COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
Ë COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
° TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
Dans l'affaire
AH AJ contre lETAT DE CÔTE D'IVOIRE.
Requête N° : ECW/CCJ/APP/66/21 Arrêt N°. ECW/CCI/JUD/28/24
ARRÊT
ABUJA
Le 10 juillet 2024
AFFAIRE N° : ECW/CCI/APP/66/21
ARRÊT N° ECW/CCI/JUD/28/24
AH AJ REQUERANT
L’ETAT DE CÔTE D'IVOIRE DÉFENDEUR
Plot 1164 Ah Ag Aj, Gudu District, Af Ae.
COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Gberi-bèà OUATTARA - Juge rapporteur / Président
Hon. Juge Dupe ATOKI - Membre
Hon. Juge Ricardo Claudio Monteiro GONÇALVES - Membre
ASSISTES DE : Dr. Ab C - Greffier en Chef
I. REPRÉSENTATION DES PARTIES :
La Société Civile Professionnelle d’Avocats (SCPA)
KAKOU-DOUMBIA-NIANG et Associés Avocat du requérant
Le ministre de l’Economie et des Finances pris en
La personne de l’Agent Judiciaire du Trésor, assisté de
Maître Fofana Na Mariam Avocat du défendeur
IL. ARRÊT DE LA COUR
Le présent arrêt est celui rendu par la Cour, en audience publique virtuelle
conformément à l’article 8 (1) des Instructions pratiques sur la gestion électronique des
affaires et les audiences virtuelles, de 2020.
II. DÉSIGNATION DES PARTIES
1.Le requérant est AH AJ, Professeur en Médecine, de nationalité
ivoirienne, né le … … … à Grand-Bassam, domicilié à Abidjan Riviera-
Palmeraie, (ci-après dénommés « le requérant »).
2. Le défendeur est l’Etat de Côte d’Ivoire, un Etat membre de la Communauté,
signataire de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que
d’autres instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme (ci-
après dénommé « le défendeur »).
3. La présente procédure a pour objet l’examen de la requête par laquelle le requérant
sollicite la constatation de la violation par le défendeur de son droit à un procès
équitable et de son droit de propriété ;
Le défendeur sollicite que la Cour déclare la requête mal fondée.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4.Le 29 septembre 2021, AH AJ a saisi la Cour de Justice de la
Communauté AI d’une requête contre l’Etat de Côte d’Ivoire pour violation de
ses droits fondamentaux.
Cette requête a été notifiée au défendeur le 22 novembre 2021.
5.Le 20 décembre 2021, la Cour a reçu le mémoire en défense du défendeur.
Ce mémoire en défense a été signifié au requérant par le Greffe de la Cour le 21
décembre 2021.
6.Le 21 janvier 2022, le requérant a transmis un mémoire en réplique à la Cour.
Le mémoire en réplique du requérant a été notifié au défendeur le 25 janvier 2022.
7. Le 24 février 2022, le défendeur a communiqué à la Cour un mémoire en duplique
qui a été signifié au requérant le 28 février 2022.
8.L’affaire a été appelée à l’audience virtuelle du 3 mai 2023 mais pour des difficultés
de connexion rencontrées par les avocats, elle a été renvoyée au 11 juillet 2023 pour
auditions des parties.
9.A l’audience du 29 janvier 2024, les parties qui étaient toutes représentées, ont été
finalement entendues et l’affaire a été mise en délibéré par la Cour.
VI. ARGUMENTATION DU REQUÉRANT
a) Exposé des faits
10. AH AJ a saisi la Cour de Justice de la CEDEAO d’une requête
aux fins de violations de ses droits humains contre le défendeur.
11. Il expose que le 23 mai 2018, la Chambre administrative de la Cour Suprême du
défendeur a rendu l’arrêt N°154 par lequel elle a fait droit à une requête qu’il a introduit
auprès d’elle, dans le cadre d’un litige qui l’oppose à Y Ad Al.
12. Le requérant explique qu’aux termes de cet arrêt, la Chambre administrative de la
Cour Suprême a déclaré nul et de nul effet la lettre N°08-1262/MCUH/DDU/AH/SA du 10 Novembre 2008 lui donnant acte de son désistement, la lettre N°08-
1263/MCUH/DDU/AH/SA du 10 Novembre 2008 du Ministre de la Construction, du
Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme réattribuant le lot n°65 îlot 4,
lotissement de la Riviéra 4 Extension Golf Complémentaire à Y Ad Al et
l’Arrêté de Concession Définitive (ACD) N°16-1604/MCLAU/DGUF/DDU/COD-
AE1/K2A, en date du 15 Février 2016 délivré à Y Ad Al d’une part, et d’autre
part, a ordonné la radiation du livre foncier des droits issus de l’Arrêté de Concession
Définitive du 15 Février 2016. (Annexe 1)
13. Il soutient qu’à la suite de cet arrêt, Y Ad Al, qui prétend avoir des
droits sur le terrain querellé a saisi la Chambre administrative de la Cour Suprême d’une
requête du 12 octobre 2018, aux fins de rétractation de l’arrêt N°154 du 23 mai 2018 et
à fondé sa requête sur l’article 39 de la Loi N°94-440 du 16 août 1994 modifiée par la
Loi N°97-243 du 25 avril 1997 déterminant l’organisation, les attributions et le
fonctionnement de la Cour Suprême.
14. Il précise que le 27 décembre 2018 est intervenue la Loi organique N°2018-976
déterminant la composition, l’organisation et le fonctionnement du Conseil d’Etat,
nouvellement crée comme étant la plus haute juridiction en matière administrative.
Cette juridiction nouvellement crée a fait application, dans le cadre de la procédure en
cours, des dispositions de la loi ancienne N°94-440 du 18 août 1994 modifiée par la Loi
N°97-243 du 25 avril 1997 en dépit de l’abrogation de cette loi par celle du 27
décembre 2018.
