EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
Le requérant, professeur (Studienrat) de nationalité allemande, réside actuellement à B. (Espagne). Le ... 1958, il conclut avec l'Ecole allemande de cette ville (...), personne morale créée avec l'autorisation du Gouvernement espagnol et régie en principe par le droit espagnol, un contrat de travail aux termes duquel il devait enseigner les mathématiques et la physique aux élèves de ladite école du ... 1958 au ... 1961. Le contrat, signé à Bonn, portait le visa d'un agent du Ministère des Affaires Etrangères (Auswärtiges Amt); il s'accompagnait d'une clause compromissoire prévoyant qu'un représentant qualifié (zuständiger Vertreter) de la République Fédérale d'Allemagne arbitrerait les différends éventuels. Une clause similaire se rencontrerait dans tous les contrats de ce genre: le Ministère des Affaires Etrangères en exigerait l'insertion.
Le ... 1960, la Direction de l'Ecole a licencié X. sans préavis (article 6 du contrat) pour le motif qu'il l'avait publiquement critiquée et avait recherché, non sans succès, le soutien de parents d'élèves. Le ... 1960, le Consul Général d'Allemagne à C., statuant sans que l'intéressé l'y eût invité, a déclaré la résiliation régulière. Le requérant a formé contre lui, devant le Parquet de D. (République Fédérale d'Allemagne), une plainte pour déni de justice (Rechtsbeugung) sur le sort de laquelle il ne donne pas de précisions.
Sur le conseil de son avocat, X. a saisi le Tribunal (espagnol) du travail de B. le ... 1961. Le Tribunal a rendu son jugement - contradictoire - le ... 1961. Il a estimé: - qu'il avait compétence pour examiner l'affaire nonobstant la nationalité du demandeur et sa qualité de fonctionnaire (articles 1, 5 et 6 du Code espagnol du travail et loi espagnole du 17 octobre 1940); - que la clause compromissoire était nulle (article 14 de la loi espagnole du 22 décembre 1953), de sorte que la sentence arbitrale du ... 1960 ne revêtait pas l'autorité de la chose jugée; - que le requérant n'avait pas abusé de son droit de critiquer la Direction de l'établissement, car il s'était exprimé avec respect, courtoisie et modération; - qu'au demeurant, on ne pouvait rien lui reprocher sur le terrain professionnel ni sur le plan moral.
Sur ces divers points, le Tribunal a repoussé les arguments de la partie défenderesse. Il a néanmoins débouté X., mais pour la seule raison que celui-ci ne possédait pas de carte de travail, dès lors, n'avait pas la capacité d'ester en justice devant les tribunaux espagnols du travail.
Les .., .. et .. 1961, le Ministère de l'Instruction Publique du Land de F. a sommé le requérant, sous peine de poursuites disciplinaires, d'aller occuper un poste en Allemagne, le congé spécial dont il avait bénéficié pour enseigner en Espagne ayant été révoqué. Sur les instructions de l'Auswärtiges Amt (... 1961), le Consulat Général d'Allemagne à C. est intervenu dans le même sens, le ..., auprès de X. et lui a réclamé, le ... son passeport de service.
Le ... 1961, le requérant a introduit devant la Cour Constitutionnelle Fédérale (Bundesverfassungsgericht) un recours tendant à l'annulation de la clause compromissoire, de la sentence arbitrale et des décisions subséquentes. Il a invoqué l'article 101 paragraphe 1 in fine de la Loi fondamentale (Grundgesetz), considérant qu'il avait été "soustrait à son juge naturel", en l'occurrence le juge espagnol. Il a souligné à cette occasion: - que le droit allemand du travail prohibe les clauses compromissoires tout comme le droit espagnol; - que le Consulat Général l'avait induit en erreur en l'informant, à tort, que son passeport de service lui suffirait en Espagne et qu'il n'aurait nul besoin d'une carte de travail.
Par lettres des ... et ... 1961, le juge rapporteur E. a avisé X., conformément aux articles 24 paragraphe 2, 34, paragraphe 4 et 91 a) paragraphe 3 du Bundesverfassungsgerichtsgesetz (BVerf GG), que la recevabilité du recours semblait se heurter aux obstacles suivants: - le contrat du ... 1958, la sentence arbitrale du ... 1960 et les faux renseignements fournis par le Consulat ne sont pas des actes de la puissance publique susceptibles de faire l'objet d'un recours constitutionnel (Hoheitsakte, article 90 du BVerf GG); - le requérant n'avait pas exercé les recours qui s'offraient à lui devant les tribunaux administratifs contre les décisions du Ministère des Affaires Etrangères, du Ministère de l'Instruction Publique du Land de F. et du Consulat Général d'Allemagne à C.
Le juge E. a ajouté que le recours ne lui paraissait pas non plus fondé: seules les compétences attribuées aux juridictions allemandes par le droit allemand se trouveraient placées sous la garantie de l'article 101 paragraphe 1 in fine du Grundgesetz.
Le ... 1961, la Cour Constitutionnelle fédérale a rejeté le recours en vertu de l'article 91 a) paragraphe 2 du BVerf GG (tel que l'a modifié la loi du 21 juillet 1956).
