SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 22247/93 présentée par Hector HUNTER contre la France __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 22 février 1995 en présence de M. H. DANELIUS, Président Mme G.H. THUNE MM. G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 28 janvier 1993 par Hector Hunter contre la France et enregistrée le 19 juillet 1993 sous le N° de dossier 22247/93 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 11 mai 1994 et les observations en réponse présentées par le requérant le 7 novembre 1994 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant péruvien, né en 1956. Au moment de l'introduction de sa requête, il était incarcéré au centre pénitentiaire de Fresnes. Devant la Commission, il est représenté par Maître Esteban Alonso de Troyes. Les faits de la cause, tels qu'exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit : Le 5 juillet 1989, trente-six lingots de Zamac (alliage de zinc et d'aluminium) étaient découverts sur le littoral de Loon-Plage dans le Département du Nord. Vingt-sept d'entre eux étaient évidés tandis que neuf autres contenaient chacun environ 900 grammes de cocaïne dans un sac de toile résistante. Le 11 juillet 1989, de nouveaux sachets de cocaïne étaient découverts enfouis dans le secteur, totalisant 18,7 kilos. Le même jour, la police interpellait aux abord immédiats des lieux le requérant et une autre personne, E.H., qui se trouvaient dans un véhicule immatriculé en Andorre. Le 6 juillet 1989, dans le cadre de l'enquête de flagrant délit, la police repérait un autre véhicule immatriculé en Andorre et interpellait son chauffeur, B.G. Le démontage d'un des véhicules permettait de constater l'existence d'une cache aménagée. Son propriétaire, M.R., entendu sur commission rogatoire internationale, révélait que le véhicule avait été ainsi transformé à la demande du requérant et grâce à des fonds remis par lui. Il reconnaissait avoir servi de passeur pour le requérant et avoir été contacté par ce dernier en 1987 pour convoyer en Italie des paquets devant contenir des émeraudes. L'instruction mit en lumière un trafic international de cocaïne importée du Pérou, introduite en France par la voie maritime dans des lingots de Zamac et débarquée au port de Dunkerque. Au total, la quantité de cocaïne saisie les 5 et 11 juillet 1989 était de 26,6 kilos. Selon le tribunal correctionnel de Dunkerque, la quantité totale de cocaïne s'élèverait à 65,860 kilos. Le 9 juillet 1989, le requérant fut inculpé de trafic de drogue et placé en détention provisoire. Des ordonnances de prolongation de détention furent prises en date des 6 novembre 1989, 7 mars 1990, 27 juin 1990 et 24 octobre 1990. A. Demande de mise en liberté Le 7 février 1991, le requérant présenta auprès du juge d'instruction une demande de mise en liberté. Par ordonnance du juge d'instruction en date du 12 février 1991, la demande fut rejetée. Le 13 février 1991, le requérant qui était assisté par trois avocats, interjeta appel devant la Chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai en se plaignant de la longueur de la procédure et de la durée de la détention provisoire et en invoquant l'article 5 par. 3 de la Convention. Par arrêt du 26 février 1991, l'appel fut rejeté. S'agissant des moyens soulevés, la cour d'appel déclara que : "Ces moyens ne sont manifestement pas fondés : en dehors du fait que l'inculpé conteste les charges relevées contre lui en ne s'inclinant que devant l'évidence, et ne donne que le minimum d'explications, ce qui est son droit, mais oblige à de nombreuses diligences, l'important trafic international de stupéfiants dans lequel il semble être impliqué a exigé et exige également du juge d'instruction de très nombreuses investigations auxquelles il procède sans désemparer. Le maintien en détention de l'inculpé s'impose pour préserver l'ordre public du trouble grave et persistant qui résulte de ce trafic et, compte tenu de ses attaches au Pérou, pour garantir sa représentation en Justice." Contre cet arrêt, le requérant ne se pourvut pas en cassation. B. Déroulement de la procédure au fond D'après le relevé chronologique soumis par le Gouvernement et non contesté par le requérant, les principaux actes de procédure réalisés pendant l'instruction sont les suivants : Le 9 juillet 1989, le juge d'instruction inculpa le requérant ainsi que B.G., E.H. et A.Z., procéda aux interrogatoires de première comparution et fit une demande du casier judiciaire. Le juge adressa une commission rogatoire au Service Régional de la Police Judiciaire (SRPJ) de Lille. Le 12 juillet 