15. Il affirme que le 18 novembre 2020, le Conseil d’Etat a rendu l’arrêt N°318 par
lequel il a pris la même décision que la Chambre administrative de la Cour Suprême.
(Annexe 6) 16. Insatisfait de … cette décision, Y Ad Al a saisi à nouveau le Conseil d’Etat d’un recours en révision de l’arrêt N°318 par une requête enregistrée au greffe du Conseil d’Etat le 17 décembre 2020 et a fondé cette nouvelle requête sur les dispositions des alinéas 1 et 2 de l’article 79 de la Loi n°2018-978 du 27 Décembre 2018 ainsi libellé :
«I peut être formé, devant le Conseil d’Etat, un recours en révision :
- contre les arrêts rendus sur fausses pièces… ». (Annexe 7)
17. Le requérant relève que Y Ad Al avait déjà exercé le recours en rétractation alors que le recours en révision prévu dans la loi sur le Conseil d’Etat n’est rien d’autre que le recours en rétractation qui existait sous l’ancienne Loi de 1997 qui a été abrogée. (Annexe 3)
18. Il affirme qu’après avoir reçu notification du recours en révision introduit par Y Ad Al, et par laquelle il lui est demandé de déposer son mémoire en défense, ses Conseils ont, par lettre-requête du 29 janvier 2020, saisi le Président du Conseil d’Etat à l’effet de la prise d’une ordonnance pour rejeter la requête en révision manifestement irrecevable, et ce, en application de l’article 59 de la loi nouvelle N°2018-976 du 27 décembre 2018 qui dispose que : « Lorsqu'il apparait, au vu de la requête, que la solution est d’ores et déjà certaine, le Président du Conseil d’Etat, le Président de la Section du Contentieux ou le Président de la Chambre saisie peut, par Ordonnance :
- Rejeter les requêtes manifestement irrecevables ». (Annexe 8-9)
19. Il soutient qu’aucune suite n’a été donnée à sa lettre-requête du 29 janvier 2020 et
qu’il a dû produire son mémoire en défense en invoquant l’irrecevabilité du recours de Y Ad Al pour autorité de la chose jugée et subsidiairement, en demandant
son rejet (Annexe 15).
20. Il affirme que le 26 avril 2021, il a adressé une requête au Président du Conseil
d’Etat et a , de nouveau , réitéré sa demande d’ordonnance aux fins de rejet de la
requête en révision manifestement irrecevable introduite par Y Ad Al ; que
cette requête est également restée sans suite.
21. Le requérant relate que le Conseil d’Etat a poursuivi l’instruction du dossier avec le
Président de la 47e Chambre de la Section du Contentieux qui s’est désigné Conseiller-
rapporteur.
22. Il fait savoir que par un courrier transmis en date du 04 mai 2021, le greffe du
Conseil d’Etat lui a notifié le rapport du Conseiller-rapporteur daté du 22 avril 2021, et
lui a imparti un délai de 15 jours pour le dépôt de ses observations écrites (Annexe 12-
13).
23. Le requérant allègue en outre que le 19 mai 2021, il a produit des observations
écrites sur la base du rapport daté du 22 avril 2021manifestement partial au profit de
Y Ad Al puisqu’il mentionne qu’il n’a pas déposé d’écritures alors que ses
conseils ont déposé un mémoire en défense reçu par le greffe du Conseil d’Etat le 1°
février 2021 (Annexe 14).
24. Il signale par ailleurs que le 18 mai 2021, il a saisi le Président du Conseil d’Etat
pour protester et dénoncer de graves violations de son droit à l’information sur la
fixation de la date à laquelle l’affaire sera évoquée à l’audience publique parce que c’est
à la lecture du rapport du 22 avril 2021 qu’il a découvert que l’affaire a été appelée à
l’audience publique du Conseil d’Etat du 28 avril 2021 alors qu’il n’avait pas reçu
notification de cette date (Annexe 15).
25. Il indique qu’il a protesté également contre le rapport du 22 avril 2021 qui
mentionne qu’il n’a pas déposé d’écritures alors que ses conseils ont déposé un
mémoire en défense reçu par le greffe du Conseil d’Etat le 1“ février 2021 (Annexe 14).
26. Le requérant relève qu’en tenant compte du comportement du Conseiller-rapporteur
dans la conduite de l’instruction du dossier qui laisse planer des suspicions légitimes de
partialité, il a demandé que le dossier soit réattribué à une autre Chambre.
27. Il ajoute que ses Conseils ont par ailleurs sollicité qu’il leur soit permis de faire des
observations orales, dans le cas où la procédure devrait se poursuivre sans prise de
l’ordonnance de rejet pour irrecevabilité manifeste du recours en révision initié par Y
Ad Al .
28. Le requérant révèle que contre toute attente, il a reçu communication d’un deuxième
rapport, toujours daté du 22 avril, par lettre du 22 mai 2021 pour ses observations
écrites et que ce nouveau rapport a pris en compte son mémoire en défense.
29. Le 07 juin 2021, il a déposé ses écritures au greffe du Conseil d’Etat sous le numéro
1483 (Annexe 18).
30. Il relève qu’un troisième rapport, toujours daté du 22 avril lui a été communiqué, de
façon extraordinaire, par un courrier du greffe en date du 28 juin 2021 lui impartissant
un nouveau délai de 15 jours pour déposer ses observations écrites (Annexe 19-20)
31. Il déclare que le 15 juin 2021, il a de nouveau, déposé ses observations écrites au
greffe du Conseil d’Etat et ses conseils ont sollicité, à cette occasion, d’être autorisés à
prendre connaissance du dossier de la procédure, en vue de s’assurer que toutes les procédures faites et requises y figurent et surtout savoir lequel des rapports se trouve au
dossier de la procédure (Annexe 22) mais aucune réponse ne leur a été donnée par le
Conseiller-rapporteur.
32. Le requérant rapporte encore qu’à l’audience du 23 juin 2021, le dossier a été mis en
délibéré au 30 juin 2021.
