En l'affaire H.L.R. c. France (1), La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 51 du règlement A (2) de la Cour, en une grande chambre composée des juges dont le nom suit: MM. R. Ryssdal, président, R. Bernhardt, Thór Vilhjálmsson, F. Gölcüklü, F. Matscher, L.-E. Pettiti, A. Spielmann, J. De Meyer, Mme E. Palm, MM. I. Foighel, R. Pekkanen, A.N. Loizou, A.B. Baka, M.A. Lopes Rocha, L. Wildhaber, G. Mifsud Bonnici, J. Makarczyk, D. Gotchev, P. Jambrek, K. Jungwiert, U. Lohmus,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 novembre 1996, 20 février et 22 avril 1997, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date: _______________ Notes du greffier
1. L'affaire porte le n° 11/1996/630/813. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors. _______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") puis par le gouvernement de la République française ("le Gouvernement"), les 25 janvier et 29 février 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 24573/94) dirigée contre la France et dont un ressortissant colombien, H.L.R., avait saisi la Commission le 4 juillet 1994 en vertu de l'article 25 (art. 25). Le requérant a prié la Cour de ne pas divulguer son identité. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l'article 48 (art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 3 de la Convention (art. 3).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 8 février 1996, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, A. Spielmann, J. De Meyer, M.A. Lopes Rocha, L. Wildhaber, G. Mifsud Bonnici et K. Jungwiert, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocate du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 30 juillet 1996 et celui du requérant le 12 août. Le 12 septembre, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait à l'audience.
5. Le 27 juin 1996, la chambre a décidé de se dessaisir avec effet immédiat au profit d'une grande chambre (article 51 du règlement A). La grande chambre à constituer comprenait de plein droit M. Ryssdal, président de la Cour, et M. R. Bernhardt, vice-président, ainsi que tous les autres membres (paragraphe 3 ci-dessus) et les juges suppléants (MM. R. Macdonald, A.N. Loizou, A.B. Baka et U. Lohmus) de la chambre dessaisie (article 51 par. 2 a) et b) du règlement A). Le 1er juillet 1996, le président a tiré au sort le nom des juges supplémentaires, à savoir M. F. Gölcüklü, M. F. Matscher, Mme E. Palm, M. I. Foighel, M. R. Pekkanen, M. J. Makarczyk et M. D. Gotchev, en présence du greffier. Par la suite, M. P. Jambrek a remplacé M. Macdonald, empêché (articles 22 par. 1 et 51 par. 6 du règlement A).
6. Le 26 septembre 1996, M. Ryssdal, ayant consulté les membres de la grande chambre, a accordé à Rights International, organisation non gouvernementale ayant son siège à New York, l'autorisation, sous certaines conditions, de soumettre des observations écrites. Celles-ci sont parvenues au greffe le 31 octobre 1996. La Cour a eu communication des rapports d'Amnesty International pour 1995 et 1996.
7. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 25 novembre 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire. Au cours de cette réunion, la grande chambre a décidé de ne pas joindre au dossier les documents déposés par le requérant les 24 octobre, 12, 20 et 22 novembre 1996, en raison de leur tardiveté et des objections formulées par le Gouvernement. Ont comparu: - pour le Gouvernement
MM. J.-F. Dobelle, directeur adjoint des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, agent, J. Lapouzade, conseiller de tribunal administratif détaché à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, E. Boscq, attaché d'administration centrale au ministère de l'Intérieur, conseils; - pour la Commission
M. J.-C. Geus, délégué; - pour le requérant
Me H. Clément, avocate au barreau de Paris, conseil, M. G. Parent, conseiller. La Cour a entendu en leurs déclarations M. Geus, Me Clément et M. Dobelle.
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
8. Ressortissant colombien né en 1968, H.L.R. se trouve actuellement en France, assigné à résidence. A. La condamnation pénale du requérant
9. Le 14 mai 1989, le requérant, en transit, fut interpellé à l'aéroport de Roissy, porteur d'un colis contenant 580 grammes de cocaïne en provenance de Colombie et à destination de l'Italie. Selon les procès-verbaux des auditions du 16 mai 1989, H.L.R. fournit, au cours de sa garde à vue, des indications sur les deux instigateurs du trafic et sur son recruteur, H.B. Elles permirent à Interpol d'identifier ce dernier, qui était répertorié sous deux noms différents et avait été arrêté le 21 mai 1989 à l'aéroport de Francfort-sur-le-Main en possession de 552 grammes de cocaïne. Condamné le 23 janvier 1990 par le tribunal de Francfort-sur-le-Main à une peine de prison de deux ans et huit mois, H.B. fut expulsé vers la Colombie en exécution d'une ordonnance prise le 12 avril 1990 par le sous-préfet (Landrat des Landkreises) de Darmstadt-Dieking.
