LA COUR COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
Dans l’affaire AP AN & AUTRES. c. L’ÉTAT DU MALI
Requête N° : ECW/CCJ/APP/54/21 Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/58/23
ARRÊT
AJ
DATE : 15 décembre 2023
Plot 1164 Ad Ac Ae, Gudu District, AJ Ab.
AFFAIRE N° : ECW/CCJ/APP/54/21 1. M. AP AN
2. B AL A
3. MME AO AG
CONTRE :
LA RÉPUBLIQUE DU MALI
COMPOSITION DE LA COUR:
Hon. Juge Dupe ATOKI
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA
Hon. Juge Claudio Monteiro GONCALVES
ASSISTÉS DE:
Dr Aa X
REPRÉSENTATION DES PARTIES:
Maître Baba Dionkolon CISSOKO
Le Directeur Général Contentieux de l’Etat - REQUÉRANTS
-ÉTAT DÉFENDEUR
- Présidente
- Membre/Rapporteur
- Membre
- Greffier en Chef
- Conseil des REQUÉRANTS
- Conseil du DÉFENDEUR IL ARRÊT
1. La Cour de justice de la Communauté, CEDEAO (ci-après dénommée « la
Cour »), siégeant en audience publique virtuelle, conformément à l’article
8(1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique des affaires et
audiences virtuelles de 2020 rend l’arrêt dont la teneur suit:
IL DÉSIGNATION DES PARTIES
2. Le premier requérant est M. AP AN, citoyen malien.
3. La deuxième requérante est B AL A, de nationalité malienne.
4. La troisième requérante est Mme AO AG, de nationalité malienne.
5. Le défendeur est l’État malien, État membre de la CEDEAO.
6. L'objet de la présente requête porte sur des allégations de violations des droits
de l’homme, en particulier des droits à un procès équitable et à la présomption
d’innocence, perpétrées par le défendeur en violation des obligations qui lui
incombent en vertu de divers traités fondamentaux relatifs aux droits de
l’homme.
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
7. Les requérants ont déposé leur requête introductive d’instance le 15
septembre 2021 au greffe de la Cour.
8. Une correspondance sur la décision de la Cour de suspendre toutes les
procédures contre le Mali et la Guinée a été transmise le 30 septembre 2021
par le Greffe de la Cour.
9. Le 25 novembre 2022, une correspondance communiquant la décision de la
Cour de lever la suspension des procédures contre le Mali et la Guinée a été
transmise par le Greffe de la Cour.
10.La Cour a tenu une audience virtuelle au cours de laquelle les deux parties
étaient représentées par leurs conseils. Tous les actes de procédure ont été
régularisés et la Cour a ajourné l’audience.
11.Le défendeur a déposé son mémoire en défense le 10 mai 2023.
12.Le 15 juin 2023, les requérants ont déposé une réplique au mémoire en
défense du défendeur.
13.Le 30 août 2023, le défendeur a déposé son mémoire en défense.
14.La Cour a tenu une autre audience virtuelle au cours de laquelle le requérant
était absent et n’était pas représenté par un conseil. Cependant, le défendeur
était présent avec son conseil et la Cour a donc pris connaissance des
mémoires des requérants. La Cour a permis au défendeur d’adopter ses
conclusions et renvoyé l’affaire pour jugement.
V. ARGUMENTS DE LA PARTIE REQUÉRANTE
a) Résumé des faits
15.Les requérants soutiennent que le défendeur, par l’intermédiaire de son
procureur de la République, a procédé, devant le Tribunal de grande instance
de la Commune III du district de Bamako, à plusieurs interrogatoires des
premier et troisième requérants, mais pas du deuxième requérant. Ces
interrogatoires ont été fondés sur une enquête préliminaire de la Brigade économique et financière de la Haute Cour (précitée) sur des allégations
d’atteinte aux biens publics et de faillite frauduleuse.
16.Le requérant affirme que les premier et deuxième requérants ont été soumis à
cinq séances d’interrogatoire qui se sont conclues par un procès-verbal du
Ministère public n 034/PEF-BEF daté du 21 juin 2021, recommandant que
les allégations soient retenues contre lesdites personnes (les requérants). Suite
à cela, le Ministère public a transmis cette recommandation au Tribunal de
Grande Instance pour qu’une information judiciaire soit ouverte et que des
charges soient retenues contre les requérants.
17.C’est sur cette base que les requérants prétendent que les agents du défendeur
ont commis un abus de procédure, c’est-à-dire une violation du droit à la
défense, du droit à une enquête impartiale et du respect des principes du
contradictoire. Le Code de procédure pénale malien ne donne pas de garantie
procédurale de droit à un procès équitable aux témoins qui ne sont interrogés
qu’en tant qu’informateurs. Les requérants affirment qu’en tant que témoins,
les premier et troisième requérants ont été traités comme des suspects et
interrogés au-delà des délais raisonnables. La plainte comprend des
allégations selon lesquelles ils n’ont pas bénéficié des garanties préliminaires
mais ont été traités comme des suspects.
