COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE LAWLESS c. IRLANDE (No. 3)
(Requête no 332/57)
ARRÊT
STRASBOURG
01 juillet 1961
En l'affaire "Lawless",
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément aux dispositions de l'article 43 (art. 43) de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée "la Convention"), et des articles 21 et 22 du Règlement de la Cour, en une Chambre composée de:
M. R. CASSIN, Président
et de MM. G. MARIDAKIS
E. RODENBOURG
R. McGONIGAL, membre d'office
G. BALLADORE PALLIERI
E. ARNALDS
K.F. ARIK, Juges
P. MODINOS, Greffier,
rend l'arrêt suivant:
PROCEDURE
1. La présente affaire a été soumise à la Cour, le 13 avril 1960, par une demande de la Commission européenne des Droits de l'Homme (ci-après dénommée "la Commission") en date du 12 avril 1960, demande à laquelle était joint le rapport établi par la Commission conformément à l'article 31 (art. 31) de la Convention. L'affaire se réfère à la requête introduite devant la Commission, en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention, par G.R. Lawless, ressortissant de la République d'Irlande, contre le Gouvernement de cet État.
2. Des exceptions préliminaires et questions de procédure avaient été soulevées dans la présente affaire tant par la Commission que par le Gouvernement irlandais, Partie. La Cour a statué sur ces questions par arrêt du 14 novembre 1960.
La procédure telle qu'elle s'était déroulée jusqu'à cette date se trouve exposée dans ledit arrêt.
3. A la suite dudit arrêt, le Président de la Chambre, par ordonnance du 14 novembre 1960, a fixé au 16 décembre 1960 le terme du délai dans lequel les Délégués de la Commission avaient à déposer leur mémoire, et au 5 février 1961 le terme du délai pour le dépôt du contre-mémoire du Gouvernement irlandais.
Se conformant à ladite ordonnance, la Commission a déposé le 16 décembre 1960 un "Exposé concernant le contre-mémoire (fond de l'affaire)" qui, le 19 décembre 1960, a été communiqué au Gouvernement irlandais, Partie. Le 3 février 1961, donc également avant l'expiration du délai qui lui a été imparti à cet effet, le Gouvernement irlandais a déposé un document intitulé "Observations du Gouvernement irlandais sur l'exposé de la Commission européenne des Droits de l'Homme du 16 décembre 1960". Ce document a été communiqué aux Délégués de la Commission le 7 février 1961, date à partir de laquelle l'affaire se trouvait donc en État pour l'examen sur le fond.
Avant l'ouverture de la procédure orale, le Délégué principal de la Commission a fait connaître à la Cour, par lettre adressée au Greffier, le 14 mars 1961, le point de vue des Délégués de la Commission sur certains des problèmes soulevés par le Gouvernement irlandais dans son document du 3 février 1961. La lettre du 14 mars 1961, dont copie a été adressée au Gouvernement irlandais, a été également versée au dossier de l'affaire.
4. Une audience publique a été tenue à Strasbourg les 7, 8, 10 et 11 avril 1961, à laquelle ont comparu:
- pour la Commission:
Sir Humphrey Waldock, Président de la Commission,
délégué principal,
M. C. Th. Eustathiades, Vice-président
et
M. S. Petren, Membre de la Commission,
délégués adjoints,
- pour le Gouvernement irlandais, Partie:
M. A. O'Keeffe, Attorney-General d'Irlande,
agissant en qualité d'agent,
assisté de:
MM. S. Morrissey, Barrister-at-Law, Legal Adviser,
Ministère des Affaires étrangères,
A.J. Hederman, Barrister-at-Law,
conseils,
et de:
MM. D. O'Donovan, Chief State Solicitor,
P. Berry, Assistant Secretary-General,
Department of Justice.
5. Avant d'aborder le fond de l'affaire, Sir Humphrey Waldock, Délégué principal de la Commission, a soulevé certains problèmes de procédure et pris, à ce sujet, les conclusions suivantes:
"Plaise à la Cour de décider que les Délégués de la Commission sont en droit:
(a) de considérer comme faisant partie de la procédure de l'affaire les observations écrites du requérant sur le rapport de la Commission qui sont reproduites aux paragraphes 31 à 49 de l'exposé de la Commission du 16 décembre 1960, ainsi qu'il est indiqué à la page 15 de l'arrêt de la Cour du 14 novembre 1960;
(b) de faire connaître à la Cour les considérations du requérant sur les questions particulières surgissant au cours des débats, ainsi qu'il est indiqué à la page 15 de l'arrêt de la Cour du 14 novembre 1960;
(c) de considérer la personne désignée par le requérant comme étant à leur disposition pour leur prêter toute assistance qu'ils jugeront bon de solliciter, afin de faire connaître à la Cour le point de vue du requérant sur les questions particulières surgissant au cours des débats."
M. A. O'Keeffe, agissant comme agent du Gouvernement irlandais, a déclaré qu'il se rapportait à la sagesse de la Cour.
6. Sur cet incident de procédure, la Cour a rendu, le 7 avril 1961, l'arrêt suivant:
"La Cour,
Vu les conclusions présentées par les Délégués de la Commission européenne des Droits de l'Homme à l'audience du 7 avril 1961;
Donnant acte à l'agent du Gouvernement irlandais qu'il ne désire pas conclure sur l'incident;
Considérant que dans son arrêt du 14 novembre 1960 la Cour a déclaré qu'à ce stade de la procédure il n'y avait pas lieu d'autoriser la Commission à lui transmettre les observations écrites du requérant sur le rapport de la Commission;
Considérant d'autre part que la Cour a déjà reconnu à la Commission dans ledit arrêt, dont seule la version française fait foi, la faculté de faire État devant elle, sous sa propre responsabilité, des considérations du requérant en tant qu'élément propre à éclairer la Cour;
Considérant que cette latitude de la Commission s'étend à toutes autres considérations que la Commission aurait recueillies du requérant dans la suite de la procédure devant la Cour;
Considérant, par ailleurs, que la Commission dispose d'une entière liberté quant au choix des méthodes par lesquelles elle entend établir le contact avec le requérant et fournir à celui-ci l'occasion de lui faire connaître ses vues; qu'il lui est loisible notamment de demander au requérant de désigner une personne qui soit à la disposition de ces délégués; qu'il ne résulte pas de ce fait que la personne en question ait un locus standi in judicio;
Par ces motifs,
Décide à l'unanimité:
Quant aux conclusions sub litt. (a), qu'il n'y a pas lieu, dans l'État actuel, de considérer les observations écrites du requérant reproduites aux paragraphes 31 à 49 de l'exposé de la Commission du 16 décembre 1960 comme faisant partie intégrante de la procédure de l'affaire;
Quant au chef sub litt. (b), que la Commission a toute latitude de faire État, au cours des débats et dans la mesure ou elle les juge propres à éclairer la Cour, des considérations du requérant relatives soit au rapport, soit à toute question particulière ayant surgi depuis son dépôt;
Quant au chef sub litt. (c), qu'il appartenait à la Commission, du moment qu'elle le jugeait utile, d'inviter le requérant à mettre une personne à sa disposition et cela sous les réserves indiquées plus haut."
7. Par la suite la Cour a entendu en leurs déclarations, réponses et conclusions au sujet des questions de fait et de droit sur le fond de l'affaire, pour la Commission: Sir Humphrey Waldock, Délégué principal; pour la Gouvernement irlandais: M. A. O'Keeffe, Attorney-General, agissant comme agent.
LES FAITS
I
1. La demande de la Commission - à laquelle se trouve joint le rapport établi par la Commission conformément aux dispositions de l'article 31 (art. 31) de la Convention - a pour objet de soumettre l'affaire G.R. Lawless à la Cour, afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part du Gouvernement irlandais, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.
Ainsi qu'il ressort de la demande et du mémoire de la Commission, G.R. Lawless allègue dans sa requête une violation de la Convention à son égard, par les autorités de la République d'Irlande, du fait de sa détention sans jugement du 13 juillet au 11 décembre 1957 dans un camp de détention militaire, situé sur le territoire de la République d'Irlande, en exécution d'une ordonnance prise par le ministre de la Justice en vertu de l'article 4 de la Loi no 2, de 1940, modifiant la Loi de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l'État.
2. Les faits de la cause, tels qu'ils ressortent du rapport de la Commission, des mémoires, pièces et documents soumis à la Cour ainsi que des déclarations faites tant par la Commission que par le Gouvernement irlandais, au cours de la procédure orale devant la Cour, sont essentiellement les suivants:
3. G.R. Lawless, né en 1936, est manoeuvre dans une entreprise de constructions. Il a sa résidence habituelle à Dublin (Irlande).
4. G.R. Lawless a reconnu devant la Commission être devenu membre de l'I.R.A ("Irish Republican Army"/"Armée républicaine irlandaise") en janvier 1956. Selon ses propres déclarations, il se serait détaché de l'I.R.A en juin 1956, et en décembre 1956, d'un groupe dissident de l'I.R.A.
II
5. Aux termes du traité portant création de l'État libre d'Irlande, signé le 6 décembre 1921 entre le Royaume-Uni et l'État libre d'Irlande, six Comtés situés dans le nord de l'Île irlandaise ont été maintenus sous la souveraineté britannique.
6. Durant la période qui s'est écoulée depuis la création de l'État libre d'Irlande, des groupes armés se sont constitués à plusieurs reprises sous le nom d'"Armée républicaine irlandaise" (I.R.A), dans le but avoué de se livrer à des activités terroristes afin de mettre un terme à la souveraineté que la Grande-Bretagne exerce sur l'Irlande du Nord. Les activités de ces groupes ont parfois pris des proportions telles que la législation ordinaire ne permettait plus d'en assurer une répression efficace. Le législateur a donc, à plusieurs reprises, conféré au Gouvernement des pouvoirs spéciaux permettant à celui-ci de faire face à la situation créée par ces activités illégales; au nombre de ces pouvoirs a figuré parfois le droit de détention sans jugement.
Le 29 décembre 1937, la Constitution actuellement en vigueur dans la République d'Irlande a été promulguée. En mai 1938, toutes les personnes détenues pour des délits politiques ont été libérées.
Lorsque la situation politique en Europe laissait prévoir le déclenchement de la guerre, l'I.R.A. a repris ses activités et perpétrait de nouveaux actes de violence sur le territoire de la République d'Irlande.
Au début de 1939, l'I.R.A a publié des documents qu'elle a intitulés "déclaration de guerre à la Grande-Bretagne". C'est à la suite de cette déclaration que l'I.R.A a intensifiée, à partir du territoire de la République d'Irlande, ses actes de violence sur le territoire britannique.
7. Pour faire face à la situation créée par l'activité de l'I.R.A, le Parlement de la République d'Irlande a adopté une loi relative aux atteintes à la sûreté de l'État ("Offences against the State Act, 1939"), qui est entrée en vigueur le 14 juin 1939.
III
8. La Loi de 1939 donne, en son titre II, une définition des "activités préjudiciables au maintien de la paix et de l'ordre public ou à la sûreté de l'État". Elle prévoit, en son titre III, des dispositions relatives à des organisations dont les activités tombent sous le coup de la loi et qui, de ce fait, peuvent être déclarées par Ordonnance du Gouvernement "Organisation illégale". A ce sujet, la Loi de 1939 prescrit en son article 21 :
Article 21 :
"(1) Il est interdit à toute personne de faire partie d'une organisation illégale;
(2) Tout membre d'une organisation illégale en contravention du présent article se rend coupable d'une infraction aux dispositions du présent article et est passible;
(a) soit, après constatation, d'une amende de 50 livres au maximum ou, à la discrétion du tribunal, d'une peine d'emprisonnement de trois mois au maximum ou de l'une et l'autre de ces deux peines;
(b) soit, après jugement sur inculpation, d'une peine d'emprisonnement de deux ans au maximum".
Le titre IV de la Loi de 1939 contient des dispositions diverses sur la suppression des activités illégales, entre autres, à l'article 30, la disposition suivante sur l'arrestation et la détention de personnes soupçonnées d'être impliquées dans des activités illégales:
Article 30:
"(1) Tout membre de la Garda Siochana (s'il n'est pas en uniforme, sur production de sa carte d'identité si demande lui en est faite) peut sans mandat intimer à toute personne l'ordre de s'arrêter, la fouiller, l'interroger et la mettre en État d'arrestation ou exécuter l'une ou plusieurs de ces mesures à l'égard de toute personne qu'il soupçonne d'avoir commis ou d'être sur le point de commettre une infraction ou d'être ou d'avoir été impliquée dans la perpétration d'une infraction à tout article ou paragraphe de la présente loi, ou d'un acte qualifié de délit aux fins de la partie V de la présente loi, ou qu'il soupçonne d'être porteur d'un document ayant trait à la perpétration ou à la tentative de perpétration de l'une quelconque des infractions susvisées.
