COUR SUPREMEH.B/A.N.M.M PREMIERE CHAMBRE CIVILE AUDIENCE PUBLIQUE DU 16 NOVEMBRE 2023 ARRET N° 99_ /GCS-023
(Cassation)
Expulsion d’étrangers – Saisie des biens immobiliers – Attribution à titre onéreux – Actes réglementaires – (décrets) – Annulation – Acte de la Conférence Nationale Souveraine – Domaine privé de l’Etat – Titre foncier – Effets-
L’Acte n°242 de la Conférence Nationale Souveraine ayant annulé le décret n°78/565 du 29 août 1978 et le décret rectificatif n°82/1241 du 28 décembre 1982 portant attribution des propriétés bâties et non bâties ayant appartenu aux étrangers expulsés de la République du Congo pour séjour illégal et replacé, en son article 1er les biens immobiliers entretemps cédés à titre onéreux à des acquéreurs, personnes physiques ou morales, dans le domaine privé de l’Etat et invité le Gouvernement congolais à régler le problème avec la partie ouest-africaine, la cour d’appel qui s’est fondée sur les articles 12, 13 et 15 pour déclarer valable la vente consentie par les successibles du défunt AI AM à Monsieur A Af et celle consentie par les successibles du défunt AMPION Léon aux époux AN a méconnu les dispositions des articles 1er à 4 de l’Acte n°242 de la Conférence Nationale Souveraine, ce qui justifie la cassation de l’arrêt attaqué. AU NOM DU PEUPLE CONGOLAIS
La cour suprême, première chambre civile, statuant à son audience publique du jeudi seize novembre deux mil vingt-trois, au palais de justice de Brazzaville, pour vider son délibéré du jeudi vingt-huit juin deux mil vingt-trois, après avoir rabattu le délibéré, réouvert les débats, changé de composition par le fait que Monsieur Z qui avait siégé à l’audience du 28 juin 2023 avait connu de l’affaire devant la cour d’appel, donné à nouveau la parole au procureur général pour ses observations, à Monsieur Urbain Marius NTSIBA, avocat, pour le compte du demandeur au pourvoi et à Monsieur Yvon Eric IBOUANGA, avocat, pour le compte des défendeurs, a suspendu l’audience, s’est retirée pour en délibérer et, à la reprise de l’audience, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé le 03 août 2022 par Monsieur AH AJ Ag, domicilié au n°93, rue Ombélé, à Talangaï-Brazzaville, ayant pour conseil Monsieur Urbain Marius TSIBA, avocat au barreau de Brazzaville, cabinet sis 55, rue Lénine, à Moungali-Brazzaville, y demeurant ; demandeur ; En cassation de l’arrêt civil n°025 du 06 avril 2022 de la cour d’appel de Brazzaville, dans la cause l’opposant à Monsieur AN Ae et à Madame AN, née AK Ab, ayant pour conseil Monsieur Yvon Eric IBOUANGA, avocat au barreau de Brazzaville, dont le cabinet est sis immeuble SOPROGI, en face de l’ENAM, à Moungali III, Brazzaville, y demeurant ; défendeurs ; Le demandeur au pourvoi a invoqué trois (3) moyens de cassation ; les défendeurs au pourvoi ont produit, le 20 septembre 2022, un mémoire en défense concluant au rejet de celui-ci ; Sur quoi, la Cour suprême, première chambre civile, statuant à son audience publique du jeudi seize novembre deux mil vingt-trois où siégeaient : Henri BOUKA, premier président de la cour suprême, président ; Alain Michel OPO et Jean-Marie MOULONGO, juges ; Ad B, procureur général près la cour suprême, tenant le siège du ministère public ; Jacqueline NGAKALA-MBOLA, greffier ; Sur le rapport de Monsieur Ag Y, lu à l’audience par le premier président Henri BOUKA, rapporteur substitué, les conclusions écrites n°361/CL.22 du 20 décembre 2022 de Monsieur Aa C, procureur général près la cour suprême, auxquelles Monsieur le procureur général Ad B s’est rapporté dans ses observations orales ainsi que sur les observations orales des conseils des deux parties qui ont déclaré s’en tenir à leurs précédentes observations ; et après en avoir délibéré, conformément à la loi ; En la forme ; Attendu que par requête déposée au greffe de la Cour suprême le 03 août 2022, Monsieur AH AJ Ag s’est pourvu devant la Cour, en cassation de l’arrêt n°025 du 4 avril 2022 de la cour d’appel de Brazzaville, dans la cause l’opposant à Monsieur AN Ae et Madame AN née AK Ab ; l’arrêt attaqué lui ayant été notifié le 14 juin 