COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE FOTI ET AUTRES c. ITALIE
(Requête no 7604/76; 7719/76; 7781/77; 7913/77)
ARRÊT
STRASBOURG
10 décembre 1982
En l’affaire Foti et autres,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement*, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
M. G. Wiarda, président,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. D. Evrigenis,
J. Pinheiro Farinha,
Sir Vincent Evans,
MM. C. Russo,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil le 23 avril, les 25 et 26 juin puis le 23 novembre 1982,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire Foti et autres a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"). A son origine se trouvent quatre requêtes (no 7604/76, 7719/76, 7781/77 et 7913/77) dirigées contre la République italienne et que des ressortissants de cet Etat, MM. Benito Foti, Felice Lentini, Demetrio Cenerini et Giovanni Gulli, avaient introduites en 1976 et 1977, en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention, devant la Commission qui en ordonna la jonction le 9 mai 1977, pour les trois premières, et le 11 mai 1978 pour la dernière.
2. La demande de la Commission a été déposée au greffe de la Cour le 20 mai 1981, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration de la République italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’État défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 § 3 b du règlement). Le 30 mai 1981, celui-ci a désigné par tirage au sort, en présence du greffier, les cinq autres membres, à savoir Mme D. Bindschedler-Robert, M. D. Evrigenis, M. J. Pinheiro Farinha, M. E. Garcia de Enterria et Sir Vincent Evans (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).
4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli par l’intermédiaire du greffier l’opinion de l’agent du gouvernement italien ("le Gouvernement"), de même que celle du délégué de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 15 juin 1981, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 31 octobre 1981 pour déposer un mémoire et que le délégué pourrait y répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le lui aurait communiqué. Le 3 novembre, il a prorogé le premier de ces délais jusqu’au 16 novembre.
Le texte français officiel du mémoire du Gouvernement et de ses annexes est parvenu au greffe les 23 novembre 1981 et 7 janvier 1982, respectivement.
5. Le 21 janvier 1982, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué présenterait ses observations lors des audiences; le 27, il lui a adressé les commentaires des requérants Foti, Lentini et Cenerini sur le mémoire du Gouvernement, en précisant qu’ils valaient aussi pour M. Gulli.
6. Le 4 février, le président a fixé au 21 avril la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
7. Les débats se sont déroulés en public le 21 avril, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu peu auparavant une réunion préparatoire; elle avait autorisé l’emploi de la langue italienne par les personnes assistant le délégué de la Commission (article 27 § 3 du règlement).
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. C. Zanghi, délégué de l’agent;
- pour la Commission
M. E. Busuttil, délégué,
Mes C. Corigliano, P. Catanoso et F. Quattrone,
conseils des requérants devant la Commission, assistant le
délégué (article 29 § 1, seconde phrase, du règlement).
La Cour les a entendus en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions et à celles de deux de ses membres.
8. A des dates diverses s’échelonnant du 15 décembre 1981 au 17 août 1982, le greffier a reçu de la Commission et du Gouvernement, selon le cas, de nombreuses pièces et précisions tantôt demandées par la Chambre ou en son nom, tantôt fournies par eux de leur propre initiative. Parmi les documents ainsi recueillis figuraient les quatre requêtes initiales (14 mars 1976, 2 septembre 1976, 28 novembre 1976 et 15 avril 1977), plusieurs lettres des intéressés à la Commission (13 avril 1976, 26 juin 1976, 25 août 1976, 11 octobre 1976, 28 octobre 1976, 20 décembre 1976, 26 décembre 1976, 4 février 1977, 16 février 1977, 24 février 1977, 1er avril 1977, 18 août 1977 et 9 octobre 1977), les observations écrites présentées à celle-ci par le Gouvernement (9 juillet 1977, 10 octobre 1977, 12 janvier 1978, 1er mars 1978, 6 mars 1979 et 25 octobre 1979) et le compte rendu des audiences du 12 décembre 1979 devant elle.
9. Lors des délibérations du 23 novembre 1982, M. R. Bernhardt, premier juge suppléant, a remplacé M. E. García de Enterría, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).
FAITS
10. Les requérants, de nationalité italienne, résident à Reggio de Calabre. Ils ont fait l’objet de poursuites pénales pour des actes commis lors de manifestations qui s’y déroulèrent de 1970 à 1973. L’agitation populaire, particulièrement vive entre juillet 1970 et avril 1971, fut déclenchée par la décision de transférer le chef-lieu de la province de Calabre de Reggio, son siège traditionnel, à Catanzaro; elle connut une grande ampleur à cause de la situation économique de cette partie de la région. Elle se traduisit par des grèves générales, des attentats à la dynamite et des heurts avec les forces de l’ordre. Elle déboucha sur des centaines d’arrestations, sur environ 1200 inculpations et, rien qu’en 1970 et 1971, sur 459 procès; 94 d’entre eux furent déférés, pour des motifs graves d’ordre public (article 55 du code de procédure pénale, paragraphe 31 ci-dessous), à un tribunal d’une autre ville, dont 86 à celui de Potenza.
I. FAITS PROPRES À CHACUN DES QUATRE REQUÉRANTS
11. Quant à la date exacte des faits propres à chacun des quatre requérants, les éléments d’information versés au dossier abondent en contradictions et incertitudes que les efforts de la Cour, en particulier les questions de celle-ci aux comparants, n’ont pas entièrement réussi à éliminer. Sous cette réserve, lesdits faits peuvent se résumer ainsi:
A. M. Foti
12. Né en 1932 et employé de profession, M. Benito Foti se plaint de trois procédures différentes intentées contre lui.
1. Première procédure
13. Le 9 octobre 1970 le requérant fut inculpé, avec trois autres personnes, d’obstruction de la voie publique et de manifestation séditieuse. L’instruction commença devant le tribunal de Reggio de Calabre, mais il fallut la suspendre en raison de l’élection, le 7 mai 1972, de l’un des coinculpés, M. Fortunato Aloi, à la Chambre des députés. En 1975, cette dernière accorda la levée de l’immunité parlementaire de M. Aloi (article 65 de la Constitution), après quoi le juge d’instruction renvoya en jugement les intéressés, dont M. Foti, le 22 mars 1976.
