SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11290/84 présentée par Giovanni CALABRO contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 16 juillet 1987 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président J.A. FROWEIN S. TRECHSEL F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 16 janvier 1984 par Giovanni Calabrò contre l'Italie et enregistrée le 3 décembre 1984 sous le No de dossier 11290/84 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, Giovanni Calabrò, est un ressortissant italien né en 1928 à Reggio Calabria, domicilié actuellement à Rome. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été soumis à la Commission, peuvent se résumer comme suit. Le 27 août 1975 le requérant, mandaté par la mère, héritière de M.P., assigna devant le tribunal civil de Locri les autres héritiers en demandant le partage de l'héritage, constitué, notamment, par deux petits lots de terrain. Le 23 juin 1980, après l'accomplissement de divers actes de procédure, le juge d'instruction invita les parties à prendre leurs conclusions à l'audience qui eut lieu le 28 juillet 1980. Aussitôt après, il transmit l'affaire au tribunal ("Collegio"). Le 15 décembre 1980 l'avocat des défendeurs fit valoir que l'un d'entre les co-héritiers cités à comparaître était décédé et le tribunal décida, alors, l'interruption du procès. Le 7 mars 1981 le requérant, mandaté par la mère, procéda à une nouvelle assignation. Convoquées à l'audience du 5 mai 1981, les parties demandèrent que la cause fût mise en délibéré. Le 7 juillet 1981 le tribunal renvoya la cause au juge d'instruction, au motif que le requérant n'avait pas démontré avoir cité à comparaître tous les ayants-droit. Le 22 février 1982 l'avocat des défendeurs fit valoir que l'un des co-héritiers cités à comparaître était décédé et le juge d'instruction décida l'interruption du procès. La mère du requérant étant, elle aussi, décédée, le 10 mars 1982 celui-ci saisit le tribunal de Locri en son propre nom. L'audience, fixée initialement au 24 mai 1982, ne put avoir lieu que le 28 juin 1982 à cause d'un empêchement du juge d'instruction. A cette date l'avocat du requérant demanda que la cause fût transmise au tribunal. L'avocat des défendeurs demanda par contre qu'un délai lui soit accordé pour examiner certains documents. Le juge d'instruction fixa, alors, un délai pour la présentation d'observations et invita les parties à prendre leurs conclusions lors de l'audience suivante. Le 2 juillet 1982 le requérant interjeta appel de cette décision, appel rejeté par le tribunal le 15 juillet 1982. Le 26 novembre 1982 les conclusions furent déposées et le 21 mars 1983 le juge d'instruction transmit l'affaire au tribunal. Toutefois, le 14 juin 1983 l'affaire lui fut à nouveau renvoyée, le tribunal ayant constaté que tous les ayants-droit n'avaient pas été cités à comparaître. Une nouvelle audience eut lieu devant le juge d'instruction le 21 novembre 1983. Compte tenu des exceptions soulevées par la partie défenderesse, il fixa un délai pour le dépôt d'observations écrites. Le 25 novembre 1983 l'avocat du requérant déposa ses observations. Après en avoir pris connaissance, le juge d'instruction estima que celles-ci contenaient des affirmations qui lésaient son honneur et demanda à être remplacé. Le 15 décembre 1983 le Président du tribunal fit droit à cette demande. Par ailleurs, le 13 février 1984 une procédure pénale fut ouverte contre l'avocat du requérant : son issue n'est pas connue. Après le remplacement du juge d'instruction, deux autres audiences eurent lieu les 19 janvier 1984 et 15 mars 1984. Le 29 mars 1984 le juge invita les parties à prendre leurs conclusions. Celles-ci furent prises à l'audience du 21 juin 1984 et le juge transmit la cause au tribunal. Le 5 mars 1985 la cause fut mise en délibéré. Toutefois, le 5 avril 1985 le Président de la Chambre du tribunal chargée de l'affaire fut transféré. Le 11 juin 1985 la cause fut à nouveau mise en délibéré. Le 16 juillet 1985 le tribunal releva, notamment, que le requérant n'avait pas fourni la preuve que tous les ayants-droit avaient été cités à comparaître et renvoya la cause au juge d'instruction. Par la suite, le conseil du requérant renonça au mandat et, à l'audience du 5 novembre 1985, le nouveau conseil demanda un renvoi. Trois autres audiences eurent lieu les 3 avril, 22 mai, 3 juillet 1986, date à laquelle la cause fut transmise au tribunal. Le 4 novembre 1986 le tribunal mit la cause en délibéré. Le 16 décembre 1986 il rendit son arrêt statuant que les terrains objet du partage ne pouvaient pas être divisés et que, dès lors, il était nécessaire de procéder à leur vente aux enchères pour pouvoir, en suite, partager la somme ainsi obtenue parmi les ayants-droits.
