COUR COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
Mme AK AN X
C/
LA REPUBLIQUE TOGOLAISE
Affaire N° ECW/CCJ/APP/27/23 - Arrêt N° ECW/CCI/JUD/23/24
ARRÊT
Le 6 juin 2024
1
Plot 1164 Ae Ay Af, Gudu District, Ax Av.
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/27/23
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/23/24
ENTRE
Mme AK AN X REQUÉRANTE
Et
LA RÉPUBLIQUE TOGOLAISE DÉFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Gberi-Bè OUATTARA - Président
Hon. Juge Sengu Mohammed KOROMA - Membre
Hon. Juge Ricardo C. M. GONÇALVES- Rapporteur
ASSISTÉS DE :
Dr. Yaouza OURO-SAMA - Greffier en Chef
REPRESENTATION DES PARTIES
Maître Darius Totékpo-Mawu Kokou ATSOO
Maître Elom Koffi KPADE. - Avocat de la requérante
Maître Tchitchao TCHALIM da; - Avocat de la défenderesse 1. Cet arrêt de la Cour est rendu en audience publique virtuelle, conformément à
l'article 8 (1) des Instructions Pratiques sur la Gestion Électronique des Affaires
et des Audiences Virtuelles de la Cour de 2020.
IT. LES PARTIES
2. La requérante, Madame. AK AN X, épouse C, est de na-
tionalité togolaise, citoyenne de la CEDEAO.
3. Les intervenants sont des partis politiques enregistrés en République du Togo,
à savoir La Convention Démocratique des Peuples Africains (CDPA), Les Démo-
crates Socialistes Africains (DSA), le NID e la Renaissance de l'Afrique Complète
Indépendante et Epanouie (la RACINE).
4. La défenderesse est la République du Togo, État membre de la Communauté
Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et signataire de la
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, ci-après dénommée la
Charte africaine.
5. En l'espèce, la requérante, de nationalité togolaise, demeurant et domiciliée à
Lomé, district de Bè Adidomé, jouit de ses droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels. Dans le cadre des préparatifs des élections législatives et ré-
gionales projetées pour avoir lieu au Togo courant l’année 2023, le président de
la Commission électorale nationale indépendante (CENT), Ak Aj a annoncé
le 17 mars 2023, le début du recensement électoral qui devrait se dérouler du 29
avril au 03 juin 2023. $ 6. Les opérations d’enrôlement des électeurs, entamées le 29 avril, se sont ache-
vées le lundi 08 mai 2023 dans la Zone 1 à laquelle appartient la requérante. Ce-
pendant, la requérante et d'autres citoyens ont eu des difficultés à se faire enrôler
en raison d'anomalies et de dysfonctionnements dans les centres de recensement,
comme l'ont reconnu des acteurs politiques et de la société civile.
7. Suite à une série de communiqués de presse et de déclarations publiques, y
compris une déclaration de la Commission électorale nationale indépendante
(CENI) du 22 juin 2023 annonçant la clôture définitive des opérations de recen-
sement, le requérant et d'autres citoyens se sont retrouvés privés du droit de par-
ticiper pleinement au processus électoral, violant ainsi leurs garanties en matière
de droits de l'homme, énoncées dans la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et le Pacte
International relatif aux Droits Civils et Politiques.
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
8. La requête introductive d'instance (Doc.1) a été enregistrée au greffe de la Cour
le 26 juillet 2023.
9. Le 26 juillet 2023, une requête aux fins de procédure accélérée (Doc. 2) a été
enregistrée au Greffe de la Cour.
10. Le 28 juillet 2023, une demande d'intervention volontaire (Doc. 3) de partis
politiques (personnes morales) a été enregistrée au Greffe de la Cour.
11. Le mémoire en Défense (Doc. 4), de l'Etat défendeur, le Togo, a été enregistrée
au Greffe de la Cour le 21 août 2023.
12. Le mémoire en défense (Doc. 5), de l'Etat défendeur, le Togo, en réponse au
mémoire en intervention volontaire a été enregistrée au Greffe de la Cour le 21
août 2023.
13. Le 14 février 2024, deux éléments de preuve de la requérante ont été enregis-
trés au Greffe de la Cour (Doc. 6).
14. Après délibération, le procès a été fixé au 6 juin 2024.
V. LES ARGUMENTS DE LA REQUERANTE
1. Résumé des faits
15. La requérante, de nationalité togolaise, demeurant et domiciliée à Lomé, dis-
trict de Bè Adidomé, revendique ses droits civils, politiques, économiques, so-
ciaux et culturels dans le cadre des préparatifs des élections législatives et régio-
nales projetées pour avoir lieu au Togo courant l’année 2023. Le président de la
Commission électorale nationale indépendante (CENI), Ak Aj a annoncé le
17 mars 2023 le début du recensement électoral qui devrait se dérouler du 29 avril
au 03 juin 2023.
16. Les opérations d’enrôlement dans la Zone 1 à laquelle, appartient la requérante
ont eu lieu du 29 avril au 8 mai 2023. Cependant, des problèmes tels que le
manque de consommables et dysfonctionnements d'équipements dans les centres
de recensement ont rendu difficile l'enrôlement de nombreux citoyens, y compris
la requérante.
17. Des organisations politiques et de la société civile telles que le Nouvel Enga-
gement Togolais (N.E.T) et l'Alliance Nationale pour le Changement ont dénoncé
les dysfonctionnements lors du processus de recensement, tandis que la Direction
de la Mobilisation Populaire (DMP) a réitéré sa demande à la CENI de reprendre
les opérations de recensement électoral dans la zone 1.
18. Le 8 mai 2023, le Conseil des ministres a reconnu les difficultés relevées lors
du recensement et a appelé les acteurs à tout mettre en œuvre pour apporter des
solutions afin que la suite du processus se déroule dans la sérénité. La CENI a,
pour sa part, salué la mobilisation des populations, mais a reconnu les dysfonc-
tionnements relevés.
19. Le 22 juin 2023, la CENI a annoncé la clôture définitive des opérations de
recensement et l’affichage prochaine des listes électorales provisoires dans tous
les centres de recensement et de vote.
20. Cette clôture des opérations de recensement a appelée de vives réactions de
partis politiques et autres associations de la société civile, avec des appels à la
CENI pour une prolongation du délai dans la Zone 1. Cependant, la position de la
CENI est restée inchangée.
