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06/06/2024 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/21/24

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 06 juin 2024, ECW/CCJ/JUD/21/24


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
eu COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
Se TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
M. AH AL
ï Coritre
LA REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE
Affaire N.° ECW/CCIJ/APP/26/22 - Arrêt N.° ECW/CCI/JUD/21/24
ARRÊT
AO
Le 6 juin 2024
1
Plot 1164 Ae Ao Af, Gudu District, AO Am.
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/26/22
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/21/24
ENTRE
M. AH AL REQU

ERANT
ET
LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE ...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
eu COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
Se TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
M. AH AL
ï Coritre
LA REPUBLIQUE DE COTE D’IVOIRE
Affaire N.° ECW/CCIJ/APP/26/22 - Arrêt N.° ECW/CCI/JUD/21/24
ARRÊT
AO
Le 6 juin 2024
1
Plot 1164 Ae Ao Af, Gudu District, AO Am.
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/26/22
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/21/24
ENTRE
M. AH AL REQUERANT
ET
LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA - Membre
Hon. Juge Ricardo Claûdio Monteiro GONÇALVES - Rapporteur
ASSISTÉS DE :
Dr. Yaouza OURO-SAMA - Greffier en Chef
REPRESENTATION DES PARTIES
FEMI FALANA - Avocat du Requérant
X A AM - Avocate de la défenderesse 1. Cet arrêt de la Cour est rendu en audience publique virtuelle, conformément à
l'article 8 (1) des Instructions Pratiques sur la Gestion Électronique des Affaires
et des Audiences Virtuelles de la Cour de 2020.
II. LES PARTIES
2. Le requérant est M. AH AL, père présumé d'Itunu Babalola, une
femme d'affaires nigériane, basée en Côte d’Ivoire, qui serait décédée durant sa
détention en prison en Côte d’Ivoire le 14 novembre 2021.
3. La défenderesse est la République de Côte d'Ivoire, État membre de la
CEDEAO et signataire de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples, ci-après dénommée la Charte Africaine.
4. M. AH AL, père présumé d'Itunu Babalola, a déposé sa requête
introductive d'instance devant la Cour de justice de la CEDEAO, alléguant que
sa fille était une femme d'affaires nigériane, décédée durant sa détention en prison
en Côte d'Ivoire le 14 novembre 2021.
5. Le requérant fait valoir que l’arrestation, la détention, le procès, la
condamnation et l’emprisonnement de sa fille du plaintif, AJ AL,
par le défendeur, sont illégaux car ils violent son droit à un procès équitable
garanti par la Charte africaine et la Constitution de 2016 de la Côte d'Ivoire. En
outre, le requérant soutient que la mort d’AJ AL durant sa
détention en Côte d’Ivoire constitue une violation de ses droits humains à la
dignité, à la santé et à la vie, prévus dans la même Charte africaine.
6. En conséquence, le requérant demande à la Cour de déclarer illégale toutes les
mesures prises par les autorités ivoiriennes à l'encontre de sa fille et de condamner
l'État défendeur à verser la somme de 500 millions de dollars à titre
d’indemnisation pour l’homicide illégal de sa fille, AJ AL.
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
7. La requête introductive d'instance (Doc.1) a été enregistrée au greffe de la Cour
le 15 juin 2022.
8. Le 5 juillet 2022, la défenderesse a été dûment notifiée.
9. Le 9 septembre 2022, le mémoire en défense de la défenderesse a été
enregistrée.
10. Le 12 septembre 2022, le requérant a été dûment notifié mais n'a pas comparu.
11. Après délibération, le procès a été fixé au 6 juin 2024.
V. LES ARGUMENTS DU REQUERANT
a. Résumé des faits
12. La défunte, AJ AL, était une citoyenne de la communauté
d’Ibadan, dans l’État d’Oyo au Nigéria et elle a fréquenté le Lycée de filles
musulmanes à Ijebu Ode, dans l’État d’Ogun, au Nigeria. Elle était une
commerçante basée à Ab, en Côte d’Ivoire.
13. En septembre 2019, l’appartement d’AJ AL à Ab a été
cambriolé par un Ivoirien et un rapport de l’incident a été déposé à la police de
Ab.
14. Après enquête, l’Inspecteur de police divisionnaire (DPO) en charge du poste
de police a découvert que le suspect était son neveu et a par la suite offert à AJ
AL une compensation pécuniaire qu’elle a rejetée au motif que
l’indemnisation était bien inférieure à la valeur de ses biens volés.