14. Le 17 mai 1976, le procureur de la République de Reggio proposa au procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro de demander l’attribution de l’affaire, pour des motifs graves d’ordre public, à une juridiction distincte du tribunal de Reggio. Saisie par le procureur général dès le 22 mai, la Cour de cassation accueillit la demande par une ordonnance du 20 décembre 1976, enregistrée le 12 janvier 1977 et déférant l’affaire au tribunal de Potenza, qui reçut le dossier le 17 janvier 1977.
15. Le 21 décembre 1977, le tribunal de Potenza cita le requérant à comparaître. Il rendit le 15 février 1978 un jugement de relaxe dont la minute fut enregistrée au greffe le 27 février.
2. Deuxième procédure
16. En septembre 1971, M. Foti fut arrêté et inculpé, avec une autre personne, d’obstruction de la voie publique, rassemblement séditieux, détention illégale d’armes - il s’agissait de grenades lacrymogènes - et "résistance aggravée" aux forces de l’ordre.
En novembre 1971, le juge d’instruction de Reggio le renvoya en jugement. Sa décision prononçait le non-lieu sur l’un des chefs d’inculpation. En janvier 1976, la chambre d’instruction de Reggio déclara irrecevable l’appel que le parquet avait interjeté sur ce point.
17. En février 1976, le procureur de la République de la même ville proposa au procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro de demander l’attribution de l’affaire, pour des motifs graves d’ordre public, à une juridiction distincte du tribunal de Reggio. Saisie par le procureur général en mars 1976, la Cour de cassation accueillit la demande par une ordonnance du 11 juin 1976, enregistrée au début de septembre et déférant l’affaire au tribunal de Potenza.
18. Le parquet de cette ville reçut le dossier le 1er octobre et le transmit au tribunal le 26 novembre. Cité le 9 décembre 1976 à comparaître le 1er février 1977, le requérant se vit infliger quatre mois d’emprisonnement, avec sursis, et une amende pour détention illégale d’armes, obtenant sa relaxe pour le surplus.
Le 2 juin 1977, la Cour d’appel de Potenza confirma ce jugement que M. Foti avait attaqué devant elle. Le pourvoi en cassation formé ensuite par l’intéressé fut rejeté le 25 juin 1979.
3. Troisième procédure
19. Le 21 mars 1973, le requérant fut arrêté et inculpé, avec deux autres personnes, d’obstruction de la voie publique.
20. Le 27 février 1976, le procureur de la République de Reggio proposa au procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro de demander l’attribution de l’affaire, pour des motifs graves d’ordre public, à une juridiction distincte du tribunal de Reggio. Saisie par le procureur général le 5 mars 1976, la Cour de cassation accueillit la demande par une ordonnance du 14 juin 1976, enregistrée le lendemain et déférant l’affaire au tribunal de Potenza.
21. Le renvoi en jugement eut lieu le 14 janvier 1977. Le tribunal cita M. Foti à comparaître le 29 mars 1977, mais dut ajourner les débats au 7 juin. A cette date, il prononça une décision de relaxe qui devint définitive.
B. M. Lentini
22. Né en 1939, M. Felice Lentini exerce le métier de charpentier. En septembre 1970 il fut arrêté et inculpé, avec huit autres personnes, de résistance aux forces de l’ordre.
23. Le procureur de la République de Reggio de Calabre mena l’instruction suivant la procédure "sommaire" (article 389 du code de procédure pénale); il renvoya le requérant en jugement le 18 septembre 1972.
Le 24 mai 1974, toutefois, il proposa au procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro de demander, pour des motifs graves d’ordre public, l’attribution de l’affaire à une juridiction distincte du tribunal de Reggio. Saisie par le procureur général le 14 juin 1974, la Cour de cassation accueillit la demande par une ordonnance du 16 juin 1975, déférant l’affaire au tribunal de Potenza.
24. Lors d’une première audience tenue le 26 mai 1976, ce dernier estima qu’il fallait recourir à la procédure ordinaire et, en conséquence, confia l’examen du dossier à un juge d’instruction. Après une nouvelle décision de renvoi en jugement, rendue environ deux mois plus tard, le tribunal relaxa M. Lentini le 18 janvier 1977, faute de preuves, par une sentence qui devint définitive.
C. M. Cenerini
25. Né en 1942 et travaillant comme garçon de courses, M. Demetrio Cenerini fut arrêté le 15 juillet 1970 et inculpé le 18, avec dix-sept autres personnes, d’outrage aux forces de l’ordre. Il recouvra sa liberté le 31 juillet 1970. Le juge d’instruction de Reggio de Calabre le renvoya en jugement le 18 octobre 1972.
26. Le 27 mai 1974, le procureur de la République de la même ville proposa au procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro de demander à la Cour de cassation, pour des motifs graves d’ordre public, d’attribuer l’affaire à une juridiction distincte du tribunal de Reggio. Le procureur général procéda de la sorte dès le 3 juin 1974, mais ne transmit le dossier qu’après la notification légale à chacun des dix-huit inculpés (paragraphes 33-36 ci-dessous). La Cour de cassation accueillit la demande par une ordonnance du 17 janvier 1975, enregistrée environ trois mois plus tard et déférant l’affaire au tribunal de Potenza.
27. Ce dernier, saisi par le parquet en avril 1976, cita le requérant, le 22 septembre, à comparaître le 30 novembre. La défense souleva au cours de l’audience, en vertu de l’article 439 du code de procédure pénale, une exception tirée de la nullité de la décision de renvoi en jugement, car elle n’avait pas été avisée du dépôt des actes de l’instruction au greffe du tribunal avant la clôture de celle-ci. Toujours le 30 novembre 1976, le tribunal reconnut le bien-fondé du moyen. En conséquence, il retourna le dossier au magistrat instructeur qui prit, le 12 mai 1977, une nouvelle ordonnance de renvoi en jugement.
Une première audience, fixée au 16 janvier 1978, dut être remise à cause de l’absence de témoins importants. Lors de la suivante, le 15 mars 1978, il fallut surseoir derechef car la composition de la chambre avait changé. Le 7 juin 1978, enfin, le tribunal renvoya M. Cenerini des fins de la poursuite, constatant que la prescription se trouvait acquise depuis le 15 janvier 1978 (articles 157 et 160 du code pénal).
