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15/12/2023 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/59/23

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 15 décembre 2023, ECW/CCJ/JUD/59/23


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICGA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
AX Y AP ET ALASSANE LO c. REPUBLIQUE
DU SENEGAL
Affaire N° : ECW/CCJ/APP/36/21 Arrêt N°. ECW/CCJ/JUD/59/23
ARRÊT
AT
15 décembre 2023
Plot 1164 Ad Al Ae, Gudu District, AT Ap.
www.courtecowas.org ARRET N°. ECW/CCJ/JUD/59/23 1. AX Y AP 2. ALASSANE LO
RÉPUBLIQUE DU SENEGAL
COMPO

SITION DE LA COUR :
Hon. Juge Dupe ATOKI
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA
Hon. Juge Claudio Monteiro ...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICGA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
AX Y AP ET ALASSANE LO c. REPUBLIQUE
DU SENEGAL
Affaire N° : ECW/CCJ/APP/36/21 Arrêt N°. ECW/CCJ/JUD/59/23
ARRÊT
AT
15 décembre 2023
Plot 1164 Ad Al Ae, Gudu District, AT Ap.
www.courtecowas.org ARRET N°. ECW/CCJ/JUD/59/23 1. AX Y AP 2. ALASSANE LO
RÉPUBLIQUE DU SENEGAL
COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Dupe ATOKI
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA
Hon. Juge Claudio Monteiro GONÇALVES
ASSISTÉS DE :
Madame An BA -REQUERANTS
- ÉTAT DÉFENDEUR
- Présidente
- Membre/ Rapporteur
- Membre
- Greffière REPRÉSENTATION DES PARTIES :
Maître Assane Dioma NDIAYE - Avocat du REQUÉRANT
Yare FALL
Amadou Ac Af
M. Ab Ao B - Avocat du DÉFENDEUR
Mme Aq AH (AS #24 1. La Cour de justice de la Communauté, CEDEAO (ci-après dénommée « la
Cour »), siégeant en audience publique virtuelle, conformément à l’article 8(1)
des Instructions pratiques sur la gestion électronique des affaires et audiences
virtuelles de 2020 rend l'arrêt dont la teneur suit :
IL DÉSIGNATION DES PARTIES
2. Le premier requérant est M. AX Y AP, citoyen de l'Etat du
Sénégal.
3. Le deuxième requérant est M. Ak AS, citoyen de la République du Sénégal.
4. Le défendeur est la République du Sénégal, un État membre de la CEDEAO.
5. La présente requête est fondée sur des allégations de violations des droits de
l'homme, en particulier les droits à un procès équitable et à la présomption
d'innocence, le droit à une indemnisation et le principe de l'égalité devant la loi,
perpétrées par l'Etat défendeur contrairement à ses obligations en vertu de divers
traités fondamentaux relatifs aux droits de l'homme.
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
6. Les requérants ont déposé leur requête introductive d'instance le 9 juillet 2021,
au greffe de la Cour. ar 1 se # 7. Le défendeur a déposé son mémoire en défense le 15 août 2021, au greffe de la
Cour.
8. Le 6 septembre 2021, les requérants ont déposé une réplique au mémoire en
défense du défendeur, au greffe de la Cour.
9. La Cour a tenu une audience virtuelle le 11 mai 2023, à laquelle le requérant était
absent et non représenté par un avocat. Cependant, le défendeur était présent à
travers son avocat. La Cour a ajourné l'affaire pour audition à une autre date.
10.Une deuxième audience virtuelle a été tenue par la Cour le 18 mai 2023, au cours
de laquelle le requérant était absent et non représenté alors que le défendeur était
présent à travers son avocat. La Cour, notant que les pièces de procédure des
requérants étaient déjà devant elle, a autorisé le défendeur à présenter ses
arguments et a mis l'affaire en délibéré.
LES FAITS SELON LE REQUERANT
a) Résumé des faits
11. Les requérants affirment avoir été arrêtés le 12 décembre 2011 et inculpés pour
association de malfaiteurs et meurtre précédé ou accompagné d’un autre crime.
A la suite de leur détention, ils ont été déférés devant la première Chambre
criminelle du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Dakar qui les a
acquittés des charges par jugement n° 77/2019 du 16 juillet 2019.
12.Ils affirment avoir engagé une procédure devant la Commission d’indemnisation
des personnes ayant fait l’objet d’une décision de détention provisoire
anormalement (ci-après dénommée la Commission d'indemnisation ou la
Commission) peu de temps après avoir été acquittés. Cette Commission a été créée pour garantir les droits des parties à la suite d’une décision définitive de
non-lieu, de relaxe ou d’acquittement aux fins d’indemnisation.
13.Les requérants affirment également qu'au moment de leur arrestation, ils étaient
les gagne-pains de leurs familles, y compris les familles élargies. Ils prétendent
être des commerçants qui réalisaient d’importants chiffres d’affaires au moment
de leur arrestation. Cependant, ils ont été détenus pendant huit (8) ans sans
procès, ce qui a entraîné une rupture de leurs activités commerciales et plongé
leurs familles dans un état de dénuement total. De plus, le premier requérant n'a
pu voir son dernier fils né qu'au début de sa détention.
