SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 20921/92 présentée par F. C. B. contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 7 avril 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 31 juillet 1992 par F. C. B. contre l'Italie et enregistrée le 9 novembre 1992 sous le No de dossier 20921/92 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant italien, né le 12 mai 1949 à Settimo Torinese. Devant la Commission, il est représenté par Me Pietro Barone, avocat à Milan. Par arrêt du 10 avril 1984 de la cour d'assises d'appel de Milan, le requérant fut condamné en son absence à une peine de 24 ans de réclusion criminelle pour vol à main armée, meurtre et tentative de meurtre, sans que lui fut offerte la possibilité de se défendre en participant en personne à l'audience. Le requérant a précédemment introduit la requête No 12151/86 que la Commission a déclarée recevable le 16 mars 1989. Dans son rapport, la Commission a conclu à une violation de l'article 6 par. 1 et 3 c) combinés de la Convention (F.C.B. c/Italie, rapport Comm. 17.5.90). Le 28 août 1991, la Cour européenne des Droits de l'Homme a elle aussi conclu à la violation de l'article 6 par. 1 et 3 c) combinés de la Convention (Cour eur. D.H., arrêt du 28 août 1991, série A n° 208-B). Depuis le 6 juillet 1989, le requérant, qui devait encore purger en Italie six ans et six mois de la peine de réclusion infligée par la cour d'assises d'appel de Milan, se trouvait détenu en Belgique. Toutefois, suite à la décision de libération provisoire avec effet à partir du 17 juillet 1991 qui avait été prise par les autorités belges, il avait été placé sous écrou extraditionnel dans l'attente de l'examen de la demande d'extradition introduite par l'Italie. Le 30 août 1991, il demanda aux Gouvernements de la France, des Pays-Bas (pays qui l'avaient auparavant extradé vers la Belgique) et de la Belgique de tirer les conséquences de l'arrêt de la Cour et, en conséquence, de modifier ou d'annuler le décret d'extradition pris à son encontre par le Gouvernement français le 24 décembre 1987. Ce décret autorisait l'extradition du requérant de la France vers les Pays-Bas et autorisait les autorités néerlandaises à le réextrader vers la Belgique et vers l'Italie. Par décision du 10 juin 1992, le ministère de la Justice français, à la suite de l'arrêt F.C.B. de la Cour européenne, modifia partiellement le décret d'extradition sus-mentionné et décida de le "rapporter" en ce qu'il autorise la réextradition du requérant vers l'Italie. Le 5 août 1992, le requérant fit parvenir au Secrétariat de la Commission copie d'un acte daté du 16 juillet 1992, pris en dehors de toute procédure ("atto stragiudiziale") de mise en demeure de la Cour et de la Commission européennes des Droits de l'Homme, de la France, de l'Italie, des Pays-Bas, de la Belgique, de la cour d'appel et du Procureur général du Roi près la cour d'appel de Liège, ainsi que la traduction française de cet acte assermentée devant le juge d'instance de Milan le 30 juillet 1992. Dans ce document, le requérant demandait à la Commission et à la Cour européenne des Droits de l'Homme de veiller sur l'exécution de l'arrêt du 28 août 1991. Il faisait état ensuite du fait que les autorités néerlandaises n'avaient pas révoqué l'autorisation donnée à la Belgique, antérieurement à l'arrêt de la Cour, de réextrader le requérant vers l'Italie. Cette autorisation s'opposait à la décision rendue par le tribunal de Maastricht le 17 juin 1985 qui rejetait une demande d'extradition du requérant introduite par l'Italie puisqu'irrecevable. Par ailleurs, il faisait noter que les autorités belges n'avaient pas pris de décision sur son extradition vers l'Italie et que les autorités italiennes insistaient auprès de la Belgique sur la demande tendant à obtenir son extradition. Il demandait ainsi au Gouvernement français d'assurer le respect de la part des Gouvernements néerlandais, belge et italien de la décision modifiant le décret d'extradition prise le 10 juin 1992. Dans le même acte, il sommait le Gouvernement néerlandais de se conformer à la décision du tribunal de Maastricht du 17 juin 1985 et à celle du Gouvernement français du 10 juin 1992 et il demandait au Gouvernement néerlandais de révoquer, dans le délai de trente jours à partir de la date dudit arrêt, l'autorisation de procéder à son extradition de la Belgique vers l'Italie. Il enjoignait aussi au Gouvernement de la Belgique de ne pas procéder à son extradition vers l'Italie et, enfin, au Gouvernement italien de retirer la demande d'extradition présentée auprès des autorités belges. Il demandait enfin aux autorités italiennes de lui délivrer, dans le même délai de trente jours, toutes les pièces d'identité. Le 30 septembre 1992, le requérant fut relâché après que le Gouvernement belge avait refusé son extradition vers l'Italie au cours du mois d'août 1992. Par lettre du 22 mars 1993, parvenue à la Commission le 29 mars 1993, le requérant a fait savoir que les autorités italiennes ne lui ont pas délivré "les pièces d'identité demandées". Toutefois, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait introduit des demandes aux autorités compétentes, ni que celles- ci aient refusé expressément de les lui délivrer. Par ailleurs, le requérant n'a pas indiqué à la Commission dans quel pays il réside actuellement. Dans le formulaire de requête, il résulte qu'il a établi son domicile auprès de son avocat en Italie.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint tout d'abord de la non-exécution de la part de l'Italie, des Pays-Bas et de la Belgique de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme rendu le 28 août 1991. Il dénonce le fait que l'Italie n'a pas exécuté l'arrêt de la Cour puisqu'elle insiste sur la demande tendant à obtenir son extradition auprès des autorités belges. Il estime qu'il y a eu une violation des traités sur l'extradition entre l'Italie, la France, les Pays-Bas et la Belgique. Le requérant fait valoir ensuite que le Gouvernement néerlandais avait autorisé la Belgique à procéder à son extradition vers l'Italie, contrairement à la décision du tribunal de Maastricht du 17 juin 1985, et que le Gouvernement de la Belgique, n'ayant pas refusé immédiatement la demande d'extradition introduite par l'Italie, n'a pas tiré les conséquences de l'arrêt de la Cour européenne et a permis la détention du requérant pendant une période de plus de quatorze mois. Il estime que cette détention était abusive. Il allègue de ces faits la violation de l'article 53 de la Convention.
