COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
Dans l’affaire
ABIGUIME MAGUILIWÉE ET 52 AUTRES
Contre
ETAT DU TOGO
Affaire N.° ECW/CCI/APP/41/22 - Arrêt N.° ECW/CCJ/JUD/26/24
ARRET
BV
10 juillet 2024
Trad: D. SANFO
Plot 1164 Bj Bs Bk, Gudu District, BV At.
AFFAIRE N.° ECW/CCJ/APP/41/22
ABIGUIME MAGUILIWË ET 52 AUTRES REQUERANTS
Contre
ETAT DU TOGO DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA - Membro
Hon. Juge Ricardo Claûdio Monteiro GONÇALVES - Juge Rapporteur
ASSISTES DE :
Dr. Be BH - Greffier en
Chef
REPRESENTATION DES PARTIES
Me Raphael N. KPANDF-ADZARE - Avocat des Requérants
Monsieur le Garde des Sceaux - Avocat du Défendeur
Trad: D. SANFO I. ARRET
1. Le présent arrêt est celui rendu par la Cour de justice de la Communauté
en audience publique virtuelle conformément à l’article 8 (1) des
Instructions pratiques sur la gestion électronique des affaires et les
audiences virtuelles de la Cour de 2020.
2. Les Requérants : ABIGUIME Maguiliwè, BM Aj Bw,
C Ba, BR Ah Cd, BF Ad,
ALFA-GANI Ashraf, AW Al Bw Bf, Au
Bz Ak, C Aa, AWELI Essoben, AS Ai,
AY Bi, AJ Ay, BW Bu,
AI Bo, AX Ar, BS Ac, BC
Aa Ax, AW Bh, ETOU Ba, Bi Bm,
BU Ap, AK Al Aw, HENOU BB Essodounam,
AK Ac Bg, BP Ab Bq, KABODJA
GMADJOM Bitémé, BL Bx, BX Bc,
KONSATIDJA Kanaline, KOSSIKAN Kossi, AU Ca,
BK Aq, Y As, AQ Av,
BT An, BG Aj Ag, Z
Bv, BA Az Ao, MIZA Mazamasso, N'ZLONOU
Pèguèdou, BQ Al BJ By, BY
Bn, AR Av, BO Aj, AM Cb
Bw, AG Ae, AP Bd, BI
Cc, BB Cb, AZ Bp, AN
Bj ; sont citoyens togolais résidant au Togo.
ra 3. Le Défendeur est l'Etat du Togo, un État membre de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
4. La présente affaire porte sur des allégations selon lesquelles l’Etat du Togo a violé le droit au travail des Requérants, le droit à la liberté d'association, en particulier le droit d'adhérer à un syndicat et le droit de participer à des actions de grève. Les Requérants allèguent également la violation du droit des 13êM°, 3 18° et 53*"° Requérants de ne pas être arrêté arbitrairement.
IV. PROCEDURE
5. La requête initiale, datée du 4 juillet 2022, a été déposée le 14 septembre 2022 et notifiée au Défendeur le 15 septembre 2022.
6. Les Requérants ont formulé une demande de jugement par défaut, datée du 20 décembre 2023 et déposée le 9 janvier 2024. La demande a été notifiée au Défendeur le 10 janvier 2024.
7. Le Défendeur n'a pas présenté ses observations dans le cas d’espèce.
8. Les parties ont été entendues en audience virtuelle le …. 2024, au cours de laquelle elles ont plaidé sur le fond. L'affaire a été mise en délibéré pour arrêt être rendu le … Juillet.
V. ARGUMENTS DES REQUERANTS
a. Résumé des faits
9. Les Requérants soutiennent que, suite à la tenue d’une assemblée générale constitutive à Lomé, au Togo, le 22 mai 2021, les enseignants ont décidé de créer un Syndicat des Enseignants du Togo (SET) en vue de mieux défendre leurs intérêts professionnels. Selon eux, le SET a pour but d'œuvrer pour le bien-être socio-économique et professionnel des
enseignants.
10.1ls affirment que, pour se conformer à la loi en vigueur au moment de la
création du syndicat, les dirigeants du SET ont, par lettre datée du 14 juin
2021, déposé légalement le 18 juin 2021, les statuts et le rapport de
l’assemblée générale constitutive de leur syndicat auprès de l'autorité
compétente, qui est le maire de la commune du Golfe 2. Ils en ont
également informé leur ministre de tutelle, chargé de l'enseignement
primaire et secondaire. L'enseignement technique et artisanal a été informé
par lettre datée du 6 octobre 2021 et notifié à la même date.
11.I1s ont également adressé des correspondances à d'autres institutions telles
que la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), la Synergie
des travailleurs togolais, etc. pour les informer de la création du SET.
12.1ls allèguent que, par lettre du 14 octobre 2021, le Ministre de la fonction
publique, du travail et du dialogue social (MFPTDS) les a informés du
refus des autorités togolaises de reconnaître le SET en tant qu'organisation
syndicale. Malgré les précisions apportées dans une lettre du SET au
MFPTDS en date du 18 juillet 2021, le gouvernement togolais est resté
ferme dans son refus de reconnaître le SET en tant qu'organisation
syndicale, dans une autre correspondance du MFPTDS adressée au SET en
date du 21 octobre 2021.
13.Les Requérants allèguent que, dans le but d'entamer des négociations avec
les autorités gouvernementales afin de faire prévaloir les droits des
enseignants, le SET a, de nouveau, envoyé une lettre au MFPTDS, datée
du 3 février 2022, ayant pour objet "Plateforme revendicative", avec
ampliation au ministre de l'Enseignement primaire, secondaire, technique
et de l'artisanat (MEPSTA), à l'Assemblée nationale et à la CNDH. Ils ont
affirmé n'avoir reçu aucune réponse et ont donc envoyé une lettre de rappel
date du février
Trad: D. en SANFO 21 2022. D % @ \e>
14.N’ayant reçu aucune réponse, le SET a adressé un préavis de grève au
MFPTDS avec ampliation au MEPSTA, à l'Organisation internationale du
travail (OIT), à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la
science et la culture (UNESCO), à la CNDH, à l'Assemblée nationale et à
l'Inspection du travail et des lois sociales, en vue d'organiser une grève les
24 et 25 mars 2022, reconductible sur l'ensemble du territoire national, les
4 et 7 avril 2022, si les revendications du SET ne sont pas satisfaites.
