La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/01/2024 | CEDEAO | N°ECW/CCI/JUD/02

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 30 janvier 2024, ECW/CCI/JUD/02


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
M. At Au Y AL Ad AK B
Requête n ° : ECW/CCJ/APP/35/22 Arrêt n ? ECW/CCI/JUD/02 ) 24
ARRÊT
AQ
DATE : 30 janvier 2024
Plot 1164 Ac Aq Ae, Gudu District, AQ Ao.
www.courtecowas.org M. AV Y AL
RÉPUBLIQUE TOGOLAISE
COMPOSITION DE LA COUR:
Hon. Juge Dupe ATOKI
Hon. Justice Av Ax AS
Hon

. Juge Claudio Monteiro GONÇALVES
ASSISTÉS DE:
Dr. Aa X -REQUERANT
- ÉTAT DÉFENDEUR
- Présidente
- Mem...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
Dans l'affaire
M. At Au Y AL Ad AK B
Requête n ° : ECW/CCJ/APP/35/22 Arrêt n ? ECW/CCI/JUD/02 ) 24
ARRÊT
AQ
DATE : 30 janvier 2024
Plot 1164 Ac Aq Ae, Gudu District, AQ Ao.
www.courtecowas.org M. AV Y AL
RÉPUBLIQUE TOGOLAISE
COMPOSITION DE LA COUR:
Hon. Juge Dupe ATOKI
Hon. Justice Av Ax AS
Hon. Juge Claudio Monteiro GONÇALVES
ASSISTÉS DE:
Dr. Aa X -REQUERANT
- ÉTAT DÉFENDEUR
- Présidente
- Membre/ Rapporteur
- Membre
- Greffier en Chef REPRÉSENTATION DES PARTIES:
Ah Af As - Avocat du REQUÉRANT
Raphael N.
Al AJ
Ap AP
An AR - Avocat de l'ETAT DEFENDEUR 1. La Cour de justice de la Communauté, CEDEAO (ci-après dénommée la Cour),
siégeant en audience publique virtuelle, conformément à l’article 8(1) des
Instructions pratiques sur la gestion électronique des affaires et audiences
virtuelles de 2020, rend l'arrêt dont la teneur suit :
IL DESCRIPTION DES PARTIES :
2. Le Requérant est M. AV Au Y AL, Citoyen de la
Communauté résidant en République Togolaise.
3. Le défendeur est la République Togolaise, État membre de la CEDEAO.
4. L'objet du différend porte sur les allégations du requérant selon lesquelles le
défendeur manqué à ses obligations internationales en violant divers droits de
l'homme, en particulier le droit à l'intégrité physique et mentale, le droit à
l'interdiction de la torture et d'autres actes cruels et inhumains, le droit à un
procès équitable et le droit à la présomption d'innocence. Ces droits ont été
garantis dans des traités fondamentaux relatifs aux droits de l'homme que le
défendeur a ratifiés et domestiqués.
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
5. Le requérant a déposé une requête introductive d'instance le 4 août 2022 au
Greffe de la Cour. | LA 6. Le défendeur a écrit une lettre le 3 mars 2023 au Greffier en chef, demandant
une « prorogation du délai pour la production d'un mémoire en défense ».
7. Le requérant a déposé un mémoire exceptionnel en irrecevabilité d'une demande
de prorogation de délai le 15 mars 2023 au Greffe de la Cour.
8. Le 17 mars 2023, le défendeur a déposé son mémoire en défense au Greffe de
la Cour.
9. Cela a été suivi d’un mémoire en réplique du requérant et d'une « demande
exceptionnelle en irrecevabilité » déposée le 20 avril 2023, au Greffe de la Cour.
10.Le défendeur a déposé un mémoire en duplique à l'exception du requérant le 15
mai 2023 au Greffe de la Cour.
11.La Cour a tenu une session virtuelle le 17 mai 2023, au cours de laquelle les
deux parties étaient représentées devant la Cour. La Cour a fait remarquer que
la demande de prorogation de délai présentée par le défendeur n'était pas en
bonne et due forme, car elle était présentée par lettre et non par voie de requête.
En outre, l'intention du requérant de s'opposer à la demande de prorogation de
délai a été notée par la Cour et accordée. Ayant entendu les observations du
requérant, et s'appuyant sur ses propres enquêtes qui ont montré que la
signification a été effectuée par le Greffe au défendeur le 4 août 2022, la Cour
a jugé qu’une demande de prorogation neuf mois plus tard sous une forme
irrégulière est à rejeter. Elle l’a donc rejetée. La Cour a demandé au requérant
de plaider en se prononçant sur les points de fait et de droit. L'affaire a été mise
en délibéré.
12.La Cour suo motu est revenu sur sa décision du 17 mai 2023, de ne pas admettre
la défense du défendeur, dans l'intérêt de la justice et conformément au principe
de l'audi alteram partem. C’est ainsi que la Cour a reçu le défendeur en son
mémoire en défense et a examiné les demandes qui y sont contenues.
V. LESFAITS SELON LE REQUERANT
a) Résumé des faits
13.La requête est introduite par M. AV Au Y AL, pour la
violation de divers droits de l'homme s'étendant sur deux périodes à savoir 2004
à 2005 étant la première période, et 2021 à ce jour étant la seconde. Ses
prétentions au cours de la première période sont qu'en tant que Président du
Collège des délégués, un mouvement estudiantin à l'Université de Lomé au
Togo, il a été enlevé et embarqué de force dans un véhicule banalisé le 20
décembre 2004 à 9 h 00. Cet enlèvement aurait été effectué par des personnes
inconnues, mais ses camarades et des Organisations de défense des droits de
l'homme l'ont localisé à la gendamerie nationale. Pendant son séjour, il affirme
que la brigade anti-gang lui a infligé divers actes de torture et traitements cruels
et inhumains avant d'être transféré le 22 décembre 2004 à la prison civile pour
de violences volontaires, outrage à agent de l’ordre public et destruction de
biens publics et privés.
14.Le requérant affirme qu'avant son arrestation, une manifestation de 24 étudiants
qui s'opposaient au résultat de la rencontre politique du 3 mai 2004 avait incité
le Président du Togo à publier une déclaration selon laquelle l'opposition était
l’instigatrice du mouvement estudiantin. Une motion a été émise et on
s'attendait à ce que le requérant lise ladite motion, mais il refusa de le faire et il
a été expulsé de l'Université. I! a tenu une conférence de presse au sujet de son
refus de lire la motion qui a conduit à son arrestation arbitraire.
15.Après la mort du Président Eyadema Gnassingbe, il a été libéré le 11 février
2005 sans procès par un communiqué lu à la télévision par le Procureur général.
Le requérant affirme avoir quitté le Am pour Ag, au Ghana, où il a dû se
faire soigner en neurochirurgie pour des blessures qu'il a subies en détention. Il
s'est ensuite rendu en Suisse en 2006 où il a vécu en tant que réfugié politique.
6 | Page @ 16.Cependant, après les élections organisées par les autorités togolaises de février
2020, le requérant affirme avoir réalisé plusieurs vidéos dans lesquelles il
critiquait la façon dont les élections étaient organisées, la façon dont les résultats
étaient proclamés et la chasse à l'homme et l'arrestation des opposants. Il a
notamment dénoncé les restrictions des espaces de liberté sous le prétexte de
COVID 19. Il prétend l'avoir fait en tant que militant politique afin de
condamner la restriction des espaces de liberté effectuée par le défendeur sous
le couvert des restrictions dues au COVID-19.
17.Le 3 novembre 2021, le requérant affirme avoir voyagé du Bénin au Ghana via
Lomé avec plusieurs autres passagers mais à leur arrivée à la frontière, le
chauffeur les a informés qu'il ne pouvait plus passer la frontière car il était tard.