2. Le requérant se plaint ensuite du refus par silence des autorités italiennes de lui délivrer toute pièce d'identité dans le but d'obtenir par le moyen d'un rapatriement obligé ce qu'ils n'ont pu obtenir à travers la demande d'expatriation. Il fait valoir qu'en conséquence de ce refus, n'ayant pas les pièces d'identité, il est empêché de circuler librement à l'étranger. Il invoque les dispositions de l'article 2 du Protocole N° 4 à la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint que l'Italie, les Pays-Bas et la Belgique n'ont pas exécuté l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme et que de ce fait il a été illégalement détenu en Belgique pour une période de plus de quatorze mois. Il invoque la disposition de l'article 53 (art. 53) de la Convention qui est ainsi libellé : "Les Hautes Parties Contractantes s'engagent à se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties." A cet égard, la Commission rappelle que la surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme est confiée au Comité des Ministres qui s'est acquitté de sa tâche en adoptant la Résolution DH (81) 2 du 2 avril 1981. Elle estime donc ne pas être compétente pour examiner la question de savoir si le Gouvernement italien a exécuté l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme (voir No 10243/83, déc. 6.3.85, D.R. 41 pp. 123-140). Par ailleurs, la Commission note que les Pays-Bas et la Belgique n'étaient pas parties à la procédure litigieuse, objet de l'arrêt F.C.B. du 28 août 1991, série A n° 208-B dans lequel le requérant avait mis en cause uniquement le Gouvernement italien. Elle estime en conséquence que les Gouvernements néerlandais et belge ne sauraient être considérés comme étant obligés de se conformer audit arrêt. Le grief doit donc être rejeté pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
2. Le requérant allègue ensuite une violation de l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2) du fait que l'Italie ne lui a pas délivré des documents d'identité. Il estime que le refus par silence des autorités italiennes de lui délivrer les documents d'identité demandés par acte du 16 juillet 1992, l'empêche de circuler librement à l'étranger. L'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2) se lit : "1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. 2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. 3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. 4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique." La Commission rappelle que la disposition du paragraphe 1 de l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2), en ce qu'elle vise la liberté de circulation et de pouvoir choisir librement la résidence sur le territoire d'un Etat, est applicable aux individus qui se trouvent "régulièrement sur le territoire" de cet Etat. Or, la Commission note que le requérant, qui vraisemblablement ne se trouve pas sur le territoire de l'Etat italien, n'a pas indiqué l'Etat où il se trouve actuellement ni s'il est soumis à certaines restrictions de la part de cet Etat comme le fait d'être empêché de circuler librement sur son territoire. Dans sa requête, il se plaint de ne pas pouvoir circuler librement à l'étranger. Le requérant n'a pas démontré qu'il se trouve dans une situation d'ingérence dans les droits garantis au paragraphe 1 de l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2). En ce qui concerne l'application éventuelle du paragraphe 2 du même article, la Commission note qu'il ne ressort pas du dossier que le requérant ait introduit une demande administrative formelle adressée aux autorités italiennes compétentes tendant à obtenir les pièces d'identité (carte nationale d'identité ou passeport) nécessaires pour lui permettre de voyager et circuler librement à l'étranger. Par ailleurs, le requérant n'a donné aucun renseignement de fait prouvant qu'il est "empêché de quitter n'importe quel pays" : les dispositions du paragraphe 2 de l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2) ne s'appliquent pas non plus au requérant. Il s'ensuit que le grief du requérant relatif à l'article 2 du Protocole N° 4 (P4-2) est à rejeter puisqu'incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)