EN FAIT
Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:
La requérante, née en 1906 et de nationalité allemande, se trouve détenue à l'Etablissement pénitentiaire pour femmes d'Aichach (Bavière). Membre du parti national - socialiste dès le 1er mai 1932, elle épousa en 1937 un officier S.S. Karl Koch, qui commanda le camp de concentration de Buchenwald de juin 1937 jusqu'au début de 1942. En août 1943, Karl et Ilse Koch furent arrêtés et inculpés.
En décembre 1944, un Tribunal nazi (SS- und Polizeigericht) condamna le premier à mort pour infraction à l'Ordonnance sur l'économie de guerre et à l'Ordonnance contre les ennemis du peuple, abus de confiance, insubordination et meurtre. Il acquitta en revanche Ilse Koch, faute de preuves suffisantes. Une fois libérée, la requérante se rendit chez une parente de son mari, lequel fut exécuté à Buchenwald au début d'avril 1945. En mai 1945, un ancien prisonnier du camp la reconnut et provoqua son incarcération.
Le 12 août 1947, le Tribunal militaire américain de Dachau (General Military Government Court for the Trial of War Criminals) infligea à la requérante, traduite devant lui avec trente co-accusés, une peine d'emprisonnement perpétuel pour violation des lois et coutumes de la guerre. Peu après, une commission de révision (Board of Review) réexamina cependant le jugement - non motivé - et proposa de ramener la peine à quatre ans; le Général Clay accepta cette suggestion en juin 1948. La nouvelle ayant suscité une vive émotion aux Etats-Unis, le Sénat américain constitua une commission d'enquête qui, le 27 décembre 1948, arriva à la conclusion que le Tribunal militaire avait uniquement statué sur les crimes de guerre imputables à Ilse Koch, mais non pas sur les actes punissables qu'elle avait pu commettre envers des Allemands. Elle en déduisit que rien n'empêchait la justice allemande de poursuivre la requérante à raison desdits actes.
A sa sortie de la prison américaine de Landsberg (17 octobre 1949), Ilse Koch fut effectivement appréhendée et écrouée à l'Etablissement pénitentiaire d'Aichach en vertu d'un mandat décerné le 30 septembre 1949.
Le 25 mai 1949, le Ministère de la Justice de Bavière avait détaché un Conseiller à la Cour (Oberlandesgericht) de Bamberg, le Dr. Jagomast, auprès du Tribunal (Landgericht) d'Augsbourg et lui avait confié l'instruction de l'affaire aux lieu et place du juge d'instruction habituel. Ilse Koch, se prétendant "soustraite à son juge naturel" pour des motifs politiques, saisit la Cour Constitutionnelle Bavaroise qui rejeta sa requête le 9 juin 1950.
Les débats s'ouvrirent le 27 novembre 1950 devant la Cour d'Assises (Schwurgericht beim Landgericht) d'Augsbourg; ils ne durèrent pas moins de sept semaines. La Cour entendit près de deux cent cinquante témoins, dont une cinquantaine à décharge. Ilse Koch se cantonna dans une attitude de dénégation systématique, répliquant le plus souvent par un "Nein" laconique, voire par le silence pur et simple, aux accusations portées contre elle. A l'en croire, elle n'avait joué aucun rôle dans la vie du camp, s'était bornée à remplir ses devoirs d'épouse et de mère et avait tout ignoré du traitement réservé aux détenus. Elle admit cependant avoir dénoncé cinq d'entre eux pour ivresse, propagande religieuse ou exhibitionnisme. A plusieurs reprises, elle se plongea volontairement, dans sa cellule, dans un tel état physique et psychique qu'elle ne put assister à l'audience (Verhandlungsunfähigkeit) et dut recevoir des soins (notamment le jour du prononcé du verdict). Le Schwurgericht estima néanmoins, sur la base de rapports médicaux, qu'il se trouvait en face de manoeuvres délibérées tendant à saboter le déroulement de l'instance; aussi passa-t-il outre, ainsi que l'y autorisait l'article 231 paragraphe 2 du Code de procédure pénale (cf. les pages 28 à 30 de l'arrêt du 15 janvier 1951).
La Cour d'Assises statua le 15 janvier 1951. Dans son arrêt, extrêmement long et détaillé (111 pages imprimées), elle commença par retracer l'historique des camps de concentration en général et de celui de Buchenwald en particulier. Elle exposa en outre les règles qu'elle avait adoptées et appliquées en matière d'administration des preuves: beaucoup de témoins avaient des défaillances de mémoire, facilement explicables du reste; d'autres, tant à charge (surtout les détenus de droit commun) qu'à décharge, ne méritaient qu'un crédit limité; toutefois, nombre de comparants, principalement parmi les détenus politiques, s'exprimaient objectivement et sans passion, avec une précision suffisante (cf. les pages 16 à 27 de l'arrêt).
