PARTIELLE SUR LA RECEVABILITE de la requête No 18158/91 présentée par Alberto EUGÉNIO DA CONCEIÇÃO et Nuno EUGÉNIO DA CONCEIÇÃO contre le Portugal __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 31 mars 1993 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président de la Deuxième Chambre G. JÖRUNDSSON A. WEITZEL J.C. SOYER H. G. SCHERMERS H. DANELIUS Mme G. H. THUNE MM. F. MARTINEZ J.-C. GEUS M. NOWICKI M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 26 janvier 1991 par Alberto EUGÉNIO DA CONCEIÇÁO et Nuno EUGÉNIO DA CONCEIÇÁO contre le Portugal et enregistrée le 3 mai 1991 sous le No de dossier 18158/91 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le premier requérant est un ressortissant portugais né en 1929 et résidant à Setúbal (Portugal). Il est à la retraite. Le second requérant est le fils du premier requérant. Il est né en 1968 et demeure à la même adresse. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. 1. Le premier requérant travaillait comme juriste pour la société portugaise des chemins de fer : " C.P., E.P.", une entreprise publique. Le 6 février 1984 il fut licencié. Le licenciement du premier requérant donna lieu à une procédure conservatoire en suspension de licenciement qu'il introduisit le 8 février 1984 devant le tribunal du travail de Lisbonne (Deuxième Chambre) et à laquelle le juge fit droit par jugement du 2 mars 1984. Le 17 juin 1985, toutefois, le juge prononça l'extinction de la procédure conservatoire, suite à une demande de la défenderesse qui souligna que le premier requérant n'avait pas introduit une procédure sur le fond aux termes des dispositions légales. Le 23 juillet 1985, le premier requérant recourut contre cette décision devant la cour d'appel de Lisbonne. Il souligna bien avoir introduit une procédure sur le fond le 20 décembre 1984 (voir par. 2 infra). La procédure serait pendante depuis cette date devant la cour d'appel de Lisbonne. 2. Le 20 décembre 1984, le premier requérant avait introduit devant le tribunal du travail de Lisbonne (Quatrième Chambre) une demande en annulation du licenciement. Il avait en outre demandé les traitements non perçus depuis la date du licenciement et une réparation des dommages subis en raison du caractère abusif de ce dernier. Le 18 avril 1985, la défenderesse présenta ses conclusions en réponse. Elle souligna que le premier requérant n'avait pas formulé toutes ses prétentions envers elle aux termes de l'article 30 du Code de procédure du travail puisqu'il y avait une autre procédure introduite à une date postérieure au licenciement et pendante devant le tribunal du travail de Lisbonne (Douzième Chambre), dans laquelle le requérant demandait certaines créances à la défenderesse . L'audience eut lieu le 6 avril 1990 dans le bureau du juge. Ce dernier, estimant que les faits importants pour la décision de la cause se trouvaient établis par des pièces, décida de ne pas entendre les témoins qui avaient été indiqués par la défenderesse et invita les mandataires à faire leurs plaidoiries. Le juge rendit ensuite son jugement par lequel il prononça l'extinction de la procédure pour les motifs soulevés par la défenderesse dans ses conclusions en réponse. Le 17 mai 1990, le premier requérant souleva la question de la nullité de la notification du jugement du 6 avril 1990, dont il n'avait pas reçu le texte. Par ordonnance du 8 avril 1991, le juge se prononça sur cette question. Il estima que la notification du jugement était conforme aux dispositions légales, puisque le requérant était présent lorsque le jugement fut rendu. A une date qu'il n'a pas été possible de préciser, le premier requérant interjeta appel contre cette ordonnance devant la cour d'appel de Lisbonne. Le dossier de la procédure fut transmis à la cour d'appel le 6 octobre 1991. Le 12 janvier 1992, la cour d'appel de Lisbonne rendit son arrêt déboutant le requérant. Le 27 février 1992, le premier requérant interjeta appel contre cet arrêt devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça). La procédure est toujours pendante devant la Cour suprême.
GRIEFS Les requérants se plaignent d'abord de la durée des procédures que le premier requérant a engagées les 8 février 1984 et 20 décembre 1984. Les requérants se plaignent également de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable dans ces procédures. Ils invoquent à cet égard l'article 6 par. 1 de la Convention. Les requérants se plaignent ensuite d'une atteinte au droit au respect de leurs biens en raison de la décision du juge du 17 juin 1985 de prononcer l'extinction de la procédure conservatoire de suspension du licenciement, ce qui a empêché le premier requérant de percevoir son traitement jusqu'à la décision sur le fond. Ils invoquent l'article 1er du Protocole additionnel. Les requérants se plaignent encore d'une atteinte au droit au respect de leur vie familiale en raison de la situation financière du premier requérant suite à la décision du juge du 17 juin 1985. Ils invoquent l'article 8 de la Convention. Enfin, les requérants allèguent une violation de l'article 2 du Protocole additionnel en ce que le droit à l'instruction du deuxième requérant aurait été violé et une violation de l'article 14 de la Convention en ce que le premier requérant aurait fait l'objet d'une discrimination, sans toutefois donner d'autres précisions. Les requérants invoquent encore les articles 9 et 10 de la Convention, sans justifier des griefs à cet égard.
