EN FAIT
Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit:
Le requérant, actuellement détenu à la prison de Butzbach, souffre depuis 1955 d'une grave affection oculaire (glaucome) caractérisée par une augmentation de la tension intraoculaire, déterminant un durcissement du globe oculaire, une atrophie du nerf optique, un rétrécissement du champ visuel et une diminution importante de l'acuité visuelle.
A diverses reprises (1955, 1956, 1957), le requérant a été opéré, puis a reçu un traitement clinique (1962, 1965, 1970). En 1970, il était atteint de cécité à un oeil; l'acuité visuelle et le champ visuel de l'autre oeil étaient considérablement restreints.
Le requérant a été condamné plusieurs fois depuis 1955 pour inceste et outrage aux moeurs, à un total de huit ans et quatre mois de prison.
A. Une première série de faits, non contestés entre les parties à l'exception d'une ou deux divergences mentionnées ci-après, a trait aux conditions de détention du requérant. Ces faits peuvent se résumer de la manière suivante:
1. Le 13 août 1970, le requérant fut appelé à purger une peine de prison pour laquelle il avait antérieurement bénéficié d'un sursis. Il tenta en vain d'obtenir une surséance à l'exécution de cette peine, sur base de l'article 455, paragraphe 3, du Code de procédure pénale. Après une décision négative du Procureur (28 septembre 1970), sa demande en décision judiciaire fut rejetée le 6 novembre 1970 par le tribunal régional de Francfort. Le 4 mai 1971, la Cour d'appel de Francfort rejeta le recours formé contre cette dernière décision et refusa d'accorder un sursis à l'exécution de la peine. La cour se basait sur les constatations de l'expert ophtalmologue ayant soigné le requérant en prison et selon lesquelles la maladie avait atteint un stade avancé et pratiquement irréversible et son traitement pouvait être adéquatement effectué en prison.
2. Depuis la mi-novembre 1970 le requérant, détenu à Kassel, bénéficie de l'assistance médicale du médecin-chef de la prison (Dr. S.), ainsi que d'un oculiste (Dr. K.). Contestant la valeur du contrôle et du traitement auxquels il était soumis, le requérant a entrepris diverses actions.
Il s'est plaint auprès de la chambre des médecins du Land du traitement médical en prison qu'il jugeait inadéquat et de l'impossibilité de consulter un médecin en dehors de la prison. Par l'intermédiaire du Ministre de la Justice, la plainte fut soumise au directeur de la prison qui la rejeta le 16 septembre 1971.
Le requérant demanda alors l'intervention du Ministre de la Justice du Lande, dans le cadre du contrôle disciplinaire (Dienstaufsicht). Le 2 décembre 1971, le Ministre décida qu'il n'y avait pas lieu de donner suite à cette requête.
Le requérant forma aussitôt une demande en obtention d'une décision judiciaire. Le 12 avril 1972, la Cour d'appel décida que le recours n'était pas fondé: En refusant au requérant une consultation externe le directeur s'était légitimement basé sur le double diagnostic du médecin-chef et de l'ophtalmologue, selon lequel aucune amélioration de la vue ne paraissait possible. Au surplus, le requérant avait eu la faculté de consulter un spécialiste à la clinique ophtalmologique de Kassel, qui avait confirmé que la continuation de la thérapeutique antérieurement appliquée s'imposait.
Le recours constitutionnel formé contre cette décision fut rejeté le 31 juillet 1972.
3. A partir de l'été 1972 le requérant put consulter régulièrement le Dr. A. de la clinique universitaire de Kassel. En accord avec le Dr. K., celui-ci lui proposa une hospitalisation sous surveillance (unter Bewachung) dans sa clinique, afin de procéder à une opération de l'oeil gauche. Cette opération devait être préparée par un repos prolongé et l'interdiction de fumer. Trois jours avant la date prévue, le 18 août 1972, le requérant refusa l'opération envisagée. Selon le Gouvernement, le requérant n'aurait pas accepté les mesures préparatoires (repos forcé et interdiction de fumer) ainsi que le principe d'une hospitalisation sous surveillance. Le requérant soutient de son côté qu'il était prêt à se faire hospitaliser dans les conditions susmentionnées, mais ne pouvait accepter un séjour de 48 heurs en clinique suivi d'un retour immédiat en prison. Il mentionne, à cet égard, que ce type d'opération exige habituellement un long repos post-opératoire, à défaut duquel l'intervention est beaucoup trop risquée. Ces explications du requérant ressortent de l'échange de correspondance entre le requérant et le Dr. A. du 18 au 24 août.