14. Le fondement de leur réclamation est que malgré le fait qu'ils remplissaient
toutes les conditions d'éligibilité pour obtenir une indemnisation devant être
accordée par la Commission d'indemnisation, conformément à la loi organique
sur la Cour Suprême, leur demande a été rejetée par ladite Commission dans la
décision N°02/CS/CI/2021 ; tandis que celles d'autres personnes dans des
circonstances similaires ont été payées. En conséquence, les requérants affirment
que l'Etat défendeur a violé leurs droits fondamentaux tels qu'ils sont consacrés
et garantis par la Constitution du Sénégal et toutes les conventions pertinentes
relatives aux droits de l'homme.
b) Moyens de droit
15. Les requérants invoquent les moyens de droit suivants :
e Articles 3, 7, 9, 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme (DUDH).
e Articles 9 (1) et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (ci-après le PIDCP). $ up é- e Articles 6 et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples (CADHP).
e Section M (3a) des Principes sur les procès équitables en Afrique.
e Principe n° 38 de l'Ensemble de principes pour la protection de
toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention
ou d'emprisonnement, adopté par l'Assemblée générale dans sa
résolution 43/173 de décembre 1998.
e Article 107 de la loi organique sur la Cour Suprême du Sénégal.
c) Conclusions des Requérants
16. Sur la base des prétentions et moyens de droit qui précèdent, les requérants
demandent à la Cour les réparations suivantes :
« En la forme :
e Déclarer la requête recevable
e Se déclarer compétente pour en connaitre.
Au fond
e Constater la violation par l’Etat du Sénégal de leurs droits
fondamentaux ;
e Condamner l’Etat du Sénégal à payer la somme de
500.000.000 F CFA à chacun des requérants à titre de
réparation ;
e Condamner en outre l’Etat du Sénégal aux entiers dépens.
VI LES FAITS SELON LE DEFENDEUR 17.Le défendeur expose les faits et les réparations demandés tels que présentés par
les requérants et soumettent leur mémoire en défense par la suite.
18.Le défendeur affirme que la détention du premier requérant n'est ni arbitraire ni
illégale et que les requérants n'ont pas développé leur argumentation à l'appui de
leur demande. En outre, même si la détention des requérants peut être qualifiée
de longue durée, cela ne suffit pas pour autant pour en inférer un cas de violation
du droit d’être jugé dans un délai raisonnable imputable à l’Etat du Sénégal.
19.Le défendeur soutient qu'il n'y a pas eu violation de la présomption d'innocence
et réfute l'affirmation des requérants selon laquelle ils ont été présentés comme
des meurtriers par la presse, en raison d'un manque d'informations sur l'enquête.
20.En ce qui concerne la réclamation des requérants pour violation du droit à
indemnisation, le défendeur affirme que les procédures de la réclamation sont
soumises à l'approbation de la Commission d'indemnisation. Cette Commission
exige qu'une demande démontre en quoi la détention a causé un préjudice
manifestement anormal et particulièrement grave au plaignant. Dans la présente
instance devant la Commission d'indemnisation, les exigences cumulatives n'ont
pas été respectées. Par conséquent, la Commission d'indemnisation a rejeté la
demande des requérants. Par conséquent, le défendeur soutient que la demande
de violation doit être rejetée par la Cour.
21.Enfin, le défendeur réfute l'allégation de violation du principe de l'égalité des
citoyens devant la loi. Il est soutenu que la loi organique sur la Cour Suprême
n'exigeait pas qu'une raison soit donnée pour rejeter une demande
d'indemnisation. Le défendeur soutient donc que les requérants ont manqué de
présenter leurs demandes en bonne et due forme et prie la Cour de les déclarer
non fondées. 5 À | b) Conclusions de l'Etat défendeur
22.Le défendeur, en conséquence de sa défense, prie la Cour de céans d'accorder les
réparations suivantes :
En la forme ;
e Se prononcer sur la recevabilité en tant que question de droit.
Au fond
e Déclarer non établies les violations des droits de l’Homme
alléguées par les requérants ;
e Rejeter leurs demandes comme non fondées
e Mettre les dépens à la charge des requérants.
23. Dans leur réplique au mémoire en défense du défendeur, les requérants ont
réitéré toutes les allégations contenues dans leur requête introductive d'instance
et les réparations demandées devant la Cour.
24. La Cour note que les allégations des requérants portent sur des violations des
droits de l'homme commises dans l'État du défendeur, contrairement à plusieurs
dispositions des pactes internationaux et régionaux. La Cour note également que
le défendeur n'a pas contesté la compétence de la Cour pour connaître de l'affaire.
25. Pour déterminer si elle est compétente pour statuer sur la présente affaire, la Cour
s'appuiera sur son mandat en vertu de l'article 9 (4) du Protocole additionnel
(A/SP.1/01/05) modifiant le Protocole (A/P1/7/91) relatif à la Cour de justice de la Communauté. Cette disposition habilite la Cour à entendre et à statuer sur les
cas de violations des droits de l'homme dans tout Ftat membre. En donnant effet
à ce mandat, la Cour a, dans sa jurisprudence, articulé l'application de l'article 9
(4) du Protocole additionnel (supra). Par conséquent, dans le cas THE
REGISTERED TRUSTEES OF THE SOCIO-ECONOMIC RIGHTS &
ACCOUNTABILITY PROJECT (SERAP) & 10 AUTRES c. LA
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA & 4 AUTRES (2014) RJ CIC à la
page 249, la Cour a jugé que la simple allégation selon laquelle il y a eu violation
des droits de l'homme sur le territoire d'un État membre est suffisante, à première
vue, pour justifier la compétence de la Cour sur le litige. Certes, cela est sans
préjudice du fond et du bien-fondé de la plainte qui ne doit être tranchée qu'après
que les parties ont eu la possibilité de présenter leurs arguments, avec toutes les
garanties d'un procès équitable.
26.En l'espèce, la Cour, ayant examiné l'objet sur lequel les demandes sont fondées,
et ne constatant aucune objection de sa compétence de la part de l'Etat défendeur,
se déclare compétente pour entendre et statuer sur les demandes en l'espèce.