2022, la requête de pourvoi en cassation déposée le 03 août 2022 et qui contient indication des noms, prénoms et domiciles des parties et de leurs avocats, l’exposé des faits de la cause et de la procédure subséquente, l’expédition de l’arrêt attaqué, les moyens de cassation invoqués à son soutien et la preuve que la somme de cinquante mille (50.000) francs CFA à consigner au greffe de la Cour sous peine de déchéance de celui-ci y a été effectivement versée, satisfait aux prescriptions édictées par les articles 100, 105, 106, 107 et 108 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière et, dès lors, est régulière et recevable ; Au fond ; Attendu, selon les énonciations de l’arrêt infirmatif attaqué (C.A de Bzv. ch. civ. arr. n°025 du 04/04/022), que Monsieur AH AJ Ag d’un côté et de l’autre les époux AN à savoir, Monsieur AN Ae et Madame AN, née AK Ab se disputant la propriété de la parcelle de terrain cadastrée parcelle 1, bloc 41, section P2, sise 40, rue Haoussa à Poto-Poto, Brazzaville, anciennement propriété de Monsieur AI AM, ressortissant ouest-africain expulsé du territoire national congolais le 03 septembre 1977 pour séjour illégal et dont les biens immobiliers, tout comme ceux des autres étrangers se trouvant dans la même situation, firent, suivant décret n°78/565 du 29 août 1978 rectifié par décret n°82/1241 du 28 décembre 1982, l’objet d’un retour au domaine privé de l’Etat et attribués à titre onéreux à diverses personnes physiques et morales sélectionnées par le ministère de l’intérieur, Monsieur AH AJ Ag disant l’avoir acquise entre les mains de la société de promotion et de gestion immobilière dite AL, le 18 décembre 2009, au prix de trente-cinq millions six cent quatorze mille huit cents (35.614.800) francs CFA et versant au dossier le permis d’occuper n°1129 du 25 septembre 1960 établi en faveur de Monsieur X Ac, puis transféré à la SOPROGI, la vendeuse, suivant acte de transfert du 15 février 1983 et les époux AN, ses adversaires, se prévalant d’une vente intervenue entre eux et les successibles du défunt AMPION Léon qui lui-même, aux dires de ses successibles, l’avait acquise des mains des successibles du défunt AI AM, propriétaire originel avant expulsion, la cour d’appel, saisie des faits, a infirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris du tribunal de grande instance de Brazzaville du 27 mai 2016 qui avait déclaré la vente intervenue entre la SOPROGI et Monsieur AH AJ Ag ainsi que celle conclue entre les héritiers du défunt AI AM et Monsieur A Léon inopposables à l’Etat congolais, s’était déclaré incompétent quant à prendre acte de l’action des successibles du défunt AMPION Léon tendant à obtenir de l’Etat congolais le paiement d’une indemnité compensatrice puis, évoquant et statuant à nouveau, a déclaré les époux AN Ae et AN née AK Ab, seuls et légitimes propriétaires de la parcelle de terrain disputée aux motifs que le décret n°78/565 du 29 août 1978 et le rectificatif n°82/1241 du 28 décembre 1982 relatifs à l’attribution des propriétés bâties et non bâties ayant appartenu aux étrangers expulsés pour séjour illégal du territoire de la République du Congo ayant été annulés par l’acte n°242 de la Conférence Nationale Souveraine dont l’article 4 a enjoint le Gouvernement de la transition de résoudre définitivement le problème de la restitution desdits biens immobiliers et en présence des articles 12, 13 et 15 de la loi n°17/2000 du 30 décembre 2000 portant régime de la propriété foncière qui disposent que : « l’immatriculation annule tous titres et purge tous droits antérieurs qui ne seraient pas mentionnés dans le registre de la propriété foncière, lesquels s’appliquent en l’espèce, le tribunal de grande instance de Brazzaville, en attribuant la propriété de la parcelle disputée à l’Etat congolais, a violé la loi et ce, par le motif que les mentions du titre foncier qui indiquent que le bien immobilier disputé était la propriété de AI AM justifient légalement la vente consentie par celui-ci au défunt AMPION Léon et, par la suite, celle consentie par les successibles du défunt AMPION Léon aux époux AN ; Sur le troisième moyen