4. Vers la même époque, le requérant demanda au Ministre de la Justice du Land que lui soit accordée par mesure de grâce une interruption de la peine, afin qu'il puisse librement se faire examiner, traiter cliniquement et, le cas échéant, opérer. Rappelant que l'intéressé avait déjà, lors de périodes probatoires antérieures, dangereusement récidivé, le Ministre rejeta cette requête le 21 août 1972. La décision fait état du danger que représente le requérant en matière de moeurs, et de l'inutilité d'un traitement clinique, un traitement médical adéquat étant dispensé en prison.
5. En décembre 1972, les autorités ont proposé au requérant son transfert au pénitencier de Butzbach afin qu'il puisse être opéré à la clinique universitaire de Giessen. Selon le Gouvernement, le requérant aurait rejeté cette proposition en soulignant qu'il exigeait d'être opéré à la clinique de Marbourg à la faveur d'une suspension de peine. Le requérant reconnaît qu'une telle proposition lui a été faite mais nie l'avoir refusée. Il aurait seulement attiré l'attention des autorités sur le fait que dès l'année 1957, les médecins de Giessen l'auraient envoyé à Marbourg pour une opération identique.
6. A plusieurs reprises le requérant a encore tenté d'obtenir une interruption de la peine pour pouvoir être admis dans un établissement hospitalier. Le 31 janvier (1) et le 11 mai 1973, le Procureur près le tribunal régional de Francfort rejeta deux demandes d'interruption de la peine. Le requérant, transféré au pénitencier de Butzbach début mai, se pourvut devant le Procureur général près la Cour d'appel de Francfort. Après un examen qui eut lieu à la clinique universitaire de Marbourg le 15 août 1972, le Procureur, par décision du 30 août, ordonna l'interruption de la peine pour toute la durée nécessaire au traitement opératoire du requérant à la clinique universitaire de Marbourg. Le requérant fut admis dans cette clinique du 18 septembre au 9 octobre 1972. Il y fut constaté qu'une opération n'était plus recommandable et que le nouveau traitement suivi (gouttes plus examen médical toutes les six semaines) était suffisant, pourvu qu'il fût strictement respecté. Au cors de cette hospitalisation, il fut établi que le requérant avait reçu par mégarde des gouttes périmées et non conservées en chambre froide. La Cour d'appel de Francfort, saisie d'une demande de décision judiciaire, ordonna le 25 avril 1974 au directeur de la prison de Butzbach de veiller à ce que le requérant reçoive un médicament parfaitement conforme aux prescriptions médicales. ----------------------- (1) Suite à cette décision négative du Procureur, le requérant a formé une demande en obtention d'une décision judiciaire. La Cour d'appel a statué le 16 octobre sur cette demande. La peine ayant entre-temps été suspendue pour la durée de l'hospitalisation à Marbourg, la cour a rejeté la demande pour défaut d'objet. Recours constitutionnel rejeté le 8 mars 1974. -----------------------
7. Enfin, le requérant a demandé l'interruption provisoire de la détention au motif qu'il serait dans l'incapacité physique de purger cette peine. A l'appui de cette requête il indiquait qu'il ne recevait pas un traitement médical adéquat, que son médicament était fréquemment périmé et que la maladie avait considérablement empiré depuis sa détention. Après le refus du Procureur le 22 janvier 1974, la Cour d'appel de Francfort rejeta cette requête le 28 mai 1974, estimant que les conditions de l'article 45 du Règlement sur l'exécution des peines ne se trouvaient pas remplies en l'espèce. A l'appui de sa décision, la cour se réfère aux expertises médicales faites par les Drs. W., directeur de la clinique universitaire de Marbourg, R., médecin attaché à cette clinique, et V., ophtalmologue ayant soigné le requérant à Butzbach. Selon celles-ci le traitement actuellement prescrit au requérant constitue la meilleure solution médicale possible et il est parfaitement administrable en prison.
Ces expertises établissent également que, si le traitement imposé est strictement respecté, le requérant ne se trouve nullement dans l'incapacité physique d'exécuter sa peine. Il ressort de diverses lettres du requérant qu'il a introduit le 8 juin 1974 un recours constitutionnel contre la décision de la Cour d'appel.