27.Pour la Cour, une requête pour violation des droits de l'homme n'est recevable
que lorsqu'elle satisfait à l'exigence de l'article 10 (d) du Protocole additionnel.
L'article 10 (d) dispose que : « Toute personne victime d'une violation des droits
de l'homme peut saisir la Cour ; la requête présentée à cet effet : (i) ne sera pas
anonyme ; (ii) ne sera pas portée devant la Cour de justice de la Communauté
lorsqu'elle a déjà été portée devant une autre Cour internationale compétente. »
Il est de pratique bien établie qu'un individu victime d'une violation présumée des droits de l'homme peut saisir la Cour à condition que la requête ne soit ni
anonyme ni pendante devant une autre Cour internationale.
28.En l'espèce, les requérants ont introduit la demande conformément à l'article 33
du Règlement de la Cour qui établit que la requête n'est pas anonyme. En outre,
la Cour, après avoir examiné les observations dont elle est saisie, conclut qu'il n'y
a aucune preuve que la demande est pendante devant une autre Cour
internationale.
29.Sur la base des conclusions qui précèdent, la Cour déclare la requête recevable,
et en conclut ainsi.
X. SUR LE FOND
30.La Cour a examiné les observations des parties aux présentes et les questions en
litige à savoir :
e La violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
e La violation de la présomption d’innocence
e La violation du principe d'égalité devant la loi
e La violation du droit à réparation.
31.Dans sa décision, la Cour examinera les prétentions dans l'ordre dans lequel elles
ont été examinées.
a. Sur la question de savoir s'il y a eu violation du droit d'être jugé
dans un délai raisonnable
Arguments du requérant
32.Les requérants affirment avoir été placés en garde à vue le 12 décembre 2011 et
déférés à la Chambre criminelle pour jugement par ordonnance du Doyen des Juges du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Dakar, le 7 mai 2019. La
période entre l'arrestation et l'acquittement est de huit (8) ans. Leur demande
porte sur une période de détention provisoire de huit (8) ans, au cours de laquelle
plusieurs demandes de mise en liberté provisoire ont été systématiquement
rejetées par les juges, ce qui constitue une violation de leurs droits à être jugés
dans un délai raisonnable et de leur droit à un procès équitable.
33.Les requérants prétendent essentiellement que les actions du défendeur violent
les instruments internationaux de protection des droits de l'homme.
Arguments du défendeur
34.Le défendeur, en réfutant la demande des requérants à cet égard, déclare que la
période de détention anormalement longue ne pouvait justifier une violation du
droit à un procès équitable et la violation du droit d'être jugé dans un délai
raisonnable. Il affirme que la procédure ayant conduit à l'arrestation et à la
détention des requérants était grave et comprenait le meurtre et l'association des
malfaiteurs en vue de commettre une infraction pénale. Par conséquent, le
défendeur affirme que la période de détention (c'est-à-dire huit (8) ans) est
justifiable car le juge avait besoin de temps pour examiner les réclamations et les
preuves et établir s'ils avaient commis les infractions pour lesquelles ils étaient
Analyse de la Cour
35.La base légale de cette requête, telle que présentée par le requérant, est l'article 7
(1) (d) de la CADHP qui dispose que « Tout individu a le droit de faire entendre
sa cause. Cela comprend…le droit d'être jugé dans un délai raisonnable. » 36.La Cour note que l'importance de cette disposition a été articulée de manière
éloquente dans l'affaire AR X AP c. RÉPUBLIQUE DU
MALI, ARRÊT N ° : ECW/CCJI/JUD/14/18 à la page 14 où la Cour a jugé que
« la raison d'être de l'exigence de « délai raisonnable » avant de la restituer
dans son contexte : les adages tant français: « justice rétive, justice fautive »
qu'anglais «justice delayed, justice denied », exprime de manière frappante la
raison d'être de l'exigence de célérité dans les procédures judiciaires, tant
nationales qu'internationales ». En outre, dans LA FÉDÉRATION DES
JOURNALISTES AFRICAINS & 4 AUTRES c. RÉPUBLIQUE DE GAMBIE,
ARRÊT N° : ECW/CCI/JUD/04/18 à la page 54, la Cour a statué que « Une
personne détenue pour une accusation pénale a le droit d'être jugée dans un délai
raisonnable ou d'être libérée en attendant son procès ».
37.En l'espèce, la Cour note l'affirmation selon laquelle le droit des requérants d'être
jugés dans un délai raisonnable a été violé, et la défense du défendeur selon
laquelle le retard était fondé sur la nécessité d'enquêter sur les accusations. La
Cour note également que la période de détention des requérants s'étend sur huit
(8) ans, à compter de la date de l'arrestation jusqu'au procès et à l'acquittement,
tandis que la défense du défendeur selon laquelle les procédures contre les
requérants étaient fondées sur le meurtre et l'association de malfaiteurs en vue de
commettre une infraction pénale qui sont des infractions très complexes. Elle note
également que l'argument du défendeur à cet égard est que le juge d'instruction
est tenu de prendre le temps d'établir les faits et les preuves.
38.La jurisprudence bien établie de la Cour, qui a traité de manière exhaustive du
droit d'être jugé dans un délai raisonnable, mentionnée ci-dessus, établit
incontestablement que ce droit est fondé sur le principe de justice naturelle. La
Cour s'aligne non seulement sur sa jurisprudence, mais également sur celle de la
décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire AY c. AUTRICHE (1969) (Ser A) 40 (1969), dans laquelle il a été
jugé, lors du procès d'un accusé, que celui-ci doit être conduit dans un délai
raisonnable afin d'éviter que ledit accusé ne soit dans un état d'incertitude quant
à son sort. De la même manière, la décision de la Commission africaine dans
l'affaire BC c. RÉPUBLIQUE DE GAMBIE (2000) AHRLR 107
(CADHP (2000) au paragraphe 68) énonce en outre la garantie en déclarant que
la loi de l'État qui donne le pouvoir de détenir toute personne sans procès
équitable pendant une période maximale de six mois, avec la possibilité de
prolongation à l'infini, est un exercice pur et simple du pouvoir. Le raisonnement
de la Commission africaine est que cela rend la disposition consacrée à l'article 7
(d) de la CADHP sans valeur et, par conséquent, elle s'est prononcée contre l'acte
du défendeur.