33. Il affirme que ses conseils, s’étant rendu compte que cette dernière date n’était pas
conforme au calendrier des audiences du Conseil d’Etat, ont adressé un courrier au
Président de la Chambre le 24 juin 2021, et par ailleurs Conseiller-rapporteur dans la
procédure en cause, en lui demandant de confirmer la date de l’audience. (Annexe 23-
24 et 25). Par la même requête, ses conseils lui ont rappelé que leur courrier du 16 juin
2021 par lequel ils sollicitaient l’autorisation de prendre connaissance de la procédure
est resté sans suite. Ce nouveau courrier a également connu le même sort.
34. Le requérant relève que le 30 juin 2021, et de façon non conforme au calendrier des
audiences, la 4*m° Chambre a tenu une audience exceptionnelle avec seulement deux (02)
autres procédures (Annexe 26), et cela alors qu’aux dates normales d’audience, les rôles
des Chambres du Conseil d’Etat sont bien chargés (Annexe 27-28).
35. Il soutient que la 4*"° Chambre a rendu l’arrêt N°250 dont la teneur suit :
« Article ler : la requête aux fins de révision n°CE-2020-143 REV du 17
Décembre 2020 est recevable et bien fondée ;
Article 2 : l'arrêt n°318 du 18 Novembre 2020 du Conseil d’Etat est révisé ;
Statuant à nouveau
Article 3 : la requête n°2016-304 REP du 09 Novembre 2016 est irrecevable ;
Article 4 : l’arrêté de concession définitive du 15 Février 2016 délivré à
Monsieur Y Ad Al par le Ministre de la Construction et de
l’Urbanisme retrouve son plein et entier effet et il est ordonné son inscription au
Livre foncier de Cocody.. » (ANNEXE 29)
36. Le requérant affirme qu’à la suite de cet arrêt, et bien que la 4°" Chambre soit
dessaisie, ses conseils ont adressé un courrier de protestation au Président de ladite
Chambre avec ampliation au Président du Conseil d’Etat en relevant toutes les
violations de ses droits humains qui ont été commises par cette juridiction au cours de
l’instruction de la procédure.
Il estime que l’ensemble des violations de ses droits humains a porté lourdement atteinte
à son droit de propriété.
b) Moyens invoqués
37. Le requérant invoque les moyens de droit suivants :
La violation du droit à un procès équitable en soutenant : la violation de son droit d’être
entendu de manière équitable et publiquement, la violation de son droit à une instance
juridictionnelle impartiale et de son droit à la sécurité juridique.
La violation du droit de propriété.
Il cite comme fondement de ces violations les articles 6, alinéa 1 et 2 de la Constitution
ivoirienne, les articles 8 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
(DUDH), l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)
et les articles 1, alinéa a et c et 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples (CADHP).
Il cite également divers autres textes élaborés par la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples à savoir la résolution sur le Droit à un recours et à un procès
équitable, adoptée à l’occasion de sa 11ème session de mars 1992 ; la résolution sur le
Droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire, adoptée à l’occasion de sa 26ème
session, tenue en Novembre 1999 ; les Directives et principes sur le droit à un procès
équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, lesquels font reposer, le droit d’être
entendu équitablement sur des principes essentiels dont celui de l’égalité des armes dans
le déroulement de la procédure, qu’elle soit administrative, civile, pénale ou militaire ;
le droit à un recours effectif.
c) Conclusions
38. Le requérant sollicite qu’il plaise à la Cour :
En la forme :
- Se déclarer compétente ;
- Déclarer la requête recevable ;
Au fond
- Constater la violation par le défendeur de ses droits fondamentaux ;
- Condamner le défendeur à lui payer la somme de trois milliards quatre-vingt-trois
millions six cent mille (3 083 600 000) FCFA à titre de dommages et
intérêts toutes causes de préjudices confondues ;
Mettre les dépens à la charge du défendeur ;
VII. ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR
a) Exposé des faits
39. Par mémoire en défense reçu au greffe le 20 décembre 2021, le défendeur expose
qu’après avoir attribué à AH AJ le lot N°65, ilot 4 du lotissement de la Riviera 4, extension Golf complémentaire dénommé « Opération liberté », commune de
Cocody d’une contenance de 7334 mètres carrés suivant lettre d’attribution
N°13175/MCU/DDU du 16 août 2005 du Ministre de la Construction et du Logement,
par lettre N°08-1262/MCUH/DDU/AH/SA en date du 10 novembre 2008, le Ministre de
la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme a donné acte au
requérant de son désistement de l’attribution qui lui a été faite du lot en cause.
40. Le défendeur relève qu’à la suite de ce désistement, par lettre N°08-
1263/MCUH/DDU/AH/SA en date 10 novembre, le Ministre de la Construction, du
Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme a réattribué ledit lot à Y Ad
Al et a pris le 15 février 2016, un Arrêté de Concession Définitive pour matérialiser
cette réattribution.
41. Le défendeur allègue que le requérant, estimant avoir été spolié de son bien, a saisi
le 09 novembre 2021 la Chambre Administrative de la Cour Suprême d’une requête en
annulation pour excès de pouvoir contre l’Arrêté de Concession Définitive
N°161604/MCLAU/DGUF/DDU/COD-AE1/K2A.
42. Il rapporte que le 23 mai 2018, par l’arrêt N°154, la Chambre administrative de la
Cour Suprême a fait droit aux prétentions du requérant en ordonnant la radiation du
livre foncier des droits issus de l’Arrêté de Concession Définitive attribué à Y Ad
Al. C’est ainsi que le 12 octobre 2018, Y Ad Al a initié un recours en
rétractation contre l’arrêt N°154 et la Chambre administrative a rendu l’arrêt N°318 le
18 novembre 2020 par lequel elle a reconduit pratiquement les énonciations de l’arrêt n°
154 du 23 mai 2018.
43. Le défendeur relève que le 27 décembre 2008 est intervenue la Loi organique
N°2018-978 créant le Conseil d’Etat, la nouvelle haute juridiction administrative en lieu
et place de la Chambre administrative de la Cour Suprême.