D. M. Gulli
28. Né en 1952 et ouvrier de profession, M. Giovanni Gulli fut arrêté le 16 juillet 1970 et inculpé le 18, avec cinquante-trois autres personnes, de résistance et outrage aux forces de l’ordre, obstruction de la voie publique et rassemblement séditieux. Le juge d’instruction de Reggio de Calabre le renvoya en jugement le 3 mars 1973.
29. Le 16 novembre 1974, le procureur de la République de la même ville proposa au procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro de demander à la Cour de cassation, pour des motifs graves d’ordre public, d’attribuer l’affaire à une juridiction distincte du tribunal de Reggio. Le procureur général procéda de la sorte le 3 décembre 1974, mais ne transmit le dossier que le 15 décembre 1975, après la notification légale à chacun des cinquante-quatre inculpés (paragraphes 33-36 ci-dessous). La Cour de cassation accueillit la demande par une ordonnance du 26 janvier 1976, enregistrée au greffe le 12 mars 1976 et déférant l’affaire au tribunal de Potenza.
30. Ce dernier, saisi par le parquet en juin 1977, cita le requérant, le 2 février 1978, à comparaître le 29 mars. Lors de l’audience qui se tint à cette date, il fallut reporter l’examen de la cause au 2 octobre car les notifications légales n’avaient pu être accomplies dans le cas de certains des prévenus.
Le 2 octobre 1978, le tribunal renvoya M. Gulli des fins de la poursuite, constatant que la prescription se trouvait acquise depuis le 15 janvier 1978 (articles 157 et 160 du code pénal).
II. DISPOSITIONS PERTINENTES DU DROIT ITALIEN
1. Transfert de l’affaire à une autre juridiction
31. Aux termes de l’article 55, premier alinéa, du code de procédure pénale (traduction de l’italien),
"En tout état et degré de la procédure sur le fond, à la demande du procureur général près la cour d’appel ou près la Cour de cassation, celle-ci peut transférer l’instruction ou le jugement à un juge d’un autre ressort, pour des motifs graves d’ordre public ou pour cause de suspicion légitime."
L’article 56, second alinéa, précise que la demande est communiquée à l’inculpé (imputato) par le greffe du parquet général. La procédure de transfert ne suspend ni l’instruction ni le jugement, sauf décision contraire de la Cour de cassation (article 57) qui statue sur la demande par ordonnance (article 58).
2. Jonction des causes
32. D’après l’article 45 du code de procédure pénale (traduction de l’italien),
"Il y a connexité des causes dans les cas suivants:
1) si les infractions (reati) qui font l’objet des poursuites ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies (...);
4) si la preuve d’une infraction ou d’une de ses circonstances a une incidence sur la preuve d’une autre infraction ou d’une de ses circonstances."
En cas de connexité, l’article 413 du même code autorise la jonction des causes pourvu qu’elle serve à la célérité des procédures.
3. Notifications
33. Les notifications en matière pénale obéissent aux règles des articles 166 à 179 du code de procédure pénale.
34. Pour la première notification à un inculpé non détenu, en cas d’impossibilité de signifier un document à l’intéressé en personne, une copie en est laissée à son domicile ou à son lieu de travail habituel, entre les mains d’un tiers qui vit avec lui, même temporairement, ou, à défaut, d’un concierge ou d’une personne qui en fait office. Si ces deux lieux sont inconnus, elle est remise à l’une de ces personnes là où l’inculpé réside ou a une adresse. En l’absence de pareilles personnes, ou si elles sont inaptes ou refusent de recevoir la copie du document, celle-ci est déposée à la mairie de la commune où habite l’inculpé ou, à défaut, de celle où il travaille d’habitude; l’avis du dépôt est affiché sur la porte de la maison ou du lieu de travail habituel de l’intéressé (article 169).
35. Si la notification se révèle cependant impossible, l’huissier de justice en informe le juge ou le parquet compétent. Celui-ci, après avoir ordonné de nouvelles recherches, en particulier au lieu de naissance ou de dernière résidence de l’inculpé, adopte une décision le déclarant introuvable (decreto di irreperibilità), lui désignant un défenseur s’il n’en avait déjà un et prescrivant de recourir, pour les notifications passées et futures, à un dépôt au greffe de l’autorité (ufficio giudiziario) devant laquelle se déroule la procédure (article 170).
36. Selon l’article 171, l’inculpé est invité par le premier acte de procédure à élire un domicile pour les notifications; il doit signaler tout changement qui interviendrait. D’après le texte en vigueur à l’époque (la loi no 534 du 8 août 1977 l’a amendé), si les renseignements fournis à ce sujet par l’intéressé apparaissaient insuffisants il fallait procéder derechef à sa recherche en application des articles 169 et 170.
4. Procédure en cas de prescription
37. L’article 152 du code de procédure pénale astreint le juge, en tout état de la cause, à constater d’office qu’une infraction se trouve éteinte; la prescription joue par l’effet de la loi.
Le délai légal va de dix-huit mois à vingt ans selon la gravité de la peine encourue (article 157 du code pénal); pour le calculer, il faut tenir compte des suspensions ou interruptions éventuelles (articles 159 et 160 du code pénal). Dans le cas de MM. Cenerini et Gulli, il atteignait ainsi sept ans et demi (paragraphes 27 et 30 ci-dessus).
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
38. M. Foti a saisi la Commission le 14 mars 1976, M. Lentini le 2 septembre 1976, M. Cenerini le 22 novembre 1976 et M. Gulli le 15 avril 1977.
Les trois premiers d’entre eux s’élevaient chacun contre le transfert de leur procès au tribunal de Potenza, mesure incompatible d’après eux avec l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. M. Cenerini se plaignait aussi, en invoquant les articles 2, 3, 4 et 5 (art. 2, art. 3, art. 4, art. 5), de mauvais traitements que lui aurait infligés la police et d’une détention subie par lui dans les locaux de la préfecture.
Quant à M. Gulli, il reprochait au préfet de Reggio de Calabre d’avoir refusé le 2 décembre 1976, en raison des poursuites intentées contre lui, d’autoriser sa nomination à un emploi de gardien (guardia particolare); il considérait cette décision comme contraire à l’article 4 § 1 (art. 4-1). Dans une lettre ultérieure datée du 7 mai 1977, il a tiré sur le même point un argument supplémentaire de l’article 6 § 2 (art. 6-2); il a, de surcroît, allégué la violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) en dénonçant à la fois le dépassement du "délai raisonnable" et le transfert de son procès au tribunal de Potenza.
