royaume-Uni, série A, n° 282-A.
$ 26.
e CEDH du 24 mai 1989, HAUSCHILDT C. AG, Reg. N°.
10486,/83, série A.$. 46.
e CEDH du 14 juin 2007, GOROU C. GRECE (N°. 2), req. N°. 12686/03,8.
15;
e CEDH du7 avril 2005, AT Ah AJ, reg. 73- 717/ 01 ;
e CEDH, AR Ah Ak, 21 mars 2000, $. 33.
e CEDH du 24 juillet 2007. BAUCHER C. Ak, req. N°. 53640/00,$.
c) Réparations demandées
21. Le requérant demande qu’il plaise à l’honorable Cour de prendre les mesures
suivantes :
e SUR LA PRÉSENTATION FORMELLE :
- De se déclarer compétente pour examiner le fond de la requête qui lui
est soumise ;
- De déclarer la requête recevable ;
e SUR LE FOND DE L’AFFAIRE :
- De constater que A Y Aa n'a pas bénéficié du
droit à un procès équitable devant un tribunal impartial et indépendant
- De constater qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable conformément
au droit international pertinent ;
- De constater qu'il a été poursuivi et jugé dans des conditions
dépourvues de toute garantie procédurale ;
- De constater qu'il n'a jamais été informé qu'une enquête pénale était
ouverte à son encontre ;
- De constater qu'il n'a jamais été invité à se défendre contre les
accusations portées contre lui, ni pendant la phase d'enquête
préliminaire, ni pendant la phase d'instruction devant le doyen des juges
de première instance, ni avant la formation de jugement sur le fond ;
- De juger qu'un arrêt rendu dans ces conditions est, en tout état de cause,
inapplicable, faute d'avoir invité le prévenu à se défendre devant le tribunal ou, à tout le moins, de l'avoir informé de la procédure engagée
contre lui ;
- D'ordonner à la République de Guinée de prendre toutes les mesures
nécessaires pour rétablir le requérant dans ses droits ;
De faire droit à la requête de M. A Y Aa en
réparation du préjudice subi et en conséquence condamner la
République de Guinée à lui verser :
* la somme de 504 000 euros pour le préjudice économique
subi;
* et la somme de 200 000 000 francs CFA (deux cent millions
de francs CFA) au titre du préjudice moral, le tout
conformément au principe de la satisfaction équitable.
** De condamner l'État aux entiers dépens, y compris :
* les frais d'avocats qui s'élèvent à 10 000 000 de francs CFA ;
et les frais de voyage, de séjour et d'impression estimés à 4 000 000 de
francs CFA ; auxquels M. A Y Aa a été exposé pour
défendre ses intérêts devant la Cour.
VI L’AFFAIRE DE LA DÉFENDERESSE
a) Résumé des faits
22. La défenderesse raconte que, sur la base de la déclaration du requérant dans la
requête introductive d'instance, le 5 février 2016, le Bureau exécutif national du
parti politique connu sous le nom « d'UFDG » s'est réuni en comité de discipline
pour décider de l'exclusion définitive de M. Y Ap, alors vice-président du
parti. M. Y, qui n'était pas invité à la réunion, s'y est rendu avec un groupe de
ses partisans pour l'empêcher. Son arrivée a donné lieu à une violente altercation entre ses partisans et le service de sécurité du parti, au cours de laquelle un
journaliste connu sous le nom de Ax Ad AQ a été tué par balle.
23.La défenderesse affirme qu'à la suite de cet incident, le procureur du tribunal de
première instance de Dixinn a promptement demandé une enquête sur certains
actes, notamment la tentative d'assassinat d'Amadou Ap Y et l'agression de
deux personnes connues. Il est soutenu que la conclusion de l'enquête a vu une
inculpation préférentielle de vinet-trois (23) personnes initialement, mais le
Doyen des juges de première instance a rendu une ordonnance de non-lieu
partiel en faveur de dix-huit (18) personnes. Tandis que cinq (5) personnes,
conformément aux articles 183 et 187 du Code de procédure pénale guinéen,
ont été déférées au Procureur près la Cour d'appel de Conakry, dont Aa
et Alphadio.
24.La défenderesse se réfère à la pièce 6 et soutient que l'ordonnance du juge
n'assimile nullement Aa à A Y et que les prononcés du juge
de première instance pour les chefs d'accusation d'assassinat, de coups et
blessures volontaires et de complicité visent d'autres personnes que A
Y. De même, la défenderesse se réfère à la pièce 7 et soutient que les
personnes nommées Al et Aa n'ont pas pu être identifiées et que
le jugement, à la page 5, maintient l'absence d'informations sur les noms
susmentionnés. Qu’il n’a pas été fait référence à A AQ et qu'il n'a
pas été établi que Aa et A Y sont une seule et même
personne. La défenderesse souligne que le jugement du 9 janvier 2018 ne
contenait pas le nom de A.Y.
