COUR (PLÉNIÈRE)
AFFAIRE ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
(Requête no 8544/79)
ARRÊT
STRASBOURG
21 février 1984
En l’affaire Öztürk,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application de l’article 48 de son règlement* et composée des juges dont le nom suit:
MM. G. Wiarda, président,
R. Ryssdal,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
W. Ganshof van der Meersch,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. D. Evrigenis,
L. Liesch,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
J. Pinheiro Farinha,
E. García de Enterría,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
Sir Vincent Evans,
MM. R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 septembre 1983 et 25 janvier 1984,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne ("le Gouvernement") et la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"). A son origine se trouve une requête (no 8544/79) dirigée contre cet État et dont un ressortissant turc, M. Abdulbaki Öztürk, avait saisi la Commission le 14 février 1979 en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention").
2. Requête du Gouvernement et demande de la Commission ont été déposées au greffe dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), les 13 septembre et 15 octobre 1982 respectivement. La première renvoie à l’article 48 (art. 48); elle invite la Cour à conclure à l’absence de violation. La seconde vise à obtenir une décision sur le point de savoir s’il y a eu ou non, de la part de l’État défendeur, manquement aux obligations lui incombant aux termes de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e).
3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 1er octobre 1982, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. R. Ryssdal, M. Zekia, F. Matscher, J. Pinheiro Farinha et E. García de Enterría, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. Thór Viljhálmsson et W. Ganshof van der Meersch, juges suppléants, ont remplacé MM. Zekia et García de Enterría, empêchés (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Wiarda a recueilli, par l’intermédiaire du greffier adjoint, l’opinion de l’agent du Gouvernement, de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 19 octobre 1982, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 31 janvier 1983 pour déposer un mémoire auquel les délégués pourraient répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le leur aurait communiqué.
Après une prorogation de délai accordée au Gouvernement le 18 janvier 1983, le mémoire est parvenu au greffe le 24 février. Le 10 mars, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués présenteraient leurs propres observations lors des audiences.
5. Le 4 mai, le président a fixé au 25 la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégué de la Commission par l’intermédiaire du greffier adjoint.
6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire; elle avait autorisé l’emploi de la langue allemande par l’agent et les conseils du Gouvernement ainsi que par la personne assistant les délégués de la Commission (article 27 §§ 2 et 3 du règlement).
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
Mme I. Maier, Ministerialdirigentin
au ministère fédéral de la Justice, agent,
M. E. Göhler, Ministerialrat
au ministère fédéral de la Justice, conseiller;
- pour la Commission
M. S. Trechsel,
M. G. Sperduti, délégués,
Me N. Wingerter, conseil du requérant
devant la Commission assistant les délégués (article 29 §
1, seconde phrase, du règlement).
La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions, Mme Maier pour le Gouvernement, MM. Trechsel et Sperduti ainsi que Me Wingerter pour la Commission. Celle-ci a fourni au greffier certains documents qu’il lui avait demandés sur les instructions du président.
7. À l’issue d’une délibération qui a eu lieu le 27 mai, la Chambre a résolu, en vertu de l’article 48 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière.
Après avoir noté l’accord de l’agent du Gouvernement et l’avis, favorable, des délégués de la Commission, la Cour a décidé le 21 septembre que la procédure se poursuivrait sans réouverture des débats (article 26 du règlement).
8. Le 4 octobre, l’agent du Gouvernement a remis au greffier deux documents et sa réponse à deux questions que M. le juge Ganshof van der Meersch lui avait posées lors des audiences.
FAITS
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. M. Öztürk, ressortissant turc né en 1934, réside à Bad Rappenau-Heinsheim en République fédérale d’Allemagne.
Arrivé dans ce pays en 1964, il travaille dans l’industrie automobile. Après avoir passé l’examen nécessaire, il se vit délivrer le 7 mai 1969 un permis de conduire allemand.
En 1978, il chiffrait son revenu mensuel net à 2.000 DM environ.
10. Le 27 janvier 1978, au volant de sa voiture à Bad Wimpfen, il en percuta une autre qui se trouvait en stationnement; il causa ainsi aux deux véhicules un dommage d’environ 5.000 DM. Le propriétaire de l’automobile touchée signala l’accident à la police de Neckarsulm.
Au moyen d’un texte écrit en turc, les agents arrivés sur place informèrent le requérant, notamment, de son droit de se refuser à toute déclaration et de consulter un avocat. Il usa de ce droit, sur quoi la police transmit un procès-verbal (Verkehrs-Ordnungswidrigkeiten-Anzeige) à l’autorité administrative (Landratsamt) de Heilbronn.
11. Cette dernière, par une décision du 6 avril 1978, infligea à l’intéressé une amende (Bussgeld) de 60 DM pour avoir provoqué un accident de la route en entrant en collision avec un autre véhicule à la suite d’une conduite imprudente ("Ausserachtlassen der erforderlichen Sorgfalt im Strassenverkehr"); M. Öztürk avait à payer en outre 13 DM de droits (Gebühr) et frais (Auslagen).
La décision se fondait sur l’article 17 de la loi du 24 mai 1968 concernant les "contraventions administratives", dans sa version du 1er janvier 1975 (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten - "loi de 1968/1975", paragraphe 18 ci-dessous), l’article 24 de la loi sur la circulation routière (Strassenverkehrsgesetz) et les articles 1 § 2 et 49 § 1 no 1 du règlement relatif à la circulation routière (Strassenverkehrs-Ordnung). L’article 1 § 2 de ce règlement se lit ainsi (traduction):
"Tout usager de la route a le devoir de se comporter de manière à ne pas nuire ni faire courir de risque à autrui, à ne pas le gêner ni importuner plus qu’il n’est inévitable en l’occurrence."
D’après l’article 49 § 1 no 1 du règlement précité, quiconque enfreint l’article 1 § 2 commet une "contravention administrative" (Ordnungswidrigkeit); aux termes de l’article 24 § 2 de la loi sur la circulation routière, une telle contravention expose son auteur à une amende.
12. Le 11 avril 1978, le requérant, représenté par Me Wingerter, forma un recours (Einspruch) contre ladite décision (article 67 de la loi de 1968/1975); il précisa qu’il ne renoncerait pas à des débats publics devant le tribunal (article 72).
Le parquet (Staatsanwaltschaft) près le tribunal régional (Landgericht) de Heilbronn, auquel le dossier avait été communiqué le 5 mai, déclara six jours plus tard ne pas s’opposer à une procédure purement écrite; il ajouta qu’il ne participerait pas aux audiences (articles 69 et 75).
13. Le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Heilbronn siégea en public le 3 août 1978; il entendit M. Öztürk, qui bénéficiait de l’assistance d’un interprète, puis trois témoins. Aussitôt après, le requérant retira son recours. En conséquence, la décision de l’autorité administrative de Heilbronn, du 6 avril 1978, devint définitive (rechtskräftig).
14. Le tribunal avait délaissé à la charge de l’intéressé les frais de la procédure et ses propres frais. Le 12 septembre 1978, le greffe (Gerichtskasse) du tribunal cantonal en fixa le montant à 184 DM 70, dont 63 DM 90 pour les frais d’interprète.
15. Quant au dernier point, le requérant attaqua cet arrêté le 4 octobre (Erinnerung). Invoquant l’article 6 (art. 6) de la Convention, il se référait au rapport de la Commission, du 18 mai 1977, dans l’affaire Luedicke, Belkacem et Koç; à l’époque, celle-ci demeurait pendante devant la Cour qui rendit son arrêt au principal le 28 novembre 1978 (série A no 29).
Le tribunal cantonal débouta M. Öztürk le 25 octobre. Il souligna que l’obligation de supporter les frais d’interprète découlait des articles 464 a) du code de procédure pénale (Strafprozessordnung) et 46 de la loi de 1968/1975 (paragraphes 21 et 35 ci-dessous). Il l’estima compatible avec l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention en se fondant sur une décision de la Cour d’appel de Cologne, de 1975. Selon le tribunal, l’avis précité de la Commission ne changeait en rien cette situation car, à la différence d’un arrêt de la Cour, il ne liait pas les États.
16. Selon les indications non contestées fournies par le Gouvernement, les frais judiciaires, y compris ceux d’interprète, furent réglés par une compagnie d’assurances avec laquelle l’intéressé avait souscrit un contrat.
II. LA LÉGISLATION PERTINENTE
A. La loi de 1968/1975
17. La loi de 1968/1975 vise à faire sortir du droit pénal les infractions légères, considérées auparavant comme infractions pénales. Il s’agit notamment des contraventions à la loi sur la circulation routière. Dans son ancienne version, l’article 21 de celle-ci les frappait de peines d’amende (Geldstrafe) ou d’emprisonnement (Haft). L’article 3 no 6 de la loi du 24 mai 1968 (Einführungsgesetz zum Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) les qualifia d’ "Ordnungswidrigkeiten" et ne les réprima désormais qu’au moyen d’amendes regardées par le législateur comme non pénales (Geldbussen).
La loi de 1968/1975 a eu deux précurseurs en République fédérale: la loi du 25 mars 1952 sur les "contraventions administratives" (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) et, pour une part, celle du 26 juillet 1949 sur les infractions économiques (Wirtschaftsstrafgesetz).
1. Dispositions générales
18. L’article 1 § 1 de la loi de 1968/1975 définit la "contravention administrative" (Ordnungswidrigkeit) comme un acte illégal (rechtswidrig) et répréhensible (vorwerfbar), enfreignant une disposition légale qui en rend l’auteur passible d’une amende (Geldbusse). Celle-ci ne peut être inférieure à 5 DM ni, en règle générale, supérieure à 1.000 DM (article 17 § 1). Son montant est fixé dans chaque cas en fonction de l’importance de la contravention, du manquement reproché à l’auteur et, sauf pour les contraventions mineures (geringfügig), de la situation économique de ce dernier (article 17 § 3).
