DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41792/98
présentée par Colette BRUNY
contre France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 27 avril 1999 en présence de
Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
Mme F. Tulkens,
M. W. Fuhrmann,
M. K. Jungwiert,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 13 juin 1998 par Colette BRUNY contre France et enregistrée le 22 juin 1998 sous le n° de dossier 41792/98 ;
Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 31 décembre 1998 et les observations en réponse présentées par la requérante le 22 janvier 1999 ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante est une ressortissante française née en 1938 et résidant à Marseille (Bouches-du-Rhône). Devant la Cour, elle est représentée par Me Jean-Luc Guasco, avocat au barreau de Marseille.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 22 avril 1991, suite à son licenciement, la requérante saisit le conseil de prud’hommes de Marseille, qui, par jugement du 6 mars 1992, la débouta de ses demandes.
La requérante ayant interjeté appel de cette décision, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêt du 6 septembre 1995, considéra que le licenciement était fondé et ne réforma que partiellement le jugement entrepris, octroyant à la requérante diverses indemnités pour un montant total de 5 566 francs.
Après le dépôt d’un pourvoi en cassation le 2 octobre 1995, la requérante déposa son mémoire ampliatif le 25 octobre 1995. La partie adverse déposa son mémoire en défense le 6 juin 1997.
Le 11 mars 1998, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt déféré et renvoya les parties devant la cour d’appel de Lyon, qui le 9 novembre 1998, constatait le désistement de la requérante.
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de la procédure.
PROCÉDURE
La requête a été introduite le 13 juin 1998 et a été enregistrée le 22 juin 1998. Le 15 septembre 1998, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.
Depuis le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, et en vertu de l’article 5 § 2 de celui-ci, la requête est examinée par la Cour conformément aux dispositions dudit Protocole.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 31 décembre 1998, et la requérante y a répondu le 22 janvier 1999.
EN DROIT
Le grief de la requérante porte sur la durée de la procédure litigieuse. Cette procédure a débuté le 22 avril 1991 et s’est terminée le 9 novembre 1998. Elle a donc duré 7 ans, 6 mois et 17 jours.
En premier lieu, le Gouvernement estime que la partie requérante aurait dû faire usage de l’action en réparation pour faute lourde dans l’administration de la justice prévue à l’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire. Il se réfère à cet égard à une nouvelle décision du tribunal de grande instance de Paris en date du 5 novembre 1997 pour démontrer que la jurisprudence interne a évolué et que cette voie de recours a désormais une efficacité renforcée. Il considère que, faute pour la requérante d'avoir exercé cette action, la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.
En second lieu, s’agissant de l’appréciation de la durée de la procédure litigieuse, le Gouvernement soutient que l’affaire présentait une certaine complexité liée à l’interprétation de la convention collective applicable en l’espèce. Il estime par ailleurs que le seul délai imputable à l’Etat est celui concernant la procédure devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence (3 ans, 5 mois et 18 jours), cette lenteur étant due à un encombrement chronique du rôle des chambres sociales de cette juridiction. Selon lui, la procédure devant le conseil de prud’hommes de Marseille (10 mois et 14 jours) ainsi que celle devant la Cour de cassation (2 ans, 5 mois et 9 jours) ne sauraient prêter à critique. En revanche, le Gouvernement souligne que lors de la procédure devant la Cour de cassation, la partie adverse a déposé son mémoire en défense le 6 juin 1997, soit 1 an, 7 mois et 12 jours après le dépôt du mémoire de la requérante le 25 octobre 1995.
La requérante s’oppose à l’argumentation du Gouvernement.
La Cour rappelle que, dans les décisions qu'elle a rendues le 20 mai 1998 dans l'affaire Durrand c. France (n° 36153/97) puis le 8 juillet 1998 dans l’affaire Chiocca c. France (n° 32639/96), la Commission a rejeté cette exception, en raison du fait que ce recours n'existait pas encore avec un degré suffisant de certitude. La Commission releva notamment que le Gouvernement se référait pour l'essentiel au jugement précité du 5 novembre 1997, frappé d'appel à l'initiative du représentant de l'Etat. Or la Commission constata que ce jugement avait été rendu longtemps après le début de la procédure visée dans la première requête citée ci-dessus et même après la fin de la procédure en ce qui concerne la deuxième requête. La Commission rappela que l'article 26 (maintenant article 35 § 1) de la Convention n'exigeait pas au surplus l'exercice préalable d'un recours interne dont l'efficacité ne serait apparue qu'en raison d'une évolution de la jurisprudence postérieure aux faits.
La Cour ne voit pas de raison de s'écarter de cette approche, d'autant plus qu'en l'espèce, la procédure dont se plaint la requérante avait débuté plus de six ans et sept mois avant le jugement sur lequel s'appuie principalement le Gouvernement. Dès lors elle ne saurait accueillir favorablement l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement (voir, à titre de précédents, ses décisions n° 36754/97, A. Donsimoni c. France du 19 janvier 1999 et n° 31801/96 du 2 mars 1999).
La Cour estime qu’à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, ce grief, y compris la question de l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention à la procédure critiquée, doit faire l’objet d’un examen au fond.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.
S. Dollé N. Bratza
Greffière Président
41792/98 - -
- - 41792/98