25.En présentant la pièce 8, la défenderesse développe son argument selon lequel
Aa! n'a pas pu être identifié lors du procès et que, par conséquent,
l'affirmation du requérant selon laquelle il a appris par un article de journal
publié le 10 janvier 2018 qu'il avait été condamné à perpétuité, ce qui a conduit à la résiliation anticipée de son contrat, n'est pas valable. La défenderesse
soutient fermement que ni le prénom ni le nom de famille de A Y
n'ont eté mentionnés dans l’arrèt et qu'aucun processus juridique n'a été suggéré
selon lequel « Aa » correspond à A Y. Plus précisément, la
défenderesse affirme que le « Thid'nguel », qui est le surnom du requérant, n'est
en aucun cas représentatif du nom « Aa » dans le jugement. Elle soutient
que la Cour ne devrait pas admettre le requérant sur la base de l'article 88 du de
son Règlement.
26.La défenderesse se réfère au code pénal guinéen, en particulier aux articles 564,
481, 566, 567, 568, 569 et 570. L'argument de la défenderesse en l'espèce est
que le code pénal guinéen offre des garanties suffisantes. Si le requérant estime
que 7hianguel est A Y, il aurait pu former une opposition. La
défenderesse soutient également que le requérant aurait pu faire appel du
jugement devant la juridiction nationale puisqu'elle ne fait pas obstacle à
l'exercice de son droit. La défenderesse réfute l'affirmation selon laquelle c'est
la publicité faite autour de l'affaire qui a conduit à la résiliation du contrat du
requérant. Elle soutient que ledit contrat n'est pas établi en faveur de Aa.
En outre, la défenderesse n'a pas publié ou communiqué l'arrêt au partenaire
contractuel, dont il n'a pas connaissance. La défenderesse affirme qu'il n'existe
pas de jugement contre A Y mentionné dans ledit contrat et que le
requérant ne s'est pas manifesté pour contester ledit jugement.
27.La défenderesse estime donc que la requête du requérant est mal fondée et doit
être rejetée. Et réclame des dépens dans sa demande reconventionnelle.
b) Réparations demandées
28.La défenderesse demande qu'il plaise à l'honorable Cour de prendre les mesures
suivantes :
a. De déclarer la requête de M. A Y dit (sic) Thid'nguel
irrecevable dans son recours contre la République de Guinée pour
défaut de qualité et de droit d'agir. avec toutes conséquences de droit.
A TITRE SUBSIDIAIRE
b. De constater que le jugement pénal n° 03 du 09/01/2018 du Tribunal de
Première instance de Dixinn n'a pas visé le sieur A Y AM
c. De constater en outre que ledit jugement rendu par défaut à l'égard de
Aa est nul sur simple opposition de ce dernier, conformément
aux dispositions du code de procédure pénale guinéen ;
d. De constater en outre que M. A Y n'a jamais demandé
aux juridictions guinéennes d'en prendre acte de sorte qu'il serait le
Aa visé par le jugement précité et qui n'a pu être identifié tant
par la police judiciaire que par les autorités judiciaires, a fortiori
lormées contre ce jugement ;
e. De constater enfin que la République de Guinée n'a mis aucun obstacle
à l'exercice du droit de Aa de former opposition contre le
jugement précité et qu'en statuant par défaut à son encontre, elle a agi
conformément aux dispositions des articles 481 et 564 du code de
procédure pénale guinéen :
f. En conséquence, de débouter M. A Y de toutes ses
requêtes à l'encontre de la République de Guinée car clles sont mal g. De le condamner, à titre reconventionnel, à verser à la République de
Guinée la somme de ! 500 000 000 FCFA à titre de dommages ct
intérêts pour procédure abusive ;
h. De condamner le requérant aux entiers dépens.
VII. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
29.L'objet du présent recours porte sur la violation alléguée du droit à un procès
équitable devant un tribunal impartial et indépendant, pour laquelle le requérant
demande une indemnisation car il affirme avoir subi un préjudice du fait de la
violation alléguée.
30.11 est de pratique courante que la Cour aborde la question de sa compétence en
ce qui concerne toute requête dont elle est saisie. qu'il y ait ou non contestation.