Le Schwurgericht se pencha également (pages 31 - 43) sur la question de savoir si les décisions de 1944 et de 1947 ne faisaient pas obstacle aux poursuites, en vertu du principe "ne bis in idem". Il la résolut par la négative: devant le "SS- und Polizeigericht", Ilse Koch n'avait eu à répondre que du délit de recel (article 259 et 260 du Code pénal); quant au Tribunal américain, il l'avait jugée pour des crimes de guerre, c'est-à-dire perpétrés après le 1er septembre 1939 et au détriment d'étrangers, et non pas pour les crimes contre l'humanité dont des Allemands et des Autrichiens (assimilés aux Allemands à l'époque), Juifs ou non, avaient été victimes avant comme après cette date. Or, le Schwurgericht avait à connaître des crimes de la deuxième catégorie et d'eux seuls. Partant de ces prémisses, la Cour constata qu'à la différence des autres épouses des nazis occupés à Buchenwald, Ilse Koch se mêlait de la vie du camp, spécialement à l'occasion de promenades à cheval, n'ignorait rien des épreuves des détenus et constituait pour eux un objet de terreur légitime (pages 53 - 71). Elle assistait assez fréquemment, par exemple, à l'appel du soir, aux exécutions capitales, à l'incinération des cadavres, à l'infliction de la peine du fouet ou du "Baumhängen" (pendaison par les mains à la branche d'un arbre), etc. ... Insensible et hautaine, elle considérait les prisonniers comme des créatures inférieures (Untermenschen) et les accablait d'injures grossières; loin d'adoucir leur sort dans la mesure de ses moyens, elle approuvait et parfois même provoquait les sévices qu'ils enduraient. Il lui arriva plus d'une fois, entre autres, de les frapper de sa cravache d'équitation ou de dénoncer l'un d'entre eux sous prétexte qu'il ne l'avait pas saluée, ne travaillait pas assez vite à son gré ou avait osé la contempler avec défi ... ou convoitise (elle aimait, semble-t-il, à se montrer à eux dans une tenue propre à attirer sur elle des regards masculins).
La Cour passa enfin (pages 72 - 107) à l'examen des charges énoncées dans l'acte d'accusation. Elle déclara Ilse Koch coupable : - d'incitation (Anstiftung) au crime de meurtre dans un cas, pour avoir signalé un détenu à un officier S.S. qui, devant elle, le battit cruellement et l'acheva en lui fracassant le crâne à l'aide d'une lourde pierre (articles 48 et 211 du Code pénal); - d'incitation au crime de tentative de meurtre dans un second cas assez comparable au premier, mais où la mort de la victime ne put être établie de manière indubitable (articles 48 et 211 du Code pénal); - d'incitation au délit de "coups et blessures dangereux" (gefährliche Körperverletzung, articles 48, 223 et 223 a) du Code pénal) dans sept cas, dont deux constituaient une seule et même infraction (Tateinheit), pour avoir dénoncé plusieurs détenus qui furent battus avec une telle violence que certains d'entre eux succombèrent ou, pour le moins, ne paraissent pas avoir survécu. Dans ces derniers cas, la Cour ne retint pas la qualification d'incitation aux crimes de meurtre ou de tentative de meurtre, ni même d'incitation au délit de coups et blessures ayant entraîné la mort (articles 48 et 226 du Code pénal), pour le motif que le décès des malheureux n'était pas démontré ou que la requérante ne l'avait pas nécessairement prévu et approuvé par avance. En revanche, le Schwurgericht écarta le jeu de la prescription en se fondant sur une lui bavaroise de 1946 (pages 95 - 96).
Faute de preuves suffisantes, la Cour acquitta Ilse Koch de cinq autres crimes ou délits similaires énumérés dans l'acte d'accusation (pages 103 - 104).
En définitive, le Schwurgericht condamna la requérante à la réclusion à vie (lebenslanges Zuchthaus) et à la déchéance perpétuelle de ses droits civiques, non sans s'être assuré de son entière responsabilité pénale et de l'absence de circonstances atténuantes (pages 108 - 111).
Ilse Koch introduisit un pourvoi en cassation que la Cour Fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) rejeta le 22 avril 1952. Depuis lors, l'intéressée a formé une série de recours en grâce que le Ministère bavarois de la Justice a tous repoussés (notamment en juillet 1960 et, semble-t-il, en septembre 1961).
