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31/03/1993 | CEDH | N°17676/91

CEDH | A.A. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE sur la requête No 17676/91 présentée par A.A. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GE

US M. NOWICKI M. K. ROGG...

SUR LA RECEVABILITE sur la requête No 17676/91 présentée par A.A. contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GEUS M. NOWICKI M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 15 mai 1990 par A.A. contre la France et enregistrée le 16 janvier 1991 sous le No de dossier 17676/91 ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 19 juin 1992 et les observations en réponse présentées par le requérant le 8 septembre 1992 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :EN FAIT Le requérant, de nationalité marocaine né en 1952, est ingénieur. Il réside à Vandoeuvre. Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par Maître Charles Xavier, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat. Les faits de la cause, tels qu'exposés par les parties, peuvent se résumer ainsi. Le requérant présenta une réclamation à la société de la Loterie Nationale concernant un bulletin gagnant dont il n'aurait pas reçu le montant. Il joignit à ladite réclamation une photocopie du volet "B" du bulletin comportant les numéros gagnants. Toutefois, la société de la Loterie Nationale ne détenait pas le volet "B" et la détaillante n'ayant pas en sa possession le volet "B" ladite société refusa de faire droit à la réclamation du requérant. Devant l'insistance de ce dernier, la société de la Loterie Nationale déposa, le 27 juin 1985, une plainte contre lui du chef de tentative d'escroquerie. Dans le cadre de l'instruction, le magistrat instructeur ordonna une mise sur table d'écoutes des personnes proches du requérant dont Mme N. Suite à l'interception d'une conversation téléphonique entre Mme N. et sa mère attestant que le requérant aurait commis les faits dont il était soupçonné, celui-ci fut cité devant le tribunal correctionnel de Nancy du chef de tentative d'escroquerie. Par jugement du 23 mars 1987, la juridiction saisie relaxa le requérant en raison du doute existant quant à sa culpabilité. Sur appel du ministère public, la cour d'appel de Nancy, par arrêt du 25 septembre 1987, condamna le requérant à dix-huit mois de prison au motif que les indices de culpabilité étaient suffisamment graves, précis et concordants. Le requérant se pourvut en cassation à l'encontre dudit arrêt, invoquant la violation de plusieurs dispositions du Code de procédure pénale, le défaut de motifs et le manque de base légale, ainsi que la violation de l'article 8 de la Convention en ce que l'enregistrement de conversations privées constituerait une ingérence de l'autorité publique non prévue par la loi. Par arrêt du 27 novembre 1989, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Quant au moyen tiré de la violation de l'article 8 de la Convention, la Cour de cassation le déclara irrecevable au motif qu'il n'avait pas été présenté devant les premiers juges avant toute défense au fond.
GRIEFS Le requérant conteste tout d'abord la légalité des écoutes téléphoniques ayant conduit à sa condamnation, et allègue à cet égard une atteinte à ses droits garantis par l'article 8 de la Convention. Il se plaint en outre de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention en ce que sa culpabilité n'aurait pas été légalement établie.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La présente requête a été introduite le 15 mai 1990 et enregistrée le 16 janvier 1991. Le 13 janvier 1992, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 19 juin 1992, après deux prorogations du délai. Les observations en réponse du requérant ont été présentées le 8 septembre 1992. En date du 2 septembre 1992, la Commission a décidé d'accorder l'assistance judiciaire au requérant.
EN DROIT Le requérant allègue pour l'essentiel que la mise sur table d'écoutes, sur commission rogatoire du juge d'instruction, et l'interception de conversations téléphoniques dont il a fait l'objet, constituent une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, en violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention, ainsi libellé : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui." Le requérant se plaint en outre de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce que sa culpabilité n'aurait pas été légalement établie.