Dans leurs premiers écrits, rédigés en leur nom par Me Corigliano, les requérants s’exprimaient en un langage d’une extrême violence et que la Cour estime intolérable. Aussi bien la Commission a-t-elle décidé, le 14 octobre 1977, de ne plus accepter cet avocat comme conseil de MM. Foti, Lentini et Cenerini qui en ont alors changé (annexes I et II au rapport).
39. Le 9 mai 1977, la Commission a ordonné la jonction des trois premières requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur et résolu d’examiner d’office la question du respect du "délai raisonnable", au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1), ainsi que des exigences de l’article 13 (art. 13). Dans un mémoire du 18 août 1977, MM. Foti, Lentini et Cenerini ont déclaré "faire leurs" ("facciamo nostri") les motifs qui l’avaient conduite à prendre cette initiative; ils ont ajouté que la méconnaissance desdites dispositions se trouvait "déjà implicitement alléguée dans la partie descriptive de leurs recours" ("violazione peraltro, implicitamente già dedotta nella narrativa dei nostri ricorsi"). Ils répondaient ainsi à l’une des exceptions préliminaires du Gouvernement.
Le 11 mai 1978, la Commission a retenu les quatre requêtes pour autant seulement qu’elles concernaient la durée des procédures pénales litigieuses; elle les a rejetées quant au surplus ratione temporis, ratione materiae, pour défaut manifeste de fondement ou pour non-épuisement des voies de recours internes, selon le cas. Elle a joint celle de M. Gulli aux trois autres.
Dans son rapport du 15 octobre 1980 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’avis que la cause des intéressés n’a pas été entendue "dans un délai raisonnable" et qu’il y a donc eu infraction à l’article 6 § 1 (art. 6-1); elle estime superflu de se prononcer sur l’application de l’article 13 (art. 13) en l’espèce.
EN DROIT
I. SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES
40. Le Gouvernement présente plusieurs exceptions préliminaires.
Certaines d’entre elles, invoquées à l’audience du 21 avril 1982, portent sur des griefs que la Commission a écartés le 11 mai 1978 (paragraphes 38-39 ci-dessus). Le Gouvernement invite la Cour à déclarer à son tour irrecevables lesdits griefs, à la fois par les motifs adoptés à l’époque et, quant au transfert des procès au tribunal de Potenza, pour une raison supplémentaire: le défaut initial de la qualité de victime dans le chef de M. Foti et, à tout le moins, la tardiveté (article 26 in fine de la Convention) (art. 26) pour MM. Lentini, Cenerini et Gulli.
41. La Cour n’a pas à connaître de pareille demande car les griefs rejetés par la Commission sortent du cadre de l’affaire tel que l’ont délimité les décisions du 11 mai 1978 (voir notamment l’arrêt Guzzardi du 6 novembre 1980, série A no 39, p. 39, § 106).
En revanche, elle doit statuer sur les deux autres exceptions, lesquelles ont trait à la partie des requêtes que la Commission a retenue.
A. Sur l’exception relative à l’examen d’office de la question du "délai raisonnable" dans le cas de MM. Foti, Lentini et Cenerini
42. En premier lieu, le Gouvernement reproche à la Commission d’avoir pris d’office en considération la question du "délai raisonnable", au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1), dans le cas de MM. Foti, Lentini et Cenerini. Le moyen, précise-t-il, ne concerne pas M. Gulli qui a soulevé lui-même ladite question par une lettre du 7 mai 1977, moins d’un mois après l’envoi de sa requête introductive.
La Commission jouirait sans nul doute d’un pouvoir de qualification juridique, mais uniquement pour les faits incriminés devant elle. Or à l’origine les trois intéressés ne se plaignaient, sur le terrain de l’article 6 § 1 (art. 6-1), que du transfert de leurs procès au tribunal de Potenza (paragraphe 38 ci-dessus). En s’attachant de sa propre initiative, à partir du 9 mai 1977, à contrôler le respect de leur droit à un examen de leur cause "dans un délai raisonnable" (paragraphe 39), la Commission ne se serait donc pas bornée à l’application du brocard "da mihi facta, dabo tibi jus": elle aurait outrepassé sa compétence.
43. Le Gouvernement avait déjà défendu cette thèse devant la Commission, notamment dans des observations écrites des 9 juillet 1977 et 12 janvier 1978, de sorte que nul problème de forclusion ne surgit ici (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Guzzardi précité, série A no 39, pp. 21-22, § 59).
44. Au moment où ils se sont adressés pour la première fois à la Commission, MM. Foti, Lentini et Cenerini n’ont en aucune manière affirmé, explicitement ou en substance, que les poursuites pénales intentées contre eux se prolongeaient outre mesure. Or le système international de sauvegarde instauré par la Convention fonctionne sur la base de requêtes, gouvernementales ou individuelles, alléguant des violations (articles 24 et 25) (art. 24, art. 25). Il n’habilite pas la Commission et la Cour à se saisir d’un cas dont elles auraient eu vent par une source quelconque ni même, à la faveur d’une instance engagée devant elles, à s’emparer de faits non signalés par le demandeur - État ou simple particulier - et à en vérifier la compatibilité avec la Convention.
Les organes créés par cette dernière n’en ont pas moins compétence pour apprécier au regard de l’ensemble de ses exigences les circonstances dont se plaint un requérant. Dans l’accomplissement de leur tache, il leur est notamment loisible de donner aux faits de la cause, tels qu’ils les considèrent comme établis par les divers éléments en leur possession, une qualification juridique différente de celle que leur attribue l’intéressé ou, au besoin, de les envisager sous un autre angle; de plus, il leur faut prendre en compte non seulement la requête primitive, mais aussi les écrits complémentaires destinés à la parachever en éliminant des lacunes ou obscurités initiales (voir par exemple l’arrêt Guzzardi précité, série A no 39, pp. 22-23, §§ 62-63, et l’arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, pp. 40-41, § 98, à rapprocher de la p. 34, § 79, et des pp. 39-40, §§ 96-97).
