La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 5 mars 1986 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI J.A. FROWEIN G. JORUNDSSON S. TRECHSEL B. KIERNAN A.S. GOZUBUYUK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission;
Vu l'article 25 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (art. 25);
Vu la requête introduite le 1er octobre 1984 par S.G. contre le Luxembourg et enregistrée le 24 avril 1985 sous le N° de dossier 11502/85;
Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, ressortissant français, né en 1946, commerçant, est domicilié à Bordeaux. Devant la Commission il est représenté par Maître Kolinsky du barreau de Bruxelles.
La requête se dirige contre l'arrêté d'expulsion du Grand Duché du Luxembourg dont il a fait l'objet en 1983.
2. Le 18 mars 1983 la chambre correctionnelle du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg reconnut le requérant coupable de différents chefs de prévention portés à sa charge, notamment de séquestration illégale, proxénétisme, invitation à la prostitution et tenue d'une maison de débauche, et le condamna à deux ans d'emprisonnement ainsi qu'à une amende de 150.000 FL et à la confiscation de 225.000 FL.
Aucun appel n'a été interjeté contre ce jugement, car - relève le requérant - la détention était presque achevée lorsque le recours aurait pu être introduit.
3. Par arrêté du 16 mai 1983, le Ministre de la Justice expulsa le requérant du territoire du Grand Duché.
4. Estimant que la décision d'expulsion prise à son encontre était incompatible avec l'article 3 de la directive No 64/221 du Conseil de la Communauté européenne du 25 février 1964, le requérant déposa recours le 19 août 1983 auprès du Conseil d'Etat.
5. Par arrêt du 5 juillet 1984, le Conseil d'Etat rejeta le recours.
Cette juridiction s'est référée, dans ses attendus, à la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes en matière d'expulsion de personnes relevant du droit communautaire (1). --------------- (1) Par son arrêt du 27 octobre 1977 en cause Bouchereau, la Cour a dit que "l'article 3, par. 2, de la directive No 64/221, selon lequel la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver les restrictions à la libre circulation que l'article 48 du Traité autorise pour des motifs d'ordre public et de sécurité publique, doit être interprété en ce sens que l'existence de condamnations pénales ne peut être retenue que dans la mesure où les circonstances qui ont donné lieu à ces condamnations font apparaître l'existence d'un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l'ordre public. En tant qu'il peut justifier certaines restrictions à la libre circulation des personnes relevant du droit communautaire, le recours par une autorité nationale à la notion de l'ordre public suppose, en tout cas, l'existence, en dehors du trouble pour l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, d'une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société". ---------------
Elle s'est ensuite exprimée ainsi : "Considérant que les faits de séquestration illégale, de proxénétisme, d'incitation à la prostitution, et la tenue d'une maison de débauche, retenus à charge du requérant, sont d'une gravité évidente dénotant un comportement personnel antisocial de sorte que le ministre de la Justice a pu à bon droit et en accord avec la jurisprudence communautaire précitée, juger que la présence dans le pays d'un tel individu constituait une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société nationale et prendre une décision d'expulsion légalement motivée, cela d'autant plus que le requérant s'était vu, dès 1981 refuser sa demande en obtention d'une carte d'identité d'étranger".
6. Le requérant, qui demande l'annulation de l'arrêté d'expulsion et l'autorisation de pouvoir séjourner au Luxembourg, soutient que la décision litigieuse viole l'article 2 du Protocole No 4 (P4-2) ainsi que les articles 14 (art. 14) et 18 (art. 18) de la Convention.
Il fait valoir n'avoir jamais reconnu les faits invoqués par le Conseil d'Etat et qu'il n'a jamais été établi que son comportement personnel pouvait constituer une menace pour l'ordre public luxembourgeois.
Il relève d'autre part qu'étant aussi résidant allemand et exerçant des activités commerciales en Allemagne, il est amené à devoir traverser fréquemment le territoire luxembourgeois. La décision d'expulsion prise à son encontre lui cause dès lors un préjudice important.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de son expulsion du territoire du Grand Duché.
La Commission rappelle tout d'abord qu'ainsi qu'elle l'a décidé à plusieurs reprises, la Convention ne garantit en tant que tel aucun droit pour un étranger d'entrer ou de résider dans un pays donné, ni le droit de ne pas en être expulsé (cf. par exemple la décision rendue sur la recevabilité de la requête No 9203/80, D.R. 24, p. 241). Il s'ensuit que, sous ce rapport, la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention (article 27, par. 2, de la Convention (art. 27-2)).
2. Considérant que la mesure litigieuse est contraire à l'article 2 du Protocole No 4 (P4-2) ainsi qu'aux articles 14 (art. 14) et 18 (art. 18) de la Convention, le requérant demande qu'il lui soit permis de traverser le territoire luxembourgeois et subsidiairement qu'on lui octroie un permis de séjour.
L'article 2, par. 1, du Protocole No 4 (P4-2-1) dispose que "Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence".
Dans l'Avis qu'elle a formulé dans l'affaire Bozano (Rapport de la Comission du 7.12.1984, par. 84), la Commission a estimé "qu'il ressort des travaux préparatoires de la Convention et du Protocole que cette disposition ne concerne pas l'expulsion d'un étranger mais garantit le droit d'aller et venir à l'intérieur d'un Etat donné".
Ayant été expulsé du Grand Duché, le requérant ne saurait toutefois considérer sa présence au Luxembourg pour quelque motif que ce soit, comme "régulière" (article 2, par. 1, du Protocole No 4 (P4-2)) ni au regard du droit luxembourgeois (y compris la directive No 64/221 reprise par le règlement granducal du 28 mars 1971) ni au regard de la jurisprudence communautaire (arrêt du 27 octobre 1977 en cause Bouchereau, Journal Officiel 30/77).
Il s'ensuit que sur le point considéré également la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention (article 27, par. 2, de la Convention (art. 27-2)).
Par ces motifs, la Commission
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)