18.Le point essentiel du recours des requérants est qu’ils n’ont pas bénéficié
d’une défense au cours de l’enquête préliminaire et qu’ils n’ont pas non plus
eu connaissance des preuves que le défendeur avait contre eux. De plus, le
procureur a conservé les procès-verbaux de l’enquête pendant un mois avant
de proposer un acte d’accusation, et il n’a pas été en mesure de remédier aux
violations commises pendant cette période. AG 19.Les requérants soutiennent que, bien que la troisième requérante n’ait pas fait
l’objet de l’enquête préliminaire, elle a été incluse dans l’instruction
judiciaire.
b) Moyens de droit
20. Les requérants invoquent les moyens de droit suivants :
e L'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(PIDCP).
e Article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
(ci-après la CADHP).
e Article 5 du Règlement n ° 5/CM/UEMOA
e L'article 11 de la Déclaration Universelle de droits de l'Homme
e Principe et directives sur le droit à un procès équitable et à l’assistance
juridique en Afrique (N. Dispositions applicables aux accusations
pénales Section 6 (2) (e).
c) Conclusions
21.Sur la base des prétentions et moyens de droit qui précèdent, les requérants
demandent à la Cour les réparations suivantes :
e Dire que le droit des requérants à l’assistance d’un avocat, le droit
à la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable ont
été clairement violés.
e Constater que les violations commises leur ont causé un préjudice
énorme qui mérite réparation judiciaire et financière.
e Ordonner à l’État du Mali de faire cesser la violation de leurs droits à l’assistance d’un Conseil, à un procès équitable et à la
présomption d’innocence, en faisant annuler les actes d’enquête
préliminaire et autres actes subséquents, conformément aux
dispositions pertinentes du Code de procédure pénale, notamment
en son article 206, et de faire cesser les poursuites à l’égard des
requérants.
e Accorder à chaque Requérant la somme de cent millions de Francs
(100.000.000 F CFA), pour tous les préjudices subis.
e Impartir un délai de trente (30) jours à l’Etat défendeur pour rendre
compte à la Cour de l’exécution de l’arrêt.
e Mettre les dépens à la charge de l’Etat du Mali.
ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR
a) Résumé des faits
22.Le défendeur reprend l’exposé des faits tel que présenté par la partie
requérante dans la requête introductive d’instance et déclare que les
revendications et les réparations demandées sont purement fantaisistes et ne
résistent à aucune analyse objective car elles ne sont pas fondées en droit.
23.11 fonde sa défense sur la régularité de la procédure et le bien-fondé de
l’affaire.
24.Les arguments du défendeur en ce qui concerne la procédure sont que
l’enquête préliminaire était fondée sur plusieurs allégations et qu’elle a été
menée conformément à la loi. L’objet de l’enquête porte sur le faux, l’usage
de faux, l’abus de biens sociaux, le détournement de biens et la faillite
organisée. Ces actes seraient prévus et réprimés par les articles 102 et suivants
du Code pénal du Mali et par les articles 437 et suivants du Code de commerce. Les défendeurs affirment que les enquêtes préliminaires ont été
menées conformément au Code de procédure pénale (loi n 2013-16), en
particulier ses articles 73, 74 et 76.
25.Le défendeur rappelle que l’essentiel du recours des requérants porte sur le
fait qu’ils ont été interrogés sans que soit précisé à quel titre, et il précise qu’en
cas de dénonciation, l’enquêteur n’est pas en mesure de déterminer si les
personnes concernées sont des auteurs, des complices ou de simples témoins
des actes commis.
26.Le défendeur affirme que les enquêteurs ne peuvent être accusés d’avoir violé
le Code de procédure pénale car ledit texte prévoit la possibilité pour le
requérant d’être assisté d’un conseil au stade de l’enquête préliminaire. En
outre, comme le requérant n’avait pas d’avocat au cours de l’enquête
préliminaire, son procès-verbal portait la mention "Personnes interrogées ».
C’est à l’issue de l’enquête préliminaire que le procureur général indique dans
le procès-verbal les suites à donner à la procédure et les charges retenues
contre les personnes en tant qu’auteurs ou complices.
27.Tout cela s’est fait dans le respect de la législation en vigueur et on ne peut
donc pas dire qu’il y a eu violation de celle-ci. L’affirmation selon laquelle la
deuxième requérante n’a pas été interrogée mais inculpée est réfutée par le
défendeur car elle a été interrogée par le juge d’instruction principal et a été
inculpée de complicité. Elle n’a pas été provisoirement placée en garde à vue,
mais elle a été interrogée.
28.Le défendeur réfute le grief de violation au motif que le Code de procédure
pénale malien confère à l’enquêteur le pouvoir de découvrir la vérité. Il s’agit
donc d’un enquêteur de la plus haute intégrité qui respecte le principe de la 29.Par conséquent, les demandes d’indemnisation pécuniaire doivent être
rejetées car elles n’ont pas été étayées par les requérants.
b) Conclusions
30.Le défendeur, à la suite de sa défense, demande à la Cour de prendre les
mesures suivantes :
e Sur la forme :
- Statuer comme il convient.
e Sur le fond:
- Rejeter les demandes et les actions sollicitées comme non
fondées.
- Constater que l’Etat du Mali n’a commis aucune violation des
droits de l’homme.
- Condamner les requérants aux dépends.
VII RÉPLIQUE DE LA PARTIE REQUÉRANTE
31.Les requérants réfutent les arguments des défendeurs et soutiennent que le
droit à un avocat est expressément garanti par l’article 2 (3) de la loi n ° O1-
80 du 20 août 2001 qui dispose que : «Toute personne soupçonnée ou
poursuivie est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit
prouvée.…elle a le droit d’être informée des accusations portées contre elle et
assistée d’un avocat». Ils font valoir que l’ordonnance du procureur de la
République sous la forme d’un « SOIT-TRANSMIS » est un acte de poursuite
qui confère le statut de suspect ou de personne poursuivie. Ce qui les fait
entrer dans le champ d’application de l’article 2 (3) (voir ci-dessus).