15. Étonnamment, la défunte a par la suite été arrêtée par le même Officier de
police divisionnaire (DPO) en charge de Ab et elle a ensuite été accusée
de traite d’êtres humains.
16. Sans aucune preuve liant la défunte à l’infraction de traite d’êtres humains ou
à quelque infraction que ce soit, elle a été reconnue coupable et condamnée à 10
ans d’emprisonnement.
17. La défunte a ensuite été emprisonnée où elle a été victime d’agressions et de
traitements inhumains de la part des autorités pénitentiaires de la défenderesse.
18. Pendant son incarcération, la défunte est tombée malade mais s’est vu refuser
un traitement médical par les autorités pénitentiaires de la défenderesse.
19. La négligence médicale a entraîné la mort soudaine de la défunte le 14
novembre 2021, en détention.
20. Dans le but de dissimuler le meurtre illégal de la défunte, le défendeur a
procédé à une autopsie secrète et a affirmé que la mort de la défunte était due à
des complications liées au diabète.
21. Les membres de la famille de la défunte et l’ambassade du Nigéria à Abidjan
n’ont pas été informés avant l’autopsie.
22. Les parents ainsi que les autres membres de la famille de la défunte ont lu
dans les médias sa mort tragique.
23. L’ambassade du Nigéria à Abidjan n’a pas été informée du décès de la défunte
et de l’autopsie pratiquée par la défenderesse.
24. La défenderesse n'a pas informé le requérant du décès soudain de la défunte.
25. Elle a refusé d'enquêter et de poursuivre les autorités pénitentiaires, dont la
négligence a entraîné la mort tragique d'Itunu Babalola.
b. Moyens de droit
26. Le requérant a fondé ses allégations sur les articles suivants:
i. 6 et 7 de la Constitution de Côte d'Ivoire ;
ii. 4 du Traité Révisé de 1993 de la Communauté Économique des États de
l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO);
iii. 1, 2, 3, 4, 5, 7, 16, 18 et 23 de la Charte africaine;
iv. 6 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) ;
c. Conclusions du requérant
27. Le requérant conclut à ce qu’il plaise à la Cour de:
i. Dire et juger que l’arrestation, la détention, le procès, la condamnation
et l’emprisonnement de la fille de sa fille, TUNU BABALOLA, par la
défenderesse, sont illégaux car ils violent le droit humain de la défunte
à un procès équitable garanti par l’article 7 de la Charte africaine des
Droits de l’Homme et des peuples.
ii. Dire et juger que la mort d’AJ AL durant sa détention en
Côte d’Ivoire constitue une violation de ses droits humains à la dignité,
à la santé et à la vie garantis par les articles 4, 5 et 16 de la Charte
africaine des Droits de l’Homme et des peuples (ratification et
application) et la Constitution ivoirienne de 2016.
iih | CONDAMNER la défenderesse à lui verser la somme de 500 millions
de dollars à titre d’indemnisation pour l’homicide illégal de sa fille,
AJ AL.
VI - LES ARGUMENTS DE LA DEFENDERESSE
a. Résumé des faits
IL AU PRINCIPAL, IN LIMINE LITIS: DU DEFAUT DE QUALITÉ
POUR AGIR DE MONSIEUR AH AL
28. Monsieur AH AL a introduit la présente action en
prétendant agir en qualité de père de Madame AJ AL.
29. Cependant, le requérant ne produit aucun document attestant de son lien de
parenté avec la nommée AJ AL. De plus, dans la présente
procédure devant la Cour, le requérant dit se nommer AH AL,
alors que dans la pièce référencée EXHIBIT « B » (une coupure de presse)
produite par ce dernier, au deuxième paragraphe, il a indiqué que le père de la
dénommée AJ AL se nommerait Al AL; (Pièce
1: EXHIBIT « B »).
30. En tout état de cause, l’Etat de Côte d’Ivoire, saisi de la requête, a procédé à
des investigations desquelles, il ressort qu’aucune personne du nom d’ITUNBU
BABALOLA n°a jamais été détenue dans une prison ivoirienne.
