TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 53183/99 présentée par Yves LOEWENGUTH contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 30 mai 2000 en une chambre composée de
M. L. Loucaides, président,  M. J.-P. Costa,
M. P. Kūris,  Mme F. Tulkens,  M. K. Jungwiert,  Mme H.S. Greve,  M. M. Ugrekhelidze, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 1er décembre 1998 et enregistrée le 6 décembre 1999,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant français né en 1943 ; il est actuellement incarcéré. Il est représenté devant la Cour par Me L. Hintermann, avocat au barreau de Thonon les Bains (France).
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Par un arrêt du 31 mars 1998, la cour d’assises de la Haute-Savoie reconnut le requérant coupable de viols aggravés et le condamna à quinze ans de réclusion criminelle et à l’interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée de dix ans.
Le 18 novembre 1998, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant par un arrêt ainsi motivé :
« Attendu qu’aucun moyen n’est produit à l’appui du pourvoi, que la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury ».
Le requérant soutient que le défaut de production de moyens devant la Cour de cassation tient à la négligence de l’avocat qui le représentait.
GRIEFS
Invoquant l’article 6, le requérant se plaint du défaut d’équité de la procédure criminelle conduite contre lui. Il dénonce en particulier le refus du juge d’instruction d’ordonner une contre-expertise et d’entendre certains témoins à décharge ainsi qu’une entrave à la préparation de sa défense résultant du fait que, durant l’instruction, les autorités lui réclamèrent 3 FRF par page pour lui fournir une copie de son dossier.
Invoquant l’article 2 du Protocole n° 7, il se plaint aussi du fait qu’il ne put bénéficier d’un double degré de juridiction, le pourvoi en cassation étant la seule voie de recours ouverte contre les arrêts des cours d’assises.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint du défaut d’équité de la procédure criminelle conduite contre lui. Il dénonce en particulier le refus du juge d’instruction d’ordonner une contre-expertise et d’entendre certains témoins à décharge, ainsi qu’une entrave à la préparation de sa défense résultant du fait que, durant l’instruction, les autorités lui réclamèrent 3 FRF par page pour lui fournir une copie de son dossier. Il invoque l’article 6 de la Convention, aux termes duquel :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)
3.  Tout accusé a droit notamment à  : (…)
b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (…)
d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (…) »
La Cour constate qu’il ne ressort ni du dossier ni des écrits du requérant que ce dernier se pourvut en cassation contre l’arrêt de renvoi au moyen du défaut d’équité de l’instruction. Relevant en outre le motif retenu par la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi formé par le requérant contre l’arrêt de la cour d’assises et soulignant que le requérant peut d’autant moins se prévaloir de la négligence de l’avocat qui le représentait devant les juridictions internes (voir la décision de la Commission européenne des Droits de l’Homme du 14 février 1992, dans l’affaire M.R. c. Portugal, requête n° 14718/89) qu’il n’allègue pas que son conseil était commis au titre de l’aide juridique et qu’aucun élément du dossier n’indique qu’il en fut ainsi, la Cour estime que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention.
Au surplus, la Cour constate que le requérant ne prétend pas que, in fine, les éléments de preuve figurant au dossier ne lui ont pas été communiqués dans des conditions satisfaisantes avant l’audience de la cour d’assises et qu’il ne ressort pas du procès-verbal des débats que cette juridiction aurait rejeté une demande du requérant tendant à l’audition d’un témoin.
Partant, cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant se plaint aussi du fait qu’il ne put bénéficier d’un double degré de juridiction, le pourvoi en cassation étant la seule voie de recours ouverte contre les arrêts des cours d’assises. Il invoque l’article 2 du Protocole n° 7, lequel est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.
2.  Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »
La Cour constate que, le requérant a été reconnu coupable de viols aggravés et condamné à quinze ans de réclusion criminelle par un arrêt de la cour d’assises de la Haute-Savoie du 31 mars 1998. Elle relève que l’intéressé n’a pas eu la possibilité d’interjeter appel « au fond » de cet arrêt, puisque le seul recours ouvert en droit français à l’encontre des arrêts d’assises est le pourvoi en cassation et que le « réexamen » auquel la Cour de cassation est alors susceptible de procéder est limité aux questions de droit.
La Cour rappelle toutefois qu’il ressort du texte de l’article 2 du Protocole n° 7 que les Etats Parties conservent la faculté de décider des modalités d’exercice du droit à réexamen et peuvent restreindre l’étendue de celui-ci ; dans nombre de ces Etats, ledit réexamen se trouve ainsi limité aux questions de droit (voir la décision de la Cour du 18 janvier 2000 dans les affaires Pesti et Frodl c. Autriche, requêtes nos 27618/95 et 27619/95 ; telle était aussi la position de la Commission européenne des Droits de l’Homme : voir Nielsen c. Danemark, requête n° 19028/91, décision du 9 septembre 1992, DR 73, p. 239 ; N.W. c. Luxembourg, requête n° 19715/92, décision du 8 décembre 1992 ; Altieri c. France, Chypre et Suisse, requête n° 28140/95, décision du 15 mai 1996 et Saussier c. France, requête n° 35884/97, décision du 20 mai 1998).
La Cour estime dès lors que la possibilité offerte au requérant de se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 31 mars 1998 répondait aux exigences de l’article 2 du Protocole n° 7 à la Convention.
Partant, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
S. Dollé L. Loucaides  Greffière Président
53183/99Â - -
- -Â 53183/99