SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11086/84 présentée par H.K. et A.V. contre les Pays-Bas __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 16 juillet 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 14 août 1984 par H.K. et A.V. contre les Pays-Bas et enregistrée le 17 août 1984 sous le No de dossier 11086/84 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. H.K., photographe, et son épouse, A.V., écrivain, sont des ressortissants néerlandais. Ils sont domiciliés à M.. Devant la Commission, ils sont représentés par Me E-G. Rotshuizen, avocat à Leeuwarden. Le 30 septembre 1980, les requérants, qui depuis leur installation en 1975 à M. produisaient leur propre courant électrique, signèrent un contrat de fourniture d'électricité avec la centrale provinciale électrique (Provinciaal elektriciteitsbedrijf, ci-dessous P.E.B.) de Frise. Peu de temps après, les requérants apprirent par la presse que l'électricité fournie par la P.E.B. provenait de la centrale atomique de Dodewaard. L'usage de l'énergie atomique heurtant les convictions des requérants, ceux-ci, le 10 février 1981, écrivirent à la P.E.B. que dorénavant ils n'allaient pas payer l'intégralité de la facture d'électricité, le pourcentage retenu de 2,7 représentant environ la participation de la province de Frise dans le capital de la société anonyme intitulée S.A. Centrale publique d'énergie nucléaire des Pays-Bas (N.V. Gemeenschappelijke Kernenergiecentrale Nederland). Par ailleurs, les requérants se déclarèrent prêts à verser ledit pourcentage de 2,7 à un fonds dont les moyens financiers seraient mis à la disposition pour l'étude, la création et la fourniture d'énergie naturelle. La P.E.B. n'accepta pas la proposition des requérants et, le 25 août 1981, coupa la fourniture d'électricité. Les requérants introduisirent une procédure en référé par laquelle ils demandèrent le rétablissement du courant. Cette procédure fut toutefois suspendue en raison du fait que les parties s'étaient mises d'accord pour soumettre le litige à la cour d'appel de Leeuwarden (procédure dite de prorogation). Suite à cette suspension, le courant fut rétabli au domicile des requérants. Le 22 février 1984, la Cour de Leeuwarden rejeta la demande des requérants. Le 16 mai 1984, les requérants demandèrent à deux avocats un avis de cassation. Les deux avocats consultés répondirent qu'un pourvoi en cassation n'avait aucune chance d'aboutir et ils conseillèrent aux requérants de ne pas se pourvoir. Plus particulièrement, quant à l'argument selon lequel les requérants auraient été libérés de leur obligation de payer l'intégralité de leur note d'électricité suite au changement de circonstances que constitueraient leurs convictions personnelles, les avocats considérèrent que cet argument n'avait aucune chance de succès étant donné que, dans un arrêt précédent du 20 décembre 1974, la Cour de cassation avait rejeté un argument similaire présenté par un individu ayant déduit de sa facture d'électricité un montant de 3 % correspondant à celui de l'impôt prélevé sur ladite facture et affecté au financement d'un réacteur nucléaire. Les requérants suivirent le conseil des deux avocats consultés et ne se pourvurent donc pas en cassation.
GRIEFS Les requérants se plaignent d'une violation de l'article 9 de la Convention. Ils exposent qu'il a été porté atteinte à leur liberté de pensée et que cette atteinte n'est pas justifiée par le paragraphe 2 de l'article 9. Sur ce dernier point, ils font valoir qu'aucune disposition légale ne les oblige à se fournir en électricité provenant de centrales nucléaires et qu'aucun but d'intérêt général ne vient justifier une ingérence dans ladite liberté. Ils ajoutent qu'il est controversé que le prix de l'électricité d'origine nucléaire soit particulièrement avantageux et que de toute manière ils s'étaient déclarés prêts à payer plus cher pour l'énergie qui leur était livrée. Enfin, les requérants exposent que la province a une position de monopole sur le plan de la livraison d'énergie mais n'a pas prévu dans un règlement spécial les objections de conscience. Ils sont d'avis que la création de centrales nucléaires soulève de très nombreux risques et, en conséquence, ils ne peuvent accepter d'être approvisionné en énergie d'origine atomique.
EN DROIT Les requérants allèguent que l'obligation de se fournir partiellement en électricité provenant de centrales nucléaires heurte leurs convictions personnelles. Ils invoquent l'article 9 (art. 9) de la Convention, qui est ainsi libellé : "1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." La Commission estime tout d'abord qu'une question d'épuisement des voies de recours internes se pose du fait que les requérants ont décidé de ne pas se pourvoir en cassation après avoir consulté deux avocats qui leur conseillèrent de ne pas se pourvoir. Dans leurs avis, les avocats estimèrent que l'argument des requérants selon lequel ils seraient dispensés de payer l'intégralité de leur facture d'électricité en raison de leurs convictions n'avait aucune chance de succès étant donné que dans un arrêt du 20 décembre 1974, la Cour de cassation avait rejeté un argument similaire. La Commission observe toutefois que les requérants n'ont pas démontré que l'arrêt auquel il a été fait référence révèle l'existence d'une pratique constante de rejet. Elle remarque en outre que l'arrêt a été rendu en 1974 et que la situation n'était pas identique à celle dont se plaignent les requérants. Quoi qu'il en soit, la Commission estime que la question de savoir si les requérants étaient dispensés de se pourvoir en cassation en vertu des principes de droit international généralement reconnus peut rester ouverte du fait qu'en tout état de cause la requête se heurte à un autre motif d'irrecevabilité. Examinant si les faits allégués par les requérants constituent une violation de l'article 9 (art. 9) de la Convention, la Commission rappelle que cette disposition protège en premier lieu ce qui relève du for intérieur et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d'une manière dictée par une conviction. A cet égard, elle a plus particulièrement considéré que l'article 9 (art. 9) n'autorisait pas à se soustraire à la loi fiscale, législation neutre sur le plan de la conscience (No 10358/83, déc. 15.12.83, D.R. 37 p. 142). De même, la Commission estime que l'article 9 (art. 9) de la Convention ne peut être invoqué pour se soustraire à des obligations contractuelles librement acceptées et, dans le cas d'espèce, pour refuser d'acquitter l'intégralité d'une facture d'électricité au motif qu'un pourcentage de ce montant serait affecté au financement d'une centrale nucléaire. Par ailleurs, la Commission remarque que les requérants pouvaient faire connaître leur désapprobation par d'autres moyens et par exemple par des pressions politiques ou encore en faisant appel à d'autres sources d'énergie. La Commission est d'avis qu'il n'y a pas eu ingérence dans les droits garantis aux requérants par l'article 9 par. 1 (art. 9-1) de la Convention. Il s'ensuit que le grief des requérants est manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)