Dès l’origine, les indications fournies par MM. Foti, Lentini et, surtout, Cenerini montraient qu’il s’agissait de procédures pendantes depuis des années. Ultérieurement, ils ont tenu la Commission au courant de la marche de ces procédures, tantôt de leur propre chef (lettres des 25 août 1976, 11 octobre 1976, 20 décembre 1976, 26 décembre 1976, 4 février 1977, 16 février 1977, 24 février 1977) tantôt en réponse à ses questions (lettre du 1er avril 1977), la priant de se prononcer d’urgence sur leurs griefs. La Commission pouvait par conséquent estimer que les éléments de fait invoqués par eux posaient virtuellement un problème de "délai raisonnable", au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
Une fois les parties informées que la Commission avait résolu d’examiner le problème, les requérants ont déclaré "faire leurs" les motifs qui l’avaient amenée à le soulever d’office, et ce dans un mémoire du 18 août 1977, donc antérieur à la décision de recevabilité du 11 mai 1978 (paragraphe 39 ci-dessus). Ils ont ainsi marqué leur accord avec sa démarche et complété leur requête.
Appelée à statuer à la lumière du dossier en son état actuel, la Cour s’estime donc compétente pour trancher ledit problème.
B. Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes
45. Le Gouvernement plaide en outre le non-épuisement des voies de recours internes (article 26) (art. 26), en ordre principal dans le cas de M. Gulli et à titre subsidiaire dans ceux de MM. Foti, Lentini et Cenerini. Devant les autorités nationales, souligne-t-il en renvoyant à l’arrêt Van Oosterwijck du 6 novembre 1980 (série A no 40, pp. 15-17, §§ 30, 31 et 33), les requérants ont négligé de se fonder sur l’article 6 § 1 (art. 6-1), pourtant directement applicable en droit italien. Ils ne leur auraient pas davantage demandé d’accélérer la procédure ni, dans l’hypothèse improbable de l’échec d’une telle démarche, n’auraient essayé de mettre en cause leur responsabilité en vertu de l’article 328 du code pénal combiné avec les articles 55, 56 et 74 du code de procédure civile.
46. La Cour connaît de pareilles exceptions pour autant que l’État en cause les ait présentées d’abord à la Commission, en principe dès le stade de l’examen initial de la recevabilité, dans la mesure où leur nature et les circonstances s’y prêtaient; elle le déclare forclos si cette condition ne se trouve pas remplie (voir notamment l’arrêt Artico du 13 mai 1980, série A no 37, pp. 12-14, §§ 24 et 27, et l’arrêt Guzzardi précité, série A no 39, p. 24, § 67).
47. Or, avant la décision du 11 mai 1978 sur la recevabilité des requêtes no 76O4/76, 7719/76 et 7781/77, de MM. Foti, Lentini et Cenerini, le Gouvernement n’a pas opposé le non-épuisement des voies de recours internes aux griefs relatifs au respect du "délai raisonnable"; il savait pourtant déjà que la Commission avait résolu d’examiner ce problème. Après coup, il n’a du reste invoqué l’article 26 (art. 26) de la Convention que sous un angle différent de son optique actuelle: il a soutenu que les trois intéressés avaient saisi la Commission prématurément, car ils n’avaient pas attendu l’issue des poursuites ouvertes contre eux (mémoire complémentaire de mars 1979 et plaidoiries du 12 décembre 1979 devant la Commission).
48. Il n’en va pas exactement ainsi de M. Gulli. Avant même la décision de recevabilité du 11 mai 1978, le Gouvernement lui a reproché sinon de ne pas s’être fondé explicitement sur l’article 6 § 1 (art. 6-1) devant la justice italienne, du moins de ne s’être en aucune manière évertué à défendre ses droits auprès d’elle ("non risultando che l’interessato si sia in un qualsiasi modo attivato presso l’Autorità giudiziaria od altro organo per tutelare i diritti che si asseriscono lesi"). Cette thèse valait non seulement pour le grief relatif au transfert du procès au tribunal de Potenza, mais aussi pour l’allégation de dépassement du "délai raisonnable"; la Cour en veut pour preuve le texte italien original des observations écrites du 10 octobre 1977 nonobstant une certaine discordance avec la traduction française officielle.
Cependant, quand un État contractant se retranche derrière la règle de l’épuisement il lui incombe d’établir l’existence de recours accessibles aux intéressés et non exercés par eux (voir notamment l’arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, p. 15, § 26). Or le bref passage précité des observations du 10 octobre 1977 demeurait dans le vague; il n’énumérait point les ressources que, selon le Gouvernement, M. Gulli avait eu le tort de ne pas utiliser. La Commission n’avait pas à rechercher à quelles voies de recours il était fait allusion (arrêt Deweer précité, ibidem).
Sur le terrain non plus de la recevabilité mais du fond, et plus précisément de l’article 13 (art. 13) de la Convention, des observations ultérieures, datées du 1er mars 1978, se référaient non pas aux articles 328 du code pénal et 55, 56 et 74 du code de procédure civile, mais à l’article 298 du code de procédure pénale (obligation de surveillance pesant sur le procureur général près la cour d’appel) et aux dispositions légales en matière de prescription de l’action publique. Le Gouvernement avait déjà cité ces divers textes, plus en détail et avec quelques autres (articles 269-276 du code de procédure pénale), dans ses observations du 9 juillet 1977 sur les requêtes de MM. Foti, Lentini et Cenerini; il les avait dépeints comme des "stimulants" d’un aboutissement rapide des procédures judiciaires. Par un mémoire complémentaire de mars 1979, postérieur à la décision du 11 mai 1978 sur la recevabilité de la requête no 7913/77, puis lors des audiences du 12 décembre 1979 devant la Commission, il a prétendu que M. Gulli avait saisi cette dernière prématurément, à l’instar de MM. Foti, Lentini et Cenerini (paragraphe 47 ci-dessus).
49. C’est par son mémoire de novembre 1981 à la Cour que le Gouvernement, pour la première fois, a invoqué l’article 26 (art. 26) de la Convention de la manière indiquée au paragraphe 45 ci-dessus. Il a d’ailleurs reconnu, au paragraphe 3 de ce mémoire et pendant les débats du 21 avril 1982, la nouveauté de son exception, sans expliquer pourquoi il n’avait pas soulevé celle-ci plus tôt.
La Cour constate donc, d’accord avec le délégué de la Commission, qu’il y a forclusion dans le cas de chacun des quatre requérants.
II. SUR LE FOND
A. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 (art. 6-1)
50. La Commission exprime l’avis que les requérants ont subi une violation de leur droit à l’examen de leur cause "dans un délai raisonnable", au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
Le Gouvernement marque son désaccord avec cette opinion.