31. Une personne de nationalité nigériane, qui avait été détenue à la prison de
Ab en Côte d’Ivoire, se nomme BEKI Paul, de père inconnu, tel qu’il
ressort des pièces suivantes :
i. un Jugement n.° 121 rendu le 28 mai 2020 par la Section de Tribunal de
Ab qui fait état de la condamnation de la nommée BEKI PAUL; (Pièce
2: Jugement n.° 121 du 28/05/2020) ;
ii. un Extrait du Registre de la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan
concernant la dénommée: BEKI PAUL, de père inconnu ; (Pièce 3: Extrait du
Registre daté du 11/09/2021);
iii. une Fiche de décès émise par la Maison d’ Arrêt et de Correction d’Abidjan en
date du 18 novembre 2021 concernant la dénommée BEKI PAUL, de père
inconnu; (Pièce 4: Fiche de décès du 18/11/2021) ;
iv. un Certificat de décès daté du 17 novembre 2021; (Pièce 5: Certificat de décès
du 17/11/2021) ;
32. Et divers rapports médicaux concernant la dénommée BEKI PAUL, de père
inconnu.
33. La Cour notera que :
i. Monsieur AS AH AL a saisi la Cour de Justice pour des
violations supposées des droits de l’Homme d’une dénommée AJ
AL, sans rapporter la preuve de son lien de parenté avec cette dernière;
ii. La détenue, de nationalité nigériane, détenue à la prison de Ab, qui se
nomme BEK] Paul, est née de père inconnu.
34. La Cour déclarera donc Monsieur AH AL irrecevable en sa
demande pour défaut de qualité et d’intérêt pour agir.
MI. (a) DES PRETENDUES VIOLATION DES DROITS DE
L’HOMME DE LA DENOMMEE AJ AL.
35. Monsieur AH AL demande à la Cour de constater que l’Etat
de Côte d’Ivoire a violé les droits à un procès équitable, à la dignité, à la santé et
à la vie de la dénommée AJ AL.
36. Toutefois, l’Etat de Côte d’Ivoire affirme que, des investigations menées par
ses services compétents, il n’a jamais arrêté, jugé, condamné et emprisonné une
personne se dénommant AJ AL, fille de Monsieur AH
AL
37. De ce fait, l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pu violer les droits de cette dernière.
b. Moyens de droit
38. La défenderesse n'a fait référence à aucune disposition légale.
c. Conclusions de la défenderesse
39. La défenderesse demande à la Cour de :
IN LIMINE LITIS
Constater que :
1. Le requérant ne rapporte pas la preuve de sa parenté avec la nommée AJ
AL, dont il prétend défendre les droits en sa qualité de père.
ii. L’Etat de Côte d’Ivoire n’a jamais détenue une personne se nommant
AH AL.
En conséquence,
iii. La Cour déclarera Monsieur AH AL irrecevable en son
action pour défaut de qualité et d’intérêt pour agir.
SUBSIDIAIREMENT AU FOND, S’IL Y A LIEU
iv.La Cour constatera que la nommée AJ AL n’a jamais fait l’objet
en Côte d’Ivoire d’arrestation, de jugement, de condamnation et de détention.
En conséquence,
v. Elle rejettera la requête de Monsieur AH AL et le déboutera
de toutes ses prétentions.
VII- SUR LA COMPETENCE
40. En l'espèce, les allégations du requérant sont fondées sur la violation de ses
droits de l'homme, contraire aux dispositions pertinentes de la Charte Africaine
des Droits de l'Homme et des Peuples et des autres instruments internationaux de protection des droits de l'homme, à savoir le Pacte International relatif aux Droits
Civils et Politiques et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, tels
qu'invoqués.
41. En cesens, le présent recours relève de la compétence conférée à cette Cour,
conformément à l'article 9 (4) du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de justice
de la CEDEAO, portant amendement du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05,
pour connaître des cas de violations des droits de l'homme dans tout État membre
(Voir AU c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA ET 4 AUTRES, Arrêt
N° ECW/CCJH/JUD/16/14, ($72) et Aq AK Ah c. RÉPUBLIQUE DU
SÉNÉGAL, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/19/13 $72).