(2) Tout membre de la Garda Siochana (s'il n'est pas en uniforme sur production de sa carte d'identité si demande lui en est faite) est habilité, dans l'exercice de l'un quelconque des pouvoirs prévus au paragraphe précédent, à arrêter et fouiller (en usant au besoin de la force) tout véhicule ou navire, bateau ou autre vaisseau qu'il soupçonne de transporter une personne que ledit paragraphe l'autorise à arrêter sans mandat.
(3) Toute personne arrêtée en application du présent article peut être conduite à un poste de la Garda Siochana, une prison ou tout autre lieu convenant à cette fin, pour y être détenue pendant 24 heures à compter du moment de son arrestation et peut, sur ordre d'un officier de la Garda Siochana ayant au moins le rang de Commissaire principal, y demeurer détenue pour un nouveau délai de 24 heures.
(4) Toute personne détenue en application du paragraphe précédent peut, à tout moment au cours de sa détention, être inculpée d'une infraction et traduite soit devant le Tribunal du District, soit devant une Cour criminelle spéciale, ou être mise en liberté par ordre d'un officier de la Garda Siochana et doit, si elle n'est pas ainsi inculpée ou mise en liberté, être libérée à l'expiration de la période de détention autorisée par ledit paragraphe.
(5) Tout membre de la Garda Siochana peut prendre, à l'égard d'une personne détenue en application du présent article, une ou plusieurs des mesures suivantes:
(a) prendre le nom et l'adresse de cette personne;
(b) la fouiller ou la faire fouiller;
(c) la photographier ou la faire photographier;
(d) prendre ou lui faire prendre ses empreintes digitales;
(6) Toute personne qui s'opposera à ce qu'un membre de la Garda Siochana exerce à son encontre l'un quelconque des pouvoirs que lui confère le paragraphe précédent ou qui entravera l'exercice de ces pouvoirs, ou ne déclinera pas ou refusera de décliner son identité ou son adresse et donnera, en réponse à toute demande de cette nature, un nom ou une adresse fausse ou trompeuse, sera coupable d'une infraction au présent article et sera, après constatation, passible d'une peine d'emprisonnement de six mois au maximum".
Le titre V de la Loi de 1939 a pour objet la création de "Cours criminelles spéciales" ayant pour tâche de juger des personnes accusées d'avoir violé les dispositions de ladite loi.
Le titre VI de la Loi de 1939, enfin, contenait des dispositions autorisant tout ministre d'État - dès que le Gouvernement avait mis en vigueur cette partie de la loi - à ordonner, dans certaines circonstances, l'arrestation et la détention de toute personne dont il avait la conviction ("satisfied") qu'elle se livrait à des activités déclarées illégales par la loi.
9. Le 23 juin 1939, soit neuf jours après l'entrée en vigueur de la Loi sur les atteintes à la sûreté de l'État, le Gouvernement a promulgué, en vertu de l'article 19 de ladite loi, une Ordonnance aux termes de laquelle l'I.R.A., déclarée "Organisation illégale", était dissoute.
10. Par la suite, environ soixante-dix personnes furent arrêtées et détenues par application du titre VI de ladite loi; l'une de ces personnes engagea une action devant la Haute Cour contestant la validité de sa détention. La Haute Cour d'Irlande a alors déclaré cette détention illégale et ordonné la mise en liberté de l'individu par une décision d'habeas corpus.
Le Gouvernement a alors fait immédiatement libérer toutes les personnes détenues en vertu de ces mêmes dispositions.
11. Tenant compte de l'arrêt de la Haute Cour, le Gouvernement a soumis au Parlement un projet de loi portant modification du titre VI de la Loi de 1939 relative à la sûreté de l'État. Ce projet, après avoir été déclaré constitutionnel par la Cour Suprême, a été adopté par le Parlement le 9 février 1940 en tant que Loi no 2 de 1940, "Offences against the State (Amendment) Act 1940".
Cette Loi no 2 de 1940 confère aux ministres d'État des pouvoirs spéciaux de détention sans jugement, "dès lors que le Gouvernement aura fait et publié une proclamation déclarant que les pouvoirs conférés par la présente partie de la présente loi sont nécessaires au maintien de la paix et de l'ordre publics et qu'il convient que la présente partie de la présente loi entre immédiatement en vigueur" (article 3, paragraphe (2) de la loi).
Aux termes de l'article 3, paragraphe (4) de ladite loi, toutefois, la proclamation du Gouvernement mettant en vigueur les pouvoirs spéciaux de détention peut être annulée à tout moment par une simple résolution de la Chambre basse du Parlement irlandais.
En outre, conformément aux dispositions de l'article 9 de la loi, les deux Chambres du Parlement doivent être tenues pleinement informées, à des intervalles réguliers, des modalités d'application des pouvoirs de détention.
12. Les pouvoirs de détention prévus à ladite loi sont confiés aux ministres d'État. L'article 4 de la loi dispose à ce sujet:
"(1) Lorsqu'un ministre d'État estime qu'une personne se livre à des activités qui, à son avis, sont préjudiciables au maintien de la paix et de l'ordre public ou à la sûreté de l'État, il peut, par arrêté signé de sa main et portant son sceau officiel, ordonner l'arrestation ou la détention de cette personne en vertu du présent article.
(2) Tout membre de la Garda Siochana peut arrêter sans mandat toute personne désignée dans un arrêté pris par un ministre d'État en application du paragraphe précédent.
(3) Toute personne arrêtée en application du paragraphe précédent sera détenue dans une prison ou dans un autre lieu prescrit à cet effet par le règlement édicté en application de la présente partie de la présente loi, jusqu'à ce que cette partie cesse d'être en vigueur ou jusqu'à ce qu'il soit libéré en vertu des dispositions subséquentes de la présente partie de la présente loi.
(4) Lorsqu'une personne est détenue en vertu du présent article, il doit lui être signifié, immédiatement après son arrivée à la prison ou en tout autre lieu de détention prescrit à cet effet par les règlements promulgués en application de la présente partie de la présente loi, copie de l'arrêté la concernant pris par application du présent article, ainsi que des dispositions de l'article 8 de la présente loi".
13. Aux termes de l'article 8 de la Loi no 2 de 1940, le Gouvernement est tenu d'instituer, aussitôt que possible après l'entrée en vigueur des pouvoirs de détention sans jugement, une Commission (ci-après dénommée: "Commission de détention") à laquelle toute personne arrêtée ou détenue en vertu de la loi peut s'adresser, par l'intermédiaire du Gouvernement, pour faire examiner son cas. Cette Commission doit être composée, par le Gouvernement, de trois personnes, dont un officier des Forces de défense ayant au moins sept ans de service et deux autres membres qui doivent être soit des avocats ou solicitors ayant au moins sept ans de pratique, soit des juges ou anciens juges de l'un des tribunaux ordinaires. Si, dispose enfin l'article 8 de la loi, la Commission conclut qu'il n'existe pas de motifs raisonnables de maintenir l'intéressé en détention, celui-ci est remis, aussitôt que possible, en liberté.
IV
14. Après une période de plusieurs années pendant laquelle les activités de l'I.R.A avaient été très faibles, une recrudescence s'est produite en 1954 et puis à partir du deuxième semestre de 1956.
C'est ainsi qu'au cours de la seconde quinzaine de décembre 1956, des attaques à main armée sont perpétrées contre plusieurs casernes de la police d'Irlande du Nord et, à la fin du mois, un policier est tué. Pendant ce même mois, une patrouille de police circulant sur des routes frontalières essuie des coups de feu, des arbres sont abattus en travers des routes, des fils téléphoniques sont coupés, etc. En janvier 1957, les incidents se multiplient. Au début du mois, une attaque à main armée est déclenchée contre la caserne de police de Brookeborough, au cours de laquelle deux des assaillants sont tués. Ils venaient du territoire de la République d'Irlande. Douze autres, dont quatre blessés, repassent la frontière et sont arrêtés par la police de la République d'Irlande. C'est alors que le Premier Ministre de la République d'Irlande adresse, dans un message radiodiffusé du 6 janvier 1957, un appel pressant au public pour mettre un terme à ces agressions.
Six jours après ce message radiodiffusé du Premier Ministre, soit le 12 janvier 1957, l'I.R.A effectue, sur le territoire de la République d'Irlande, une attaque à main armée contre un magasin d'explosifs situé à Moortown, Comté de Dublin, pour se procurer des explosifs. Le 6 mai 1957, des groupes armés pénètrent dans le magasin d'explosifs de Swan Laois, tiennent le gardien en respect et dérobent une quantité d'explosifs.
Le 18 avril 1957, par une explosion qui cause de sérieux dégâts au pont de chemin de fer d'Ayallogue, dans le Comté d'Armagh, à environ 5 milles du coté nord de la frontière, la ligne de chemin de fer Dublin-Belfast est coupée.
Dans la nuit du 25 au 26 avril, trois explosions entre Lurgan et Portadown, en Irlande du Nord, endommageaient la même ligne.
Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1957, une patrouille de la police d'Irlande du Nord, de service à proximité de la frontière, tombe dans une embuscade. Un policier est tué et un autre blessé. Sur les lieux mêmes, on devait découvrir 87 bâtonnets de gélinite placés sur la route, recouverts de pierres et reliés à un détonateur.
La date de cet incident se situait 8 jours seulement avant les Orange-Processions qui, le 12 juillet, ont lieu dans de nombreuses localités de l'Irlande du Nord. Cette date a été, dans le passé, particulièrement critique pour le maintien de la paix et de l'ordre publics.
V
15. Les pouvoirs spéciaux d'arrestation et de détention conférés aux ministres d'État par la Loi no 2 de 1940, ont été mis en vigueur le 8 juillet 1957 par une Proclamation du Gouvernement irlandais publiée au Journal officiel le 5 juillet 1957.
Le 16 juillet 1957, le Gouvernement a établi la Commission de détention prévue à l'article 8 de ladite loi et désigné comme membres de la Commission un officier des Forces de défense, un juge et un juge de district.
16. La Proclamation par laquelle le Gouvernement irlandais mettait en vigueur, le 8 juillet 1957, les pouvoirs spéciaux de détention prévus à la Partie II de la Loi no 2 de 1940 était ainsi conçue:
"The Government, in exercise of the powers conferred on them by subsection (2) of section 3 of the Offences against the State (Amendment) Act, 1940 (No 2 of 1940), hereby declare that the powers conferred by Part II of the said Act are necessary to secure the preservation of public peace and order and that it is expedient that the said Part of the said Act should come into force immediately."
17. Par lettre du 20 juillet 1957, le ministre irlandais des Affaires étrangères informait le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe que la Partie II de la Loi no 2 de 1940 sur les atteintes à la sûreté de l'État était entrée en vigueur le 8 juillet 1957.
Le paragraphe 2 de cette lettre était ainsi conçu:
"... Dans la mesure ou l'application de la deuxième Partie de la loi, qui confère des pouvoirs spéciaux d'arrestation et de détention, est susceptible d'impliquer une dérogation aux obligations résultant de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, j'ai l'honneur de vous prie de bien vouloir considérer que la présente lettre vous en informe, conformément à l'article 15 (3) (art. 15-3) de la Convention."
La lettre faisait valoir que la détention des personnes en vertu de la Loi no 2 était apparue nécessaire "pour empêcher la perpétration de délits contre la paix et l'ordre publics et le maintien de forces militaires ou armées autres que celles autorisées par la Constitution".
L'attention du Secrétaire Général était attirée sur les dispositions de l'article 8 de la Loi de 1940 qui prévoit la constitution d'une Commission devant laquelle peut recourir toute personne détenue, Commission qui a été constituée le 16 juillet 1957.
18. Aussitôt après la publication de la proclamation du 5 juillet 1957 mettant en vigueur les pouvoirs de détention prévus par la Loi no 2 de 1940, le Premier Ministre du Gouvernement de la République d'Irlande annonçait que le Gouvernement libérerait toute personne détenue en vertu de cette loi, qui prendrait l'engagement de "respecter la Constitution et les lois d'Irlande" et de "n'adhérer ni venir en aide à aucune organisation déclarée illégale en vertu de la Loi de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l'État".
VI
19. G.R. Lawless a été arrêté pour la première fois, avec trois autres hommes, le 21 septembre 1936 dans une grange désaffectée à Keshcarrigan, Comté de Leitrim. La police découvrit dans cette grange une mitrailleuse Thompson, 6 fusils de guerre, 6 fusils de chasse, un revolver, un pistolet automatique et 400 chargeurs. Lawless a admis être membre de l'I.R.A et avoir pris part à une attaque armée au cours de laquelle des fusils et des revolvers avaient été volés. Il a été inculpé, le 18 octobre, de détention illégale d'armes à feu en vertu de la Loi de 1925 sur les armes à feu (The Firearms Act, 1925) et de l'article 21 de la Loi de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l'État (The Offences against the State Act, 1939) (ci-après dénommée "Loi de 1939").