1. La durée des procédures
51. Il échet de préciser d’abord la période à prendre en considération.
a) Début des périodes à examiner
52. Pour contrôler en matière pénale le respect du "délai raisonnable" de l’article 6 § 1 (art. 6-1), il faut commencer par rechercher à partir de quand une personne se trouve "accusée"; il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement (voir par exemple l’arrêt Deweer précité, série A no 35, p. 22, § 42), celle notamment de l’arrestation, de l’inculpation ou de l’ouverture des enquêtes préliminaires (arrêts Wemhoff du 27 juin 1968, série A no 7, pp. 26-27, § 19, Neumeister de même date, série A no 8, p. 41, § 18, et Ringeisen précité, série A no 13, p. 45, § 110). Si l’"accusation", au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1), peut en général se définir "comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale", elle peut dans certains cas revêtir la forme d’autres mesures impliquant un tel reproche et entraînant elles aussi des "répercussions importantes sur la situation" du suspect (voir notamment l’arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 33, § 73).
53. La décision d’engager contre les requérants des poursuites remonte pour M. Foti au 9 octobre 1970 (procédure I), à septembre 1971 (procédure II) et au 21 mars 1973 (procédure III), pour M. Lentini à septembre 1970, pour MM. Cenerini et Gulli au 18 juillet 1970 (paragraphes 13, 16, 19, 22, 25 et 28 ci-dessus). D’après la Commission, ces dates marquent l’ouverture des procédures pénales mais les périodes à considérer ne commencent qu’avec la prise d’effet, le 1er août 1973, de la reconnaissance du droit de recours individuel par l’Italie; pour apprécier le caractère raisonnable des délais écoulés après le 31 juillet 1973, il faut toutefois tenir compte de l’état où les affaires se trouvaient alors (paragraphe 103 du rapport).
La Cour souscrit à cette thèse (voir notamment, mutatis mutandis, l’arrêt Ringeisen précité, série A no 13, pp. 41-42, § 101). Elle relève en particulier que la déclaration émise par l’Italie en vertu de l’article 25 (art. 25) vaut uniquement, selon ses propres termes, pour les actes, décisions, faits ou événements postérieurs au 31 juillet 1973.
b) Fin des périodes à examiner
54. Quant au terme des procédures en question, il n’a pas prêté à controverse.
Pour M. Foti, il s’agit des 15 février 1978 (procédure I), 25 juin 1979 (procédure II) et 7 juin 1977 (procédure III): les première et troisième dates correspondent aux jugements du tribunal de Potenza, la deuxième à l’arrêt de la Cour de cassation (paragraphes 15, 18 et 21 ci-dessus).
Pour les autres requérants, les périodes à prendre en considération se sont achevées les 18 janvier 1977 (M. Lentini), 7 juin 1978 (M. Cenerini) et 2 octobre 1978 (M. Gulli), avec les jugements du tribunal de Potenza (paragraphes 24, 27 et 30 ci-dessus).
c) Conclusion
55. La durée dont il s’agit de contrôler la compatibilité avec l’article 6 § 1 (art. 6-1) dépasse donc:
- quatre ans et six mois (1er août 1973 - 15 février 1978) pour la première procédure contre M. Foti;
- cinq ans et dix mois (1er août 1973 - 25 juin 1979) pour la deuxième;
- trois ans et dix mois (1er août 1973 - 7 juin 1977) pour la troisième;
- trois ans et cinq mois (1er août 1973 - 18 janvier 1977) dans le cas de M. Lentini;
- quatre ans et dix mois (1er août 1973 - 7 juin 1978) dans celui de M. Cenerini;
- cinq ans et deux mois (1er août 1973 - 2 octobre 1978) dans celui de M. Gulli.
2. Le caractère raisonnable de la durée des procédures
56. Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier chaque fois suivant les circonstances de la cause. En la matière, la Cour a égard, notamment, à la complexité de l’affaire, au comportement du ou des requérants et à celui des autorités judiciaires (arrêt Eckle précité, série A no 51, p. 35, § 80).
a) La complexité de l’affaire
57. Selon les requérants, les poursuites litigieuses étaient simples tant par la nature de leur objet que par celle des actes de procédure accomplis. Le Gouvernement, au contraire, affirme que l’instruction comporta de nombreuses mesures; il insiste aussi sur le climat politique qui régnait à Reggio de Calabre à l’époque des procès (paragraphe 10 ci-dessus).
58. Avec la Commission, la Cour note que les infractions reprochées aux requérants (outrage et résistance aux forces de l’ordre, détention de grenades lacrymogènes, obstruction de la voie publique, manifestation ou rassemblement séditieux) ne peuvent guère, en elles-mêmes, passer pour complexes. Commises en public et constatées sur le champ, elles ne devaient pas donner lieu à une instruction difficile. De plus, et sauf dans la deuxième affaire concernant M. Foti, elles n’ont été traitées que par un seul degré de juridiction.
Les causes des requérants n’étaient donc pas spécialement complexes et ne le sont pas devenues en cours d’instance. Quant au climat dans lequel les poursuites se sont déroulées, il ne saurait entrer en ligne de compte que pour l’examen de la conduite des autorités compétentes.
b) Le comportement des requérants
59. Des quatre requérants, seul M. Foti a usé, dans la deuxième procédure le concernant, de son droit d’interjeter appel puis de former un pourvoi en cassation (paragraphe 18 ci-dessus).
Quant à l’exception tirée par M. Cenerini de la nullité de la décision de renvoi en jugement, le tribunal de Potenza en a reconnu le bien-fondé et son incidence sur la durée du procès n’a pas dépassé cinq mois et douze jours (paragraphe 27 ci-dessus).
Dès lors, on ne saurait imputer aux requérants les retards qu’a pu subir la marche des instances.
c) Le comportement des autorités italiennes
60. Pour les requérants, les lenteurs dont ils se plaignent découlent du comportement des autorités italiennes.
61. Avant d’étudier séparément chacune des procédures litigieuses, la Cour rappelle l’ampleur des troubles dont Reggio de Calabre fut le théâtre de 1970 à 1973 (paragraphe 10 ci-dessus) et qui donnèrent à l’affaire deux caractéristiques importantes.