1989, le juge d'instruction ordonna la constitution d'échantillon des produits saisis. Le 19 juillet 1989, le requérant adressa un courrier désignant un de ses défenseurs. Le 20 juillet 1989, le juge rendit des ordonnances aux fins de destruction des produits saisis, de commissions d'experts (analyse des produits stupéfiants et des lingots). Le 21 juillet 1989, il rendit une ordonnance d'expertise toxicologique. Le 23 juillet 1989, le requérant désigna un autre avocat pour sa défense. Le 24 juillet 1989, le juge d'instruction adressa une commission rogatoire à l'Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCTRIS). Le 26 juillet 1989, le juge d'instruction prit une réquisition en désignation d'interprète. Les 27 et 28 juillet 1989 furent remis les rapports d'expertise sur les substances saisies et sur les lingots. Le 3 août 1989, une commission rogatoire internationale fut adressée aux autorités judiciaires andorranes. Le 17 août 1989 fut remis le rapport du SRPJ de Lille sur l'enquête de flagrance. Le 26 septembre 1989 fut décerné un mandat d'amener contre G.B. qui fut inculpé et interrogé le 29 septembre 1989. Le 27 octobre 1989, le juge d'instruction prit une réquisition d'extraction du requérant. Le 17 novembre 1989, le requérant fut interrogé. Ce même jour, le juge lança une commission rogatoire internationale aux autorités judiciaires belges. Le 1er décembre 1989 fut interrogé B.G. Ce même jour, les autorités andorranes envoyèrent l'audition d'un dénommé M.R. mettant en cause le requérant dans un autre trafic de stupéfiants. Le 15 décembre 1989 fut interrogé G.B. Le 11 janvier 1990 fut décidé le transfert du requérant de la maison d'arrêt de Fresnes à celle de Douai. Le 12 janvier 1990 fut interrogé A.C. Le 24 janvier 1990 fut interrogé B.G. Le 29 janvier 1990 fut interrogé le requérant. Le 6 février 1990, le directeur de l'établissement d'hospitalisation publique de Fresnes adressa un courrier au juge d'instruction sur l'état de santé du requérant. Le 9 février 1990, le SRPJ de Lille rédigea une note sur une tentative d'évasion du requérant. Le 8 mars 1990, la commission rogatoire internationale aux autorités andorranes fut partiellement exécutée. Le 12 mars 1990, le juge d'instruction ordonna au SRPJ de Lille de faire procéder à des écoutes téléphoniques. Le 10 avril 1990, les inculpés furent interrogés et confrontés. Le 12 avril 1990, la commission rogatoire du 12 juillet 1989 fut partiellement exécutée. Le 16 avril 1990 fut transmis un rapport des autorités andorranes informant de la condamnation de M.R. pour trafic de stupéfiants. Le 19 avril 1990 fut remis le rapport de l'expert désigné le 12 septembre 1989. Le 4 mai 1990 fut rendue une ordonnance de commission d'expert britannique pour la lecture d'un agenda informatique appartenant à l'un des inculpés. Le 18 mai 1990, le juge d'instruction informa les avocats du requérant que celui-ci avait été transféré à la maison d'arrêt de Loos. Le 8 juin 1990, G.B. fut interrogé. Le 12 juin 1990, le requérant fut interrogé puis confronté à G.B. Le 27 juin 1990 fut interrogé le requérant puis confronté à B.G. Le 3 juillet 1990 fut interrogé E.H. Le 21 août 1990, le juge d'instruction fut informé par la maison d'arrêt qu'une procédure disciplinaire avait été prise à l'encontre du requérant. Le 27 novembre 1990, B.G. fut interrogé. Le 3 décembre 1990, E.H. fut interrogé. Le 21 février 1991, le juge demanda l'extraction du requérant. Le 7 mars 1991, B.G. fut interrogé. Ce même jour fut interrogé le requérant puis confronté à E.H. Le 21 mars 1991, le juge d'instruction informa les avocats du transfert du requérant à la maison d'arrêt. Le 20 juin 1991 fut prise une réquisition d'extraction du requérant. Le 3 juillet 1991, B.G. fut interrogé. Le 30 juillet 1991, le juge d'instruction lança une commission rogatoire internationale aux autorités judiciaires espagnoles. Le 2 août 1991, une commission rogatoire fut adressée aux autorités judiciaires suisses. Le 29 octobre 1991 fut prise une réquisition d'extraction du requérant. Le 19 février 1992 fut prise une réquisition d'extraction du requérant. Le 3 mars 1992 fut interrogé le requérant. Entre mars 1992 et mai 1992 eurent lieu plusieurs échanges entre le juge d'instruction et les autorités suisses. Le 25 mai 1992, le juge d'instruction envoya un télégramme aux autorités espagnoles leur demandant la cessation de la demande d'enquête du 30 juillet 1991 en raison du délai trop long. Le 11 juin 1992 fut rendue l'ordonnance de soit communiqué au procureur de la république. Le 17 juin 1992 fut interrogé A.C. Le 3 juillet 1992 fut rendue