15.Les Requérants allèguent que, en réponse au préavis de grève, les
dirigeants du SET et certains de leurs collègues enseignants ont
constamment fait l’objet de menaces, de mépris d’intimidations et de
sanctions de la part du MFPTDS et du MEPSTA.
16. Les Requérants allèguent que le MEPSTA, dans son discours du 26 mars
2022, alors qu'il était en tournée avec certains de ses collègues à Br,
ville située au nord du Togo, s’en est ouvertement pris aux enseignants
dans sa sortie sur la légalité des mouvements syndicaux.
17.lls allèguent que les menaces du MEPSTA ont eu un effet immédiat,
puisque le MFPTDS, par trois arrêtés datés respectivement du 30 mars
2022, du 05 avril 2022 et du 19 avril 2022, a relevé cent cinquante (150)
enseignants du cadre des fonctionnaires de l’enseignement et les a mis à la
disposition du ministère chargé de la fonction publique pour " nécessité de
service " et " agissements et comportements répétitifs incompatibles avec
les aptitudes et exigences attachées au métier d'enseignant ".
18.Les Requérants allèguent que cette mutation était en fait une sanction
disciplinaire et qu'elle a eu lieu sans consulter les enseignants concernés.
19.Les Requérants allèguent également que, dans la soirée du 8 avril 2022, les
Sieurs Ac AT, Bj AN et Ay Bt
AJ, respectivement Secrétaire général adjoint, Secrétaire
régional de la Savane et Délégué préfectoral du Grand Lomé (les 13ème,
31ème et 53ème requérants) ont été arrêtés et placés en garde à yue dans les locaux du Service central de recherches et investigations criminelles
(SCRIC). Ils ont été présentés au parquet dans l'après-midi du 11 avril 2022
et ce dernier a requis l'ouverture d'une information. Ils ont ensuite été
placés sous mandat de dépôt par le doyen des juges d'instruction du
Tribunal de Lomé. Il leur est reproché d'avoir incité les élèves et d’autres
personnes à la révolte, par des promesses, menaces, ordres ou signes de
ralliement, sur la base d'un message daté du 30 mars 2022, appelant "les
parents d'élèves à retenir leurs enfants à la maison" et indiquant que "ces
enfants doivent impérativement réclamer, à leur manière aussi leurs
enseignants, et les meilleures conditions scolaires au Togo". Les
Requérants allèguent que ce message pour lequel ils ont été arrêtés n'était
pas signé et n'émanait pas du SET.
20.Les Requérants allèguent que, après les audiences sur le fond, les avocats
des dirigeants syndicaux détenus ont introduit une requête au magistrat
instructeur aux fins de prononcer un non-lieu à suivre contre les 13%",
21.Cette requête a été rejetée au motif que les dirigeants syndicaux arrêtés ne
présentent aucune garantie de représentation.
22.Les Requérants allèguent que, le 25 avril 2022, par arrêtés successifs n°
1245/MFPTDS, n° 1246/MFPTDS et n° 1247/MFPTDS, le MFPTDS a
procédé, de manière massive, à la révocation, au licenciement et à
l’exclusion temporaire de certains enseignants pour avoir manifesté et
exercé leur droit de grève.
23.Les Requérants allèguent en outre que le SET a reçu, à la requête de la
Synergie des étudiants du Togo (SET), suivant une procédure accélérée et
à bref délai, une assignation à comparaître devant le cabinet du Vice-
Président du Tribunal de Lomé aux fins d'interdiction d’usage d’un sigle
réservé à la Synergie des étudiants du Togo, " SET ".
24.Ensuite, par décision n° 344/2022 du 23 mai 2022, le Tribunal de Lomé a
" interdit l'utilisation du sigle " SET " par le Syndicat des Enseignants du
Togo, maintenant et dans le futur, ceci sous astreinte de cent mille (100
000) francs CFA par acte d'utilisation abusive ".
25.Les Requérants ne sont pas d'accord avec la décision du Tribunal de Lomé,
car ils soutiennent qu'en droit de la propriété intellectuelle et droit des
marques, ce n'est pas un sigle qui doit être protégé, mais le nom ou le nom
de domaine. Et dans le cas du SET, il n'existe aucune protection légale ni
du nom ni du sigle.
b. Fondements juridiques
26.Les Requérants fondent leurs allégations sur les articles suivants :
|. Articles 6, 8 et 15 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des
peuples ;
ii. — Articles 3, 9 et 23 (1) et (4) de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme (DUDHF) ;
iii. — Articles 6, 7, 8 et 22 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (PIDESC) ;
iv. Articles 2 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(PIDCP) ;
v. Articles 1, 2, 3 et 4 de la Convention 87 de l'Organisation internationale
du travail ; et
vi. Article 1 de la Convention 98 de l'Organisation internationale du travail.
c Demandes formulées
27. Les Requérants demandent, qu’il plaise à la Cour de :
|. déclarer qu’elle est compétente pour examiner les allégations de
violation des droits de l’Homme des requérants par l’Etat du Togo,
conformément aux dispositions de l'article 9 du Protocole
Trad: D. SANFO 5 @ additionnel (A/SP.1/01/05) portant amendement du préambule, aux
articles 1, 2, 9, 22 et 30 du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de
justice de la CEDEAO, et à l'article 4 (1) de la version anglaise dudit
Protocole du 19 janvier 2005 ;
ii. déclarer recevable la requête des requérants conformément à l'article
10 du Protocole additionnel (A/SP.1/01/05) portant amendement du
préambule, aux articles 1, 2, 9, 22 et 30 du Protocole A/P1/7/91
relatif à la Cour de justice de la CEDEAO et à l'article 4 (1) de la
version anglaise dudit Protocole du 19 janvier 2005.
