SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 28666/95 présentée par G.N. contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 26 février 1997 en présence de Mme J. LIDDY, Présidente MM. E. BUSUTTIL A. WEITZEL C.L. ROZAKIS L. LOUCAIDES B. MARXER B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS G. RESS A. PERENIC C. BÎRSAN K. HERNDL M. VILA AMIGÓ Mme M. HION M. R. NICOLINI Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 11 juin 1995 par G.N. contre l'Italie et enregistrée le 25 septembre 1995 sous le N° de dossier 28666/95 ; Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 4 octobre 1996 et les observations en réponse présentées par le requérant le 27 novembre 1996 ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un citoyen italien né en 1955 à Oppido Mamertina (province de Reggio Calabre). Il est actuellement détenu à la prison de Palmi (province de Reggio Calabre). Devant la Commission, il est représenté par Me Renato Russo Fortunato, avocat du barreau de Reggio Calabre. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Suite à un rapport des carabiniers de Messine du 19 décembre 1978, le requérant fut arrêté pour la première fois le 25 octobre 1981. Il était en effet soupçonné d'appartenir à une organisation de type mafieux et d'être impliqué dans deux actions criminelles, visant respectivement à contraindre des tiers à embaucher certains membres du groupe de malfaiteurs et à leur verser un salaire nonobstant le fait qu'ils ne travaillaient pas, et à contraindre une autre entreprise à participer à une opération immobilière afin de s'attribuer illégalement une partie du profit. Le requérant fut en conséquence accusé d'association de malfaiteurs, extorsion, détention et port d'armes et dégradation. Auparavant, par jugement du 27 mars 1980 le juge d'instruction près le tribunal de Messine s'était déclaré incompétent ratione loci et avait transmis les actes de la procédure au parquet de Reggio Calabre, étant donné que la plupart des faits délictueux avaient eu lieu dans la circonscription de ce dernier. Le 26 février 1982, le juge d'instruction près le tribunal de Reggio Calabre renvoya le requérant en jugement pour association de type mafieux et tentative d'extorsion. Le procès débuta à l'audience du 23 juin 1982, mais fut aussitôt renvoyé en raison notamment de la nullité du décret de citation en jugement visant un coïnculpé contumax. Les audiences suivantes des 2 novembre 1982 et 14 janvier 1983 furent reportées en raison de l'empêchement d'un coïnculpé à comparaître. L'audience du 25 mars 1983 fut à son tour reportée compte tenu de la nécessité de recueillir des documents près d'autres autorités judiciaires, sur demande également des défenseurs et pour pouvoir procéder à l'audition de témoins n'ayant pas comparu. L'audience suivante du 2 mai 1983 dût par ailleurs être reportée à cause de la nécessité de reporter l'audition de certains témoins et de recueillir d'autres documents. Les audiences des 5 juillet et 19 octobre 1983 furent en revanche reportées pour des "motifs techniques", dont la nature n'a pas été précisée par le Gouvernement défendeur. D'autre part, les audiences des 8 et 10 février 1984 furent à leur tour reportées en raison de l'impossibilité du requérant de comparaître, ce dernier ayant déclaré n'avoir pas l'intention de "quitter son lit" malgré la possibilité d'être transporté en ambulance. Après l'audience du 27 février 1984, qui avait eu lieu régulièrement, les deux audiences suivantes des 3 avril et 14 mai 1984 furent reportées pour des "motifs techniques", dont la nature n'a pas non plus été précisée par le Gouvernement. Par la suite, des audiences eurent lieu régulièrement les 26, 27, 30 juin et 7 juillet 1984. Enfin, le 11 juillet 1984 le requérant fut condamné par le tribunal de Reggio Calabre à la peine de sept ans d'emprisonnement et à 1 million de lires d'amende, pour association de type mafieux, escroquerie et tentative d'extorsion, en complicité avec d'autres personnes. Le requérant interjeta l'appel. Par ailleurs, pour des motifs et à une date qui ne sont pas connus il se rendit par la suite introuvable ("latitante"). La première audience devant la cour d'appel, fixée au 8 mars 1988, fut reportée au 30 mai 1988 en raison d'un empêchement de certains des avocats. Deux autres audiences eurent lieu les 6 et 7 juillet 1988. Par arrêt rendu à cette