l'ordonnance de clôture de la procédure d'entraide du juge d'instruction suisse. Le 18 août 1992 fut délivré le réquisitoire définitif du procureur de la république. Le 31 août 1992, le juge d'instruction prit une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non-lieu partiel. Le 2 septembre 1992 furent reçues les pièces d'exécution de la commission rogatoire internationale par les autorités espagnoles. Le 12 octobre 1992, la Direction Générale des Douanes remit son rapport. Par jugement du tribunal de grande instance de Dunkerque du 16 octobre 1992, le requérant fut reconnu coupable de trafic illicite de cocaïne et condamné à une peine de 15 ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français. A titre d'amende, le requérant fut condamné solidairement avec les autres co-inculpés au paiement d'une somme de 16.037.000 francs égale à la valeur des stupéfiants saisis avec contrainte par corps. Le requérant ne fit pas appel de ce jugement. E.H. fut condamné à la peine de 12 ans d'emprisonnement, à l'interdiction définitive du territoire français, B.G. à la peine de 7 ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français et A.C. à la peine de 12 ans d'emprisonnement. En appel, ce dernier fut relaxé au bénéfice du doute par la cour d'appel de Douai le 5 mars 1993. Il ressort du jugement que, lors de l'audience, le requérant fut assisté de deux avocats et que le Président du tribunal, après avoir constaté que le requérant ne parlait pas suffisamment la langue française, désigna d'office en qualité d'interprète, une dame T.R. épouse S., qui ne fut récusée ni par le ministère public ni par la défense.
GRIEFS Le requérant se plaint des conditions de détention auxquelles il fut soumis pendant neuf mois passés dans le "quartier d'isolement" où il aurait été victime de harcèlement psychologique et où son intimité personnelle aurait été annulée. Il invoque l'article 3 de la Convention. Le requérant se plaint d'avoir été en détention provisoire pendant plus de 39 mois, ce qui est contraire à l'article 5 par. 3 de la Convention. Il se plaint également d'avoir été détenu pendant plus de dix heures sans être assisté d'un interprète et de ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation. Il invoque l'article 6 par. 3 a) de la Convention. Il se plaint aussi de la violation du principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 6 par. 2 de la Convention. Il considère qu'il n'a pas été jugé par un tribunal impartial conformément à l'article 6 par. 1 de la Convention. Il estime que le fait d'avoir été condamné au paiement d'une amende assortie de contrainte par corps constitue une violation de l'article 1 du Protocole 4 à la Convention. Le requérant se plaint enfin de la longueur de la procédure et allègue la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 28 janvier 1993 et enregistrée le 19 juillet 1993. Le 12 janvier 1994, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de la durée de la procédure. Le Gouvernement a présenté ses observations le 11 mai 1994. Le 6 septembre 1994, la Commission a accordé l'assistance judiciaire au requérant et un avocat français connaissant l'espagnol a représenté le requérant dans la procédure devant la Commission. Le 8 novembre 1994, le requérant a présenté ses observations en réponse à celles du Gouvernement.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint des conditions de détention auxquelles il fut soumis pendant neuf mois dans le "quartier d'isolement". Il invoque l'article 3 (art. 3) de la Convention. Il se plaint de la durée de sa détention provisoire et allègue la violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Il se plaint d'avoir été détenu pendant plus de dix heures sans être assisté d'un interprète et de ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation et invoque l'article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention. Il estime qu'il n'a pas été jugé par un tribunal impartial et allègue la violation de la présomption d'innocence. Il invoque l'article 6 par. 1 et 2 (art. 6-1, 6-2) de la Convention. La Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le fait de savoir si les faits allégués par le requérant révèlent l'apparence d'une violation de la Convention. S'agissant tout d'abord du grief tiré de la durée de sa détention provisoire (article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention), la Commission constate que le requérant a, en effet, omis de saisir la Cour de Cassation d'un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai du 26 février 1991. Pour ce qui est du grief tiré des conditions de détention (article 3 (art. 3) de la Convention), il ne ressort pas du dossier que le requérant se soit plaint ni auprès du directeur de la prison ni auprès du juge d'instruction et qu'il ait, le cas échéant, fait appel devant la chambre d'accusation. Quant aux autres griefs, la Commission note que le requérant n'a pas fait appel du jugement du tribunal correctionnel de Dunkerque du 16 octobre 1992 et, le cas échéant, formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes conformément aux articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention.