Les grief du requérant peuvent se résumer comme suit:
8. Le requérant allègue une violation de l'article 3 de la Convention.
Il estime que sa détention constitue en elle-même, eu égard à son état de santé, un traitement inhumain. Le caractère inhumain de ce traitement est renforcé par le fait que les soins reçus en prison sont insuffisants et que lui est retirée toute possibilité d'amélioration de son état par recours à d'autres médecins ou institutions hospitalières.
B. La deuxième partie de la requête concerne une procédure pénale engagée en octobre 1970 contre le requérant, du chef d'inceste.
Les faits, tels qu'ils résultent des déclarations du requérant et des informations fournies par le Gouvernement, peuvent se résumer comme suit:
9. En vertu d'un mandat de dépôt décerné le 30 octobre 1970 par le tribunal cantonal de Königstein, le requérant a été placé en détention préventive; il était soupçonné d'avoir, entre 1965 et 1970, commis divers outrages aux moeurs et, notamment, d'avoir eu des rapports incestueux avec une de ses filles, E.. La détention préventive n'a duré qu'un mois: le 29 novembre 1970 elle a été interrompue pour permettre au requérant de purger le restant d'une peine prononcée le 31 juillet 1962.
L'instruction effectuée par le parquet de Francfort a duré plus d'un an. Le rapport médico-légal concernant E. fut établi le 20 mars 1971.
Le 21 avril 1971 le défenseur du requérant demanda l'audition du frère et de la soeur de E., ainsi qu'un examen médical du requérant destiné à déterminer son aptitude à se défendre en justice. Le dossier n'indique pas la suite réservée à la première demande. Le rapport sur l'examen psychosomatique du requérant fut délivré le 17 septembre 1971. Ce rapport n'est pas versé au dossier.
A sa demande, le requérant fut encore entendu par le représentant du Ministère public le 14 mars 1972 (Schlussgehör). L'acte d'accusation fut rédigé le 22 mars 1972 et transmis au tribunal régional de Francfort qui ouvrit la procédure pénale le 15 novembre 1972 (Eröffnungsbeschluß). Le tribunal décida le même jour d'y joindre la procédure engagée contre l'épouse divorcée du requérant, accusée de complicité d'inceste. Par ordonnance du 15 novembre 1972 également, il rejeta la requête visant à obtenir la mainlevée de mandat de dépôt du 30 octobre 1970.
Le requérant entreprit ces deux dernières ordonnances. - Le recours formé contre l'ordonnance de jonction des deux affaires fut rejeté le 9 février 1973 par le tribunal régional. Cette décision de rejet fut confirmée par la Cour d'appel le 29 août 1973. Le recours constitutionnel formé contre cette nouvelle décision judiciaire fut rejeté le 2 octobre. - Le recours formé contre l'ordonnance refusant la mainlevée du mandat de dépôt fut rejeté le 9 février 1973 par le tribunal régional. Cette décision de rejet fut confirmée par la Cour d'appel le 10 juillet 1973. Un recours constitutionnel fut rejeté le 2 octobre 1973.
Par décision du 13 décembre 1972, le Président fixa au 13 mars 1973 le début de la procédure publique (Hauptverhandlung). Cette fixation n'a pourtant pas été maintenue - en fait la procédure n'a pas été commencée à ce jour - pour les raisons suivantes (lettre du 30 mars 1973 adressée au requérant par le Président de Chambre).
a) La fille E. du requérant, principal témoin, n'était pas en mesure de déposer. Elle avait tenté de se suicider après avoir reçu sa convocation à l'audience. En conséquence, le tribunal avait délégué le 9 février 1973 un de ses juges pour recueillir sa déposition. b) Le médecin psychiatre ayant examiné le requérant n'était pas disponible aux dates prévues. c) Un autre témoin était également indisponible à cette époque.
Le requérant attaqua la décision ordonnant la délégation d'un juge pour entendre sa fille E. Son recours fut rejeté par la Cour d'appel le 29 août 1973. Il forma alors successivement deux requêtes en suspicion légitime contre le Président de Chambre. Celles-ci fut rejetées les 12 et 26 mars 1973. Le 30 mars 1973, le requérant obtint la désignation d'un nouvel avocat d'office.