21. Le recensement électoral, marqué par des irrégularités et des violations des
droits des citoyens, soulève de sérieuses préoccupations quant à l'inclusivité et
l'équité du processus électoral. La requérante, ainsi que beaucoup d'autres, ont vu
leurs droits fondamentaux compromis par le manque d'accès au processus démo-
cratique, en violation des principes établis dans les traités internationaux et la lé-
gislation nationale.
b. Moyens de droit
22. La requérante a fondé ses allégations sur les dispositions suivantes :
i. L'ARTICLE 13 (1) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples
(CADHP) - qui fait référence au droit de participer librement à la direction des
affaires publiques, qui inclut le droit de voter et d'être élu, garantissant l'égalité
d'accès aux fonctions publiques.
ii. L'ARTICLE 25 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
(PIDCP) - qui traite du droit de voter et de participer aux élections, ainsi que du
droit d'accéder aux fonctions publiques sans discrimination, droits essentiels pour
l'exercice de la souveraineté du peuple.
iii. L'ARTICLE 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH)
- qui prévoit le droit fondamental à la participation politique, y compris le droit
de voter et d'être élu lors des élections périodiques et honnêtes, en tant que partie
intégrante de la démocratie et de la prise de décision gouvernementale.
c. Conclusions de la requérante
23. La requérante conclut qu’il plaise à la Cour :
i. Ordonner à l'État togolais d'inscrire immédiatement la requérante sur la liste
électorale avant toute élection en perspective et de prendre toutes les mesures aux
fins d’inscrire tous les autres citoyens éligibles qui ne le sont pas encore.
ii. Condamner l'Etat togolais aux entiers dépens, tels que prévus à l'article 66 du
Règlement de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO.
VI. LES ARGUMENTS DES INTERVENANTS
24. Ces requérants sollicitent une intervention volontaire dans l'affaire N°
ECW/CCTI/APP/27/23, devant la Cour de Justice de la CEDEAO. Dame
AK AN X, épouse C, demande la condamnation de la Ré-
publique du Togo pour violation de son droit de prendre part à la direction des
affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de repré-
sentants librement choisis, consacré par les dispositions des articles 21 de la
DUDH, 13 (1) de la CADHP et 25 du PIDCP. Les intervenants volontaires enten-
dent soutenir et faire valoir que l’État du Togo a violé leurs droits similaires, en
vertu des mêmes articles et du Protocole de Dakar sur la Démocratie et la Bonne
Gouvernance, conformément au Règlement de la Cour de Justice de la CEDEAO.
Les requérants soutiennent que la compétence de la Cour est clairement établie
dans les protocoles pertinents, compte tenu de la nature des violations alléguées
des droits de l'homme et des dispositions sur la démocratie et la gouvernance.
VII - LES ARGUMENTS DE LA DEFENDERESSE 25. La défenderesse soutient que la demande de la requérante est fondée sur la
prétendue violation, par l'État togolais, de son droit d'être inscrite sur la liste élec-
torale pour pouvoir voter ou être candidate. Cependant, la requérante n'a pas
fourni de preuves concrètes de ses efforts pour s'inscrire, se contentant de déclarer
qu'elle n'a pas été inscrite en raison de problèmes techniques et de la forte mobi-
lisation. Elle n'a pas précisé les dates, heures ou lieux où elle a tenté de s'inscrire,
et n'a pas non plus démontré qu'elle avait tenté à plusieurs reprises de s'inscrire.
26. En outre, la requérante n'a pas pris en compte les efforts de l'administration
pour résoudre les problèmes pendant la période d'inscription, ni reconnu les com-
muniqués saluant le travail de la Commission Électorale Nationale Indépendante
(CENI) et les opérations d’enrôlement.
27. La défenderesse souligne également le défaut de qualité de la requérante pour
représenter tous les togolais supposés non enrôlés sur la liste électorale et deman-
der à la Cour de condamner la République togolaise à les inscrire immédiatement.
La requérante, en formulant sa demande, n'a pas pris les précautions procédurales
nécessaires pour représenter de manière adéquate toutes les personnes concernées.
28. La requête introductive ne fournit pas les noms, adresses ou mandats donnés
par les « autres citoyens non inscrits » à la requérante pour les représenter devant
la Cour. Cette omission constitue une violation des procédures établies par le Pro-
tocole et le Règlement de la Cour de Justice de la CEDEAO.
29. Par conséquent, leur recours ne satisfait pas aux exigences du nouvel article
10 (d) du Protocole Additionnel et de l'article 33 (1) (e) du Règlement de la Cour
de justice de la CEDEAO et est donc susceptible d'être considérée comme irrece-
vable. La requérante ne peut être considérée comme victime de violation de son
droit à l’enrôlement sur la liste électorale en raison de l'absence de preuve d'efforts
raisonnables pour obtenir ce droit.
VIII. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
1. Sur la requête aux fins de procédure accélérée
30. Par requête (Doc. 2), introduite conformément à l'article 59 du Règlement de
la Cour, la requérante a déposé une demande de procédure accélérée, en faisant
valoir que l'urgence particulière est caractérisée par le fait que le corps électoral
peut être convoqué à tout moment et en tout état de cause, avant la fin de 2023
pour les élections législatives et régionales et qu'il serait souhaitable que la Cour
de Justice de la CEDEAO se prononce avant cette date et qu'après les élections,
le présent recours serait sans objet.
31. La défenderesse ne s’est pas prononcée sur cette demande.
Analyse de la Cour
32. L'article 59 du Règlement de la Cour dispose :
1. À la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le
président peut exceptionnellement, sur la base des faits qui lui sont présentés,
l’autre partie entendue, décider de soumettre une affaire à une procédure accé-
lérée dérogeant aux dispositions du présent règlement, lorsque l'urgence parti-
culière de l'affaire exige que la Cour statue dans les plus brefs délais.
2. La demande tendant à soumettre une affaire à une procédure accélérée doit
être présentée par acte séparé lors du dépôt de la requête ou du mémoire en dé-
3. En cas d'application d’une procédure accélérée, la requête et le mémoire en
défense ne peuvent être complétés par une réplique et une duplique que si le pré-
sident le juge nécessaire.
4. L'intervenant ne peut présenter un mémoire en intervention que si le président
le juge nécessaire. / 5. Dès la présentation du mémoire en défense ou, si la décision de soumettre l’af-
faire à une procédure accélérée n’intervient qu’après la présentation de ce mé-
moire, dès que cette décision est prise, le président fixe la date de l’audience qui
est aussitôt communiquée aux parties.
6. Il peut reporter la date de l’audience lorsque l'organisation de mesures d’ins-
truction ou d’autres mesures préparatoires l’impose.
7. Sans préjudice du présent règlement, les parties peuvent compléter leur argu-
mentation et faire des offres de preuve au cours de la procédure orale. Elles mo-
tivent le retard apporté à la présentation de leur offre de preuve.