La Cour qui est une créature statutaire tire sa compétence de l’article 9 du
Protocole additionnel (A/SP.1/01/05) modifiant le protocole (A/P1/7/91) relatif
à la Cour de justice de la Communauté (Protocole), qui dispose que « /a Cour
est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l'homme dans
tout État membre ». Toutes les requêtes portées devant la Cour doivent relever
de ce champ d'application pour pouvoir être entendues par la Cour. Au fil des
ans, la compétence de la Cour en matière de droits de l'homme a été privilégiée
par rapport à toutes les autres, car elle permet aux affaires fondées sur de simples
allégations de violation des droits de l'homme d'être entendues sans autre forme
de procès. (Voir les affaires : AU AK C AL C.
RÉPUBLIQUE DU NIGER (2011) CJELR à la page 8 et LES
ÉCONOMIQUES & LA TRANSPARENCE (SERAP) & 10 AUTRES RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA & 4 AUTRES (2014) CJELR à la
page 25).
31.Sa jurisprudence récente a continué à soutenir cette pratique, notamment dans
l'affaire HOPE DEMOCRATIC PARTY & AUTRE C. RÉPUBLIQUE
FÉDÉRALE DU NIGERIA & 5 AUTRES. ARRÊT N°, ECW/CCJ/JUD/19/15
à la page 11 où il est dit que : « La compétence. doit être clairement démontrée
au début ou au cours de la procédure, faute de quoi cette procédure, aussi bien
menée soit-elle, et tout arrêt qui en découle, aussi bien réfléchi ou bien rédigé
soit-il, seront nuls et constitueront une perte de temps ».
32,La Cour, ayant ainsi établi sa compétence de par lc droit et notant que la présente
requête est fondée sur des allégations de violations des droits de l'homme,
estime qu'elle a compétence pour entendre et statuer sur les prétentions avancées
par le requérant.
VIII. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
33.La Cour est confrontée à deux questions préliminaires à résoudre, à savoir :
l'exception préliminaire soulevée par la défenderesse et la requête interlocutoire
introduite par le requérant demandant à la Cour de citer un témoin à comparaître
et à témoigner devant la Cour.
Sur l’exception préliminaire
L'affaire de la défenderesse
34.La Cour note que le mémoire en défense, daté du 9 août 2019, pose une
exception préliminaire à la recevabilité de la requête, fondée sur le statut de
victime du requérant ou sur sa qualité et son intérêt à agir dans cette affaire.
Selon la défenderesse, rien dans le dossier et les preuves produites ne montre
que le requérant, A Y alias Thia'nguel, est la même personne que
17 | Page Ë le Aa que la juridiction nationale de la défenderesse a poursuivi, jugé et
condamné. La défenderesse demande donc qu'il plaise à la Cour de déclarer
cette requête irrecevable pour défaut de qualité ou d'intérêt juridique du
requérant dans cette affaire. La défenderesse souligne qu'il n'y a aucune
indication dans l'arrêt dont se plaint le requérant qu'il est effectivement la
personne condamnée en Guinée. La défenderesse rappelle que le jugement
contesté fait référence à un seul Aa, sans plus, alors que le requérant dans
cette procédure est pleinement identifié et connu sous le nom de M. A
Y, alias Thia'nguel. La simple affirmation du requérant selon laquelle il est
surnommé Thia'nguel ne suffit pas à lui conférer la qualité requise pour agir
devant la Cour. En effet, le requérant a avoué lui-même que la personne appelée
Aa et qui a été poursuivie et condamnée en Guinée n'a jamais été
formellement identifiée au cours de la procédure, et que le requérant, M.
A Y Aa, n'a jamais été impliqué de quelque manière que ce
soit dans la procédure pénale interne et ne s'est jamais vu signifier la
condamnation qui s'en est suivie.
35.Sur la base des motifs susmentionnés, la défenderesse demande
respectueusement qu'il plaise à la Cour de déclarer purement et simplement M.
A Y alias Thid'nguel irrecevable dans son action contre la
République de Guinée pour défaut de qualité et d'intérêt à agir, et d'en tirer
toutes les conséquences juridiques pertinentes.
La réponse du requérant
36.Dans sa réplique, datée du 18 octobre 2019, le requérant a prié la Cour de
prendre connaissance judiciaire de la conclusion ci-dessus de la défenderesse
qui a déclaré clairement et sans ambiguïté que M. Aw mans Y alias Thia'nguel. \e requérant dans cette procédure, n'était pas et n'a jamais été l'objet
des poursuites pénales qui ont abouti à la condamnation d'un nommé Aa.