G.R. Lawless et les autres inculpés ont été traduits devant la Cour criminelle du Circuit de Dublin. Ils ont été acquittés le 23 novembre 1956 du chef de possession illégale d'armes à feu. Le juge avait indiqué au jury que les conditions techniques relatives à la preuve de culpabilité de l'accusé n'étaient pas remplies, l'accusation n'ayant pas démontré de façon concluante qu'aucune autorité compétente n'avait délivré à l'accusé de permis l'autorisant à être en possession des armes dont il s'agissait.
Le 26 octobre, au cours de l'audience devant ce Tribunal, le juge de district demanda à l'un des inculpés, Sean Geraghty, s'il avait des questions à poser aux agents de police, témoins; la réponse de l'inculpé fut la suivante:
"En tant que soldat de l'Armée républicaine irlandaise et que chef des hommes ici présent, je ne veux rien avoir à faire avec les délibérations de ce tribunal."
Le juge lui ayant demandé s'il plaidait coupable ou non coupable, Geraghty répondit à nouveau:
"Au nom de mes camarades et en mon nom personnel, je tiens à déclarer que les armes et munitions trouvées sur nous devaient être utilisées contre les forces britanniques d'occupation pour obtenir la réunification de notre pays et que les Irlandais et Irlandaises, quelles que soient leurs opinions politiques, n'avaient rien à craindre de nous. Nous maintenons qu'il est légal de posséder des armes et nous croyons également que tout Irlandais a le devoir de prendre les armes pour défendre son pays."
Répondant une question qui lui était posée par le juge, G.R. Lawless déclarait: "Sean Geraghty a parlé en mon nom."
Lawless a de nouveau été arrêté à Dublin le 14 mai 1957 en application de l'article 30 de la Loi de 1939, étant soupçonné de se livrer à des activités illégales. Un croquis de certains postes frontaliers entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord a été trouvé sur lui. Le croquis portait l'inscription: "S'infiltrer, anéantir, détruire".
Une perquisition eut lieu le même jour au domicile de G.R. Lawless; au cours de cette perquisition, on découvrit un document manuscrit sur la guérilla, document contenant, entre autres, le texte suivant:
"Le mouvement de résistance est l'avant-garde armée du peuple irlandais en lutte pour la libération de l'Irlande. La force de ce mouvement réside dans son caractère populaire et patriotique. Les missions essentielles des unités locales de la résistance sont les suivantes: Détruire les installations et établissements ennemis: locaux de l'Armée territoriale, baraques spéciales, bureaux de recrutement, postes frontières, dépôts, etc.
Attaquer les aérodromes ennemis et détruire les hangars d'avions, les dépôts de bombes et de carburants, abattre les principaux membres du personnel volant et les mécaniciens. Abattre ou capturer les officiers supérieurs ennemis et les hauts fonctionnaires de l'administration coloniale ennemie, ainsi que les traîtres à leur solde: officiers britanniques, agents de police, espions, magistrats, membres importants du parti collaborateur, etc."
A la suite de cette arrestation, G.R. Lawless a été inculpé:
(a) de détention de documents compromettants en infraction à l'article 12 de la Loi de 1939;
(b) d'appartenance à une organisation illégale, l'I.R.A, en infraction à l'article 21 de la Loi de 1939.
Le 16 mai 1957, G.R. Lawless a été traduit devant la Cour criminelle du Circuit de Dublin en même temps que trois autres hommes inculpés d'infractions analogues en vertu de la Loi de 1939. La Cour l'a condamné à un mois de prison du premier chef d'accusation, mais l'a acquitté du second. Les minutes de la Cour montrent que le second chef d'accusation a été rejeté "pour raisons de fond", mais aucun compte rendu officiel des débats ne parait exister. Les motifs de cet acquittement n'ont pu être clairement établis. G.R. Lawless a été mis en liberté vers le 16 juin 1957, après avoir purgé sa peine à la prison Mountjoy à Dublin.
20. G.R. Lawless a de nouveau été arrêté le 11 juillet 1957 à Dun Laoghaire par l'agent de la sûreté Connor, alors qu'il était sur le point de s'embarquer sur un navire en partance pour l'Angleterre. Il a été incarcéré pendant 24 heures à la maison d'arrêt "Bridewell" à Dublin, en application de l'article 30 de la Loi de 1939, comme suspect d'appartenance à une organisation illégale, l'I.R.A.
L'inspecteur de la sûreté McMahon lui a alors déclaré le jour même qu'il serait remis en liberté s'il consentait à signer un engagement concernant son comportement futur. Aucun texte écrit de l'engagement proposé n'a été présenté à G.R. Lawless. Les termes exacts dudit engagement n'ont pu être clairement établis.
Le 12 juillet 1957, le Commissaire principal, agissant en vertu de l'article 30, paragraphe 3 de la Loi de 1939, a ordonné que la détention de G.R. Lawless soit prolongée de 24 heures jusqu'au 13 juillet 1957 à 19 h 45.
A 6 heures du matin le 13 juillet 1957, avant que sa détention en vertu de l'article 30 de la Loi de 1939 ait pris fin, G.R. Lawless a été transféré de la maison d'arrêt "Bridewell" à la prison militaire de Curragh, Comté de Kildare (connue sous le nom de The Glass House). Il y est arrivé le même jour à 8 heures du matin et y a été détenu, à compter de ce moment, en vertu d'un arrêté de détention pris le 12 juillet 1957 par le ministre de la Justice en vertu de l'article 4 de la Loi no 2 de 1940. A son arrivée, Lawless a reçu notification de cet arrêté de détention dans lequel le ministre de la Justice déclarait que, à son avis, le requérant se livrait à des activités préjudiciables à la sûreté de l'État, et ordonnait son arrestation et sa détention en vertu de l'article 4 de la Loi de 1940.
De la Glass House, G.R. Lawless a été transféré le 17 juillet 1957 à un camp connu sous le nom de Curragh Internment Camp qui fait partie du Camp militaire et des casernes de Curragh, Comté de Kildare, ou il a été détenu, avec quelque 120 autres personnes, sans être traduit devant un juge jusqu'à sa libération le 11 décembre 1957.
21. Le 16 août 1957, G.R. Lawless a été informé qu'il serait remis en liberté s'il prenait par écrit l'engagement de "respecter la Constitution et les lois de l'Irlande" et de "n'adhérer ni venir en aide à aucune organisation déclarée illégale en vertu de la Loi de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l'État". G.R. Lawless a refusé de prendre cet engagement.
22. Le 8 septembre 1957, G.R. Lawless a exercé le droit que lui reconnaissait l'article 8 de la Loi de 1940 de demander que la question de son maintien en détention soit examinée par la Commission de détention créée en vertu du même article de ladite loi. Il a comparu devant cette Commission le 17 septembre 1957, assisté d'un conseil et d'avocats. La Commission de détention, qui siégeait pour la première fois, a adopté certaines règles de procédure et ajourné ses délibérations au 20 septembre.
23. Cependant, le 18 septembre 1957, le conseil de G.R. Lawless, se fondant sur l'article 40 de la Constitution de l'Irlande, a également sollicité auprès de la Haute Cour d'Irlande le prononcé d'une ordonnance conditionnelle d'habeas corpus ad subjiciendum. L'objet de cette procédure était d'obtenir de la Cour qu'elle ordonne au Commandant du camp de détention de produire G.R. Lawless devant la Cour afin que celle-ci examine la validité de sa détention et prenne une décision à cet égard. Le prononcé d'une ordonnance conditionnelle d'habeas corpus obligerait le Commandant à rendre compte à la Haute Cour des raisons pour lesquelles il ne déférerait pas à cette ordonnance.
L'ordonnance conditionnelle a été accordée à la même date et signifiée au Commandant qui devait rendre compte dans un délai de quatre jours. Elle a également été notifiée à la Commission de détention. La Commission de détention s'est réunie le 20 septembre 1957 et a décidé d'ajourner l'audience sine die en attendant le résultat de la requête d'habeas corpus.
24. G.R. Lawless a alors adressé une requête à la Haute Cour afin d'obtenir que l'ordonnance conditionnelle d'habeas corpus fut rendue inconditionnelle nonobstant les raisons alléguées par le Commandant du camp de détention pour ne pas se rendre à la requête. Le Commandant s'était, en l'occurrence, fondé sur l'arrêté de détention pris par le ministre de la Justice contre l'intéressé.
La Haute Cour a siégé du 8 au 11 octobre 1957 et a entendu les arguments juridiques présentés par les conseils des deux parties. Le 11 octobre, elle a rendu un arrêt dans lequel elle admettait les raisons invoquées par le Commandant du camp pour justifier la détention. La requête d'habeas corpus a donc été rejetée.
25. Le 14 octobre 1957, G.R. Lawless a interjeté appel devant la Cour Suprême en invoquant non seulement la Constitution et la législation de l'Irlande, mais aussi les dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Le 6 novembre 1957, la Cour Suprême a rejeté l'appel de G.R. Lawless. Elle a rendu son arrêt motivé le 3 décembre 1957.
Les principaux attendus de l'arrêt de la Cour Suprême étaient les suivants:
(a) La loi de 1940 avait été soumise sous forme de projet à la Cour Suprême pour que celle-ci se prononce sur sa constitutionnalité. La Cour Suprême avait décidé qu'elle n'était pas inconstitutionnelle et, aux termes de l'article 34 (3) 3 de la Constitution, aucun tribunal n'est juge de la constitutionnalité des lois dont le projet a été approuvé par la Cour Suprême.
(b) L'Oireachtas (c'est-à-dire le Parlement), qui était la seule autorité législative, n'avait pas adopté de loi intégrant la Convention des Droits de l'Homme à la législation interne de l'Irlande. La Cour Suprême ne pouvait donc faire exécuter la Convention dans la mesure ou celle-ci apparaissait conférer aux citoyens des droits différents ou supplémentaires de ceux que prévoyait la législation interne irlandaise.
(c) La détention de l'appelant en application de l'article 30 de la Loi de 1939 devait prendre fin le 13 juillet 1957 à 19 h 45. A ce moment-là, il était déjà détenu en vertu d'un autre arrêté pris par le ministre de la Justice, et son maintien en détention était parfaitement justifié par ce deuxième arrêté.
(d) L'appelant n'avait pas apporté un commencement de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle il n'aurait pas été informé des motifs de son arrestation en vertu de l'arrêté ministériel. Au demeurant, une irrégularité dans l'arrestation, même si elle avait été établie, n'aurait pas eu pour effet de rendre la détention ultérieure illégale, quels que soient les droits qu'elle ait pu par ailleurs conférer à l'appelant en vertu de la loi irlandaise.
(e) La Cour avait déjà statué lors de l'examen de la Loi de 1940 sous forme de projet qu'elle n'était pas habilitée à rechercher le bien-fondé de l'opinion d'un ministre prenant un arrêté de détention en application de l'article 4 de cette loi.
(f) Au cours de la procédure d'habeas corpus devant la Haute Cour, l'appelant avait soutenu que la constitution de la Commission de détention était illégale. Or, selon la Cour Suprême, même si l'appelant devait démontrer que les décisions de la Commission sur diverses questions de procédure étaient erronées, cela n'aurait pas pour effet de rendre sa détention illégale ni de motiver une demande d'habeas corpus. Il ressortait en effet de l'article 8 de la Loi de 1940 que la Commission n'était pas un tribunal et qu'une requête formulée devant elle constituait non pas une procédure juridictionnelle mais simplement une demande de caractère administratif.
26. Entre-temps, le 8 novembre 1957 - soit deux jours après la notification du rejet de son appel par la Cour Suprême - G.R. Lawless avait introduit sa requête devant la Commission européenne des Droits de l'Homme. Il y alléguait que son arrestation et sa détention, en application de la Loi no 2 de 1940, sans inculpation ni jugement, constituaient une violation de la Convention et demandait:
(a) sa relaxe immédiate;
(b) le versement d'une réparation et de dommages-intérêts pour emprisonnement; et
(c) le paiement des frais et dépenses de toute espèce découlant, directement ou indirectement, des actions intentées par lui devant les juridictions irlandaises et la Commission européenne pour obtenir sa libération.
27. Peu après, la Commission de détention a repris, en application de l'article 8 de la Loi de 1940, l'examen du cas de G.R. Lawless et tenu des audiences à cet effet les 6 et 10 décembre 1957. Le 10 décembre, à l'invitation de l'Attorney-General de la République d'Irlande, l'intéressé, comparaissant en personne devant la Commission de détention, a pris l'engagement verbal suivant: "Je m'engage à ne me livrer à aucune activité illégale au sens des Lois de 1939 et 1940 relatives aux atteintes à la sûreté de l'État". Le lendemain 11 décembre 1957, le ministre de la Justice, se fondant sur l'article 6 de la Loi no 2 de 1940, prenant un arrêté ordonnant la relaxe de G.R. Lawless.