8. Après avoir entendu les parties, la Cour statue.
33.Conformément à l'article 59 du Règlement de la Cour, la demande de pro-
cédure accélérée doit être présentée par acte séparé lors du dépôt de la re-
quête ou du mémoire en défense; la Cour doit se prononcer afin de déter-
miner, pour les parties, s'il est nécessaire de compléter les mémoires par
une réplique et une duplique ou si un mémoire en intervention peut être
déposé, le cas échéant.
34.Somettre une affaire à la procédure accélérée permet à la Cour de statuer
dans les plus brefs délais, lorsque l'urgence particulière de l'affaire
l'exige. À cet effet, la date de l'audience pourra être fixée dès la présentation
du mémoire en défense.
35.En l'espèce, la requête introductive d’instance a été déposée le 26 juillet
2023, accompagnée de la demande de procédure accélérée présentée par
acte séparé, comme l'exige le Règlement ; le 28 juillet 2023, un mémoire
en intervention a été déposé par les partis politiques togolais ; le Togo a
déposé son mémoire en défense et ses observations sur le mémoire en in-
tervention le 21 août 2023, soit dans un délai d'un mois à compter du dépôt de la requête introductive ; ces dernières laissent supposer que la Cour peut
statuer sans passer à la phase orale.
36.Dans les circonstances décrites ci-dessus et compte tenu des règles de pro-
cédure, la Cour dispose des informations nécessaires pour rendre son arrêt
sur le fond de l'affaire. En principe, la décision faisant droit ou rejetant la
demande de procédure accélérée est adoptée par la Cour avant qu'elle ne se
prononce sur le fond de l'affaire. Par conséquent, à ce stade, étant en mesure
de statuer sur le fond de l'affaire, il n'est pas nécessaire de statuer sur la
demande de procédure accélérée et ainsi déclare la Cour, d'une part.
37.D'autre part, dans la mesure où, comme le prétend la requérante, les élec-
tions législatives et régionales sont prévues en 2023, il serait toujours inu-
tile de statuer sur la demande de procédure accélérée, puisque nous sommes
en mai 2024.
2. Sur la demande en intervention
Conclusions des parties intervenantes
38. Deux jours après la réception de la requête introductive au greffe de la
Cour, quatre partis politiques togolais : la Convention Démocratique des
Peuples Africains (CDPA), Les Démocrates Socialistes Africains (DSA),
le NID et la Renaissance de l'Afrique Complète Indépendante et Épanouie
(la RACINE), ont déposé un mémoire en intervention volontaire devant la
Cour. Leur action est fondée sur l'article 89 du Règlement de la Cour et
l'article 7 des Instructions Pratiques du 4 juin 2012. En outre, sur la base de
la jurisprudence de la Cour, ils soutiennent qu'en tant que personnes mo-
rales, concourant à l’expression du suffrage, leur qualité et intérêt à agir ne
sont plus à démontrer. Ils ajoutent que cet intérêt est d’ailleurs né et actuel dans la mesure où les cas de violations allégués s’effectuent en plein pro-
cessus électoral ; Ils demandent à la Cour de déclarer recevable leur mé-
moire en intervention volontaire.
Conclusions de l'Etat défendeur
39. L'État togolais, quant à lui, soutient que les requérants n'ont pas prouvé le
respect des formalités internes prévues aux articles 15 et 16 de la Loi n.° 91-04 du
12 avril 1991 portant Charte des Partis Politiques, telle que modifiée par la Loi n.°
2022-008 du 30 mai 2022. En l'absence de telles preuves, la Cour de justice doit
les déclarer irrecevables en leur demande pour défaut de qualité, dès lors que le
dépôt d'un pourvoi devant la Cour de justice est une activité publique et que seul
un parti politique dont l'existence est publiée peut exercer une activité publique.
Ces articles disposent :
Article 15 :
Le parti politique muni du qui a la récépissé ou de la décharge en tenant lieu ou
encore de la décision de justice, rend publique son existence au journal officiel et
dans un organe de presse du Togo. L'avis de publication doit préciser la date de
création du parti, sa dénomination, l'adresse de son siège, les nom, prénoms, pro-
fession ou adresse de ses dirigeants.
Article 16 :
Le parti politique acquiert la personnalité morale à compter de la date de sa dé-
claration au ministère de l'Intérieur. Toutefois, il ne pourra exercer d'activités
publiques qu'à compter de la date de publication au journal officiel ou dans un
organe de presse du Togo.
40. Pour l'Etat togolais, les quatre partis politiques qui demandent l'intervention
n'ont pas la qualité de victimes directes/ puisque l'enrôlement sur la liste électorale est un droit réservé aux togolais des deux sexes. En outre, il a déclaré qu'ils ne
pouvaient avoir la qualité de victimes indirectes, puisqu'ils ne pouvaient pas pré-
senter à la Cour les noms des Togolais qu’ils avaient clairement identifié, les noms
des Togolais qui leur avaient donné mandat pour les représenter, comme l'exige
l'article 12 du Protocole relatif à la Cour, qui dispose : « chaque partie à un diffé-
rend est représentée devant la Cour par un ou plusieurs agents qu’elle désigne par
la Cour à cette fin (.…) ». Il y a donc un obstacle majeur à la régularité de leur
représentation : l'absence de mandats émanant des victimes elles-mêmes.
41. Selon l'Etat togolais, la procédure devant la Cour de Justice de la CEDEAO
est très encadrée, et sa saisine est très précise. Les victimes agissent en leurs noms
ou sont représentées par des mandataires. Il est absolument impossible comme en
l’espèce que des partis politiques interviennent dans une procédure déjà cavalière
par une double violation de l’article 21 du protocole de 1991 relatif à la Cj CE-
DEAO, pour invoquer des allégations de violations des droits des personnes ano-
nymes et requérir la condamnation de l’Etat à enrôler ces anonymes sans aucune
justification d’aucune sorte.
42. Il ajoute que les requérants, en saisissant la Cour conformément à l'article 89
du Règlement de procédure et l'article 7 des Instructions Pratiques du 4 juin 2012,
se sont trompés de texte et ont rendu leur saisine irrecevable ; ce n'est qu'après
que la Cour a déclaré la requête en intervention recevable que l'intervenant peut
présenter un mémoire en intervention.