32.Les requérants concluent sur ce point en soutenant qu’il y a eu déni du droit à
l’assistance d’un conseil qui est protégé et garanti par le droit international.
33.En ce qui concerne le moyen de défense du défendeur relatif à la violation du
droit à la présomption d’innocence, les requérants soutiennent que le
défendeur est lié par son engagement en droit international. Selon eux,
l’atteinte à la présomption d’innocence ne se limite pas à la seule détention
provisoire, mais est également reconnue par le droit international à toute
personne suspectée et accusée ou privée des garanties procédurales liées au
droit à un procès équitable, en particulier le droit à la défense. Par conséquent,
les actes du défendeur violent plusieurs dispositions du droit international.
34.Les requérants soutiennent que leur demande de dommages et intérêts et de
dépens est bien fondée en droit et en pratique. Ils maintiennent donc
l’ensemble de leurs demandes et recours devant la Cour.
35. Les plaintes déposées par les requérants portent sur l’allégation de violation
des droits de l’homme survenue dans les États membres. L'article 9 (4) du
Protocole additionnel (modifié) (A/SP.01/05) dispose que "la Cour est
compétente pour statuer sur les cas de violation des droits de l’homme
survenant dans tout État membre.»
36.En appliquant cette disposition, la Cour a toujours considéré qu’une simple
allégation de violation des droits de l’homme lui conférait la compétence de
connaître du litige et de le trancher. Par conséquent, en ce qui concerne les
présentes demandes, la Cour déclare qu’elle est investie de la compétence
requise pour les entendre et statuer sur elles. F so @ IX. RECEVABILITÉ
37.En ce qui concerne la recevabilité, en particulier pour les plaintes relatives à
la violation des droits de l’homme, la Cour déterminera si la requête satisfait
au critère de l’article 10 (d) du Protocole additionnel (supra) qui dispose que :
‘Peuvent saisir la Cour... d) toute personne victime de violations
des droits de l’homme ; la demande soumise à cet effet : i. ne sera
pas anonyme ; ii. ne sera pas portée devant la Cour de Justice de
la Communauté lorsqu'elle a déjà été portée devant une autre
Cour internationale compétente ;
38. Ainsi, dans l’affaire TRANSPARENCY INTERNATIONAL & 2 autres C.
RÉPUBLIQUE DU GHANA ARRÊT N° : ECW/CCI/JUD/32/23 (NON
PUBLIÉ) au paragraphe 43, la Cour a expliqué que «cette disposition exige
qu’un requérant démontre sa capacité à intenter une action en tant que
victime, la requête ne doit pas être anonyme ni être pendante devant une autre
Cour internationale».
39.11 est rappelé que les requérants ont introduit les demandes en leur qualité
personnelle de victimes de certaines violations alléguées et ont réclamé des
réparations qui (si elles sont accordées par la Cour) leur bénéficieront
directement. La Cour considère à cet égard qu’ils peuvent être considérés
comme des personnes physiques demandant réparation dans le contexte de
l’article 10 (d) du Protocole additionnel (supra). En outre, après s’être assurée
que la requête n’est ni anonyme ni pendante devant une autre Cour
internationale, la Cour constate que les conditions de recevabilité sont réunies
et déclare la requête recevable. f ; ; Le X. SUR LE FOND
40.La Cour a examiné l’ensemble des arguments présentés par les parties et les
recours et a dégagé les questions litigieuses suivantes à trancher :
e La question de savoir si le droit des requérants à l’assistance d’un
avocat a été violé
e La question de savoir si le droit des requérants à une enquête
préliminaire équitable, neutre et contradictoire a été violé
e La question de savoir si le droit des requérants à la présomption
d’innocence a été violé
e La question de savoir si les requérants ont droit à des réparations
comme réclamé.
41.La Cour, après avoir examiné les demandes et les réparations demandées dans
le cadre des première et deuxième questions à trancher, constate que les deux
ont été présentées presque de la même manière. Il convient de noter que même
le mémoire en défense du défendeur a examiné les deux demandes sous une
seule rubrique. Par conséquent, pour traiter les deux, la Cour les fusionnera et
rendra une seule analyse couvrant les affirmations qui y sont contenues, à
savoir : "Sur la question de savoir si le droit d’être assisté d’un avocat et le
droit à une enquête préliminaire équitable, neutre et contradictoire de la
partie requérante ont été violés".
42.En règle générale, les questions soulevées sur le fond seront tranchées dans
l’ordre dans lequel elles ont été examinées par les parties 5 | à a. Sur la question de savoir si le droit du requérant à l’assistance d’un avocat
et à une enquête préliminaire équitable, neutre et contradictoire a été
violé
Argumentation du requérant
43.Dans leurs observations, les requérants affirment que le droit à un procès
équitable comprend le droit à la défense et à une procédure pénale
contradictoire. Ils ont invoqué l’article 14 (3) (d) du PIDCP, l’article 7 (1) (c)
de la CADHP, l’article 5 du Règlement n 5/CM/UEMOA à l’appui de leurs
demandes.
44.Les requérants se sont également appuyés sur plusieurs cas de jurisprudence
pour établir la signification de la notion de personne accusée et concluent à
cet égard qu’en droit international, une personne accusée est toute personne
mentionnée dans un acte de procédure tel qu’une plainte, un interrogatoire,
un acte d’accusation, un procès-verbal, etc. comme étant celle contre laquelle
les affirmations sont formulées. Une telle personne a droit à la protection
conventionnelle du droit à un avocat.