28. Le solicitor de Lawless a notifié cette relaxe à la Commission européenne des Droits de l'Homme par lettre en date du 16 décembre 1957. Il précisait dans cette lettre que Lawless entendait poursuivre son action devant la Commission en ce qui concernait (a) sa demande de réparation et de dommages-intérêts pour emprisonnement et (b) sa demande de remboursement de tous les frais et dépenses découlant des actions intentées pour obtenir sa libération.
VII
29. Au cours de la procédure écrite et orale devant la Cour, la Commission européenne des Droits de l'Homme et le Gouvernement irlandais ont pris les conclusions finales suivantes:
La Commission, dans son Mémoire du 27 juin 1960:
"Plaise à la Cour de prendre en considération les avis exprimés par la Commission dans son rapport sur l'affaire Gerard Richard Lawless et
(1) de décider:
(a) si la détention sans jugement du requérant du 13 juillet au 11 décembre 1957, en vertu de l'article 4 de la Loi modificative de 1940 sur les atteintes à la sûreté de l'État, était ou non contraire aux obligations incombant au Gouvernement défendeur aux termes des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention;
(b) si cette détention était ou non contraire aux obligations incombant au Gouvernement défendeur aux termes de l'article 7 (art. 7) de la Convention;
(2) Au cas ou cette détention serait contraire aux obligations incombant au Gouvernement défendeur aux termes des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention, de décider:
(a) si la lettre adressée par le Gouvernement au Secrétaire Général le 20 juillet 1957 constituait ou non une notification suffisante aux fins de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3), de la Convention;
(b) si, du 13 juillet au 11 décembre 1957, il existait ou non un danger public menaçant la vie de la nation au sens de l'article 15, paragraphe 1 (art. 15-1), de la Convention;
(c) au cas ou un tel danger aurait effectivement existé durant cette période, si la détention de personnes sans jugement en vertu de l'article 4 de la Loi de 1940, telle qu'elle a été appliquée par le Gouvernement, était une mesure strictement exigée par la situation;
(3) de décider si, en tout État de cause, l'article 17 (art. 17) de la Convention interdit ou non au requérant d'invoquer les dispositions des articles 5, 6 et 7 (art. 5, art. 6, art. 7);
(4) à la lumière de ses décisions sur les points énumérés aux paragraphes 1 à 3 ci-dessus, de juger et prononcer:
(a) si les faits constatés révèlent ou non, de la part du Gouvernement défendeur, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention;
(b) dans l'affirmative, si une réparation est due au requérant du fait de cette violation et quel doit en être le montant".
30. L'agent du Gouvernement irlandais, au cours de l'audience publique du 10 avril 1961:
"Plaise à la Cour de décider et de déclarer que les réponses aux questions figurant au paragraphe 58 du Mémoire de la Commission en date du 27 juin 1960 sont les suivantes:
1.
(a) La détention du requérant n'était pas contraire aux obligations incombant au Gouvernement aux termes des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention.
(b) Cette détention n'était pas contraire aux obligations incombant au Gouvernement aux termes de l'article 7 (art. 7) de la Convention.
2.
(a) La lettre du Gouvernement en date du 20 juillet 1957 constituait une notification suffisante aux fins du paragraphe 3 de l'article 15 (art. 15-3) de la Convention; ou subsidiairement, dans la présente affaire, aucune disposition dudit paragraphe 3 (art. 15-3) n'empêche le Gouvernement de se fonder sur les dispositions du paragraphe 1 de l'article 15 (art. 15-1).
(b) Du 13 juillet au 11 décembre 1957, il existait un danger public menaçant la vie de la nation au sens du paragraphe 1 de l'article 15 (art. 15-1) de la Convention.
(c) La détention de personnes sans jugement, telle qu'elle a été appliquée par le Gouvernement, était une mesure strictement exigée par la situation.
3. En tout État de cause, l'article 17 (art. 17) de la Convention interdit au requérant d'invoquer les dispositions des articles 5, 6 et 7 (art. 5, art. 6, art. 7) de la Convention.
4.
(a) Les faits constatés ne révèlent, de la part du Gouvernement, aucune violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.
(b) Eu égard à ce qui précède, la question d'une réparation ne se pose pas."
EN DROIT
1. Considérant qu'il est établi que G.R. Lawless a été arrêté par les autorités irlandaises le 11 juillet 1957 en application des articles 21 et 30 de la Loi no 13 de 1939 (Offences against the State Act, 1939); qu'avant l'expiration du mandat d'arrêt pris en vertu de la Loi no 13 de 1939 G.R. Lawless se vit notifier, le 13 juillet 1957, un arrêté de détention pris le 12 juillet 1957 par le ministre de la Justice en vertu des dispositions de l'article 4 de la Loi no 2 de 1940 sur les atteintes à la sûreté de l'État (Offences against the State (Amendment) Act, 1940); qu'il a été détenu, par la suite, d'abord à la prison militaire de Curragh, puis au Curragh Internment Camp, jusqu'au 11 décembre 1957, date de sa libération, sans avoir été pendant cette période, traduit devant un juge;
2. Considérant que la Cour n'est pas appelée à statuer sur l'arrestation de G.R. Lawless opérée le 11 juillet 1957, mais qu'au vu des conclusions prises et par la Commission et par le Gouvernement irlandais, elle est appelée à décider uniquement si la détention de G.R. Lawless du 13 juillet au 11 décembre 1957, en vertu de l'article 4 de la Loi no 2 de 1940 sur les atteintes à la sûreté de l'État, était ou non conforme aux prescriptions de la Convention;
3. Considérant à ce sujet que le Gouvernement irlandais a soulevé contre la requête de G.R. Lawless une fin de non recevoir de fond tirée de l'article 17 (art. 17) de la Convention; qu'il importe d'examiner préalablement cette fin de non recevoir;
Sur la fin de non recevoir tirée de l'article 17 (art. 17) de la Convention.
4. Considérant que la Convention dispose en son article 17 (art. 17):
"Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention."
5. Considérant que le Gouvernement irlandais a fait valoir devant la Commission et a réaffirmé devant la Cour (i) que G.R. Lawless, au moment de son arrestation en juillet 1957, était impliqué dans les activités de l'I.R.A et (ii) que la Commission, au paragraphe 138 de son rapport, avait déjà fait observer que le comportement de G.R. Lawless était "de nature à le faire très sérieusement soupçonner d'être encore impliqué dans les activités de l'I.R.A lors de son arrestation en juillet 1957, qu'il ait été encore ou non, à cette date, membre de cette organisation"; (iii) que l'I.R.A avait été interdite en raison de son activité visant à la destruction des droits et libertés tels qu'ils sont reconnus dans la Convention; que G.R. Lawless était donc, en juillet 1957, impliqué dans des activités visées par l'article 17 (art. 17) de la Convention; que de ce fait il n'avait plus le droit de se prévaloir des articles 5, 6 et 7 (art. 5, art. 6, art. 7) ou de tout autre article de la Convention; qu'en effet, un État, un groupement ou un individu se livrant à des activités visées à l'article 17 (art. 17) de la Convention ne peut se prévaloir d'aucune des dispositions de la Convention, que cette interprétation se trouvait confirmée par ailleurs par la décision prise par la Commission au sujet de la recevabilité de la requête introduite devant elle en 1957 par le Parti communiste allemand; que toutefois, en cas d'application de l'article 17 (art. 17), un gouvernement n'est pas déchargé de toute obligation vis-à-vis des autres Parties Contractantes d'assurer que son comportement reste conforme aux dispositions de la Convention;
6. Considérant que la Commission, dans le rapport ainsi qu'au cours de la procédure écrite et orale devant la Cour, a exprimé l'avis que l'article 17 (art. 17) ne s'appliquait pas en la cause; que les arguments présentés à ce sujet par la Commission peuvent être résumés comme suit: que le but général de l'article 17 (art. 17) est d'empêcher que des groupements totalitaires puissent exploiter en leur faveur les principes posés par la Convention; que pour atteindre ce but il ne fallait cependant pas priver de tous les droits et libertés garantis par la Convention les individus dont on constate qu'ils se livrent à des activités visant à détruire l'un quelconque de ces droits et libertés; qu'en effet, l'article 17 (art. 17) couvre essentiellement les droits qui permettraient si on les invoquait, d'essayer d'en tirer le droit de se livrer effectivement à des activités, visant à la destruction "des droits ou libertés reconnus dans la Convention; que la décision au sujet de la recevabilité de la requête présentée par le Parti communiste d'Allemagne (requête no 250/57) cadrait parfaitement avec le sens ainsi attribué à l'article 17 (art. 17); qu'il ne pouvait être question, au sujet de cette requête, des droits reconnus aux articles 9, 10 et 11 (art. 9, art. 10, art. 11) de la Convention, droits qui, s'ils avaient été reconnus au Parti communiste, auraient permis à ce dernier de se livrer précisément à des activités visées par l'article 17 (art. 17);
Qu'en ce qui concerne le cas présent, la Commission a estimé que, même si G.R. Lawless participait effectivement, au moment de son arrestation, aux activités de l'I.R.A, l'article 17 (art. 17) ne l'empêchait pas de revendiquer la protection des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention, pas plus qu'il ne dispensait le Gouvernement irlandais de respecter les dispositions de ces articles qui protègent toute personne contre l'arrestation arbitraire et la détention sans jugement;
7. Considérant que, de l'avis de la Cour, l'article 17 (art. 17), pour autant qu'il vise des groupements ou des individus, a pour but de les mettre dans l'impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention; qu'ainsi personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés ci-dessus visés; que cette disposition, qui a une portée négative, ne saurait être interprétée a contrario comme privant une personne physique des droits individuels fondamentaux garantis aux articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention; qu'en l'espèce G.R. Lawless ne se prévaut pas de la Convention en vue de justifier ou d'accomplir des actes contraires aux droits et libertés y reconnus, mais qu'il a porté plainte pour avoir été privé des garanties accordées par les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention; que, par conséquent, la Cour ne peut retenir, sur ce chef, les conclusions présentées par le Gouvernement irlandais.
Sur la question de savoir si la détention sans comparution devant un juge de G.R. Lawless du 13 juillet au 11 décembre 1957, en vertu de l'article 4 de la Loi de 1940 sur les atteintes à la sûreté de l'État (Offences against the State (Amendment) Act, 1940) était ou non contraire aux obligations incombant au Gouvernement irlandais aux termes des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention.
8. Que l'article 5 (art. 5) de la Convention est ainsi conçu:
"(1) Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
(a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal;
(b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi;
(c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci;
(d) s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente;
(e) s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond;
(f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
(2) Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
(3) Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 (c) du présent article (art. 5-1-c), doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libéré pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.
(4) Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
(5) Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation."