43. L'État togolais conclut que : 1) en définitive, les quatre partis politiques ont
soumis à la Cour un instrument irrégulier, incorrect et non prévu par la loi, consi-
dérando que seules les parties présentes dans une instance déjà liée, échangent par
mémoires ; 2) conformément à l'article 21 du Protocole relatif à la Cour, , seuls
les Etats membres peuvent saisir la Cour par voie d’intervention, et les partis po-
litiques ne sont pas des États membres ; 3) quant aux conditions prévues aux
points 1 et suivants de l’article 89 du Règlement, sur le délai de six (6) semaines de la publication de la requête introductive avant le dépôt de la requête en inter-
vention et sur le contenu de cette requête, il s’en rapporte à la sagesse de la Cour.
44. Evidemment, l'Etat togolais conteste la recevabilité de la demande d'interven-
tion pour plusieurs raisons : (1) l'irrégularité formelle fondée sur l'absence de dé-
pôt préalable de la demande d'intervention et l'impossibilité de marquer le point
de calcul des six semaines ; (2) l'absence de preuve de la qualité pour agir ; (3)
l'inexistence du droit d'intervention des partis politiques, étant entendu que seuls
les Etats membres disposent de ce droit ; (4) l'absence de qualité de victime directe
ou indirecte.
Analyse de la Cour
45. Il n'est pas nécessaire d'analyser chacune de ces objections soulevées par
l’État défendeur. L'analyse de la Cour se limitera à la question de savoir si, con-
formément aux textes juridiques de la Cour, notamment l'article 21 du Protocole
de 1991 et l'article 89 du Règlement de la Cour, l'intervention des partis politiques
en tant que tiers est admissible.
46. Ces articles disposent, respectivement, que :
Article 21 :
Tout Etat Membre, lorsqu'il estime que la solution d’un litige dont la Cour est
saisie est susceptible de porter atteinte à ses intérêts, peut sur requête, intervenir
au différend.
Article 89 :
1. La demande d’intervention est présentée au plus tard avant l’expiration d’un
délai de six semaines qui court à partir de la date de la publication visée par
l’article 13, paragraphe 6 du présent règlement. La demande d'intervention con-
tient :
a) l’indication de l'affaire ; fe,
b) l'indication des parties principales au litige ;
c) le nom et domicile de l'intervenant ;
d) l’élection de domicile de l’intervenant au lieu où la Cour a son siège ;
e) les conclusions à l'appui de la demande d'intervention ;
À) l'exposé des circonstances établissant le droit d’intervenir, lorsque la demande
est présentée en vertu de l’article 21 du Protocole. L’intervenant est représenté
selon les dispositions de l’article 12 du Protocole. Les articles 32 et 33 du présent
règlement sont applicables.
2. La demande d'intervention est signifiée aux parties. Le Président met les par-
ties en demeure de présenter leurs observations écrites ou orales avant de statuer
sur la demande d’intervention. Le Président défère la demande à la Cour.
3. Si la Cour admet l’intervention, l’intervenant reçoit communication de tous les
actes de procédure signifiés aux parties. La Cour peut cependant, à la demande
d’une partie, exclure de cette communication des pièces secrètes ou confiden-
tielles.
4. L'intervenant accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son interven-
tion.
5. Le Président fixe le délai dans lequel l’intervenant peut présenter un mémoire
en intervention. Le mémoire en intervention contient :
a) Les conclusions de l’intervenant tendant au soutien ou au rejet total ou partiel
des conclusions des parties ;
b) Les moyens et arguments invoqués par l'intervenant ;
c) les offres de preuve s’il y a lieu.
6. Après le dépôt du mémoire en intervention, le président fixe, le cas échéant, un
délai dans lequel les parties peuvent répondre à ce mémoire.
7. Une demande d’intervention qui est présentée après l'expiration du délai visé
au paragraphe !, mais avant la décision d’ouvrir la procédure orale prévue à
l’article 40, paragraphe 1, peut être prise en considération. Dans ce cas, si le
président admet l’intervention, l’intervenant peut, sur la base du rapport d’au-
dience qui lui est communiqué, présenter ses observations lors de la procédure
orale, si celle-ci a lieu.
47. Conformément à l'article 89 du Règlement, l'intervention comporte deux
étapes. La première se caractérise par la présentation d'une demande d'interven-
tion, qui peut être sanctionnée par la décision de la Cour de l'accepter ou de la
rejeter. La seconde se distingue par la participation de l'intervenant à la procédure,
à savoir par la présentation d’un mémoire en intervention.
48. Pour être prise en considération, la demande d'intervention doit être présentée
au plus tard six semaines à partir de la date de publication de la requête initiale au
Journal officiel de la Communauté. Elle peut également être présentée après l'ex-
piration de ce délai, à condition que ce soit avant la décision d'ouvrir la procédure
orale. Dès que la Cour reçoit une telle demande, le Président met les parties en
demeure de présenter leurs observations écrites ou orales avant de statuer sur la
demande d’intervention. La demande est déférée à la Cour, qui décide de l'accep-
ter ou de la rejeter.
49. Si la Cour admet l’intervention, l’intervenant reçoit communication de tous
les actes de procédure signifiés aux parties. I] accepte le litige dans l’état où il se
trouve lors de son intervention. Le Président fixe le délai dans lequel l’intervenant
peut présenter un mémoire en intervention et après le depot des écritures, le pré-
sident fixe, le cas échéant, un délai dans lequel les parties peuvent répondre à ce
mémoire.
50. Si l'intervention est acceptée avant la décision d’ouvrir la procédure orale,
l’intervenant peut, sur la base du rapport d’audience qui lui est communiqué, pré-
senter ses observations lors de la procädure orale, si celle-ci a lieu.
51. En définitive, les règles applicables à l'intervention imposent à la Cour de
justice de se prononcer d'abord sur la recevabilité de la demande d'intervention.
52. Sur ce point, la position de la Cour n'est pas uniforme.
53. En effet, dans l'affaire N.° ECW/CCI/APP/11/09 du 17 novembre 2009 con-
cernant la demande d'intervention (At Ak c. Senegal, $816-24 et aussi
8825-34), la Cour a jugé que « toute personne physique ou morale, lorsqu'elle
estime que la solution d’un litige dont la Cour est saisie est susceptible de porter
atteinte à ses intérêts, peut, sur requête, intervenir au différend ».
54. La Cour a réitéré cette position dans sa décision préjudicielle dans l'affaire N.°
ECW/CCI/RUL/05/11 du 1“ juin 2011 entre Private Ac Aa Et la Répu-
blique Fédérale du Nigeria, Recueil (2011) p. 131 et 132, $ 29.