Le requérants et d'autres passagers ont été forcés de passer la nuit à Lomé, car
il n'a pas pu traverser la frontière seul pour des raisons de sécurité. II affirme
avoir été enlevé de force de la maison dans laquelle il passait la nuit vers 6h00,
alors qu'il était en sous-vêtements, par les éléments de l'Unité Spéciale
d'Intervention de la Gendarmerie (USIG) qui l'ont roué de coups. Il a été
enveloppé dans un drap et frappé avec des cordelettes, des matraques et des
coups sur toutes les parties du corps, il a ensuite été conduit, menotté au Service
central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC). Alors qu'il était
au SCRIC, il s'est vu refuser des visites et l'accès aux soins de santé en dépit de
ses blessures et de son mauvais état de santé. En outre, il a été obligé de dormir
à même le sol presque nu avec dix-sept (17) personnes dans une cellule
préalablement destinée à six (6) personnes. Le requérant prétend s'être vu
refuser le kit d'hygiène de base comme la dentifrice et la brosse, le savon et
l'accès à l'eau potable. Il affirme en outre avoir été exposé à la torture mentale
par des insultes et des cris pour l’empêcher de dormir. à LE 18.Le requérant déclare que ces faits ont fait l’objet d’une déposition auprès des
autorités judiciaires et que ses avocats ont déposé deux actes de mise en liberté
provisoire respectivement le 22 janvier et le 23 mai 2022, mais que les deux
demandes ont été rejetées. La Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Lomé
a, le 23 février 2022, réexaminé l'ordonnance du premier juge de maintenir le
requérant en détention mais l'a confirmée. Cependant, compte tenu des
conditions dans lesquelles le requérant a été maintenu, y compris la mise en
isolement, la chambre d'accusation a ordonné au ministère public d'examiner les
conditions de détention du requérant, mais celles-ci sont restées les mêmes.
19.En novembre 2021, le Consul de Suisse au Togo a tenté de rendre visite au
requérant en détention, mais s'est vu refuser l'accès. Toujours en février 2022,
le Consul de Suisse à Ag et son collègue togolais ont tenté à nouveau de
rendre visite au requérant, mais ils se sont vu refuser l'accès. Le requérant reste
en détention.
b) Moyens de droit
20.Le requérant invoque les moyens de droit suivants à l'appui de sa demande :
e Articles 5, 6 et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples (CADHP).
e Articles 3, 5, 6, 9, 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme (DUDH).
e Articles 1, 2, 11, 12, 13 et 15 de la Convention contre la torture et
autres traitements cruels et inhumains.
e Articles 2, 7, 9 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et e Articles 15, 16, 18, 19 et 21 de la Constitution togolaise du 14
octobre 1992.
c) Conclusions et demandes du requérant
21.Le requérant formule devant la Cour les prétentions ci-après pour s'entendre :
1. En la forme:
- Se déclarer compétente pour examiner les allégations de violations
des droits de l’homme du requérant part l’État du Togo, et ce
conformément aux dispositions de l’article 9 du Protocole additionnel
(A/SP.1/01/05) portant amendement du préambule, des articles 1”, 2, 9,
22 et 30 du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la
Communauté CEDEAO, ainsi que l’article 4 paragraphe 1 de la version
anglaise dudit Protocole du 19 janvier 2005.
- Déclarer recevable la requête de Monsieur AL
conformément aux dispositions de l’article 10 du Protocole additionnel
(A/SP.1/01/05) portant amendement du préambule, des articles 1er, 2,
9, 22 et 30 du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la
Communauté, CEDEAO, ainsi que de l’article 4 paragraphe 1 de la
version anglaise dudit Protocole du 19 janvier 2005.
2. Au fond :
Concernant les violations alléguées des droits :
-Dire et juger qu’il y a eu violation, par l’État du Togo :
- du droit du requérant AV AL à l’intégrité physique et
morale, ainsi que son droit à l’interdiction de la torture et autres formes
de traitements cruels, inhumains ou dégradants; 3; @ - du droit de Monsieur AV AL à la liberté et à
l’interdiction de la détention arbitraire ;
- des droits de Monsieur AV AL à la présomption
d’innocence, à un recours effectif, et par voie de conséquence, de son
droit à un procès équitable.
3. Sur les réparations :
Attendu que la jurisprudence adoptée par la Cour de justice de la
communauté CEDEAO en matière de violations des droits de
l’homme est l’injonction faite à l’État requis de prendre les mesures
pour faire cesser les cas de violations alléguées, et de procéder à la
réparation des préjudices subis par les requérants.
Attendu qu’il ne fait l’ombre d’aucun doute, à la lumière des faits
relatés et des preuves rapportées, non seulement que Monsieur
AL a subi de lourds préjudices tant physiques, matériels,
pécuniaires que moraux qui appellent réparation, mais aussi et surtout
qu’aucune disposition n’est prise par les autorités compétentes saisies
afin que les présumés auteurs desdits actes, ainsi que leurs
commanditaires et complices, soient poursuivis et punis
conformément aux lois en vigueur, ce qui reste la porte ouvertes aux
répétitions et à l’impunité.
Qu’il y a donc lieu de :
e Ordonner à l’État du Togo de procéder immédiatement et sans
attendre, à la libération sans condition de Monsieur AV
Au Y AL.
e Enjoindre à l’État Togolais de prendre toutes les mesures
idoines, urgentes et nécessaires pour que les présumés auteurs d’actes de torture, des autres formes de traitements cruels,
inhumains et dégradants dont a été victime Monsieur
AL, soient, ensemble avec leurs complices et
commanditaires, poursuivis et punis conformément aux lois en
vigueur.
e Condamner l’État Togolais à payer à Monsieur AV
AL la somme de cinq cents millions (500.000.000) de
Francs CFA pour préjudices subis du fait d’actes de torture et
des autres formes de traitements cruels, inhumains et
dégradants dont il a été victime en 2004-2005 et en 2021-2022.
e Condamner l’État Togolais à payer à Monsieur AV
AL la somme deux cent cinquante millions
(250.000.000) de Francs CFA pour préjudices subis du fait de
ses arrestations et détentions illégales et arbitraires en 2004-
2005 et 2021-2022.
e Condamner l’État Togolais à payer à Monsieur AV
AL la somme de cent millions (100.000.000) de
Francs CFA pour préjudices subis du fait de la violation de son
droit de jouir d’un meilleur état de santé physique et mental.
e Condamner l’État Togolais à payer à Monsieur AV
AL la somme de cent millions (100.000.000) de
Francs CFA pour préjudices subis du fait de la violation de son
droit à la présomption d’innocence.
e Condamner l’État Togolais à payer à Monsieur AV
AL la somme de cent millions (100.000.000) de Francs CFA pour préjudices subis du fait de la violation de son
droit à un recours effectif.
e Condamner l’État Togolais à payer à Monsieur AV
AL la somme de cent millions (100.000.000) de
Francs CFA pour préjudices subis du fait de la violation de son
droit à un procès équitable.
4. Sur la condamnation de l’État du Togo aux dépens :
Aux termes de l’article 66 du Règlement de procédure de la Cour de justice de la Communauté CEDEAO du 03 juin 2002 :
1. Il est statué sur les dépens dans l'arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l'instance.
2. Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
Qu’il y a lieu de condamner l’État Togolais aux entiers dépens.
VI. LES FAITS SELON L'ETAT DÉFENDEUR
a) Résumé des faits
22.Le défendeur a plaidé sa défense sur la forme et sur le fond.
23.En la forme, le défendeur demande à la Cour de statuer sur la compétence et la
recevabilité sur la base du droit. En ce qui concerne le bien-fondé, le défendeur
fonde sa défense sur les quatre chefs de demande thématiques présentés par le 24.Le défendeur affirme que pour les allégations d'actes de torture, des preuves
doivent être fournies par le requérant pour justifier leur bien-fondé et que celui-
ci n'a pas démontré objectivement l'existence de ces actes. Il déclare que les
documents présentés par le requérant ne suffisent pas à le prouver car ils ont été
fabriqués pour les besoins de la cause.
25.11 soutient que la pièce 17 ne saurait constituer la preuve formelle de violation
des textes visés par le requérant et qu’il se contente de simples allégations. Par
conséquent, la Cour devrait rejeter la demande de violation du droit à un
meilleur état de santé physique et mentale, comme non fondée.