9. Considérant que la Commission, dans son rapport, a exprimé l'avis que la détention de G.R. Lawless ne relève d'aucune des catégories des cas énumérés à l'article 5, paragraphe 1er (art. 5-1) de la Convention et ne constitue donc pas une mesure privative de liberté autorisée par ladite disposition; qu'il est souligné dans cet avis que le paragraphe 1er de l'article 5 (art. 5-1) autorise la privation de liberté dans six catégories distinctes de cas dont seules celles visées par les dispositions des litt. (b) in fine ("en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi") et (c) dudit paragraphe sont à prendre en considération en l'espèce, le Gouvernement irlandais les ayant invoquées l'une et l'autre devant la Commission en vue de justifier la détention de G.R. Lawless; qu'en ce qui concerne l'article 5, paragraphe 1er litt. (b) (art. 5-1-b) in fine, la détention de Lawless ordonnée par un ministre d'État parce qu'il le soupçonnait de se livrer à des activités préjudiciables au maintien de la paix et de l'ordre publics ou à la sûreté de l'État, ne peut pas être considérée comme une mesure prise "en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi", cette disposition visant une arrestation ou une détention destinée non pas à empêcher l'accomplissement d'infractions contre la paix et l'ordre publics ou la sûreté de l'État, mais à garantir l'exécution d'obligations précises imposées par la loi;
Que, selon la Commission, la détention de G.R. Lawless n'est pas non plus couverte par l'article 5, paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c), étant donné qu'il n'a pas été, pendant la période considérée, conduit devant l'autorité judiciaire compétente; que le paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c) n'autorise l'arrestation ou la détention d'une personne soupçonnée de se livrer à des infractions pénales que lorsqu'elle a lieu en vue de la conduire devant l'autorité judiciaire compétente; qu'à cet égard la Commission a fait observer en particulier qu'il ressort clairement tant de la version anglaise que de la version française de ladite disposition que le membre de phrase
"en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente" ne s'applique pas seulement au cas d'un individu arrêté ou détenu "lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une "infraction" mais également au cas d'une personne arrêtée ou détenue "lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci"; qu'en outre, le fait qu'il se trouve, dans la version française, une virgule après le membre de phrase "s'il
a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente" signifie que ce texte se réfère à toutes les hypothèses d'arrestation et de détention visées par les termes qui suivent la virgule; qu'au surplus la disposition de l'article 5 paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c) doit être rapprochée de celle contenue au paragraphe 3 du même article (art. 5-3) en vertu de laquelle toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1er litt. (c) dudit article (art. 5-1-c) doit être aussitôt traduite devant un juge; qu'il se trouve ainsi confirmé que l'article 5, paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c) ne permet l'arrestation ou la détention d'une personne qu'en vue de la traduire devant un juge;
Que la Commission, quant à elle, n'a émis aucun avis sur la question de savoir si la détention de G.R. Lawless était ou non conforme à l'article 6 (art. 6) de la Convention;
10. Considérant que le Gouvernement irlandais a fait valoir devant la Cour:
- que la détention du 13 juillet au 11 décembre 1957 de G.R. Lawless - dont le comportement général et une série de faits précis le faisaient, selon le propre avis de la Commission (paragraphe 138 de son rapport), "très sérieusement soupçonner d'être impliqué dans les activités de l'I.R.A" lors de son arrestation en juillet 1957 - ne constituait pas une violation des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention; que le gouvernement irlandais a soutenu que la Convention n'exige point qu'une personne arrêtée ou détenue à titre préventif soit conduite devant une autorité judiciaire; que, par conséquent la détention de G.R. Lawless n'a pas été contraire aux exigences de la Convention; qu'à cet égard le Gouvernement irlandais, sans se référer devant la Cour comme il l'avait fait devant la Commission, aux dispositions de l'article 5, paragraphe 1er litt. (b) (art. 5-1-b), a notamment fait valoir les arguments suivants: que l'article 5, paragraphe 1er litt (c) (art. 5-1-c) vise deux catégories de cas de privation de liberté complètement distinctes: l'une d'un individu arrêté ou détenu "lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction", et l'autre d'un individu arrêté ou détenu lorsqu'"il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction, etc ..."; qu'il ressort du libellé de ladite disposition que l'obligation de conduire l'individu arrêté ou détenu devant l'autorité judiciaire compétente ne se réfère qu'à la première catégorie de cas susmentionnée; que tel est le sens, notamment de la version anglaise, de cette disposition;
- que les travaux préparatoires de l'article 5 (art. 5) confirment le sens ainsi attribué à ladite disposition; qu'en premier lieu, il faut tenir compte du fait que ledit article remonte à une proposition soumise au Comité d'experts, en mars 1950, par la délégation du Royaume-Uni et que, par conséquent, la version française n'est qu'une traduction du texte original anglais; qu'en ce qui concerne le paragraphe 1er litt. (c) de l'article (art. 5-1-c), les mots "or when it is reasonably considered necessary" étaient rédigés, dans le premier projet, comme suit: "or which is reasonably considered to be necessary", ce qui se réfère, dans la version anglaise, aux mots "arrest or detention" et non pas au membre de phrase "effected for the purpose of bringing him before the competent legal authority"; que, par la suite, cette disposition n'a subi que des modifications d'ordre rédactionnel;
- que la disposition de l'article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) ne contredit pas l'analyse ainsi faite du paragraphe 1er litt. (c) du même article (art. 5-1-c); que le paragraphe 3 (art. 5-3) ne vise que la première catégorie de cas mentionnée au paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c) et non pas le cas d'une arrestation ou détention d'un individu "lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction"; que cette interprétation est confirmée par le fait que dans les États contractants de tradition juridique anglo-saxonne (Common Law Countries) une personne ne peut être jugée du fait d'avoir l'intention de commettre une infraction;
- qu'en outre l'article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) remonte également à une proposition de la délégation britannique soumise, en mars 1950, au "Comité d'experts chargé d'établir un premier projet de Convention"; que ladite proposition britannique était incluse au projet issu des travaux du Comité d'experts; que ce projet fut par la suite examiné par une "Conférence des Hauts Fonctionnaires" qui, eux, supprimèrent au paragraphe 3 les termes "or to prevent his committing a crime" ("ou de l'empêcher de commettre une infraction"); qu'en conséquence, le paragraphe 3, après son amendement par les Hauts Fonctionnaires, était conçu comme suit:
"Anyone arrested or detained on a charge of having committed a crime, in accordance with the provisions of paragraph (1) (c) (art. 5-1-c), shall be brought promptly before a judge or other officer authorised by law";
- qu'il résulte de ce qui précède que les Hauts Fonctionnaires avaient l'intention d'exclure du champ d'application de l'article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) le cas d'une personne arrêtée en vue de l'empêcher de commettre une infraction; que cette intention des Hauts Fonctionnaires se trouve, en outre, confirmée par le passage suivant de leur rapport au Comité des Ministres (Doc. CM/WP 4 (50) 19, p. 14):
"La Conférence a jugé utile de faire observer que l'arrestation ou la détention autorisées lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité d'empêcher un individu de commettre une infraction, ne devraient pas ouvrir la porte à l'introduction d'un régime de police. Il peut cependant, dans certaines circonstances, être nécessaire d'arrêter un individu en vue de l'empêcher de commettre un crime, même si les faits par lesquels son intention de le commettre s'est manifestée ne constituent pas en eux-mêmes une infraction pénale. Afin d'éviter des abus possibles du droit conféré ainsi aux autorités publiques, il y a lieu d'appliquer strictement la règle de l'article 13, paragraphe 2".
- qu'il ressort dudit rapport des Hauts Fonctionnaires que ceux-ci - conscients des risques d'un abus dans l'application d'une disposition qui permet, comme c'est le cas de l'article 5, paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c), l'arrestation ou la détention d'une personne lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction - ont voulu éviter de tels risques non pas par une décision judiciaire, mais par une stricte observation de la règle, contenue à l'article 13, paragraphe 2 du projet, devenu par la suite l'article 18 (art. 18) de la Convention; que l'article 5 (art. 5) n'avait subi, par la suite, que des modifications d'ordre rédactionnel, sans que ces modifications, il est vrai, fussent de nature à rendre au texte un sens complètement clair, excluant toute interprétation erronée;
- qu'en ce qui concerne l'article 6 (art. 6) de la Convention, le Gouvernement irlandais a soutenu que cette disposition n'entre pas en ligne de compte pour les besoins de la cause, Lawless n'ayant pas fait l'objet d'une accusation pénale;
11. Considérant que la Commission dans son rapport, et au cours des débats oraux, son Délégué principal, ont repoussé l'interprétation que le Gouvernement irlandais, se basant notamment sur les travaux préparatoires, avait donnée à l'article 5 (art. 5); que la Commission a fait valoir avant tout qu'il n'était pas admissible, en vertu d'une règle bien établie relative à l'interprétation des traités internationaux, d'avoir recours aux travaux préparatoires lorsque le sens des dispositions à interpréter est clair et sans équivoque; que même en se référant aux travaux préparatoires, rien ne permet de dégager un élément infirmant l'interprétation donnée aux dispositions de l'article 5 (art. 5) par la Commission; qu'à l'appui de son interprétation elle a avancé les arguments qui peuvent être résumés comme suit: qu'il est vrai que l'article 5 (art. 5) remonte, au sein du Conseil de l'Europe, à une proposition faite, en mars 1950, au Comité d'experts par la délégation du Royaume-Uni, mais que cette proposition se basait sur un texte élaboré au sein de l'O.N.U par un groupe d'États auquel appartenait, entre autres, non seulement le Royaume-Uni, mais également la France; que le texte ainsi établi à l'O.N.U a été libellé en plusieurs langues dont l'anglais et le français; que la délégation britannique, en soumettant sa proposition au Comité d'experts du Conseil de l'Europe, a remis les deux versions, française et anglaise du texte en question; qu'il n'y a donc pas lieu de considérer la version anglaise comme le texte de base; que, bien au contraire, si le texte anglais, notamment l'article 5, paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c), a subi, au cours des travaux préparatoires menés au sein du Conseil de l'Europe, plusieurs modifications, celles-ci ont été faites, selon toute évidence, dans le souci de l'adapter à la version française qui, à part quelques amendements rédactionnels insignifiants pour les besoins de la cause, est essentiellement la même que celle retenue définitivement à l'article 5 (art. 5) de la Convention: que ceci est surtout vrai pour la virgule qui se trouve après les mots "autorité judiciaire compétente" et qui confirme formellement l'interprétation donnée par la Commission à l'article 5, paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c); que les travaux préparatoires de l'article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) excluent toute équivoque quant à l'intention des rédacteurs de la Convention d'exiger que toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions visées par l'une ou l'autre hypothèse du paragraphe 1er litt. (c) du même article (art. 5-1-c) soit aussitôt conduite devant un juge; que ce texte trouve également ses origines dans l'une et l'autre version linguistique des projets de Pacte de l'O.N.U.; qu'il est vrai que les mots "on the charge of having committed a crime" ont été supprimés par le Comité des Ministres lui-même, le 7 août 1950, mais uniquement dans le but de mettre la version anglaise en concordance avec la version française, qui, déjà au stade des travaux de la Conférence des Hauts Fonctionnaires, avait reçu le libellé suivant: "Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c) etc ..."; que l'argumentation du Gouvernement irlandais ne trouve donc aucune justification dans les travaux préparatoires;
12. Considérant en premier lieu que la Cour doit observer que les règles énoncées à l'article 5, paragraphe 1er litt. (b) et à l'article 6 (art. 5-1-b, art. 6) n'entrent pas en ligne de compte dans le présent débat, la première en raison du fait que G.R. Lawless n'avait pas été détenu "pour insoumission à une ordonnance rendue par un Tribunal" ou "en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi", la seconde du fait que Lawless n'avait pas fait l'objet d'une accusation en matière pénale; que, sur ce point, la Cour est appelée à examiner si la détention de G.R. Lawless du 13 juillet au 11 décembre 1957, en vertu de la Loi no 2 de 1940, était ou non conforme aux dispositions de l'article 5, paragraphes 1er litt. (c) et 3 (art. 5-1-c, art. 5-3);
13. Considérant, à ce sujet, que la question soumise à la décision de la Cour est de savoir si les dispositions des paragraphes 1er litt. (c) et 3 de l'article 5 (art. 5-1-c, art. 5-3) prescrivent ou non qu'une personne arrêtée ou détenue "lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction" doit être conduite devant le juge, en d'autres termes, si, au paragraphe 1er litt. (c) de l'article (art. 5-1-c), le membre de phrase "en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente" se réfère uniquement aux mots "lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction" ou également aux mots "qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction";
14. Considérant que le libellé de l'article 5, paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c) est suffisamment clair pour répondre à la question ainsi posée; qu'il est évident que le membre de phrase "en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente" se réfère à toutes les catégories de cas d'arrestation ou de détention visées à ce paragraphe; que par conséquent, ladite disposition ne permet de prendre une mesure privative de liberté qu'en vue de conduire la personne arrêtée ou détenue devant l'autorité judiciaire compétente, qu'il s'agisse d'une personne au sujet de laquelle il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis une infraction, d'une personne au sujet de laquelle il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou encore d'une personne au sujet de laquelle il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de s'enfuir après l'accomplissement d'une infraction;
Qu'en outre on ne saurait interpréter le paragraphe 1er litt. (c) de l'article 5 (art. 5-1-c) sans le rapprocher du paragraphe 3 du même article (art. 5-3) avec lequel il forme un tout; que ledit paragraphe 3 (art. 5-3) stipule formellement que "toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1er litt. (c) du présent article (art. 5-1-c), doit être aussitôt traduite devant un juge ..." et "a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable"; qu'il en résulte clairement l'obligation de traduire devant un juge - soit en vue de l'examen du problème de la privation de liberté soit en vue d'un jugement sur le fond - toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions visées au paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c) dans toutes ses hypothèses; que tel est le sens clair et naturel tant du libellé du paragraphe 1er litt. (c) (art. 5-1-c) que de celui du paragraphe 3 de l'article 5 (art. 5-3);
Que le sens du texte ainsi dégagé de l'analyse grammaticale est en parfaite harmonie avec le but de la Convention qui est de protéger la liberté et la sûreté de la personne contre des arrestations et détentions arbitraires; qu'il y a lieu, à cet égard, de faire observer que si la signification attribuée par la Cour aux dispositions susmentionnées n'était pas exacte, toute personne soupçonnée d'avoir l'intention de commettre une infraction pourrait être arrêtée et détenue sur la base d'une seule décision administrative pour une période illimitée sans qu'une telle arrestation ou détention puisse être considérée comme une violation de la Convention; qu'une telle hypothèse, avec tout l'arbitraire qu'elle implique, conduirait à des résultats contraires aux principes fondamentaux de la Convention; que la Cour ne saurait donc refuser à l'article 5 paragraphes 1er litt. (c) et 3 (art. 5-1-c, art. 5-3) le sens clair et naturel qui résulte des termes formels aussi bien que de l'idée qui se dégage du contexte dans lequel ils se trouvent placés; que, dès lors, il n'y a pas lieu de suivre le Gouvernement irlandais dans son analyse du paragraphe 3 (art. 5-3) tendant à faire admettre que cette disposition ne s'applique qu'à la première catégorie de cas visée au paragraphe 1er litt. (c) de l'article 5 (art. 5-1-c) à l'exclusion de l'hypothèse de l'arrestation ou de la détention d'une personne "lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction";
Que, ayant ainsi constaté que le texte de l'article 5, paragraphes 1er litt. (c) et 3 (art. 5-1-c, art. 5-3) est en lui-même suffisamment clair et précis dans le sens que, d'une part, toute personne au sujet de laquelle "il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction" ne peut être arrêtée ou détenue qu' "en vue d'être conduite devant l'autorité judiciaire compétente" et que, d'autre part, une fois arrêtée ou détenue, cette personne doit être traduite devant un juge et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable et qu'ayant, en outre, constaté que le sens de ce texte est en harmonie avec le but de la Convention, la Cour n'a pas, eu égard à un principe d'interprétation des traités internationaux généralement reconnu, à recourir aux travaux préparatoires;
15. Considérant, en conclusion, qu'il a été établi que G.R. Lawless n'a pas été détenu du 13 juillet au 11 décembre 1957 "en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente" et que, pendant sa détention, il n'a effectivement pas été traduit devant un juge "dans un délai raisonnable"; que, par conséquent, sa détention en vertu de l'article 4 de la Loi irlandaise de 1940 n'était pas conforme aux prescriptions de l'article 5, paragraphes 1er litt. (c) et 3 (art. 5-1-c, art. 5-3) de la Convention, qu'il y aura lieu, dès lors, d'examiner si, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, cette détention n'avait pas d'autre fondement juridique;
Sur la question de savoir si la détention de G.R. Lawless du 13 juillet au 11 décembre 1957, en vertu de l'article 4 de la Loi de 1940 (Offences against the State (Amendment) Act), sur les atteintes à la sûreté de l'État était ou non contraire aux obligations incombant au Gouvernement irlandais aux termes de l'article 7 (art. 7) de la Convention.
