L’an deux mille treize, le 6ème jour du mois de Mai ;
Nous, Roger PHONGO PHONGO, Juge Permanent au Tribunal de Commerce de Kinshasa/Gombe; ici désigné Magistrat Délégué par le Président de la juridiction suivant ordonnance n°1.1.0/201.3 du 29/04/2013 pour statuer en matière d’urgence conformément à l’art.49 AU/VE et assisté de Madame Elysée MENAKUNTU, Greffier du siège ;
Vu l’assignation en contestation de La saisie- attribution donnés respectivement à la Société SOGECOKIN II Sprl, la RAW BANK Sarl et la CITY GROUP, toutes mieux identifiées dans l’exploit
Vu la fixation de ladite cause à l’audience du 29/04/2013 à laquelle, le demandeur a comparu représenté par Maître Benjamin NGOY KYUNGU, Avocat, la 1re défenderesse a été représentée par Maîtres Ah Ak A, KANYINDA - TSHONGO, Avocats, et Benjamin BOLUFE, Défenseur Judiciaire, la 3ème défenderesse a comparu par Maître NGOBA MWANBA, Avocat, la 2ème défenderesse n’a pas comparu ni personne en son nom ;
Il ressort de l’exploit qu’en exécution du jugement rendu par défaut sous RPE 069 par le Tribunal de céans, la Société SOGECOKIN II Sprl a procédé en date du 18/03/2013 à la saisie-attribution des avoirs financiers de Monsieur C Ai ‘logés auprès de la RAW BANK et de la CITY GROUP
Le requérant argue que le jugement dont exécution lui a été signifié Le 18/02/2013 et qu’un appel a été formé par lui contre ledit jugement en date du 02/04/2013, et ce, suivant acte d’appel n°2961./201.3 enrôlé sous RPA 31975 à la Cour d’Appel de Kinshasa/Gombe ;
Il estime que la saisie-attribution pratiquée est irrégulière car, au 18/03/2013, date de la saisie, tous les délais des recours prévus par la loi à savoir l’opposition, l’appel et le pourvoir en cassation n’étaient pas encore forclos; encore qu’en matière pénale, le délai recours ainsi que l’exercice effectif d’un recours ont un effet suspensif et donc le jugement rendu le 18/12/2012, n’était pas encore définitif, ni exécutoire et la créance de 50.000 $US demeurant incertaine, non liquide et non exigible ;
Fort de ce qui précède, le requérant saisit le Tribunal compétent pour obtenir la mainlevée de ladite saisie et le payement des DI de l’ordre de 500.000 $ US en réparation du préjudice subi à la suite d’une saisie qualifiée par lui de fantaisiste En réponse aux prétentions du demandeur, la 1re défenderesse soutient que la saisie-attribution par elle pratiquée est régulière parce que faite en exécution d’un jugement devenu définitif et exécutoire après obtention du certificat de non appel n°025/2013 du 28/02/2013 et du certificat de non dépôt d’une requête en défenses à exécuter n°0018/2013 obtenu à la même date; rendant ainsi certaine, liquide et exigible la créance de 50.000 $US y établis.
Ce faisant, conclut la 1re défenderesse, l’action en contestation de ladite saisie sera dite non fondée ;
Prenant la parole à son tour, la CITY CROUP s’est remise à la sagesse du Tribunal, en sa qualité de tierce saisie ;
Au vu des pièces, le Tribunal relève qu’il repose au dossier un acte d’appel n°296/2013 du 2 avril 2013 formé par le demandeur C Ai contre le jugement rendu en date du 18/12/2012 par le Tribunal de céans sous le RPE.069. Cet appel est enrôlé sous le RPA 1.1975 devant la Cour d’Appel de Kinshasa/Gombe (côtes 44, 45 et 46 pièces dossier);
Il en déduit d’une part, qu’en vertu de l’art.41 de la loi n°002/2001 du 3 juillet 2001 relative aux Tribunaux de Commerce, le recours ainsi formée a un effet suspensif que la décision RPE 069 n’est pas encore définitive, ni exécutoire; et que, d’autre part, la procédure prévue à l’art.153 AU/PSRVE à savoir la saisie-attribution des créances est en l’espèce prématurée, et par voie de conséquence, le Tribunal en ordonnera la mainlevée ;
Quant aux DI sollicités, le Tribunal n’y fera pas droit, considérant que la saisie pratiquée n’est pas fantaisiste dans le chef de la société SOGECOKIN II Sprl qui a agi sur pied d’un jugement dont elle a obtenu un certificat de non appel ;
PAR CES MOTIFS
-Vu le C.O.C.J - Vu le C.P.C - Vu l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution spécialement en ses art.153 et 170 -Vu le C.C. .L.III - Vu la. loi n°002/2001 du 3 juillet 2001 portant création, organisation et fonctionnement des Tribunaux de Commerce ; - Statuant comme juridiction compétente en matière d’urgence en qualité de Magistrat Délégué et par défaut à l’égard de la RAW BANK, contradictoirement à l’égard de Monsieur C Ai, de la Société SOGECOKIN II SPr1 et de la CITY GROUP ; - Déclarons recevable et partiellement fondée l’action mue, en conséquence, -Ordonnons la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée sur les avoirs financiers de Monsieur C Ai logés auprès de la RAW BANK et de la CITY GROUP ; - Disons qu’il n’y a pas lieu à dommages-intérêts; - Disons notre ordonnance exécutoire sur minute ; - Mettons les, frais d’instance à charge de Monsieur C Ai et de la Société SOGECOKIN II Sprl en raison de la moitié chacun ;
Ainsi ordonné à Ae aux jours, mois et an que dessus.