26.En outre, le défendeur affirme que l'allégation de violation du droit à la liberté
et de détention arbitraire a été faite conformément à la loi. Le défendeur affirme
que la demande du requérant est infondée et mérite d'être rejetée. Il prie la Cour
de rejeter les demandes de dommages-intérêts du requérant comme non fondées.
d) Moyens de droit
27.Le requérant invoque les moyens de droit suivants à l'appui de sa demande :
e Articles 5, 6 et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples (CADHP).
Articles 1, 2, 11, 12, 13 et 15 de la Convention contre la torture et
autres traitements cruels et inhumains.
e Articles 2, 7, 9 et 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
e Code Pénal et Procédure Pénale de la République Togolaise.
e Constitution togolaise du 14 octobre 1992. a L4 e) Conclusions de l'Etat défendeur
28.Pour les raisons susmentionnées, le défendeur demande à la Cour les réparations
suivantes :
i. En la forme : sur la compétence de la Cour, de dire ce que de droit.
Sur la recevabilité de la requête, de dire ce que de droit.
ii. Sur le fond de l'affaire : de rejeter tous les moyens du requérant
comme non fondés. En conséquence, débouter le requérant de
l’ensemble de ses demandes et condamner le requérant aux dépens
conformément à l’article 66 du Règlement de procédure de la Cour de
céans.
29. La Cour note que les demandes dont elle est saisie s'étendent sur deux périodes
différentes, à savoir 2004 à 2005 et 2021 à ce jour, il lui appartient donc de
déterminer sa compétence d'abord du point de vue de sa compétence temporelle
(ratione temporis) avant d'examiner le second domaine qui est la compétence
matérielle.
30.Pour établir sa compétence temporelle, il est nécessaire de s'appuyer sur l'article
9 (3) du Protocole additionnel (A/SP.1/01/05) qui dispose que « L'action en
responsabilité contre la Communauté ou celle de la Communauté contre des
tiers ou ses agents se prescrivent par trois (3) ans à compter de la réalisation
des dommages ». Considérant que la cause d'action s’est produite le 20
décembre 2004, la question qui se pose alors à la Cour est de savoir si elle est
investie de la compétence pour entendre et statuer sur ces demandes ou, à titre
subsidiaire, si elle doit la déclarer prescrite en vertu de l'article 9 (3) du
Protocole additionnel (ci-dessus). JE 2H 31.A la lumière des demandes couvrant la période allant du 20 décembre 2004 à
février 2005, la Cour note les arguments du requérant selon lesquels il a été
libéré et qu'il a ensuite quitté le pays. La loi donnant à la Cour son mandat pour
statuer sur les cas de violations des droits de l'homme survenant sur le territoire
des États membres est le Protocole additionnel (ci-dessus). Cette loi a été
promulguée le 19 janvier 2005 et a été ratifiée par le défendeur. Cette nouvelle
loi a pour effet de modifier le Protocole A/P1/7/91 du 6 juillet 1991 et d'étendre
la compétence de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO, pour y
inclure la détermination des allégations de violations des droits de l'homme.
Ainsi, le point de départ de la compétence temporelle de la Cour à l'égard des
demandes portant sur la violation des droits de l'homme est le 19 janvier 2005.
Le présent Protocole n'est donc pas rétroactif, les actes intervenus avant sa
promulgation n'entrent pas dans son champ d'application.
32.Sur la base de ce qui précède, la Cour ne statuera pas sur les demandes du
requérant pour la période allant du 20 décembre 2004 à février 2005. Le
raisonnement qui sous-tend la décision est que les réclamations couvrant la
période susmentionnée sont prescrites parce qu'elles se situent en dehors de la
date d'entrée en vigueur du traité. Il est nécessaire de souligner que la Cour ne
peut pas agir rétroactivement dans sa poursuite de la protection des droits de
l'homme, ni justifier une dérogation à la loi lorsque la cause de l'action ne relève
pas de sa compétence temporelle. En conséquence, la Cour rejette les demandes
couvrant les années 2004 à 2005 car elle n'est pas compétente pour les entendre
et les trancher.
33.Ainsi, en ce qui concerne les réclamations couvrant la période de 2021 à ce jour,
la Cour s'appuie sur sa jurisprudence dans l'affaire M. Aj AN c.
RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA ARRÊT N °: ECW/CCI/TUD/06/20 (NON
PUBLIÉ) à la page 16 où elle a jugé que « elle exercera ses pouvoirs ‘pour
15 ] Page & dE entendre toute requête en violation des droits de l'homme lorsque les allégations
ont été faites sur le territoire d'un État membre ». En conséquence, la Cour
déclare qu'elle est investie de la compétence d'entendre et de statuer sur les
demandes pour la période de 2021 à ce jour, conformément à l’article 9 (4) du
Protocole additionnel (ci-dessus).
34.En ce qui concerne l'exception du défendeur fondée sur l'article 9 (3) du
Protocole additionnel, la Cour s'appuie sur sa décision rendue dans l'affaire
ATIPOE KWAKU RCHARD & 19 AUTRES [DÉCÉDÉS] c. Ak
Az, ARRÊT N ° : ECW/CCI/JUD/07/23 (NON PUBLIÉ) où elle a jugé
qu’« il est établi dans l'arrêt de la Cour que le délai de prescription de trois ans
prévu à l'article 9 (3) du Protocole relatif à la Cour ne s'applique pas aux
actions en matière de droits de l'homme intentées en vertu de l'article 9 (4) du
Protocole ». En conséquence, la Cour rejette l'exception du défendeur fondée
sur le délai de prescription car les prétentions dont elle est saisie portent sur la
violation des droits de l'homme. La Cour déclare donc qu'elle est compétente
pour statuer sur les demandes du requérant.
35.11 est constant en droit que la recevabilité devant la Cour dépend de plusieurs
considérations. La Cour doit s'assurer, outre la compétence qu'elle doit avoir,
que les parties présentes devant elle peuvent la saisir, qu'elles ont donc la qualité
requise de victime, qu'elles ne doivent pas être anonymes et que la requête elle-
même ne doit pas être pendante devant une autre Cour internationale : Article
10 du Protocole additionnel (ci-dessus).
36. En l'espèce, le requérant s'est identifié comme victime de plusieurs violations
des droits de l'homme. Pour déterminer si les demandes sont recevables, la Cour
note qu'il n'y a aucune preuve que la demande est pendante devant une autre
Cour internationale et considère que le requérant est suffisamment identifié
conformément à l'article 33 de son Règlement. En outre, la Cour note que le
requérant a présenté les demandes à titre personnel en tant que victime et
s'aligne sur sa décision dans l'affaire BAKARY SARRE & 28 AUTRES c.
RÉPUBLIQUE DU MALI (2011) RI CIC à la page 57 où elle a jugé que « La
recevabilité de la requête est liée, entre autres critères, à la qualité de la
victime. Cette condition induit nécessairement que le requérant, agissant à titre
personnel en raison d’un intérêt lésé, juridiquement protégé, exerce le droit de
saisir un juge pour l’examen de ses prétentions ». La Cour constate que le
requérant en l'espèce a satisfait aux critères de recevabilité et déclare la requête
recevable. Pour éviter toute ambiguïté, la Cour estime que la requête est
recevable en ce qui concerne les demandes pour la période de 2021 à ce jour.
IX. SUR LE FOND
37.La Cour, ayant jugé qu'elle est compétente pour connaître des demandes pour la
période de 2021 à ce jour et déclaré la requête recevable en ce sens, a extrait
les questions suivantes sur le fond :
e Violation du droit à l’intégrité physique et mentale, les actes de
torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants
e Violation du droit de jouir d'un meilleur état de santé physique et
mentale ;
e Violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne,
interdiction de l'arrestation arbitraire ; et AN 4 cf A e Sur la Violation du droit à la présomption d'innocence.
a. La violation du droit à l’intégrité physique et mentale, les actes de torture,
les traitements cruels, inhumains et dégradants
Argumentation du requérant
38.Le requérant invoque la violation du droit à l'intégrité physique et mentale,
l'interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants
telles que consacrés par l'article 5 de la DUDH et garantis par l'article 5 de la
CADHP, l'article 7 du PIDCP, l'article 2 de la CAT et les articles 13, 16, 21 et
50 de la Constitution togolaise (ci-dessus).