10. Entre-temps, le 25 septembre 1989, le tribunal correctionnel de Bobigny avait condamné le requérant à une peine d'emprisonnement de cinq ans assortie d'une interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
11. Le 24 juillet 1992, la cour d'appel de Paris confirma ce jugement ainsi que celui rendu par le même tribunal le 22 juin 1992 rejetant la requête en relèvement de l'interdiction définitive du territoire.
12. Le 31 juillet 1992, l'intéressé, faisant notamment valoir qu'il avait collaboré avec les autorités judiciaires, forma en vue d'obtenir la révocation de l'interdiction de séjour un recours en grâce auprès du président de la République. Ce dernier le rejeta le 20 septembre 1994.
13. Le 18 décembre 1992, le procureur de la République de Bobigny, qui, dans un premier temps, avait requis du préfet de la Dordogne de mettre à exécution la mesure d'interdiction du territoire le 30 décembre, date de la libération du requérant, donna ordre de surseoir à ses réquisitions de reconduite à la frontière.
14. A l'issue de sa peine, le requérant fut accueilli au domicile d'un de ses visiteurs de prison. B. La procédure d'expulsion 1. L'arrêté d'expulsion
15. De son côté, nonobstant le recours en grâce, le ministre de l'Intérieur, en application de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée (paragraphe 24 ci-dessous), demanda de soumettre, pour avis, le dossier de l'intéressé à la commission d'expulsion des étrangers.
16. Le 17 février 1994, la commission d'expulsion des étrangers, informée des risques encourus par le requérant en cas d'expulsion vers la Colombie, émit l'avis suivant: "La Commission émet un avis défavorable à son expulsion, sa présence sur le territoire français ne constituant pas une menace grave pour l'ordre public et Monsieur H.L.R. présentant par ailleurs des garanties d'insertion dans la communauté nationale."
17. Le 26 avril 1994, le ministre de l'Intérieur prit néanmoins à l'encontre du requérant un arrêté prononçant son expulsion. Il se fonda sur les raisons suivantes: "Considérant que M. H.L.R., ressortissant colombien, (...), s'est livré en 1989 à des activités constituant une infraction à la législation sur les stupéfiants en important en contrebande près de 600 grammes d'héroïne [sic], Considérant qu'en raison de l'ensemble de son comportement la présence de cet étranger sur le territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public, Vu l'avis émis le 17 février 1994 par la commission prévue à l'article 24 de l'ordonnance [n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France]."
18. Par une lettre du 9 mai 1994, reçue par le requérant le 20 mai, le préfet de la Dordogne notifia ledit arrêté. Il précisait que l'expulsion devait être réalisée, dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre, vers la Colombie, à défaut d'admission par un pays tiers. Par décision du 20 juin 1994, le préfet accorda un ultime délai supplémentaire d'un mois pour trouver un pays d'accueil. 2. La demande d'abrogation
19. Le 30 mai 1994, le requérant sollicita l'abrogation de l'arrêté d'expulsion auprès du ministre de l'Intérieur. Ce dernier rejeta cette demande le 17 juin 1994, aux motifs suivants: "J'ai le regret de vous faire connaître qu'il ne m'est pas possible, pour le moment, de réserver une suite favorable à votre requête en raison du caractère récent et de la gravité des faits à l'origine de la mesure d'éloignement prise à l'égard de votre client malgré les différents éléments que vous invoquez en sa faveur dans votre recours. Il s'est en effet livré en 1989 à un trafic portant sur près de 600 grammes d'héroïne [sic]. Sa présence en France constitue par conséquent toujours une menace grave pour l'ordre public." 3. Les recours en annulation
20. Parallèlement, par requêtes enregistrées les 7 et 28 juin 1994, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Bordeaux deux recours en annulation, l'un contre l'arrêté d'expulsion, l'autre contre le refus d'abrogation dudit arrêté d'expulsion.