16. Considérant que la Commission a fait État, devant la Cour, de l'allégation formulée à nouveau par G.R. Lawless selon laquelle sa détention aurait constitué une violation de l'article 7 (art. 7) de la Convention; que ledit article (art. 7) est ainsi conçu:
"(1) Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment ou elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment ou l'infraction a été commise.
(2) Le présent article (art. 7) ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment ou elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées."
Que les arguments avancés devant la Commission par G.R. Lawless ont été, en substance, les suivants: que la Loi de 1940 était entrée en vigueur le 8 juillet 1957 et qu'il avait été arrêté le 11 juillet 1957; qu'il résulterait de la procédure qui s'est déroulée devant la Commission de détention - qui avait à examiner les cas de détention opérés en vertu de la Loi de 1940 - que le ministre d'État, en signant le mandat de détention, aurait pris en considération des faits allégués qui se seraient produits antérieurement au 8 juillet 1957; que, si on prenait en considération la substance de la Loi de 1940 plutôt que sa forme, la détention en vertu de ladite Loi constituerait une peine pour l'accomplissement d'une infraction; que les faits visés par la Loi de 1940 n'étaient pas punissables avant le 8 juillet 1957, date d'entrée en vigueur de cette Loi; qu'au surcroît s'il avait été condamné pour les faits allégués par une juridiction ordinaire, il aurait été frappé de peines selon toute vraisemblance moins sévères et susceptibles d'être révisées par l'exercice d'un recours ordinaire;
17. Considérant que la Commission a, dans son rapport, exprimé l'avis que l'article 7 (art. 7) ne pouvait pas s'appliquer au cas d'espèce; qu'en particulier, G.R. Lawless n'a pas été détenu à la suite d'une condamnation pénale et que sa peine ne constitue pas une "peine plus forte" au sens de l'article 7 (art. 7); qu'au surplus, la question de l'application rétroactive de l'article 4 de la Loi de 1940 ne se pose pas, une personne ne pouvant être détenue en vertu de cette disposition que si un ministre d'État estime qu'elle se livre, postérieurement à l'entrée en vigueur des pouvoirs de détention conférés par l'article 4, à des activités préjudiciables au maintien de la paix et de l'ordre publics ou à la sûreté de l'État;
18. Considérant que le Gouvernement irlandais partage l'avis de la Commission sur ce point;
19. Considérant qu'il résulte des débats que le Gouvernement irlandais a détenu G.R. Lawless, en vertu de la Loi de 1940 sur les atteintes à la sûreté de l'État, en vue uniquement de l'empêcher de se livrer à des activités préjudiciables au maintien de la paix et de l'ordre publics ou à la sûreté de l'État; que cette détention, qui constitue une mesure préventive, ne pu pas être considérée comme résultant d'une condamnation pénale au sens de l'article 7 (art. 7) de la Convention; qu'en conséquence l'article 7 (art. 7) n'a aucun rapport avec le cas de G.R. Lawless; que dès lors, le Gouvernement irlandais, en détenant G.R. Lawless en vertu de ladite Loi de 1940, n'a pas violé les obligations lui incombant aux termes de l'article 7 (art. 7) de la Convention.
Sur la question de savoir si la détention de G.R. Lawless trouvait son fondement, à défaut des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention, dans le droit de dérogation reconnu aux Hautes Parties Contractantes par l'article 15 (art. 15) de la Convention en certaines circonstances exceptionnelles.
20. Considérant que la Cour est appelée à décider si la détention de G.R. Lawless entre le 13 juillet et le 11 décembre 1957 en vertu de la Loi de 1940 (Offences against the State (Amendment) Act), trouvait son fondement, à défaut des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention, dans le droit de dérogation reconnu aux Hautes Parties Contractantes par l'article 15 (art. 15) de la Convention, en certaines circonstances exceptionnelles.
21. Considérant que l'article 15 (art. 15) est ainsi conçu:
"(1) En cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie Contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure ou la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
(2) La disposition précédente n'autorise aucune dérogation à l'article 2 (art. 2), sauf pour le cas de décès résultant d'actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7 (art. 3, art. 4-1, art. 7).
(3) Toute Haute Partie Contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d'être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application."
22. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, sans être délié de l'ensemble des engagements mis à sa charge aux termes de la Convention, le Gouvernement de toute Haute Partie Contractante a le droit, en cas de guerre ou de danger public menaçant la vie de la nation, de prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la Convention à l'exception de celles visées à l'article 15, paragraphe 2 (art. 15-2), et cela sous la condition que ces mesures soient strictement limitées aux exigences de la situation et qu'en outre elles ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international; qu'il appartient à la Cour de vérifier si les conditions énumérées à l'article 15 (art. 15) pour l'exercice du droit exceptionnel de dérogation étaient réunies dans le cas présent;
(a) Sur l'existence d'un danger public menaçant la vie de la nation.
23. Considérant que le Gouvernement irlandais, par une Proclamation du 5 juillet 1957, publiée au Journal officiel le 8 juillet 1957, a mis en vigueur les pouvoirs exceptionnels à lui conférés par la Loi de 1940 (Offences against the State (Amendment) Act, 1940 - Part II) en vue d'assurer le maintien de la paix et de l'ordre publics ("to secure the preservation of public peace and order");
24. Considérant que, dans sa lettre du 20 juillet 1957 au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, le Gouvernement irlandais a explicitement déclaré "que la détention de personnes en vertu de cette loi est apparue nécessaire pour empêcher la perpétration de délits contre la paix et l'ordre publics et le maintien de forces militaires ou armées autres que celles autorisées par la Constitution";
25. Considérant qu'en réponse à la requête introduite par G.R. Lawless devant la Commission, le Gouvernement irlandais a exposé une série de faits desquels il dégageait l'existence, pendant la période considérée, d'un "danger public menaçant la vie de la nation" au sens de l'article 15 (art. 15);
26. Considérant que, devant la Commission, G.R. Lawless a soutenu, à l'appui de sa requête, que les susdits faits, à les supposer réels, n'étaient pas constitutifs d'un "danger public menaçant la vie de la nation" tel que visé par l'article 15 (art. 15); qu'au surplus, il a contesté la réalité de certains des faits avancés par le Gouvernement irlandais;
27. Considérant que la Commission, à la suite de l'instruction à laquelle elle a procédé conformément à l'article 28 (art. 28) de la Convention, a exprimé l'avis, à la majorité, dans son rapport, qu'en "juillet 1957, il existait en Irlande un danger public menaçant la vie de la nation au sens de l'article 15, paragraphe 1er (art. 15-1) de la Convention";
28. Considérant que, dans le contexte général de l'article 15 (art. 15) de la Convention, le sens normal et habituel des mots "en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation" est suffisamment clair; qu'ils désignent, en effet, une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l'ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l'État; qu'ayant ainsi dégagé le sens normal et habituel de cette notion, la Cour doit vérifier si les faits et circonstances qui ont déterminé le Gouvernement irlandais à prendre la Proclamation du 5 juillet 1957 entrent dans le cadre de cette notion; que la Cour, après examen, retient que tel était bien le cas; que l'existence à cette époque d'un "danger public menaçant la vie de la nation" a pu être raisonnablement déduite par le Gouvernement irlandais de la conjonction de plusieurs éléments constitutifs, à savoir, notamment, le fait qu'il existait, sur le territoire de la République d'Irlande, une armée secrète agissant en dehors de l'ordre constitutionnel et usant de la violence pour atteindre ses objectifs; en second lieu, le fait que cette armée opérait également en dehors du territoire de l'État, compromettant ainsi gravement les relations de la République d'Irlande avec le pays voisin; troisièmement, l'aggravation progressive et alarmante des activités terroristes depuis l'automne 1956 et pendant tout le cours du premier semestre de l'année 1957;
29. Considérant que, malgré la gravité des circonstances, le Gouvernement était parvenu à maintenir, par des moyens qu'il tenait de la législation ordinaire, le fonctionnement à peu près normal des institutions publiques, mais que l'embuscade meurtrière survenue dans la nuit du 3 au 4 juillet 1957 sur le territoire de l'Irlande du Nord près de la frontière avait mis en évidence à la veille du 12 juillet - date qui, pour des raisons historiques, est particulièrement critique pour le maintien de la paix et de l'ordre publics - le danger imminent qui pesait sur la nation du fait de la persistance des activités illégales de l'I.R.A et des éléments divers agissant en liaison avec elle en Irlande du Nord à partir du territoire de la République d'Irlande;
30. Considérant, en conclusion, que le Gouvernement irlandais était fondé à déclarer qu'un danger public menaçant la vie de la nation existait dans la République d'Irlande et qu'en conséquence il était en droit de prendre, par application des dispositions de l'article 15, paragraphe 1er (art. 15-1) de la Convention et pour le but en vue duquel ces dispositions ont été prévues, des mesures dérogeant aux obligations découlant de la Convention;
(b) Sur la question de savoir si les mesures dérogeant aux obligations qui découlent de la Convention ont été prises "dans la stricte mesure ou la situation l'exige".