Premièrement, ils créèrent un climat politique et social particulier, de sorte que les juges pouvaient légitimement appréhender, en cas de condamnations précipitées ou sévères, un regain de tension et même la répétition de désordres.
Deuxièmement, ils eurent une incidence sur le fonctionnement de la justice pénale. Elle se fit surtout sentir au tribunal de Reggio, mais les juridictions de Potenza, auxquelles des affaires avaient été renvoyées, connurent aussi un encombrement exceptionnel (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Buchholz du 6 mai 1981, série A no 42, pp. 20-21, § 61).
Il y a lieu de prendre en considération ces circonstances, et notamment de ne pas tenir pour injustifiés les délais normaux résultant du transfert des procédures.
(i) M. Foti
Première procédure
62. Inculpé en septembre 1970, M. Foti fut acquitté en février 1978. Dans son rapport, la Commission reproche aux autorités de Reggio de n’avoir pas disjoint l’affaire du cas de M. Aloi, élu député, et à celles de Potenza d’avoir tardé à fixer la première audience (paragraphes 13-15 ci-dessus).
63. Sur le premier point, la Cour rappelle qu’entre la suspension de l’instruction (mai 1972) et le renvoi en jugement de M. Foti (mars 1976) s’écoulèrent environ trois ans et dix mois, dont plus de deux ans et sept mois après le 31 juillet 1973. Elle n’estime pas qu’il lui faille apprécier la conduite du juge d’instruction, c’est-à-dire le point de savoir s’il aurait du disjoindre la cause de M. Foti de celle de M. Aloi. Elle ne juge pas non plus qu’il lui appartienne de rechercher si la Chambre des députés aurait du lever plus tôt l’immunité parlementaire de M. Aloi. Dans tous les cas, c’est la responsabilité internationale de l’État qui se trouve en jeu (voir notamment, mutatis mutandis, l’arrêt Buchholz précité, série A no 42, p. 16, § 51, et l’arrêt Young, James et Webster du 13 août 1981, série A no 44, p. 20, § 49). Eu égard à l’absence de complexité de l’affaire (paragraphe 58 ci-dessus), elle se borne à constater que le délai en question n’a pas revêtu un caractère raisonnable.
64. Sur le second point (fixation de la date de l’audience), il échet de souligner qu’un an a passé entre l’ordonnance de renvoi de la Cour de cassation et la citation du requérant devant le tribunal de Potenza (20 décembre 1976 - 21 décembre 1977). Compte tenu de l’encombrement exceptionnel du rôle de ce dernier à l’époque, pareille durée ne prête pas en l’espèce le flanc à la critique (paragraphe 61 ci-dessus).
Deuxième procédure
65. Entre l’appel du ministère public contre la décision partielle de non-lieu, de novembre 1971, et son rejet par la chambre d’instruction, le 10 janvier 1976, on note un intervalle de quatre ans et deux mois dont plus de deux ans et cinq mois après le 31 juillet 1973. Le Gouvernement n’ayant fourni à ce sujet aucune explication plausible, un tel laps de temps apparaît démesuré; la Cour le relève avec la Commission.
66. En revanche, la période séparant l’ordonnance de renvoi de la Cour de cassation (11 juin 1976) et la première audience du tribunal de Potenza (1er février 1977) n’est pas excessive car ledit tribunal avait le devoir de s’assurer que l’instruction menée à Reggio suffisait aux besoins.
Troisième procédure
67. De l’inculpation de M. Foti (21 mars 1973) à la demande du procureur de la République tendant au transfert des poursuites à une autre juridiction (27 février 1976) s’est écoulé un délai de deux ans et onze mois, dont deux ans et sept mois après le 31 juillet 1973. Il ne saurait se justifier par les seuls actes de procédure mentionnés par le Gouvernement: interrogatoire de l’inculpé et des témoins, adoption de l’ordonnance de mise en liberté provisoire et appel contre cette ordonnance.
(ii) M. Lentini
68. Le renvoi en jugement de M. Lentini remonte au 18 septembre 1972. Or, la Commission le note à juste titre, aucun acte de procédure ne semble avoir été accompli jusqu’au 27 mai 1974, date à laquelle le procureur de la République de Reggio proposa au procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro de demander l’attribution de l’affaire à une juridiction distincte du tribunal de Reggio. Plus de vingt-deux mois, dont dix environ à compter du 1er août 1973, ont ainsi passé sans aucune intervention des autorités judiciaires de cette ville. Le Gouvernement n’a pas expliqué pourquoi. La Cour a conscience des raisons pour lesquelles une période d’attente pouvait sembler désirable (paragraphe 61 ci-dessus); elle estime néanmoins, en l’occurrence, que le ministère public n’avait pas de motifs de tarder à ce point.
69. Un second délai commence avec l’adoption, par la Cour de cassation, de l’ordonnance renvoyant l’affaire (16 juin 1975) et s’achève avec la tenue de la première audience devant le tribunal de Potenza (26 mai 1976). Compte tenu de l’encombrement exceptionnel du rôle de ce dernier il ne parait pas prêter à critique bien qu’il excède onze mois (paragraphe 61 ci-dessus).
(iii) M. Cenerini
70. Dans la procédure menée contre M. Cenerini, trois périodes retiennent l’attention.
71. La première s’étend du renvoi du requérant en jugement (10 octobre 1972) jusqu’à la proposition du procureur de la République visant à l’attribution de l’affaire à une autre juridiction (27 mai 1974); il dépasse dix-neuf mois, dont neuf après le 31 juillet 1973. Là aussi (paragraphe 68 ci-dessus), l’initiative du parquet se révèle tardive dès lors qu’il la justifiait par des motifs graves d’ordre public (paragraphe 26 ci-dessus), lesquels impliquent par nature une certaine urgence.
72. La deuxième période, de quinze mois environ, sépare l’ordonnance de renvoi de la Cour de cassation (17 janvier 1975) et la transmission du dossier au tribunal de Potenza (avril 1976). Le Gouvernement n’a fourni aucun élément de nature à expliquer pareil retard que la Cour juge démesuré.
73. Il n’en va pas de même du troisième laps de temps, qui correspond à la durée de la procédure suivie devant le tribunal de Potenza (avril 1976 - juin 1978): les reports successifs de l’audience se justifiaient par des raisons valables (nullité de la décision de renvoi en jugement, absence de témoins importants, changement de composition de la chambre - paragraphe 27 ci-dessus).