21. Par un jugement du 18 avril 1996, notifié le 17 juillet, le tribunal, après les avoir jointes, repoussa les deux requêtes. Il motiva sa décision comme suit: "Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945: "Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 (art. 3) de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950"; qu'en vertu des stipulations de l'article 2 (art. 2) de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme: "1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...)" et de l'article 3 (art. 3) de la même Convention: "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants."; que l'arrêté attaqué du 26 avril 1994 a exclusivement enjoint à [M. H.L.R.] de quitter le territoire français; que, par suite, en tout état de cause, le moyen tiré de ce que son renvoi en Colombie méconnaîtrait les dispositions précitées (art. 2, art. 3) est inopérant; Considérant (...) que [M. H.L.R.] est célibataire, sans enfant, et n'a pas de vie familiale en France; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations [de l'article 8 (art. 8) de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales] ne saurait être accueilli."
22. Le 10 septembre 1996, le requérant attaqua ce jugement devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. L'issue de la procédure n'est pas connue. 4. L'assignation à résidence
23. Entre-temps, le ministre de l'Intérieur avait pris un arrêté le 12 juillet 1994 en application de l'article 28 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée (paragraphe 24 ci-dessous). Considérant établi que l'intéressé n'était pas en mesure présentement de quitter le territoire français, il l'assigna à résidence "jusqu'au moment où il aura la possibilité de déférer à l'arrêté d'expulsion dont il fait l'objet". Cette situation demeure aujourd'hui inchangée.
II. Le droit interne pertinent
24. L'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour, telle que modifiée par la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, régit l'expulsion du requérant. Les dispositions pertinentes, dans leur rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, sont les suivantes: Article 23 "Sous réserve des dispositions de l'article 25, l'expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l'Intérieur si la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé par le ministre de l'Intérieur. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article 24, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter. (...)" Article 24 "L'expulsion prévue à l'article 23 ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes: 1° L'étranger doit en être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat; 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission siégeant sur convocation du préfet et composée: Du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président; D'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département; D'un conseiller du tribunal administratif. Le chef du service des étrangers à la préfecture assure les fonctions de rapporteur; le directeur départemental de l'action sanitaire et sociale ou son représentant est entendu par la commission; ils n'assistent pas à la délibération de la commission. La convocation, qui doit être remise à l'étranger quinze jours au moins avant la réunion de la commission, précise que celui-ci a le droit d'être assisté d'un conseil et d'être entendu avec un interprète. L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Cette faculté est indiquée dans la convocation. L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par le président de la commission. Les débats de la commission sont publics. Le président veille à l'ordre de la séance. Tout ce qu'il ordonne pour l'assurer doit être immédiatement exécuté. Devant la commission, l'étranger peut faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion. Un procès-verbal enregistrant les explications de l'étranger est transmis, avec l'avis motivé de la commission, au ministre de l'Intérieur qui statue. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé." Article 25 "Ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion, en application de l'article 23: 1° L'étranger mineur de dix-huit ans; 2° L'étranger qui justifie, par tous moyens, résider en France habituellement depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans; 3° L'étranger qui justifie, par tous moyens, résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ainsi que l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant"; 4° L'étranger, marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française; 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins; 6° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 pour cent; 7° L'étranger résidant régulièrement en France sous couvert de l'un des titres de séjour prévus par la présente ordonnance ou les conventions internationales qui n'a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans sursis. Toutefois, par dérogation au 7° ci-dessus, peut être expulsé tout étranger qui a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée quelconque pour une infraction prévue ou réprimée par l'article 21 de la présente ordonnance, les articles 4 et 8 de la loi n° 73-548 du 27 juin 1973 relative à l'hébergement collectif, les articles L-362-3, L-364-2-1, L-364-3 et L-364-5 du Code du travail ou les articles 225-5 à 225-11 du Code pénal. Les étrangers mentionnés aux 1° à 6° ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22 de la présente ordonnance. Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger entrant dans l'un des cas énumérés aux 3°, 4°, 5° et 6° peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application des articles 23 et 24 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans." Article 27 bis "L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné: 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Commission des recours des réfugiés lui a reconnu le statut de réfugié ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile; 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité; 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 (art. 3) de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950." Article 28 par. 1 "L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière et qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français en établissant qu'il ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays peut, par dérogation à l'article 35 bis, être astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés, dans lesquels il doit se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie."
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
25. H.L.R. a saisi la Commission le 4 juillet 1994. Il alléguait que son expulsion vers la Colombie lui ferait courir un risque sérieux d'y subir un traitement contraire à l'article 3 de la Convention (art. 3).