31. Considérant qu'aux termes de l'article 15, paragraphe 1er (art. 15-1), une Haute Partie Contractante ne peut déroger aux obligations découlant de la Convention que "dans la stricte mesure ou la situation l'exige"; qu'il y a donc lieu, dans le cas d'espèce, d'examiner si la mise en vigueur de la Partie II de la Loi de 1940 constituait une mesure strictement exigée par le danger existant en 1957;
32. Considérant que, devant la Commission, G.R. Lawless a soutenu que, même s'il existait en 1957 une situation justifiant une dérogation aux obligations découlant de la Convention, la mise en vigueur et l'application de la Partie II de la Loi de 1940 relative aux atteintes à la sûreté de l'État étaient hors de proportion avec les strictes exigences de la situation;
33. Considérant que le Gouvernement irlandais a fait valoir, devant la Commission comme devant la Cour, que les mesures prises en vertu de la Partie II de la Loi de 1940 étaient, en l'occurrence, strictement exigées par la situation, conformément à l'article 15, paragraphe 1er (art. 15-1) de la Convention;
34. Considérant que si la Commission, dans sa majorité, a fait siennes les conclusions prises par le Gouvernement irlandais à ce sujet, certains membres de la Commission ont tiré des faits établis des conséquences juridiques différentes;
35. Considérant qu'il a été soutenu qu'étant donné les moyens dont disposait le Gouvernement irlandais en 1957 pour faire face aux activités de l'I.R.A et de ses groupes dissidents, il eût été possible à ce Gouvernement de prendre des mesures qui auraient rendu superflu le recours à un moyen aussi grave que la détention sans comparution devant un juge; qu'à cet égard, il a été notamment fait mention de l'application de la législation ordinaire en matière pénale, de la mise en fonctionnement des juridictions criminelles spéciales telles qu'elles sont prévues par la Loi de 1939 sur les atteintes à la sûreté de l'État ou encore des tribunaux militaires; qu'il eût été même possible de songer à d'autres mesures, telle que la fermeture complète de la frontière de la République d'Irlande et de l'Irlande du Nord;
36. Mais considérant qu'au jugement de la Cour, il s'était avéré que l'application de la législation ordinaire n'avait pas permis en 1957 de freiner l'accroissement du danger pesant sur la République d'Irlande; que le fonctionnement des tribunaux pénaux ordinaires et même des cours criminelles spéciales ou des tribunaux militaires ne pouvait suffire à rétablir la paix et l'ordre publics; que, notamment, la réunion de preuves suffisantes pour convaincre les personnes mêlées aux activités de l'I.R.A et de ses groupes dissidents se heurtait aux plus grandes difficultés en raison du caractère militaire et secret de ces groupes ainsi que de la crainte qu'ils inspiraient parmi la population; que le fait que les activités opérationnelles de ces groupes se déroulaient principalement en Irlande du Nord, celles déployées dans la République d'Irlande ayant été pratiquement limitées à la préparation des raids militaires effectués au-delà de la frontière, constituait un élément supplémentaire auquel se heurtait la réunion de preuves suffisantes; qu'enfin la fermeture complète de la frontière aurait entraîné, pour l'ensemble de la population, des répercussions fort graves qui auraient dépassé les exigences de l'État d'urgence;
Qu'il résulte de ce qui précède qu'aucun des moyens susmentionnés n'aurait pu permettre de faire face de manière efficace à la situation existant en Irlande en 1957; que, dans ces conditions, la détention administrative - telle qu'introduite par la Loi no 2 de 1940 – des individus soupçonnés de vouloir participer à des entreprises terroristes, se présentait, malgré sa gravité, comme une mesure exigée par les circonstances;
37. Considérant, d'ailleurs, que la Loi no 2 de 1940 était assortie d'un certain nombre de garanties édictées en vue d'empêcher des abus dans la mise en oeuvre du régime de la détention administrative; qu'ainsi l'application de la loi était soumise au contrôle permanent du Parlement, qui non seulement recevait, à des intervalles réguliers, des informations précises sur son exécution, mais qui pouvait également à tout moment, par une résolution, abroger la proclamation gouvernementale qui avait mis en vigueur ladite loi; qu'en outre la Loi no 2 de 1940 a prévu l'institution d'une "Commission de Détention" composée de trois membres, Commission que le Gouvernement a effectivement mise en place en y nommant avec un officier des Forces de défense, deux magistrats; que toute personne détenue en vertu de la Loi no 2 de 1940 pouvait soumettre son cas à cette Commission dont l'avis, s'il était favorable à la libération de la personne intéressée, liait le Gouvernement; qu'au surplus les juridictions ordinaires pouvaient obliger, à leur tour, la Commission de Détention à exercer ses activités;
Qu'enfin, aussitôt après la proclamation mettant en vigueur les pouvoirs de détention, le Gouvernement a annoncé publiquement qu'il libérerait toute personne détenue qui prendrait l'engagement de respecter la Constitution et la loi et de ne pas se livrer à des activités illégales; que le libellé de cet engagement a été ensuite modifié de telle manière que la personne détenue devait simplement s'engager à respecter la loi et à s'abstenir de se livrer à des activités contraires à la Loi de 1940; qu'aussitôt après leur arrestation, les personnes arrêtées étaient informées qu'elles seraient libérées après avoir pris l'engagement en question; que, dans un pays démocratique tel que l'Irlande, l'existence de cette garantie de libération, accordée publiquement par le Gouvernement, constituait, pour ce dernier, une obligation juridique de libérer toutes les personnes ayant pris l'engagement en question;
Qu'en conséquence, la détention sans comparution devant un juge telle que prévue par la Loi de 1940, assortie des garanties ci-dessus mentionnées, apparaît comme une mesure strictement limitée aux exigences de la situation au sens de l'article 15 (art. 15) de la Convention;
38. Considérant qu'en ce qui concerne le cas particulier de G.R. Lawless, rien n'indique que les pouvoirs de détention conférés au Gouvernement irlandais par la Loi no 2 de 1940 aient été utilisés à l'égard de sa personne soit, au sens de l'article 18 (art. 18) de la Convention, dans un but autre que celui pour lequel ils avaient été prévus, soit, au sens de l'article 15 (art. 15) de la Convention, en vertu d'une mesure dépassant les exigences de la situation à cette époque; qu'au contraire, la Commission européenne, ayant constaté dans sa décision du 30 août 1958 sur la recevabilité de la requête que l'intéressé avait bien introduit sa requête devant elle après avoir épuisé les voies de recours internes, a fait État, dans son rapport, de ce que le comportement général de G.R. Lawless, "ses relations avec des personnes notoirement membres actifs de l'I.R.A, sa condamnation pour port de documents compromettants, ainsi que d'autres faits, étaient de nature à le faire très sérieusement soupçonner d'être encore impliqué dans les activités de l'I.R.A lors de son arrestation en juillet 1957, qu'il ait été encore ou non, à cette date, membre de cette organisation"; qu'il résulte également du dossier que, dès le début de la détention de G.R. Lawless en vertu de la Loi no 2 de 1940, le Gouvernement irlandais a informé l'intéressé qu'il serait remis en liberté s'il prenait, par écrit, l'engagement de "respecter la Constitution et les lois d'Irlande" et de "n'adhérer ni venir en aide à aucune organisation déclarée illégale en vertu de la Loi de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l'État"; qu'au mois de décembre 1957, le Gouvernement a renouvelé, sous une forme différente, son offre que G.R. Lawless a acceptée en prenant, devant la Commission de Détention, l'engagement verbal de ne se "livrer à aucune activité illégale au sens des Lois de 1939 et 1940 relatives aux atteintes à la sûreté de l'État" et qu'aussitôt cet engagement pris, il a été mis en liberté;
(c) Sur la question de savoir si les mesures dérogeant aux obligations découlant de la Convention n'étaient pas "en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international".
39. Considérant que l'article 15, paragraphe 1er (art. 15-1) de la Convention n'autorise une Haute Partie Contractante à prendre des mesures dérogeant à la Convention que sous condition qu'elles ne soient pas "en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international";
40. Considérant que bien que ni la Commission ni le Gouvernement irlandais ne se soient référés à cette disposition au cours de la procédure, la mission de la Cour qui est d'assurer le respect des engagements résultant pour les Parties Contractantes de la Convention (article 19 de la Convention) (art. 19), l'appelle à rechercher d'office si la condition ici examinée était bien remplie dans l'espèce;
41. Considérant qu'aucun élément n'est venu à la connaissance de la Cour qui lui permette d'estimer que les mesures prises par le Gouvernement irlandais en dérogation à la Convention aient pu être en contradiction avec d'autres obligations découlant pour ledit Gouvernement du droit international;
Sur la question de savoir si la lettre adressée par le Gouvernement irlandais au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe le 20 juillet 1957 constituait ou non une notification suffisante aux fins de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) de la Convention.
42. Considérant qu'aux termes de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) de la Convention, un État Contractant qui exerce, conformément au paragraphe 1er du même article (art. 15-1), le droit de dérogation, doit tenir le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées, et doit également lui signaler la date à laquelle ces mesures ont cessé d'être en vigueur;
43. Considérant qu'en l'espèce, le Gouvernement irlandais a adressé, le 20 juillet 1957, une lettre au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe l'informant - ainsi qu'il y est dit: "conformément à l'article 15 (3) (art. 15-3) de la Convention" - de l'entrée en vigueur, le 8 juillet 1957, de la deuxième partie de la Loi de 1940 (Offences against the State (Amendment) Act); qu'à cette lettre étaient joints les textes de la proclamation faite à ce sujet par le Gouvernement irlandais et de la Loi de 1940 elle-même; que le Gouvernement irlandais a précisé dans ladite lettre que la mesure dont il s'agit "est apparue nécessaire pour empêcher la perpétration de délits contre la paix et l'ordre publics et le maintien de forces militaires ou armées autres que celles autorisées par la Constitution".
44. Considérant que G.R. Lawless a contesté devant la Commission le droit du Gouvernement irlandais d'invoquer la lettre du 20 juillet 1957 en tant qu'avis de dérogation valable aux termes de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) de la Convention; qu'il a fait valoir en substance devant la Commission: que la lettre n'avait point le caractère d'un avis de dérogation, le Gouvernement ne l'ayant pas envoyée en vue de faire enregistrer un véritable avis de dérogation; que, même si la lettre devait être considérée comme constituant un tel avis, elle ne répondait pas aux exigences formelles de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3), étant donné, d'une part, qu'elle n'invoquait pas, pour justifier la détention sans jugement, l'existence d'un État de guerre ou d'un autre danger public, menaçant la vie de la nation et, d'autre part, qu'elle ne définissait pas correctement la nature de la mesure prise par le Gouvernement; que le Délégué principal de la Commission a, en outre, fait connaître au cours de la procédure devant la Cour un troisième argument de G.R. Lawless, tendant à faire admettre que la dérogation, même si elle avait été dûment notifiée au Secrétaire Général le 20 juillet 1957, n'était pas opposable aux personnes relevant de la juridiction de la République d'Irlande dans la mesure ou cette dérogation était invoquée par le Gouvernement irlandais pour la période antérieure au 23 octobre 1957, date à laquelle elle aurait été publiée pour la première fois en Irlande;
45. Considérant que le Commission a exprimé l'avis que le Gouvernement irlandais n'a apporté aucun retard à informer le Secrétaire Général de la mise en vigueur des mesures spéciales en se référant explicitement à l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) de la Convention; que les termes de la lettre du 20 juillet 1957, à laquelle étaient joints les textes de la loi de 1940 et de la proclamation la mettant en vigueur, suffisaient à informer le Secrétaire Général de la nature des mesures prises et que, pour cette raison, tout en constatant que la lettre du 20 juillet ne contenait pas un exposé détaillé sur les motifs qui ont inspiré le Gouvernement irlandais en prenant les mesures de dérogation, elle ne croyait pas pouvoir dire que les dispositions de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) n'ont pas été suffisamment respectées en l'espèce; qu'en ce qui concerne notamment le troisième argument avancé par G.R. Lawless, les Délégués de la Commission ont ajouté, au cours de la procédure devant la Cour, que l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) de la Convention exigeait uniquement que le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe soit informé des mesures de dérogation prises, sans qu'il oblige l'État intéressé à promulguer l'avis de dérogation dans le cadre de son droit interne;
46. Considérant que le Gouvernement irlandais a demandé, dans ses conclusions finales, que la Cour déclare, conformément à l'avis de la Commission, que la lettre du 20 juillet 1957 constituait une notification suffisante aux fins de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) de la Convention ou que, à titre subsidiaire, la Cour déclare que, dans la présente affaire, aucune disposition dudit paragraphe 3 (art. 15-3) ne prive le Gouvernement irlandais de son droit d'invoquer valablement le paragraphe 1er du même article 15 (art. 15-1);
47. Considérant que la Cour est appelée, en premier lieu, à examiner si, conformément au paragraphe 3 de l'article 15 (art. 15-3) de la Convention, le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe a été dûment informé aussi bien des mesures prises que des motifs qui les ont inspirées; que la Cour retient, à ce sujet, qu'à la lettre du 20 juillet se trouvait annexé le texte de la Loi no 2 de 1940 (Offences against the State (Amendment) Act) et celui de la proclamation établie le 5 juillet et publiée le 8 juillet 1957 sur la mise en vigueur de la Partie II de la Loi susmentionnée; qu'en outre, il a été précisé dans la lettre du 20 juillet que les mesures prises l'ont été "pour empêcher la perpétration de délits contre la paix et l'ordre publics et le maintien de forces militaires ou armées autres que celles autorisées par la Constitution"; qu'ainsi le Gouvernement irlandais avait suffisamment informé le Secrétaire Général des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées; qu'en second lieu, le Gouvernement irlandais a porté ces informations à la connaissance du Secrétaire Général douze jours seulement après la mise en vigueur des mesures prises en dérogation des obligations découlant de la Convention; que la notification à cet effet a été donc faite sans retard; qu'enfin la Convention ne contient aucune disposition spéciale prescrivant à l'État Contractant intéressé de promulguer sur son territoire l'avis de dérogation qu'il a adressé au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe;
Qu'en conséquence, la Cour constate que dans le cas présent le Gouvernement irlandais s'est conformé aux obligations que lui imposait, en tant que Partie à la Convention, le paragraphe 3 de l'article 15 (art. 15-3) de la Convention;
48. Par ces motifs,
LA COUR
à l'unanimité,
(i) Écarte la fin de non recevoir tirée par le Gouvernement irlandais de l'article 17 (art. 17) de la Convention;
(ii) Dit que la détention sans comparution devant un juge de G.R. Lawless du 13 juillet au 11 décembre 1957, en vertu de l'article 4 de la Loi no 2 de 1940 (Offences against the State (Amendment) Act, 1940), ne trouvait pas de fondement juridique dans les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention;
(iii) Dit qu'il n'y a pas eu de violation de l'article 7 (art. 7) de la Convention;
(iv) Dit que la détention de G.R. Lawless du 13 juillet au 11 décembre 1957 trouvait son fondement dans le droit de dérogation régulièrement exercé par le Gouvernement irlandais, conformément à l'article 15 (art. 15) de la Convention, en juillet 1957;
(v) Dit que la communication adressée par le Gouvernement irlandais au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe le 20 juillet 1957 constituait une notification suffisante aux fins de l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3) de la Convention;
Décide, en conséquence, qu'en la cause les faits constatés ne révèlent pas, de la part du Gouvernement irlandais, une violation des dispositions de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales;
Décide que, dès lors, la question d'une réparation qui serait due au titre d'une telle violation à G.R. Lawless ne se pose pas.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au siège du Conseil de l'Europe à Strasbourg, le premier juillet mil neuf cent soixante et un.