Si l’acte constitue à la fois une "contravention administrative" et une infraction pénale, seule entre en jeu la loi pénale; il peut cependant être réprimé en tant que "contravention administrative" si aucun prononcé de peine (Strafe) n’a lieu (article 21).
2. Les autorités de poursuite
19. Le traitement des Ordnungswidrigkeiten relève de l’autorité administrative (Verwaltungsbehörde) désignée par la loi, sauf dans la mesure où la loi de 1968/1975 en confie la poursuite au parquet et la répression au tribunal (articles 35 et 36). Si le parquet se trouve saisi au pénal, il peut également poursuivre le même acte comme "contravention administrative" (article 40).
20. Lorsque des indices donnent à penser qu’il y a infraction pénale, l’autorité administrative renvoie l’affaire au parquet; il lui retourne le dossier s’il n’ouvre pas de poursuites (article 41). En cas de "contravention administrative" connexe à une infraction pénale pour laquelle le parquet a engagé des poursuites, celui-ci peut les étendre à la contravention aussi longtemps que l’autorité administrative n’a pas fixé l’amende (article 42).
La décision, par le parquet, de poursuivre ou non un acte comme infraction pénale lie l’autorité administrative (article 44).
3. La procédure en général
21. Sous réserve des exceptions prévues par la loi de 1968/1975, les dispositions de droit commun régissant la procédure pénale, en particulier le code de procédure pénale, le code judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz) et la loi sur les juridictions pour enfants (Jugendgerichtsgesetz), s’appliquent par analogie (sinngemäss) à la procédure relative aux "contraventions administratives" (article 46 § 1). L’autorité de poursuite (paragraphe 19 ci-dessus) a les mêmes droits et obligations que le parquet en matière pénale à moins que la loi de 1968/1975 elle-même n’en décide autrement (article 46 § 2). Néanmoins, certaines mesures licites au pénal ne peuvent être ordonnées dans le domaine desdites contraventions, notamment l’arrestation, la garde à vue (vorläufige Festnahme) et la saisie d’envois postaux ou de télégrammes (article 46 § 3). La prise de sang et d’autres ingérences mineures, au sens de l’article 81 a) § 1 du code de procédure pénale, restent possibles.
22. La poursuite d’une telle contravention ressortit au pouvoir discrétionnaire (pflichtgemässes Ermessen) de l’autorité compétente, laquelle peut y mettre fin tant que l’affaire demeure pendante devant elle (article 47 § 1).
Une fois le tribunal saisi (paragraphes 27-28 ci-dessous), toute décision de clôture relève de lui; elle requiert l’accord du parquet et revêt un caractère définitif (article 47 § 2).
23. Dans la phase judiciaire (éventuelle) de la procédure, (paragraphes 28-30 ci-dessous), l’article 46 § 7 de la loi de 1968/1975 confie le soin de statuer à des sections (Abteilungen) des tribunaux cantonaux ainsi qu’à des chambres (Kammern; Senate) des cours d’appel (Oberlandesgerichte) et de la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof).
4. La procédure préliminaire
24. La recherche (Erforschung) des "contraventions administratives" incombe aux autorités de police. Elles jouissent en la matière d’un pouvoir discrétionnaire (pflichtgemässes Ermessen); pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose autrement, elles ont les mêmes droits et obligations qu’au pénal (article 53 § 1).
25. Avant toute décision, l’intéressé (Betroffener) doit avoir l’occasion de se prononcer devant l’autorité compétente sur le reproche qu’on lui adresse (article 55).
Dans le cas d’une contravention mineure (geringfügig), l’autorité administrative peut lui donner un avertissement (Verwarnung) et exiger de lui le versement d’une amende de mise en garde (Verwarnungsgeld) qui sauf exception prévue dans la loi applicable, se situe entre 2 et 20 DM (article 56 § 1). Toutefois, une telle sanction ne vaut que s’il l’a acceptée et s’il paie l’amende immédiatement ou dans le délai d’une semaine (article 56 § 2).
26. L’autorité administrative, dans la procédure qui se déroule devant elle, désigne au besoin à l’intéressé un avocat d’office (article 60).
Les mesures prises par elle jusqu’à ce stade peuvent en principe être attaquées devant les tribunaux (article 62).
5. La décision administrative infligeant une amende
27. Pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose pas autrement - comme dans le cas où l’affaire se règle par le versement d’une amende de mise en garde -, la contravention est réprimée par une décision administrative infligeant une amende (Bussgeldbescheid; article 65).
L’intéressé peut exercer un recours (Einspruch) dans un délai d’une semaine (article 67). A moins de retirer sa décision, l’autorité administrative communique le dossier au parquet qui le soumet au juge cantonal compétent (articles 69 § 1 et 68) et qui assume le rôle d’autorité de poursuite (article 69 § 2).
6. La phase judiciaire (éventuelle) de la procédure
28. Aux termes de l’article 71, si le tribunal estime le recours recevable (article 70) il l’examine, sauf indication contraire de la loi de 1968/1975, conformément aux règles applicables en cas d’"Einspruch" contre une ordonnance pénale (Strafbefehl): en principe, il tient des audiences et rend un jugement (Urteil) qui peut prononcer une sanction plus lourde (article 411 du code de procédure pénale).
Toutefois, le tribunal peut statuer par ordonnance (Beschluss) si des débats ne lui paraissent pas nécessaires et en l’absence d’objections du parquet ou de l’intéressé (article 72 § 1). En pareil cas, il peut notamment acquitter celui-ci, fixer une amende ou arrêter les poursuites, mais non aggraver la sanction (article 72 § 2).
29. L’intéressé a la faculté de comparaître en personne mais n’y est pas tenu, sauf si le tribunal l’y a invité (article 73 §§ 1 et 2); il peut se faire représenter par un défenseur (article 73 § 4).
Le ministère public peut assister aux débats; si le tribunal estime appropriée la venue d’un magistrat du parquet, il en avise ce dernier (article 75 § 1).
Le tribunal offre à l’autorité administrative l’occasion d’indiquer les éléments qui, d’après elle, importent pour la décision à rendre; il lui accorde la parole lorsqu’elle le souhaite (article 76 § 1).
30. Sous certaines conditions, l’article 79 ouvre un recours de droit (Rechtsbeschwerde) contre le jugement ou contre l’ordonnance prise en vertu de l’article 72. Pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose pas autrement, la juridiction compétente statue en se conformant, par analogie, aux prescriptions du code de procédure pénale relatives à la cassation (Revision).
7. Procédure administrative et procédure pénale
31. La qualification de "contravention administrative" donnée à l’acte par l’autorité administrative ne lie pas le tribunal appelé à connaître du recours (Einspruch); il ne peut cependant appliquer la loi pénale que si l’intéressé a été averti du changement et mis à même de se défendre (article 81 § 1). Cette condition une fois remplie, d’office ou à la demande du parquet, l’intéressé a le statut de prévenu (Angeklagter, article 81 § 2) et la procédure ultérieure échappe à l’empire de la loi de 1968/1975 (article 81 § 3).
8. Exécution des décisions infligeant une amende
32. Une décision infligeant une amende est exécutoire dès qu’elle revêt un caractère définitif (articles 89 et 84). Quand elle émane de l’autorité administrative, son exécution obéit, selon le cas, à la loi fédérale ou à celle d’un Land sur l’exécution en matière administrative (Verwaltungs- Vollstreckungsgesetze), à moins que la loi de 1968/1975 ne prévoie le contraire (article 90 § 1). Dans le cas d’une décision judiciaire s’appliquent, entre autres, certaines dispositions pertinentes du code de procédure pénale (article 91).
33. Si, sans avoir démontré (dargetan) son insolvabilité, l’intéressé n’a pas payé l’amende dans le délai voulu, le tribunal peut, à la requête de l’autorité administrative ou, dans l’hypothèse d’une amende infligée par décision judiciaire, d’office, ordonner la contrainte par corps (Erzwingungshaft - article 96 § 1). La détention qui en résulte ne remplace pas le paiement de l’amende à la manière de l’Ersatzfreiheitsstrafe en droit pénal: elle vise à y forcer l’intéressé. Sa durée ne doit pas dépasser six semaines pour une seule amende et trois mois pour plusieurs (article 96 § 3); son exécution se règle d’après, notamment, le code de procédure pénale (article 97).
9. Frais d’interprète et autres
34. Quant aux frais de la procédure administrative, l’autorité compétente applique par analogie certaines des clauses du code de procédure pénale (article 105).
35. Aux termes de l’article 109, l’intéressé supporte les frais de la procédure judiciaire s’il retire son "Einspruch" ou si le tribunal compétent rejette ce dernier.
Lesdits frais se composent des dépenses du Trésor public et des droits à lui verser (article 464 a), § 1, première phrase, du code de procédure pénale). Leur liste figure dans la loi sur les frais de justice (Gerichtskostengesetz), laquelle renvoie entre autres à la loi sur l’indemnisation des témoins et experts (Gesetz über die Entschädigung von Zeugen und Sachverständigen); d’après l’article 17 § 2 de cette dernière, "les interprètes sont indemnisés au même titre que les experts".