44. Il affirme que le 17 décembre 2020, Y Ad Al a saisi à nouveau le
Conseil d’Etat d’un recours en révision de l’arrêt N°318 du 18 novembre 2020 rendu en
faveur de AH AJ.
45. Le défendeur fait savoir encore que le 30 juin 2018, le Conseil d’Etat, par un arrêt
N°250, a ordonné la réinscription au livre foncier de l’Arrêté de Concession Définitive
obtenu par Y Ad Al, après avoir déclaré recevable son recours en révision.
46. Il précise en outre que c’est à la suite de cette décision du Conseil d’Etat que le
requérant, estimant être victime de violation de ses droits a saisi la Cour de Justice de la
Communauté CEDEAO.
a) Moyens de droit
47. Le défendeur estime que les prétentions du requérant ne sont pas fondées et soutient
qu’il n’a commis aucune violation de ses droits. Il invoque pour ce faire les règles de
procédure devant le Conseil d’Etat.
b) Conclusions
48. Le défendeur sollicite que la Cour le mette hors de cause.
VIII. COMPÉTENCE
49. La Cour rappelle que sa compétence en matière de droit de l’homme est régie par les
dispositions de l’article 9-4 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005
portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice qui dispose
que : « La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de
l’Homme dans tout Etat membre ».
50. Il ressort de cette disposition que pour que la Cour retienne sa compétence, il faut
que la requête porte sur un cas de violation des droits de l’homme commis sur le
territoire de l’un des Etats membres.
51. La Cour a toujours affirmé que la simple évocation de la violation des droits de
l’homme dans la requête suffit pour qu’elle retienne sa compétence ( Arrêt
N°ECW/CCJ/JUD/57/23 du 15 décembre 2023 : An X et deux autres
contre République du Niger, $28).
52. La Cour fait observer que les droits invoqués par le requérant font partie des droits
de l’homme qui relèvent de sa juridiction.
53. Le défendeur étant un Etat membre de la CEDEAO, toutes les conditions sont
réunies pour que, conformément à sa jurisprudence constante, la Cour retienne sa
compétence.
IX. RECEVABILITÉ
54. La Cour rappelle que la recevabilité des requêtes par elle est régie par les
dispositions de l’article 10-d du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005
portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour qui dispose que : « peut
saisir la Cour, toute personne victime de violation des droits de l’homme ;
La demande soumise à cet effet :
i) ne doit pas être anonyme ;
ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté lorsqu'elle a
été déjà portée devant une autre Cour internationale compétente »
55. En l’espèce, la Cour constate que le requérant est bien identifié. La requête n’est
donc pas anonyme.
56. Par ailleurs, la preuve que le requérant a saisi une autre juridiction internationale
compétente en matière de droits de l’homme pour connaitre de cette même affaire n’est
pas rapportée. Dans ces conditions, conformément à sa jurisprudence constante , la
Cour ne peut que déclarer la requête recevable dans la mesure où elle a satisfait à toutes
les exigences textuelles.
x SUR LE FOND DE L’AFFAIRE
57. Le requérant invoque la violation par le défendeur de son droit à un procès équitable
prévu par les articles 7 de la CADHP, 10 de la DUDH et 14 du PIDCP (A) et de son
droit de propriété prévu par l’article 14 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et
des Peuples (CADHP) (B).
Avant toute décision la Cour va examiner successivement toutes les prétentions des
requérants.
A SUR LA VIOLATION DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE
58. La Cour relève de façon pertinente que la notion de procès équitable englobe un
certain nombre de droits reconnus aux personnes. Il s’agit notamment du droit à la
défense, du principe du contradictoire, de l’exception de l’autorité de la chose jugée, de
l’égalité des armes, du droit à un recours effectif, de la présomption d’innocence, du
droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
59. Le droit à un procès équitable est un droit fondamental. Il est régi notamment par
l’article 14 du PIDCP qui dispose que « Tous sont égaux devant les tribunaux et les
cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
et publiquement, par un tribunal compétent établi par la loi, qui décidera soit du bien-
fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle… »
60. L'article 6 de a convention européenne des droits de l’homme abonde dans le même
sens en disposant que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant
et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle. »
61. La Cour fait observer qu’en l’espèce, le requérant soutient que le défendeur a violé
son droit à un procès équitable en invoquant la violation de son droit d’être entendu
équitablement et publiquement (a), son droit à une instance juridictionnelle impartiale (b)
et son droit à la sécurité juridique (c).
a) SUR LA VIOLATION DU DROIT D’ÊTRE ENTENDU
EQUITABLEMENT ET PUBLIQUEMENT
62. La Cour note que pour prétendr que le défendeur a violé son droit d’être entendu
équitablement et publiquement, le requérant allègue que le Conseil d’Etat n’a pas
répondu à ses lettres-requêtes par lesquelles il a sollicité le rejet du recours en révision
manifestement irrecevable. Il en déduit que cette juridiction lui a ainsi refusé le droit de
se prévaloir des dispositions de la Loi n°2018-976 du 27 décembre 2018 régissant le
Conseil d’Etat et qu’en ayant ainsi agi, le Conseil d’Etat a clairement rompu le principe
de l’égalité des armes des parties à la procédure.
63. Il soutient également que le Conseiller-Rapporteur a fait enrôler le dossier à la date
du 28 avril 2021 sans l’en informer encore moins ses avocats et que le Conseil d’Etat a
fixé le délibéré de la procédure de révision au 30 Juin 2021 alors que cette date n’est pas
conforme au calendrier des audiences de cette juridiction.
64. Le requérant estime que cette manœuvre du Conseil d’Etat n’avait pour seul objectif
que de limiter la publicité de cette audience.
65. Le défendeur soutient pour sa part que le Conseil d’Etat, Haute Juridiction Spéciale,
juge sur pièces et exceptionnellement provoque les observations orales des parties et comme toute Juridiction, elle est souveraine dans l’appréciation de l’opportunité ou non
de permettre aux parties de faire des observations orales.