Le 7 juin 1973, sur demande du Ministère public (1) et le 30 novembre 1973, sur demande du requérant (2), deux demandes en mainlevée du mandat de dépôt furent rejetées par le tribunal régional qui invoquait essentiellement le risque de récidive. -------------------- (1) Décision confirmée par la Cour d'appel le 10 juillet 1973. Recours constitutionnel rejeté le 2 octobre 1973. (2) Décision confirmée par la Cour d'appel le 7 février 1974. Recours constitutionnel rejeté le 15 mars 1974. ---------------------
10. Le requérant avait fait l'objet d'un rapport sommaire (kursorisch) concernant son état mental, le 29 novembre 1973. Sur le vu de ce rapport, la chambre pénale du tribunal arriva fin 1973 à la conviction qu'un rapport sur l'état mental du requérant devrait être établi, afin de déterminer sa responsabilité pénale. En conséquence, après avoir entendu le défenseur du requérant, la chambre décida, à la date du 15 mars 1974, la mise en observation du requérant pour une durée de six semaines à la clinique psychiatrique de Giessen. Le requérant fut informé de cette décision le 10 avril 1974 et fit appel. Le recours fut rejeté le 13 mai 1974 pour tardiveté et défaut de fondement. Le recours constitutionnel contre cette dernière décision ne fut pas pris en considération (ordonnance du 24 juin 1974 de la Cour constitutionnelle).
Les griefs du requérant à cet égard peuvent se résumer comme suit:
11. Le requérant allègue une violation des articles 5 paragraphe 3 et 6 paragraphe 1 de la Convention.
Il estime être en détention préventive abusivement longue.
Il reproche aux tribunaux la durée excessive de la procédure actuellement pendante.
ARGUMENTATIONS DES PARTIES
Conformément à la décision de la Commission du 5 avril 1974, les Parties ont été invitées à présenter des observations écrites sur la recevabilité de la première partie de la requête, relative aux conditions de la détention et à propos de laquelle le requérant allègue une violation de l'article 3 de la Convention.
a) Les arguments du Gouvernement défendeur peuvent se résumer comme suit:
12. Le Gouvernement distingue dans cette première partie trois griefs fondés sur l'article 3, et il entend les traiter séparément du point de vue de la recevabilité: - un premier grief selon lequel le maintien du requérant en prison, dans son état de santé, constituerait un traitement inhumain; - un deuxième grief selon lequel le refus ou l'octroi tardif d'une suspension de la peine aux fins d'hospitalisation, aurait constitué un traitement inhumain; - un troisième grief selon lequel des insuffisances, voire des négligences de l'assistance médicale en prison constitueraient un traitement inhumain.
13. Le Gouvernement doute que la requête satisfasse aux conditions de l'article 26 de la Convention, relatives à l'épuisement des voies de recours internes et au délai d'introduction.
En ce qui concerne le premier grief, la dernière décision intervenue avant l'introduction de la requête est l'ordonnance de la Cour d'appel de Francfort du 4 mai 1971 confirmant la décision du Procureur de refuser un sursis à l'exécution de sa peine.
En ce qui concerne les deuxième et troisième griefs, la dernière décision intervenue est celle de la Cour constitutionnelle du 31 juillet 1972. Il s'ensuit que le délai de six mois n'a pas été respecté lors de l'introduction de la requête.
Il est vrai que, depuis l'introduction de sa requête, le requérant s'est à nouveau pourvu devant les juridictions internes relativement à ces trois griefs. Il a ainsi formé une demande en décision judiciaire contre le refus du Procureur de lui accorder une suspension provisoire de la peine sur base de l'article 45 du Règlement sur l'exécution des peines. Ce recours a été rejeté le 28 mai 1974 par la Cour d'appel de Francfort.
Le Gouvernement indique qu'il n'est pas au courant de l'introduction d'un recours constitutionnel contre cette ordonnance de la Cour d'appel. En conséquence, il réserve sa position en ce qui concerne l'épuisement des voies de recours.
14. Le Gouvernement estime au surplus que la requête est manifestement mal fondée, un examen de ces trois griefs ne permettant de déceler aucune apparence de violation de l'article 3 de la Convention.
Le requérant ne se trouve pas dans un état physique ou mental rendant impossible son traitement en prison ou d'une gravité telle que son maintien en détention pourrait constituer un traitement inhumain au sens de l'article 3 de la Convention.
A l'appui de cette prise de position le Gouvernement cite - les expertises médicales selon lesquelles le traitement médical administré en prison est parfaitement adapté à la maladie et ne justifie aucune autre forme d'intervention médicale; - les décisions judiciaires par lesquelles il a été constaté que le requérant était physiquement et mentalement capable de subir la peine.
Il est manifestement faux d'affirmer, comme le fait le requérant, que son état de santé se serait détérioré parce qu'il n'a pu être admis suffisamment tôt en observation clinique, à la faveur d'une interruption de peine.
