La Cour Suprême du Congo investie, aux termes de l’article 4 de la loi 25-92 du 20 août 1992 modifiée portant organisation du pouvoir judiciaire, de la mission de se prononcer sur la compétence tant territoriale que matérielle, des juridictions nationales sous contrôle, est compétente dès lors qu’une Cour d’appel, pour le prononcé d’une décision juridictionnelle a fait, pour trancher la question de la compétence d’attribution, application des règles de droit interne congolais.
Doit par conséquent être rejetée, la demande de sursis à statuer sollicitée par l’une des parties, au motif que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage a été saisie de la question ; et doit par suite être cassé et annulé, et ce sans renvoi, pour violation des articles 1er, alinéa 2 du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière, 82 et 83 de la loi 22-99 du 20 août 1999 modifiée portant organisation du pouvoir judiciaire et 2 de la loi 21-94 du 10 août 1994 portant loi-cadre sur la privatisation, l’arrêt attaqué qui a confirmé la compétence rationae materiae et rationae loci du Tribunal de commerce de Brazzaville et condamné l’Etat congolais à payer des sommes d’argent à son adversaire, alors que l’immeuble objet de la contestation est situé à Pointe-Noire et alors que, s’agissant d’un contrat de marché passé dans le cadre de la privatisation des entreprises d’Etat, le contentieux qui en résulte relève du plein contentieux des juridictions administratives.
Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour Suprême du Congo-Brazzaville du 12 juin 2009 (Arrêt n° 02/GCS-2009). Revue Congolaise de Droit et des Affaires, n° 9 (juillet - août - septembre 2012) – p. 63.
(...) Au fond, y joignant la requête spéciale aux fins de sursis à exécution ;
Attendu selon les énonciations de l’arrêt attaqué (C.A. Brazzaville, chambre commerciale, 27 octobre 2008), que l’Etat congolais, propriétaire de l’hôtel MbouMvouMvou situé à Pointe-Noire a fait courant 2001, un appel d’offres aux fins de la cession des actifs de celui- ci ; qu’à l’issue des dépouillements, le groupe B a été retenu ; qu’ainsi l’Etat congolais, représenté par le Ministre à la Présidence de la République, chargé du cabinet du Chef de l’Etat et du Contrôle d’Etat, Président du Comité de privatisation, par acte du 07 août 2002, a cédé sous les garanties ordinaires de droit et de fait, au cessionnaire qui a accepté de les acquérir et d’en payer le prix, les actifs mobiliers et immobiliers de l’hôtel MbouMvouMvou, objet du titre foncier n° 4302, au prix global de un milliard cinq cent millions (1.500.000.000) francs CFA payable selon les modalités suivantes :
- un acompte de cinq cent millions (500.000.000) francs CFA payé cash à la date du 30 août 2002 ;
- le solde, soit un milliard à verser, après un différé de 18 mois, par tranche de 125.000.000 francs suivant la périodicité ci-après : le 30 mars, 30 juin, 30 septembre, 30 décembre 2004, 30 mars, 30 juin, 30 septembre, 30 décembre 2005 ;
Que selon l’article 5 du Protocole d’accord, le transfert de propriété ne devrait intervenir qu’après règlement intégral du prix de cession et que selon l’article 8 du même Protocole d’accord, le contrat est résilié de plein droit, en cas de non-paiement cash de l’acompte initial ou des trimestrialités sus-indiquées ; que suite aux difficultés d’exécution par le groupe B, de ses obligations contractuelles, l’Etat congolais, après l’avoir vainement mis en demeure d’avoir à payer le solde du prix fixé aux échéances convenues, a obtenu par voie judiciaire, son expulsion de l’hôtel ; que les successeurs de Aa B, représentés par B José Cyr, ont saisi des faits le Tribunal de commerce de Brazzaville qui, après avoir retenu sa compétence et rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l’Etat congolais, au motif que l’Etat congolais avait dans cette opération de cession litigieuse, la qualité de commerçant a, par jugement du 27 septembre 2007, dit et jugé que l’expulsion du groupe B de l’hôtel l’a été en violation de l’article 8 du contrat de cession des actifs, a ordonné la restitution par l’Etat congolais et ce, dans un délai de six (6) mois à compter de la signification de sa décision, des actifs de l’hôtel MbouMvouMvou à la succession B, a donné acte à la succession B de ce qu’elle offre de payer la totalité du reliquat du prix de vente, a cependant différé à quinze mois le paiement dudit reliquat, a dit que les sommes dues au titre du reliquat ne seront exigibles que dans un délai de quinze mois à compter de la restitution effective de 1’hôtel MbouMvouMvou, a en outre condamné l’Etat congolais à payer à la succession, a condamné l’Etat congolais à payer aux ayants droit de feu B, la somme de 400.000 francs CFA à titre de dommages-intérêts, a dit que la somme de 345.319.031 francs CFA portera intérêt de droit au taux légal, a ordonné l’exécution provisoire de la décision quant au paiement de la somme de 345.319.031 francs et à défaut de restitution de tous les actifs, a condamné l’Etat congolais à payer à la succession B, les sommes suivantes :
- au titre de remboursement de l’acompte sur le prix de vente ... 750.000.000 francs CFA ; au titre du remboursement des sommes d’argent investies pour rendre l’hôtel opérationnel ... 874.172.743 francs CFA ; au titre des créances de la succession recouvrées par l’Etat congolais ... 345.319.031 francs CFA, soit la somme totale de un milliard neuf cent soixante neuf millions quatre cent quatre vingt onze mille soixante quatorze francs CFA (1.969.491.174) et – à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi en raison de l’inexécution du contrat ... 800.000.000 francs CFA, soit la somme totale de 2.496.491.174 francs ; que saisie sur appel formé par l’Etat congolais, la Cour d’Appel de Brazzaville a confirmé purement et simplement pour les mêmes motifs, le jugement entrepris ;