Les frais d’interprète (Dolmetscherkosten) font ainsi partie des frais de la procédure judiciaire. Toutefois, en ce qui concerne la procédure pénale - et elle seule - le législateur allemand a modifié l’annexe (Kostenverzeichnis) à la loi sur les frais de justice à la suite de l’arrêt Luedicke, Belkacem et Koç du 28 novembre 1978 (paragraphe 15 ci-dessus; voir aussi la résolution DH (83) 4 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, du 23 mars 1983). Selon le no 1904 de cette annexe, il n’y a plus lieu de prélever "les sommes revenant aux interprètes et traducteurs engagés dans une procédure pénale pour traduire, à l’intention d’un inculpé muet, sourd ou ne connaissant pas la langue allemande, les déclarations ou pièces qu’il lui faut connaître pour sa défense" (loi du 18 août 1980).
36. Aux termes de l’article 109 de la loi de 1968/1975, la question du paiement des frais de procédure, dont les frais d’interprète, ne se pose qu’une fois le retrait ou rejet du recours devenu définitif; l’intéressé ne peut jamais être appelé à payer une avance sur les frais dont il s’agit.
B. Les amendes en matière de circulation routière
37. La loi sur la circulation routière, le règlement relatif à la circulation routière et celui qui a trait au droit de conduire (Strassenverkehrs-Zulassungs-Ordnung) énumèrent des "contraventions administratives" punissables d’amende (article 24 de la loi sur la circulation routière).
Dans le cas d’une "contravention administrative" commise en violation grossière (grob) et persistante (beharrlich) des obligations de conducteur, l’autorité administrative ou, s’il y a eu recours, le tribunal peuvent priver en même temps celui-ci de son permis (Fahrverbot) pour une période d’un à trois mois (article 25 de la loi sur la circulation routière). D’après le Gouvernement, en 1982 pareille mesure a été prise dans 0,5 % des cas.
38. Les Länder ont adopté de concert des dispositions (Verwaltungsvorschriften) instituant un catalogue uniforme d’amendes pour les diverses contraventions de ce genre (Bussgeldkatalog); juridiquement, elles lient les autorités administratives habilitées à prononcer des amendes, mais non les tribunaux.
L’article 26 a) de la loi sur la circulation routière, inséré dans celle-ci le 28 décembre 1982 et non encore suivi d’effet, prévoit que le ministre des transports édictera de telles dispositions avec l’accord du Bundesrat et sous forme de décret (Rechtsverordnung).
39. Aux termes de l’article 28 de la même loi, une amende pour contravention aux règles de la circulation routière peut figurer sur un registre central de la circulation (Verkehrszentralregister) dans des cas donnés, si elle dépasse un certain niveau (39 DM à l’époque des faits de la cause, 79 DM depuis le 1er juillet 1982); en revanche, elle ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire (Bundeszentral- register). L’inscription doit être effacée après deux ans au maximum, à moins qu’il n’y en ait eu de nouvelles entre temps (article 29).
Seules certaines autorités ont accès audit registre, notamment aux fins de poursuites pénales ou de poursuites pour "contravention administrative" en matière de circulation routière (article 30).
40. Selon les indications non contestées du Gouvernement, la loi de 1968/1975 joue en pratique un rôle particulièrement important dans le domaine de la circulation routière; ainsi, 90 % des amendes infligées en 1982 avaient trait à des contraventions routières.
On compterait chaque année, en République fédérale d’Allemagne, de 4.700.000 à 5.200.000 décisions prononçant une amende (Geldbusse) et 15.500.000 à 16.000.000 avertissements assortis d’amendes (Verwarnungsgelder). D’après les statistiques des Länder sur les infractions dont il s’agit, en 1982 le pourcentage des amendes supérieures à 200 et 500 DM n’aurait atteint que 1,5 et 0,1 respectivement, contre 10,8 pour celles de 101 à 200 DM, 39,4 pour celles de 41 à 100 DM et 48,2 pour celles de 40 DM ou moins.
43,4 % des infractions routières consisteraient en contraventions aux interdictions d’arrêt et de stationnement, environ 17,1 % en excès de vitesse, 6,5 % en non-respect de signaux lumineux et 5,9 % en dépassements illicites. Les autres totaliseraient moins de 4 % par catégorie; celles que vise l’article 1 § 2 du règlement relatif à la circulation routière, appliqué dans le cas du requérant (paragraphe 11 ci-dessus), se situeraient autour de 2,8 %.
41. Nonobstant l’absence de statistiques à cet égard, le Gouvernement estime que 10 % à 13 % des quelque cinq millions d’amendes imposées chaque année concernent des étrangers. Sur les 4.670.000 étrangers vivant en République fédérale, environ 2.000.000 posséderaient une automobile.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
42. Dans sa requête du 14 février 1979 à la Commission (no 8544/79), M. Öztürk reprochait au tribunal cantonal de Heilbronn d’avoir mis à sa charge les frais d’interprète; il invoquait l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention.
43. La Commission a retenu la requête le 15 décembre 1981.
Dans son rapport du 12 mai 1982 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle exprime, par huit voix contre quatre, l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e).
Le rapport comprend deux opinions dissidentes.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
44. À l’issue des audiences du 25 mai 1983, le Gouvernement a invité la Cour "à constater que la République fédérale d’Allemagne n’a pas violé la Convention".
EN DROIT
45. Aux termes de l’article 6 (art. 6) de la Convention,
"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience."
D’après le requérant, le tribunal cantonal de Heilbronn a méconnu l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) en mettant à sa charge les frais causés par le recours aux services d’un interprète lors de l’audience du 3 août 1978.
I. SUR L’APPLICABILITE DE L’ARTICLE 6 § 3 e) (art. 6-3-e)
46. Selon le Gouvernement, l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) ne s’applique pas en l’espèce car le requérant ne se trouvait pas "accusé" d’une "infraction pénale". D’après la législation de 1968/1975, qui a "décriminalisé" les petites infractions, notamment dans le domaine de la circulation routière, les faits reprochés à M. Öztürk constituaient une simple "contravention administrative" (Ordnungswidrigkeit). Or pareille contravention se distinguerait de l’infraction pénale tant par la procédure prescrite pour la poursuivre et réprimer que par ses caractéristiques et conséquences juridiques.
Le requérant conteste le bien-fondé de cette thèse. La Commission n’y souscrit pas davantage: pour elle, l’infraction dont l’intéressé avait à répondre relève bien de la "matière pénale" au sens de l’article 6 (art. 6).
47. L’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) ne vaut que pour un "accusé". Il ressort de sa version anglaise ("charged with a criminal offence") et du paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1) ("accusation en matière pénale") - texte de base dont les paragraphes 2 et 3 (art. 6-2, art. 6-3) représentent des applications particulières (arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, p. 30, § 56) - que l’"accusation" visée au paragraphe 3 e) (art. 6-3-e) doit porter sur une "infraction pénale" (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Adolf du 26 mars 1982, série A no 49, p. 15, § 30).
D’après le droit allemand, le manquement commis par M. Öztürk ne s’analysait pas en une infraction pénale (Straftat) mais en une "contravention administrative" (Ordnungswidrigkeit). La question se pose de savoir si cette qualification est décisive au regard de la Convention.
48. La Cour a rencontré un problème analogue dans l’affaire Engel et autres, mentionnée d’ailleurs par les comparants. A la vérité, celle-ci concernait des sanctions infligées à des appelés du contingent et considérées comme disciplinaires par la législation néerlandaise; dans son arrêt, rendu le 8 juin 1976, la Cour a pris soin de préciser qu’elle se limitait au domaine du service militaire (série A no 22, p. 34, § 82). Elle n’en estime pas moins que les principes se dégageant dudit arrêt (ibidem, pp. 33-35, §§ 80-82) entrent aussi en ligne de compte, mutatis mutandis, dans la présente affaire.
49. La Convention n’empêche pas les Etats, dans l’accomplissement de leur rôle de gardiens de l’intérêt public, d’établir ou maintenir une distinction entre différents types d’infractions définis par le droit interne et d’en fixer le tracé, mais il ne s’ensuit pas que la qualification ainsi adoptée soit déterminante aux fins de la Convention.
Le législateur qui soustrait certains comportements à la catégorie des infractions pénales du droit interne peut servir à la fois l’intérêt de l’individu (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Engel et autres précité, ibidem, p. 33, § 80) et les impératifs d’une bonne administration de la justice, notamment dans la mesure où il décharge les autorités judiciaires de la poursuite et de la répression de manquements, nombreux mais de peu d’importance, à des règles de la circulation routière. La Convention ne va pas à l’encontre des tendances à la "décriminalisation" existant - sous des formes fort diverses - dans les États membres du Conseil de l’Europe; le Gouvernement a raison d’y insister. Toutefois, si les États contractants pouvaient à leur guise, en qualifiant une infraction d’"administrative" plutôt que de pénale, écarter le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7), l’application de celles-ci se trouverait subordonnée à leur volonté souveraine. Une latitude aussi étendue risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention.
50. Ayant ainsi réaffirmé l’"autonomie" de la notion de "matière pénale" telle que la conçoit l’article 6 (art. 6), la Cour doit rechercher si la "contravention administrative" commise par le requérant relève ou non de ladite "matière". A cette fin, elle retient les critères adoptés dans son arrêt Engel précité (ibidem, pp. 34-35, § 82): il importe d’abord de savoir si le texte définissant l’infraction en cause ressortit ou non au droit pénal d’après la technique juridique de l’État défendeur; il y a lieu d’examiner ensuite, eu égard à l’objet et au but de l’article 6 (art. 6), au sens ordinaire de ses termes et au droit des États contractants, la nature de l’infraction ainsi que la nature et le degré de gravité de la sanction que risquait de subir l’intéressé.