A l'appui de cette prise de position, le Gouvernement indique que le glaucome est une maladie bien connue dont le traitement ne nécessite pas de mesures exceptionnelles. Au surplus, le requérant était soigné par différents médecins, la faculté d'être opéré lui a été offerte en 1972. Enfin, l'évolution de la maladie a été relativement favorable durant la détention.
Il est manifestement faux d'affirmer que l'encadrement médicale en prison et l'administration des médicaments étaient défectueux.
A l'appui de cette prise de position, le Gouvernement rappelle les nombreuses consultations externes garanties au requérant, la régularité des examens, les mesures prises pour veiller à l'administration des médicaments dans les meilleurs conditions.
b) Les arguments du requérant peuvent se résumer comme suit:
15. En ce qui concerne les conditions de recevabilité énoncées à l'article 26 de la Convention, le requérant expose que, quel qu'ait été leur objet précis au sens du droit allemand, tous les recours qu'il a introduits l'ont été en vue de faire constater l'insuffisance d'assistance médicale et la précarité de son état physique et d'obtenir, en conséquence, une suspension de la peine pour un traitement hospitalier adéquat.
La dernière décision interne définitive à prendre en considération, si l'on admet cet argument, est l'ordonnance de la Cour constitutionnelle du mars 1974.
Le requérant estime en conséquence avoir satisfait aux conditions de l'article 26, en ce qui concerne tant l'épuisement des voies de recours internes que le respect du délai de six mois.
16. Le requérant maintient que sa détention constitue en elle-même, eu égard à son état de santé, un traitement inhumain. Le caractère inhumain de ce traitement serait encore renforcé par le fait que les soins reçus en prison sont insuffisants et que lui est retirée toute possibilité d'amélioration de son état par recours à d'autres médecins ou institutions hospitalières.
Le requérant rappelle qu'il est presqu'aveugle, isolé, dans l'impossibilité de lire et de participer à la faible vie sociale de la prison et que son moral est profondément influencé par la menace d'une société prochaine.
Il rejette les appréciations médicales relatives à sa capacité de purger la peine.
D'avril 1972 à août 1973, il a vainement demandé aux autorités de pouvoir être admis dans un établissement hospitalier pour un traitement clinique ou une opération. Il estime que le retard ainsi imposé à son admission en clinique universitaire a eu un effet fatal sur l'évolution de la maladie.
Enfin, aucun soin n'est apporté à la conservation et l'administration de ses médicaments. La décision de la Cour d'appel de Francfort du 25 avril 1974 ordonnant au directeur de la prison de veiller à la validité et à la conservation de son médicament n'est suivie d'effet.
En conséquence, la requête ne peut être rejetée pour défaut manifeste de fondement.
EN DROIT
17. Le requérant allègue en premier lieu une violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention. Il estime que son maintien en détention, l'insuffisance des soins dispensés en prison et l'impossibilité d'avoir recours à une assistance médicale extérieure, constituent un traitement inhumain prohibé par cette disposition.
La Commission considère que les différentes plaintes du requérant relatives aux conditions de la détention devaient être examinées dans leur ensemble comme constitutives d'un seul grief fondé sur l'article 3 (art. 3).
18. La Commission a examiné les objections soulevées par le Gouvernement défendeur contre la recevabilité de ce grief au titre de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Cet article dispose que "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans le délai de six mois, à partir de la date de la décision interne définitive".
Le Gouvernement fait valoir que le requérant avait épuisé les voies de recours avant l'introduction de sa requête, mais que le délai de six mois n'avait pas été respecté. Il a admis par ailleurs que, depuis l'introduction de la requête, le requérant s'était à nouveau pourvu devant les juridictions fédérales mais sans avoir formé de recours constitutionnel et n'aurait par conséquent pas satisfait aux exigences de l'article 26 (art. 26) pris dans son ensemble.
La Commission a estimé toutefois que le requérant invoque en réalité une violation continue de l'article 3 (art. 3); la violation alléguée de cette disposition ne résulterait pas, en effet, de tel ou tel acte instantané, mais du refus persistant des autorités de suspendre l'exécution de la peine aussi longtemps que l'état de santé du requérant rendrait cette mesure nécessaire.