iii. Sur les allégations de violation des droits :
Dire et juger qu’il y a eu violation de la part de l’Etat du Togo :
e du droit des Requérants au travail;
® du droit des Requérants à l’exercice de leurs libertés syndicales,
notamment le droit de se constituer en organisation syndicale SET
ou d’y adhérer et du droit de grève ;
e du droit de Ac AT, Bj AN et Ay Bt
AJ à la liberté et de leur droit de ne pas être arrêté et
détenu arbitrairement.
iv. Ordonner à l’Etat du Togo de procéder immédiatement, sans délai et
sans condition, à la libération des Sieurs Ac AT, Bj
AN et Ay Bt AV Au ;
v. Condamner l’Etat du Togo à payer à chacun des Requérants la
somme de cent cinquante millions (150.000.000) FCFA pour les
préjudices moraux et matériels subis du fait de la violation de leur
droit au travail ;
Trad: D. SANFO À vi. Condamner l’Etat du Togo à payer à chacun des Requérants la
somme de cent cinquante millions (150.000.000) FCFA pour les
préjudices subis du fait de la violation de leur droit à la liberté
syndicale, notamment le droit de se constituer en organisation
syndicale SET et du droit de grève ;
vil. Condamner l’Etat du Togo à payer à chacun des Sieurs Ac
AT, Bj AN et Ay Bt AJ la
somme de deux cent cinquante millions (250.000.000) FCFA pour
le préjudice subi du fait de la violation de leur droit à la liberté et du
fait d’être arbitrairement arrêtés et détenus à la prison civile de
Lomé.
viii. Condamner l’Etat du Togo aux entiers dépens.
VI. ARGUMENTS DU DÉFENDEUR
28.Bien qu’ayant été dûment cité, le Défendeur n'a pas contesté les allégations
des Requérants.
VII. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Demande de jugement par défaut
29.L’Etat défendeur est en défaut de transmettre sa réponse à la requête des
Requérants, bien qu'il ait été dûment notifié par la Cour.
Demande d’arrêt par défaut.
30.Suite au non-dépôt du mémoire en défense du Défendeur, les Requérants,
conformément à l'article 90 du Règlement de procédure de la Cour, ont
déposé une demande d'arrêt par défaut, en formulant les conclusions
énoncées au paragraphe 27, qui sont reproduites ci-après.
Trad: D. SANFO AL © Analyse de la Cour sur la demande d’arrêt par défaut.
31.Le Défendeur n'ayant pas présenté sa défense, les Requérants ont demandé
un jugement par défaut, conformément à l'article 90 du Règlement de
procédure de la Cour qui dispose :
32.L’Article 90(1) dispose : "Si le Défendeur, régulièrement mis en cause, ne
répond pas à la requête dans les formes et le délai prescrits, le Requérant
peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions".
33.L’Article 90 (4) dispose : "Avant de rendre l'arrêt par défaut, la Cour,
tenant compte des circonstances de l'affaire, examine la recevabilité de la
requête, vérifie si les formalités ont été régulièrement accomplies et
vérifie si les conclusions du Requérant paraissent fondées."
34.Les exigences énoncées à l'article 90 (4) concernent les questions de
compétence, de recevabilité et de preuve, qui doivent être traitées
nécessairement avant d'analyser le bien-fondé de la requête initiale (voir
l'affaire MOHAMED EL TAYIB BAH C. REPUBLIQUE DE SIERRA
LEONE (2015) CCJELR PAGE 193).
35.11 ressort des faits soumis à la Cour que les Requérants ont déposé leur
requête au greffe de la Cour le 14 septembre 2022. Le Défendeur a été
notifié le 15 septembre 2022.
36.Conformément à l'article 35 du Règlement de la Cour, le Défendeur
dispose d'un délai de 30 jours à compter de la réception de la Requête pour
déposer son mémoire en défense.
37.A la date de la présente audience, la Cour n'a enregistré aucun mémoire en
défense émanant du Défendeur. La situation prévue à l'article 90(1) du
Règlement de la Cour se concrétise car la demande des Requérants, datée
du 9 janvier 2024, pour que la Cour rende un jugement par défaut s’avère
pertinente.
Trad: D. SANFO 38.Toutefois, lorsqu'une demande d’arrêt par défaut est soumise à la Cour, il
lui incombe, en vertu de l'article 90 (2) de son Règlement, de s'assurer que
toutes les demandes qui lui sont soumises relèvent de sa compétence et que
la requête est recevable.
39.Par conséquent, les critères de compétence et de recevabilité doivent être
vérifiés avant de rendre l'arrêt par défaut.
40. La Cour note toutefois que le fait qu'un Requérant demande un jugement
par défaut ne signifie pas automatiquement que son recours est fondé et
que sa requête va prospérer, puisque la Cour doit, d'office, analyser les
questions de compétence, de recevabilité et de preuve avant d’examiner
l’affaire au fond (voir l’affaire MOHAMMED EL BD B c.
RÉPUBLIQUE DE SIERRA LEONE (2015) (SUPRA) PAGE 6.
41.Compte tenu de ce qui précède, la Cour commencera par examiner la
question de sa compétence.
42.La compétence est un élément important de la décision des Tribunaux et,
si le Tribunal n'est pas compétent, même si le jugement a été bien mené, il
deviendra nul. Voir l’affaire AO Y & AUTRE C.
REPUBLIQUE DU GHANA, ARRET No. ECW/CCJ/JUD/11/14 pg. 8.