101. H conclut au rejet de cette prétention du requérant.
ANALYSE DE LA COUR
66. La Cour rappelle que selon l’article 14 du PIDCP, « foute personne a droit de voir sa
cause être entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent… »
67. La Cour souligne que ce droit implique la possibilité pour toute personne de
bénéficier d’un traitement équitable, c’est-à-dire de ne pas être victime d’une inégalité
dans le traitement de la procédure qui la concerne d’une part, et d’autre part, de pouvoir
résenter ses ar ents au cours d’une audience publique. q
68. La Cour relève que le traitement équitable renvoie au respect des principes du
contradictoire, de l’égalité des armes entre les parties. L’arrêt ECW/CCJ/JUG/03/16 du
16 février 2016 rendu par la Cour de ce siège dans l’affaire ayant opposé Ac A
Ad et Ao Z à la République de Guinée, en est une parfaite
illustration. En effet, elle a affirmé que : « l'égalité des armes est un des éléments
inhérents à la notion de procès équitable ; qu’elle veut que chaque partie se voit offrir
une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent
pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire et exige que soit
ménagé un juste équilibre entre les parties ; Que le principe du contradictoire signifie la
possibilité pour les parties de connaître et de commenter tous les éléments de preuve
produits et toutes les observations présentées de manière à orienter la décision du
Tribunal (..….) ;Que la violation de l’égalité des armes résulterait donc d’un
déséquilibre provoqué par une juridiction, entre les parties à un procès dans la
présentation de leur cause (...) » $98.
69. La Cour relève qu’en l’espèce, il est constant que le requérant a déposé un mémoire
en défense à la suite de la notification qui lui a été faite du rapport du Conseiller-
rapporteur. La Cour estime que la production de ce mémoire est la preuve incontestable
que la contradiction a été observée dans le traitement de la procédure et que par ailleurs,
le Conseil d’Etat a vidé la question de la recevabilité du recours en révision par l’arrêt
N°250 où il a jugé que ce recours est recevable.
70. La Cour juge qu’au regard de tout ce qui précède , il n’y a pas eu rupture d’égalité ni
violation du principe du contradictoire dans la mesure ou le requérant s’est défendu à
travers le dépôt de son mémoire en défense.
71. S’agissant de la question de la publicité des audiences, la Cour note qu’elle doit
s’apprécier en fonction de la nature des juridictions. Elle fait observer en effet que la
publicité des audiences est plus accentuée devant les juridictions pénales que devant les
juridictions civiles, administratives ou commerciales où la procédure est essentiellement
écrite. Elle indique qu’en outre, la publicité des audiences peut connaître des exceptions
et l’une des manifestations de ces exceptions est par exemple le huis-clos qu’une
juridiction même pénale peut ordonner pour certaines raisons.
72. La Cour rappelle que les juridictions civiles, administratives ou commerciales jugent
le plus souvent sur pièces même si elles peuvent autoriser que les parties fassent des
observations orales à l’audience. La Cour fait savoir qu’il ne pèse pas sur lesdites
juridictions une obligation d’admettre les parties à faire des observations orales si elles
estiment que celles-ci ne sont pas nécessaires encore moins indispensables pour une
bonne administration de la justice ; elles sont donc souveraines dans l’appréciation et
l’utilisation de cette faculté d’admettre ou de ne pas admettre les parties à faire des
interventions orales.
73. La Cour note avec le défendeur que le Conseil d’Etat est une juridiction spéciale qui
juge sur pièces mais qui peut, à sa discrétion, admettre que les parties fassent des observations orales mais qu’en dehors de cette hypothèse, aucune disposition de la loi
organique qui régit cette haute juridiction, ne l’oblige à admettre que les parties fassent
des observations orales au cours d’une audience.
74. La Cour indique qu’il s’agit d’une simple faculté et non d’une obligation de sorte
qu’en n’autorisant pas le requérant à faire des observations orales, le Conseil d’Etat n’a
nullement violé le droit du requérant d’être entendu publiquement.
75. La Cour note que la programmation du délibéré du dossier par le Conseil d’Etat à
une date d’audience qui n’est pas conforme à son calendrier d’audiences ne peut à elle
seule, suffire à conclure qu’il y a eu violation du principe de la publicité des audiences
dans la mesure où la publicité des débats fait allusion à l’accessibilité de celles-ci au
public. La Cour fait remarquer que le huis-clos n’a pas été ordonné et que la salle
d’audience était accessible à toute personne désirant assister à l’audience.
76. La Cour conclut en conséquence que dans le cas d’espèce, aucun élément de la
procédure ne permet de soutenir que le Conseil d’Etat n’a pas souhaité que le public ait
accès à la salle d’audience le 30 juin 2021 pour prendre connaissance du délibéré.
77. La Cour relève par ailleurs que le Conseil d’Etat a tenu une audience le 28 avril
2021 dans la cause opposant le requérant à Y Ad Al, audience au cours de
laquelle le Conseiller-Rapporteur a présenté son rapport et le Conseil d’Etat a fixé la
date du délibéré au 30 juin 2021. La Cour estime que le fait que cette audience ait été
publique achève de convaincre qu’il n’y a pas eu violation du principe de la publicité
des audiences alors surtout que la preuve de ce que le rôle de l’audience n’avait pas été
préalablement affiché, n’a pas été établi par le requérant ;
78. La Cour souligne enfin que le motif tendant à dire que deux (02) dossiers seulement
ont été programmés à l’audience au cours de laquelle l’affaire qui oppose le requérant à
Y Ad Al ne saurait fonder la violation de la publicité des audiences dans la
mesure où le respect de ce principe ne tient pas au nombre de dossiers programmés au cours de l’audience mais plutôt au dispositif mis en place pour que celle-ci soit
accessible au public.