Il s'ensuit que la règle du délai de six mois instituée par l'article 26 (art. 26) ne trouve pas application dans le cas d'espèce. Ainsi que la Commission l'a déjà constaté, cette règle s'explique par le souci des Hautes Parties Contractantes d'empêcher la constante remise en cause du passé (cf. Rapport de la Commission dans l'affaire De Becker c/Belgique - C.E.D.H. Série B - 1962 - p. 57); cette préoccupation légitime ne saurait faire obstacle à l'examen par la Commission de la situation continue dont se plaint le requérant et qui perdure à l'heure actuelle.
Au cours de sa détention, le requérant a, semble-t-il, épuisé les voies de recours mises à sa disposition en droit allemand. Il a introduit le recours hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde) contre les autorités de la prison et fait usage à de nombreuses reprises du recours prévu aux articles 23 et suivants de la Loi d'introduction à la loi sur l'organisation judiciaire (Antrag auf gerichtliche Entscheidung) contre les mesures prises ou omises par les autorités responsables de la détention et de l'exécution des peines.
A deux reprises, le requérant a introduit un recours constitutionnel contre des décisions judiciaires rejetant ses demandes d'interruption de la peine (cf. ordonnance de la Cour constitutionnelle des 31 juillet 1972 et 8 mars 1974). Le requérant a encore introduit le 8 juin 1974 un recours constitutionnel contre la décision de la Cour d'appel de Francfort du 28 mai 1974, refusant de lui accorder une suspension de l'exécution de la peine.
La Commission rejette en conséquence l'objection quant à la recevabilité de cette partie de la requête, présentée par le Gouvernement défendeur sur base de l'article 26 (art. 26) de la Convention.
19. La Commission a ensuite recherché si le grief du requérant basé sur l'article 3 (art. 3) de la Convention était ou non manifestement mal fondé. Le requérant a affirmé que, contrairement aux conclusions des médecins qui l'ont examiné, sa maladie oculaire et l'impossibilité résultante de participer à la vie sociale de la prison, le rendent inapte à purger sa peine. Pendant plus d'une année, il a vainement sollicité des autorités son transfert dans un établissement hospitalier en vue d'un traitement clinique ou d'une opération. Ce refus d'assistance médicale extérieure à la prison qui lui a été opposé alors a eu un effet fatal sur l'évolution de sa maladie.
Enfin, le requérant a soutenu que les soins dispensés en prison étaient insuffisants, notamment que les médicaments n'étaient pas rigoureusement conservés. Dans ces conditions, sa détention constituerait un traitement inhumain.
Le Gouvernement a fait valoir que le requérant ne se trouve pas dans un état physique ou mental rendant impossible son traitement en prison, ou d'une gravité telle que son maintien en détention pouvait constituer un traitement inhumain, au sens de l'article 3 (art. 3) de la Convention.
Le Gouvernement a contesté que l'état de santé du requérant se soit détérioré au cours de sa détention et rappelé que le requérant a bénéficié d'une assistance médicale constante pour le traitement du glaucome dont il est atteint. Le requérant a obtenu des consultations dans des hôpitaux universitaires spécialisés et la faculté d'être opéré lui a été offerte en 1972. Il a été constamment suivi par le médecin de la prison ainsi qu'un ophtalmologue et l'administration des médicaments a fait l'objet d'un contrôle sévère.
Le Gouvernement en a conclu que le grief du requérant basé sur l'article 3 (art. 3) est manifestement mal fondé.
20. La Commission a procédé à un examen d'ensemble de la situation du requérant eu égard à son état de santé et aux soins qui lui ont été prodigués.
Les pièces médicales versées au dossier indiquent que le requérant souffre depuis près de vingt ans d'une glaucome dont l'évolution lente et irrégulière est inéluctable; depuis 1966 le requérant ne possède plus l'usage d'un oeil, le champ visuel de l'autre étant d'ailleurs très restreint.
Les interventions médicales visent toutes à réduire, à certaines périodes, une tension intraoculaire trop élevée, soit par le recours à une intervention chirurgicale, soit par l'administration d'un médicament. Ces interventions n'enrayent toutefois pas l'atrophie du nerf optique.
Les médecins consultés par la Cour d'appel de Francfort, estiment que le requérant est physiquement apte à la détention, pourvu qu'il reçoive régulièrement sa médication et que l'évolution de la maladie soit périodiquement contrôlée (lettre du 28 février 1974 du Dr. R. de la clinique de Marbourg; lettre du 15 mars 1974 du Dr. V., ophtalmologue établi à Butzbach). Le requérant a toujours eu l'assistance d'un ophtalmologue. Sans doute a-t-il dû attendre août 1973 pour que lui soit accordée une hospitalisation à la clinique de Marbourg. Il faut noter cependant qu'au mois de d'août 1972, le requérant a refusé sans motif valable une opération et qu'au mois de décembre 1972, il a rejeté une proposition d'hospitalisation à la clinique de Giessen. Au surplus, rien ne permet d'affirmer que la maladie du requérant ait empiré entre octobre 1970 et août 1973.