51. En droit allemand, le fait reproché à M. Öztürk - méconnaissance de l’article 1 § 2 du règlement relatif à la circulation routière - revêtait le caractère d’une "contravention administrative" (article 49 § 1 no 1 dudit règlement). Il tombait sous le coup non du droit pénal, mais de l’article 17 de l’Ordnungswidrigkeitengesetz et de l’article 24 § 2 de la loi sur la circulation routière (paragraphe 11 ci-dessus). La législation de 1968/1975 marque une étape importante dans le processus de "décriminalisation" des infractions légères en République fédérale. Si la doctrine allemande ne semble pas unanime à considérer que le droit des "contraventions administratives" n’appartient plus en réalité au droit pénal, les travaux préparatoires de la loi de 1968/1975 n’en confirment pas moins clairement que cette dernière a soustrait à la loi pénale les infractions dont il s’agit (Deutscher Bundestag, Drucksache V/1269 et, parmi d’autres, l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 juillet 1969, Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, vol. 27, pp. 18-36).
Si donc la Cour accepte sur ce point l’argumentation du Gouvernement, elle n’oublie pas pour autant qu’il n’existe pas de cloison étanche entre le droit pénal allemand et le droit des "contraventions administratives", notamment en cas de connexité (paragraphe 20 ci-dessus); elle ne perd pas non plus de vue que les dispositions du droit commun régissant la procédure pénale s’appliquent par analogie à la procédure engagée pour une telle infraction (paragraphe 21 ci-dessus) et en particulier à sa phase judiciaire éventuelle.
52. De toute manière, les indications que fournit le droit interne de l’État défendeur n’ont qu’une valeur relative. Le deuxième des critères énoncés plus haut - la nature même de l’infraction, considérée aussi en rapport avec celle de la sanction correspondante - représente un élément d’appréciation de plus grand poids.
D’après la Commission - sauf cinq de ses membres - et M. Öztürk, l’infraction accomplie par celui-ci était pénale par nature.
Pour le Gouvernement au contraire, elle se rangeait à n’en pas douter parmi les manquements de peu d’importance dont on compterait environ cinq millions chaque année en République fédérale et qui constitueraient un aliud par rapport aux infractions pénales. Par son droit pénal, la société s’efforcerait de protéger ses fondements mêmes ainsi que les droits et intérêts essentiels pour la vie de la collectivité. Le droit des Ordnungswidrigkeiten, lui, chercherait surtout à maintenir l’ordre. En règle générale et en tout cas en l’espèce, les "contraventions administratives" ne témoigneraient pas d’une indignité propre à valoir à leur auteur le jugement défavorable (Unwerturteil) qui caractériserait la peine (Strafe). La différence existant entre elles et les infractions pénales se manifesterait dans le domaine de la procédure comme sur le terrain des sanctions et autres conséquences juridiques.
Tout d’abord, en soustrayant lesdites contraventions à la loi pénale le législateur allemand aurait instauré, pour leur poursuite et leur répression, une procédure simplifiée se déroulant devant des autorités administratives sauf recours ultérieur à un tribunal. La procédure organisée par la loi de 1968/1975 se distinguerait sur bien des points de la procédure pénale quoique les lois générales régissant cette dernière s’y appliquent en principe par analogie. Par exemple, la poursuite des Ordnungswidrigkeiten ressortirait au pouvoir discrétionnaire des autorités compétentes et la loi de 1968/1975 limiterait grandement la possibilité de restreindre la liberté personnelle de l’individu au stade de l’instruction (paragraphes 21, 22 et 24 ci-dessus).
En second lieu, à l’amende pénale (Geldstrafe) et à l’emprisonnement le législateur aurait substitué une simple amende administrative (Geldbusse, paragraphe 17 ci-dessus). Contrairement à la première, la seconde ne pourrait être remplacée par une détention (Ersatzfreiheitsstrafe); il ne pourrait y avoir contrainte par corps (Erzwingungshaft) que si l’assujetti ne paie pas la somme exigée, sans pour autant avoir démontré son insolvabilité (paragraphe 33 ci-dessus). En outre, la "contravention administrative" ne figurerait pas au casier judiciaire mais uniquement, le cas échéant, au registre central de la circulation (paragraphe 39 ci-dessus).
L’oeuvre réalisée en 1968/1975 refléterait ainsi le souci de "décriminaliser" les infractions légères dans l’intérêt de l’individu, qui n’aurait plus à répondre de son acte sur le plan pénal et pourrait même éviter toute procédure judiciaire, mais aussi du bon fonctionnement des tribunaux, désormais déchargés en principe de la répression de la grande majorité d’entre elles.
53. La Cour ne sous-estime pas la valeur de cette thèse. Elle admet que la législation dont il s’agit marque une étape importante dans l’histoire de la réforme du droit pénal allemand et que les innovations introduites en 1968/1975 ne se ramènent pas à un pur changement d’appellation.
Elle constate cependant, tout d’abord, que selon le sens ordinaire des termes relèvent en général du droit pénal les infractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistent d’habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes.
D’autre part, un manquement du genre de celui de M. Öztürk continue à ressortir au droit pénal dans une large majorité des États contractants, comme en République fédérale jusqu’à l’entrée en vigueur de la législation de 1968/1975: considéré comme illégal et répréhensible, il y est sanctionné par des peines.
Au surplus, les modifications résultant de ladite législation portent pour l’essentiel sur la procédure et sur la gamme des sanctions, dorénavant limitée à la Geldbusse. Si cette dernière paraît à certains égards moins afflictive que la Geldstrafe, elle n’en a pas moins conservé le caractère punitif par lequel se distinguent d’habitude les sanctions pénales. Quant à la règle de droit transgressée par le requérant, elle n’a subi aucun changement de contenu. Elle ne s’adresse pas à un groupe déterminé à statut particulier - à la manière, par exemple, du droit disciplinaire -, mais à tous les citoyens en leur qualité d’usagers de la route; elle leur prescrit un certain comportement et assortit cette exigence d’une sanction punitive. Celle-ci, et le Gouvernement ne le conteste pas, cherche à dissuader en même temps qu’à réprimer. Il importe peu de savoir si la disposition légale méconnue par M. Öztürk vise à protéger les droits et intérêts d’autrui ou seulement à satisfaire aux exigences de la circulation. Ces deux finalités ne s’excluent point mutuellement; surtout, le caractère général de la norme et le but, à la fois préventif et répressif, de la sanction suffisent à établir, au regard de l’article 6 (art. 6) de la Convention, la nature pénale de l’infraction litigieuse.
Sans doute s’agissait-il d’une infraction légère ne risquant guère de nuire à la réputation de son auteur, mais elle ne sortait pas pour autant du champ d’application de l’article 6 (art. 6). Rien ne donne en effet à penser que l’infraction pénale (criminal offence), au sens de la Convention, implique nécessairement un certain degré de gravité. A cet égard, nombre d’États contractants distinguent aujourd’hui encore, comme la République fédérale le faisait à l’époque de l’ouverture de la Convention à la signature des gouvernements, entre crimes, délits et contraventions tout en les qualifiant les uns et les autres d’infractions pénales. En outre, il serait contraire à l’objet et au but de l’article 6 (art. 6), qui garantit aux "accusés" le droit à un tribunal et à un procès équitable, de permettre à l’État de soustraire à l’empire de ce texte toute une catégorie d’infractions pour peu qu’il les juge légères. La République fédérale ne prive du reste pas de ce droit les auteurs présumés d’Ordnungswidrigkeiten puisqu’elle leur accorde la possibilité - dont le requérant a usé - de recourir devant un tribunal contre la décision administrative.
54. Comme le manquement commis par M. Öztürk revêtait un caractère pénal au regard de l’article 6 (art. 6) de la Convention, il ne s’impose pas de l’examiner de surcroît sous l’angle du dernier des critères énoncés plus haut (paragraphe 50 ci-dessus). La faiblesse relative de l’enjeu (paragraphe 18 ci-dessus) ne saurait retirer à une infraction son caractère pénal intrinsèque.
55. Le Gouvernement semble considérer de surcroît que l’intéressé n’avait pas la qualité d’"accusé" parce que la loi de 1968/1975 ne connaît aucune "inculpation" (Beschuldigung) et n’emploie pas les termes "inculpé" (Angeschuldigter) ni "accusé" (Angeklagter). Sur ce point, la Cour se borne à renvoyer à sa jurisprudence constante: au sens de l’article 6 (art. 6), l’"accusation" peut en général se définir "comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale", encore qu’elle puisse dans certains cas prendre "la forme d’autres mesures impliquant un tel reproche et entraînant elles aussi des répercussions importantes sur la situation du suspect" (voir, en dernier lieu, l’arrêt Foti et autres du 10 décembre 1982, série A no 56, p. 18, § 52, et l’arrêt Corigliano de même date, série A no 57, p. 13, § 34). En l’occurrence, le requérant se trouvait "accusé" au plus tard depuis le début du mois d’avril 1978, lorsque lui fut communiquée la décision de l’autorité administrative de Heilbronn (paragraphe 11 ci-dessus).
56. L’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) s’appliquait donc en l’espèce. Il n’en résulte point, la Cour tient à le préciser, que le système adopté en la matière par le législateur allemand soit en cause dans son principe. Eu égard au grand nombre des infractions légères, notamment dans le domaine de la circulation routière, un État contractant peut avoir de bons motifs de décharger ses juridictions du soin de les poursuivre et de les réprimer. Confier cette tâche, pour de telles infractions, à des autorités administratives ne se heurte pas à la Convention pour autant que l’intéressé puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de l’article 6 (art. 6) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Deweer précité, série A no 35, p. 25, § 49, et l’arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A no 43, p. 23, premier alinéa).