dernière date et déposé au greffe le 7 mars 1989, la cour d'appel de Reggio Calabre, en l'absence du requérant, confirma la condamnation de ce dernier, tout en l'acquittant quant à l'accusation d'avoir participé à la deuxième des actions criminelles ci-dessus mentionnées. Elle réduisit en conséquence la peine à quatre ans d'emprisonnement et 700 000 lires d'amende. Le requérant se pourvut en cassation. Par arrêt du 14 novembre 1989, la Cour de cassation cassa la partie de l'arrêt de la cour d'appel concernant le requérant et renvoya l'affaire devant la cour d'appel de Messine. En effet, la Cour de cassation considéra que la motivation fournie par la cour d'appel sur ce point était illogique et insuffisante. Il semblerait que le requérant fut de nouveau arrêté le 31 août 1992. Par arrêt du 8 février 1994, la cour d'appel de Messine confirma la condamnation du requérant à quatre ans d'emprisonnement et 700 000 lires d'amende pour tentative d'extorsion. Le requérant se pourvut à nouveau en cassation le 24 février 1995 mais il fut débouté par arrêt du 17 octobre 1995, qui mit un terme à cette procédure.
GRIEFS Le requérant se plaint d'abord de la durée excessive de la procédure dont il a fait l'objet pour association de type mafieux et d'autres infractions corrélatives, alléguant de ce fait la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention. Il se plaint également de n'avoir pas été traduit devant un organe judiciaire habilité à statuer sur la légalité de son arrestation.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 11 juin 1995 et enregistrée le 25 septembre 1995. Le 27 juin 1996, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur quant au grief tiré de la durée de la procédure, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 4 octobre 1996 et le requérant y a répondu le 27 novembre 1996.
EN DROIT
1. Le premier grief du requérant porte sur la durée de la procédure dont il a fait l'objet. Cette procédure a débuté, comme soutient le Gouvernement défendeur lui-même, le 19 décembre 1978, date du rapport des carabiniers, et s'est terminée le 17 octobre 1995, date du deuxième arrêt de la Cour de cassation. Selon le requérant, qui invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, la durée de la procédure en cause, qui est de seize ans et dix mois, ne répond pas à l'exigence du délai raisonnable. Le Gouvernement soutient que la durée de la procédure s'explique en grande partie par la complexité de l'affaire, tenant notamment au nombre de personnes inculpées. Quant à la première phase du procès, le Gouvernement soutient que beaucoup des reports d'audience doivent être imputés au comportement de plusieurs des coïnculpés, à leur manque de collaboration ainsi qu'aux problèmes techniques découlant de la connexion de la procédure litigieuse avec d'autres procédures. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que les juridictions italiennes ont déployé une activité intense et que les délais de la procédure, ainsi que les dispositions du droit interne favorables au prévenu, ont permis six degrés de juridiction. Le requérant s'oppose à cette thèse et fait valoir que l'instruction de l'affaire ne revêtait aucune complexité particulière, les accusations se fondant surtout sur le rapport des carabiniers, et que le nombre de coïnculpés n'était pas du tout élevé. Quant aux reports d'audience, le requérant soutient que ceux-ci ont été demandés par d'autres coïnculpés et qu'en tout état de cause, le tribunal aurait pu séparer la procédure visant le requérant des autres. La Commission estime qu'à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de "délai raisonnable" (complexité de l'affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.
2. Le requérant se plaint en deuxième lieu de n'avoir pas été traduit devant un organe judiciaire habilité à statuer sur la légalité de son arrestation. Ni le Gouvernement, ni le requérant n'ont pris position à cet égard. La Commission estime que le requérant n'a pas étayé ce grief, n'en ayant pas précisé le contenu et n'ayant fourni aucune indication quant aux circonstances de son arrestation. Ce grief est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, quant au grief tiré de la durée de la procédure ; DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus. M.F. BUQUICCHIO J. LIDDY Secrétaire Présidente de la Première Chambre de la Première Chambre