26. Le 8 juillet 1994, la Commission a indiqué au gouvernement français, en vertu de l'article 36 de son règlement intérieur, qu'il était souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas procéder à l'expulsion du requérant. Cette indication a été renouvelée à plusieurs reprises et, en dernier lieu, le 16 janvier 1996.
27. La Commission a retenu la requête (n° 24573/94) le 2 mars 1995. Dans son rapport du 7 décembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-neuf voix contre dix, à la violation de cette disposition (art. 3) au cas où le requérant serait expulsé vers la Colombie. Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier
1. Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
28. Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête de M. H.L.R.
29. De son côté, le requérant la prie de dire que son éloignement forcé du territoire français constituerait une violation de l'article 3 de la Convention (art. 3).
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION (art. 3)
30. Le requérant allègue que s'il devait se voir expulser vers la Colombie, il y subirait certainement un traitement prohibé par l'article 3 de la Convention (art. 3), ainsi libellé: "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants." Eu égard à ses antécédents judiciaires en France, il ne serait pas en mesure de trouver un autre pays d'accueil que son pays d'origine. Or, en Colombie, il serait exposé à la vengeance des trafiquants de drogue qui l'ont recruté en tant que passeur. En vertu d'obligations positives pesant sur les Etats et du caractère absolu du droit en cause, l'article 3 (art. 3) s'appliquerait à des traitements inhumains et dégradants résultant du fait de particuliers lorsque, par ses actes ou par son inaction, un Etat contractant ne respecte pas ses engagements au regard de la Convention. L'Etat français ayant sollicité et obtenu de H.L.R. des renseignements sur ses commanditaires, il aurait le devoir de le protéger. Les communications échangées par les services d'Interpol et les pièces de la procédure ouverte en Allemagne à l'encontre de H.B., le mandant du requérant, démontreraient que lesdites déclarations ont permis l'identification de cet individu, interpellé en Allemagne et condamné pour trafic de drogue (paragraphe 9 ci-dessus). Outre la violence endémique entretenue par les organisations criminelles colombiennes, le risque encouru par l'intéressé serait réel et personnel; sa situation serait, par conséquent, pire que celle des autres Colombiens. En effet, en dénonçant des trafiquants de drogue, H.L.R. aurait rompu la loi du silence. Or la délation, ainsi que l'auraient indiqué plusieurs associations de juristes colombiens, conduirait fréquemment à des représailles. En outre, les différents courriers de la tante du requérant, dont le premier, figurant dans le dossier de la Commission, date du 25 septembre 1993 et le dernier du 13 août 1996, rappelleraient à son neveu le danger de mort le guettant en cas de retour puisqu'il y serait attendu par son recruteur. Entre-temps libéré, H.B. la questionnerait régulièrement à son sujet, disposerait de photographies de l'intéressé et souhaiterait se venger. D'autre part, H.L.R. ne pourrait recevoir, des autorités colombiennes, une protection adéquate contre le risque encouru. La pénétration de tous les rouages du pouvoir par les organisations liées au trafic de la drogue serait telle que certains qualifieraient la Colombie de "narcodémocratie". Les violations massives des droits de l'homme engendrées par les actions ou omissions d'agents de l'Etat seraient unanimement dénoncées. L'inefficacité des institutions judiciaires de droit commun se traduirait par l'impossibilité de répondre positivement aux demandes de protection et par une impunité à hauteur de 90% des auteurs des meurtres commis. La législation colombienne ne prévoirait d'ailleurs, pour les personnes ayant collaboré avec la justice d'un pays étranger, aucune protection spéciale contre la menace de représailles émanant des individus dénoncés. Les cartels de la drogue auraient infiltré les services de sécurité et de renseignements et la corruption gangrénerait aussi bien l'appareil judiciaire que les forces de police et de l'armée. Certains groupes paramilitaires, dont la mission serait d'appuyer l'armée dans sa lutte contre la guérilla et les groupes d'opposition, bénéficieraient de ressources financières provenant du commerce de la drogue. Ils tiendraient sous leur joug des régions importantes de Colombie et seraient responsables de l'escalade de la violence depuis la fin des années 80.