42. Ainsi, la Cour se déclare compétente pour connaître de la présente affaire.
VIII- SUR LA RECEVABILITÉ
43. En l'espèce, le requérant fait grief de la violation des droits de l'homme de sa
fille présumée AJ AL, décédée, parce qu'elle était commerçante à
Ab, en Côte d'Ivoire, et qu'elle a été arrêtée par l'officier de police
divisionnaire (DPO) en charge de Ab; que sans aucune preuve liant la
défunte à l’infraction de traite d’êtres humains ou à quelque infraction que ce soit,
elle a été reconnue coupable et condamnée à 10 ans d’emprisonnement; que
pendant son incarcération, la défunte est tombée malade mais s’est vu refuser un
traitement médical par les autorités pénitentiaires du Défendeur, ce qui a entraîné
sa mort soudaine le 14 novembre 2021, en détention ; que pour dissimuler le
meurtre illégal de la défunte, le défendeur a procédé à une autopsie secrète et a
affirmé que la mort de la défunte était due à des complications liées au diabète
44. À son tour, la défenderesse a nié les faits ci-dessus, alléguant, entre autres,
que le requérant ne rapporte pas la preuve de sa parenté avec la nommée AJ
AL; que devant la Cour, le requérant dit qu'il s'appelle AH
AL, alors qu'à l'annexe « B» (une coupure de presse) produite par ce dernier, au deuxième paragraphe, il a indiqué que le père d'Itunu Babalola
s'appelle Al AL (Pièce n.° 1 : ANNEXE « B »).
Analyse de la Cour
45. Au vu de ce qui précède, la question se pose de savoir si la requête introductive
d'instance satisfait les conditions de recevabilité prévues à l'article 10 (d) du
Protocole Additionnel de la Cour.
46. L'article précité dispose que peuvent saisir la Cour : «Toute personne victime
de violations des droits de l'Homme. La demande soumise à cet effet : i) ne sera
pas anonyme ; ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté
lorsqu'elle a déjà été portée devant une autre Cour internationale compétente».
47. Il ressort de l'article précité qu'il existe trois conditions de recevabilité qui
doivent être remplies cumulativement : (i) le requérant doit être victime de la
prétendue violation, c'est-à-dire qu'il doit avoir le statut ou la position d'une
victime ; (ii) le requérant ne doit pas être anonyme, c'est-à-dire qu'il ne peut pas
être une personne anonyme ; et (iii) la requête ne doit pas être introduite devant
une autre Cour internationale (voir AG AP & AUTRES c.
RÉPUBLIQUE DU TOGO [2013] CCJELR 167, par. 18; ASSIMA KOKOU
INNOCENT & AUTRES c. REPUBLIQUE DU TOGO, Arrêt N°
ECW/CCI/JUD/08/13, p. 9).
48. En l'espèce, le requérant est dûment identifié. Les éléments contenus dans la
requête permettent de les identifier clairement. En outre, rien ne prouve que cette
affaire est pendante devant une autre Cour internationale, où le requérant cherche
à obtenir des réparations identiques ou similaires à celles qu'il a demandées à cette
Cour.
49. Cela dit, la Cour conclut que la requête introductive d'instance remplit les
conditions selon lesquelles le requérant n’est pas anonyme et que l'affaire n'est
pas pendante devant une autre Cour internationale.
50. Outre les conditions susmentionnées, le requérant doit également être une
victime présumée de la violation des droits de l'homme et c'est à lui de prouver sa
qualité pour agir (voir CONCERNED YOUTH OF GANTA FOR
RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT et M. AX As AQ c.
ÉTAT DE LA RÉPUBLIQUE DU LIBÉRIA, Arrêt N° ECW/CCI/RUL/06/20, par.
150).
51. Le terme « locus standi » désigne l'intérêt à engager une procédure devant un
tribunal ou à être entendu dans une affaire particulière. En d'autres termes,
l'application stricte du locus standi signifie qu'un requérant, qui souhaite intenter
une action en justice, doit avoir un intérêt suffisant dans l'affaire pour avoir la
qualité pour agir.
Il est bien connu que lorsque la capacité d’un requérant est mise en cause, il doit,
s’il veut réussir, établir d’abord sa capacité par la preuve la plus claire (voir
EBERE ANTHONIA AMADI & 3 Autres c. LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL
DU NIGERIA, ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/22/19 Pg. 13).
52. En d'autres termes, le requérant doit démontrer, prima facie, qu'il a été affecté
par une loi, une politique, une pratique ou un comportement de l'Etat défendeur,
qui est la cause des prétendues violations des droits de l'homme (voir AMNESTY
INTERNATIONAL TOGO ET AUTRES c. LA RÉPUBLIQUE DU TOGO,
ECW/CCI/JUD/09/20, paragraphes 31-33).
53. Selon une interprétation strictement littérale, seules les personnes directement
affectées par un acte ou une omission qui viole leurs droits de l'homme peuvent
bénéficier du statut de victime et ont la qualité pour présenter une plainte contre
les auteurs de ladite violation. Cependant, même les juridictions qui ont initialement adopté une interprétation strictement littérale du concept de victime,
aux fins de la protection des droits de l'homme, ont évolué vers une approche plus
flexible, permettant à d'autres, non directement affectés par la prétendue violation,
d'avoir accès à la Cour et d'être en mesure de demander justice au nom de la
victime réelle et de demander des comptes à l'auteur de la violation (voir LES
ADMINISTRATEURS DU PROJET POUR LES DROITS SOCIO-
ÉCONOMIQUES ET LA TRANSPARENCE (AU) & 10 AUTRES c. LA
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGERIA & 4 Autres ECW/CCJ/JUD/16/14
page 18.).