43.La compétence est fondamentale pour toute action devant un Tribunal. En
règle générale, la compétence est déduite de la requête du Requérant et,
pour décider si cette Cour a compétence pour connaître d'une affaire, elle
doit se fonder sur les faits présentés par le Requérant, sur les protocoles
relatifs à la Cour, ainsi que sa jurisprudence. Voir l’affaire FESTUS A.0.
OGWUCHE c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA, ARRET No.
ECW/CCI/JUD/02/18 p. 10.
44 L'article 9(4) du Protocole A/P.l/7/91 relatif à la Cour de justice de la
CEDEAO, tel qu'amendé par le Protocole additionnel A/SP.1/01/05, lui donne compétence pour connaître des cas de violation des droits de
l’Homme dans tout État membre.
45. Dans les cas où les faits se rapportent à des allégations de violation des
droits de l'Homme survenue dans tout État membre et que la requête est
formée par une personne physique (voir les articles 9(4), 10(d) du
Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour, tel qu'amendé par le Protocole
additionnel A/SP.1/01/05, 4(g) du Traité révisé de la CEDEAO et 5 de la
Charte africaine), et comme l’affaire n’est pendante devant aucune
juridiction internationale, cette Cour est compétente pour en connaître.
FÉDÉRALE. DU NIGERIA & 2 AUTRES, ARRET No.
ECW/CCH/JUD/14/14 p. 10.
46. La simple allégation de violation des droits de l’Homme sur le territoire
d'un État membre suffit, prima facie, à justifier la compétence de la Cour
pour connaître du litige, sans préjudice du fond de la requête, qui ne sera
examiné que lorsque les parties auront eu l'occasion de présenter leurs
arguments, avec toutes les garanties d'un procès équitable. Voir l’affaire
THE REGISTERED TRUSTEES OF THE SOCIO-ECONOMIC RIGHTS
& ACCOUNTABILITY PROJECT (SERAP) & 10 AUTRES c.
REPUBLIQUE FEDERALE DU NIGERIA & 4 AUTRES, ARRET No.
ECW/CCI/JUD/16/14 p. 25.
47. Dans cette affaire, les Requérants allèguent des violations du droit à la
liberté d'association, du droit au travail et du droit de ne pas être détenu
arbitrairement, conformément aux dispositions de la Charte africaine des
droits de l’Homme et des peuples, du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, entre autres instruments internationaux relatifs
aux droits de l’Homme auxquels |’Etat du Togo est partie.
48.Par conséquent, la Cour se déclare compétente pour connaître de la
présente affaire.
49.Après avoir établi que la Cour est compétente pour connaître de la présente
affaire, il convient de déterminer si elle est recevable. Un cas de de
violation des droits de l’Homme n'est recevable que sous certaines
conditions que chaque Requérant doit réunir pour que son affaire soit
admise. À cet effet, l'article 10(d) du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour
de justice de la CEDEAO, tel qu'amendé par le Protocole additionnel
A/SP.1/01/05, dispose : " Peut saisir la Cour toute personne victime de
violations des droits de l’Homme ; la demande soumise à cet effet : i) ne
sera pas anonyme ; ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la
Communauté lorsqu’elle a déjà été portée devant une autre Cour
internationale compétente ".
50.Ainsi, trois conditions doivent être cumulativement réunies pour que
l'affaire puisse être considérée comme recevable, à savoir la qualité de
"victime" du Requérant, le non-anonymat de la requête et l'absence de
litispendance devant une autre juridiction internationale. Voir l’affaire
Bb C OKOH & 42 AUTRES. c. REPUBLIQUE FEDERALE
DU NIGERIA, ARRET N°ECW/CCI/JUD/04/21 p. 16 par. 37.
51.En l'espèce, les Requérants ne sont pas anonymes. Au surplus, rien
n'indique que cette affaire a été portée devant un autre tribunal international
pour être jugée. Les Requérants allèguent la violation de leurs droits en
vertu de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et d'autres
instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme, ce qui fait d'eux
des victimes directes des violations alléguées.
52.Par conséquent, cette affaire réunit les conditions de recevabilité et la Cour
estime qu’elle est recevable.
53.Après avoir analysé la question de compétence et de recevabilité, il y a lieu
de se pencher ensuite sur la question du respect des formalités appropriées
en vertu de l'article 90(4).
54. Lorsque la Cour a établi sa compétence pour connaître de l’affaire et l'a
déclarée recevable, l'article 90(2) de son Règlement exige également
l'accomplissement des formalités appropriées prévues aux articles 33, 34
et 35 dudit Règlement.
55.Les articles 33 et 34 sont des dispositions relatives aux éléments
constitutifs d'une requête pouvant être acceptés par la Cour, ainsi qu'aux
détails de la procédure de notification, y compris le mode de notification.
En outre, les dispositions de l'article 35 sont des instructions au Défendeur
concernant le délai dans lequel il doit soumettre sa réponse à une requête.
56.Après une analyse minutieuse des documents soumis par les Requérants,
la Cour est convaincue que la demande de jugement par défaut respecte les
formalités susmentionnées.
57.Enfin, eu égard aux dispositions de l'article 90(4), il y a lieu de savoir si la
requête est bien fondée.
58.L'article 90(1) du Règlement de la Cour dispose que si le Défendeur,
régulièrement mis en cause, ne répond pas à la requête dans les formes et
le délai prescrits, un arrêt par défaut peut être rendu au nom du Requérant.
59.La Cour rappelle que le bien-fondé d'une demande d'arrêt par défaut n'est
pas une question évidente, car les faits doivent être suffisamment prouvés.
En d'autres termes, la Cour doit examiner l'ensemble des éléments de
preuve soumis par le demandeur afin de déterminer s'il existe un intérêt à
agir et si la demande a été prouvée de manière satisfaisante. (voir l’affaire
VISION KAM JAY INVESTMENT LIMITED C. PRESIDENT DE LA
COMMISSION & AUTRE, ARRET N° ECW/CCJ/JUD/01/18. (2016)
CCJELR PAGE 605).