GRIEFS Devant la Commission, le requérant se plaint de la durée de la procédure engagée devant le tribunal de Locri et allègue la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention. Il se plaint également que les poursuites dont son avocat a fait l'objet sont contraires à l'article 3 de la Convention et ont porté atteinte aux droits garantis par les articles 6 par. 1 et 13 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de la durée de la procédure engagée devant le tribunal civil de Locri et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, qui garantit à toute personne le "droit à ce que sa cause soit entendue ... dans un délai raisonnable, par un tribunal ... qui décidera ... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil". La Commission relève que la contestation soulevée devant le tribunal de Locri concerne le partage d'un héritage et porte sur des "droits et obligations de caractère civil" au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention, qui, dès lors, trouve à s'appliquer en l'espèce. En ce qui concerne la période à prendre en considération, la Commission relève que le tribunal de Locri, saisi le 27 août 1975, ne s'est prononcé que le 16 décembre 1986. Toutefois, le requérant n'est devenu partie à la procédure que le 10 mars 1982. La Commission constate qu'aux termes de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le requérant avait droit à ce que "sa cause" fût entendue dans un délai raisonnable et que seulement dès le 10 mars 1982 le tribunal a été appelé à décider d'une contestation sur les droits et obligations de celui-ci. C'est donc uniquement dans la mesure où la procédure en cause s'est poursuivie après cette date que la Commission est appelée à en apprécier la durée. Elle devra toutefois tenir compte, ce faisant, de l'état dans lequel se trouvait ladite procédure, le requérant l'ayant reprise, conformément au droit italien, "in statu et terminis". La procédure a donc été pendante devant le tribunal de Locri près de 11 ans et demi. La période à laquelle la Commission peut avoir égard est, par contre, d'environ 4 ans et 9 mois. Afin de déterminer si ce laps de temps peut être considéré comme étant "raisonnable", au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il y a lieu de se référer aux circonstances concrètes de l'affaire examinées à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (voir par exemple Cour eur. D.H., arrêt Zimmermann et Steiner du 13 juillet 1983 Série A, No 66, par. 24). Ces critères ont trait essentiellement à la complexité de la cause, au comportement du requérant et à la manière dont les autorités ont conduit l'affaire. On ne saurait par ailleurs conclure à l'inobservation du délai raisonnable que lorsque les lenteurs de la procédure sont imputables à l'Etat. Quant à la complexité de la cause, la Commission estime qu'en l'espèce celle-ci ne présente pas, par son objet - à savoir le partage d'un héritage d'entité très modeste - un caractère particulièrement complexe. On ne saurait donc pas justifier sur cette base la durée de la procédure incriminée. Quant à l'attitude du requérant, la Commission rappelle qu'en matière civile, où la procédure se déroule à l'initiative des parties, le caractère raisonnable de la durée d'une procédure doit s'apprécier en faisant référence à la diligence dont a fait preuve la partie intéressée (cf. Cour. Eur. D.H., arrêt Pretto et autres du 8.12.1983, Série A, N° 71, par. 33). En l'espèce la Commission constate - sur la foi des procès-verbaux des audiences, produits par le requérant - qu'une remise fut demandée par le conseil du requérant à l'audience du 5 novembre 1985. La Commission constate, encore, que certaines affirmations faites par le conseil du requérant provoquèrent, le 15 décembre 1983, le remplacement du juge chargé, à ce temps-là, de l'instruction de l'affaire. Il ressort, enfin, du dossier que, les 14 juin 1983 et 16 juillet 1985, ayant constaté que le requérant n'avait pas démontré avoir cité à comparaître tous les ayants droits, le tribunal fut obligé de renvoyer l'affaire au juge d'instruction. Dans ces circonstances, la Commission est d'avis que le requérant n'a pas fait preuve dans le déroulement de la procédure de la "diligence normale" requise d'un plaideur et que les retards dans la mise en état de l'affaire lui sont en grande partie imputables. Quant à la manière dont les autorités judiciaires ont conduit l'affaire, la Commission estime que les retards qui peuvent être imputés aux autorités judiciaires - découlant notamment du remplacement du Président de la chambre du tribunal chargée de l'affaire et des intervalles entre une audience et l'autre - ne dépassent pas, dans les circonstances de l'espèce, ce qui peut être considéré comme "raisonnable". A la lumière de l'ensemble de ces éléments, la Commission estime que le grief concernant la durée de la procédure devant le tribunal de Locri est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint ensuite que les poursuites dont son avocat a fait l'objet sont contraires à l'article 3 (art. 3) de la Convention et ont porté atteinte aux droits garantis par les articles 6 par. 1 (art. 6-1) et 13 (art. 13) de la Convention. A cet égard, la Commission est d'avis que les faits tels qu'ils ont été soumis ne révèlent, en l'espèce, aucune apparence de violation de la Convention et, notamment, des dispositions invoquées par le requérant. Il s'ensuit que cette partie de la requête est, également, manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Commission de la Commission (H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)