55. Dans l'affaire N.° ECW/CCJ/RUL/08/11 du 13 juillet 2011, Ap Ab
Be Hore Socio-Cultural Association (Z AO for and on behalf
of the Ag Ah AG Ao AqAM c. République fédérale du Nigéria, la
Cour, en analysant la demande d'intervention de l'État du Plateau dans le litige, a
reconnu le droit d'intervenir en vertu des principes généraux du droit s'il existe un
intérêt impérieux susceptible d'être affecté par l'objet du litige dont elle est saisie.
56. Toutefois, dans les affaires ultérieures dans lesquelles des demandes d'inter-
vention ont été introduites, la Cour n'a pas confirmé l'interprétation du 17 no-
vembre 2009 (At Bg c. Sénégal, précité) et a donc rejeté les demandes
d'intervention des particuliers, au motif que l'intervention est réservée aux seuls
États.
57. Par exemple, dans l'affaire Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP)
et Autres c. Bb Bf, la Cour a rejeté la demande d'intervention de Ag AJ
Ag's Chambers au motif que « à la lumière du Protocole de 1991 sur la Cour,
le droit d'intervention n'est ouvert qu'aux Etats. Par conséquent, elle déclare irre-
cevable la demande d'intervention gui lui a été soumise « (Voir, Arrêt ECW/CCI/JUD/16/15 du 13 juillet 2015, Congrès pour la démocratie et le Progrès
(CDP) et autres c. Bb Bf, Recueil de jurisprudence (2015), P.300, $14).
58. Cependant, à la lecture des différents arrêts de la Cour en matière de tierce
intervention (voir aussi : Arrêt ECW/CCI/JUD/22/15 du 23 octobre 2015, Mama-
A Bh Am c. Mali, Recueil de jurisprudence 2015, P. 418, $825-27 ; Arrêt
ECW/CCI/JUD/27/15 du 1” décembre 2015, Al Aw et Autres c. Côte
d'Ivoire, Recueil de jurisprudence 2015, pp. 526-528 ; Nazare Gomes de Bi c.
Guinée-Bissau, Arrêt ECW/CCJ/JUD/15/18 du 24 mai 2018), on peut conclure
que sa jurisprudence, relative à l'application de l'article 21 du protocole de 1991,
a évolué d'une lecture favorable à l'intervention privée à une lecture qui l'interdit,
puis semble revenir à une lecture qui autorise l'intervention privée, quoique sur la
base de critères qui ne sont pas toujours clairs.
59. La Cour estime opportun de rappeler que, dans les régimes africain et univer-
sel de protection des droits de l'homme, les particuliers ne peuvent intervenir dans
les affaires portées devant les tribunaux ou les médias qu'en vertu d'une règle ex-
presse et non équivoque les autorisant à le faire.
60. Les règles expresses et non équivoques concernant l'intervention des tiers de-
vant la Cour sont énoncées aux articles 21 du Protocole de 1991 et 89 du Règle-
ment de la Cour.
61. La lecture combinée de ces préceptes montre que seuls les États peuvent in-
tervenir en tant que tiers. Par conséquent, la Cour conclut qu’en l'espèce, les de-
mandes d'intervention ne sont pas justifiées, et rejette donc l'approche des inter-
venants et exclut leurs demandes d'intervention du débat, car elles sont irrece-
vables.
IX - SUR LA COMPÉTENCE 62. En l'espèce, les allégations de la requérante sont fondées sur la violation de
ses droits de l'homme, contrairement aux dispositions pertinentes de la Charte
africaine et d'autres instruments internationaux de protection des droits de
l'homme, à savoir le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, tels qu'invoqués.
63. Dans ce contexte, le présent recours relève de la compétence conférée à la
Cour, en vertu de l'article 9 (4) du Protocole A/P1/7/91, relatif à la Cour de justice
de la CEDEAO, portant amendement du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05,
pour connaître des cas de violations des droits de l'homme dans tout État membre
(voir les affaires AL c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA ET 4
AUTRES, Arrêt N.° ECW/CCI/JUD/16/14, ($72) et Bd AI Ba c.
RÉPUBLIQUE DU SÉNÉGAL, Arrêt N.° ECW/CCJ/JUD/19/13, 872).
64. Ainsi, la Cour se déclare compétente pour connaître de la présente affaire.
X. SUR LA RECEVABILITÉ
65. En droit coutumier, la compétence pour examiner et statuer sur une demande
n'est pas la même que la recevabilité de la demande. La recevabilité, en ce sens,
consiste à déterminer si la demande sera acceptée pour examen au fond et pro-
gresser vers une décision finale sur les questions en litige. Il convient toutefois
d'ajouter qu'un courant d'opinion s'est développé au sein des cours internationales
des droits de l'homme, selon lequel les règles de recevabilité devraient être traitées
avec un certain « …degré de flexibilité et sans formalisme excessif ». Les traités
relatifs aux droits de l'homme doivent être interprétés et appliqués de manière à
rendre leurs garanties pratiques et effectives. (YASA C. TURQUIE - 1998 - VI ;
28 EHRR 408).
66. En outre, l'accès à la Cour pour l'examen de toutes les requêtes est accordé si
les conditions énoncées à l'article 10, du Protocole Additionnel sont remplies.
Dans la présente affaire, qui concerne la prétendue violation des droits de l'homme
par un particulier, la disposition de l'article 10(d) stipule que :
« Peuvent saisir la Cour toute personne victime de violations des droits de
l’homme ; la demande soumise à cet effet : i) ne sera pas anonyme ; ni ii). ne
sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté lorsqu'elle a déjà
été portée devant une autre Cour internationale compétente.»
67. Par conséquent, la requérante s'étant identifié comme victime de violation des
droits de l'homme, la Cour constate que la demande n'est ni manifestement infon-
dée, au sens de l'article susmentionné, ni irrecevable pour tout autre motif.
68. En conséquence, cette action doit être déclarée recevable.
XI. AU FOND
69. La Cour procède ainsi à l'examen de chacun des droits humains prétendument
violés par l'Etat défendeur, en tenant compte des questions que la requérante a
soumises à la décision de la Cour.