60.La Cour va maintenant procéder à l'analyse des violations alléguées afin
d’en déterminer le bien-fondé.
a) Sur la violation alléguée du droit au travail
61.Les Requérants allèguent que, le 25 avril 2022, le Ministre de la fonction
publique, du travail et du dialogue social, par arrêtés successifs n°
1245/MFPTDS, n° 1246/MFPTDS et n° 1247/MFPTDS, a procédé,
respectivement, à la révocation, au licenciement et à l’exclusion temporaire
massive de certains enseignants, dont les Requérants, pour avoir adhéré à
un mot d'ordre de grève.
62. Les Requérants allèguent que ces différentes mesures de licenciement, de
révocation et d'exclusion massive, notamment pour fait de grève, violent
leur droit au travail consacré par les instruments internationaux auxquels
le Togo est partie.
63.L'article 15 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples
dispose que "toute personne a le droit de travailler dans des conditions
équitables et satisfaisantes et de percevoir un salaire égal pour un travail
égal".
64.L'article 6(1) du PIDESC (Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels) dispose : " Les Etats parties au présent
Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute
personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail
librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour
sauvegarder ce droit".
65.L'article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels dispose :
Trad: D. SANFO À " Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment:
a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs:
i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu'eux pour un même travail;
ii) Une existence décente pour eux et leur famille conformément aux dispositions du présent Pacte;
b) La sécurité et l'hygiène du travail;
c) La même possibilité pour tous d'être promus, dans leur travail, à la catégorie supérieure appropriée, sans autre considération que la durée des services accomplis et les aptitudes;
d) Le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés".
66.Le droit au travail permet au travailleur d'améliorer ses conditions de vie
et son développement humain et contribue à la promotion de sa dignité ; le
droit au travail constitue ainsi l'un des piliers de l'expression des droits
fondamentaux de l'Homme et accorde une valeur significative à la
prestation de services utiles à l'humanité ; la dignité humaine constituant
l'axe central des droits de l’Homme, le droit au travail apparaît comme l'un
des instruments les plus efficaces pour la promotion des droits de
l’Homme. Voir l’affaire THE REGISTERED TRUSTEES OF THE SOCIO-
ECONOMIC RIGHTS (SERAP) & 7 AUTRES c. REPUBLIQUE
FEDERALE DU NIGERIA, ARRET N° ECW/CCI/JUD/23/19 p. 45.
67.Dans l'affaire SGT. MIKAH RANGO & 243 AUTRES c. RÉPUBLIQUE
FÉDÉRALE DU NIGÉRIA, ARRET N° ECW/CCJ/JUD/21/19, la Cour a
déclaré que :
"Le droit au travail comprend des droits accessoires et qui, ensemble,
constituent le droit au travail. Il comprend, entre autres :
(a) le droit de connaître les conditions d'embauche ;
b) Le droit de percevoir un salaire égal pour un travail égal ;
c) Le droit de travailler dans un environnement favorable ;
d) le droit d'accorder au travailleur l'opportunité d'être entendu dans le
cadre de toute procédure disciplinaire engagée contre lui ; et
(e) le droit d'être protégé contre tout licenciement illégal”.
68.La violation du droit au travail sous-entend une cessation du travail qui
prive définitivement le travailleur de son emploi dans des conditions
manifestement injustes. Voir l’affaire MATCHI DAOUDOU et SOCIÉTÉ
COMMERCIALE POLIVALENTE (SCP) SARL-U c. ÉTAT DU TOGO,
ARRÊT N° ECW/CCI/JUD/38/22 par. 289.
69.Une requête qui allègue la violation du droit au travail doit démontrer à
suffisance, premièrement, l'existence d'un contrat de travail entre les
parties, deuxièmement, la preuve de sa résiliation sur ordre de l'employeur
et, enfin, que la résiliation a été effectuée de manière illégale. Voir l’affaire
BE Ba BZ c. ETAT DU TOGO, ARRÊT N°.
ECW/CCJ/JUD/26/21 p. 26 par. 91-92.
70.En l'espèce, les annexes 30 et 31 de la requête initiale, par lesquelles il a
été mis fin à l'emploi de certains enseignants, et l'annexe 32, par laquelle
d'autres enseignants ont été suspendus, prouvent que les enseignants
mentionnés dans ces documents ont effectivement été employés en tant
qu'enseignants. Ces documents prouvent également que les enseignants ont
été suspendus ou ont vu leur contrat résilié par leur employeur, l’Etat du
Togo.
71.Toutefois, les documents n'indiquent pas que les suspensions ou les
résiliations de contrat de travail ont été effectuées à l'issue d'une procédure
régulière, c'est-à-dire après que les enseignants concernés aient été
entendus de manière équitable.
72.Le fait que chacun des documents contient les noms de plusieurs
enseignants dont les emplois ont été suspendus ou résiliés sur la base
d'allégations vagues et imprécises telles que " manquements graves aux lois
et règlements en vigueur et aux normes d'éthique et de déontologie
régissant les fonctionnaires, notamment des actes d'incivisme notoire,
d'incitation à la violence, à la désobéissance et à la révolte », sans préciser
quels sont les actes et de quoi chaque enseignant est accusé en particulier,
ce qui permet de conclure que la procédure régulière d'un procès équitable
pour les enseignants n'a pas été suivie avant de prendre des mesures
disciplinaires.