EN DROIT 1. La Commission note d'abord que le deuxième requérant, le fils du premier requérant, n'était pas partie aux procédures litigieuses et ne s'est jamais constitué en tant que telle. Il s'ensuit que le deuxième requérant ne peut pas se prétendre victime au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention. Les griefs du deuxième requérant à cet égard sont dès lors incompatibles avec les dispositions de la Convention au sens de son article 27 par. 2 (art. 27-2). 2. Le premier requérant se plaint de la durée des procédures qu'il a engagées les 8 février 1984 et 20 décembre 1984. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose notamment : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ... dans un délai raisonnable ... par un tribunal ... qui décidera ... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ". La Commission rappelle en premier lieu, pour ce qui est de la procédure conservatoire en suspension du licenciement, qu'une telle procédure ne tend pas à une décision ni définitive, ni provisoire, sur les droits de caractère civil que possède un travailleur licencié vis- à-vis de son employeur. Elle régit simplement la situation temporaire de l'intéressé en attendant qu'il soit statué au principal (voir No 7990/77, déc. 11.5.1981, D.R. 24, p. 57). Il s'ensuit que cette procédure échappe à l'article 6 (art. 6) de la Convention et que les griefs du premier requérant à cet égard doivent être rejetés, conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2), comme incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention. 3. Pour ce qui est des griefs tirés de la deuxième procédure, la Commission a examiné en premier lieu la question de savoir si le requérant a bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. A ce propos, elle rappelle que cette question ne peut être résolue que grâce à un examen de l'ensemble de la procédure judiciaire, c'est-à-dire une fois que celle-ci a pris fin (voir No 7945/77, déc. 4.7.1978, D.R. 14, p. 228). Or, la procédure litigieuse est encore pendante devant la Cour suprême. En plus, il ne ressort du dossier aucun élément d'une importance telle qu'il soit décisif pour juger du déroulement du procès, même à un stade plus précoce. Cela étant, la Commission estime que le grief du premier requérant concernant l'équité de la procédure est prématuré et doit donc être rejeté comme manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 4. La Commission a examiné ensuite le grief tiré par le premier requérant de la durée de la deuxième procédure, introduite le 20 décembre 1984. En l'état actuel du dossier, elle estime ne pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement portugais par application de l'article 48 par. 2 b) du Règlement intérieur de la Commission. 5. Le premier requérant se plaint ensuite d'une atteinte au droit au respect de ses biens en raison de la décision du juge du tribunal du travail de Lisbonne du 17 juin 1985 de prononcer l'extinction de la procédure conservatoire en suspension du licenciement, laquelle a eu pour effet de l'empêcher de continuer à percevoir son traitement jusqu'à la décision sur le fond. Il invoque l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1) qui dispose : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." A supposer même que les faits allégués soient imputables à une autorité publique et donc susceptibles d'engager la responsabilité internationale de l'Etat portugais et, cela étant, que les recours internes soient épuisés, la Commission constate qu'il n'y a pas eu en l'espèce une privation des biens au sens de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1). En effet, l'action intentée par le premier requérant devant les tribunaux ne faisait naître, dans son chef, aucun droit de créance pouvant constituer un bien au sens de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1), mais uniquement l'éventualité d'obtenir pareille créance. La décision du juge du 17 juin 1985 n'a pu avoir pour effet, donc, de priver le requérant d'un bien dont il était propriétaire (cf. mutatis mutandis No 12164/86, déc. 12.10.1988, D.R. 58, p. 63). Il n'y a donc aucune apparence de violation de l'article 1er du Protocole additionnel (P1-1) et la requête est, sur ce point, manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 6. Le premier requérant se plaint encore d'une atteinte au droit au respect de sa vie familiale en raison de sa situation financière suite à la décision du juge du tribunal du travail de Lisbonne du 17 juin 1985. Il invoque l'article 8 (art. 8) de la Convention, qui reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale. Toutefois, la Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués révèlent l'apparence d'une violation de cette disposition. En effet, selon l'article 26 (art. 26) de la Convention, "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". Or, en l'espèce, le requérant n'a soulevé ni formellement, ni même en substance au cours de la procédure devant le tribunal du travail, en particulier dans le recours interjeté par le requérant le 23 juillet 1985, le grief dont il se plaint devant la Commission. Cette procédure étant de surcroît toujours pendante, il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que la requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. 7. Le premier requérant allègue enfin une violation de l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2) et une violation de l'article 14 (art. 14) de la Convention. Il invoque encore les articles 9 et 10 (art. 9, 10) de la Convention. Toutefois, la Commission n'a relevé aucune apparence de violation de ces dispositions. Il s'ensuit que la requête est, sur ce point, manifestement mal fondée et doit dès lors être rejetée conformément à l'article 27 (art. 27) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, AJOURNE l'examen du grief du premier requérant portant sur la durée de la procédure introduite le 20 décembre 1984, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. Le Secrétaire Le Président de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)