Violation des articles 13 (1) de la CADHP, 25 du PIDCP et 21 de la DUDH
Allégations de la requérante
70. La requérante explique que le gouvernement togolais, à l’issue du Conseil des
ministres du mercredi S avril 2023, a fixé la période du recensement électoral qui
devrait se dérouler du 29 avril au 03 juin 2023; que les opérations d’enrôlement
des électeurs, entamées le 29 avril, se sont achevées officiellement le lundi 08 mai
2023 dans la Zone | à laquelle elle appartient; que ces opérations ont connu une
mobilisation sans précédent de la population de la zone 1 au point où, des citoyens
au rang desquels, se trouve la requérante, n’ont pas pu se faire enrôler, les centres
de recensement ayant fermé aux heurgs de clôture alors qu’elle était dans un des fils d’attente ; que la forte mobilisation des citoyens et les nombreuses anomalies
(pannes de machines, pénuries des consommables, etc.), ont considérablement ra-
lenti le rythme des opérations; considérant que ces difficultés ont été reconnues
unanimement par les acteurs politiques, ceux de la société civile et le gouverne-
ment. À l'appui de cette déclaration, elle a joint plusieurs communiqués de presse
de partis politiques togolais, dont le Nouvel Engagement Togolais (NET), la
DMP, l'Alliance Nationale pour le Changement (ANC). Le Gouvernement togo-
lais a également reconnu, à travers des déclarations publiques (Communiqué du
Conseil des Ministres du 8 mai 2023, publié le 11 mai 2023 sur le site officiel du
Gouvernement togolais) les dysfonctionnements qui ont été enregistrés lors du
recensement dans la zone 1. C’est malheureusement dans ces circonstances que
la CENI, par communiqué en date du 22 juin 2023 annonce la clôture définitive
sur le terrain des opérations de recensement et annonce l’affichage prochaine des
listes électorales provisoires dans tous les centres de recensement et de vote. Cette
décision a conduit le parti politique Santé du Peuple, dans un communiqué rendu
public le 29 juin 2023, à relever « la proportion des personnes non enrôlées durant
ce processus en général et dans la zone 1 en particulier », avant de demander à la
CENI une « prorogation exceptionnelle » dans la zone 1. Les partis politiques,
dans le cadre du Cadre Permanent de Concertation entre les acteurs Politiques et
le Gouvernement (CPC), ont fait écho de cette préoccupation. La coalition Lidaw,
qui regroupe des organisations de la société civile togolaise, a dénoncé « le refus
catégorique des gouvernants de reprendre le recensement électoral dans la zone 1
afin de garantir l’équité et l’inclusivité du processus électoral en cours ». Ces dif-
férentes déclarations et recours n'ont pas changé le cours des événements et, la
CENI n'ayant pas prolongé le processus d'inscription, elle n'a pas pu se faire en-
rôler sur les listes électorales.
71. De cette situation, la requérante déduit une violation du droit de prendre part
à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’in-
termédiaire de représentants librement choisis, consacré par les articles 21.1 de
la DUDH, 13.1 de la CADHP et 25 du PIDCP.
72. À l'appui de sa thèse, elle se réfère aux Principes directeurs relatifs aux élec-
tions en Afrique de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples,
qui visent à promouvoir le respect de l'article 13-1 de la CADHP, en particulier le
principe directeur suivant : La conduite des élections, qui doit respecter les prin-
cipes de transparence, d'intégrité, d'inclusivité et d'accessibilité, assurer la fiabilité
du registre électoral, la qualité du matériel électoral, le secret du vote, le dépouil-
lement public et la proclamation rapide des résultats. Elle a également invoqué
l'arrêt de la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples dans l'affaire
As Au Bc et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (2015),
dans lequel la Cour a ordonné à la Tanzanie de de réinscrire les requérants sur la
liste électorale, dont ils avaient été radiés et de leur délivrer des cartes d'électeur;
elle a également invoqué l'arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO dans l'affaire
Ai Az c. République du Mali (2013) ; l'arrêt de la même Cour dans
l'affaire Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP)
c. Bb Bf (2014), Az Ar An c. République du Niger (2016).
Elle s'est également référée à l'Observation générale du Comité des droits de
l'homme des Nations Unies sur le droit à la participation aux affaires publiques
(1996), aux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et de la Cour
Interaméricaine des Droits de l'Homme, qui ont clarifié le contenu et la portée du
droit en question.
73. La requérante soutient que, conformément à l'article 204 du Code électoral
togolais, « tout citoyen qui a qualité d’électeur est éligible [en tant que membre
de l'Assemblée nationale] dans les conditions et sous les seules réserves énoncées
aux articles suivants (.…) » ; que, conformément à l’article 40 alinéa 1er du code électoral : « Le corps électoral se compose de tous les Togolais des deux sexes,
âgés de dix-huit (18) ans révolus, jouissant de leurs droits civils et politiques, ins-
crits sur les listes électorales et n’étant dans aucun des cas d’incapacité prévues
par la loi » ; l'article 44 du même Code électoral dispose : : « l’inscription sur la
liste électorale est un droit pour tout citoyen togolais remplissant les conditions
requises par la loi. Tous les citoyens togolais visés à l’article 40 ci-dessous doivent
solliciter leur inscription » ; Enfin, l'article 45 du Code dispose : « Nul ne peut
refuser l’inscription sur une liste électorale à un citoyen togolais répondant aux
conditions fixées par la présente loi, ni aux personnes qui, frappées d’incapacité
électorale à la suite d’une condamnation, bénéficient de la réhabilitation ou font
l’objet d’une mesure d’amnistie ».
74. Selon la requérante, elle jouit de tous ses droits civils et politiques et ne se
trouve dans aucun des cas d’incapacité prévues par loi, pour que la CENI lui re-
fuse son inscription sur la liste électorale. Elle soutient qu’en décidant de la clô-
ture définitive des opérations de recensement électoral, alors qu’il est constant que
de nombreux citoyens togolais dont elle, se sont déplacés vainement dans les
centres de vote et de carte pour solliciter leur inscription sur les listes électorales,
l’Etat défendeur, du fait de sa CENI, a violé les dispositions du code électoral
précité, par suite, méconnu ses obligations au titre des dispositions pertinentes de
l’article 13-1 de la CADHP, de l’article 21 de la DUDH et de l’article 25 du
PIDCP.