La duplique de la défenderesse
37.En réaction à cela, la défenderesse, dans sa duplique datée du 6 décembre 2019,
s'est opposé à la demande du requérant visant à obtenir une notification
judiciaire de sa non-implication dans l'affaire pénale en Guinée et à constater
que la peine d'emprisonnement à vie contenue dans le jugement n° 3 du 9 janvier
2018 ne doit pas être exécutée à l'encontre du requérant. Selon la défenderesse,
c'est un fait établi, et non sa simple opinion, que l'on ne trouve nulle part dans
le jugement contesté le nom de A Y du requérant. Elle fait valoir
avec insistance que le requérant lui-même n'a pas été en mesure de prouver le
contraire. Par conséquent, la demande du requérant doit être rejetée dans la
mesure où elle vise à obtenir de la Cour qu'elle substitue des noms de suspects
ou de personnes condamnées dans le cadre d'une procédure pénale interne, ce
qui est loin d'être l'objet de la procédure devant la Cour.
Analyse de la Cour
38.La Cour prendra d'abord note du motif juridique invoqué par la défenderesse à
l'appui de sa demande d'irrecevabilité de l'affaire. In effet, l'article 88(1), du
Règlement de la Cour dispose que : « Lorsque la Cour est manifestement
incompétente pour connaître d'une requête ou lorsque celle-ci est
manifestement irrecevable, la Cour peut, les parties entendues, sans poursuivre
la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée ». Toutefois, la Cour est
guidée par sa jurisprudence relative à l'exigence selon laquelle les requérants
dans les affaires liées aux droits de l'homme doivent établir leur statut de victime
et divulguer une cause d'action afin d'établir leur qualité pour agir fevant la
19 | Page LA / Cour et leur intérêt juridique à intenter une action contre la défenderesse. Dans
l'affaire ODAFE OSERADA C. CONSEIL DES MINISTRES DE LA
CEDEAO & 2 AUTRES (2008) CCJELR 2004-2009 page 176, para. 27, la
Cour a affirmé le principe comme suit :
D'une manière générale, et d'un point de vue juridique, la nécessité
pour un requérant de justifier de son intérêt à agir est attestée par
l'adage selon lequel : « Pas d'intérêt, pas d'action », et aussi « l'intérêt
est la mesure de l'action ». En d'autres termes, une requête n'est
recevable que si le requérant justifie qu'il saisit le juge aux fins de
protéger un intérêt ou de défendre une atteinte à celui-ci. Cet intérêt
doit être direct, personnel et certain ».
39.Tout en appliquant les principes susmentionnés aux faits et circonstances de
cette affaire, la Cour examinera les conditions de recevabilité prévues à l'article
10 (d) du Protocole additionnel, à savoir que la requête ne doit pas être anonyme,
d'une part, et qu'elle ne doit pas être pendante devant une autre juridiction
internationale, d'autre part. La Cour, après avoir examiné les faits et les éléments
de preuve, estime que le requérant a satisfait aux exigences dc l'article 10 (d) du
40.En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la requête est dépourvue de causc
d'action, la Cour est également guidée par son raisonnement dans l'affaire : LES
ÉCONOMIQUES & LA TRANSPARENCE (SERAP) & 10 AUTRES C. LA
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA & 4 AUTRES (2014) CCJELR à
la page 249 que: « Les requérants, en alléguant des faits dont on peut déduire,
au moins prima facie, une possibilité lointaine que les défendeurs aient pu violer
leurs droits de l'homme, ont établi dans leurs plaidoiries une cause d'action
20 | Page LE défendable ». Dans cette optique, la Cour considère que le requérant en l'espèce
a établi une cause d'action défendable et rejette l'exception préliminaire dans
son intégralité.
SUR LA DEMANDE VISANT À CONTRAINDRE UN TÉMOIN A
COMPARAITRE.
L'affaire du requérant
41.Le requérant a déposé une requête en date du 25 octobre 2019 visant à obtenir
une ordonnance de la Cour citant M. Ac Aq, ancien Ministre de la justice,
Garde des Sceaux de la République de Guinée, à comparaître et à témoigner
devant la Cour. A l'appui de cette requête, le requérant a invoqué l'article 43 du
Règlement de la Cour, qui se lit en partie comme suit :
l. La Cour peut ordonner la vérification de certains faits pur
témoignage, soit d'office, soit à la demande des parties. L’ordonnance
de la Cour énonce les faits à établir.
2. Les témoins sont cités par la Cour, soit d'office, soit à la demande des
parties.