39.La Cour, dans son examen de l'article 7 (1) (d) de la CADHP, note que la CADHP
ne définit pas ce qui constitue un « délai raisonnable » dans le cadre de son article
7. Cependant, la Cour s'appuiera fermement sur sa jurisprudence, en particulier
sont jugement dans l'affaire COL. AX AO AW (RTD) c.
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA (2016) RJ CIC page 33-34 où elle a
jugé que « le soupçon d'avoir commis une infraction ne justifie pas une détention
indéfinie. En vertu du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte, le suspect a le droit
d'être jugé « dans un délai raisonnable ou d'être libéré » en attendant son procès.
La liberté est la règle, la détention doit être l'exception. » Le principe 38 de
l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à
une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, résolution 43/173 de
l'Assemblée générale du 9 décembre 1988, stipule également que « foute
personne détenue pour une infraction pénale a le droit d'être jugée dans un délai
raisonnable ou d'être libérée en attendant son procès ». £ | L Ç 40.Le critère de référence de la Cour dans l'analyse de la réclamation est basé sur sa
propre jurisprudence et la jurisprudence d'autres tribunaux internationaux, le
droit coutumier et le droit non contraignant. Cela nécessite que la Cour souligne
qu'être jugé rapidement est la clé pour préserver le droit fondamental à la liberté
qu'une détention déraisonnable constitue. La détention d'un individu pendant le
procès doit être l'exception et non la règle, donc toute détention prolongée sans
base légale est une violation possible.
41.Ce qui est évident pour la Cour, c'est que les requérants en l'espèce ont été en
détention pendant une période de huit (8) ans, ce fait est incontesté par l'Etat
défendeur. Cependant, ce qui est contesté, c'est l'affirmation selon laquelle ce
délai est déraisonnable et constitue une violation de l'article 7 (1) (d) de la
CADHP. Les requérants, d'une part, affirment catégoriquement que huit (8) ans
sont une longue période de détention, car ils ont perdu leurs moyens de
subsistance et leurs familles sont devenues démunies. Alors que le défendeur,
d'autre part, prétend au contraire que ce délai était nécessaire au juge pour établir
les charges. Cependant, la Cour note que les charges ont été abandonnées et que
les requérants ont été libérés après huit (8) ans de détention.
42.Sur la base de sa jurisprudence selon laquelle un détenu doit être jugé dans un
délai raisonnable ou libéré, comme dans l'arrêt COL. AX AO
AW (supra), la Cour conclut que la défense du défendeur est contraire aux
principes d'un procès équitable consacrés à l'article 7 (1) (d) de la CADHP.
D'autant plus qu'elle estime que le défendeur n'a avancé aucune base légale pour
un tel écart par rapport à ce qui pourrait être perçu comme raisonnable. Dans
l'affaire AK AV c. TOGELESE REPUBLIC (2013) RJ CIC,
page 189 $65, cette Cour a jugé que « …l'inaction des autorités judiciaires
Togolaises pour instruire les plaintes des requérants et examiner leur cause
conformément au droit Togolais, depuis 3 ans et 4 ans pour certains, voire 7 ans pour d'autres, a abouti à une situation dans laquelle il est patent de dire que le
droit des requérants à voir leur cause examinée dans un délai raisonnable a été
violé ».
43.Ayant soigneusement élucidé la nécessité de normes de procès équitable et
l'intention de caractère raisonnable, et compte tenu de la période de détention des
requérants qui a abouti à une libération, la Cour juge qu'il y a eu violation. En
conséquence, la Cour estime que le droit des requérants à être jugés dans un délai
raisonnable tel que garanti par l'article 7 (1) (d) de la CADHP a été violé.
b. Sur la question de savoir si le droit des requérants à la présomption
d'innocence a été violé
Arguments du requérant
44.Les requérants affirment que l'ordonnance de détention du 12 décembre 2011 a
fait en sorte que la presse les dépeigne comme des meurtriers. En outre, les
enquêteurs ont fourni des informations censées être secrètes à la presse en
violation du secret de leur enquête. La conséquence de la fuite dans la presse était
que la publication avait jeté une mauvaise lumière sur les requérants aux yeux du
public, car ils étaient considérés comme coupables de meurtre, avant même le
procès.
45.Ils se sont appuyés sur l'affaire Ag Z C & 5 AUTRES c.
RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL, ARRÊT N ° : ECW/CCI/JUD/17/18 à la page
47 dans lequel la Cour a réaffirmé que le souci du droit des citoyens à
l'information ne peut justifier une violation de la présomption d'innocence. Les
requérants en l'espèce soutiennent qu'en mettant à la disposition de la presse les
faits de l'enquête, le défendeur a violé leurs droits à la présomption d'innocence.
Arguments du défendeur
46. Le défendeur nie être responsable de la fuite à la presse.
47.Le défendeur affirme que le juge d'instruction et l'agent de la justice ont
scrupuleusement respecté les règles régissant les enquêtes judiciaires et n'ont été
ni directement ni indirectement impliqués dans une quelconque couverture
médiatique de l'accusation du requérant. Cependant, il reconnaît que l'accusation
portait sur un meurtre qui porte atteinte à l'ordre public et que la presse a le devoir
d'informer le public sur les personnes accusées.