LE GREFFIER, LE MAGISTRAT DELEGUE,
Sé/Elysée MENAKUNTU Sé/Roger PHONGO PHONGO
Observations : Aa Aj
1. La saisie attribution, dont la mise en œuvre est encore dans sa phase de balbutiement en République Démocratique du Congo, est une procédure d’exécution qui appelle beaucoup de diligences de la part du créancier et une vigilance accrue de la part du débiteur. Ce dernier pouvant exciper les défaillances du créancier pour obtenir la mainlevée de la saisie. Cette voie d’exécution, qui succède à l’ancienne saisie arrêt dans la pratique judiciaire congolaise, n’a pas encore fini de livrer tous ses secrets. Comme en témoignent les faits de la présente décision, derrière l’apparente simplicité des dispositions régissant cette saisie dans l’Acte uniforme dédié aux voies d’exécution, peuvent se cacher des difficultés a priori insoupçonnables, chacune trouvant son origine dans la pratique et les errements judiciaires des Etats parties.
2. Dans la décision ici rapportée, une saisie attribution a été pratiquée sur les comptes bancaires d’une société alors que la décision qui constate la créance cause de la saisie a fait l’objet d’un appel interjeté par le débiteur dans les délais. Avant même que cet appel ne soit formé, le créancier avait prématurément, c’est-à-dire le 28 février 2013, soit plus d’un mois avant que le débiteur ne forme appel le 2 avril 2013, obtenu un certificat de non appel auprès du greffe de la Cour d’appel compétente ainsi qu’un certificat de non dépôt d’une requête en défenses à exécuter. Ces deux actes de procédure lui ont permis d’obtenir l’apposition de la formule exécutoire sur le jugement querellé et de pratiquer les saisies des comptes du débiteur entre les mains des banques de Ae. Statuant sur recours du débiteur, qui a justifié avoir formé appel contre le jugement querellé dans les délais impartis par la loi de procédure nationale, le juge compétent statuant en matière d’urgence a ordonné la mainlevée de la saisie attribution des créances effectuée, à la requête du créancier, sur les comptes du débiteur.
3. L’intérêt majeur de cette ordonnance de mainlevée est qu’elle rappelle aux acteurs économiques, et leurs conseils, la catégorie et la nature des décisions juridictionnelles pouvant servir de fondement au recouvrement forcé par la voie de la saisie attribution. En effet, conformément aux dispositions de l’article 33 (1°) de l’AUVE, au titre des actes juridictionnels, seules « les décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute » peuvent servir de fondement à la pratique des mesures d’exécution en général et à la saisie attribution en particulier. En constatant qu’ « Au vu des pièces, le Tribunal relève qu’il repose au dossier un acte d’appel n°296/2013 du 2 avril 2013 formé par le demandeur C Ai contre le jugement rendu en date du 18/12/2012 par le Tribunal de céans sous le RPE.069. Cet appel est enrôlé sous le RPA 1.1975 devant la Cour d’Appel de Kinshasa/Gombe (côtes 44, 45 et 46 pièces dossier) », le juge statuant en matière d’urgence au tribunal de commerce de Ae Am a rappelé au créancier que sa saisie était prématurée. Après avoir constaté que le jugement invoqué par le saisissant a été frappé d’appel, le juge relève dans le motif décisif de son ordonnance que « le recours ainsi formée a un effet suspensif que la décision RPE 069 n’est pas encore définitive, ni exécutoire; et que, d’autre part, la procédure prévue à l’art.153 AU/PSRVE à savoir la saisie-attribution des créances est en l’espèce prématurée, et par voie de conséquence, le Tribunal en ordonnera la mainlevée ».