Sur le premier moyen de cassation, en ses troisième et quatrième branches réunies :
Vu les articles 1er alinéa 2 du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière, 82 et 83 de la loi n° 22/99 du 20 août 1992 modifiée portant organisation du pouvoir judiciaire ensemble les dispositions de la loi n° 21-94 du 10 août 1994 portant loi- cadre sur la privatisation ;
Attendu qu’il est reproché à la Cour d’Appel : 1) - de s’être déclarée compétente ratione loci et statué au fond, aux motifs que le contrat liant l’Etat congolais à la succession Aa B ayant été signé à Brazzaville, l’article 2 alinéa 5 du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière selon lequel, en matière commerciale, la demande peut aussi être portée devant le tribunal du lieu de passation du contrat, justifie la compétence du Tribunal de commerce de Brazzaville alors que, l’hôtel MbouMvouMvou étant situé à
Pointe-Noire, l’article 1er du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière, qui dispose qu’en matière immobilière, l’action doit être portée devant le tribunal du lieu de la situation des biens s’applique en l’espèce, ce qui a pour conséquence d’exclure du champ de compétence, les juridictions du ressort de la Cour d’Appel de Brazzaville ; et 2) - de s’être aussi déclarée compétente rationnel materiae et d’avoir considéré l’Etat congolais comme un commerçant, aux motifs « qu’il est unanimement admis que le commerce peut être exercé tant par des personnes physiques, des commerçants individus que par des personnes morales que sont les sociétés commerciales ou l’Etat et les diverses collectivités publiques », alors que selon les articles 82 et 83 de la loi n° 022/92 du 20 août 1992 modifiée portant organisation du pouvoir judiciaire, le tribunal administratif est juge de droit commun en matière administrative et connaît de toutes les actions tendant à faire déclarer l’Etat responsable, à raison de tous actes ou activités de sa part ayant porté préjudice à autrui ;
Attendu que la cession à titre onéreux par l’Etat congolais, au groupe international Aa B A, des actifs mobiliers et immobiliers de l’hôtel MbouMvouMvou à Pointe-Noire suivant acte de cession du 7 août 2002, a été faite en vertu de l’article 2 de la loi n° 21-94 du 10 août 1994 portant loi-cadre sur la privatisation, qui dispose que, « conformément à l’article 104 de la Constitution, le gouvernement congolais est autorisé à procéder à la privatisation de tout ou partie du patrimoine public comprenant les entités suivantes : les entreprises d’Etat, les entreprises pilotes d’Etat, les sociétés d’économie mixte, les entreprises publiques à caractère industriel et commercial, les offices » ; que les opérations de privatisation accomplies dans le cadre de cette loi et qui se traduisent par le désengagement des entreprises publiques des secteurs d’activités producteurs de biens ou de services ne peuvent s’analyser, s’agissant de l’Etat qui cède les biens considérés ou les entités visées à l’article 2 ci-dessus, en des opérations de nature commerciale, qui font ainsi de lui un commerçant soumis aux règles ordinaires du droit commercial ; que toutes les opérations accomplies par l’Etat au titre de la privatisation de l’une ou l’autre des entités visées à l’article 2 et spécialement, les actes de cession à titre onéreux avec transfert de propriété dans les conditions indiquées à l’article 5 de l’acte de cession s’analysent au contraire et dans tous les cas, comme des opérations contractuelles relevant, en cas de litige, de la compétence des seules juridictions nationales compétentes pour statuer sur le contentieux de la responsabilité de l’Etat ; que dès lors, en retenant, pour statuer dans le sens critiqué, qu’il est unanimement admis que le commerce peut être exercé tant par des personnes physiques, des commerçants individus que par des personnes morales que sont les sociétés commerciales ou l’Etat et les diverses collectivités publiques, pour justifier tant sa compétence territoriale que matérielle, alors d’une part que l’Etat, en tant que puissance publique souveraine, ne peut faire du commerce qu’à travers les sociétés ou entreprises qu’il crée à cet effet et non de manière directe à travers les membres de son gouvernement et d’autre part, que tout acte, comme c’est le cas des opérations de privatisation accomplies directement par l’Etat, à travers un membre du gouvernement dûment habilité ne peut relever que du seul contentieux de pleine juridiction administrative, la Cour d’Appel a fait, en l’espèce, une application erronée de l’article 1er, alinéa 2 du Code de procédure civile, commerciale, administrative et financière ainsi que des articles 82, 83 de la loi 22/92 du 20 août 1992 portant organisation du pouvoir judiciaire modifiée ; d’où il suit que le moyen est fondé ;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens ;
En la forme :
- Déclare réguliers et recevables le pourvoi et la requête spéciale aux fins de sursis à exécution formés le 09 janvier 2009 par l’Etat congolais contre l’arrêt commercial n° 8 rendu le 27 octobre 2008 par la Cour d’Appel de Brazzaville ;
Au fond, y joignant la requête aux fins de sursis à exécution ;
- Casse et annule en toutes ses dispositions, l’arrêt attaqué ainsi que le jugement entrepris rendu le 25 septembre 2007 par le Tribunal de commerce de Brazzaville ;
- Dit cependant n’y avoir lieu à renvoi ;
- Condamne la succession Aa B aux dépens ;
- Dit que le présent arrêt sera, la diligence de monsieur le Procureur général près la Cour suprême, transmis au greffe de la Cour d’Appel de Brazzaville, pour être transcrit sur les registres y relatifs, en large ou à la suite de la décision annulée ;
Ainsi dit, fait et jugé par la Cour suprême, chambre commerciale, statuant à son audience publique du douze juin deux mille neuf (...).
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