II. SUR L’OBSERVATION DE L’ARTICLE 6 § 3 e) (art. 6-3-e)
57. Se fondant sur l’arrêt Luedicke, Belkacem et Koç du 28 novembre 1978 (paragraphes 15 et 35 ci-dessus), le requérant estime contraire à l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) la décision par laquelle le tribunal cantonal de Heilbronn lui a fait supporter les frais occasionnés par le recours aux services d’un interprète à l’audience du 3 août 1978.
La Commission se prononce dans le même sens. Le Gouvernement, lui, plaide l’absence de violation, mais il concentre ses arguments sur le problème de l’applicabilité de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e), sans discuter la manière dont la Cour a interprété cette disposition en 1978.
58. A la lumière de l’arrêt précité, la Cour constate que la décision incriminée du tribunal cantonal de Heilbronn a enfreint la Convention: "le droit protégé par l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) comporte, pour quiconque ne parle ou ne comprend pas la langue employée à l’audience, le droit d’être assisté gratuitement d’un interprète sans pouvoir se voir réclamer après coup le paiement des frais résultant de cette assistance" (série A no 29, p. 19, § 46).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
59. A l’audience du 25 mai 1983, le conseil du requérant a sollicité pour son client, à titre de satisfaction équitable, le remboursement des 63 DM 90 de frais d’interprète et le versement des frais d’avocat engagés devant les organes de la Convention; sur le montant de ces frais, il a déclaré s’en remettre à l’appréciation de la Cour.
L’agent du Gouvernement n’a pas estimé devoir s’exprimer sur la demande dans l’immédiat; il a signalé qu’il consentirait, le cas échéant, à une simple procédure écrite.
60. La Cour considère que la question ne se trouve pas encore en état et qu’il y a donc lieu de la réserver (article 50 § 3 du règlement). Elle délègue à son président le soin de fixer la procédure ultérieure.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par treize voix contre cinq, que l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention s’appliquait en l’espèce;
2. Dit, par douze voix contre six, qu’il y a eu violation de cet article (art. 6-3-e);
3. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 50 (art. 50) ne se trouve pas en état;
en conséquence,
a) la réserve en entier;
b) délègue à son président le soin de fixer la procédure ultérieure.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le vingt-et-un février mil neuf cent quatre-vingt-quatre.
Gérard WIARDA
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 50 § 2 du règlement, l’exposé des opinions dissidentes suivantes:
- opinion de M. Thór Vilhjálmsson;
- opinion de Mme D. Bindschedler-Robert;
- opinion de M. L. Liesch;
- opinion de M. F. Matscher;
- opinion de M. J. Pinheiro Farinha;
- opinion de M. R. Bernhardt.
G.W.
M.-A. E.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
(Traduction)
Comme la majorité de la Cour l’explique dans son arrêt, l’infraction aux règles de circulation routière commise par M. Öztürk, requérant, aurait été qualifiée d’infraction pénale en République fédérale d’Allemagne avant la promulgation de la loi sur les "contraventions administratives" ("loi de 1968/1975"), qui a "dépénalisé" cette faute ainsi que de nombreuses autres infractions légères. Partant de là, j’estime nécessaire d’examiner l’étendue des changements introduits par la loi de 1968/1975. S’ils se révélaient limités, cela tendrait à étayer la conclusion que le requérant pouvait prétendre à la protection du droit énoncé à l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention.
L’amende (Geldbusse) infligée au requérant l’a été par une autorité administrative (Landratsamt), ce que, semble-t-il, l’ancien système n’aurait pas permis. Le requérant forma une sorte de recours ou d’opposition (Einspruch), de sorte que son affaire fut portée devant le tribunal cantonal (Amtsgericht) après communication du dossier au parquet qui assuma les fonctions d’autorité de poursuite. Lorsqu’il comparut devant le tribunal cantonal, il bénéficia de l’assistance d’un interprète.
Pour autant que je puisse en juger, les deux organes qui connurent de l’affaire, à savoir le parquet et le tribunal cantonal, furent ceux-là mêmes qui auraient été compétents selon l’ancien système, à l’époque où l’affaire aurait été qualifiée de pénale. Les règles de procédure appliquées par le tribunal cantonal furent en substance identiques à celles en vigueur auparavant, bien que formellement parlant il s’agît des règles de procédure pénale appliquées par analogie.
Ces considérations montrent, selon moi, que le régime juridique des infractions légères sous l’empire de la loi de 1968/1975 ne constitue pas une complète innovation procédurale, mais se rattache étroitement au système antérieur pour les affaires pénales. En soi ce fait milite avec quelque force en faveur de l’applicabilité de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention en l’espèce et donc d’une violation de cette disposition. On doit cependant le mettre en balance avec d’autres arguments. Quant à ces derniers, je me réfère à l’opinion dissidente de M. le juge Bernhardt, à laquelle je souscris pour l’essentiel. Mon appréciation d’ensemble des arguments en cause m’amène à conclure que l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention ne s’applique pas en l’espèce et que, partant, il n’y a pas eu violation. Mon vote traduit cette conception.
OPINION DISSIDENTE DE Mme BINDSCHEDLER-ROBERT, JUGE
C’est à juste titre que la Cour, dans la présente affaire, a admis que les principes dégagés dans l’affaire Engel (série A no 22) à propos d’infractions disciplinaires étaient également applicables aux infractions administratives. Il appartient en effet à la Cour de "s’assurer (...) que le disciplinaire" - ici: l’administratif - "n’empiète pas indûment sur le pénal", autrement dit de s’assurer que la qualification par l’État de l’infraction comme étant de nature administrative et non pénale n’est pas abusive au regard de l’article 6 (art. 6).
Je ne peux en revanche me rallier à l’analyse que fait la Cour de la nature de l’infraction; les éléments qu’elle retient - "le caractère général de la norme" et "le but à la fois préventif et répressif de la sanction" - sont trop généraux par eux-mêmes. La Cour se prive ainsi de la possibilité d’accepter la notion même de dépénalisation. Elle méconnaît du reste la portée réelle de la dépénalisation opérée par la loi allemande en estimant qu’il s’agit d’un "simple changement de qualification juridique", donc d’un simple changement d’étiquette. Or l’examen des différentes dispositions des lois allemandes entrant en considération montre qu’il y a une modification profonde dans les conditions de la poursuite et les conditions de la condamnation en matière d’Ordnungswidrigkeiten; les sanctions en particulier - car cet aspect est lié à celui de la nature de l’infraction - apparaissent non seulement comme plus légères, mais comme ayant des caractéristiques différentes des sanctions du droit pénal.
Cela m’amène à admettre que la qualification des Ordnungswidrigkeiten comme ne rentrant pas dans la matière pénale n’a rien d’abusif et que par conséquent l’article 6 (art. 6) ne trouve pas à s’appliquer. Du reste, j’estime raisonnable de considérer que les garanties très détaillées de l’article 6 (art. 6) n’ont pas été conçues en vue de s’appliquer à propos d’infractions de caractère bénin, n’entraînant pas la condamnation morale qui s’attache aux infractions pénales: il en est d’autant plus ainsi qu’il y a dans les conditions actuelles un intérêt évident, aussi bien pour l’individu lui-même que pour le fonctionnement général de la justice, à décriminaliser ou dépénaliser de telles infractions.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE LIESCH
1. "Si les États contractants pouvaient à leur guise qualifier une infraction de disciplinaire plutôt que de pénale, ou poursuivre l’auteur d’une infraction mixte sur le plan disciplinaire de préférence à la voie pénale, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7) se trouverait subordonné à leur volonté souveraine. Une latitude aussi étendue risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec le but et l’objet de la Convention. La Cour a donc compétence pour s’assurer, sur le terrain de l’article 6 (art. 6) (...), que le disciplinaire n’empiète pas indûment sur le pénal." (arrêt Engel, série A no 22, p. 34, § 81)
En partant de cet énoncé de principe, consacrant l’autonomie de la notion de "matière pénale", la Cour a précisé les critères susceptibles de circonscrire le concept de "matière pénale", à savoir la technique juridique, la nature de l’infraction et le degré de sévérité de la sanction.
2. Mais en dehors de ces éléments d’appréciation il paraît nécessaire de prendre en considération l’aspect de l’intérêt social, du besoin d’intimidation.
3. L’infraction peut être définie comme étant une action ou inaction prévue par la loi et punie par elle comme contraire à la justice et en même temps à l’utilité sociale.
4. L’injustice ou l’immoralité de l’acte et l’intérêt social à le réprimer étant deux conditions indispensables pour constituer un délit pénal, il est compréhensible que le législateur n’édicte pas de peines contre certains faits très immoraux, en raison du peu d’intérêt social à la répression, ou qu’à l’inverse, dominé par cet intérêt social, il ait atteint des faits d’une immoralité douteuse.
5. Ainsi l’inceste, l’adultère du mari, le suicide ou du moins la tentative, le blasphème, la débauche (prostitution), ne tombent pas, généralement, sous l’application de la loi pénale. De même, à l’inverse, certains faits sont réprimés par la loi pénale, quoique ne dénotant qu’une légère immoralité et même n’en supposant aucune.
6. Par la loi du 2 janvier 1975 sur les Ordnungswidrigkeiten le législateur allemand, soucieux d’humaniser la législation à caractère répressif, a cessé d’incriminer certains faits en les soustrayant délibérément au domaine pénal (comp. §§ 21, 40, 41 et 81 de loi). En effet la pléthore de sanctions pénales - au sens étroit du mot - risquait d’enlever tout effet à cette mesure coercitive.