79. Au regard de tout ce qui précède, la Cour juge que le défendeur n’a pas violé le droit
du requérant d’être entendu équitablement et publiquement.
b) SUR LA VIOLATION DU DROIT A UNE JURIDICTION
IMPARTIALE
80. La Cour note que selon le requérant, le Président du Conseil d’Etat et le Conseiller-
Rapporteur, par ailleurs Président de la 47° Chambre dudit Conseil n’ont pas fait
preuve d’impartialité dans le traitement de la procédure qui l’a opposé à Y Ad
Al.
81. Il fonde ses allégations sur le fait que le Président du Conseil d’Etat n’a pas donné
de suite à ses requêtes sollicitant le rejet du recours en révision manifestement
irrecevable et à sa demande de prendre connaissance des pièces de la procédure d’une
part, et d’autre part, aux attitudes du Conseiller-Rapporteur relatives au fait qu’il a
mentionné dans son premier rapport qu’il n’a pas déposé d’écritures alors que cette
information s’est avérée inexacte et qu’il a fixé une date d’audience sans l’en avoir
informé au préalable. À ces arguments, il ajoute le fait que le Conseil d’Etat a mis le
dossier en délibéré à une date non conforme à son calendrier.
82. Il conclut que ces agissements l’amènent à douter de l’impartialité du Président du
Conseil d’Etat et du Conseiller-Rapporteur.
83. Le défendeur ne s’est pas prononcé sur cette allégation de violation du droit à une
instance juridictionnelle impartiale.
ANALYSE DE LA COUR G da 84. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 14.1 du PIDCP, toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent,
indépendant et impartial.
85. Il ressort de cette disposition que la juridiction devant laquelle la cause est portée
pour être discutée doit être impartiale.
86. La Cour note que le principe de l’impartialité de la juridiction implique que celle-ci
doit faire preuve de neutralité dans le traitement de la procédure et donner l’assurance
aux parties que leurs arguments seront examinés de manière objective.
87. Dans le cas d’espèce, le requérant remet en cause cette neutralité du Conseil d’Etat
notamment de son Président et du Conseiller-Rapporteur en invoquant un ensemble
d’attitudes relevées ci-dessus.
88. La Cour relève cependant que les attitudes invoquées pour conclure à la violation du
principe de l’impartialité de la juridiction ne sont que des déductions que le requérant
fait pour conclure que la plus Haute juridiction administrative n’a pas fait preuve de
neutralité dans le traitement de la procédure qui l’a opposé à Y Ad Al.
89. La Cour constate qu’il n’apporte aucun élément de preuve matériel permettant de
caractériser la violation du principe d’impartialité et qu’il ne produit aucun élément
tangible qui puisse permettre à la Cour de se convaincre de la partialité du Président du
Conseil d’Etat ou du Conseiller-Rapporteur dans le traitement de la procédure.
90. La Cour estime qu’elle ne saurait se contenter de simples déductions ou suppositions
pour conclure à une violation des droits de l’homme mais que sa décision doit se fonder
sur des éléments de preuve sans équivoque produits par le requérant , conformément à
sa propre jurisprudence bien établie , comme l’atteste l’arrêt ECW/CCJ/JUG/17/15 du
06 octobre 2015 (Ai AK Am contre la République du Togo $32) où elle a
jugé que : « les cas de violation des droits de l’homme portés devant elle par un requérant doivent être étayés de manière spécifique, par des preuves suffisamment
convaincantes et sans équivoque ».
91. Au regard donc de ce qui précède, la Cour juge que le requérant n’a pas apporté de
preuve pour corroborer son allégation de violation du principe d’impartialité qu’il
reproche au Conseil d’Etat. Elle conclut donc que le droit du requérant à une instance
juridictionnelle impartiale n’a pas été violé par le défendeur.
c) SUR LA VIOLATION DU DROIT A LA SECURITE JURIDIQUE
92. Le requérant soutient que le Conseil d’Etat, en ne rejetant pas le recours en révision
introduit par Y Ad Al à la suite de l’adoption de la Loi Organique n°2018-
976 instituant le Conseil d’Etat a gravement rompu le principe de la sécurité juridique.
93. Le requérant affirme en outre qu’en déclarant ce recours recevable, le Conseil d’Etat
a violé le principe de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où il avait rendu l’arrêt
N°318 du 18 novembre 2018 et par lequel il avait déclaré nul et de nul effet l’Arrêté de
Concession Définitive n°161604/MCLAU/DGUF/DDU/COD-AEI/K2A du 15 Février
2016 du Ministre de la Construction du Logement, de l’Assainissement et de
l’Urbanisme, délivré à Monsieur Ad Y Al sur le lot n°65 îlot n°4 d’une
contenance de 7334m?, du lotissement de la Riviéra 4 extension Golf Complémentaire,
objet du Titre Foncier n°116620 de la Circonscription Foncière de la Riviera, à la suite
d’un recours en rétractation introduit par Y Ad Al. Il ajoute que cet arrêt
avait vidé le contentieux qui l’oppose à ce dernier et qui porte sur la validité de l’arrêté
de concession définitive ci-dessus mentionné.
94. Le requérant déclare enfin que l’arrêt N°250, rendu le 30 juin 2021 par lequel le
Conseil d’Etat a déclaré recevable le recours en révision de Y Ad Al et
ordonné la réinscription de l’ Arrêté de Concession Définitive dans le livre foncier viole
le principe de la sécurité juridique et partant, son droit à la sécurité juridique.
95. Le défendeur, ne s’est pas prononcée sur cette allégation.
ANALYSE DE LA COUR
96. La Cour rappelle que la sécurité juridique est un principe du droit qui a pour
objectif de protéger les citoyens contre l’insécurité juridique c’est-à-dire, les effets
secondaires négatifs du droit, en particulier les incohérences ou la complexité des lois et
règlements, ou leurs changements trop fréquents.