42.Afin de se conformer aux dispositions de l'article 493 (précité), le requérant
indique que l'objet du témoignage demandé serait l'identité du suspect désigné
dans les actes et documents judiciaires internes sous le nom de Aa et qui
a finalement été condamné. Le requérant soutient que la raison de sa requête est
de dévoiler les incohérences de la défenderesse qui sait très bien que le requérant
était la cible principale de toutes les procédures pénales, mais qui nie maintenant
les faits devant cette Cour. Le requérant soutient en effet que, au cours de la
procédure, M. Ac Aq, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux de la
défenderesse à l'époque, a déclaré à plusieurs reprises que A Y alias Thia'nguel était bien l'un des suspects dans l'affaire de l'assassinat du journaliste
At Ad AQ. Que le 6 septembre 2016, alors qu'il s'exprimait dans
l'émission de radio la plus écoutée en Guinée (Les Grandes Gueules - GG), il a
déclaré publiquement ce qui suit :
« Qu'il y a quatre ou cinq personnes qui sont citées dans le procès
pénal. pour assassinat dont un ou deux sont en fuite. ; mais nous
avons lancé des mandats contre eux... et nous irons jusqu'au bout. »
(sic).
43.Par ailleurs, à la question d'un journaliste de savoir si M. AAYY
(Aa) figurait parmi les accusés, ledit témoin avait répondu
catégoriquement : « SÛR ». Le requérant est donc fermement convaincu que la
Cour devrait écouter M. Ac Aq afin de déterminer s'il a réellement fait la
déclaration susmentionnée et quelle est sa position concernant l'identité du
suspect Aa, afin d'éclairer la Cour sur le déni de la défenderesse
concernant l'identité du suspect.
La réponse de la défenderesse
44.En réaction à cette requête, la défenderesse a exhorté la Cour, dans une
observation écrite datée du 17 décembre 2019, à la rejeter pour les motifs
suivants : à supposer que M. Ac Aq ait fait la déclaration susmentionnée,
ce qui reste à prouver par le requérant, cela n'aurait guère d'effet sur sa
condamnation. En effet, pour qu'il y ait condamnation, il faut d'abord qu'il y ait
un processus judiciaire et la condamnation ne peut résulter que d'un acte
judiciaire, aucune déclaration d'un citoyen ne suffit à produire cet effet. Pour la
défenderesse, il est établi qu'aucun acte ou document judiciaire n'a jamais
désigné M. A Y ANThia'hguel) comme suspect ou comme personne
22 | Pa #E condamnée. La défenderesse soutient qu'une ordonnance de la Cour exigeant
que M. Ac Aq comparaisse devant la Cour afin de fournir son témoignage
ne serait pas d'une grande utilité pour l'issue de la présente procédure. Par
conséquent, la défenderesse demande instamment qu’il plaise à la Cour de
rejeter la requête comme étant mal fondée.
Analyse de la Cour
45.Pour résoudre cette question, la Cour doit d'abord réaffirmer sa position selon
laquelle « la Cour de la CEDEAO n'est ni une juridiction nationale, ni une
juridiction pénale ». (Voir l'affaire FEMI FALANA C. COMMISSION DE LA
CEDEAO (2014) CCJELR à la page 103.) Cela signifie que la requête doit être
étayée par des preuves irréfutables. Par conséquent, la charge de la preuve
incombe au requérant qui doit, selon la prépondérance des probabilités,
convaincre la Cour de la véracité de la requête. Sur ce point, la Cour s'appuiera
sur l'affaire AV AS AO, UN NOTAIRE & 2 AUTRES
C. LA RÉPUBLIQUE TOGOLAISE (2015) CCJELR à la page 315 où il a été
jugé: « qu'il incombe à un requérant de fournir des preuves de ses allégations
; alors qu'en appliquant ce principe, la Cour de justice de la CEDEAO a
toujours considéré que tous les cas de violation des droits de l'homme portés
devant elle par un requérant doivent être décrits en termes spécifiques, avec des
preuves suffisamment convaincantes et sans équivoque ».
46.Après avoir examiné attentivement les arguments des deux parties sur cette
question, la Cour doit déclarer sans équivoque que si l'article 43(2), du
Règlement l'habilite à citer un témoin d'office, elle doit le faire avec l'objectif
que le témoignage puisse corroborer certains faits dont elle est saisie. En l'espèce, le requérant invoque plusieurs violations et affirme que, sur la base de
l'acte d'accusation du procureur général, la cour d'appel a rendu l'arrêt suivant :
« Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance n° 181 du 24 mai
2016 du Doyen des juges d'instruction de Dixinn Conakry 2[...]
Prononce l'inculpation de Amadou Sow, Av Aj, Aa,
Alphadio et At Ae Am pour assassinat, tentative
d'assassinat, complicité, blessures volontaires et complicité ;
Décerne un mandat d'arrêt à l'encontre de At Ae Am
alias Dos ou Freenman ;
Décerne un mandat de dépôt contre eux et les renvoie devant la Cour d'Assises de Conakry pour y être jugés conformément à la loi en
vigueur ».