1. Le Gouvernement excipe d'emblée du non-épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Le Gouvernement relève que le requérant n'a pas régulièrement soulevé devant les juridictions internes le grief tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il s'est borné à soulever le moyen devant la Cour de cassation, qui l'a rejeté pour forclusion. En effet, celle- ci a fait application de l'article 385 du Code de procédure pénale qui dispose que "les exceptions tirées de la nullité soit de la citation, soit de la procédure antérieure, doivent à peine de forclusion, être présentées avant toute défense au fond." Dans ces conditions, la Cour de cassation ne pouvait que constater la forclusion. Pour le Gouvernement et selon une jurisprudence constante des organes de la Convention, doit être assimilée à un défaut d'épuisement des voies de recours internes une voie de recours irrégulièrement introduite. Tel est bien le cas en l'espèce. Dès lors, de l'avis du Gouvernement, le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes pour ce qui est de la prétendue violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Quant au grief tiré de l'article 6 (art. 6) de la Convention et selon le Gouvernement, force est de constater qu'il n'a jamais été soulevé devant les juridictions françaises. Dès lors, le requérant ne peut soutenir pour la première fois devant la Commission européenne une prétendue violation de la Convention à laquelle les tribunaux français n'ont pas été mis en mesure de remédier. Le requérant conteste cette argumentation. Pour le requérant, la règle du non-épuisement ne saurait lui être opposée puisqu'au moment des faits, tout recours portant sur la prétendue illégalité des écoutes était voué à l'échec. En outre et selon le requérant, cette règle concerne le recours lui-même et non les moyens invoqués. En l'espèce, tous les recours avaient été exercés. Quant aux moyens invoqués, la nullité des écoutes a été écartée sur la base de l'article 385 du Code de procédure pénale, qui serait lui-même contraire à la Convention dans la mesure où il empêche le requérant d'alléguer une violation à tous les stades de la procédure. En conclusion, même admis dans sa recevabilité, le moyen de nullité n'aurait eu aucune chance d'aboutir au fond. La Commission rappelle qu'elle a eu l'occasion d'affirmer à maintes reprises qu'est dispensé d'exercer un recours internes celui qui établit qu'en vertu de la jurisprudence ce recours est voué à l'échec (voir par exemple N° 8346/78, déc. 6.3.80, D.R. 19 p. 230). La Commission relève qu'à l'époque où les tribunaux ont statué dans le cas d'espèce, les juridictions françaises n'ont estimé contraires à l'article 8 (art. 8) de la Convention ou au droit interne stricto sensu que des écoutes accompagnées d'un artifice ou stratagème (voir notamment Cour de cass. Ch. crim. 4.11.87, 15.2.88 et 15.3.88) ou réalisées sans commission rogatoire, au stade de l'enquête préliminaire (voir notamment Cour de cass. Ch. crim. 13.6.89, Bull. N° 254 pp. 635-637) ou dans des conditions demeurées obscures au mépris des droits de la défense (voir cour d'appel de Paris, Ch. d'acc. 31.10.84, GP 1985 sommaires pp. 94-95). Dans tous les autres cas, les juridictions ont tantôt constaté l'absence de violation, tantôt déclaré le moyen irrecevable pour des raisons diverses. La tentative de voir reconnaître dans les présentes affaires une violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention était, eu égard à ce contexte juridique, de toute évidence vouée à l'échec. La Commission considère à la lumière de ce qui précède qu'à l'époque des faits, le requérant ne disposait d'aucune voie de droit lui permettant de faire censurer des écoutes téléphoniques qui ne lui paraissaient pas conformes aux dispositions de l'article 8 (art. 8) de la Convention. Il s'ensuit que l'objection du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes quant au grief tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention ne saurait être retenue. D'autre part et eu égard à la jurisprudence précitée et à l'étroite corrélation entre les deux griefs du requérant, l'illégalité des écoutes téléphoniques pouvant porter atteinte à l'équité de la procédure, l'objection du Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes quant au grief tiré de l'article 6 (art. 6) de la Convention ne saurait non plus être retenue.