97. La Cour note que l'insécurité juridique est l'un des nombreux défis auxquels sont
confrontés les acteurs du système judiciaire. En effet, l'interprétation des lois est souvent
sujette à des interprétations contradictoires, ce qui peut entraîner des décisions
contradictoires rendues par différents tribunaux ou même par les mêmes tribunaux à des
moments différents. Cette situation produit des résultats imprévisibles et incohérents, ce
qui nuit à la confiance dans le système judiciaire et à la sécurité juridique des citoyens
en les mettant dans une situation de précarité quant à l’effectivité de leurs droits.
L'insécurité juridique doit être prise au sérieux et résolue de manière exhaustive.
98. La Cour retient toutefois que la sécurité juridique est un élément de la sûreté et qu’à
ce titre, elle a son fondement dans l'article 2 de la déclaration de 1789 qui place la sûreté
parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'homme au même titre que la liberté, la
propriété et la résistance à l'oppression.
99. La Cour rappelle que le principe de sécurité juridique a été développé par des
juridictions comme la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour de Justice de
la Communauté européenne, qui, dans plusieurs arrêts, ont tenté de lui donner un
contenu. Ainsi, dans l’affaire (Michaux contre B, CEDH, 18 janvier 2024), la
CEDH a affirmé que : « La notion de principe de sécurité juridique renvoie à l’idée
d’un cadre juridique stable, complet et prévisible qui exclut tout arbitraire.
Or en l’espèce, la Cour relève qu’« aucune situation juridique cristallisée » n’a été
anéantie par les juridictions monégasques au détriment de la requérante, aucun
jugement définitif en sa faveur n'ayant été remis en cause. Par ailleurs, le dossier ne
fait apparaitre ni de jurisprudence divergente ou contradictoire, ni d’éléments
d'arbitraires dans les décisions des juridictions monégasques ».
100. La Cour note que dans le cas d’espèce, le requérant AH AJ a bénéficié
de deux arrêts rendus en sa faveur par la Chambre administrative de la Cour Suprême, à
savoir l’arrêt n°154 du 23 mai 2018 et l’arrêt N°318 du 18 novembre 2020, lesquels
arrêts avaient ordonné la radiation de l’Arrêté de Concession Définitive attribué à
Y Ad Al.
101. À la faveur d’une réforme législative qui a conduit à la création du Conseil d’Etat,
Y Ad Al a introduit un recours en révision de l’arrêt N°318 devant ledit
Conseil qui, par un arrêt N°250 du 30 juin 2021, a ordonné la réinscription de son Arrêté
de Concession Définitive dans les livres fonciers, décision qui remet en cause les droits
de AH AJ reconnus et consacrés par les arrêts N°154 et 318 de la Chambre
administrative de la Cour Suprême.
103. La Cour souligne qu’ainsi que le soutient la Cour Européenne des Droits de
l’Homme (CEDH), il y a violation du principe de la sécurité juridique lorsqu’une
situation juridique cristallisée est anéantie par une juridiction.
104. La Cour note qu’en l’espèce, le requérant ne soutient pas que les décisions qui ont
été rendues en sa faveur par la Chambre Administrative de la Cour Suprême sont
devenues définitives, donc passées en force de chose jugée inattaquables avant d’être
remises en cause par le Conseil d’Etat.
105. La Cour relève que dans le cas d’espèce, le recours en révision est prévu par la Loi
organique régissant le Conseil d’Etat et c’est sur la base de ce recours que l’arrêt N°250
a été rendu.
106. La Cour note par ailleurs que le requérant ne fournit pas les éléments de preuve
permettant de soutenir que la décision du Conseil d’Etat est arbitraire ou a
manifestement violé l’un de ses droits fondamentaux lors du traitement de la procédure
qui a abouti au prononcé de l’arrêt N°250 du 30 juin 2021 rendu en faveur de Y
Ad Al.
107. La Cour fait observer qu’en outre, il ne ressort pas de la procédure que le recours
en révision est intervenu hors délai ou a été introduit de façon irrégulière de sorte que
l’existence de tels éléments de preuve puisse justifier le caractère complaisant de l’arrêt
N°250 et fonder la violation du principe de la sécurité juridique.
108. La Cour, conformément à sa jurisprudence, ne peut fonder une violation des droits
de l’homme que sur des éléments de preuves suffisants et convaincants.
109. Au regard donc de ce qui précède, la Cour juge que le requérant n’a pas apporté
des preuves suffisamment convaincantes et sans équivoque pour fonder son allégation
de violation du principe de la sécurité juridique par le Conseil d’Etat et qu’en
conséquence, le défendeur n’a pas violé le droit à la sécurité juridique du requérant.
B- SUR LA VIOLATION DU DROIT DE PROPRIETE
110. Le requérant allègue que l’ensemble des violations de ses droits du fait du mauvais
fonctionnement du service public de la justice a porté une atteinte à son droit de
propriété.
111. Il articule en effet que par l’arrêt n°250 rendu le 30 juin 2021 dans les conditions
totalement anormales et illégales qu’il a décrites, le Conseil d’Etat a soustrait de son
patrimoine le lot N°65, ilot 4 du lotissement de la Riviera 4, extension Golf
complémentaire dénommé « Opération liberté », commune de Cocody d’une
contenance de 7334 mètres carrés. > 6 P2 112. Le défendeur ne s’est pas prononcé sur cette allégation de violation du droit de
propriété.
ANALYSE DE LA COUR
113. La Cour rappelle que le requérant invoque la violation de son droit de propriété
prévu par l’article 14 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ainsi
conçu :
« Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par nécessité
publique ou dans l'intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions
des lois appropriées »
114. La Cour note que sur le plan juridique, le droit de propriété est le droit de jouir et
de disposer des choses de la manière la plus absolue. Ce droit s'applique aux biens de
toute nature, aux meubles comme aux immeubles. Il comprend le droit d’user de la
chose, d’en remettre l’usage à une personne, le droit de la modifier, de la détruire ou
d’en disposer.
115. La Cour relève que le droit de propriété est considéré comme l'un des droits les
plus fondamentaux de l'homme. Il garantit à chaque individu le droit d'être propriétaire
de ses biens et de les utiliser selon sa volonté. C’est un droit absolu, définitif en vertu
duquel le titulaire peut user de la chose sur laquelle il porte (usus), jouir des fruits de
ladite chose (fructus) et même en disposer (abusus).