39.Le requérant affirme qu’il a été arbitrairement arrêté et détenu après avoir été
sévèrement battu par des agents du défendeur en novembre 2021. Il affirme que
lorsqu'il a été arrêté, il a été couvert d'un drap et frappé de cordelettes, de
matraques sur la tête, la colonne vertébrale et le visage. Ce traitement s'est
poursuivi en détention où il a été empêché d'accéder aux soins malgré la gravité
de ses blessures. Il a été maintenu à l'isolement et en confinement permanent et
son plaidoyer par voie de requête devant la Chambre d'accusation pour de
meilleures conditions de détention n'a pas été entendu. Le requérant produit les
pièces 1 et 5 à l'appui de cette demande.
40.En outre, il fait valoir qu'il est enfermé de manière permanente et mis à
l'isolement, malgré la décision de la chambre d'accusation de la Cour d'appel de
Lomé demandant au Procureur général d'améliorer les conditions de détention.
Il présente les pièces 10, 11, 12 à l'appui du présent document.
41.Le requérant affirme que la loi togolaise, précisément les articles 198, 199, 201
et 202 de la loi n ° 2015 érige en infraction tous les actes de torture, traitements cruels, inhumains et dégradants qui attirent une peine allant de dix (10) à
cinquante (50) ans et une amende de vingt-cinq millions (25 000 000) à cent
millions (100 000 000) de francs CFA. Le requérant affirme que les agents du
défendeur, qui sont conscients de la gravité de l'infraction de torture,
perpétraient de tels actes et continuent toujours de le faire. Il étaye cette
affirmation par la Pièce n ° 11. En outre, le fait que le défendeur ait refusé l'accès
aux soins de santé malgré les nombreuses demandes formulées par son avocat
et sa famille établit les conditions dans lesquelles le requérant est détenu. Il
produit la Pièce n ° 17 à l'appui de cette affirmation.
Argumentation de l'Etat défendeur
42.En réponse à ces allégations, le conseil de l'État du Togo les nie simplement,
rejetant l'allégation de torture entièrement au motif qu'il n'y avait pas de preuve,
tout en soulignant que le requérant a introduit des documents dans la procédure
qui sont fabriqués et qui devraient donc, sans plus d'éclaircissements, ne pas être
admis par la Cour.
Analyse de la Cour
43.La Cour considère la torture comme un acte si odieux que la communauté
internationale dans son ensemble a continué à faire pression pour son
interdiction universelle par le biais de traités et à encourager les États à
domestiquer le jus cogens interdisant la torture. Néanmoins, elle est toujours
prudente dans la détermination des allégations de torture soulevées contre les
États membres. C’est pourquoi, elle a soigneusement renforcé dans. sa jurisprudence les critères d’acceptation d’une allégation de torture. Avant
d'étudier en profondeur ces critères, la Cour juge nécessaire de déclarer que,
bien que le requérant ait examiné plusieurs garanties telles que l'article 7 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 2 de la
Convention contre la torture, y compris les lois en vigueur du défendeur, la Cour
examinera la demande au titre de l'article 5 de la CADHP. En examinant la
demande, la Cour s'aligne sur son exposé sur la signification de la torture dans
l'affaire HON. S. Ai AO c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU
NIGERIA (NON PUBLIÉE) à la page 13, selon lequel « la torture peut être
qualifiée d'actes inhumains causant une douleur ou des souffrances aiguës,
ou des blessures graves au corps ou à la santé mentale ou physique par un agent
public dans l'intention, entre autres, d'obtenir des aveux ou de punir la victime».
La gravité de ces actes de torture est qu’ils peuvent être mentaux et physiques
et sont causés par des personnes ayant un avantage.
44.En affirmant que l'article 5 de la CADHP a été violé, il incombe au requérant
«qui doit établir par la preuve tous les éléments requis pour faire prospérer
sa cause. Si cette charge est remplie, la charge de la preuve incombe alors au
défendeur qui doit maintenant présenter des preuves en réfutation des
affirmations des requérants par prépondérance de preuves : » comme cela a été
jugé dans l'affaire CHIEF DAMIAN ONWUHAM & 22 AUTRES c.
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA & UN AUTRE ARRÊT N °:
ECW/CCI/JUD/22/18 (NON PUBLIÉ) à la page 18. La nature des preuves
nécessaires pour prouver la torture est plus complexe, comme cela a été jugé
dans l'affaire PRIVATE BARNABAS ELI c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU
NIGERIA ARRÊT N ° : ECW/CCI/JUD/29/19 (NON PUBLIÉ) à la page 23
que « En ce qui concerne l'allégation de torture, la Cour rappelle qu'une
allégation de torture sera établie lorsqu'un requérant fournira un rapport
20 | Page + médical qui montre que les blessures sont compatibles avec la torture
alléguée».
45.Dans la présente demande, la Cour note que parmi les réparations demandées
par le requérant figure une réparation pour sa libération immédiate de détention.
Le requérant a prouvé de manière exhaustive, au moyen de faits et de preuves,
qu'il avait été détenu dans des conditions inhumaines, cruelles et dégradantes. Il
affirme avoir été battu, dormi sur le sol presque nu, privé de kits sanitaires et
d'eau potable. Il a fait valoir qu'il a déposé des requêtes auprès de la chambre
d'accusation du défendeur qui ont émis une ordonnance au Procureur de la
République pour améliorer les conditions de sa détention, pour laquelle il
présente la pièce 10 qui est l'arrêt No.22/22 du 23 février 2022 de la chambre
d'accusation de la cour d'appel de Lomé.
46.En statuant sur la demande de violation par actes de torture, la Cour a fermement
statué que les preuves médicales établissent des données empiriques pour
corroborer la demande (voir: PRIVATE BARNABAS ELI c. LA
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA, — ARRÊT N°:
ECW/CCI/JUD/29/19 à la page 23). Cependant, la Cour note que parfois les
victimes ne sont pas en mesure de satisfaire facilement aux exigences, non pas
parce qu'elles ne sont pas disposées à le faire, mais parce que les circonstances
de leur affaire les en empêchent. En l'espèce, la Cour constate que le requérant
est en détention et la pièce n ° 10 établit fermement que les conditions de sa
détention sont discutables. Avec la promulgation de l'Ensemble des règles
minima pour le traitement des détenus adopté par le premier Congrès des
Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants,
à Genève en 1955 et approuvé par le Conseil économique et social dans ses
résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXIT) du 13 mai 1977, la
Cour considère que la règle de base pour les prisonniers et les détenus est ,
21 | Page oh LA devenue jus cogens, et que toute dérogation constituera une violation. La norme
pour le traitement des prisonniers en vertu des « règles » susmentionnées
comprend, mais sans s'y limiter :
e Enregistrement des prisonniers et des détenus avec les
coordonnées du bureau et la date d'admission (et de libération) ;
e Séparation des détenus sur la base du sexe, des prévenus par
rapport aux condamnés, des considérations de santé ou pendant
les punitions institutionnelles faites conformément à la norme ;
e Les locaux de détention doivent tenir compte du nombre de
détenus dans une cellule, des conditions climatiques, de l'accès
à la lumière naturelle et à la ventilation, des installations
sanitaires et des bains réguliers à des températures favorables
aux conditions climatiques ;
e L'hygiène personnelle doit être encouragée ;
e Des vêtements et de la literie conformes aux conditions
climatiques doivent être fournis ;
e La nourriture et l'eau potable, l'exercice/le sport, l'accès aux
soins médicaux sont impératifs ; tout comme
e le contact avec le monde extérieur.
47.Les faits en l'espèce parlent de confinement et de secret dans la manière dont le
requérant est détenu. La Cour rappelle également qu'il est détenu presque nu et
se couche à même le sol. En outre, il soutient qu'il n'a pas reçu d'eau potable et
qu'il n'a pas non plus eu accès à des soins médicaux malgré le fait qu'il en avait
besoin. Il est nécessaire que la Cour souligne que la protection de la dignité
humaine exalte la valeur que les êtres humains attachent à la vie, car lorsqu'il y a un manquement à préserver cette dignité, il serait juste de conclure qu'il y a
un manque de valeur pour la vie.
48.Même si la Cour a déclaré solidairement que la torture exige la preuve au moyen
de preuves médicales, il est impératif que les conditions d'un cas particulier
soient évaluées pour déterminer si les preuves médicales ayant une valeur
probante sont le seul critère de preuve. Bien que la pièce 10, qui est le jugement
de l'agent du défendeur, montre que les conditions de détention du requérant
étaient suffisamment douteuses pour justifier une ordonnance d'inspection, elle
devient pertinente pour étayer la demande du requérant. La Cour note que
l'épouse du requérant a consulté un médecin au sujet de l'état de son mari et que
le requérant fait la même déclaration dans la pièce 6. Tout cela renforce
l'affirmation selon laquelle le requérant n'a pas bénéficié des règles minima qui
doivent être accordées à tous les prisonniers.
49.La Cour conclut donc que dans les circonstances où le requérant ne peut pas
accéder à des preuves médicales pour étayer la torture, une preuve de privation
des règles minima dont doit jouir une personne détenue ou un prisonnier pourrait
être produite. Cette preuve doit décrire les tentatives faites pour amener le
défendeur à améliorer les conditions. Par conséquent, la torture en l'espèce a été
prouvée par le requérant au moyen de ses éléments de preuve établissant les
tentatives faites pour changer les conditions de sa détention. Pour déterminer
cela, la Cour s'appuiera sur jugement dans l'affaire HON. JUGE S. Ai
AO c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA (ci-dessus)
à la page 21 où elle a jugé que « Les points pertinents pour comprendre la nature
de la torture sont que l'acte reproché n'a pas besoin d'être physique avec des
signes visibles qui l'accompagnent, il admet d'autres actes ayant la capacité
d'affecter les facultés mentales de la victime en causant, entre autres, de graves
délires mentaux associés principalement à la peur, à l'angoisse et à la
23 | Page M ZA souffrance. En outre, un tel acte doit être infligé par un agent public agissant à
titre officiel et agissant avec l'intention requise. Le lieu de l'acte est sans
conséquence ».
50. En conséquence, la Cour conclut que le requérant a subi des tortures physiques
et mentales contraires à la garantie de l'article 5 de la CADHP car le défendeur
a manqué à son devoir en vertu de l'Ensemble des règles minima pour le
traitement des détenus. La Cour estime qu'il y a eu violation du droit garanti par
l'article 5 de la CADHP.
b. Violation du droit de jouir d'un meilleur état de santé physique et mentale ;
Argumentation du requérant
51.Le requérant en l'espèce allègue qu'il y a eu violation de l'article 10 (1) et (3) du
PIDCP. En effet, il allègue que les agents de la SCRIC lui ont simplement refusé
le droit d'être examiné par un médecin de son choix, ce qui a entraîné la
détérioration de son état de santé. En ce sens, le requérant produit la Pièce n °
17 qui est une lettre adressée au Procureur de la République et au Président de
la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH) en date du 17 mai
2022. Cette lettre émane du frère du requérant dénonçant les conditions de
détention et le manque d'accès aux soins de santé, le refus d'accès à ses
(requérant) avocats et l'argument selon lequel le défendeur devrait respecter les
droits du requérant.
Argumentation du défendeur
52.Le défendeur soutient qu'il n'y a pas violation de l’article 16 de la CADHP, des
articles 10 (1) (3) du PIDCP. Pour appuyer cette thèse, il affirme qu’aucune
24 | Page cv ZA preuve d’allégations n’a été rapportée et que la pièce °17 sur laquelle s’appuie
le requérant (la lettre de Ab AL, frère du requérant, au Procureur
de la République dénonçant les conditions de détention et le déni des soins
médicaux et le refus de la visite de ses avocats et demandant le respect des droits
de At Paul AL et sa libération) ne saurait constituer une preuve formelle
de la violation des dispositions desdits articles. Pour le défendeur, toute
demande en justice doit se fonder sur des éléments objectifs, véritables,
existants afin de permettre au juge d’en apprécier le bien-fondé. Il considère que
le requérant s'est limité à de simples allégations sans preuve et demande que les
allégations de violation des dispositions susmentionnées soient rejetées comme
non fondées.
Analyse de la Cour
53.La Cour doit dire qu’en invoquant la violation de son droit à la santé, le
requérant a cité les paragraphes 1 et 3 de l'article 10 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. En conséquence, la Cour les reproduira :
1. « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et
avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Article
10 (1) du PIDCP.
3. « Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés
dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social,
Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime
approprié à leur âge et à leur statut légal ». Article 10 (3) du PIDCP.
54. La Cour juge nécessaire de s'appuyer sur la Commission africaine des droits de
l'homme et des peuples», Fiche d'information n° 2, Directive pour la
soumission des plaintes. Il y est indiqué que la plainte n'a pas besoin de mentionner l'article spécifique de la Charte allégué avoir été violé, mais les faits
de la communication doivent être tels que la Commission puisse en déduire les
violations alléguées. La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
élucide et règle toute question à cet égard dans Ar AG
AG & 9 AUTRES c. RÉPUBLIQUE UNIE DE TANZANIE, requête n° :
006/2013 au paragraphe 57, où elle a jugé que « …fant que les droits présumés
avoir été violés sont protégés par la Charte ou tout autre instrument relatif aux
droits de l'homme ratifié par l'État concerné, la Cour aura compétence en la
matière ».
55.En conséquence, la Cour de céans en l'espèce, étant saisie d'allégations de
violations des droits de l'homme qui sont protégées par la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples dont le défendeur est signataire, elle examinera
suo motu la demande au titre de l'article 16 de la CADHP, qui est la base de son
argument. L'article 16 (1) de la CADHP dispose que : « Toute personne a le
droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable
d'atteindre ».
56.Les faits montrent qu'après avoir refusé les soins médicaux du défendeur le 6
novembre 2021 car le médecin n'était pas de son choix, le requérant a accepté
l'examen médical d'un médecin (généraliste) choisi par le défendeur le 8
novembre 2021. La Cour note l'argument du requérant selon lequel les 22
décembre 2021 et 4 janvier 2022, ses médecins suisses ont recommandé une
intervention chirurgicale pour lui qui avait souffert de troubles proctologiques
dans le passé. Son épouse avait demandé l'avis des médecins, car elle avait
déclaré que la partie du corps précédemment opérée saignait, causant ainsi au
requérant une douleur intense. Par la suite, le 17 mai 2022, la sœur du requérant
à adressé une lettre au Procureur général et au président par intérim de la Commission des droits de l'homme se plaignant de l'état de santé du requérant
et du manque d'accès aux soins médicaux.
57.Dans l'affaire ALEX NAIN SAAB MORAN c. RÉPUBLIQUE DU CAP-
VERT, ARRÊT N° : ECW/CCI/JUD/30/20 aux paragraphes 237 à 243, la Cour
a eu l'occasion de clarifier la portée des obligations incombant aux États parties
au regard de l'article 16 de la CADHP, à l'égard d'une personne détenue. Elle a
ainsi affirmé que refuser l’accès à un médecin à une personne détenue constitue
une violation de l’article 16 de la Charte.