54. Le doit relatif aux droits de l'homme considère la victime comme la personne
dont les droits ont été violés. Et cette qualification donne lieu à certains droits, à
savoir le droit à un recours et à réparation. Cela inclut le droit de déposer une
plainte et d'exercer des droits procéduraux (voir Ac An et Lutz Oette,
«International Human Rights - Law and Practice » (Ag Aj Ap,
2013), pp. 275-279, 536).
55. La Cour de céans a défini la victime comme une personne qui subit
directement ou indirectement un préjudice ou une douleur (préjudice physique ou
mental), une souffrance émotionnelle (par la perte d'un membre de la famille
proche ou d'un parent), une perte économique (perte de biens) ou toute déficience
pouvant être qualifiée de violation des droits de l'homme. (voir REV. FR.
SALOMON MFA & 11 AUTRES C/ LA RÉUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA,
56. Ce concept a été défini dans le principe 8 des «Principes fondamentaux et
directives sur le droit à un recours et à réparation … » des Nations Unies comme
suit : « les personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un
préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une
souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits
fondamentaux, en raison d'actes ou d’omissions constituant des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves
du droit international humanitaire. Le cas échéant, et conformément au droit
interne, on entend aussi par « victimes » les membres de la famille proche ou les
personnes à charge de la victime directe et les personnes qui, en intervenant pour
venir en aide à des victimes qui se trouvaient dans une situation critique ou pour
prévenir la persécution, ont subi un préjudice.»
57. Or, en l'espèce, le requérant introduit cette action en alléguant que les droits
de l'homme de la défunte AJ AL, qu'il prétend être sa fille, ont été violés.
58. En droit international des droits de l'homme et dans la pratique de divers
organismes des droits de l'homme, l'exigence de la qualité de victime a été
interprétée de manière assez libérale.
59. Ainsi, outre le cas évident des personnes qui sont personnellement et
directement affectées par la prétendue violation des droits de l'homme (« victimes
directes »), les « victimes indirectes » (celles qui sont autorisées à déposer une
plainte soit parce qu'elle soulève une question d'intérêt général concernant le
respect des droits de l'homme, soit parce qu'elles peuvent prétendre que la
violation leur a causé un préjudice ou qu'elles ont un intérêt personnel valable à
ce que la violation prenne fin), peuvent également être autorisées à déposer des
plaintes pour violation des droits de l'homme, en particulier lorsque les victimes
directes sont décédées ou ne peuvent pas déposer de plaintes pour une autre raison
(voir AMNESTY INTERNATIONAL TOGO ET AUTRES c. LA
RÉPUBLIQUETOGOLAISE, Arrêt N° ECW/CCJ/JUD/09/20, paragraphes 31-
33).
60. Ces victimes indirectes peuvent inclure « les membres de la famille proche ou
les personnes à la charge de la victime directe et les personnes qui, en intervenant
pour pour porter assistance à la victime en détresse ou pour prévenir la
persécution, ont subi un préjudice », comme on peut le voir dans (LES
PRINCIPES FONDAMENTAUX ET DIRECTIVES CONCERNANT LE DROIT À UN RECOURS ET À RÉPARATION DES VICTIMES DE
VIOLATIONS FLAGRANTES DU DROIT INTERNATIONAL DES DROITS
DE L’HOMME ET DE VIOLATIONS GRAVES DU DROIT
INTERNATIONAL HUMANITAIRE, AGNU RES. A/RES/60/147 (2005),
Principe 8). Voir aussi LES AYANTS DROIT FEUS Ai AN,
Z C Ac AW, ERNEST ZONGO, BLAISE
ILBOUDO ET MOUVEMENT BURKINABE DES DROITS DE L'HOMME ET
DES PEUPLES c. BURKINA FASO (REPARATIONS) (2015) 1 AfCLR 258,
par. 45-49 ; Arrêt N° ECW/CCI/JUD/24/23, par. 42).