47.La Cour note que la défenderesse soutient en réfutation qu'il n'y a pas de
jugement contre le requérant. La question de savoir si la Cour peut faire droit à
la requête de contraindre le Procureur général à témoigner devant elle reçoit une
réponse négative et la requête est rejetée par la Cour. La raison de cette position
est que la Cour, après avoir examiné les faits et les preuves dont elle dispose,
n'a pas trouvé de lien entre le requérant et l'acte d'accusation et le jugement en
question. Notant que le témoin est censé faire la lumière sur la requête, la Cour
doit préciser que la requête elle-même doit contenir des faits qui établiront la
nécessité de la déposition du témoin.
48.Sur la base de ce qui précède, la Cour rejette la requête du requérant visant à
contraindre un témoin à comparaitre, et statue ainsi.
24 | Paye IX. SUR LE FOND
49. La Cour a examiné les requêtes et entendu les arguments des parties et
considère que la question dont elle est saisie est celle de la violation des
droits du requérant.
SUR LA VIOLATION DES DROITS DU REQUÉRANT
L'affaire du requérant
50. Le requérant soutient que la défenderesse et ses organes judiciaires ne l'ont
pas informé des accusations pénales portées contre lui et lui ont refusé
l'accès au procès qui a abouti à sa condamnation à l'emprisonnement à vie.
51.Le requérant soutient qu'il n'a pas eu la possibilité de comparaître devant
un juge pour se défendre et faire entendre sa cause dans cette procédure
pénale dont il était accusé. Par conséquent, il n'a pu jouir d'aucun des droits
de l'homme d'un accusé, tels qu'ils sont consacrés dans les instruments
juridiques internationaux relatifs à la protection des suspects faisant l'objet
d'une enquête ou d'un procès pénal. En effet, le droit à la défense et à un
procès équitable ne peut être effectif que si l'accusé est informé des
accusations portées contre lui et a la possibilité de préparer et de présenter
sa défense.
52.En outre, le requérant affirme que la défenderesse a violé tous les droits et
garanties procédurales consacrés par le principe du procès équitable, qui
est protégé à la fois par la législation nationale de la défenderesse et par le
droit international. Parmi les droits qui auraient été violés figurent les
suivants : le droit d'être informé des accusations pénales, le droit à un
tribunal indépendant et impartial, le droit de comparaître devant le tribunal
et de participer à son procès, le droit d'être assisté par un avocat et, plus
généralement, le droit fondamental à la défense dans le cadre d'une procédure pénale. A l'appui de ces prétentions, le requérant invoque
plusieurs dispositions du code de procédure pénale guinéen pour étaycr
son argumentation. Il se réfère également au principe du contradictoire, au
principe de l'égalité des armes, au principe de l'équité dans l'administration
de la preuve, au principe du jugement motivé, en tant que principes
internationaux clés concernant la conduite des procédures judiciaires, en
particulier dans les affaires pénales.
53.Pour tous ces motifs, le requérant demande plusieurs réparations qui ont
été indiquées au paragraphe 21 ci-dessus.
L'affaire de la défenderesse
54,La défenderesse nie avoir violé les droits du requérant et insiste sur le [ait
qu'il n'est pas la mème personne que le suspect jugé ct condamné en
Guinée. La défenderesse soutient sans préjudice que même si le requérant
était la personne condamnée, aucun de ses droits n'a été violé, parce qu'il
a simplement été jugé et condamné par défaut.
55.La défenderesse se réfère à diverses dispositions de son code de procédure
pénale, notamment à ses articles 481 et 564, pour établir que le droit
guinéen prévoit le jugement par défaut même en matière pénale. Par
conséquent, le simple fait que Aa n'ait pas été informé de son procès
et qu'il n'ait pu se présenter devant aucun juge pour participer à son procès
ne viole aucun de ses droits de l'homme.
56.La défenderesse souligne qu'aucun obstacle n'empêchait le requérant
d'explorer l'une ou l'autre de ces voies de droit. Elle a donc conclu qu'au
lieu de faire appel à la Cour pour violation de ses droits de l'homme, le
requérant aurait pu simplement utiliser les mécanismes d'opposition ou d'appel devant les juridictions nationales de la Guinée afin de faire annuler
le jugement et de faire recommencer son procès de novo.
57.En conséquence de ce qui précède, la défenderesse demande qu’il plaise à
la Cour de rejeter l'action comme étant mal fondée et de rejeter toutes les
demandes du requérant à l'encontre de la République de Guinée.
Analyse de la Cour
58.En analysant les conclusions des deux parties sur le fond, la Cour observe
que les griefs du requérant portent sur la violation d'un certain nombre de
droits. dont le droit à un tribunal indépendant et impartial et le droit à un
procès équitable. Pour sa part, la défenderesse insiste principalement sur
l'irrecevabilité de l'action intentée par le requérant.