Considérant que le requérant allègue la violation de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention; qu'il se plaint de ce que les autorités allemandes l'aient abusivement soustrait à son juge naturel, le juge espagnol, sans pour autant lui donner la possibilité de soumettre à un tribunal allemand indépendant et impartial, établi par la loi, le litige qui l'opposait (à l'école allemande de B.); qu'il demande l'annulation des décisions incriminées;
EN DROIT
Considérant tout d'abord, pour autant que le requérant réclamerait le droit de reprendre son enseignement (à l'école allemande de B.) que la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales garantit uniquement, aux termes de son article 1er (art. 1), les droits et libertés définis en son Titre I; que tout grief formulé par une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit, selon l'article 25 paragraphe 1 (art. 25-1), avoir trait à la violation alléguée de l'un de ces droits et libertés, faute de quoi son examen ne ressortit pas à la compétence ratione materiae de la Commission; que le droit à l'exercice d'une profession ne figure pas, en tant que tel, parmi lesdits droits et libertés, ainsi d'ailleurs que la Commission l'a déjà constaté à de nombreuses occasions (cf. par exemple les décisions relatives à la recevabilité des requêtes N° 86/55 (Annuaire I, page 199), N° 165/56 (Annuaire I page 204), 707/60, 852/60 et 1028/61); que, dans la mesure où elle peut s'interpréter comme impliquant la revendication de ce droit, la requête est donc incompatible avec les dispositions de la Convention et, partant, irrecevable sur la base de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2);
Considérant d'autre part, pour autant que le requérant se plaint de l'attitude du Consulat Général de la République Fédérale d'Allemagne à C. (agissant à titre officiel), du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de l'Instruction publique (du Land de F.) qu'aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus; qu'il ressort de la correspondance échangée entre le juge-rapporteur E. et X. que ce dernier avait la faculté d'assigner les trois autorités susmentionnées devant les tribunaux administratifs et qu'il n'a point usé de cette faculté; qu'en outre, l'examen du dossier ne permet pas en l'état de dégager, même d'office, l'existence de circonstances particulières de nature à dispenser l'intéressé, selon les principes de droit international généralement reconnus, d'introduire les recours en question; qu'il appert pas conséquent qu'à cet égard, le requérant n'a pas observé les prescriptions précitées de l'article 26 (art. 26) et qu'il échet de rejeter la requête par application de l'article 27 paragraphe 3 (art. 27-3);
Considérant enfin, quant au surplus, c'est-à-dire quant à la violation alléguée de l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention, que le juge-rapporteur E. a indiqué au requérant que le contrat du ... 1958, la sentence arbitrale du ... 1960 et les faux renseignements fournis par le Consulat de la République Fédérale d'Allemagne à C. ne s'analysaient pas en actes de la puissance publique susceptibles de faire l'objet d'un recours constitutionnel, et que seules les compétences attribuées aux juridictions allemandes par le droit allemand se trouvaient placées sous la garantie de l'article 101 paragraphe 1 in fine du Grundgesetz; que la Commission croit pouvoir en déduire que l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, se trouve réalisé sur ce point précis bien que le requérant ait directement soumis le grief dont il s'agit à la Cour Constitutionnelle Fédérale, sans l'invoquer auparavant devant les juridictions inférieures;
Que l'examen du dossier ne permet cependant pas en l'état de dégager, même d'office, l'apparence d'une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention;
Que l'article 6 (art. 6-1) de la Convention prévoit assurément, en son paragraphe 1er, que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera ... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ..."; qu'en outre, il est constant que le requérant n'a pu saisir un tribunal allemand répondant à ces conditions, non plus d'ailleurs qu'un tribunal espagnol, du différend d'ordre civil qui l'opposait (à l'école allemande de B.);
Qu'il importe néanmoins de relever que cette situation ne résulte nullement d'une initiative unilatérale du seul Etat en cause, la République Fédérale d'Allemagne - l'Espagne n'ayant du reste pas la qualité de Partie à la Convention - mais bien d'une clause compromissoire que l'intéressé a souscrite le ... 1958; que les législations nationales restreignent il est vrai assez fréquemment, notamment en matière de droit du travail, le recours à l'arbitrage, mais que la Commission n'a point pour tâche de veiller à leur stricte observation, sauf dans la mesure où leur violation entraîne celle des droits et libertés protégés par la Convention (article 19 (art. 19)); que la conclusion d'un compromis d'arbitrage entre particuliers s'analyse juridiquement en une renonciation partielle à l'exercice des droits que définit l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1); que rien, dans le texte de cet article ni d'aucun autre article de la Convention, n'interdit expressément pareille renonciation; que la Commission ne saurait davantage présumer que les Etats Contractants, en acceptant les obligations qui découlent de l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1), aient entendu s'engager à empêcher les personnes placées sous leur juridiction de confier à des arbitres le règlement de certaines affaires;
Que la clause compromissoire litigieuse aurait pu, toutefois, se révéler contraire à la Convention si X. ne l'avait signée que sous la contrainte, mais que rien de tel ne s'est produit en l'occurrence;
Que même s'il s'agissait, comme il semble, d'une clause absolument usuelle et indispensable, insérée sur les instances du Ministère des Affaires Etrangères, cette circonstance n'a pas vicié le consentement du requérant, qui demeurait libre de refuser ses services (à l'école allemande de B.);
Que l'on pourrait pourtant se demander, le cas échéant, si la validité initiale du consentement dont une clause compromissoire tire sa valeur juridique, ne se trouve pas affectée après coup lorsque l'arbitre, dans l'accomplissement des fonctions qu'elle lui confère, se comporte d'une manière incompatible avec l'esprit de la Convention, et notamment de l'article 6 (art. 6); que cette question ne surgit cependant pas en l'espèce, la Commission n'ayant aucune raison de penser que le Consul Général de la République Fédérale d'Allemagne à C. ait commis un déni de justice au détriment de X.;
Qu'il y a donc lieu de rejeter le restant de la requête en vertu de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention, pour défaut manifeste de fondement;
Par ces motifs, déclare la requête IRRECEVABLE."