7. Se présentant il est vrai sous les apparences d’une procédure "pénale" assortie des garanties adéquates contre l’arbitraire, "l’infraction" administrative (Ordnungswidrigkeit), sous différents aspects fondamentaux, n’entre désormais plus dans l’orbite de la matière pénale.
8. Ainsi la sanction dite Geldbusse ne figure pas au casier judiciaire; son effet n’est plus stigmatisant et le rejet social résultant notamment de la sanction est inexistant.
L’aggravation des peines en droit commun découlant de la récidive n’est pas prévue.
La contrainte par corps en cas de non-paiement de l’amende administrative n’est pas exécutée selon les règles de droit commun. Elle n’est pas le succédané impératif d’une amende non acquittée. Loin d’avoir le caractère d’une peine au sens pénal, c’est-à-dire d’une mesure sanctionnant un fait répressif, elle n’est que simplement contraignante, sans effet réprobateur ou humiliant.
Le droit de poursuite n’appartient pas au ministère public, mais à l’administration procédant suivant le principe de l’opportunité des poursuites, inapplicable, en principe, en droit pénal allemand § 47 de la loi).
9. La gravité de "l’infraction" est insignifiante; la sanction (Geldbusse), non assortie d’emprisonnement et comparable à un simple avertissement, se range encore derrière celles prévues dans la législation de certains États contractants pour les contraventions à caractère peu afflictif. En un mot, elle ne s’impose pas comme une peine pour défendre un système de valeurs fondamentales établi dans une société démocratique.
Dès lors il paraît disproportionné et sans nécessité, pour mettre en oeuvre le mécanisme de la Convention, de faire appel à la notion de "droit pénal" comme droit sanctionnateur d’un rappel à l’ordre, lequel n’est pas ressenti par l’homme comme une mesure affectant sa liberté, sa conscience ou autrement son identité dans l’un de ses attributs fondamentaux.
10. Tenant compte de la nature des réactions sociales, le législateur allemand a ainsi délimité nettement les frontières de la répression en disqualifiant ces types de comportement antisociaux ou simplement déviants.
Sans procéder à sa guise, il n’a pas méconnu la marge d’appréciation ni dépassé le degré de nécessité qui s’attache aux restrictions dont la Convention prévoit le principe.
Les Ordnungswidrigkeiten, comprises dans un sens restrictif, apparaissent alors comme marginalisées, voir exclues du champ d’application de l’article 6 (art. 6) de la Convention.
11. L’arrêt, en dépit des particularités significatives de cette institution juridique, semble faire passer à tout prix "l’infraction" dans la catégorie de "délit pénal", dans l’unique souci de faire jouer les garanties procédurales de la Convention.
Que l’État défendeur reconnaisse aux "accusés" le droit à un tribunal et à un procès équitable ne doit cependant pas être considéré comme un indice que les Ordnungswidrigkeiten rentrent dans l’orbite du droit pénal.
La nature juridique du droit pénal ne découle pas de la possibilité d’un recours devant une juridiction.
12. Un droit subjectif, fût-il fondé sur une norme juridique, n’est pas nécessairement constitutif de libertés fondamentales, indispensables à l’homme pour sa meilleure existence possible.
Aussi le régime de la protection des libertés fondamentales ne se justifie-t-il que dans la mesure où, à travers la liberté considérée, entre le titulaire de celle-ci et la puissance publique s’établit un rapport de force inégalitaire nécessitant, au regard des données sociologiques, la garantie de la Convention. En l’espèce, ce déséquilibre fait défaut.
13. Une dernière remarque. Dans certains États membres des mesures de substitution remplacent parfois la condamnation à une peine; alors la question se pose de savoir, si au regard du présent arrêt, ce genre de "sanctions" "conserve (malgré tout) son caractère punitif § 53 de l’arrêt) et peut encore s’insérer dans le concept de "délit pénal".
En effet, d’aucuns considèrent par exemple les travaux dans l’intérêt de la communauté comme un remboursement d’une partie de la dette envers la société plutôt que comme une peine, la prestation communautaire étant ressentie comme un acte de solidarité, utile à autrui, se différenciant nettement de toute peine traditionnelle du droit pénal.
Dans ce cas, pour reprendre l’argumentation de la Cour, "la règle de droit transgressée (...) [ne subit] aucun changement de contenu. (...) elle (...) prescrit aussi un certain comportement et assortit cette exigence d’une sanction punitive" (§ 53). L’article 6 (art. 6) de la Convention devrait donc être observé.
Or, souvent ces mesures de substitution impliquent une décision de ne pas engager de poursuites pénales ou judiciaires officielles. Bien que le délinquant puisse être contraint à réparation, aucun de ces substituts, en général, ne comporte une condamnation à une peine.
Ce raisonnement vaut a fortiori dès lors que le juge national, dans certains États membres, rend une décision de sursis au prononcé. L’un des critères envisagés, la sanction, est défaillant.
14. Quelle devra être la solution lorsqu’un État membre a recours à une forme de procédure qui se traduit par l’imposition d’une sanction pécuniaire à un délinquant hors de l’enceinte d’un tribunal?
Sans doute, ces procédures tout comme celle, analogue, consistant à disqualifier des infractions pour leur enlever les stigmates d’une condamnation, ou à déjudiciariser certaines parties du droit pénal, s’inscrivent-elles dans une même politique criminelle, dont le but est précisément d’appliquer des types de traitement se situant en dehors du droit pénal et, partant, au-delà du champ d’application de la Convention.
La disqualification des infractions est donc, à mes yeux, le reflet d’un courant humanisant du droit pénal qui, tout en sauvegardant la substance de la Convention, replace celle-ci dans son contexte originel, sans pour autant esquiver le contrôle de la Cour (arrêt Engel).
15. Pour toutes ces raisons, j’estime que l’État défendeur ayant eu recours à la procédure dite des amendes administratives n’a pas violé les dispositions de l’article 6 (art. 6) de la Convention.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MATSCHER
A. L’interprétation autonome
1. Je ne crois pas que les auteurs de la Convention, en forgeant le texte de l’article 6 (art. 6), aient été conscients des problèmes d’interprétation que soulèverait cette disposition et des développements qu’elle prendrait au cours des décennies suivantes. D’ailleurs, en parlant de "contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil" et de "toute accusation en matière pénale", ils ne semblent avoir songé qu’à ce qui, d’après les conceptions dominantes à l’époque, entrait dans les notions de "droit civil" (ou privé) et de "droit pénal" et dont la connaissance était attribuée en principe aux juridictions de droit commun. En effet, les garanties procédurales que la Convention prévoit à l’article 6 (art. 6) sont typiquement celles dont on assortit les affaires qui, eu égard à leur importance pour l’individu et pour la société, sont confiées aux tribunaux.
2. A juste titre, les organes de la Convention, après une période initiale de tâtonnement, sont allées au-delà de la conception formelle des notions de "droit civil" et de "droit pénal" pour se fonder sur une conception plutôt matérielle. En même temps, ils se sont orientés de plus en plus vers une interprétation autonome de ces notions. Il va sans dire que l’interprétation autonome est la méthode adéquate aux conventions multilatérales, en particulier de celles à caractère normatif, comme la Convention européenne des Droits de l’Homme. Néanmoins, le recours à cette méthode d’interprétation soulève des problèmes d’herméneutique juridique bien plus complexes qu’on ne pourrait le penser de prime abord. Ils concernent avant tout la "valeur" à attribuer au droit de l’État en cause et aux systèmes juridiques des autres États contractants, pour dégager - en tenant compte de l’objet et du but de la Convention - une conception commune, qui serait sous-jacente aux notions insérées dans celle-ci.
Par exemple, le présent arrêt paraît fonder sa qualification de la notion de "matière pénale" (dans laquelle il veut inclure les contraventions administratives du droit de la République fédérale d’Allemagne), entre autres, sur les résultats d’un examen des législations respectives des Etats contractants (§ 50, in fine). Or un examen attentif des données du droit comparé montrerait qu’il n’existe pas aujourd’hui de "dénominateur commun" dans le sens envisagé par l’arrêt: dans le droit de la République fédérale d’Allemagne - État en cause - les contraventions administratives (Ordnungswidrigkeiten) sortent clairement du droit pénal; il en va de même du droit autrichien (Verwaltungsstraftaten); le droit français, le droit néerlandais (et, peut-être, aussi le droit d’autres pays européens), s’apprêtent à s’engager dans une voie analogue. D’après moi, l’interprétation autonome demanderait des recherches comparatives bien plus approfondies que celles qui, à ce sujet, ont été entreprises jusqu’à présent par les organes de la Convention (j’ai mentionné brièvement le problème méthodologique de l’interprétation autonome dans mon opinion séparée jointe à l’arrêt König, série A no 22, p. 46; voir aussi Schlosser dans Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrensrechts 1981, pp. 154 et s).
D’autre part, je me demande si le but et l’objet de la Convention, qui sont à la base de l’interprétation autonome, commandent la jouissance de la garantie procédurale prévue à l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) pour une affaire comme la présente (en l’espèce, les autres garanties de l’article 6 (art. 6) n’étaient pas en cause), ce qui seul rendrait légitime la qualification de cette affaire comme "pénale" selon "l’objet et le but de la Convention". A cet égard non plus, l’arrêt ne nous offre pas une motivation convaincante qui pourrait soutenir ses conclusions.