48. En outre, le défendeur affirme que sa législation en vigueur garantit le secret et
l'intégrité de la procédure par le biais de l'article 11 du Code de procédure pénale
du Sénégal. Il soutient que la jurisprudence de KHALIFA SALL (supra),
invoquée est contraire à ce que soutiennent les requérants. La Cour avait plutôt
critiqué le défendeur pour avoir permis à une autorité judiciaire de prendre
position publiquement sur une affaire en cours. Le défendeur soutient qu'en
l'espèce, ni lui ni ses agents n'avaient fait de déclarations publiques jusqu'à la
conclusion de l'enquête. Le défendeur prie la Cour de rejeter la demande.
Analyse de la Cour
49. La question dont la Cour est saisie ici est de savoir si le droit à la présomption
d'innocence a été violé. Cette demande a été introduite en vertu de l'article 7 (1)
(b) de la CADHP qui dispose que « Tout individu a le droit de faire entendre sa
cause. Cela comprend…le droit d'être présumé innocent jusqu'à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente ». Cette disposition
confère le droit de juger un accusé par un tribunal compétent ; cela peut inclure
des organes judiciaires légalement constitués ou des organes quasi judiciaires.
50.La Cour note que le contexte de la demande est que l'enquête des requérants a été
divulguée à la presse, prétendument par le défendeur, permettant au public de se
faire une opinion que les requérants étaient coupables des accusations. Cette
prétention est réfutée par le défendeur qui affirme que l'officier de police
judiciaire et le juge d'instruction en charge de la procédure ont scrupuleusement
respecté les règles régissant les enquêtes judiciaires et n'ont été ni directement, ni
indirectement impliqués dans une quelconque couverture médiatique de la
détention des requérants. La Cour note également l'affirmation du défendeur
selon laquelle les requérants n'ont pas fourni la preuve que les autorités judiciaires
ont divulgué les informations à la presse.
51.Dans sa détermination, la Cour examine l'affaire pour établir ce qui constitue la
demande et la bonne articulation, en particulier dans l'affaire BB AM c.
BURKINA FASO (2012) RJ CIC à la page 281 où elle a jugé qu '« …/a violation
du droit à la présomption d'innocence ne peut être imputé à un Etat que pour
autant qu’il est établi que ses propres agents par leurs actes ont fait apparaître
un individu comme « coupable » des faits qui lui sont reprochés et ce avant tout
jugement ». Par conséquent, sur la base de sa jurisprudence, la Cour doit extraire
de la présente demande les éléments de preuve établissant que le défendeur/les
agents ont causé la fuite. Ainsi, dans DJOT BAYITALBIA & 14 AUTRES c.
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA (2009) RJ CJC à la page 34, la Cour
a jugé que le fait que le défendeur ait présenté les requérants devant la presse
alors qu'aucun juge ou tribunal ne les avait déclarés coupables constituait une
violation du principe de la présomption d'innocence.
52.11 est de droit commun que le devoir du requérant de prouver que le défendeur a
revélé à la presse des informations sur l'enquête doit être acquitté pour que la
Cour puisse déterminer la véracité de la demande. La justification est enracinée
dans la décision de la Cour dans l'affaire M. AU AI AG AZ BE (2017) RJ CIC à la page 8 où elle a jugé que « de simples déclarations,
même émanées d'hommes politiques, ne suffisent pas à constituer une violation
de la présomption d'innocence. Une telle violation se déduit de faits précis et de
préjudices soufferts, notamment en cours de procédure, et non de simples
propos ».
53.La Cour estime que l'obligation de preuve en l'espèce n'a pas été remplie avec des
preuves non contestées comme l'exige la loi ; la Cour a jugé dans OUSAINOE
DARBOE & AUTRES c. RÉPUBLIQUE DE GAMBIE, ARRÊT N °:
ECW/CCI/JUD/01/20 (NON PUBLIÉ) à la page 23 que « La preuve est ce qui
permet d'établir la valeur de vérité ou de fausseté, en ce qui concerne une
déclaration ou un fait qui est pertinent sur le plan judiciaire. À cette fin, il est
soutenu que de simples affirmations ne constituent pas une preuve ». Ainsi, si les
faits soumis sont dépourvus de preuves pour établir la survenance de la violation,
la demande est réputée non prouvée et la charge de la preuve non acquittée. Dans
toutes les réclamations pour violations, il incombe à la personne qui fait
l'affirmation de prouver ; lorsque cela est fait, la charge est transféré au
défendeur. (Voir FESTUS A.0. OGWUCHE c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU
NIGERIA, ARRÊT N ° : ECW/CCJ/JUD/02/18 (NON PUBLIÉ) à la page 33.)
54.A la lumière de ce qui précède, la Cour souligne que la charge d'établir que la
fuite des informations sur l'enquête sur les requérants par le défendeur/agent, n'a
pas été acquitté. Par conséquent, la Cour conclut qu'il n'y a pas eu violation de
l'article 7 (1) (b) de la CADHP tel que revendiqué et rejette la demande pour
défaut de preuve.