Vu les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du décret n°78/565 du 29 août 1978 portant attribution des propriétés bâties et non bâties ayant appartenu aux étrangers expulsés de la République du Congo pour séjour illégal ainsi que le rectificatif audit décret n°82/1241 du 28 décembre 1982, ensemble, les articles 1er, 2, 3 et 4 de l’Acte n°242 de la Conférence nationale souveraine ; Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué de n’avoir pas répondu aux conclusions aussi bien du demandeur au pourvoi que de l’Etat congolais au soutien de leurs prétentions, notamment sur l’appartenance de l’immeuble disputé au domaine privé de l’Etat, en application de l’Acte n°242 de la Conférence nationale souveraine et l’inopposabilité à l’Etat de la vente intervenue entre la succession AI AM et AMPION Léon d’une part et d’autre part, celle intervenue entre les ayants droits du défunt AMPION Léon et les époux AN, y compris sur l’application en l’espèce du mode de règlement de ce contentieux tel que prévu par l’article 4 de l’Acte de la Conférence Nationale Souveraine, se bornant à motiver leur décision uniquement sur la base d’un titre foncier qui du reste devait être écarté des débats alors que selon l’article 53 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière, toute décision juridictionnelle doit exposer les prétentions des parties, leurs moyens et doit être motivée, le défaut de réponse aux conclusions des parties constituant comme en l’espèce, un défaut de motifs et d’avoir, en statuant tel qu’ils l’ont fait, violé l’article 53 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière ; Attendu, selon les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 du décret n°78/565 du 29 août 1978 portant attribution des propriétés bâties et non bâties ayant appartenu aux étrangers expulsés de la République populaire du Congo pour séjour illégal et 1er du rectificatif n°82/1241 du 28 décembre 1982, que les propriétés bâties et non bâties sises dans le périmètre urbain de la commune de Brazzaville, ayant appartenu aux étrangers expulsés le 3 septembre 1977 pour séjour illégal et fait l’objet d’un retour au domaine privé de l’Etat ont été attribuées, à titre onéreux, à des personnes physiques et morales nommément désignées ; qu’en vertu du rectificatif n°82/1241 du 28 décembre 1982 au décret n°78/565 du 29 août 1978, la parcelle de terrain litigieuse a été attribuée à Monsieur X Ac de l’UJSC au prix de cinq millions six cent quatre-vingt-six mille vingt francs (5.686.020) ; que par acte de transfert du permis d’occuper du 15 février 1983, Monsieur X Ac l’a vendu à la SOPROGI ; que cependant, le 30 juillet 1991, a été édicté un Acte n°242 « dit de la Conférence Nationale Souveraine » aux termes duquel, « les propriétés bâties sises dans le périmètre urbain de Brazzaville ayant appartenu aux étrangers expulsés le 3 septembre 1977 pour séjour illégal et ayant fait l’objet d’un retour au domaine privé de l’Etat pour attribution à titre onéreux aux personnes physiques et morales discrétionnairement sélectionnées par le ministère de l’intérieur retombent dans le domaine privé de l’Etat (article 1er) », « les personnes physiques ou morales bénéficiaires de ces attributions sont tenues de restituer les titres de propriété au Gouvernement de transition (article 2) », « le trésor public, sur ordre du Gouvernement de transition, après enquête sur la jouissance, procédera soit au remboursement des sommes versées, soit à la perception de celles illicitement encaissées par les acquéreurs (article 3) », « le Gouvernement de transition est chargé de la résolution définitive de ce problème avec la partie ouest-africaine (article 4) » ; que pour statuer dans le sens critiqué, la cour d’appel a retenu qu’il ressort des énonciations du titre foncier n°2823, 1°/, que la propriété disputée appartenait au défunt AI AM, 2°/, que ses héritiers AG AM et autres l’ont régulièrement vendue par devant notaire au défunt AMPION Léon et ce, en vertu des dispositions des articles 12, 13 et 15 de la loi