En septembre 1973, les médecins de la clinique de Marbourg ont renoncé à une intervention chirurgicale. Dans un rapport du 6 mai 1974, ces mêmes médecins ont émis l'opinion qu'une opération était contre-indiquée en ce qu'elle pourrait aboutir à une nouvelle diminution de la force visuelle.
Ces différents éléments portent à conclure que le requérant, physiquement apte à la détention, reçoit en prison un traitement adéquat, dont l'administration et les effets sont contrôlés à intervalles réguliers par des médecins spécialistes des maladies oculaires.
21. Dès lors, la question qui se pose semble être de savoir si le fait de maintenir en détention un homme presque complètement aveugle constitue en lui-même un traitement inhumain. Il ne paraît pas possible de donner à cette question une réponse affirmative générale. On pourrait sans doute soutenir que la détention d'un aveugle dans un seul but expiatoire ne se justifierait pas. Tel n'est cependant pas le cas du requérant que les juridictions de la République Fédérale d'Allemagne ont à plusieurs reprises qualifié de récidiviste dangereux.
22. La Commission parvient ainsi à la conclusion que l'examen du dossier ne permet de déceler aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et notamment par l'article 3 (art. 3).
Il s'ensuit que la requête est, sous ce rapport, manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
23. Le requérant allègue ensuite une violation de l'article 5, paragraphe 3, (art. 5-3) de la Convention.
Il rappelle qu'il a été arrêté le 30 octobre 1970 et inculpé d'inceste. Il estime que les autorités judiciaires allemandes en n'ayant pas encore statué sur cette accusation ont violé le droit qui lui est reconnu par cette disposition d'"être jugé dans un délai raisonnable, ou libéré pendant la procédure".
L'article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention garantit à tout personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) de cet article (art. 5-1-c), le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure.
La Commission constate que le requérant a été placé en détention préventive le 30 octobre 1970, en vertu d'un mandat de dépôt décerné par le tribunal cantonal de Königstein. Cette détention préventive n'a toutefois duré qu'un mois: le 29 novembre 1970, elle a été interrompue pour permettre au requérant de purger le restant d'une peine prononcée le 31 juillet 1962 et pour l'exécution de laquelle il avait bénéficié d'un sursis. A compter de cette date, le requérant est donc détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent, au sens de l'article 5, par. 1 a)(art. 5-1-a).
l'article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) n'est, par conséquent, applicable à la situation du requérant, que pour la période du 30 octobre au 20 novembre 1970 ce qui constitue un délai relativement bref. Il s'ensuit que la requête est, sous ce rapport, manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
24. Le requérant allègue enfin une violation de l'article 6, par. 1 (art. 6-1), de la Convention. Il fait valoir qu'il a été arrêté le 30 octobre 1970 dans le cadre d'une procédure engagée contre lui du chef d'inceste et qu'à ce jour aucun tribunal ne s'est encore prononcé sur le bien-fondé de cette accusation.
L'article 6, par. 1 (art. 6-1), de la Convention reconnaît à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière dirigée contre elle.
25. La question posée est celle de savoir si la cause du requérant a été entendue par un tribunal dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6, par. 1 (art. 6-1), de la Convention, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire.
Il n'est pas douteux que le point de départ du délai visé par cette disposition se situe au 30 octobre 1970, puisque le requérant a été arrêté à cette date, en vertu d'un mandat d'arrêt délivré par le tribunal cantonal de Königstein.
Conformément à la jurisprudence constante de la Commission, ce délai continue à courir au moins jusqu'à ce qu'un jugement ait été prononcé par un tribunal de première instance. Il s'ensuit que, dans le cas d'espèce, le requérant n'a pas encore été entendu au sens de l'article 6, par. 1 (art. 6-1), de la Convention, et qu'à ce jour le délai á prendre en considération est de trois ans et dix mois.