73.Le Défendeur n'a pas comparu dans cette affaire pour présenter sa propre
version des faits. La règle de la preuve veut que la charge de la preuve
incombe aux requérants qui doivent établir, au moyen de preuves, tous les
éléments nécessaires pour que leur requête puisse prospérer. Si cette charge
est satisfaite, la charge de la preuve est alors transférée au Défendeur, qui
doit produire de nombreuses preuves pour réfuter les allégations des
Requérants. Voir l’affaire AL Am AH & 22 AUTRES
c. REPUBLIQUE FEDERALE DU NIGERIA & AUTRES, ARRET N°
74.Le Défendeur n'ayant pas comparu ni présenté de preuves dans cette
procédure, la Cour se fondera sur les preuves présentées par les Requérants.
75..Par conséquent, la Cour estime que la suspension et le licenciement des
enseignants n'ont pas suivi une procédure régulière et que, partant, leur
droit au travail a été violé par le Défendeur.
b) Sur la violation alléguée du droit à la liberté d'association
76.Les Requérants allèguent que l’Etat du Togo ne leur a pas permis de former
un syndicat en refusant de reconnaître l'existence du Syndicat des
Enseignants du Togo (SET) en tant que syndicat.
77 Ils soutiennent qu'à la date de la création du SET, la création de structures
syndicales était régie par l'article 10 de la loi n° 2006-010 du 13 décembre
2006, qui était un régime d'information ou de déclaration préalable. Cet
article dispose :
" Les fondateurs d'un syndicat professionnel doivent déposer les
statuts et les noms, notamment la nationalité, le domicile, l'âge, la
qualité et la profession des personnes qui, à un titre quelconque,
sont chargées de son administration ou de sa direction. " Cette
inscription est faite en quatre exemplaires contre récépissé à la
mairie ou au bureau préfectoral où est établi le syndicat. "Le maire
ou le préfet en adresse une copie respectivement au procureur de la
République et à l'inspecteur du travail et des lois sociales."
78.Par ailleurs, l'article 242 du statut général de la fonction publique dispose:
"Le droit svndical est reconnu aux fonctionnaires. « Outre le dépôt légal, toute organisation syndicale de fonctionnaires est tenue d'effectuer, dans les deux (2) mois de sa création, le dépôt de ses statuts et de la liste de ses administrateurs auprès de l'autorité ayant pouvoir de nomination sur les fonctionnaires appelés à en faire partie ou auprès du ministre chargé de la fonction publique ou du travail contre avis de réception."
Trad: D. SANFO A 2e @ 79.Les Requérants allèguent s'être conformés à ces exigences légales à travers
des correspondances adressées respectivement au maire, le 18 juin 2021,
et au MFPTDS, le 6 octobre 2021.
80.Cependant, le 18 juin 2021, un nouveau Code du travail a été publié, la loi
n° 2021-012 du 18 juin 2021. L'article 13 du nouveau Code du travail
dispose :
" Les fondateurs de tout syndicat professionnel déposent auprès de
l'autorité compétente les statuts, le rapport de l'assemblée générale
constitutive ainsi que la liste comportant les noms et prénoms, la date et le
lieu de naissance, la nationalité, le domicile, la qualité, la profession et le
casier judiciaire des personnes qui, à un titre quelconque, sont chargées
de son administration ou de sa direction. « Le dépôt a lieu auprès du
ministre chargé de l'administration territoriale, avec copie au ministre
chargé du travail, contre accusé de réception."
81.Ainsi, avec cette nouvelle loi, la procédure de reconnaissance des
nouveaux syndicats n'est plus l'obligation d'informer le maire, mais
l'obligation d'informer les ministres chargés respectivement de
l'administration territoriale et du travail.
82.Les Requérants allèguent que les dispositions du nouveau Code du travail
ne peuvent pas leur être appliquées, puisqu'ils existaient déjà légalement
avant l'entrée en vigueur de la loi. Ils soutiennent que cette loi publiée le
18 juin 2021 ne pouvait légalement entrer en vigueur que le 19 juin 2021.
83. L'article 10 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples
dispose :
1) "Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec
d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi.
2) Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association sous réserve de
Trad: D. l'obligation SANFO de solidarité prévue à l'article 29. À / f Us, &
84 L'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
dispose :
1) " 1. Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts.
2. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d'autrui. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux Etats parties à la Convention de 1948 de l'Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte -- ou d'appliquer la loi de façon à porter atteinte
-- aux garanties prévues dans ladite convention."
85.Les articles 1 à 4 de la Convention (N° 87) de l'OIT sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical de 1948 disposent :
1) Tout Membre de l'Organisation internationale du Travail pour lequel la
présente convention est en vigueur s'engage à donner effet aux
dispositions suivantes.
2) Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le
droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur
choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations, à la seule condition
de se conformer aux statuts de ces dernières.
a) Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer
leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs
représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler
leur programme d'action.
b) Les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de
nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.
3) Les organisations de travailleurs et d'employeurs ne sont pas sujettes à
dissolution ou à suspension par voie administrative.".
86.L'article 1 de la Convention (n° 98) de l'OIT sur le droit d'organisation et
de négociation collective de 1949, dispose :
1) ” Les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre
tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté
syndicale en matière d'emploi.
2) Une telle protection doit notamment s'appliquer en ce qui concerne les
actes ayant pour but de:
(a) subordonner l'emploi d'un travailleur à la condition qu'il ne s'affilie
pas à un syndicat ou cesse de faire partie d'un syndicat;
(b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres
moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à
des activités syndicales en dehors des heures de travail ou, avec le
consentement de l'employeur, durant les heures de travail”.
87.Le droit à la liberté d'association n'est pas un droit absolu. À cet égard, la
Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples garantit la liberté
d'association à tous les individus dans le cadre de la loi. De même, l'article
22(2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaît
que l'État peut imposer par la loi des restrictions au droit à la liberté
d'association.
88.En l'espèce, les Requérants sont donc tenus de suivre la législation
togolaise relative à la création de syndicats. Ils affirment avoir suivi la loi
en vigueur au moment de sa création.
Trad: D. SANFO DE .