2. Le requérant estime que le fait d'avoir été condamné au paiement d'une amende assortie de contrainte par corps constitue une violation de l'article 1 du Protocole N° 4 (P1-1) à la Convention qui dispose : "Nul ne peut être privé de sa liberté pour la seule raison qu'il n'est pas en mesure d'exécuter une obligation contractuelle." La Commission rappelle que la contrainte par corps relève du domaine pénal et non du domaine contractuel au sens de l'article 1 du Protocole N° 4 (P4-1) à la Convention (cf. affaire Jamil c/France, requête N° 15917/89, rapport Comm. du 10 mars 1994, par. 51). Et, en tout état de cause, la Commission relève que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours disponibles en droit français au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 et 3 (art. 27-2, 27-3) de la Convention.
3. Le requérant se plaint de la durée de la procédure et invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, ... du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle..." Le Gouvernement estime tout d'abord que les autorités françaises étaient confrontées à une affaire d'une exceptionnelle complexité en raison du caractère international du trafic de stupéfiants, du nombre de personnes impliquées et des nombreuses difficultés d'investigation. Le requérant était impliqué dans un trafic international de stupéfiants visant à importer de la cocaïne du Pérou vers la France, l'Andorre, l'Italie et l'Espagne. Le Gouvernement fait observer que des sociétés situées à l'étranger jouaient un rôle considérable dans ce trafic, ce qui a amené le magistrat instructeur à délivrer quatre commissions rogatoires internationales. Il fait noter que le magistrat instructeur a préféré renoncer à l'exécution d'une commission rogatoire internationale transmise aux autorités espagnoles pour finir son instruction dans un délai raisonnable. Cela prouve la volonté du magistrat de ménager un juste équilibre entre les divers aspects d'une bonne administration de justice. Le Gouvernement insiste sur le nombre de personnes mises en cause dont plusieurs ne parlaient pas le français ce qui a nécessité la réquisition d'interprètes lors des interrogatoires ou confrontations d'inculpés. Par ailleurs, le nombre des personnes impliquées dans ce trafic commandait que l'appréciation portée sur la responsabilité du requérant soit examinée en même temps que celle portés sur les autres personnes inculpées. En effet, tous les actes d'instruction relatifs à l'une des personnes mises en examen avaient nécessairement des répercussions à l'égard de tous. Le Gouvernement souligne les difficultés des investigations à mener dues en particulier au montage financier complexe élaboré par les inculpés ce qui a entraîné de nombreuses vérifications à l'étranger et, très précisément, dans des établissements bancaires suisses et andorrans. Des commissions rogatoires internationales furent nécessaires aux fins d'entendre des témoins qui se trouvaient à l'étranger et un certain nombre d'expertises furent nécessaires. En outre, la position de dénégation totale des inculpés rendait nécessaire de procéder à des vérifications par des méthodes d'expertise nouvelles et délicates (expertise de l'agenda électronique du requérant et d'un système informatique appartenant à A.C.). Quant au comportement des autorités judiciaires, le Gouvernement souligne que le magistrat instructeur a délivré douze commissions rogatoires dont quatre internationales. Il a dû ordonner cinq expertises adresses, cinq réquisitions à des experts traducteurs, actes rendus nécessaires par le caractère international de l'infraction. Il a procédé à vingt-et-un interrogatoires au fond et à quatre confrontations. Il a en outre effectué un déplacement sur les lieux en présence de chacun des mis en cause. Et surtout la chronologie de la procédure ne fait apparaître aucune période d'inactivité. Enfin, le Gouvernement insiste sur le fait que l'attitude des accusés niant leur participation de quelconque manière que ce soit au trafic et invoquant