59.La Cour note que l'argument secondaire et subsidiaire de la défenderesse
est que si, pour une raison quelconque, la requête est jugée recevable, elle
devrait également admettre le jugement condamnant Aa qui, bien
qu'il s'agisse d'un jugement par défaut, reste valide et relève du droit pénal
interne de la défenderesse.
60.11 convient de noter qu'en dehors de ce qui précède, la défenderesse n'a pas
présenté d'arguments spécifiques, qu'ils soient factuels ou juridiques, pour
se défendre contre les allégations de violations des droits de l'homme
formulées par le requérant. L'étude de l'ensemble du dossier montre que
les parties n'ont pas vraiment joint les questions relatives au fond de cette
affaire.
61.La Cour rappelle en outre qu'en réaction à la conclusion de la défenderesse
selon laquelle A Y et Thia'nguel était une personne différente
du Fhianguel condamné en Guinée, le requéraht, dans sa réplique datée du 18 octobre 2019, a demandé instamment à la Cour de prendre acte de la
déclaration de la défenderesse et de juger. en conséquence, qu'il ne scra
exposé à aucune forme d'arrestation ou de détention sur la base du
jugement n° 3 du 9 janvier 2018. ou de tout autre fait ou infraction
connexe. La défenderesse s'oppose à ladite demande.
62.La Cour s'étonne que la défenderesse ait choisi de s'opposer à cette
demande et estime qu'il convient de la renvoyer à son propre mémoire en
défense, en particulier à la première mesure demandée. « De constater que
le jugement pénal n° 03 du 09/01/2018 du Tribunal de Première instance
de Dixinn n'a pas visé le sieur A Y » ; (cité textuellement
dans le mémoire en défense de la défenderesse daté du 9 août 2019).
63.Après avoir examiné l'insistance de la défenderesse sur le fait que le
requérant est une personne différente de Aa (le condamné) et en
gardant à l'esprit la requête du requérant demandant à la Cour de prendre
acte de la déclaration de la défenderesse, la Cour est d'avis que ce qui
importe le plus en l'occurrence, c'est que la justice soit rendue et que la
sécurité juridique soit maintenue.
64.Par conséquent, la Cour prend acte de la déclaration de la défenderesse sur
l'identité de la personne condamnée comme étant différente du requérant.
65.Ainsi, la Cour constate que le jugement N° 03 du 09/01/2018 du Tribunal
de première instance de Dixinn ne vise Monsieur A Y alias
Thia'nguel, le requérant devant la Cour. La Cour ordonne également que
le requérant ne soit exposé à aucune forme d'arrestation ou de détention
sur la base du jugement n° 3 du 9 janvier 2018 ou de tout autre fait ou
infraction connexe.
66.À la lumière de cette décision et de l'affirmation du requérant selon
laquelle ledit jugement lui a causé des difficultés, la Cour va maintenant déterminer si ses droits ont été violés comme il le prétend. Pour ce faire, la
Cour notera tout d'abord que les deux parties sont d'accord sur ce qui suit
e Que l'accusé dans la procédure interne, le nommé Aa,
n'a jamais été formellement identifié à aucune des étapes de la
procédure judiciaire ;
e Le requérant n'a reçu aucune notification au cours de la
procédure ;
e Qu'il n'a pas eu la possibilité de se défendre.
67.La Cour traitera donc les questions en litige de manière séquentielle.
68.Premièrement, la question de savoir si le requérant est la même personne
que celle qui a été condamnée au nom de Aa a été tranchée par la
Cour, qui estime que cette question a été résolue.
69.Deuxièmement, quant à la question de savoir s'il était justifié de ne pas
informer/impliquer le requérant, une réponse négative peut être corroborée
par la présence du requérant à Conakry au cours de la phase d'enquête. La
Cour estime que sa décision antérieure concernant l'identité de la personne
condamnée écarte également cette thèse et la rejette.
70.Troisièmement, quant à la question de savoir si le requérant aurait dû
utiliser les voies de recours internes à sa disposition, telles que les
mécanismes d'opposition ou d'appel, pour contester le jugement par défaut.
la Cour estime que ces voies de recours ont été écartées car il n'existe
aucune preuve que le requérant est la même personne que celle qui a été
condamnée par la juridiction nationale.
71.La quatrième question qui se pose donc à la Cour à ce stade est de savoir
si le jugement de la juridiction nationale de la défenderesse a réellement
causé un préjudice au requérant. Le requérant alfirme que son contrat avec la Banque africaine de développement a été résilié au motif qu'il faisait
l'objet d'une condamnation pénale, comme le montrent les pièces 8A et 8B.