89.Cependant, la Cour constate que, le jour même de la notification de la
création du SET au maire, la loi sur le mode d'enregistrement/notification
de la création d'un nouveau syndicat a changé. Le SET était donc tenu de
se conformer à la nouvelle loi en vigueur à cette date, à savoir la loi n°
2012-012 du 18 juin 2021, en vertu de laquelle il devait soumettre ses
documents constitutifs au ministre de l'Administration territoriale et au
ministre chargé du Travail. Tel ne fut pas le cas.
90.La Cour est convaincue que ces exigences de notification de la loi n° 2012-
012 du 18 juin 2021 ne constituent pas des restrictions qui entravent le droit
à la liberté d'association, en particulier le droit de constituer un syndicat.
91 L'article 242 du statut général de la fonction publique obligeait le SET à
soumettre, dans les deux mois de sa création, "ses statuts et la liste de ses
administrateurs auprès de l'autorité ayant pouvoir de nomination sur les
fonctionnaires appelés à en faire partie ou auprès du ministre chargé de
la fonction publique ou du travail".
92.Ses documents ont été remis au ministre chargé de la fonction publique et
du travail le 06 octobre 2021, soit plus de deux mois après le 22 mai 2021,
date de création du SET, et plus de deux mois après la notification du 18
juin 2021, au maire de la commune du Golfe 2.
93. Par conséquent, la Cour estime que les droits des Requérants à la liberté
d'association et à la liberté syndicale n'ont pas été violés par l’Etat du Togo.
c) Sur la violation alléguée du droit de grève
94.Les Requérants allèguent que la suspension du travail ainsi que le
licenciement de certains des membres du SET par le MFPTDS, pour avoir
déclenché un mouvement de grève, constituent une violation de leur droit
de grève, corollaire du droit à la liberté d'association, en particulier du droit
de constituer un syndicat.
Trad: D. SANFO ‘ | { 95.Le droit de grève est reconnu par l'article 8(1)( d) du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), qui dispose
que tous les Etats parties s'engagent à assurer le "droit de grève, à condition
qu'il soit exercé conformément à la législation du pays concerné".
96.Le droit de grève est également prévu par les articles 322, 323 et 333 de la
loi togolaise n° 2021-012 du 18 juin 2021 portant code du travail :
L'article 322 dispose : " La grève est une cessation collective et
concertée du travail décidée par les travailleurs en vue d'obtenir la
satisfaction de leurs revendications d'ordre professionnel. Les
travailleurs ont le droit de recourir à la grève pour défendre leurs
droits et leurs intérêts professionnels soit individuellement, soit
collectivement ou par l'action syndicale, dans les conditions prévues
par les lois et règlements en vigueur ".
L'article 323 dispose : " Aucun travailleur ne peut être sanctionné
en raison de l'exercice normal et régulier du droit de grève".
Enfin, l'article 333 dispose : "Toute contestation relative à l'exercice
du droit de grève est soumise au Tribunal du travail qui statue en
97.L'exercice du droit de grève par un syndicat est lié à l'existence légale et à
la reconnaissance de ce syndicat. En l'espèce, bien que tous les Requérants
disposent du droit de grève en tant que travailleurs individuels, ils ont
choisi d'exercer ce droit par l'intermédiaire du syndicat SET, qui n'est pas
reconnu par la législation togolaise.
98.Dans ces circonstances, la Cour conclut que le fait que les lois togolaises
ne reconnaissent pas le SET ne constitue pas une violation du droit à la
liberté d'association des Requérants. Dans le même ordre d'idées, la Cour
estime que le déni du droit de grève au SET, ainsi que la sanction subséquente de ses membres pour avoir initié un mouvement de grève, ne
constituent pas une violation du droit de grève des Requérants.
d) Sur la violation alléguée du droit de ne pas être détenu arbitrairement
99.Les Requérants allèguent que trois de leurs membres, les Sieurs Ac
AT, Bj AN et Ay Bt AJ, ont été
arrêtés le 8 avril 2022 et détenus dans les locaux du Service central
d'enquêtes et de recherches criminelles (SCRIC). Ils ont été déférés au
Parquet le 11 avril 2022 et celui-ci a requis l'ouverture d'une enquête. Ils
ont été placés en détention par le doyen des juges d'instruction. Ils ont été
accusés d'avoir incité les étudiants et d'autres personnes à la révolte par des
promesses, menaces, ordres ou signes de ralliement, sur la base du contenu
d'un document non signé qui aurait été émis par le SET. Les Requérants
nient avoir émis ce document.
100. L'article 6 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des
peuples dispose :
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne
peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions
préalablement déterminées par la loi. En particulier, nul ne peut être
arrêté ou détenu arbitrairement ".
101. La Cour de céans a défini la détention arbitraire comme "toute
forme de restriction de la liberté individuelle qui se produit sans base
légitime ou raisonnable et qui viole les conditions établies par la loi". Voir
l’affaire ALEX NAIN SAAB MORAN c. REPUBLIQUE DU CAP VERT,
arrêt n° ECW/CCJ/JUD/07/2021 p. 18 par. 74.
102. Ainsi, l’on ne peut dire qu’une arrestation ou détention effectuée
dans les limites de la législation nationale appropriée et d’autres
instruments internationaux pertinents est arbitraire. Voir l’affaire
Trad: D. SANFO )e) MR.NOEL MIAN DIALLO c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA
& AUTRE, ARRET N° ECW/CCJ/JUD/14/19 p. 12 & 13.