26. D'après les donnés dont la Commission dispose actuellement, il ne semble pas que l'instruction de l'affaire ait comporté l'audition d'un grand nombre de témoins. Des difficultés se sont néanmoins révélées pour l'obtention du témoignage de la fille E. du requérant. D'autre part, l'appréciation des témoignages apparaît fort délicate, en raison d'une part de la nature des faits reprochés au requérant et, d'autre part, des relations de parenté existant entre le requérant, sa femme co-inculpée et les témoins. Finalement des examens par des médecins légistes et par des psychiatres étaient indispensables.
D'un autre côté, le requérant a fait tout ce qui était en son pouvoir pour retarder la procédure. Il a usé et même abusé des voies de droit que la loi mettait à sa disposition, notamment en récusant à deux reprises, pour des motifs futiles, le président de chambre du tribunal et en poussant jusqu'à la Cour constitutionnelle le recours dirigé contre la décision ordonnant la jonction du procès le concernant et de celui concernant sa femme divorcée. Il ne s'est d'ailleurs pas fait faute de récuser successivement plusieurs de ses défenseurs d'office.
27. Par contre, néanmoins, un certain nombre de délais qui se sont produits dans la procédure paraissent difficilement explicables.
Il a ainsi fallu attendre près de cinq mois après l'arrestation du requérant pour disposer du rapport du médecin ayant procédé à l'examen médico-légal d'E., victime et principal témoin dans cette affaire (30 octobre 1970 - 20 mars 1971). A la suite d'une demande d'expertise légale, il a fallu un nouveau délai de cinq mois pour disposer du rapport du psychiatre sur l'aptitude du requérant à se défendre en justice (21 avril 1971 - 17 septembre 1971). Jusqu'au début 1972, le dossier est ensuite transmis au Greffe de la Cour de Justice du Land de Hesse, à la suite d'un recours formé par le requérant à propos des conditions de sa détention. Après avoir entendu le requérant le 14 mars 1972, le procureur rédige l'acte d'accusation le 22 mars 1972. Le tribunal régional de Francfort prend la décision formelle d'ouvrir le procès, le 15 novembre 1972 seulement, soit après un intervalle de quelque huit mois. Le 9 février 1973 le tribunal régional rejette un recours du requérant formé contre l'ordonnance de jonction des procès dirigés contre lui- même et contre l'épouse divorcée du requérant. L'appel de cette décision est rejeté par la Cour d'appel le 29 août seulement, soit six mois et demi plus tard. La Cour constitutionnelle s'est ensuite prononcée rapidement, le 2 octobre 1973. Initialement fixée au 13 mars 1973, l'audience est reportée en raison notamment de l'impossibilité d'entendre E.. Le 30 mars 1973, le requérant obtient la désignation d'un nouvel avocat d'office. Plusieurs mois passent ensuite sans que l'audience soit fixée. A partir du 15 août, le requérant devant être hospitalisé à Marbourg, le tribunal est dans l'impossibilité de fixer l'audience. Le requérant sort de la clinique universitaire le 9 octobre 1973. Le 5 novembre 1973 enfin, soit trois années après l'arrestation du requérant, le tribunal ordonne un examen psychiatrique du requérant, destiné à déterminer son degré de responsabilité pénale. Encore cette décision ne trouve-t-elle un commencement d'exécution que le 15 mars 1974, lorsque le tribunal ordonne la mise en observation du requérant pour six semaines.
28. Compte tenu de ces délais, un premier examen des informations soumises par les parties ne permet pas à la Commission de conclure que les faits de la cause excluent toute possibilité d'une violation de la Convention. Il s'ensuit que le grief du requérant relatif à la longueur de la procédure pénale actuellement en cours ne peut être considéré comme manifestement mal fondé an sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. La Commission décide donc de déclarer la requête recevable sous ce rapport, pourvu toutefois que le Gouvernement défendeur soit disposé à renoncer à soumettre des observations par écrit sur la recevabilité (Le Gouvernement y a effectivement renoncé en date du 30 octobre 1974).
29. La Commission a encore envisagé sous l'angle de l'article 3 (art. 3) de la Convention la longueur de la procédure incriminée. Elle a estimé toutefois que, même en tenant compte de l'état de santé du requérant et des conditions de sa détention en suite d'une condamnation antérieure, la longueur de la procédure, avec les incertitudes qui en résultent, ne saurait être considérée comme constituant un traitement inhumain au sens de cette disposition. il en résulte que la requête, est, sous cet aspect, manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission
DECLARE RECEVABLE le grief tiré de l'article 6, par. 1, de la Convention, relativement à la longueur de la procédure pénale susvisée;
DECLARE IRRECEVABLE le reste de la requête.