[1 soutient en outre que ledit contrat était un contrat de six mois
renouvelable par accord tacite des parties. En outre, le requérant affirme
qu'en raison de son exil, il n'a pas pu profiter de ses compétences en tant
qu'expert en communication et soumet les pièces 2, 3, 4 et S à l'appui de
cette affirmation. La Cour note que la défenderesse maintient ses
arguments selon lesquels ledit jugement ne visait pas le requérant et que
celui-ci n'aurait donc pas pu en souffrir indûment.
72.Après avoir entendu la requête et la défense, la Cour note que le requérant
a indiqué que le contrat était d'une durée de six mois et qu'il pouvait être
renouvelé par accord tacite des parties. Sans plus, cette observation indique
à la Cour qu'il y avait une possibilité de non-renouvellement dudit contrat.
La norme de preuve dans les plaintes pour violation des droits de l'homme
est la prépondérance des probabilités, comme il a été jugé dans l'affaire
FEMI FALANA & | AUTRE C. LA RÉPUBLIQUE DU BENIN & 2
AUTRES (2012) CCJEER à la page 15 que : « Comme toujours, la charge
de la preuve incombe à la partie qui affirme un fait et qui se verra déboutée
si ce fait n'atteint pas le niveau de preuve qui persuaderait la Cour de
croire l'exposé de la prétention ». En l'espèce, la Cour estime que le
requérant n'a pas réussi à convaincre la Cour que son contrat était
réellement affecté par un jugement qui ne le concernait pas.
73.Sur la cinquième question relatives aux les demandes du requérant au titre
des dommages moraux pour avoir souffert de sentiments de malaise, de
détresse, de frustration et d'impuissance du fait d'avoir été jugé et
condamné pour un crime qu'il n'a pas commis, la Cour s'appuie sur sa
décision antérieure selon laquelle lefjugement de la juridiction nationale ne
30 | Page ÉE visait pas le requérant sur la base des faits et des éléments de preuve dont
elle disposait. L'argument du requérant sclon lequel il a appris la
condamnation par les médias est pris en compte et la Cour estime que ladite
missive ne peut pas être considérée comme une procédure judiciaire. Par
conséquent, tout préjudice résultant d'une telle missive ne peut être attribué
à la défenderesse, car le requérant aurait dû s'assurer que le rapport des
médias était correctement corroboré par la voie habituelle de
communication de la Cour. Par conséquent. la Cour estime que tout
préjudice moral résultant de la désinformation de la condamnation ne peut
être attribué à la défenderesse et la Cour rejette la requête.
X. SUR LES DÉPENS
74. La Cour rappelle l’article 66(1) de son Règlement qui dispose : « [A] //
est statué sur les dépens dans l'arrêt ou l'ordonnance qui met fin à
l'instance ». En outre, l'article 66(2), du Règlement de la Cour dispose :
« Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en
ce sens ». La Cour a jugé que les demandes du requérant n'ont pas abouti
et a tenu compte du fait que la défenderesse a demandé des dépens à
hauteur d’un milliard cinq cent millions (1 500 000 000) de CFA. La Cour
note que les dépens sont les dépenses encourues par les parties pour obtenir
justice et que les montants jugés fabuleux ne seront pas pris en compte.
Toutefois, compte tenu du fait que le recours devant la Cour porte sur des
violations des droits de l'homme, la Cour est encline à prendre une décision
symbolique sur les dépens. En conséquence, la Cour condamne le
requérant de verser dix mille (10 000) francs CFA à la défenderesse au titre
des dépens. LE Pour les raisons susmentionnées, la Cour siégeant en audience publique après
avoir entendu les deux parties :
Sur la compétence :
Sur la recevabilité de la requête
ii. Déclare la requête recevable.
Sur le fond de laffaire :
li. Rejette la requête visant à contraindre un témoin à comparaître.
iii. Conclut à l'absence de violation des droits du requérant.
iv. Rejette toutes les autres mesures demandées par le requérant.
v. Rejette toutes demandes de la défenderesse.
SUR LES DÉPENS :
ii Condamne le requérant à verser dix mille (10000) francs CFA à la
défenderesse au titre des dépens.
ii. Condamne le requérant de présenter à la Cour, dans les six (6) mois à compter
de la date de notification du présent arrêt, un rapport sur les mesures prises
pour exécuter les ordonp
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA/Rapporteur …….:/./
Hon. Juge Ricardo Cläudio Montciro GONÇALVES
32 | Pay Af X, Esq. - Greffier
Fait à AP, ce jour 1! décembre 2023 en anglais et traduit en français et en
portugais.
33 | Pa


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCI/JUD/54/23
Date de la décision : 11/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2023-12-11;ecw.cci.jud.54.23 ?
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