58.La Cour en l'espèce note les pièces 5-3 telles que présentées par le requérant qui
mentionnent les déclarations faites par l'agent de police et le requérant au sujet
de l'examen médical, qui ont eu lieu à différents moments au cours de la période
de garde à vue. Il indique que le 6 novembre 2021, « informé qu'il pourrait être
examiné par un médecin désigné par le Procureur de la République, le nommé
AL AV Au Y nous a donné la réponse suivante, qu'il a
signée avec nous : Je reconnais avoir été informé par vous qu'un examen
médical me sera accordé après accord du Procureur de la République si je le
demande, mais je ne souhaite pas être examiné ». En outre, le 8 novembre 2021,
« informé qu'il pourrait être examiné par un médecin désigné par le Procureur
de la République, le nommé AL AV Au Y nous a donné
la réponse suivante, qu'il a signée avec nous : Je reconnais avoir été informé
par vous qu'un examen médical me sera accordé après accord du Procureur de
la République si je le demande, je souhaite être examiné ». Le Procès-verbal
indique qu’à cette date, « après accord du Procureur de la République de Lomé,
un Rendez-vous a été pris pour lui, pour un contrôle médical à effectuer par le médécin généraliste Ay Aw de la Polyclinique Saint-Antoine de
Padoue ». Ainsi, il a eu accès à un médecin généraliste le 08 novembre 2021 ».
59.D'après les observations du requérant, la Cour note que, bien que le défendeur
lui ait fourni des soins médicaux, ceux-ci n'étaient pas adéquats car il avait
besoin de soins spécialisés compte tenu de ses antécédents médicaux. La preuve
de la Cour est dépourvue de tout rapport médical établissant l'accès aux soins
médicaux généraux ou aux soins médicaux spécialisés. Il est constant en droit
que celui qui allègue doit prouver. Cependant, lorsque les circonstances de
l'affaire empêcheront le requérant de présenter des preuves incontestées, la Cour
doit déterminer le poids qu'elle doit attacher aux preuves dont elle est saisie. Ce
qui est clair en l'espèce, c'est que le requérant a tenté à plusieurs reprises de
demander l'accès aux soins de santé. Quand on lui a proposé un médecin, ce
n'était pas de son choix et il a d'abord refusé ses services avant, finalement,
d’accepter. La Cour note également que, compte tenu des pièces 11 et 14 qui
appuient les tentatives faites par le requérant pour obtenir des soins médicaux
spécialisés, la charge de la preuve est considérée comme acquittée. La Cour, sur
la base des éléments de preuve dont elle dispose, considère que le requérant
souffre d'un état existant qui nécessite des soins spécialisés et que le défendeur
n'a pas pris cela en considération malgré les nombreuses tentatives faites pour
le porter à sa connaissance. Le devoir de l'État en vertu de l'article 16 (2) de la
CADHP est de prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de
sa population et de lui assurer l'assistance médicale en cas de maladie.
60.En outre, en vertu de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus
(ci-dessus), l'article 22 (2) dispose que « Les détenus qui requièrent des
traitements spécialisés ou soins chirurgicaux doivent être transférés vers des
établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils. Lorsqu’un établissement:
pénitentiaire dispose de ses propres installations hospitalières, le personnel
affecté et le matériel fourni doivent y être suffisants pour assurer un traitement
et des soins adéquats aux détenus qui y sont envoyés ». La Cour considère cette
disposition comme la règle minimale qui devrait être accordée à un détenu. Par
conséquent, lorsque le détenu a systématiquement tenté d'accéder à des soins
médicaux spécialisés mais s'en est vu refuser, cet acte de déni contrevient aux
normes internationales. L'article 16 de la CADHP garantit la protection de tous
les citoyens, y compris les détenus, par conséquent, un manquement de la part
du défendeur contrevient à son obligation en vertu dudit article 16, et la Cour
en décide ainsi.
61.En conséquence de ce qui précède, la Cour conclut qu'il y a eu violation du droit
du requérant en vertu de l'article 16 de la CADHP.
c. Violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, interdiction
de l'arrestation arbitraire.
Argumentation du requérant
62.Le requérant affirme que son droit en vertu de l'article 6 de la CADHP, de
l'article 9 de la DUDH, de l'article 9 (2) du PIDCP a été violé à la suite de son
arrestation en novembre 2021. Il soutient que la détention est arbitraire si elle
n'a pas de base légale et cite plusieurs jurisprudences internationales et plus
particulièrement, C Z c. RÉPUBLIQUE DU NIGER (2010)
RJ CIC qui a jugé que la privation de la liberté doit avoir une base légale. Le
requérant affirme que l'arrestation a été effectuée sans motif jusqu'à ce qu'on lui
dise plus tard qu'il avait été arrêté pour avoir enfreint plusieurs dispositions du
nouveau Code pénal togolais. Ê A 63.11 soutient que le caractère arbitraire de son arrestation et de sa détention inclut
le fait de ne pas avoir été informé au moment de son arrestation des raisons de
ladite arrestation. Il soutient que c'est après avoir été interrogé, le sixième jour,
qu'il a été informé du motif de son arrestation, ce qui est contraire aux garanties
internationales qu'il a invoquées. Il se réfère à la pièce 5 qui est le procès-verbal
de l'enquête préliminaire. En outre, au moment de son arrestation, les agents
avaient refusé de s'identifier et ne lui avaient montré aucun mandat d'arrêt, ce
qui contrevient à l'article 9 (2) du PIDCP.
64.Le requérant invoque les directives du Groupe de travail des Nations Unies sur
la détention arbitraire sur les normes internationales pour justifier la privation
de liberté comme point de référence. Il déclare qu'en tant que militant des droits
de l'homme, il est préoccupé par le niveau de vie du peuple togolais et la
situation des droits de l'homme au Togo. Il soutient également qu'il y a beaucoup
de frustration dans l'État défendeur et qu'il s'est efforcé, à travers ses vidéos, de
rendre compte de l'équité sociale, de la justice et de la bonne gouvernance, des
questions sociales, religieuses et politiques relatives à l'humanité.
65.Le requérant affirme que son arrestation et sa détention ont été arbitraires,
contraires aux dispositions relatives aux droits fondamentaux de l'homme
susmentionnées et aux directives établies par le Groupe de travail des Nations
Unies. En conséquence, il prie la Cour d'ordonner sa libération immédiate et
d'ordonner des réparations supplémentaires pour réparer le préjudice qu'il a subi
en conséquence.
Argumentation de l'Etat défendeur
66.Le défendeur affirme qu'il ressort clairement du droit international relatif à la
protection des droits de l'homme que la détention est arbitraire lorsqu'elle n'a
pas de base légale citant l'affaire C Z c. RÉPUBLIQUE DU
30 ] Page @ A Ao (2010) RJ CIC, dans laquelle la Cour a déclaré que « le respect des
« voies légales » suppose que la privation de la liberté doit avoir « une base
légale » dans le droit interne de l'État (...) » et que, ayant constaté qu'il n'y avait
pas de poursuites judiciaires contre C Z, elle a ordonné sa
libération immédiate.
67.Le défendeur soulève la question des documents soumis par le requérant et
soutient qu'il fait l'objet d'une procédure judiciaire conformément au droit
togolais, notamment aux articles 663, 490, 497, 552 et suivants du Code pénal.
Il affirme qu'à la suite de l'arrestation, le requérant a été informé des faits dont
il était accusé et qu'il les a reconnus. Le défendeur affirme en outre que le
requérant a été interrogé par les enquêteurs puis présenté au Procureur de la
République qui a ouvert une information judiciaire devant le juge d'instruction
en charge de la 7*"° Chambre du Tribunal de Grande Instance de Lomé. Le
défendeur soutient que l'arrestation et la détention du requérant résultent d'une
procédure pénale engagée contre lui en vertu du droit interne togolais. La
détention du requérant avait une base légale et excluait ;pso facto la détention
arbitraire.
68.Le défendeur affirme qu'en raison du fait que la procédure pénale a été
légalement engagée contre le requérant en accordant sa demande de libération,
la Cour interviendrait dans la procédure nationale, et ce n'est pas son rôle. Le
défendeur prie la Cour de rejeter l'ailégation d'arrestation et de détention
arbitraires comme non fondée.
Analyse de la Cour
69. La Cour note que les demandes ci-dessous ont été présentées en vertu de
l'article 6 de la CADHP et de l'article 9 du PIDCP et qu'elles s'énoncent comme
suit : A EU « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.
Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans
des conditions préalablement déterminés par la loi: en
particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement ».
Article 6 de la CADHP
1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa
personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une
détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce
n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévue par
la loi. 2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son
arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra
notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée
contre lui. 3. Tout individu arrêté ou détenu du chef d'une
infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un
juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des
fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai
raisonnable ou libéré. La détention de personnes qui attendent
de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en
liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la
comparution de l'intéressé à l'audience, à tous les autres actes
de la procédure et, le cas échéant, pour l'exécution du jugement.
4. Quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou
détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal
afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention
et ordonne sa libération si la détention est illégale. 5. Tout
individu victime d'arrestation ou de détention illégale a droit à 70. La Cour considère le droit consacré à l'article 6 de la CADHP comme un droit
de récupération, c'est-à-dire que si le droit est garanti dans des situations
spéciales dans le cadre de la loi, il peut faire l'objet d'une dérogation. L'article 9
du PIDCP établit de la même manière que le droit n'est pas absolu mais va plus
loin en consacrant la manière dont une arrestation doit être menée, en étant
informé du motif de l'arrestation au moment de l'arrestation, en étant traduit
rapidement devant un juge et en étant ayant droit à une réparation si l'arrestation
est jugée illégale.
71.La Cour, en interprétant ces dispositions, doit déclarer qu'une arrestation et une
détention effectuées pour des motifs légaux ne peuvent être considérées comme
une violation du droit à la liberté. Dans l'affaire AU AM c.
RÉPUBLIQUE DU BURKINA FASO (2012) RJ CIC au paragraphe 21, la
Cour a déclaré que « … la détention arbitraire est toute forme de privation de
liberté intervenue sans motifs légitimes ou raisonnables et en violation des
conditions prévues par la loi. L'un ou la totalité de ces éléments peut venir à
manquer lorsque la détention, au départ non arbitraire, se prolonge. Elle
débouche ainsi sur une détention abusive ». Cependant, la Cour est consciente
du fait qu'une arrestation et une détention fondées sur des motifs légaux ne
peuvent être considérées comme une violation du droit à la liberté garanti,
comme cela a été jugé dans AI AT c. RÉPUBLIQUE DU
SÉNÉGAL (2012) RJ CIC.
72. Il est impératif en l’espèce que la Cour énonce les questions clés ci-dessous :
e Le requérant a été arrêté par les agents du défendeur sans
mandat.
e Cette pièce n ° 10 est l'arrêt n ° 22/22 du 23 février 2022 de la
Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Lomé.
e Le requérant est en détention et l'arrêt susmentionné l'établit.
33 | Page a I 73. La requête du requérant contient des faits selon lesquels il a été arrêté le 4
novembre 2021 et placé en garde à vue, dont la durée a été renouvelée pour 48
heures par le Procureur de la République à partir du 6 novembre 2021. A
l'expiration de cette date, la garde à vue a été prolongée de 8 jours avec effet le
7 novembre 2021. Le 12 novembre 2021, le requérant a été présenté au
Procureur du Tribunal de grande instance de Lomé, qui a immédiatement
renvoyé l'affaire au juge de première instance de la 7°" Chambre. Ce dernier
l’a inculpé pour les quatre infractions et l’a placé sous mandat de dépôt.
74.Sur la base de ces faits, la Cour considère qu'il existe une base légale pour
l'arrestation et la détention ultérieure dans les circonstances. Cependant, la Cour
est consciente que l'arrestation elle-même n'a pas été effectuée conformément à
l'article 9 (2) du PIDCP. Pourtant, la Cour note que le mode d'arrestation du
défendeur peut avoir été motivé par le fait que le requérant n'a pas sa résidence
habituelle au Togo. Quant à la détention découlant de la garde-à-vue et du
placement sous mandat de dépôt, elles sont à première vue intervenues dans le
respect de la législation nationale togolaise.
75.Toutefois, le requérant fait remarquer qu’en dépit des termes du mandat de
dépôt, il n’est pas détenu à la maison d’arrêt de Lomé mais plutôt dans les locaux
du SCRIC où il est soumis à un régime d’enfermement permanent, en violation
du régime réglementaire des inculpés en détention préventive et en dépit de
l’arrêt de la Chambre d’accusation près la Cour d’appel de Lomé n°22/22 en
date du 23 février 2022 qui a expressément demandé qu’il regagne la maison
d’arrêt de Lomé.
76.La Cour à cet égard trouve instruction dans la décision de la Cour africaine dans
l’affaire ALEX THOMAS c. RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE, requête
005/2013, arrêt du 30 novembre 2015 où il a été jugé que « la détention après
34 | Page cn EX un jugement et la condamnation dans un procès pénal ne violent pas
l'interdiction de la détention arbitraire à moins qu'il n'y ait eu un déni flagrant
de justice ». Le point central de la plainte pour violation de l'article 6 de la
CADHP est qu'elle a été faite illégalement. Lorsque l'acte d'arrestation et de
détention s'avère légal, la demande est sans objet.
77.La Cour en l'espèce estime que même si le requérant ne résidait pas
habituellement dans le territoire du défendeur indique, les garanties
fondamentales ne devraient pas être violées. Par conséquent, le défendeur ne
peut pas renoncer à ses obligations qui sont soigneusement énumérées à l'article
9 du PIDCP. La Cour s'appuie sur le raisonnement de la Cour africaine dans
l'affaire COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES
PEUPLES c. LIBYE Requête 002/2013, du 3 juin 2016, paragraphes 84 et 85,
selon lequel la détention au secret constitue en soi une violation flagrante du
droit à la liberté et à la sécurité de la personne, en particulier lorsque l'accusé
n'est pas représenté par un avocat. En l'espèce, la Cour considère qu'une
arrestation effectuée de manière douteuse constitue une violation du droit à la
liberté et à la sécurité de la personne. L'obligation du défendeur est de s'assurer
que les citoyens sont au courant de la raison d'une arrestation au moment où elle
a eu lieu.
78.Par conséquent, en ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles
il a été arrêté sans avoir été informé de son infraction, la Cour conclut que le fait
de ne pas permettre à un citoyen de jouir pleinement de ses droits constitue en
soi une violation de l'article 6 de la CADHP, même si cela a été fait
ultérieurement.
79.En ce qui concerne le requérant toujours en détention, ce que la Cour a devant
elle, c'est l'avocat du défendeur établissant que le défendeur a une base légale
pour sa détention. Après avoir été présenté au juge de première instance de la
35 | Page o SA septième chambre, le requérant a été inculpé de quatre infractions et placé en
détention provisoire. La Cour doit déclarer ici que la détention provisoire en
vertu d'une procédure judiciaire est légale à la suite d'une ordonnance en ce sens.
80.Sur la base de ce raisonnement, la Cour conclut à une violation du droit en vertu
de l'article 6 de la CADHP et de l'article 9 du PIDCP et ordonne que le requérant
soit indemnisé en vertu de l'article 9 (5) du PIDCP. Cette décision satisfait à la
quatrième ordonnance demandée par le requérant, et la Cour ordonne que le
défendeur verse une somme de 10 000 000 CFA (Dix millions de francs CFA)
à titre d'indemnisation.
d. Sur la violation du droit à la présomption d'innocence
Argumentation du requérant
81. Le requérant invoque l'article 7 de la CADHP et déclare que son droit à la
présomption d'innocence a été violé en vertu de celui-ci. Il explore largement le
droit d'être entendu et fait référence au droit existant : l'article 19 de la
Constitution togolaise à cet égard.
82.11 conclut que la Cour devrait ordonner au défendeur de mettre fin à la violation
de son droit à la présomption d'innocence, à un recours effectif et à un procès
équitable en ordonnant sa libération immédiate et une enquête sur les actes de
torture.