Allégations de la défenderesse
75. L'Etat togolais relève des lacunes dans l'exposé des faits par la requérante. Il
convient de noter que même si elle affirme s'être rendue à l'école primaire catho-
lique de Bè Adidomè, dans une file d’attente quand les centres de recensement
ont été fermés aux heures de 4 "AL être enrôlée, elle ne dit pas quel Ue$ jour ;
depuis quand elle est dans la file d’attente ; quelle file dans cette école ; combien
de fois elle a essayé de s'inscrire ; que dans le centre où elle prétend s’être rendue,
il y a une liste très fournie de personnes recensées ; qu'elle n’ignore pas que le
droit à l’inscription sur la liste électorale est quérable ; c’est au citoyen de se dé-
placer pour aller chercher cette inscription ; que l'État n'a qu'une seule obligation
de moyens, qu'il respecte en mettant à disposition tous les moyens techniques et
les consommables pour faciliter ces opérations; que, dans ce cas, l'État togolais a
sensibilisé la population en âge de voter, a mis en œuvre tous les mécanismes pour
enrôler tout le monde à savoir les moyens en personnels formés et qualifiés, les
moyens en matériels, les moyens financiers et les moyens logistiques ; que c'est
la forte mobilisation qui a pesé sur tout le dispositif et généré nombre de difficul-
tés ici et là ; que des correctifs ont été faits partout par les membres et personnels
de la CENI et des Commissions Electorales Locales Indépendantes ; qu'une pro-
rogation de deux (02) jours supplémentaires a été opérée dans toutes les zones, à
l’expiration du délai initialement prévu ; que les partis politiques, par plusieurs
communiqués, ont adressé des félicitations à la CENI et que, dans le cadre du
Cadre permanent de concertation, les acteurs politiques n’ont pas retenu une re-
prise du recensement après un débat contradictoire, civilisé et sérieux; qu’à l’op-
posé de l’Etat, qui a fait tout son possible, la requérante ne justifie guère avoir
tenté ne serait-ce qu’une seule fois s’être mise dans les rangs pour se faire enrôler.
76. L'Etat togolais soutient, enfin, que la requérante n’a pas justifié qu’elle et
«tous autres citoyens non-inscrits » ont fait tout ce qu’il fallait faire et surtout
dans la situation de mobilisation exceptionnelle de la population et n’ont pu se
faire enroler, et en quoi la republique togolaise en etait responsable; qu'elle est est
taisante sur ses propres efforts qui sont une obligation légale et ne ne justifie pas
les actes posés par l’administration pour contrer chacun de ses efforts, et le carac-
tère fautif des actes de l’administration qui ont empêché son inscription. Il conclut
que la requérante ne justifie aucun acte de violation.
Analyse de la Cour
77. Les articles 21 de la DUDH, 13.1 de la CADHP et 25 du PIDCP, dont la
violation est alléguée, prévoient respectivement :
Article 21 (DUDF) :
1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques
de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement
choisis.
39.Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonc-
tions publiques de son pays.
40.La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics;
cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir
lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant
une procédure équivalente assurant la liberté du vote.
Article 13.1 (CADHP) :
Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires
publiques de leur pays, soit directement, soit part l'intermédiaire de représentants
librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi.
Article 25 (PIDCP) :
Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à
l’article 2 et sans restrictions déraisonnables:
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par
l’intermédiaire de représentants librement choisis;
b) De voter et d’être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suf- frage
universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des
électeurs;
c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de
78. Les articles 21.1 de la DUDH, 13.1 de la CADHP et 25.a) du PIDCP consa-
crent le droit de tout citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques
de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement
choisis, conformément aux règles établies par la loi et sans restrictions injustifiées.
79. En ce qui concerne le droit d'être électeur, le Comité des droits de l'homme
des Nations Unies précise dans son Observation générale n° 25
CCPR/C/21/Rev.1/Add.7 du 27 août 1996 sur l'article 25 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques que « Les Etats doivent prendre des mesures
efficaces pour faire en sorte que toutes les personnes qui remplissent les condi-
tions pour être électeurs aient la possibilité d'exercer ce droit quand l'inscription
des électeurs est nécessaire, elle devrait être facilitée et il ne devrait pas y avoir
d'obstacle déraisonnable à l'inscription (...). Des campagnes d'éducation et d'ins-
cription des électeurs sont nécessaires pour garantir l'exercice effectif des droits
prévus à l'article 25 par une communauté avertie » ($11).
80. En l'espèce, il s'agit de déterminer si, à la lumière des faits rapportés par la
requérante quant à son incapacité à s'inscrire sur la liste électorale, l'Etat togolais
a imposé des restrictions injustifiées à son droit de prendre part à la direction des
affaires publiques de son pays.
81. Il est important de souligner que, selon les dispositions pertinentes du Code
électoral togolais, en particulier les articles 40, 44, 45 et 204, l'inscription sur la
liste électorale est un droit de tout citoyen togolais ; c'est la condition sine qua non d'être non seulement un électeur, mais aussi un candidat éligible. Ainsi, l'ins-
cription sur la liste électorale est un acte d'une grande importance qui permet à
tout citoyen togolais d'avoir la chance d'élire ses représentants (Chef de l'Etat,
députés, etc.) et ainsi de prendre part à la direction des affaires publiques de son
pays par l'intermédiaire de représentants librement choisis ou d'avoir la chance
d'être élu et, par conséquent, de prendre part directement à la direction des affaires
publiques de son pays. Ainsi, l'inscription sur la liste électorale est une condition
essentielle pour jouir du droit de prendre part à la direction des affaires publiques
de son pays. Par conséquent, tout citoyen qui néglige de se faire enrôler ou qui est
empêché de le faire, conformément à la loi togolaise applicable, verra son droit
de prendre part à la gestion des affaires publiques de son pays restreint.
82. Pour apprécier si l'allégation de non-inscription sur la liste électorale peut
constituer une cause de la prétendue violation, il est important de préciser les obli-
gations qui incombent à l'Etat togolais dans le cadre d'une opération d'enrôlement
des électeurs et d'apprécier ensuite son comportement. L'attitude de la requérante
est également pertinente, car il s'agit d'un droit dont l'exercice nécessite une dili-
gence de sa part.
83. En ce sens, l'organisation d'une opération d'enrôlement des électeurs impose
à l'État de prendre des mesures administratives, réglementaires et financières pour
que chaque citoyen ait la possibilité de s'inscrire sur la liste électorale et, partant,
de participer à la direction des affaires publiques de son pays. L'Etat doit donc
fournir à la CENI tous les moyens techniques et consommables nécessaires pour
mener à bien cette opération dans toutes les zones du territoire national ; l'Etat
doit également veiller à ce que tous les citoyens puissent se rendre facilement dans
les centres d'enregistrement, en assurant les conditions de sécurité nécessaires et,
surtout, en informant les citoyens des procédures à suivre pour s'enregistrer.
84. En l'espèce, la requérante prétend qu'en raison d'une mobilisation exception-
nelle de la population, elle n'a pas pu } faire enroler, bien qu'elle se soit rendue dans un centre d'inscription pendant la période prévue par la loi. Selon elle, la
décision de la CENI de clôturer les opérations de recensement électoral alors
qu'elle et de nombreux autres citoyens togolais étaient dans les files d'attente, est
une Violation de leurs droits. Dans ce contexte, il est pertinent d'évaluer si, malgré
la forte mobilisation de la population, la CENI a fourni tous les moyens techniques
et consommables nécessaires pour mener à bien les opérations d'enrôlement des
électeurs et si les autorités togolaises ont veillé à ce que chaque citoyen puisse se
déplacer facilement vers les centres d'inscription, en assurant les conditions de
sécurité nécessaires et en informant les citoyens sur les procédures à suivre pour
s'inscrire.