B. La notion d’accusation en matière pénale et les contraventions administratives
1. En s’appuyant sur l’arrêt Engel, le présent arrêt a retenu trois critères pour la qualification d’une infraction comme ressortissant au droit pénal: la technique juridique de l’État concerné, la nature de l’infraction et le degré de gravité de la sanction prévue. Je souscris à cette démarche, mais regrette de ne pouvoir partager entièrement les conséquences que l’on tire de ces critères en l’espèce.
L’application du premier critère est incontestée au niveau des organes de la Convention; je n’ai donc rien à y ajouter.
Mon dissentiment porte essentiellement sur celle du deuxième critère et sur le fait que le troisième n’a pas été examiné (ce qui, d’ailleurs, est cohérent d’après l’économie de l’arrêt).
2. C’est toujours une tâche extrêmement délicate que de juger d’une institution juridique d’après sa "nature" et d’après "le sens ordinaire des termes" employés pour la décrire (même si l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités a retenu ce dernier critère parmi les premiers pour dégager le sens d’une expression ambiguë d’un traité international).
Par exemple, j’éprouve des doutes sur le bien-fondé de certains arguments à l’aide desquels le présent arrêt (§ 53) cherche à expliquer le caractère pénal d’une infraction (l’effet dissuasif de la peine qu’elle comporte), d’une sanction (le caractère punifif) et d’une règle de droit (elle prescrirait un certain comportement et assortirait cette exigence d’une sanction punitive; en outre, elle s’adresserait à la généralité des citoyens). En effet, tous ces critères valent également, par exemple, pour les infractions à l’ordre de l’audience ainsi que pour les sanctions dont elles sont assorties selon les règles de procédure. Néanmoins, leur caractère non pénal au sens de l’article 6 (art. 6) de la Convention paraît évident (voir aussi Europäische Grundrechte- Zeitschrift 1982, p. 159). Ces arguments sont donc, en soi, insuffisants pour qualifier de pénale au sens de l’article 6 (art. 6) une infraction, une sanction ou une règle de droit.
Même si, pour arriver à la qualification autonome d’une notion insérée dans une convention internationale, il faut se détacher de la qualification formelle que l’institution en cause reçoit dans la législation d’un Etat contractant déterminé, et en analyser la substance, ce détachement ne doit jamais être trop poussé, sans quoi on risque d’arriver à une qualification abstraite, peut-être philosophique, mais dénuée de fondement juridique. Avant tout, la substance d’une institution juridique est fonction des effets juridiques dont elle s’entoure d’après la législation pertinente.
Or, c’est exactement dans ce processus d’analyse de la substance des contraventions administratives que l’arrêt ne tient pas assez compte de la législation pertinente - en l’espèce la législation allemande - et, dans la mesure où il le fait, il n’en apprécie pas correctement la portée.
3. Le mot "décriminalisation" ou "dépénalisation" a plusieurs significations. Seule entre ici en ligne de compte celle qui a trait au fait de soustraire une infraction au domaine pénal et de la classer dans un autre domaine de droit, en l’espèce le droit administratif. En ce sens, la décriminalisation correspond à une tendance très répandue dans les législations européennes et d’ailleurs encouragée par le Conseil de l’Europe lui-même. Ce n’est pas ici le lieu de la décrire dans son ensemble; cela n’est pas non plus nécessaire pour expliquer les raisons de cette opinion dissidente. Je me borne pourtant à constater que la décriminalisation est bien autre chose qu’un simple changement d’étiquette: l’évolution de la situation et des conceptions de vie sociale ainsi que des conditions techniques et économiques conduit les États à réévaluer les éléments constitutifs d’infractions pénales; ainsi, certaines infractions de moindre importance et, d’autre part, très nombreuses dans la vie moderne, sont soustraites au domaine pénal et classées dans le domaine du droit administratif. Il en découle des conséquences importantes qui, d’après moi, obligent à conclure à une nature différente de l’infraction elle-même: l’appréciation morale a changé, c’est-à-dire que l’infraction administrative n’est plus assortie du blâme propre aux infractions pénales; la condamnation n’est pas inscrite au casier judiciaire; une aggravation de la sanction en cas de récidive, elle aussi propre au droit pénal, n’est pas prévue non plus pour les infractions administratives; les moyens d’instruction sont limités, notamment en ce qu’ils ne peuvent comporter aucune des ingérences dans la liberté de la personne propres à la procédure pénale (ni la garde à vue, ni la détention préventive ni l’interception des communications ne peuvent être ordonnées). Foncièrement différentes sont aussi les sanctions: toute peine privative de liberté est exclue; pour l’essentiel, les peines possibles sont l’avertissement (Verwarnung), l’amende de mise en garde (Verwarnungsgeld) et l’amende administrative (Geldbusse). Cette dernière diffère elle aussi de l’amende pénale (Geldstrafe) en ce sens qu’en cas d’insolvabilité démontrée par l’intéressée, elle n’est ni exigée, ni remplacée par une détention. A cela il faut ajouter, en matière d’infractions au code de la route, la suspension ou le retrait du permis de conduire, mesure qui peut, mais ne doit pas nécessairement revêtir le caractère d’une sanction. Un autre aspect ne doit pas être négligé: tandis que pour les infractions pénales le délai de prescription varie entre trois et trente ans, pour les contraventions administratives il ne dépasse jamais trois ans: il varie entre six mois et trois ans; en l’occurrence, s’agissant d’une infraction au code de la route, il était de six mois (dans le même sens pour l’essentiel, voir l’étude bien documentée de Vogler dans Europäische Grundrechte-Zeitschrift 1979, pp. 645 et s.).
On ne saurait objecter à ce raisonnement qu’il s’agit là de simples différences "quantitatives" concernant les effets juridiques des infractions pénales et des contraventions administratives: il est acquis que la "quantité" peut se convertir en "qualité"; cela vaut notamment dans le domaine du droit.
Je me résume: les différences de conception auxquelles obéissent, selon le droit de la République fédérale d’Allemagne, les infractions pénales et les contraventions administratives, et surtout les différences relatives aux effets juridiques (effets de fond et de procédure) propres aux unes et aux autres, touchent à la substance même de ces dernières. L’arrêt ne semble pas l’avoir bien saisi lorsqu’il déclare que les différences en question portent pour l’essentiel sur la procédure et sur la gamme des sanctions (§ 53): si les contraventions administratives suivent une procédure différente et sont assorties aussi d’autres sanctions, c’est précisément en raison de leur nature qui diffère de celle des infractions pénales.
La constatation précédente ne perd pas sa valeur du fait que certains liens subsistent entre les contraventions administratives et les infractions pénales. Ces divers liens, décrits abondamment dans le présent arrêt, ne portent pas sur l’essentiel: ils concernent principalement la procédure, c’est-à-dire des aspects surtout formels qui, d’après la jurisprudence constante de la Cour, ne doivent pas être déterminants pour qualifier la "nature" d’une institution juridique. D’ailleurs, l’application subsidiaire et par analogie de certaines règles de procédure (en l’espèce, celle des règles de la procédure pénale aux contraventions administratives, ce que souligne l’arrêt) ne permet pas, en soi, des conclusions quant à la nature juridique d’une matière déterminée; on pourrait citer, à cet égard, de nombreux exemples tirés du droit comparé. Ces liens ne sont donc pas aptes à effacer les différences fondamentales qui existent en droit allemand entre les contraventions administratives et les infractions pénales. Il s’ensuit que, par leur nature, les contraventions administratives en général, et celles au code de la route en particulier - les seules qui entrent en ligne de compte dans la présente affaire - ne doivent pas être considérées comme relevant de la matière pénale au sens de la Convention.
4. La conclusion différente à laquelle est parvenu l’arrêt quant à la nature des contraventions administratives a dispensé la Cour de les examiner sous l’angle du troisième critère, relatif à la sévérité de la sanction dont elles sont assorties. Il faut pourtant observer que là aussi il existe des différences profondes entre les sanctions pénales et les sanctions administratives (voir le paragraphe précédent). En l’espèce, s’agissant d’une infraction mineure au code de la route, le requérant risquait une amende administrative pouvant aller, théoriquement, jusqu’à un maximum de 1.000 DM. En réalité, l’amende prononcée contre lui se montait à 60 DM et il est pratiquement exclu que, sur son recours, le tribunal cantonal aurait pu lui en infliger une de plus de 200 DM. Tout cela est bien au-dessous du niveau de gravité qui, à juste titre, avait conduit la Cour à conclure au caractère pénal de certaines peines disciplinaires qui se trouvaient au centre de l’affaire Engel.
C. Conclusions
1. Les observations qui précèdent m’ont amené à conclure que les contraventions au code de la route, selon le droit de la République fédérale d’Allemagne - les seules qui soient en cause dans la présente affaire - restent en dehors de la matière pénale au sens de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention.
A mon avis, il n’existe pas non plus en l’espèce des motifs de politique juridique qui, à la faveur d’une interprétation téléologique de la disposition en question, puissent militer pour une conclusion différente. En effet, je ne crois pas que la gratuité, générale ou abstraite, de l’assistance d’un interprète dans une affaire de contravention administrative d’importance minime pour l’individu, et sans égard à ses ressources financières, présente un intérêt digne de protection. D’ailleurs, rendre l’article 6 (art. 6) applicable aux affaires de ce genre impliquerait nécessairement aussi le droit à un "jugement ... rendu publiquement". Je pense plutôt que la prise en compte de toutes les conséquences d’une applicabilité de l’article 6 (art. 6) à la présente affaire devrait montrer que l’arrêt conduit sur un terrain très éloigné de ce qu’on entend par "droits de l’homme et libertés fondamentales", les seuls dont les organes de la Convention aient à assurer le respect.