45.Les articles 2(3), 76(7), (8) et (9) du Code de procédure pénale malien
soutiennent les garanties procédurales qui incluent le droit de l’accusé à être
assisté d’un avocat. Cependant, afin de contourner ces garanties procédurales,
les enquêteurs de la Brigade financière du Pool économique ont interrogé les
requérants en tant que témoins et ne leur ont pas accordé le droit à l’assistance
d’un avocat tel que garanti par le Code de procédure pénale malien. Ils
affirment avoir été interrogés sous prétexte d’être des témoins et que, par la
suite, le défendeur a révélé dans le procès-verbal de clôture de l’enquête
préliminaire qu’ils étaient suspects. 4 A 46.Les requérants affirment que le premier requérant a été interrogé à cinq
reprises à des dates différentes entre le 18 septembre 2020 et le 1 juin 2021
; au cours de ces interrogatoires, il lui a été demandé de produire certains
documents pour prouver son innocence. La deuxième requérante aurait été
interrogée et invitée à prouver la légalité du transfert de titre foncier au
premier requérant. Elle a été mise en cause à la fin de l’enquête, sans avoir
été interrogée ni avoir eu la possibilité de préparer sa défense ou d’être
assistée d’un conseil pour se disculper des graves accusations portées contre
elle.
47.Au cours de l’interrogatoire, les premier et troisième requérants se sont vu
refuser l’assistance d’un avocat, ce qui est contraire à l’article 76 (7) du Code
de procédure pénale malien et aux normes internationales. En ce qui concerne
la deuxième requérante, les faits sont qu’elle n’a pas bénéficié de l’assistance
d’un avocat puisqu’elle n’a pas été interrogée.
48.Les requérants affirment également que la garantie consacrée à l’article 1er
du Code de procédure pénale malien qui dispose que « /a procédure pénale
doit être équitable, contradictoire et préserver l'équilibre des droits des
parties.» a été enfreinte, ce qui a entraîné une violation. Ils affirment que le
défendeur ne leur a pas permis de bénéficier des normes inhérentes à un
procès équitable, garanties par la loi, puisqu’ils n’ont pas eu la possibilité de
se défendre au cours de l’enquête préliminaire qui a abouti aux allégations
formulées à leur encontre dans le procès-verbal final. Cela repose sur
l’affirmation selon laquelle ils ont été interrogés cinq fois en tant que témoins,
comme dans le cas du premier requérant. Ils affirment que s’ils avaient su
qu’ils étaient suspects au moment de l’interrogatoire, ils auraient été en
mesure de contredire les accusations. # ele 49.Les requérants concluent en l’espèce que l’enquête préliminaire n’a pas
préservé l’équilibre des droits des parties et qu’elle n’a pas été contradictoire,
impartiale et neutre comme l’exige la loi. C’est pourquoi ils demandent que
certaines déclarations et ordonnances soient prises pour remédier à la
violation.
50.Sur la base de ce qui précède, les requérants affirment qu’ils sont victimes
d’une violation de leur droit à l’assistance d’un avocat et à une enquête
équitable, neutre et impartiale. Ils prient donc la Cour de faire certaines
déclarations et ordonnances à cet effet.
Argumentation du défendeur
51.Le défendeur s’appuie sur l’article 76 du Code de procédure pénale qui
confère à l’officier de police judiciaire la prérogative de retenir à sa
disposition une personne sur laquelle pèsent des soupçons relatifs à une
infraction au droit pénal.
52.Le défendeur soutient que dans le cas d’une dénonciation, il ne peut être
reproché à l’enquêteur d’avoir violé les dispositions du Code de procédure
pénale, ce texte garantissant l’assistance d’un avocat dès le stade de l’enquête
préliminaire. Néanmoins, comme les requérants n’étaient pas en mesure de le
savoir au moment de l’interrogatoire, les procès-verbaux d’enquête portent la
mention "personne interrogée».
53.Le défendeur réaffirme que l’enquête préliminaire a été ouverte par la Brigade
des Affaires Économiques et Financières à la suite d’une dénonciation faite
au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la
Commune III du District de Bamako. # dd 54.11 affirme qu’en vertu de l’article 76 du Code de procédure pénale (loi n 2013-
16), la police judiciaire peut détenir une ou plusieurs personnes faisant l’objet
d’une enquête, pour des actes commis en violation du droit pénal. Ces
pouvoirs comprennent, plus particulièrement, dans le cas d’une dénonciation,
la clause de non-responsabilité selon laquelle l’enquêteur n’est pas autorisé à
déterminer si les personnes sont des auteurs, des complices, des suspects, des
témoins, etc.
55.Le défendeur fait également valoir que c’est sur la base des conclusions de
l’enquête préliminaire que le Procureur général formule des recommandations
précisant les suites à donner aux faits constatés dans le procès-verbal de
clôture de l’enquête. L'article 52 du Code de procédure pénale est invoqué à
l’appui de cette affirmation, le défendeur affirmant que cette disposition
charge le Procureur général de recevoir les plaintes et les dénonciations et
d’apprécier la suite à leur donner. En conséquence, le défendeur soutient que
les actes incriminés relèvent des lois et procédures de l’État et qu’il ne peut
être tenu pour responsable d’une violation des droits de l’homme à ce titre.
Analyse de la Cour
56.A la lumière des moyens invoqués par les requérants à l’appui de leurs
prétentions, la Cour doit tout d’abord indiquer que sa décision est prise en
vertu de l’article 7 (1) (c) de la CADHP et de l’article 14 (3) (d) du PIDCP.
Ceci est dû au fait que les dispositions de la loi en vigueur et du Règlement
de l’'UEMOA ne relèvent pas de sa compétence.
57.L’article 7 (1) (c) de la CADHP dispose que «Toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue. Le droit à la défense, y compris celui de se faire
assister par un défenseur de son choix" Alors que l’article 14 (3) (d) du
PIDCP stipule que «Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit,
en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : À être présente au procès
et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son
choix; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un,
et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d'office
un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer. » La Cour
est consciente du fait que les deux dispositions soulignent la nécessité pour
un accusé/suspect de bénéficier d’une assistance juridique, qu’il en fasse la
demande ou non. En effet, si un accusé ou un suspect (dans le cas d’un État
membre qui a contracté une obligation à cet effet) n’en fait pas la demande, il
doit être informé qu’il a droit à l’assistance d’un avocat.
58.La Cour considère une garantie comme un recours visant à prévenir la
violation des droits. Ainsi, un recours efficace ou réputé avoir été exercé est
un recours auquel l’accusé a facilement accès. La question de savoir si cela
est suffisant n’est rien en comparaison du fait que cela permet d’éviter toute
violation. Lorsqu’elle a dû donner une description exploratoire du droit
consacré par l’article 7 de la CADHP, la Cour, dans l’affaire FEMI FALANA
c. COMMISSION DE LA CEDEAO (2014) CCJELR, à la page 8, a déclaré
que l’article 7 vise à garantir les droits des accusés dans les procès pénaux et
des personnes dont les droits fondamentaux ont été violés devant les
juridictions nationales des États membres.
59.Pour développer cette jurisprudence, la Cour déclare que les normes de
l’article 7 de la CADHP envisagent l’égalité de traitement lorsque l’intérêt de
la justice l’exige. En outre, il incombe aux États membres de veiller à ce qu’il
ne soit pas dérogé à ces normes impératives du droit international et de la
coutume. C’est ce qu’a affirmé la Cour européenne dans l’affaire SANCHEZ-
REISSE c. SUISSE (1986) 9 EHRR 71, où elle a déclaré que la possibilité pour un détenu d’être entendu en personne ou, si nécessaire, par le biais d’une
forme de représentation, fait partie des garanties fondamentales de procédure
appliquées en matière de privation de liberté en vertu de la Convention
européenne des droits de l’homme (article 5). En outre, dans l’affaire
CONSTITUTIONAL RIGHTS PROJECT & UN AUTRE c REPUBLIQUE
FÉDÉRALE DU NIGERIA (2000) AHRLR 235 (CADHP 1999), où
plusieurs personnes étaient détenues au secret sans avoir accès à des avocats,
des médecins, des amis ou des membres de leur famille, la Commission
africaine a estimé que cela constituait une violation manifeste de l’article 7
(1) (c) de la CADHP.
60.En ce qui concerne les présentes demandes, la Cour rappelle les arguments du
défendeur selon lesquels la garantie figure dans ses lois en vigueur, mais que
les requérants n’en avaient pas connaissance au cours de l’enquête
préliminaire, ce qui justifiait que le procès-verbal établi à l’issue de l’enquête
soit identifié de manière spécifique. S’appuyant sur les normes établies par la
jurisprudence de la Cour européenne et de la Commission africaine, la Cour
considère que l’obligation de l’État au regard de l’article 7 (1) (c) de la
CADHP est de veiller à ce que le droit à l’assistance d’un avocat soit exercé.
Cela signifie que, que la personne accusée soit consciente ou non de son droit
à ce moment-là, le défendeur a l’obligation de veiller à ce que ce droit soit
mis à sa disposition.
61.La Cour estime qu’il est impératif de rappeler l’obligation des États membres
inscrite à l’article 1er de la CADHP, qui impose l’obligation de promouvoir
et de protéger les droits qui y sont énoncés en adoptant des mesures
législatives, politiques et autres. Cette obligation est affirmée par l’État lors
de la ratification et elle ne peut en aucun cas être affaiblie ou violée. Le
défendeur dans la présente affaire est lié par les obligations qui lui incombent en vertu de la CADHP ; par conséquent, tout manquement de sa part à ces
dispositions constitue une violation et/ou une infraction.
62.Les allégations au titre de ce grief sont spécifiquement que les requérants se
sont vus refuser l’assistance d’un avocat au cours de l’enquête préliminaire,
ce qui revient à les priver du droit à une enquête préliminaire équitable, neutre
et contradictoire, ce qui constitue une violation.
63.Le défendeur ne peut se dispenser de respecter le droit à l’assistance d’un
avocat, tel qu’il a été défini précédemment, car ce droit est inscrit dans les lois
en vigueur et constitue une obligation au titre de la CADHP et du PIDCP.
Dans l’affaire JOHN MURRAY contre le Royaume-Uni (1996) 22 EHRR 20,
le droit d’accès du requérant à un avocat pendant les 48 premières heures de
sa détention par la police a été limité en vertu de la loi de 1987 sur les
dispositions d’urgence de l’Irlande du Nord. Les autorités ont fait valoir qu’il
y avait des motifs raisonnables de croire que l’exercice du droit d’accès
entraverait la collecte d’informations sur la commission d’actes de terrorisme
ou rendrait plus difficile la prévention d’un tel acte. La Cour européenne a
estimé que l’acte posé par les autorités était contraire à l’article 6 de la
Convention européenne. Dans l’affaire AVOCATS SANS FRONTIERES (au
nom de Bwampamye) c. BURUNDI (2000) AHRLR 48 (ACHPR 2000), la
Commission africaine a estimé que le droit à un procès équitable impliquait
le respect de certains critères objectifs, notamment le droit d’être défendu par
un avocat, en particulier lorsque l’intérêt de la justice l’exige, ainsi que
l’obligation pour les cours et tribunaux de se conformer aux normes
internationales afin de garantir un procès équitable à tous.
64.La Cour, après avoir examiné attentivement les observations des parties
concernant l’objet du litige, constate que les requérants n’ont pas bénéficié de
l’assistance d’un avocat comme ils l’avaient demandé et que l’enquête n’a pas été conforme aux normes d’un procès équitable. Cela constitue
automatiquement une violation de l’obligation du défendeur en vertu de la
CADHP et une contravention à ses lois en vigueur.
65.Par conséquent, la Cour estime que le fait d’interroger les requérants au cours
de l’enquête préliminaire sans leur accorder le droit à un avocat tel que garanti
par l’article 7 (1) (c) de la CADHP et l’article 14 (3) (d) du PIDCP constitue
une violation du droit qui y est énoncé. La garantie à cet égard est que les
personnes accusées doivent être informées de l’infraction et bénéficier de
l’assistance d’un avocat, qui peut être celui de leur choix ou celui fourni par
l’État. Par conséquent, en ce qui concerne le grief de violation du droit à
l’assistance d’un avocat formulé par les requérants, la Cour estime que ce
droit a été violé et statue en conséquence. En outre, la Cour condamne tous
les actes contraires à la neutralité de l’enquête visée à l’article 7 de la CADHP
et constate que le défendeur a manqué à son obligation de respecter les
principes de cet article.
b. Sur la question de savoir si le droit du requérant à la présomption
d’innocence a été violé
Argumentation de la partie requérante
66. Les requérants invoquent une violation des droits visés à l’article 7(b) de la
CADHP et à l’article 14(2) du PIDCP, à savoir le droit à la présomption
d’innocence. Ils invoquent également les dispositions de l’article 11 de la
DUDH et les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à
l’assistance judiciaire en Afrique. [ OL d 67.Les requérants affirment qu’ils n’ont pas bénéficié des garanties liées à un
procès équitable, à savoir le principe du contradictoire et les droits de la
défense. Il est avancé que ces violations de la loi étaient destinées à les
déclarer coupables et à les présenter comme coupables des faits qui leur
étaient reprochés (sic). C’est pourquoi ils invoquent une violation de la
présomption d’innocence.
Argumentation du défendeur
68. Le défendeur rappelle que les normes du procès équitable sont consacrées par
les articles 1 et 2 du Code de procédure pénale malien et qu’elles garantissent
la présomption d’innocence et le respect des droits des personnes arrêtées ou
poursuivies, ainsi que le principe du contradictoire.
69.Le défendeur affirme que le recours sous cette rubrique a été introduit de
mauvaise foi, d’où le fait que les requérants ont négligé de s’y référer.
L’essentiel de l’argumentation est que le fait que certains requérants aient été
détenus pendant l’interrogatoire ne constitue pas une violation des droits de
l’homme. Cela a été fait dans le but d’établir la vérité. Il est avancé que la
procédure pénale malienne confère au juge d’instruction le droit de découvrir
les auteurs d’infractions. Ladite enquête est impartiale et il a le pouvoir
d’exclure une personne qui a été initialement poursuivie comme acteur ou
complice des faits incriminés (sic). # ve a
Analyse de la Cour 70.Pour analyser les griefs sous ce chef, la Cour s’appuie sur la décision de la
Commission africaine dans l’affaire MEDIA RIGHTS AGENDA ET
AUTRES CONTRE LA REPUBLIQUE FEDERALE DU NIGERIA (2000)
AHRIR 200 (ACHPR (1998), selon laquelle il y a eu violation du droit à un
procès équitable, en particulier du droit à la présomption d’innocence, lorsque
les quatre journalistes ont été détenus, puis jugés et condamnés secrètement
sans aucune reconnaissance des normes du droit à un procès équitable.
71.La Cour estime que la notion d’équité face à une allégation devrait impliquer
la possibilité d’accorder au suspect le bénéfice du doute et de lui permettre de
réfuter les allégations formulées à son encontre. Le fait de qualifier un suspect
ou un accusé comme tel vise à établir la présomption d’innocence. La Cour
est d’avis qu’un État membre est tenu de garantir que toutes les personnes
faisant l’objet d’allégations bénéficient de la présomption d’innocence
jusqu’à ce qu’une cour ou un tribunal en décide autrement. Ainsi, la Cour
trouve un enseignement dans la décision rendue par la Cour européenne dans
l’affaire ALLENET DE RIBEMONT c. FRANCE (1985) 20 EHRR, dans
laquelle elle a déclaré que la présomption d’innocence signifie que les
fonctionnaires ne peuvent pas faire de déclarations préjudiciables à l’encontre
des personnes accusées pendant leur détention ou pendant le procès, car ces
déclarations violent le droit à la présomption d’innocence.
72.En l’espèce, les faits portés à la connaissance de la Cour montrent que les
requérants ont présumé qu’ils étaient des témoins, tandis que le défendeur, au
vu de ses procès-verbaux et de la législation en vigueur, a considéré les
requérants comme des suspects. En outre, le défendeur déclare qu’il se réserve
le pouvoir de qualifier les personnes faisant l’objet d’une enquête, bien qu’il
s’appuie solidement sur le fait que ses lois sont conformes aux normes
internationales en matière de droits de l’homme. ‘ @&g 73.La Cour s’appuie sur sa tradition qui a été articulée dans l’arrêt AI
AR AH c. BURKINA FASO (2016) CCJELR à la page 511, où
elle a jugé que les normes visées par la Cour sont, en principe, les normes de
droit international qui s’imposent aux États membres. Ces normes reposent
sur le fait que seuls les États sont défendeurs dans les procédures engagées
devant la Cour pour violation des droits de l’homme. Par conséquent, et
conformément à une jurisprudence bien établie, tous les points
d’argumentation fondés sur le droit interne doivent être écartés. En l’espèce,
la Cour adopte cette mesure et poursuit sur la base des normes
susmentionnées, c’est-à-dire qu’elle se fonde sur la CADHP et le PIDCP, et
non sur le Code de procédure pénale malien.
74.11 est essentiel que la Cour souligne que la présomption d’innocence impose
aux défendeurs (et à leurs agents) le devoir de ne pas préjuger de l’issue d’une
enquête ou d’un procès. La Cour, dans l’affaire DJOT BAYI & 14 AUTRES
c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA & 4 AUTRES. (2009)
CCJELR à la page 245 a jugé que l’acte du défendeur était contraire à l’article
7 (b) de la CADHP et constituait donc une violation de la présomption
d’innocence.
75.Dans la présente affaire, la Cour estime qu’il est essentiel de préciser que la
doctrine de la charge de la preuve dans les allégations doit être correctement
appliquée, car elle permettra de respecter le droit à la présomption
d’innocence. Il est impératif que la personne qui fait des allégations les prouve
sur la base de la norme primaire établie par la loi et que l’accusé ait ensuite la
possibilité de réfuter les affirmations. Ce n’est qu’ensuite qu’une décision sur
la véracité de la demande peut être rendue après l’élimination de la charge de 76.La Cour considère que le fait de lancer l’enquête préliminaire sur la base de
la qualité de témoin des requérants, puis de s’appuyer sur les lois en vigueur
pour les traiter comme des suspects, contrevient à la présomption
d’innocence. En outre, le procès-verbal de l’enquête concluant que
l’allégation contre le requérant doit être retenue établit que le défendeur a
préjugé du procès. La Cour note que le défendeur lui-même a présenté cet
élément de preuve et déclare que ce procès-verbal recommandait un procès.
77.En résumé, après avoir examiné toutes les demandes au titre de l’article 7 de
la CADHP, la Cour se tourne vers sa jurisprudence dans l’affaire AK
Z & AUTRES c LA REPUBLIQUE TOGOLAISE (2013)
CCIELR à la page 141, où elle a affirmé que le droit à la défense fait partie
intégrante du procès équitable et que, tout comme le droit à la présomption
d’innocence, le droit à la défense est surtout une exigence fondamentale de
toute procédure judiciaire au cours de toutes ses phases. Vu sous cet angle, on
peut considérer que le droit à la défense n’implique pas seulement que les
deux parties soient entendues, mais aussi que la personne poursuivie devant
le tribunal choisisse librement la personne qui la défendra, à moins qu’elle ne
soit obligée de choisir son conseil sur une liste d’avocats officiellement
établie.
78.Sur la base des faits et des preuves, la Cour juge que le droit à la présomption
d’innocence des requérants a été violé par le défendeur et conclut ainsi.
c. Sur la question de savoir si les requérants ont droit à une indemnisation
comme réclamé
Argumentation de la partie requérante $ de 79.Les requérants prient la Cour de constater que les violations commises leur
ont causé un préjudice énorme qui mérite réparation judiciaire et financière.
En outre, que la Cour ordonne que le défendeur abandonne les charges contre
les requérants et accorde à chaque requérant la somme de cent millions (100
000 000) de francs CFA pour toutes les formes de dommages.
80.La partie requérante soutient que si la Cour a constaté des violations des droits
de l’homme, elle ordonnera une indemnisation juste et équitable.
Argumentation du défendeur
81.Le défendeur réfute la demande d’indemnisation des requérants et prie la Cour
de rejeter cette demande car elle n’est pas étayée par des preuves. Il soutient
que les prétentions en droit doivent être étayées par des preuves et que
l’absence de telles preuves devrait justifier le rejet de la demande par la Cour.
Analyse de la Cour
82.La Cour note que si les requérants demandent une indemnisation pour les
actes qu’elle a qualifiés de violations, ils lui demandent également d’ordonner
à la partie défenderesse d’abandonner les charges retenues contre eux. Le
défendeur, quant à lui, considère que la demande d’indemnisation doit être
étayée et que les requérants n’ont pas réussi à le faire, ce qui justifie le rejet
des demandes par la Cour.
83.Dans sa décision, la Cour considère qu’elle doit déterminer l’indemnisation
sur la base de ses jugements antérieurs et examiner si elle peut ordonner
l’abandon des charges comme le réclament les requérants.
84.La Cour insiste sur le fait que les actes internationalement illicites ont des
conséquences juridiques, c’est-à-dire que les Etats sont tenus de réparer les actes jugés contraires à l’article 31 du projet d'articles sur la responsabilité
de l’État pour fait internationalement illicite. Adopté par la Commission du
droit international à sa cinquante-troisième session en 2001. Cet ensemble
de règles non contraignantes indique que les violations graves des pactes
internationaux sont censées entraîner des conséquences. En outre, l’État est
censé coopérer aux décisions qui permettront de mettre fin à une violation des
garanties fondamentales en vertu du droit international.