85. Or, selon les informations fournies par les parties, la Cour note que la CENI a
fourni tous les moyens techniques et consommables nécessaires pour effectuer les
opérations d'enrôlement des électeurs dans toutes les zones du territoire national ;
elle note également que la CENT et les autorités togolaises se sont mobilisées pour
que chaque citoyen puisse facilement se déplacer vers les centres d'inscription, en
assurant les conditions de sécurité nécessaires et en informant les citoyens sur les
procédures à suivre pour s'inscrire. Cependant, il convient de noter que, malgré la
forte mobilisation de la population, certaines personnes, dont la requérante, n'ont
pas pu se faire enrôler. Dans ce contexte, il est pertinent d'évaluer si ces personnes
n'ont pas pu s'inscrire en raison d'un manque de diligence de leur part ou si les
autorités togolaises n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour que chaque
citoyen puisse s'inscrire sur la liste électorale.
86. En plus, selon les informations fournies par les parties, la Cour rappelle que
la requérante n'a pas précisé le jour où elle s'est rendue dans un centre de recen-
sement, le temps qu'elle a passé dans la file d'attente et le nombre de fois où elle
a tenté de s'inscrire ; la Cour note également que la requérante n'a pas précisé si
la CENI et les autorités togolaises ont informé les citoyens des procédures à suivre pour s'inscrire sur la liste électorale. Dans ce contexte, il est raisonnable de con-
clure que la requérante n'a pas démontré que les autorités togolaises n'ont pas pris
toutes les mesures nécessaires pour que chaque citoyen puisse s'inscrire sur la liste
électorale.
87. En outre, la Cour rappelle que la requérante n'a pas démontré que la CENI n'a
pas fourni tous les moyens techniques et consommables nécessaires pour effectuer
les opérations de recensement des électeurs dans toutes les zones du territoire na-
tional. Dans ce contexte, il est raisonnable de conclure que la requérante n'a pas
démontré que les autorités togolaises n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires
pour que chaque citoyen puisse s'inscrire sur la liste électorale.
88. En conclusion, comme il n'est pas allégué ni démontré que la requérante n'a
pas pu s'inscrire sur la liste électorale en raison d'un manque de diligence de sa
part ou que les autorités togolaises n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires
pour que chaque citoyen puisse s'inscrire sur la liste électorale, il n'est pas possible
pour la Cour de constater que l'État togolais a imposé des restrictions injustifiées
au droit de la requérante de prendre part à la direction des affaires publiques de
son pays.
XII. SUR LES REPARATIONS
89. La requérante conclut à ce qu'il plaise à la Cour de :
- Ordonner à l'État togolais d'inscrire immédiatement la requérante sur la liste
électorale avant toute élection en perspective et de prendre toutes les mesures aux
fins d’inscrire tous les autres citoyens éligibles qui ne le sont pas encore.
- Condamner l'Etat togolais aux entiers dépens, tels que prévus à l'article 66 du
Règlement de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO.
90. En ce qui concerne la première partie des conclusions (ordonner à l'Etat togo-
lais d'inscrire immédiatement la requérante sur la liste électorale avant toute élec-
tion en perspective), elle est rejetée par la Cour, pour les motifs exposés aux pa-
ragraphes 83 à 88 de la présente décision, auxquels il est fait référence.
91. En ce qui concerne la deuxième partie des conclusions, elle ne serait recevable
que dans le cadre d'une action populaire. Toutefois, après avoir analysé les con-
ditions de recevabilité d'une telle action (voir l'affaire N.° ECW/CCI/APP/70/21,
Arrêt N.° ECW/CCI/JUD/15/24, Z AO OF Ad
Y B c. REPUBLIQUE DU NIGERIA, plus précisément les para-
graphes 115 à 118, 130 à 133 et 135), la Cour considère que le droit de la requé-
rante et celui des autres citoyens éligibles de l'Etat défendeur ne sont pas des droits
publics.
92. Au contraire, ce sont des droits individuels et il appartient à chaque citoyen,
s'il le souhaite, de les exercer. Comme il ne s'agit pas de droits publics, la requé-
rante ne pourrait faire de telles demandes que si elle avait un mandat pour repré-
senter les citoyens concernés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
93. Par ces motifs, cette deuxième partie des conclusions de la requérante est re-
jetée.
94. En ce qui concerne la deuxième demande (condamnation de l'État du Togo
aux dépens), elle sera traitée immédiatement après.
XIH. SUR LES DÉPENS
95. En l'espèce, la requérante a demandé que l'Etat défendeur soit condamné aux
dépens et vice versa.
96. L'article 66 (1) du Règlement de la Cour dispose que « J/ est statué sur les
dépens dans l'arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l'instance ».
97. Le paragraphe 2 du même article dispose que : « Toute partie qui succombe
est condamnée aux dépens, s’il est conclu dans ce sens » ;
98. Par conséquent, à la lumière des dispositions susmentionnées, la Cour consi-
dère que la requérante doit supporter ses propres dépens et la Cour rejette donc sa
demande tendant à ce que l'État défendeur soit condamné aux frais de procédure.
99. Ces dépens seront calculés par le Greffier en chef de la Cour.
XIV. DISPOSITIF
100.Par ces motifs, la Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après
en avoir délibéré :
Sur la compétence :
i. Se déclare compétente pour connaître de l'affaire ;
Sur la recevabilité:
ii. Déclare le recours de la première requérante recevable.
iii. Déclare le recours des partis politiques intervenants irrecevables.
Au fond :
iv. Constate qu’il n’y a pas eu violation, par l’État du Togo du droit
de la requérante à prendre part à la direction des affaires publiques
de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représen-
tants librement choisis, consacré par les dispositions pertinentes
des articles 21 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme (DUDH), 13-1 de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples (CADHP) et 25 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
v. Rejette, en conséquence, toutes les autres demandes de la requé-
rante.
Sur les dépens 101. La requérante supportera les frais de procédure, qui seront calculés par le
Greffier en chef.
Ont signé :
Hon. Juge Gberi-Bè OUATTARA - Préside Aus
Hon. Juge Sengu Mohammed KOROMA - Membre 5
Hon. Juge Ricardo C. M. GONÇALVES- Rapporteur
Dr. Yaouza OURO-SAMA - Greffier em Chef
Fait à Ax, le 6 juin 2024, en portugais et traduit en anglais et en français.