Dans l'un de ces recours (4 juin 1957), son avocat, Me Seidl, la présentait comme la victime d'une campagne de propagande savamment orchestrée par des milieux américains influents et devant laquelle la Justice allemande, placée à l'époque sous la dépendance des autorités alliées, avait dû s'incliner bon gré mal gré. Il affirmait entre autres que l'un des principaux chefs de l'accusation initiale, largement diffusé dans la presse (assassinat, à la demande d'Ilse Koch, de détenus tatoués à seule fin de fabriquer avec leur peau divers objets, dont des abat-jour), avait complètement vicié l'atmosphère de l'instance bien que le Ministère public allemand, après le Tribunal militaire américain, l'eût finalement abandonné avec l'accord du Schwurgericht (page 48 de l'arrêt du 15 janvier 1951).
Selon Me Seidl, la procédure suivie en l'espèce avait, pour des raisons purement politiques, revêtu un caractère tout à fait exceptionnel: incarcération d'Ilse Koch, pendant sa détention préventive, dans un pénitencier au lieu d'une "Untersuchungsanstalt"; désignation d'un Procureur et d'un Juge d'instruction différents de ceux qui auraient eu normalement compétence; durée insolite des débats; audition d'un nombre inhabituel de témoins; violation des principes "ne bis in idem" et "in dubio pro reo"; mauvaise administration des preuves, etc. Certains hauts magistrats en conviendraient aujourd'hui en privé.
Me Seidl soulignait enfin que sa cliente était l'unique personne qui eût répondu de ses actes devant la justice allemande après avoir purgé la peine que lui avait infligée un tribunal allié, que presque tous les criminels de guerre ont maintenant recouvré leur liberté, que les juridictions allemandes se montrent actuellement beaucoup plus indulgentes en la matière, et qu'Ilse Koch a trois enfants.
Considérant que la requérante, qui se réfère pour le surplus au recours susmentionné du 4 juin 1957, proteste de son innocence et prétend que son état de santé l'a empêchée de se défendre devant le Schwurgericht; qu'elle n'invoque aucune disposition particulière de la Convention; qu'elle semble réclamer sa mise en liberté.
EN DROIT
Considérant que la requérante se trouve détenue en exécution d'une condamnation qui lui a été infligée à raison de crimes perpétrés au mépris des droits les plus élémentaires de la personne humaine; que cette circonstance ne la prive cependant point de la garantie des droits et libertés définis dans la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales;
Considérant, toutefois, que certains faits de la cause, y compris les arrêts rendus le 15 janvier 1951 par le Schwurgericht d'Augsbourg et le 22 avril 1952 par le Bundesgerichtshof, remontent à une période antérieure au 3 septembre 1953, date à laquelle la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales est entrée en vigueur à l'égard de la République Fédérale d'Allemagne; que, dans cette mesure, l'examen de la requête ne ressortit pas à la compétence ratione temporis de la Commission, car ladite Convention, selon les principes de droit international généralement reconnus, ne régit, pour un Etat Contractant déterminé, que les faits postérieurs à son entrée en vigueur à l'égard de cet Etat;
Considérant en second lieu, pour autant que la requérante revendiquerait le droit au bénéfice d'une mesure de grâce, que la Convention, aux termes de son article 1er (art. 1), garantit uniquement les droits et libertés définis en son Titre I; que tout grief formulé par une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit, selon l'article 25 paragraphe 1 (art. 25-1), avoir trait à la violation alléguée de l'un de ces droits et libertés et d'eux seuls, faute de quoi son examen ne saurait relever de la compétence ratione materiae de la Commission; que le droit susmentionné ne figure pas, en tant que tel, parmi lesdits droits et libertés, ainsi d'ailleurs que la Commission l'a constaté dès le 6 juillet 1959, dans sa décision sur la recevabilité de la requête N° 369/58 (Annuaire II, page 382); que la requête est donc, sur ce point, incompatible avec les dispositions de la Convention et, partant, irrecevable par application de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2);
Considérant, quant aux autres aspects de la requête, que l'examen du dossier ne permet pas de dégager, même d'office, l'apparence d'une violation des droits et libertés garantis par la Convention; qu'il échet, dès lors, de rejeter le restant de la requête sur la base de l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention, pour défaut manifeste de fondement.
Considérant au surplus, quant à l'ensemble de la requête, que l'étude des documents produits en l'espèce a pleinement convaincu la Commission qu'Ilse Koch, dans les circonstances rappelées plus haut et en avançant une série d'allégations et de griefs auxquels la Convention ne fournit pas le moindre appui, ne cherche qu'à échapper aux conséquences de sa condamnation; que l'introduction de la présente requête constitue, dans ces conditions, un abus manifeste et caractérisé du droit de recours individuel, au sens de l'article 27, paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention;
Par ces motifs, déclare la requête irrecevable."