85.La Cour a précédemment jugé dans l’'ARRÊT HEMBADOON CHIA & 7
AUTRES c. REPUBLIQUE FEDERALE DU NIGERIA N °:
ECW/CCJ/JUD/21/18 à la page 33 que le principe général de droit selon
lequel toute violation d’une obligation internationale ayant produit un
dommage entraîne l’obligation de réparer. En outre, la Cour a également
précisé dans une décision antérieure sur la nature des réparations dans l’affaire
Y AQ & UN AUTRE c RÉPUBLIQUE DU GHANA (2014)
CCIJELR, page 115, que la réparation est un recours centré sur la victime et
axé sur la réparation du préjudice causé par des actes répréhensibles. Elle
poursuit en indiquant qu’outre la réparation du préjudice, l’objectif est
également d’indemniser les victimes pour les pertes qu’elles ont subies.
86.La Cour note que les faits de la présente affaire montrent que les premier et
troisième requérants sont victimes de la violation du droit à l’assistance d’un
avocat et du droit à un procès équitable, neutre et contradictoire, ainsi que du
droit à la présomption d’innocence dans le cadre de l’enquête préliminaire.
La Cour a examiné les observations des parties et constate que la deuxième
requérante n’était en aucune manière liée à la violation, les accusations
portées contre elle ayant été portées après la conclusion de l’enquête
préliminaire au cours de laquelle lesdites violations se sont produites. En
l’espèce, la décision de la Cour concernant le droit à réparation est que les premier et troisième requérants ont droit à une réparation sous la forme d’une
indemnisation pour la violation de leurs droits.
87.Dans cette optique, la Cour note que les requérants demandent cent millions
(100 000 000) de francs CFA à titre de dommages-intérêts pour toutes les
réclamations à l’égard de chaque requérant. La Cour juge nécessaire de
déclarer que la réparation est un moyen symbolique de reconnaître le tort
causé et un engagement à veiller à ce qu’une répétition soit dissuadée. Par
conséquent, si le montant des dommages-intérêts n’est pas soigneusement
plaidé devant la Cour par la partie requérante, la Cour a le pouvoir
discrétionnaire d’accorder les dommages-intérêts qu’elle juge appropriés. En
l’espèce, après avoir disjoint la deuxième requérante et noté que les premier
et troisième requérants n’ont pas spécifiquement plaidé les détails des
dommages, la Cour accorde aux premier et troisième requérants dix millions
(10 000 000) de francs CFA à titre d’indemnisation pour les prétentions jugées
violées.
88.En ce qui concerne la demande d’ordonnance enjoignant au défendeur
d’abandonner les poursuites, la Cour est encline à donner le raisonnement
suivant. Pour trancher les affaires, elle est tenue par la loi d’agir
conformément à son mandat qui, en l’occurrence, est l’article 9 (4) du
Protocole additionnel (supra). Le traitement de toutes les demandes dans la
présente affaire s’inscrit dans le contexte d’une violation de l’obligation du
défendeur en vertu des traités fondamentaux relatifs aux droits de l’homme.
La Cour n’a pas le pouvoir de décider de l’application des lois dans les États
membres et peut seulement déterminer si le processus d’application est
conforme à ses obligations. Etant donné que le défendeur a violé ses
obligations, ce qui a entraîné une violation, une ordonnance a été rendue en
vue de l’octroi d’une indemnité à une partie des requérants qui peuvent être
“es liés à la violation. À la lumière de ce qui précède, la Cour prie le défendeur
de respecter les obligations qu’il a contractées en vertu des traités
fondamentaux et de protéger les droits et libertés de ses citoyens.
89.Par conséquent, la Cour estime qu’elle ne peut pas ordonner l’abandon des
charges contre les requérants, car elle considère que cet acte ne relève pas de
sa compétence. La Cour en juge donc ainsi.
XI. LES DEPENS
90.La Cour note que, d’une part, les requérants ont demandé des dépens en vertu
de l’article 66 (2) du Règlement de la Cour. D’autre part, le défendeur a
également demandé que les dépens soient adjugés contre les requérants.
91.Eu égard à la portée de l’article 66 (2) du Règlement de la Cour et s’appuyant
sur sa jurisprudence dans l’affaire Af C AS c.
REPUBLIQUE DU NIGER ARRÊT N: ECW/CCJ/JUD/30/23 (NON
PUBLIÉ) où la Cour a réitéré l’article 66 (2) du Règlement et a jugé que « … le
défendeur paie les dépens à calculer par le Greffier de la Cour».
92.La Cour ordonne que les dépens à l’encontre du défendeur soient calculés par
le Greffier en chef de la Cour.
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux
parties:
Sur la compétence:
i. Dit qu’elle est compétente. f de Sur la recevabilité
ii. Déclare la requête recevable.
Sur le fond :
iii Constate une violation de l’article 7 de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples, de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
iv. Rejette toutes les autres demandes.
Sur les réparations:
v. Ordonne le paiement de dix millions (10 000 000 FCFA) de francs aux
premier et troisième requérants respectivement, à titre de dommages-intérêts.
vi. Ordonne au défendeur de respecter l’application cohérente de ses obligations
en vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et de faire rapport à la Cour
dans un délai de six (6) mois sur les mesures prises à cet égard.
DES DÉPENS:
vii. Ordonne que le défendeur paie les dépens à calculer par le Greffier de la Cour.
Hon. Juge Dupe ATOKI
Hon. Juge Sengu M. KOROMAJudge Rapporteur
Hon. Juge Ricardo GONCALVES Dr. Aa X - Greffier en chef
Fait à AJ, le 15 décembre 2023 en anglais et traduit en français et en portugais.