des alibis que le juge d'instruction se devait de vérifier, a contribué à l'allongement de la procédure. Le requérant fait observer que, malgré les commissions rogatoires internationales du magistrat instructeur, aucun pays n'a signalé que les inculpés étaient recherchés sur leur territoire. Il souligne aussi que ni lui ni aucun des autres inculpés n'avaient jamais été condamnés auparavant. En tout cas, la complexité de l'affaire ne saurait justifier plus de trois ans d'investigations. Il estime qu'il était dans son droit de nier toute participation aux faits reprochés et qu'il appartenait au ministère public de faire la démonstration de sa culpabilité. Il souligne que s'il ne s'est pas montré coopératif par son silence, il n'a pas non plus donné de fausses pistes nécessitant des vérifications et occasionnant une perte de temps pour le magistrat instructeur. Le requérant considère que le nombre de commissions rogatoires délivrées par le juge instructeur ne saurait légitimer une détention provisoire de plus de 39 mois. Les problèmes auxquels se trouve confronté le juge instructeur ne sont pas ceux de l'inculpé. La Commission constate que le requérant a été arrêté le 5 juillet 1989 et inculpé le 9 juillet 1989 de trafic de drogue. Le 31 août 1992, il était renvoyé devant le tribunal correctionnel de Dunkerque et il a été condamné par ce dernier le 16 octobre 1992. En conséquence, la Commission relève que la procédure a débuté le 5 juillet 1989 pour s'achever le 16 octobre 1992 et a donc duré trois ans, trois mois et onze jours. La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités judiciaires (voir Cour eur. D.H., arrêt Kemmache du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 27, par. 60). Par ailleurs, seules les lenteurs imputables à l'Etat peuvent amener à conclure à l'inobservation du "délai raisonnable" (voir Cour eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 35, par. 80). La Commission note tout d'abord que les accusations portées contre le requérant concernaient un trafic international de stupéfiants de grande envergure intéressant plusieurs pays ainsi que plusieurs sociétés situées à l'étranger. Aux fins d'éclaircir l'acheminement de la drogue, le juge instructeur a délivré de nombreuses commissions rogatoires dont quatre internationales. Les vérifications effectuées à l'étranger ont exigé du juge cinq réquisitions à des experts traducteurs. Au total, cinq personnes ont été inculpées dont quatre étaient des ressortissants étrangers ne parlant pas le français ce qui a exigé la désignation d'interprètes chaque fois qu'ils étaient interrogés ou confrontés. La Commission constate que le requérant ne discute pas sérieusement la complexité de la procédure en cause mais conteste que celle-ci puisse justifier sa durée. La Commission estime par conséquent que l'affaire était particulièrement complexe. La Commission relève ensuite qu'aucun délai ne peut être imputé au requérant. Sur le défaut de coopération du requérant allégué par le Gouvernement, elle estime qu'il appartenait aux organes d'instruction d'établir les faits. En tant qu'inculpé on ne saurait lui reprocher d'avoir nié les faits reprochés et de ne pas avoir contribué à l'accélération de l'instruction. S'agissant du comportement des autorités judiciaires, il ressort de la chronologie de l'affaire fournie par le Gouvernement et non contestée par le requérant que le juge d'instruction a conduit activement l'instruction. A cet égard, la Commission relève que l'instruction de l'affaire a nécessité un nombre important d'actes d'investigation, notamment d'auditions des inculpés, de commissions d'experts et de commissions rogatoires. Par ailleurs, la succession des actes de l'instruction montre qu'il n'y a eu aucune période d'inactivité de la part du magistrat instructeur. En outre, le requérant ne reproche pas au magistrat instructeur d'avoir contribué au ralentissement de la procédure. La Commission considère que la longueur de la procédure se révèle imputable, pour l'essentiel, à la complexité de l'affaire. En conséquence, la Commission estime que, dans les circonstances de l'espèce, "le comportement des autorités se révèle compatible avec le juste équilibre à ménager" entre les divers aspects de l'exigence d'une bonne administration de la justice (voir mutatis mutandis Cour eur. D.H. arrêt Boddaert du 12 octobre 1992, série A n° 235-D, p. 82, par. 39) et que la durée de la procédure n'a pas excédé le "délai raisonnable" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à la majorité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (H. DANELIUS)