n°17/2000 du 30 décembre 2000 portant régime de la propriété foncière selon lesquelles l’immatriculation annule tous titres et purge tous droits antérieurs qui ne seraient pas mentionnés dans le registre de la propriété foncière, le titre foncier étant définitif et inattaquable et formant devant les juridictions congolaises le point de départ unique de tous les droits réels et des servitudes existant sur l’immeuble, la mise en valeur ou l’investissement au moment de l’immatriculation, à l’exclusion de tous droits non-inscrits…, 3°/, qu’il résulte de l’examen des pièces du dossier que ni l’Etat congolais, ni Monsieur AH AJ Ag ne justifient d’aucun document qui prouve leurs droits réels sur la parcelle disputée, 4°/, que les décrets n°78/565 du 29 août 1978 et n°82/1241 du 28 décembre 1982 relatifs à l’attribution des propriétés bâtis et non bâtis ayant appartenu aux étrangers expulsés pour séjour illégal du Congo qu’ils invoquent l’un et l’autre ont été annulés par l’Acte n°242 de la Conférence Nationale Souveraine ; qu’en statuant ainsi, alors que l’Acte n°242 du 30 juillet 1991 de la Conférence Nationale Souveraine avait un effet immédiat, que l’article 4 enjoignait au Gouvernement de transition de résoudre définitivement le problème de la restitution des biens immobiliers des sujets étrangers expulsés et que dans ces conditions, bien qu’ayant annulé les décrets n°78/565 du 29 août 1978 et n°82/1241 du 28 décembre 1982, l’Acte n°242 du 30 juillet 1991 de la Conférence Nationale Souveraine, replaçait, en son article 1er, lesdits biens au nombre desquels se trouvait le bien disputé qui avait appartenu au défunt AI AM et qui au départ avait été attribué à Monsieur Ac X et revendu par ce dernier à la société SOPROGI, dans le domaine privé de l’Etat, la cour d’appel, répondant aux conclusions prétendument délaissées, a méconnu les dispositions desdits articles 1er, 2, 3 et 4 de l’Acte n°242 du 30 juillet 1991 de la Conférence Nationale Souveraine qui, dès sa publication, avait replacé la parcelle de terrain disputée, sise 40, rue Haoussa à Poto-Poto-Brazzaville, dans le domaine privé de l’Etat à charge par celui-ci (l’Etat) de résoudre définitivement le problème desdits biens ainsi replacés dans son domaine privé avec la partie ouest-africaine ce qui, manifestement, n’a pas été fait et qui a eu pour conséquence de placer l’immeuble disputé dans un statut tel que personne, en dehors de l’Etat, ne pouvait s’en dire propriétaire et procéder régulièrement à sa vente ; d’où il suit que le moyen est fondé ; PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens En la forme, déclare recevable le pourvoi formé le 09 août 2022 par Monsieur AH AJ Ag contre l’arrêt n°025 du 06 avril 2022 de la cour d’appel de Brazzaville ; Au fond, casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt attaqué ; remet en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant son prononcé et, renvoie, pour être à nouveau jugées, la cause et les parties devant la cour d’appel de Brazzaville, autrement composée ; Ordonne la restitution à AH AJ Ag de la somme de cinquante mille (50. 000) francs CFA consignée au greffe de la cour suprême à peine de déchéance du pourvoi ; Condamne les époux AN aux dépens ; Dit que le présent arrêt sera, à la diligence de Monsieur le procureur général près la cour suprême, transmis au greffe de la cour d’appel de Brazzaville pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt attaqué rendu le 06 avril 2022 sous le n°025 ; Ainsi dit, fait, jugé et prononcé par la Cour suprême, première chambre civile, à son audience publique du jeudi seize novembre deux mil vingt-trois où siégeaient : Henri BOUKA, premier président de la Cour suprême, président ; Alain Michel OPO et Jean-Marie MOULONGO, juges ; Ad B, procureur général près la Cour suprême, tenant le siège du ministère public ; Jacqueline NGAKALA-MBOLA, greffier ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été, après lecture faite, signé par Monsieur le président qui l’a prononcé et le greffier, les jour, mois et an que dessus/- Henri BOUKA
Jacqueline NGAKALA-MBOLA