61. Par conséquent, lorsqu'un requérant qui n'est pas une victime directe de la
prétendue violation des droits de l'homme, il doit au moins démontrer qu'il est une
victime indirecte pour que l'affaire soit recevable. Il doit doit donc alléguer et
prouver qu'il a un lien de parenté avec la victime de la violation des droits de
l'homme, sous peine de ne pas avoir de qualité pour agir et intenter l'action (voir
en ce sens AT Ar Ak Aa c. GOUVERNEUR DE
L'ÉTAT DE GOMBE, [2012] CCJELR, par.
62. Pour se conformer à cette condition de recevabilité, le requérant doit fournir
la preuve d'être de la famille ou d'avoir une autre relation étroite avec la victime
directe, ce qui établit sa qualité de victime indirecte (voir l'affaire susmentionnée
REV. FR. SOLOMON MFA & 11 AUTRES C. LA RÉPUBLIQUE FEDERALE
DU NIGERIA, par. 51).
63. La Cour rappelle que dans l'affaire Les Ayants droit de feus Ai AN,
la Cour africaine a noté que, pour les époux, un acte de mariage serait une preuve
suffisante ; pour les enfants, un acte de naissance ou autre document serait exigé
pour prouver la filiation, et pour les parents, tout certificat de paternité ou de
maternité, tel qu'un acte de naissance ou d'adoption, peut être suffisant (voir LES
AYANTS DROITS DE FEUS Ai AN (2015) 1 AfCLR 258, par. 51-
54).
64. La Cour note qu'en l'espèce, le requérant prétend être le père de la défunte
65. Cependant, il n'a fourni aucun élément de preuve à cet effet. Il n'y a pas d'acte
de naissance dans le dossier, ni de lui, ni de la défunte, pour prouver qu'ils ont une
relation de paternité. Il ne produit pas de certificat d'adoption, ne présente pas de
documents testamentaires ou même de déclarations sous serment ou statutaires et
n'a pas non plus versé d'autres pièces pour prouver qu'il est le père de la défunte
AJ AL (voir ATTIPOE KUAKU RICHARD & 19 AUTRES [DÉFUNTS]
REPRÉSENTÉS PAR ATTIPOE Ad AI & 15 AUTRES c.
RÉPUBLIQUE DE SIERRA LEONE, Arrêt n.° ECW/CCJ/JUD/07/23, para. 46;
INCORPORATED TRUSTEES OF MEDIA RIGHTS AGENDA v REPÜBLICA
FEDERAL DA NIGÉRIA PROCESSO N° ECW/CCJ/APP/7021, ACÔRDÂO N°
ECW/CCJ/JUD15/24 parâgrafos 104 a 107).
66. La simple allégation d’une relation n'est pas suffisante pour permettre au
requérant d'invoquer sa qualité de père de la défunte AJ AL (voir
AR AV et B AV c. LA RÉPUBLIQUE DE GAMBIE, Arrêt
N.° ECW/CCI/APP/26/23, par. 102).
67. En conséquence, la Cour conclut que le requérant n'a pas prouvé qu'il a un
intérêt qui, à première vue, le qualifie de victime directe ou indirecte, pour l'accès
à la Cour (vide ADOU KOUAME Et AUTRES c. ETAT DE COTE D'IVOIRE,
ARRET N.° ECW/CCI/JUD/46/2023, par. 147).
68. Par conséquent, le requérant n'ayant pas la qualité pour agir, conformément à
l'article 10(d) du Protocole, la Cour déclare la présente requête irrecevable.
IX. SUR LES DÉPENS 69. La Cour rappelle l'article 66, paragraphe 1 de son Règlement qui dispose que
« Il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l'instance
»
70. En outre, l'article 66, paragraphe 2, dispose que « Toute partie qui succombe
est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens ».
71. Sur la base de cette disposition, la défenderesse n'ayant rien précisé dans ses
mémoires en ce qui concerne les dépens, la Cour décide que chaque partie
supportera ses propres dépens.
X. DISPOSITIF
72. Par ces motifs, la Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après
en avoir délibéré :
Sur la compétence :
i. Se déclare compétente pour connaître de l'affaire ;
Sur la recevabilité:
ii Déclare la requête du requérant irrecevable pour défaut de qualité
pour agir.
XI. SUR LES DÉPENS
73. Décide que chaque partie supportera ses propres dépens.
Fait à AO, le 6 juin 2024, en portugais et traduit en anglais et en français.
Ont signé :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA - Membre
Hon. Juge Ricardo C. M. GONÇALVES- Rapporteur
Dr. Yaouza OURO-SAMA - Grefier em chef


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/21/24
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2024-06-06;ecw.ccj.jud.21.24 ?
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