2. Il semble pourtant que le présent arrêt repose sur un raisonnement différent: d’une part, la crainte que par le transfert de certaines infractions, même importantes, du domaine pénal au domaine administratif, les États ne puissent se dérober aux garanties procédurales que la Convention prévoit pour les affaires pénales; d’autre part, le souci que même pour les contraventions administratives mineures certaines garanties procédurales fondamentales risquent de manquer.
Tout en comprenant l’idée sous-jacente à ce raisonnement, je ne puis m’y associer. L’appréhension n’est pas seulement plus théorique que réelle - en procédant à la décriminalisation, les États poursuivent des buts entièrement conformes à la Convention -: elle n’est pas non plus fondée. En outre, et au besoin, les organes de la Convention gardent un droit de contrôle suffisamment large en suivant la jurisprudence inaugurée par l’arrêt Engel.
Le souci auquel j’ai fait allusion auparavant a plus de poids. Toutefois, il tire son origine du caractère incomplet et défectueux de la Convention en ce qui concerne les garanties procédurales. Ici, la situation est analogue à celle qui règne dans d’autres domaines (les affaires administratives-civiles, les affaires disciplinaires) où l’individu a, sans nul doute, besoin de certaines garanties procédurales, mais pas nécessairement de toutes celles que l’article 6 (art. 6) prévoit pour les matières civiles et les matières pénales.
Comme je l’ai souligné à maintes reprises, il incomberait aux États européens de prévoir - moyennant un protocole additionnel à la Convention - des garanties procédurales adéquates aussi pour ces matières, d’ailleurs toujours plus importantes dans la société d’aujourd’hui. Une interprétation démesurément large de la notion du "pénal" et du "civil", visant à étendre les garanties de l’article 6 (art. 6) à des matières pour lesquelles elles n’ont pas été conçues, ne constitue pas, à mes yeux, un remède approprié.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
1. Je suis d’avis que l’État a le pouvoir de transférer certains actes de la matière pénale à la matière administrative. Il faut, cependant, qu’en cas de contestation par l’intéressé, l’affaire aille devant un tribunal.
2. Nonobstant, en l’espèce, M. Öztürk a retiré son recours et accepté l’amende administrative (paragraphe 13 de l’arrêt).
La renonciation au recours et l’acceptation de l’amende administrative écartent l’article 6 (art. 6) et pour cette raison je conclus à la non-violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE BERNHARDT
(Traduction)
Bien que d’importance mineure en elle-même, l’affaire soulève des questions fondamentales pour l’interprétation et l’application correctes de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ne partageant pas les vues exprimées dans l’arrêt par la majorité de la Cour, je me sens contraint d’expliquer les miennes dans cette opinion dissidente.
Selon une jurisprudence désormais bien établie de la Cour, trois critères revêtent ou peuvent revêtir de l’importance lorsqu’il s’agit de savoir si une personne se trouve "accusée d’une infraction" au sens de l’article 6 § 3 (art. 6-3) de la Convention: la qualification d’un acte ou d’une omission dans le système juridique de l’État en cause, "la nature de l’infraction" ainsi que "la nature et le degré de gravité de la sanction" (paragraphe 50 de l’arrêt, qui adopte le raisonnement suivi dans l’affaire Engel). J’accepte ce point de départ, mais aboutis à des conclusions différentes dès lors qu’il faut appliquer et évaluer ces critères.
1. Sans conteste, la loi de 1968/1975 sur les "contraventions administratives" a opéré une "dépénalisation" de diverses infractions légères en les soustrayant au code pénal et en créant un système qui les rend punissables d’amendes infligées par des autorités administratives. La décision administrative n’est définitive que si l’intéressé ne saisit pas un tribunal; exclure complètement une décision judiciaire serait incompatible avec le système constitutionnel allemand.
Pareille "dépénalisation" implique des postulats de base sur le domaine propre au droit pénal, de même que toute une série de considérations d’ordre pratique. L’un de ses buts fondamentaux consiste à améliorer la situation de l’individu en éliminant tout jugement moral et les inconvénients habituellement liés à la procédure pénale. En même temps, les juridictions répressives ne sont plus surchargées par le traitement d’un grand nombre - aujourd’hui des millions - d’infractions légères; cela correspond à l’intérêt de l’État et de la société ainsi que de l’efficacité du système judiciaire.
Les implications et conséquences pratiques du nouveau système se trouvent décrites dans l’arrêt; point n’est besoin de les répéter ici en détail. A l’autorité administrative revient le soin d’infliger l’amende; les tribunaux ne rendent la décision finale que si l’auteur de l’infraction forme un recours; ils peuvent annuler l’amende, en diminuer ou - sous certaines conditions - en élever le montant. Ce sont les juridictions pénales ordinaires qui ont compétence (si l’auteur de l’infraction fait appel) pour connaître de ces infractions légères, et elles appliquent par analogie une grande partie du code de procédure pénale; une telle situation s’explique manifestement par des raisons pratiques, car quels autres tribunaux seraient mieux à même d’apprécier les sanctions que méritent les contraventions? Dans les affaires vraiment pénales, les mêmes juridictions peuvent prononcer des peines d’emprisonnement, tandis que la loi sur les "contraventions administratives" ne les y autorise pas; la contrainte par corps n’est possible que si l’intéressé n’a ni payé l’amende ni démontré son insolvabilité.
Nul n’a jamais contesté que ce système vise bien à établir une distinction entre, d’une part, les questions et accusations pénales et, de l’autre, les "contraventions administratives". Le système allemand cadre avec les tendances modernes observées en maints pays; la "dépénalisation" constitue aussi, sous ses divers aspects, l’un des thèmes de débat au sein du Conseil de l’Europe.
2. J’admets, avec l’arrêt et la jurisprudence bien établie de la Cour, que la manière dont le droit national qualifie certaines notions et procédures ne peut être déterminante. L’autonomie de la Convention et de ses dispositions exclut toute qualification unilatérale non sujette à contrôle. Il n’en résulte pourtant pas que la qualification nationale soit dénuée d’importance. Nous nous trouvons face à une tâche difficile et délicate: tracer la limite entre la qualification par le système juridique national et la marge nationale d’appréciation, d’une part, et l’autonomie des dispositions de la Convention, de l’autre.
A cet égard, on doit d’abord dire ceci: la crainte que la "dépénalisation", au sens examiné ici, ne puisse entraîner l’inapplicabilité de l’article 6 (art. 6) de la Convention dans presque tous les cas relevant de lui à l’heure actuelle manque de tout fondement. Il s’agit uniquement de savoir si l’on peut retirer certaines infractions légères du domaine propre au droit pénal et aux accusations en matière pénale, sous la seule réserve du contrôle ultime des organes de la Convention.
Que l’on ait autrefois considéré certains actes ou omissions comme "pénaux", notamment à l’époque de la rédaction et de l’entrée en vigueur de la Convention, ne saurait non plus être décisif. Pour de bonnes raisons et à de nombreuses reprises, la Cour a accepté et pratiqué une interprétation évolutive de la Convention, tenant compte des développements intervenus dans la société et l’opinion publique. Dans l’affaire Dudgeon, elle a jugé qu’un comportement sexuel, auparavant punissable selon le droit pénal de tous les États, ne pouvait plus passer pour pénal et punissable dans un environnement social donné. Les mutations sociales et les conceptions changeantes de l’ordre public, on doit aussi y avoir égard dans d’autres domaines d’intérêt similaire. La Cour et la Commission doivent se montrer attentives à de tels développements.
Enfin, le fait que certains actes ou omissions restent considérés comme pénaux dans quelques États et non dans d’autres ne peut pas davantage être déterminant. De par leur essence même, la "marge d’appréciation" et le droit limité de qualification unilatérale que possèdent les États impliquent des différences auxquelles il faut avoir égard aussi pour l’application de la Convention.
Ainsi, le véritable problème réside à mes yeux en ceci: la "dépénalisation" en cause constitue-t-elle un exercice légitime du pouvoir national de qualification et correspond-elle à l’objet et au but de l’article 6 (art. 6) de la Convention? Je réponds par l’affirmative. On ne peut guère estimer injustifiées ou cachées les raisons qui ont poussé à écarter certaines infractions légères de l’empire du droit pénal et à prévoir pour elles des sanctions et des procédures spéciales. Et peut-on vraiment dire que l’objet et le but de l’article 6 (art. 6) de la Convention exigent, pour des infractions légères aux règles de la circulation routière et d’autres manquements analogues sans gravité, les mêmes garanties (y compris l’assistance gratuite d’un interprète) que celles indispensables dans les affaires véritablement pénales? Je ne le crois pas.
Par ces motifs, "la nature de l’infraction" en cause - deuxième critère de l’existence d’une accusation en matière pénale - n’exclut ni ne remplace la qualification nationale; elle ne justifie pas de conclure à l’applicabilité et à la violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) de la Convention.
3. À n’en pas douter, "le degré de sévérité de la sanction" fut minime en l’espèce; il n’altère pas les conclusions précédentes.
* Note du greffier: Il s'agit du règlement applicable lors de l'introduction de l'instance. Un nouveau texte entré en vigueur le 1er janvier 1983 l'a remplacé, mais seulement pour les affaires portées devant la Cour après cette date.
AFFAIRE GOLDER c. ROYAUME-UNI
ARRÊT AIREY c. IRLANDE
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE Mme BINDSCHEDLER-ROBERT, JUGE
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE LIESCH
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE LIESCH
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MATSCHER
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE MATSCHER
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE BERNHARDT
ARRÊT ÖZTÜRK c. ALLEMAGNE
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE BERNHARDT