Argumentation du défendeur
83.Le défendeur soutient que le requérant n'a pas démontré d'un point de vue
juridique en quoi consiste une telle violation. Il affirme que la présomption
36 | Page æ IF d’innocence suppose que tout inculpé qui comparaît devant le juge d’instruction
ou devant toute autorité judiciaire en dehors du Tribunal qui doit statuer sur la
culpabilité de l’auteur d’une infraction, ne soit pas traité comme déjà coupable
des faits qui lui sont reprochés. Le défendeur souligne que la procédure engagée
contre le requérant était pendante devant le juge de première instance, qui était
tenu d'enquêter sur l'affaire des deux côtés. Il est soutenu qu'à la fin de la
procédure, si le juge de première instance estimait que les faits n'avaient pas été
établis, il rendrait une ordonnance de rejet de l'affaire et, dans le cas contraire,
il rendrait une ordonnance de renvoi de l'affaire devant un tribunal pénal pour
qu'il se prononce sur la culpabilité du requérant. Le défendeur soutient que le
requérant ne peut invoquer la violation de son droit à la présomption
d'innocence et que le rejet d'une demande de mise en liberté provisoire ne
constitue pas une violation du principe de la présomption d'innocence.
Analyse de la Cour
84.La Cour est disposée à tout moment à promouvoir et à protéger les droits
fondamentaux de l'homme en veillant à ce que les violations soient dénoncées
et à ce que des réparations soient accordées. Cependant, dans toutes les
réclamations pour violation d'un droit, le requérant est invité à exposer
correctement la réclamation et la solliciter en montrant le préjudice que la
violation a causé et en s'établissant fermement en tant que victime. Lorsqu'une
demande a été ainsi présentée, la Cour exige que des preuves d'acquittement de
la charge soient produites pour l'aider à déterminer la véracité de la demande.
85. Dans la présente demande de violation de la présomption d'innocence, la Cour
utilise l'article 7 (1) (b) de la CADHP comme point de référence, le même ayant
été invoqué par le requérant. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : … b) le droit à la présomption d'innocence,
Jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ».
86.Les faits et les éléments de preuve présentés à la Cour dans la présente demande
n'établissent pas une violation de ce point de vue et la Cour se hâtera de donner
ses motifs. Les éléments relatifs à l'infraction dont la Cour est saisie parlent
d'actes de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants, d'arrestations
et de détentions arbitraires ; la Cour ne constate aucune soumission avec des
éléments incarnant la violation du droit à la présomption d'innocence. En
prouvant cela, il incombe au requérant de démontrer les circonstances/faits dans
lesquels le défendeur a violé son droit à la présomption d'innocence. Les faits
décrivent une arrestation et une détention, puis une procédure judiciaire qui a
conduit à la détention provisoire du requérant. Le requérant n'a pas
suffisamment exposé les faits et les éléments de preuve qui établissent que le
défendeur a violé de quelque manière que ce soit son droit à la présomption
d'innocence. Il est impératif que toutes les allégations soient prouvées. La Cour
juge impératif de déclarer que la preuve d'une violation de la présomption
d'innocence comprend la preuve que lorsque le droit a été acquis, après une
arrestation ou au cours d'une enquête, le défendeur ou ses agents s'arrangent
pour rendre un jugement par des moyens extrajudiciaires. Ainsi, dans AU
AM c. BURKINA FASO (2012) RJ CIC à la page 281, la Cour a jugé
qu’« …La présomption d'innocence ne peut être imputé à un Etat que pour
autant qu'il est établi que ses propres agents par leurs actes ont fait apparaître
un individu comme coupable des faits qui lui sont reprochés et ce avant tout
87.La Cour n'ayant pas trouvé de telles preuves avant jugement, elle rejette donc
cette demande pour défaut de preuve. Z A 88.Les droits de l'homme sont sacrés et doivent être protégés à tout moment, par
conséquent, lorsqu'une violation a été prouvée par la Cour, il lui incombe
d'accorder des réparations à la victime. Les réparations effectuées par la Cour
ne corrigent pas nécessairement le tort, mais elles garantissent que la victime
est entendue et bénéficie d'une satisfaction équitable, et elle tient l'auteur pour
responsable d'avoir osé enfreindre la loi.
89.En l’espèce, le requérant a demandé des ordonnances de libération immédiate,
une punition pour les auteurs de la violation de la torture, des traitements cruels
et autres traitements dégradants et inhumains, une indemnisation pour détention
arbitraire, une indemnisation pour la violation du droit à la santé et la
présomption d'innocence. Ces réparations sont demandées pour les demandes
allant de 2021 à ce jour.
90.La Cour ayant conclu que le défendeur a violé l'article 5 des ordonnances de la
CADHP ordonne que des enquêtes soient menées sur les conditions de détention
du requérant. La Cour ordonne au défendeur de veiller, dans un délai de trois
mois après le prononcé du présent arrêt, à ce que le requérant bénéficie de toutes
les garanties de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (ci-
dessus). Le défendeur doit donner aux avocats du requérant la possibilité
d'inspecter sa cellule et ils devraient être autorisés à interroger le requérant de
manière indépendante à ce sujet. Toutes les mesures prises par le défendeur pour
améliorer les conditions de vie du requérant doivent être documentées et
signalées à la Cour dans un délai de trois (3) mois.
91.La Cour ordonne au défendeur de payer la somme de 12 500 000 CFA (Douze
millions cinq cent mille francs CFA) à titre de dommages-intérêts cumulatifs
pour toutes les violations constatées dans la présente instance.
92.La Cour ordonne au défendeur de réexaminer les conditions de détention du
requérant et de veiller à ce qu'il renonce à violer ses obligations internationales.
XI. LES DEPENS
93.L'article 66(1) du Règlement de la Cour dispose : « 1/ est statué sur les dépens
dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l'instance ». Dans ce sens, la Cour
accorde des dépens définitifs en faveur du requérant à payer par le défendeur
après évaluation par le Greffier en chef.
Par ces motifs, la Cour siégeant publiquement et contradictoirement après avoir
entendu les parties :
Sur la compétence:
i. Dit qu'elle est compétente pour statuer sur les demandes couvrant la période
de 2021 à ce jour.
ii. Dit qu’elle n’est pas compétente pour statuer sur les demandes couvrant la
période de 2004 à 2005.
Sur la recevabilité :
iii. Déclare recevable la requête relative aux demandes de 2021 à ce jour.
Sur le fond : AS % EE i. Dit qu’il y a eu violation de l'article 5 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples.
ii. Dit qu’il y a eu violation de l'article 16 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples.
iii. Dit qu’il y a eu violation de l'article 6 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples.
iv. Rejette les demandes au titre de l'article 7 de la CADHP pour défaut de
preuve.
v. Rejette toutes les autres demandes.
Sur les réparations :
vi. Ordonne au défendeur de payer la somme de 12 500 000 CFA (Douze millions
cinq cent mille francs CFA) à titre de dommages-intérêts cumulatifs pour
toutes les violations constatées dans la présente instance.
vil. Ordonne au défendeur de donner aux avocats du requérant la possibilité
d'inspecter sa cellule et les autoriser à interroger le requérant de manière
indépendante sur les conditions de sa détention.
viii. Ordonne au défendeur réexaminer les conditions de détention du requérant
et veiller à ce qu’il jouisse de toutes les garanties prévues dans l’Ensemble de
règles minima pour le traitement des détenus (ci-dessus). Le défendeur doit,
dans un délai de trois mois, faire un rapport à la Cour sur l’exécution du
présent arrêt.
ix. Ordonne au défendeur d’exécuter le présent arrêt dans son intégralité.
DES DÉPENS :
ii Condamne le défendeur aux dépens dont le montant sera calculé par le
Greffier en chef.
Hon. Juge Dupe ATOKI CH
Hon, Hon. Juge Juge Ricardo Sengu Mohamed Claudio Monteiro KOROMA/Rapporteur Gonçalves ne .….....… 4 &, am see
Dr. Aa X - Greffier en Chef .
Fait à AQ, le 30 janvier 2024 en anglais et traduit en français et en portugais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCI/JUD/02
Date de la décision : 30/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2024-01-30;ecw.cci.jud.02 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award