103. Le but du mandat de dépôt est d’approfondir l'enquête pénale en
confirmant ou en infirmant les soupçons sur lesquels la détention est
fondée. Cependant, les soupçons doivent être fondés sur des motifs
raisonnables afin d'éviter une arrestation et une détention arbitraires. Voir
l’affaire A X Bl c. RÉPUBLIQUE
TOGOLAISE, ARRET N° ECW/CCI/JUD/06/15 p. 11
104. En l'espèce, les trois Requérants ont été détenus car ils auraient incité
les élèves et d'autres personnes à la révolte, par des promesses, menaces,
ordres ou signes de ralliement sur la base d'un document prétendument
délivré par le SET. Ils ont été présentés au juge d'instruction trois jours
après leur arrestation et celui-ci a ordonné leur maintien en détention. Les
Requérants ont demandé au magistrat instructeur de prononcer un non-lieu
afin d’être libérés mais leur demande a été rejetée.
105. La Cour est d'avis que l'arrestation et la détention des trois
Requérants avaient pour but d'enquêter sur des soupçons d'infraction à la
législation togolaise. En outre, ils ont été présentés à un magistrat qui a
ordonné leur maintien en détention. La Cour note également qu'ils ont été
libérés entre-temps.
106. En conséquence, la Cour estime que l’Etat du Togo n'a pas violé le
droit des trois Requérants de ne pas être détenu arbitrairement.
107, Les Requérants demandent, qu’il plaise à la Cour,
i) d'ordonner à l’Etat du Togo de libérer immédiatement, sans délai et sans
condition les Sieurs KOSSI Kossikan, Joseph TOYOU et Ditorga Sambara
Trad: D. SANFO ii) de condamner l’Etat du Togo à payer à chacun des Requérants la somme
de cent cinquante millions (150.000.000) FCFA pour les préjudices moraux et
matériels subis du fait de la violation de leur droit au travail ;
iii) de condamner l'Etat du Togo à payer à chacun des Requérants la somme
de cent cinquante millions (150.000.000) FCFA pour les dommages subis du
fait de la violation de leur droit à la liberté syndicale, notamment le droit de
constituer une organisation syndicale SET ou d’y adhérer et le droit de grève ;
iv) de condamner l’Etat du Togo à payer aux Sieurs Ac AT, Bj
AN et Ay Bt AV Au la somme de deux cent cinquante
millions (250.000.000) FCFA pour les dommages subis du fait de la violation
de leur droit à la liberté et de leur arrestation et détention arbitraires à la prison
civile de Lomé.
108. S’agissant des demandes N° i), iii) et iv), il convient de noter que la
Cour conclut que le Défendeur n'a pas violé le droit des Af Ac
AT, Bj AN et Ay Bt AJ de ne pas être
détenu arbitrairement; en outre, la Cour estime que le Défendeur n'a pas
violé le droit des Requérants à la liberté d'association et à la liberté
syndicale et, enfin, la Cour déclare que le Défendeur n'a pas violé le droit
de grève des Requérants.
109. Sur la base de ces conclusions, les réparations demandées par les
Requérants n'ont aucun fondement juridique et sont donc rejetées.
110. S’agissant de la demande de réparation formulée au point ii),
l'analyse de la Cour lui permet de conclure que la suspension et le
licenciement des enseignants n'ont pas suivi une procédure équitable et
qu'à ce titre, leur droit au travail a été violé par le Défendeur.
1 L, La Cour rappelle qu'il est un principe de droit international que "
toute personne victime d'une violation de ses droits humains a droit à une
réparation juste et équitable (voir l'affaire DJOT BAYI TALBIA & AUTRES Z
Trad: D. SANFO À _ c. RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA & AUTRES, arrêt n°
ECW/CCJ/JUD/01/06, dans CCJ ELR (2004 -2009).109.
112. La Cour ayant constaté que la suspension et le licenciement des
enseignants n'ont pas suivi une procédure régulière et que, de ce fait, leur
droit au travail a été violé par le Défendeur, elle doit fixer un montant
qu'elle estime juste et équitable pour la réparation de ce préjudice.
113. Au vu de ce qui précède, la Cour, se fondant sur sa jurisprudence,
fixe le montant de la réparation de la violation du droit au travail des
Requérants à un montant total de 10.000.000 (dix millions) FCFA.
114. Les Requérants demandent la condamnation du Défendeur aux
dépens. Le Défendeur n'a pas réagi.
115. L'article 66(1) du Règlement de la Cour dispose : " /l est statué sur
les dépens dans l'arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l'instance ".
116. L’alinéa 2 de cet article dispose : " Toute partie qui succombe est
condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens".
117. Et l’alinéa 4 du même article permet à la Cour de répartir les dépens
ou de décider que chaque partie supporte ses propres dépens au cas où les
parties succombent partiellement ou dans des circonstances
exceptionnelles.
118. Par conséquent, vu les circonstances de l'affaire, la Cour estime que
les dépens de cette action doivent être supportés par le Défendeur.
119. Par ces motifs, la Cour, siégeant publiquement, contradictoirement,
après en avoir délibéré :
De la compétence
Trad: D. SANFO Ra ®&
i. Déclare qu’elle est compétente pour connaître de l’affaire.
De la recevabilité
i. Dit que la requête est recevable.
Au fond
i. Déclare qu’il y a eu violation du droit au travail.
ii. Déclare qu’il n’y a pas eu violation du droit à la liberté d’association.
iii. Déclare qu’il n’y a pas eu violation du droit de grève.
iv. Déclare qu’il n’y a pas eu violation du droit de ne pas être détenu
arbitrairement.
Sur la réparation
v) Condamne le Défendeur à payer aux Requérants à titre de
réparation pour violation du droit au travail, la somme de Dix
millions (10.000.000) FCFA, et rejette en même temps les autres
demandes de réparation formulées par les Requérants.
Des dépens
L Conformément à la décision de la Cour, l’Etat défendeur supporte les
dépens.
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE — Président
Hon. Juge Sengu Mohamed KOROMA - Membre
Hon. Juge Ricardo Claûdio Monteiro GONÇALVES — Juge Rapporteur
Trad: D. SANFO ASSISTES DE :
Dr. Be BH
Fait à BV, le10 juillet 2024 en portugais et traduit en français et en anglais.
Trad: D. SANFO