31. La Commission souscrit en substance à cette thèse. Pour apprécier l'existence d'un risque de traitements contraires à l'article 3 (art. 3), il faut appliquer des critères rigoureux eu égard au caractère absolu de cette disposition (art. 3). Seule entre en considération l'existence d'un danger objectif, notamment la nature du régime politique de l'Etat dans lequel l'intéressé est susceptible d'être renvoyé ou une conjoncture particulière existant dans cet Etat. Cette constatation n'implique pas nécessairement une quelconque responsabilité de l'Etat de destination. En l'espèce, le risque n'émane pas des autorités colombiennes. Compte tenu de la situation spécifique régnant en Colombie quant au trafic de stupéfiants, des activités délictueuses du requérant en rapport avec le milieu narcotrafiquant et de ses déclarations à la police française, l'intéressé encourt, en cas de renvoi, un risque réel et sérieux de traitements prohibés par l'article 3 (art. 3): il apparaît en effet plus que vraisemblable que H.L.R. ne pourra recevoir des autorités colombiennes une protection adéquate.
32. Le Gouvernement soutient, à titre principal, que la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de l'article 3 de la Convention (art. 3) dès lors que le risque de traitements inhumains ou dégradants invoqué par le requérant ne trouve pas son origine dans l'attitude des autorités colombiennes. On ne saurait interpréter l'article 3 (art. 3) comme s'appliquant aussi aux cas où le risque de tels traitements émane exclusivement de particuliers ou de groupes de particuliers qu'au prix d'un élargissement considérable du champ d'application de la Convention. Les travaux préparatoires de l'article 3 (art. 3), cités par le requérant, ne seraient d'aucun secours puisque l'amendement tendant à mentionner expressément le caractère absolu de l'interdiction de traitements prohibés, aurait été retiré. A l'appui de sa thèse, le Gouvernement invoque également l'article 1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984, qui fait explicitement appel à l'élément intentionnel dans la définition de la "torture". Ce texte représenterait les dernières avancées du droit international en la matière. De même, la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié exigerait un élément intentionnel des autorités officielles pour pouvoir reconnaître un tel statut à un individu. En tout état de cause, H.L.R. n'aurait pas établi la réalité et la gravité du risque encouru. Les éléments personnalisés du dossier reposeraient sur les seules allégations du requérant, qu'aucun commencement de preuve ne viendrait étayer. Quant à la protection des autorités de l'Etat de destination, on ne saurait exiger qu'elle revête un caractère absolu. Malgré les moyens mis en oeuvre par des pays développés, les Etats ne parviendraient pas toujours à assurer la sécurité notamment de leurs plus hauts magistrats. En l'espèce, aucun élément ne démontrerait que les autorités colombiennes ne pourraient apporter une protection adaptée à la situation du requérant. En conclusion, le renvoi de ce dernier dans son pays d'origine ne pourrait passer pour une mesure qui le placerait, de façon certaine et inévitable, dans une situation où sa vie ou son intégrité physique serait menacée.
33. La Cour rappelle d'abord que les Etats contractants ont, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux des traités internationaux, y compris la Convention, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux (voir l'arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, série A n° 215, p. 34, par. 102).
34. Cependant, l'expulsion d'un étranger par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3 (art. 3), donc engager la responsabilité de l'Etat en cause au titre de la Convention lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 (art. 3). En pareil cas, cette disposition (art. 3) implique l'obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir les arrêts Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, p. 35, paras. 90-91, Cruz Varas et autres c. Suède du 20 mars 1991, série A n° 201, p. 28, paras. 69-70, Vilvarajah et autres précité, p. 34, par. 103, Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1853, paras. 73-74, et p. 1855, par. 80, et Ahmed c. Autriche du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2206, par. 39).
35. La Cour rappelle en outre que l'article 3 (art. 3), qui consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (voir l'arrêt Soering précité, p. 34, par. 88), prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime (voir les arrêts Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 65, par. 163, Chahal précité, p. 1855, par. 79, et Ahmed précité, pp. 2206-2207, paras. 40-41).
36. Le système de la Convention confie en premier lieu à la Commission l'établissement des faits (articles 28 par. 1 et 31) (art. 28-1, art. 31). Aussi la Cour n'use-t-elle de ses propres pouvoirs en la matière que dans des circonstances exceptionnelles (arrêt Cruz Varas et autres précité, p. 29, par. 74). Toutefois, la Cour n'est pas liée par les constatations du rapport de la Commission et demeure libre de vérifier et d'apprécier les faits elle-même.
37. Afin de déterminer s'il est établi que le requérant court un risque réel, en cas d'expulsion vers la Colombie, de subir des traitements contraires à l'article 3 (art. 3), la Cour s'appuie sur l'ensemble des éléments qu'on lui fournit ou, au besoin, qu'elle se procure d'office (arrêt Vilvarajah et autres, précité, p. 36, par. 107). De plus, la date retenue pour évaluer le risque étant celle où la Cour étudie l'affaire, il y aura lieu de tenir compte des données apparues après l'examen par la Commission.
38. La Cour relève que, le 14 mai 1989, le requérant a été interpellé à l'aéroport de Roissy, dans la zone de transit, alors qu'il était porteur de drogue en provenance de Colombie et à destination de l'Italie. Pour ces faits, il a été condamné à une peine d'emprisonnement assortie d'une interdiction définitive du territoire français. A l'occasion de sa détention, il a donné le nom de trois trafiquants de drogue, dont l'un, à la suite de ses renseignements, a pu être identifié (paragraphe 9 ci-dessus). L'expulsion du requérant a été décidée le 26 avril 1994, au motif que sa présence sur le territoire français constituait une menace grave pour l'ordre public. Actuellement, il se trouve assigné à résidence en France.
39. Il faut donc rechercher si les conséquences prévisibles d'une expulsion de H.L.R. vers la Colombie sont de nature à faire jouer l'article 3 (art. 3). En l'espèce, le risque invoqué par le requérant ne provient pas des autorités publiques. Il tient, selon lui, aux représailles des trafiquants de drogue qui pourraient être amenés à se venger en raison de certaines déclarations à la police française et au fait que l'Etat colombien ne serait pas en mesure de le protéger contre des attentats commis par ces personnes.
40. En raison du caractère absolu du droit garanti, la Cour n'exclut pas que l'article 3 (art. 3) trouve aussi à s'appliquer lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Encore faut-il démontrer que le risque existe réellement et que les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure d'y obvier par une protection appropriée.
41. A l'instar de la Commission, la Cour ne peut que constater la situation générale de violence existant dans le pays de destination. Elle estime toutefois qu'un tel contexte n'est pas à lui seul de nature à entraîner, en cas d'expulsion, une violation de l'article 3 (art. 3).
42. Les pièces d'origines diverses, produites à l'appui du mémoire du requérant, apportent des renseignements sur l'atmosphère tendue en Colombie, mais ne contiennent aucune indication sur l'existence de situations comparables à celle de H.L.R. Si, parfois, en cas de délation, les narcotrafiquants cherchent à se venger, aucun élément pertinent ne prouve, s'agissant de H.L.R., la réalité du risque allégué. Les lettres de sa tante ne sauraient, à elles seules, suffire à concrétiser la menace. Par ailleurs, aucun document n'étaye l'allégation selon laquelle la situation personnelle de l'intéressé serait pire, en cas de renvoi, que celle des autres Colombiens. De même, les rapports d'Amnesty International pour 1995 et 1996 ne fournissent pas d'informations sur le type de situation dans laquelle se trouve le requérant; ils relatent les actes des forces de sécurité et de guérilla. Seul le premier mentionne, dans un contexte non pertinent en l'espèce, des actes criminels attribués à des organisations de trafiquants de drogue.
43. La Cour n'ignore pas non plus les difficultés rencontrées par les autorités colombiennes pour endiguer la violence. De son côté, le requérant n'a pas démontré que lesdites autorités sont incapables de lui offrir une protection appropriée.
44. Ces considérations amènent la Cour à conclure à l'absence de motifs sérieux et avérés de croire que l'expulsion du requérant l'exposerait à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 3 (art. 3). Partant, l'arrêté ordonnant l'expulsion de l'intéressé, s'il était mis à exécution, ne violerait pas l'article 3 (art. 3).
PAR CES MOTIFS, LA COUR Dit, par quinze voix contre six, qu'il n'y aurait pas violation de l'article 3 de la Convention (art. 3) au cas où la décision d'expulser le requérant recevrait exécution. Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 29 avril 1997.
Signé: Rolv RYSSDAL Président
Signé: Herbert PETZOLD Greffier Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 de la Convention (art. 51-2) et 53 par. 2 du règlement A, l'exposé des opinions séparées suivantes: - opinion dissidente de M. De Meyer; - opinion dissidente de M. Pekkanen, à laquelle MM. Thór Vilhjálmsson, Lopes Rocha et Lohmus déclarent se rallier; - opinion dissidente de M. Jambrek.
Paraphé: R. R.
Paraphé: H. P. OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE DE MEYER Les considérations peu convaincantes développées dans les paragraphes 41 à 43 de l'arrêt ne suffisent pas à apaiser les appréhensions qu'on peut avoir quant au sort qui attend le requérant à son retour en Colombie. Elles indiquent plutôt qu'il y court des risques au moins aussi sérieux que ceux auxquels était exposé M. Chahal s'il avait été renvoyé en Inde (1). Je souscris pleinement à ce qu'a écrit à ce sujet M. Pekkanen (2), ainsi qu'à la conclusion à laquelle il aboutit dans la présente affaire (3). _______________ 1. Arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, pp. 1859-1862, paras. 98 à 107.
2. Voir son opinion dissidente, ci-après, par. 4.
3. Ibidem, par. 5. _______________ OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PEKKANEN, A LAQUELLE DECLARENT SE RALLIER MM. LES JUGES THÓR VILHJÁLMSSON,LOPES ROCHA ET LOHMUS (Traduction)
1.J'admets que l'on considère que H.L.R., trafiquant de drogue condamné, devait savoir à quoi il s'exposait en se livrant à ce genre d'activité et en fréquentant les cartels de la drogue. Néanmoins, l'on ne saurait nier qu'il bénéficie toujours de la protection de l'article 3 de la Convention (art. 3).
Il convient de souligner que lorsqu'il se trouvait en détention en France, H.L.R. a communiqué le nom de trois trafiquants de drogue, dont l'un a pu être identifié à la suite de ses déclarations (paragraphe 38 de l'arrêt). Il ne faut donc pas oublier que du point de vue de son employeur, le cartel en question, H.L.R. est un "informateur" et que les organisations criminelles ont tendance à se venger cruellement de ces personnes afin d'intimider les "informateurs" potentiels et de les dissuader de révéler des renseignements. Les preuves concrètes montrant que H.L.R. risquerait sa vie s'il était refoulé sont, il est vrai, assez maigres. Cela n'a cependant rien d'étonnant: en effet, les tueurs préviennent rarement avant de passer à l'acte. Selon moi, exiger des preuves concrètes plus fournies d'un requérant dont il est établi qu'il est un "informateur" revient à lui imposer une charge irréaliste. Des "informateurs" ont avant lui connu un sort fatal en Colombie. Selon un rapport du 16 janvier 1995 préparé par deux rapporteurs spéciaux et soumis à la Commission des Droits de l'Homme des Nations unies concernant la situation en Colombie, de nombreuses personnes accusées par la guérilla de fournir des informations aux forces de sécurité auraient été tuées. Il y a tout lieu de croire que les cartels de la drogue, bien plus puissants, réserveront le même sort à leurs "informateurs".
2. Il convient également d'apprécier le risque que H.L.R. subisse un traitement contraire à l'article 3 de la Convention (art. 3) s'il est expulsé vers la Colombie en tenant compte de la situation régnant en général dans ce pays en matière de droits de l'homme. A cet égard, le rapport précité est révélateur. Selon les rapporteurs spéciaux, la Colombie, qui compte 36 millions d'habitants, connaît le taux d'homicide le plus élevé du monde; 30 000 environ s'y sont produits en 1994. Dans 77% des cas environ, il n'a pas été possible de découvrir l'auteur du crime. Ces cas recouvrent des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et des tortures perpétrées par les forces de sécurité et des groupes coopérant avec elles, notamment dans le cadre des actions de lutte anti-insurrectionnelle, mais également dans le but de protéger certains privilèges et intérêts économiques, ainsi que des abus commis à grande échelle par des insurgés et des groupes armés au service des trafiquants de drogue ou des grands propriétaires terriens. Grâce à leurs énormes moyens financiers, les cartels de la drogue et les narcotrafiquants ont transformé les groupes armés à leur solde en forces hautement opérationnelles dotées d'armes perfectionnées. Ils auraient des liens étroits avec les chefs militaires locaux et agiraient sur l'ensemble du territoire national. Dans certains cas, les groupes privés financés par les trafiquants de drogue collaboreraient avec les forces de sécurité. Le rapport souligne que les carences dans l'administration de la justice et l'incapacité où se trouvent les autorités de l'Etat d'assurer la sécurité de la population civile sont pour beaucoup dans l'augmentation de la violence. De 1982 à 1994, 270 magistrats environ auraient été assassinés. Sur les 28 000 cas de mort violente recensés en Colombie en 1992, seules 2 717 condamnations ont été prononcées par la justice pénale, correspondant à peine à 10% des cas.
3. Eu égard aux intérêts commerciaux gigantesques des cartels de la drogue et à la position puissante qu'ils occupent en Colombie, il y a tout lieu de croire qu'ils ont intérêt à protéger leurs acquis et donc à s'assurer que les "informateurs" ne restent pas impunis. Dans le climat d'anarchie qui règne en Colombie, il doit être facile pour un cartel de la drogue de retrouver la trace d'un "informateur" et de se venger de lui. En l'état actuel des choses, il n'y a que très peu de chances que les autorités de l'Etat puissent protéger la vie d'un informateur ou même traduire ses assassins en justice.
4. En l'affaire Chahal c. Royaume-Uni, la Cour a conclu que, malgré les efforts menés par les autorités indiennes pour introduire des réformes, des problèmes subsistaient s'agissant du respect des droits de l'homme de la part de certains membres des forces de sécurité du Pendjab et d'autres régions de l'Inde, et que l'expulsion d'un défenseur notoire de la cause du séparatisme sikh risquait d'en faire la cible des éléments durs des forces de sécurité. Partant, son expulsion aurait violé l'article 3 de la Convention (art. 3). L'affaire Chahal est comparable à la présente affaire dans la mesure où les armées privées des puissants cartels de la drogue, connues pour leur collaboration avec les forces de sécurité, semblent en mesure d'opérer en ne subissant qu'un contrôle très réduit des autorités de l'Etat. Vu la situation générale régnant en Colombie en matière de droits de l'homme, j'estime que le requérant court un risque au moins aussi sérieux de subir des représailles que ce n'était le cas de M. Chahal. Je parviens en l'espèce à la même conclusion que la Cour en l'affaire Chahal.
5. En conclusion, il existe à mon avis des raisons sérieuses de penser que H.L.R., s'il était expulsé vers la Colombie, courrait un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 de la Convention (art. 3) de la part du cartel de la drogue en question. Etant donné que les autorités de l'Etat colombien ne sont pas actuellement en mesure d'assurer une protection suffisante contre un tel traitement, j'estime qu'il y aurait violation de l'article 3 de la Convention (art. 3) si H.L.R. devait être expulsé vers la Colombie. OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE JAMBREK (Traduction) Je suis au regret de ne pouvoir souscrire à l'avis de la majorité sur l'absence de violation en l'affaire H.L.R. c. France. Pour moi en effet, le critère primordial est le danger ou le degré du risque encouru par le requérant, s'il est expulsé sur la Colombie, de subir des traitements prohibés par l'article 3 (art. 3). Je conviens qu'un tel risque est plus facile à prévoir lorsque les autorités de l'Etat interviennent dans le processus. A mon avis cependant, on ne saurait faire dans l'abstrait une distinction nette entre les cas où le danger provient de l'Etat, ceux où il y a complicité du gouvernement, et même ceux où l'Etat n'existant pas, le requérant ne saurait être protégé. Dès lors, il faut apprécier le risque à la lumière des circonstances propres à chaque cas. Les raisons déterminantes indiquées aux paragraphes 42 et 43 du présent arrêt ne me convainquent pas que le risque encouru par le requérant n'a pas été suffisamment étayé par des documents prouvant son caractère grave et concret, ni que les autorités colombiennes soient en mesure de lui accorder la protection voulue. Compte tenu de ce que l'intéressé a coopéré avec les autorités françaises pendant qu'il était en détention, il conviendrait à mon sens que ces dernières lui accordent un minimum de protection contre la menace de représailles par les narcotrafiquants colombiens en s'abstenant de mettre en oeuvre l'arrêté d'expulsion. D'autre part, il m'apparaît que la persistance de sa présence sur le territoire français ne constituerait pas pour l'ordre public une menace de nature à l'emporter sur le risque de l'exposer à des traitements contraires à l'article 3 (art. 3) en cas d'expulsion sur la Colombie. Il ne me paraît pas probable qu'il poursuive ses activités criminelles à présent que son recrutement par les trafiquants de drogue a été divulgué et qu'il a purgé sa peine. Par ailleurs, je souscris à la plupart des motifs indiqués par M. le juge Pekkanen dans son opinion dissidente.