R. CASSIN
Président
P. MODINOS
Greffier
M. G. MARIDAKIS, juge, tout en se ralliant au dispositif de l'arrêt, joint, conformément à l'article 50, paragraphe 2 du Règlement de la Cour, l'exposé de son opinion individuelle.
R.C.
P.M
OPINION INDIVIDUELLE DE M. G. MARIDAKIS
Le Gouvernement d'Irlande n'a pas violé les dispositions de l'article 15 (art. 15) de la Convention.
Lorsque l'État livre un combat de vie ou de mort, nul ne peut exiger qu'il renonce à prendre des mesures d'exception extraordinaires: salus rei publicae lex est. C'est de ce principe que découle la disposition de l'article 15 (art. 15).
Postulant ce droit de défense, la Convention prescrit dans cet article (art. 15) qu'"en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie Contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention", à la condition, toutefois, de le faire "dans la stricte mesure ou la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international".
Par "danger public menaçant la vie de la nation", on entend une situation tout à fait exceptionnelle, qui met ou qui pourrait mettre éventuellement en péril le fonctionnement normal de l'ordre public établi conformément à la volonté des citoyens légalement manifestée, tant en ce qui concerne la situation à l'intérieur des frontières que les relations avec les États étrangers.
Le Gouvernement irlandais, ayant estimé qu'en juillet 1957 l'activité de l'I.R.A avait revêtu un caractère de danger public menaçant la vie de la nation, a mis en application, à partir du 8 juillet 1957, pour faire face à ce danger, la Loi de 1940 portant modification de la loi de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l'État (Offences against the State (Amendment) Act, 1940).
Sa résolution de mettre en vigueur la Loi de 1940, le Gouvernement d'Irlande en a fait également part au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, conformément à l'article 15, paragraphe 3 (art. 15-3), par sa communication du 20 juillet 1957, ou il écrit:
"J'ai l'honneur d'attirer aussi votre attention sur l'article 8 de la loi qui dispose que le Gouvernement de l'Irlande instituera une Commission chargée d'examiner les motifs de la détention de toute personne qui demande une enquête à ce sujet; la Commission prévue par cet article a été constituée le 16 juillet 1957."
La loi de 1940 dont il s'agit contient une dérogation aux obligations prévues par l'article 5, no 1 (c) et no 3 (art. 5-1-c, art. 5-3) de la Convention. En effet, contrairement à cet article (art. 5) qui impose l'obligation de traduire la personne devant un juge, la Loi de 1940 confère à la personne le pouvoir de demander que la Commission constituée en vertu de cette loi examine les motifs de la détention.
Toutefois cette dérogation ne dépasse pas "la stricte mesure ou la situation l'exige". De tout temps, le Gouvernement irlandais a été en lutte contre l'I.R.A. Si donc, pour prévenir des actes de l'I.R.A susceptibles d'accroître le danger public menaçant la vie de la nation, le Gouvernement adopte une loi autorisant l'arrestation de toute personne dont il aurait de bonnes raisons de soupçonner qu'elle a des liens avec cette organisation clandestine et illégale, il agit dans les limites dictées à l'État par l'article 15 (art. 15) de la
Convention. La loi, d'ailleurs, ne laisse pas sans certaines garanties la personne arrêtée. Une Commission spéciale enquête sur les motifs qui ont amené l'arrestation de la personne, laquelle est ainsi protégée contre toute arrestation arbitraire.
Il s'ensuit que la Loi de 1940 portant modification de la Loi relative aux atteintes à la sûreté de l'État, est une mesure prise, comme le veut l'article 15 (art. 15) de la Convention "dans la stricte mesure ou la situation l'exige".
Reste à examiner si les conditions préalables moyennant lesquelles la Loi de 1940 permet l'arrestation, se trouvaient réunies dans la personne du requérant.
Il est hors de doute que le requérant était membre de l'I.R.A. Il est également hors de doute que l'I.R.A constituait une organisation illégale et clandestine que le Gouvernement irlandais n'a jamais cessé de combattre.
L'arrestation du requérant, en juillet 1957, s'intégrait dans l'action d'ensemble que le Gouvernement irlandais avait déclenchée pour réprimer l'activité de cette organisation illégale et clandestine. Il est vrai qu'en juillet 1957, l'activité de l'I.R.A était en récession, mais ce recul même était un acte délibéré de l'organisation. Pour apprécier ce fait à juste valeur, il importe de ne pas l'isoler, mais de le considérer en corrélation avec l'activité antérieure de l'I.R.A, d'ou découle nécessairement la perspective de l'activité que cette organisation pourrait éventuellement déployer par la suite.
Au surplus, si l'on considère que le requérant était un ancien membre de l'I.R.A, le Gouvernement irlandais ayant conçu le soupçon que, même dans l'hypothèse ou ledit requérant aurait cessé d'adhérer à l'I.R.A, il pouvait toujours se livrer à des actes favorisant les objectifs de cette organisation, a légalement appliqué la Loi de 1940 à la personne du requérant.
De surcroît, par respect de la personne, le Gouvernement irlandais se borne à demander au requérant, pour lui rendre sa liberté, la simple assurance qu'il reconnaîtra désormais "la Constitution et les lois de l'Irlande". On ne saurait considérer comme contraire à la Convention la condition dont le Gouvernement irlandais a fait dépendre la remise en liberté du requérant.
Il n'y a rien dans cette condition qui porte atteinte à la dignité de la personne humaine ou qui puisse être considéré comme un manquement aux obligations incombant aux États en vertu de la Convention. En effet, ce qui devrait être tenu comme incompatible avec la Convention, ce serait éventuellement le pouvoir, pour l'État d'exiger du requérant une répudiation de ses convictions politiques pour le triomphe desquelles il s'est engagé à combattre en tant que membre de l'I.R.A. Une pareille exigence irait certainement à l'encontre de l'article 10 (art. 10), aux termes duquel toute personne a droit à la liberté d'expression, à la liberté d'opinion et à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées. Mais il résulte du texte même de cet article (art. 10) que l'engagement que le Gouvernement irlandais a demandé au requérant avant de lui rendre la liberté, à savoir l'engagement de respecter dorénavant la Constitution et les lois d'Irlande, est impliqué dans l'esprit même de la Convention. Ceci ressort clairement de l'énumération des cas ou, aux termes de la plupart des articles, l'État est autorisé à limiter l'exercice des droits individuels ou même à priver la personne de cet exercice. Et ces cas sont ceux-là même ou il s'agit de sauvegarder la sécurité publique, la sécurité nationale, l'intégrité territoriale et d'assurer la garantie de l'ordre (article 2 alinéa 2 (c), article 4 alinéa 3 (c), articles 5, 6, 8 alinéa 2, articles 9 alinéa 2, 11 alinéa 2) (art. 2-2-c, art. 4-3-c, art. 5, art. 6, art. 8-2, art. 9-2, art. 11-2).
Ainsi si chaque État Contractant reconnaît à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis au titre I de la Convention (article 1er) (art. 1), s'il assume en outre l'obligation de respecter les droits et libertés reconnus à la personne (article 13) (art. 13), la personne aussi est réciproquement tenue, quelles que soient ses convictions intimes ou même déclarées, de se comporter loyalement envers l'État et ne peut être considérée comme libérée de cette obligation. C'est de ce principe que s'inspirent les réserves et limitations susmentionnées, aux droits garantis par la Convention. Et c'est de ce même esprit que s'inspire l'article 17 (art. 17) de la Convention. Et c'est encore ce principe général du droit qui était énoncé dans l'adage romain: nemo ex suo delicto meliorem suam conditionem facere potest (Digestorum 50.17.134 paragraphe 4) (nemo turpitudinem sunam allegans auditur).
Il suit de ce qui précède que le Gouvernement irlandais, en exigeant du requérant l'assurance d'observer une conduite conforme à la Constitution et aux lois d'Irlande, n'a fait que le rappeler à l'observation de son devoir de loyalisme envers le pouvoir établi, et n'a nullement porté atteinte aux droits et libertés prévus par la Convention, et notamment à la liberté de conscience garantie par l'article 9 (art. 9).
Il est vrai que le requérant a été arrêté le 11 juillet 1957 en vertu de la Loi de 1940, et que le 16 juillet 1957 il a été informé qu'il serait remis en liberté s'il prenait par écrit l'engagement de "respecter la Constitution et les lois de l'Irlande et de n'adhérer ni venir en aide à aucune organisation déclarée illégale en vertu de la Loi de 1939 relative aux atteintes à la sûreté de l'État".
Dans l'intervalle, du 16 juillet au 10 décembre 1957, le requérant a refusé de faire la susdite déclaration, sans doute parce qu'il attendait le résultat de la pétition qu'il avait présentée le 8 septembre 1957, par laquelle il demandait "que la question de son maintien en détention soit examinée par une Commission spéciale créée en vertu de l'article 8 de la Loi de 1940", et aussi parce qu'il attendait le résultat de la requête qu'il avait adressée le 8 septembre 1957 à la Haute Cour d'Irlande pour demander, en vertu de l'article 40 de la Constitution, le prononcé d'une ordonnance conditionnelle d'habeas corpus ad subjiciendum. La Haute Cour et, par appel, la Cour Suprême, se prononcèrent contre le requérant. La Cour Suprême a rendu son arrêt motivé le 3 décembre 1957 et la Commission de détention a repris ses audiences les 6 et 10 décembre 1957. C'est alors que le requérant, devant la Commission de détention, a pris l'engagement verbal de ne se livrer à aucune activité illégale, au sens des Lois de 1939 et 1940 relatives aux atteintes à la sûreté de l'État.
Durant tout l'espace de temps écoulé depuis son arrestation (11 juillet 1957) jusqu'au 10 décembre 1957, le requérant a introduit un recours devant la Haute Cour et la Cour Suprême et a refusé, tant que l'affaire était encore en instance, de donner l'assurance dont le Gouvernement irlandais faisait une condition préalable à sa libération. Ayant agi de la sorte, le requérant ne saurait se plaindre d'avoir été, pendant ce temps, privé de sa liberté.
Il ressort de ce qui vient d'être exposé que l'on ne saurait reprocher à la Loi de 1940 portant modification à celle de 1939, d'être incompatible avec l'article 15 (art. 15) de la Convention et que les mesures édictées par cette loi constituent des dérogations conformes aux réserves formulées par l'article 5 no 1 (c) et no 3 (art. 5-1-c, art. 5-3). Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'examiner au fond l'allégation selon laquelle le Gouvernement irlandais aurait violé les obligations découlant pour lui de ces dernières dispositions.
D'autre part, la demande du requérant ne peut être déclarée irrecevable, motif pris dans l'article 17 (art. 17) de la Convention. En effet, cet article (art. 17) vise à écarter toute interprétation des clauses de la Convention qui tendrait à dénaturer les droits et libertés garantis par elle et à les faire servir des tendances ou activités allant à l'encontre de l'esprit de la Convention tel qu'il est défini par son Préambule. Le requérant, quelque irrégularité qui puisse être reprochée à sa conduite, ne saurait être tenu pour s'être livré à une activité prohibée par l'article 17 (art. 17) de telle sorte que sa requête puisse être repoussée, par application de ce texte, comme irrecevable.
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No. 3)
OPINION INDIVIDUELLE DE M. G. MARIDAKIS
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.3)
OPINION INDIVIDUELLE DE M. G. MARIDAKIS
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No. 3)
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.3)
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No. 3)
OPINION INDIVIDUELLE DE M. G. MARIDAKIS
ARRÊT LAWLESS c. IRELANDE (No.3)
OPINION INDIVIDUELLE DE M. G. MARIDAKIS