2. A titre subsidiaire, le Gouvernement défendeur estime que les griefs du requérant tirés des articles 8 et 6 (art. 8, 6) de la Convention sont dénués de fondement. Le Gouvernement relève que les faits et décisions judiciaires se situent à une époque antérieure aux arrêts de la Cour européenne dans les affaires Kruslin et Huvig du 24 avril 1990, et s'en remet à l'appréciation de la Commission quant à la question de la légalité des écoutes au regard de la Convention et de l'exigence de prévisibilité de la loi posée par la Cour européenne. D'autre part, quant à l'article 6 (art. 6) de la Convention, le Gouvernement soutient que les écoutes téléphoniques mises en cause étaient légales au regard du droit interne et que ce point ne saurait être remis en cause, compte tenu du caractère définitif de l'arrêt de la Cour de cassation. En outre, la culpabilité du requérant aurait été discutée en fonction d'autres éléments que les écoutes téléphoniques, tels que des témoignages, des dépositions d'experts en courses et jeux, le propre comportement du requérant et des études statistiques. Pour le Gouvernement, la présomption d'innocence n'a donc pas été méconnue et la culpabilité régulièrement établie, conformément à l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. D'autre part et selon le Gouvernement, l'équité de la procédure au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ne saurait être mise en doute. Le Gouvernement se réfère à cet égard à l'arrêt de la Cour européenne du 12 juillet 1988 dans l'affaire Schenk, et souligne qu'en l'espèce également les écoutes n'ont pas constitué le seul moyen de preuve pour motiver la condamnation du requérant. Le requérant conteste cette argumentation. Il soutient tout d'abord que les écoutes téléphoniques étaient illégales au regard de la Convention et observe que le Gouvernement ne le conteste pas. En effet, la loi française ne répond pas ici aux exigences de prévisibilité posées par la Cour européenne. En outre, le requérant observe, à titre subsidiaire, que ce sont des personnes tierces au procès qui ont été écoutées, à savoir l'épouse du requérant et sa mère, et que les propos enregistrés, au demeurant fort vagues, ont été tenus par téléphone postérieurement à l'audition de l'épouse du requérant. Ces déclarations téléphoniques auraient donc été influencées par cette audition. Le requérant invoque à ce propos une atteinte aux droits de la défense. Enfin, le requérant soutient que, contrairement aux dires du Gouvernement, l'écoute téléphonique a constitué le fondement de sa condamnation. A présent la Commission est appelée à rechercher si, en l'espèce, la mise sur table d'écoutes dont le requérant a fait l'objet, constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et de la correspondance au sens de l'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention qui puisse se justifier au regard du paragraphe 2 de ladite disposition. La Commission rappelle tout d'abord que selon la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les conversations téléphoniques se trouvent incluses dans les notions de "vie privée" et de "correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8). L'interception de conversations téléphoniques s'analyse, dès lors, en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8) (Cour. eur. D.H., arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, par. 40, arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82, p. 30, par. 64 et plus récemment, arrêts Kruslin et Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176, respectivement p. 20, par. 26 et p. 52, par. 25). La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, à la lumière notamment des arrêts précités de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Elle estime que cet aspect de la requête pose de sérieuses questions au regard du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8), notamment la question de savoir si les normes juridiques nationales qui constituent la base légale de la mesure en question indiquent avec assez de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré et offrent un degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (voir arrêts Kruslin et Huvig précités, respectivement p. 24, par. 36 et p. 56, par. 35). Ces questions ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête mais nécessitent un examen au fond. Dès lors cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention, aucun autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé à ce égard. Dans la mesure où le requérant allègue en outre une atteinte à l'équité de la procédure garantie par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce que sa culpabilité n'aurait pas été légalement établie, la Commission relève que ce grief est étroitement lié au grief principal tiré de l'article 8 (art. 8) de la Convention et ne saurait dès lors être déclaré manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K.ROGGE) (S. TRECHSEL)


Synthèse
Formation : Commission
Numéro d'arrêt : 17676/91
Date de la décision : 31/03/1993
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) PEINE DEGRADANTE


Parties
Demandeurs : A.A.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1993-03-31;17676.91 ?

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