116. La Cour note qu’en l’espèce, il ressort des pièces de la procédure notamment de la
requête aux fins de rétractation de l’arrêt N° 154, rendu le 23 mai 2018 ainsi que de la
requête aux fins de révision de l’arrêt N° 318/20 rendu le 18 novembre 2020 versées au
dossier par le requérant lui-même que Ad Aa Ak le promoteur de
l’opération de lotissement de parcelle de terrain dénommée liberté de la riviera 4
extension golf complémentaire, a reçu plusieurs * lots dei en rétribution dont les lots n°65 îlot 4 d’une contenance de 7.334 mètres carrés et n°59 îlot 4 d’une contenance de 2 000
mètres carrés.
117. Il y est indiqué que désireux de vendre ses lots, Ad Aa Ak en a fait la
proposition à AH AJ qui a décidé d’acquérir le lot n°65 îlot 4 d’une
contenance de 7.334 mètres carrés et bien qu’il ne se soit pas acquité de la totalité du
prix de vente, une lettre d’attribution lui a été délivrée. Après avoir été plusieurs fois
relancé sans succès par le cédant pour le versement du reliquat du prix d’achat du lot,
AH AJ défaillant a sollicité que le lot n°65 îlot 4 d’une contenance de 7.334
mètres carrés soit remplacé par le lot n°59 îlot 4 d’une contenance de 2 000 mètres
carrés dont le prix d’achat est supportable pour lui. Les parties ont donc décidé de
recourir à la procédure de désistement suivi de réattribution pour consolider la propriété
de chacune d’elles sur le lot qui lui revient finalement. Ad Aa Ak a donc
proposé la vente du lot 65 îlot 4 à Y Ad Al et cédé le lot 59 îlot 4 à AH
AJ.
118. Il est également mentionné dans les pièces invoquées que Y Ad Al a
sollicité et obtenu par la suite l’arrêté de Concession Définitive sur le lot 65 îlot 4 et que
AH AJ a consolidé, à son tour, son droit sur le lot 59 îlot 4 par l’obtention
d’un Arrêté de Concession Définitive (ACD).
119. La Cour constate en conséquence que le requérant n’a jamais été propriétaire du lot
65 îlot 4 d’une contenance de 7.334 mètres carrés qu’il revendique dans la mesure où,
en droit ivoirien, la propriété d’une parcelle de terrain ne peut s’obtenir que par un À C
D. Il ne jouissait sur ledit lot que d’un droit d’usage que lui conférait la lettre
d’attribution qui lui avait été délivrée et dont il s’est servi pour obtenir le lot 59 îlot 4
dont il est devenu propriétaire par la suite.
120. La Cour en conclut que le défendeur n’a pas pu violer à son détriment, un droit
dont le requérant n’a jamais été titulaire. Par conséquent la Cour juge que le défendeur
n’a pas violé le droit de propriété du requérant.
XI SUR LA DEMANDE EN REPARATION DES PREJUDICES ALLEGUES
121. Le requérant explique que le préjudice qu’il a subi du fait de la perte de la propriété
du lot N°65, îlot 4 d’une contenance de 7 334 m2 est, à dire d’expert, de deux milliards
neuf cent trente-trois million six cent mille (2 933 600 000) FCFA. Il ajoute qu’en plus
de ces préjudices matériels et financiers, il a subi un grave préjudice moral qu’il évalue
à cent cinquante million (150 000 000) FCFA de sorte que le montant total de la
réparation qu’il sollicite est de trois milliards quatre-vingt-trois million six cent mille ( 3
083 600 000) FCFA.
122. Le défendeur réfute les allégations du requérant et demande à la Cour de le
débouter de toutes ses prétentions.
ANALYSE DE LA COUR
123. La Cour rappelle que sa compétence en matière de violation des droits de l’homme
lui permet non seulement de constater lesdites violations mais aussi d’ordonner leur
réparation s’il y a lieu.
124. Néanmoins, la Cour précise que les dommages et intérêts ne sont alloués à la
victime d’un dommage que pour réparer le préjudice que celle-ci a effectivement subi
par la faute de l’auteur de l’acte dommageable.
125. Il en résulte que la victime doit justifier sa qualité de victime et prouver le
préjudice dont elle sollicite réparation. - den 126. La Cour relève que la réparation peut consister en une restitution, une
indemnisation, une réadaptation ou une satisfaction et qu’elle n’est ordonnée que
lorsque la Cour conclut à la violation des droits du requérant.
127. La Cour note qu’en l’espèce, aucune violation n’a pu être imputée au défendeur.
Par conséquent, le requérant doit être débouté de toutes ses demandes en paiement de
dommages et intérêts.
XII. DES DÉPENS
128. Aux termes de l’article 66, alinéa 2 du Règlement de procédure, la partie qui
succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens par l’autre partie. La
Cour note qu’en l’espèce le requérant a conclu dans ce sens contrairement au défendeur
qui s’en est abstenu. En conséquence, la Cour dit que le requérant ayant succombé,
chaque partie supportera ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les requérants :
Sur la compétence :
Se déclare compétente pour connaître du litige ;
Sur la recevabilité
Déclare la requête recevable ;
Sur le fond
Dit que le défendeur n’a pas violé les droits du requérant à un procès équitable ;
Dit que le défendeur n’a pas non plus violé le prétendu droit de propriété du requérant ;
Déboute par conséquent le requérant de toutes ses prétentions ;
DES DÉPENS :
Dit que chaque partie supporte ses propres dépens.
Ainsi fait et jugé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
Hon. Juge Gberi-bè OUATTARA - Président /Jugé ra G5F7°7 és
Hon. Juge Dupe ATOKI - Membre CH, ?
Hon. Juge Ricardo Claudio Monteiro GONÇALVES - Membre
ASSISTES DE : Dr Ab C - Greffier en Chef