4. Cette décision est conforme à la jurisprudence constante des autres juridictions de l’espace de l’OHADA (voir Abidjan, Ch. civ. et com., arrêt n°12800 du 02 déc. 2003, Entreprise Afridiv et Classic c/Zahui Charles ; voir encore Abidjan, Ch. civ. et com., arrêt n°107 du 09 avril 2010, affaire l’agence de gestion foncière c/ M.D, I.M.B, www.ohada.com/ohadata J-12-143; CCJA, arrêt n°061/2005 du 22 décembre 2005,
affaire Ag Al et Cie c/ Ab Ac An et BCEAO, www.ohada.com/ohadata J-06-37; CCJA, 1re chambre, arrêt n°006 du 04 février 2010, affaire clinique pédiatrique « Fondation Ah Af B » c/ Assureurs conseils gabonais dit AGC-ASCOMA, www.ohada.com/ohadata J-11-50). Il faudrait retenir de cette ordonnance que pour qu’une décision puisse servir de fondement à une voie d’exécution, le créancier doit, avant toute chose, s’assurer de ce que le titre exécutoire qu’elle constitue présente bien un caractère exécutoire1. En d’autres termes, la décision ne doit pas seulement être revêtue de l’autorité de la chose jugée, mais elle doit être coulée en force de chose jugée et revêtue de la formule exécutoire. En cas de délivrance prématurée du certificat de non appel et d’apposition de la formule exécutoire alors que le délai d’appel court encore, la saisie pratiquée sur le fondement de titre exécutoire doit être frappée de mainlevée comme il avait été décidé dans une espèce similaire (Tribunal de Première Instance de Yaoundé Centre Administratif - ordonnance de référé n° 103/C du 13 novembre 2003, Société Mobil Oil Ad X/ Y Af). Ohadata J-04-443).
5. En règle générale, pour qu’une décision de justice ait force exécutoire et serve de fondement à une voie d’exécution, plusieurs conditions doivent être satisfaites. La décision doit avoir été régulièrement notifiée ou signifiée selon les cas, elle doit surtout avoir été coulée en force de chose jugée, c’est-à-dire insusceptible de recours suspensif d’exécution (appel ou opposition). Cette dernière condition a pour conséquence le fait que le créancier saisissant ne peut pratiquer de saisie-attribution durant le délai imparti au débiteur saisi pour l’exercice de ces voies de recours. Cette prohibition vaut également lorsque l’instance d’appel ou d’opposition est nouée. Toutefois, il peut être dérogé à cette exigence lorsque la décision est assortie d’exécution provisoire, ce qui est tout autre chose.
6. Depuis l’entrée en vigueur du droit de l’OHADA en RDC, le créancier désireux d’obtenir le paiement d’une créance jusqu’alors demeurée impayée, peut en poursuivre le recouvrement en pratiquant une saisie-attribution une fois que son droit est concrétisé dans un titre exécutoire. Pour ce que cette mesure d’exécution procure une satisfaction équitable au créancier, il doit être en mesure d’invoquer un titre exécutoire répondant aux exigences de l’article 33 de l’AUVE et constatant une créance répondant aux exigences de certitude, de liquidité et d’exigibilité (art. 153 AUVE). L’ennui des premières années de mise en œuvre de cette procédure vient de ce que certaines pratiques des greffes, notamment le fait de délivrer des certificats de non appel et des certificats de non dépôt de requête en défense à exécuter alors que le délai d’appel court encore et sans qu’il soit justifié que le jugement a été valablement signifié au débiteur, vicient la validité de la formule exécutoire apposée sur le jugement pour en faire un titre exécutoire. Le risque est donc permanent de voir une saisie attribution pratiquée sur la base d’un titre exécutoire vicié ou irrégulier, ce qui porte une atteinte considérable à la sécurité juridique du débiteur ainsi qu’à celle du tiers saisi, généralement les banques et établissements financiers.
1 Pour une application en droit comparé, voir Cass. 2e civ. 28 févr. 2006, pourvoi n° 04-15.297, Bull. civ. II, n° 60.