c. Sur la question de savoir si le droit du requérant au principe de
l'égalité devant la loi a été violé J ; + Arguments du requérant
55. Les requérants exposent ce moyen en déclarant que le refus d'indemnisation à la
Commission d'indemnisation constitue une violation de leur droit à l'égalité
devant la loi. Ils soutiennent que la Commission s'est réunie le 30 mars 2021 pour
statuer sur l'indemnisation des demandes des victimes suivantes de la détention
provisoire suivie de l'acquittement :
e Le sieur Am Aa détenu le 11 octobre 2014 et acquitté le
22 octobre 2019 soit après 5 ans et 10 mois de détention ;
e Le sieur Ah Aj détenu le 21 août 2013 et acquitté le 02
juillet 2019 soit près de 6 ans de détention ;
e Ft Messieurs AX Y AP et Alassane Lo détenus le
12 décembre 2011 et acquittés le 16 juillet 2019, soit 7 ans 6 mois
et 16 jours de détention ;
56.C'est dans ce contexte que les requérants sollicitent que la Cour déclare que le
défendeur a violé son droit lorsque la Commission d'indemnisation a répondu
favorablement aux appels interjetés par Am Aa et Ah Aj
qui se trouvaient dans la même situation mais ont refusé la leur. Cela même si
lesdites personnes ont été maintenues en détention provisoire pendant des
périodes plus courtes que les requérants, avant leur libération. Les requérants
rappellent en effet, que les cas soumis à la commission étaient relatifs à la
réparation d’une atteinte injustifiée à la liberté par une détention provisoire
anormalement longue. Par conséquent, les requérants invoquent une violation car
le défendeur n'a pas justifié le refus de la Commission d'indemnisation de faire
droit à leurs demandes. £ ded &
Arguments du défendeur
57. Le défendeur nie l'accusation selon laquelle l'égalité des citoyens devant la loi a
été violée. En outre le défendeur indique que la loi créant la Commission
d’indemnisation ne contient et ne renferme en elle-même aucune disposition
discriminatoire, cette loi étant comme toutes les lois, générale, abstraite et
impersonnelle. Le défendeur affirme que l'appréciation de chaque affaire devant
la Commission d'indemnisation est laissée à la souveraineté des membres, qui
sont composés de juges expérimentés.
58.Le défendeur invoque l'article 109 de la loi organique portant création de la
Commission d'indemnisation qui stipule que « la Commission, à laquelle une
demande accompagnée de toutes les pièces justificatives est soumise dans les six
mois suivant la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue
définitive, rend une décision sans motivation, qui ne peut faire l'objet d'un
recours ».
59.Le défendeur prie la Cour de rejeter la demande.
Analyse de la Cour
60. La Cour note qu'une plainte pour violation du principe de l'égalité des citoyens
devant la loi implique par essence une certaine forme de discrimination. Ainsi,
les personnes qui s’en réclameraient le feraient en tant que victimes d'une forme
de discrimination. Le principe est garanti par l'article 4 de la CADHP, et la Cour
examinera suo motu la demande en vertu de cette disposition car le requérant n'a
pas expressément invoqué la base juridique.
61.Les faits montrent que les requérants se sont vu refuser une indemnisation après
avoir été libérés de leur détention et ils considèrent ce rejet comme un traitement défavorable ou discriminatoire, car d'autres personnes se trouvant dans des
circonstances similaires ont été indemnisées.
62.En examinant la demande, la Cour trouve des instructions dans sa jurisprudence,
en particulier dans l'affaire ABDOULAYE BALDE & AUTRES c.
RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL (2013) RJ CJC à la page 96, 136 $41, 65 la Cour
a déclaré que « La violation de l'égalité devant la loi résulterait donc de
l'accomplissement d'actes discriminatoires à l'encontre d'un citoyen par une
administration ou toute personne en autorité, actes qui pourraient être fondés
sur son sexe, sa race, son origine, sa nationalité, son appartenance ethnique, sa
religion. « Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi implique l'égalité
des citoyens devant l'application qui en est faite par une institution judiciaire, à
savoir que les citoyens justifiables se trouvant dans une situation identique
doivent être jugés par un même tribunal, selon les mêmes règles de procédure
juridique ».
63.Considérant la bonne articulation du principe d'égalité dans la jurisprudence
précitée, la Cour en déduit que la question dont elle est saisie est de savoir s'il y
a eu violation du principe d'égalité des citoyens devant la loi. En réponse à la
question, la Cour prend note de la défense du défendeur et de son recours à
l'article 109 de la loi organique portant création de la Commission
d'indemnisation. Cette disposition indique que les décisions émanant de cet
organe sont rendues sans motif. En outre, il est soutenu que cette Commission a
été créée par le défendeur dans le but de garantir les droits de l'homme
fondamentaux des parties. A la lumière du jugement n° 77/2019, rendu le 16
juillet 2019, dans lequel les requérants ont été absous des charges après une
période de huit ans de détention, la Cour se trouve confrontée à une question
cruciale. L'article 109 de la loi organique portant création de la Commission d'indemnisation est-il contraire aux normes relatives aux droits de l'homme et aux
obligations du défendeur en vertu du droit international ?
64. Avant de se pencher sur la réponse à la question, il est impératif que la Cour
déclare qu'elle n'a pas compétence pour statuer sur les réclamations relatives aux
lois existantes des États membres : MESSIEURS ABDOULAYE BALDE &
AUTRES c. RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL (2013) RJ CIC. Cependant, si les
dispositions des lois existantes sont contraires à l'obligation internationale de
l'État, en particulier celles concernant les droits de l'homme, elles relèvent de la
compétence de la Cour. Cela signifie simplement que la Cour traitera de la partie
qui concerne une contravention au fur et à mesure que l'obligation internationale
de l'État prévaudra. Ce faisant, la Cour n'a pris en considération que la partie du
droit existant de l'État défendeur qui conteste ses obligations en vertu de la
CADHP.
65.Sur cette base, la Cour constate que l'article 109 de la loi organique portant
création de la Commission d'indemnisation contrevient aux normes de procès
équitable telles que décrites à l'article 7 (1) de la CADHP, et à la garantie de
l'égalité de tous devant la loi en vertu de l'article 4 de la CADHP. La Cour
ordonne que l'article 109 de la loi organique portant création de la Commission
d'indemnisation soit réexaminé pour le rendre conforme aux obligations de l'État
défendeur.
66.En répondant à la question de savoir si l'article 109 de la loi organique portant
création de la Commission d'indemnisation est contraire aux normes des droits
de l'homme, la Cour répond par l'affirmative. Il est impératif de préciser que
lorsqu'une cour, un tribunal ou une commission judiciaire refuse à une partie le
raisonnement qui sous-tend une décision, le refus va à l'encontre des normes
d'équité du procès. En conséquence, la Cour juge que le rejet de la demande des requérants par la Commission d'indemnisation, sans raisonnement judiciaire, tout
en accordant à d'autres une indemnisation est discriminatoire et constitue une
violation du principe de l'égalité des citoyens devant la loi.
67.En outre, la Cour rappelle que le défendeur a l'obligation en vertu de l'article 1
de la CADHP de reconnaître les droits, libertés et devoirs consacrés dans la
CADHP et d'adopter des mesures législatives et autres qui leur donneront effet.
Par conséquent, l'article 7 (1) de la CADHP confère à une cour ou à un tribunal,
spécialisé ou ordinaire, l'obligation d'être indépendant, impartial dans
l'administration de la justice. La Commission africaine a en outre articulé cela
dans le cas des ORGANISATIONS DE LIBERTÉS CIVILES ET AUTRES c.
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA (2001) AHRLR 75 (CADHP 2001),
paragraphes 27 et 44, selon lesquels les tribunaux ad hoc devraient être soumis
aux mêmes exigences d'équité, d'ouverture, de justice, d'indépendance et de
procédure régulière que les tribunaux ordinaires.
68.La Cour s'inspire également des instructions de la Cour européenne des droits de
l'homme dans A AG AL, 19 avril 1993, CEDH, n ° 13942/88, où il a
été jugé que l'objectif de l'article 6 est notamment d'obliger les
tribunaux nationaux à « procéder à un examen approprié des observations,
arguments et preuves présentés par les parties, sans préjudice de son évaluation
de leur pertinence pour sa décision ». La position de la Cour européenne des
droits de l'homme transmet le message que sans l'examen des observations, des
arguments et des preuves des parties, les cours et les tribunaux ne seront pas en
mesure de parvenir à une décision pleinement motivée. La Cour considère donc
que si les observations des parties doivent être pertinentes devant une Cour et
l'aider à prendre une décision, le raisonnement qui sous-tend sa décision doit
également être considéré comme une nécessité pour les parties. C'est une question de transparence et d'impartialité que de soumettre le raisonnement qui
sous-tend une décision aux parties concernées dans tout litige.
69.En conséquence de l'analyse qui précède, la Cour déclare que le défendeur a violé
les droits des requérants au principe de l'égalité devant la loi tel que garanti par
l'article 4 de la CADHP.
d. Sur la question de savoir si le droit du requérant à a une
indemnisation a été violé.
Arguments du requérant
70.Les requérants invoquent l'article 9 (1) du PIDCP et l'article 107 de la loi
organique sur la Cour Suprême du Sénégal à savoir :
e Attendu que l’article 9 alinéa 1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques dispose que :« Tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation » ;
e L'article 107 de la loi organique sur la Cour suprême du Sénégal dispose que : « Sans préjudice d’autres voies de recours, une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, lorsque cette détention lui a causé un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité ».
71.Les requérants affirment que leur détention a entrainé de lourdes conséquences
sur leurs vies familiales parce qu’ils ont perdu non seulement leurs emplois mais
aussi toute considération dans la société. Ils ajoutent que leur moral a été atteint
par cette détention et aussi suite à la diffusion dans la presse des faits dont ils
avaient été accusés. Ils exposent que leur réinsertion dans la vie active et sociale semble compromise aux vues de la publicité faite au tour de leur affaire et compte
tenu du temps anormalement long qu’a duré leur détention provisoire. Ils
s’estiment lésés par la commission d’indemnisation qui a choisi de rejeter leur
demande d’indemnisation à la suite de leur acquittement par la justice et ce
d’autant plus qu’ils remplissent toutes les conditions requises pour bénéficier
d’une telle indemnisation conformément à l’article 107 de la loi organique sur la
Cour Suprême.
72.Enfin, les requérants déclarent que la Commission avait été mise en place par le
défendeur pour indemniser systématiquement tous les justiciables victimes d'une
détention provisoire anormalement longue s'ils avaient été acquittés ou avaient
vu leur affaire rejetée après une détention anormalement longue.
73. Les requérants soutiennent qu'en leur refusant une indemnisation, le défendeur
a violé leur droit à une indemnisation.
Arguments du défendeur
74.Le défendeur nie les allégations ci-dessous et justifie la décision de la
Commission d'indemnisation affirmant que le requérant ne remplissait pas les
conditions d'admissibilité. Plus particulièrement, le défendeur déclare que les
requérants ne remplissaient pas l'une des deux conditions cumulatives qui leur
permettent de bénéficier d'une indemnisation et invoque l'article 108 de la loi
organique de la Cour Suprême. Il soutient qu'en vertu de l'article 108 de la loi
organique, il ne suffit pas de justifier une décision de non-lieu, de relaxe ou
d'acquittement pour avoir légalement droit à une indemnisation. L’allocation de
celle-ci n’est guère systématique parce qu’il faudra en outre justifier d’ « une
détention ayant causé au requérant un préjudice manifestement anornial et d’une particulière gravité », notion laissée à l’appréciation souveraine des membres de
la Commission d’indemnisation.
Analyse de la Cour
75. En ce qui concerne la détermination de l'indemnisation en vertu des lois en
vigueur de l'État défendeur, la Cour considère que cela ne relève pas de sa
compétence. Dans l'affaire des HÉRITIERS DE FEU BD AL c.
REPUBLIQUE DU MALI (2016) RJ CIC à la page 306, la Cour de céans a jugé
qu'elle ne se prononce pas sur la légalité de la décision d'une juridiction nationale
au sens large, ni de la Cour d'appel ou de la Cour de cassation. La Cour a
récemment réitéré sa position dans L'AFFAIRE UNION DES EX-
FONCTIONNAIRES ET AGENTS DES POSTES ET
TÉLÉCOMMUNICATIONS contre REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE &
UN AUTRE. ARRÊT N° : ECW/CCI/JUD/15/20 à la page 9 où elle a jugé que :
« Il est important de faire remarquer que la jurisprudence de la Cour est
constante sur le fait qu’elle n’est pas une juridiction d'appel ou de cassation et
qu'elle n'interfère pas dans les procédures déjà jugées ou pendantes devant les
juridictions nationales sauf lorsqu’elle est saisie pour donner l’interprétation
d’une norme communautaire dans le cadre d’un renvoi préjudiciel ».
76.En conséquence, la Cour rejette l'allégation selon laquelle le droit à
indemnisation des requérants a été violé par la Commission d'indemnisation.
77.La Cour note que, d'une part, les réparations demandées par les requérants
comprennent une condamnation du défendeur à payer la somme de cinq cents millions (500 000 000) de francs CFA à chaque requérant à titre de réparation
pour la violation de leurs droits et pour les dépens à allouer en leur faveur. D'autre
part, le défendeur prie la Cour de rejeter les demandes des requérants et
d'ordonner les dépens à leur encontre.
Analyse de la Cour
78.Suite à sa décision ci-dessus, où la Cour juge que le défendeur a violé le droit
d'être jugé dans un délai raisonnable et le droit à l'égalité devant la loi, elle conclut
qu'il y a des conséquences juridiques pour de tels actes internationalement
illicites du défendeur. Cela signifie que les États sont tenus d'effectuer des
réparations et la Cour trouve des instructions à l'article 31 du projet d'articles sur
la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite. Adopté par la
Commission du droit international à sa cinquante-troisième session en 2001 à
savoir :
1. L'État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice
causé par le fait internationalement illicite.
79.A cet égard, la Cour a toujours jugé que des réparations doivent être accordées
en cas de violations graves des pactes internationaux et que les États doivent
coopérer dans le respect des décisions qui permettront de mettre fin à une
violation des garanties fondamentales du droit international.
80.Rappelant par conséquent que les requérants demandent une réparation de cinq
cents millions (500 000 000) de francs CFA à titre d'indemnisation pour avoir
subi des violations des droits de l'homme perpétrées par le défendeur. La Cour
s'appuie sur sa jurisprudence dans l'ARRÊT HEMBADOON CHIA & 7
AUTRES c. REPUBLIQUE FEDERALE DU NIGERIA N °°:
ECW/CCI/JUD/21/18 à la page 33 où elle a jugé que le principe général de droit
selon lequel toute violation d'une obligation internationale ayant produit un
dommage entraîne l'obligation de réparer.
81.En conséquence, la Cour ordonne la réparation sous forme d'indemnité
pécuniaire, de cinquante millions (50 000 000) de francs CFA à chacun des
requérants.
XIL LES DEPENS
82. La Cour note que les requérants ont demandé des dépens.
83.Vu l'article 66 (2) du Règlement de la Cour, et s'appuyant sur sa jurisprudence
dans l’affaire Ai AQ AN c. REPUBLIQUE DU NIGER
ARRÊT N °: ECW/CCI/JUD/30/23 (NON PUBLIÉ) où elle a rappelé
l'article 66 (2) du Règlement et a jugé que « … le défendeur paie les dépens à
calculer par le Greffier de la Cour ».
84.La Cour ordonne que les dépens à l'encontre du défendeur soient calculés par
le Greffier en chef de la Cour.
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et contradictoirement à
l’égard des parties :
Sur i. la Dit compétence qu'elle est : compétente. È gd M
Sur la recevabilité ii. Déclare la requête recevable.
Sur le fond :
iii. Constate une violation du droit à un procès équitable et du droit d'être jugé
dans un délai raisonnable en vertu de l'article 7 (1) (d) de la CADHP.
iv. Ne constate aucune violation de la présomption d'innocence telle que garantie
par l'article 7 (1) (b) de la CADHP.
v. Constate une violation du principe d'égalité des citoyens devant la loi en vertu
de l'article 4 de la CADHP.
vi. Dit que les requérants ont droit à réparation sous forme d'indemnisation.
vii. Rejette toutes les autres demandes.
Sur les réparations :
vi Ordonne le paiement de cinquante millions (50 000 000 FCFA) de francs
respectivement aux premier et deuxième requérants, à titre de réparation.
ix. Ordonne au défendeur de modifier l'article 109 de la loi organique créant la
Commission d'indemnisation pour le rendre conforme à ses obligations en
vertu de la CADHP et de faire rapport à la Cour dans les six (6) mois sur les
mesures prises pour mettre en œuvre les ordonnances énoncées dans les
présentes.
DES DÉPENS :
x. Ordonne que le défendeur paie les dépens à calculer par le Greffier en chef de
Et ont signé Hon. Juge Dupe ATOKI
Hon, Juge Sengu M. KOROMA /Juge Rapporteur
Hon. Juge Ricardo GONÇALVES
Assistés de :
Madame An BA
Fait à AT, le 15 novembre 2023 en anglais et traduit en français et en portugais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/59/23
Date de la décision : 15/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2023-12-15;ecw.ccj.jud.59.23 ?
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