(iv) M. Gulli
74. Plus de vingt mois se sont écoulés entre le renvoi de M. Gulli en jugement (3 mars 1973) et la proposition du procureur de la République visant à l’attribution de l’affaire à une autre juridiction (16 novembre 1974), dont quinze mois et demi après le 31 juillet 1973. Ici encore (paragraphe 68 ci-dessus), la Cour constate un retard anormal.
75. De son coté, la transmission du dossier à la Cour de cassation a eu lieu le 15 décembre 1975, plus d’un an après les réquisitions du procureur général près la Cour d’appel de Catanzaro tendant au renvoi de l’affaire à une juridiction distincte du tribunal de Reggio (3 décembre 1974). Le Gouvernement invoque les difficultés rencontrées pour accomplir les notifications légales dans le cas de certains coïnculpés de M. Gulli (paragraphe 29 ci-dessus). Sans sous-estimer ces difficultés pour un procès de masse concernant cinquante-quatre prévenus, la Cour considère qu’elles ne sauraient priver un accusé des garanties de l’article 6 § 1 (art. 6-1), et notamment de son droit à un examen de sa cause dans un délai raisonnable.
76. Un troisième délai se révèle lui aussi injustifié. Supérieur à vingt mois, il va du dépôt des motifs de l’ordonnance de la Cour de cassation au greffe de celle-ci (12 mars 1976) à la citation de M. Gulli devant le tribunal de Potenza (2 février 1978). Le Gouvernement n’a pas essayé de l’expliquer; il n’a pas contesté que les cinquante-quatre affaires se trouvaient en état au moment de leur envoi au tribunal de Potenza.
d) Conclusion
77. En résumé, les six procédures intentées contre les requérants ont subi des retards incompatibles avec l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention.
B. Sur la violation alléguée de l’article 13 (art. 13)
78. A l’instar de la Commission (paragraphe 151 du rapport), la Cour estime superflu de se prononcer sur l’application de l’article 13 (art. 13) en l’espèce, puisque les parties n’ont pas poursuivi l’examen de ce grief et qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1).
C. Sur l’application de l’article 50 (art. 50)
79. Les conseils des requérants ont déclaré que si la Cour constatait une violation de la Convention, leurs clients réclameraient au titre de l’article 50 (art. 50) une satisfaction équitable sur la nature de laquelle ils ont fourni certaines indications de caractère général.
Le Gouvernement, lui, n’a pas arrêté sa position.
80. Quoique soulevée en vertu de l’article 47 bis du règlement, la question ne se trouve dès lors pas en état. En conséquence, la Cour doit la réserver et déterminer la procédure ultérieure, en tenant compte de l’hypothèse d’un accord entre l’État défendeur et les requérants.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette, par six voix contre une, l’exception tirée par le Gouvernement de l’"examen d’office" de la question du "délai raisonnable", au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1), dans le cas de MM. Foti, Lentini et Cenerini;
2. Déclare, à l’unanimité, le Gouvernement forclos à se prévaloir de la règle de l’épuisement des voies de recours internes;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) dans le chef des quatre requérants;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 13 (art. 13);
5. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
en conséquence,
a) la réserve en entier;
b) invite la Commission à lui présenter par écrit, dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt, ses observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout règlement auquel Gouvernement et requérants auront pu aboutir;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à son président le soin de la fixer en cas de besoin.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le dix décembre mil neuf cent quatre-vingt-deux.
Pour le Président
Rudolf BERNHARDT
Juge
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 50 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de M. le juge Pinheiro Farinha.
R. B.
M.-A. E.
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
1. Je suis d’accord avec le dispositif de l’arrêt. Néanmoins, je crois devoir donner mon interprétation de son point 1 et je m’écarte de la majorité en ce qui concerne les paragraphes 64 et 69.
2. La Cour rejette l’exception tirée par le Gouvernement de l’examen "d’office" de la question du "délai raisonnable" dans le cas de MM. Foti, Lentini et Cenerini.
La raison de ce rejet, selon moi, est que la Commission n’a pas examiné d’office la question.
En effet, "dès l’origine, les indications fournies par MM. Foti, Lentini et, surtout, Cenerini montraient qu’il s’agissait de procédures pendantes depuis des années. Ultérieurement, ils ont tenu la Commission au courant de la marche de ces procédures, tantôt de leur propre chef (...), tantot en réponse à ses questions (...), la priant de se prononcer d’urgence sur leurs griefs" (paragraphe 44 de l’arrêt).
Les requérants avaient donc exposé les faits (longueur de la procédure). Or la Commission a compétence pour rechercher, même d’office, si les faits dont elle se trouve saisie par une requête ne révèlent pas d’autres violations de la Convention que celles dénoncées par la requête (arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A no 8, p. 41, § 16). Il faut prendre en considération que les requérants ne sont pas toujours en mesure d’apprécier la portée juridique de leurs griefs. La Commission n’a pas étudié d’office la question de la longueur des procédures. Les requérants ayant indiqué cette durée, elle devait en contrôler la compatibilité avec la Convention. Si elle avait pris l’initiative d’enquêter sur ladite durée, elle se serait livrée à un examen d’office qui eut excédé sa compétence, mais cette hypothèse ne se vérifie pas en l’espèce. Pour cette raison, j’ai voté en faveur du point 1 du dispositif de l’arrêt.
3. A mon avis, un an "passé entre l’ordonnance de renvoi de la Cour de cassation et la citation du requérant Foti devant le tribunal de Potenza" (paragraphe 64 de l’arrêt) va au-delà du raisonnable.
De même, et contrairement à la conclusion figurant au paragraphe 69 de l’arrêt, je ne trouve pas raisonnable le délai entre l’adoption, par la Cour de cassation, de l’ordonnance renvoyant l’affaire Lentini 16 juin 1975) et la tenue de la première audience devant le tribunal de Potenza (26 mai 1976).
* Note du greffe: Dans le présent volume, les références au règlement de la Cour visent le règlement applicable à l'époque de l'introduction de l'instance. Il a été remplacé par un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.
AFFAIRE GOLDER c. ROYAUME-UNI
ARRÊT AIREY c. IRLANDE
ARRÊT FOTI ET AUTRES c. ITALIE
ARRÊT FOTI ET AUTRES c. ITALIE
ARRÊT FOTI ET AUTRES c. ITALIE
OPINION SEPAREE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA