QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41237/98 présentée par Joaquim MOURA CARREIRA et Maria MARGARIDA LOURENÇO CARREIRA contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 6 juillet 2000 en une chambre composée de
M. G. Ress, président, M. A. Pastor Ridruejo, M. L. Caflisch, M. J. Makarczyk, M. I. Cabral Barreto, Mme N. Vajić, M. M. Pellonpää, juges,Note
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 20 février 1998 et enregistrée le15 mai 1998,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants sont des ressortissants portugais, nés respectivement en 1910 et 1915 et résidant à Sesimbra (Portugal). Ils sont représentés devant la Cour par Me A. de Sousa Leite, avocat au barreau d’Almada.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. La procédure d’opposition à la décision conservatoire
Le 10 novembre 1978, le tribunal de Seixal prononça à l’encontre des requérants une ordonnance de référé qui leur interdisait de céder leurs parts sociales dans une société à responsabilité limitée « J.M. CARREIRA Lda. », suite à une demande conservatoire (providência cautelar) formulée en ce sens par G.C. et D.C., également associés de la même société. Ceux-ci avaient allégué l’inexécution d’une promesse de vente de parts sociales qui aurait été faite par les requérants en leur faveur.
Le 20 novembre 1978, les requérants firent opposition (embargos) à cette décision. Ils alléguaient notamment que le document présenté par les demandeurs, qui contenait ladite promesse de vente, avait été forgé par ces derniers.
Par une ordonnance du 13 juin 1981, portée à la connaissance des requérants le 6 octobre 1983, le juge invita les requérants à présenter une demande incidente en faux.
Les requérants firent appel contre cette ordonnance devant la cour d’appel (Tribunal da Relação) de Lisbonne, dont la suite n’est pas connue. Il présentèrent cependant également, le 20 octobre 1983, une demande incidente en faux, suite à l’invitation du juge.
Par une ordonnance du 17 janvier 1989, le juge considéra ne pas pouvoir donner suite à cette demande, sa présentation étant tardive.
Les requérants firent appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Lisbonne. Par un arrêt du 25 janvier 1990, la cour d’appel annula la décision attaquée.
Le dossier fut transmis au tribunal de Seixal. Le 7 mars 1991, le juge décida que la décision de la procédure d’opposition à la décision conservatoire devrait attendre celle de demande incidente en faux.
Par un jugement du 21 octobre 1993, le tribunal rejeta la demande incidente. Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 15 décembre 1994.
Par une décision du 4 novembre 1997, le juge du tribunal de Seixal prononça l’extinction de la procédure d’opposition, au vu de la décision prise dans la procédure principale (cf. infra). Il condamna par ailleurs les requérants au paiement des frais et dépens.
Les requérants firent appel de cette décision, limitant leur demande à la condamnation au paiement des frais et dépens. Par un arrêt du 30 juin 1998, la cour d’appel de Lisbonne accueillit le recours et condamna les demandeurs aux frais et dépens.
2. La procédure principale
Le 6 décembre 1978, G.C. et D.C. introduisirent devant le tribunal de Seixal une demande en dommages et intérêts pour la prétendue inexécution de la promesse de vente des parts sociales de la « J.M. CARREIRA Lda. ».
Par un jugement du 21 février 1997, le tribunal débouta les demandeurs de leurs prétentions.
Ceux-ci firent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Lisbonne. Les appelants n’ayant toutefois pas présenté leur mémoire de recours, le tribunal déclara, par une décision du 27 juin 1997, l’appel sans effet (deserto). Cette décision fut portée à la connaissance des requérants le 3 juillet 1997.
B. Le droit et la pratique interne pertinents
Au moment de l’introduction de la procédure litigieuse, l’opposition à la décision conservatoire était prévue à l’article 401 du code de procédure civile. Par l’opposition, l’intéressé pouvait attaquer les modalités dans lesquelles la mesure conservatoire avait été ordonnée en alléguant des faits susceptibles de remettre en cause les fondements d’une telle mesure ou de réduire le cadre d’application de cette dernière (cf. les articles 401 et 406 § 1 du code de procédure civile applicable à l’époque et les arrêts de la Cour suprême du 18 janvier 1979, BMJ n° 283 p. 213, et du 6 février 1986, BMJ n° 354 p. 434).
Aux termes de l’article 389 du code de procédure civile, la mesure conservatoire perd ses effets si le demandeur est débouté de ses prétentions dans la procédure principale. Dans un tel cas, il appartient au juge de prononcer l’extinction de la procédure conservatoire (paragraphe 4 de l’article 389).
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure.
EN DROIT
Les requérants se plaignent de la durée de la procédure. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, lequel dispose notamment :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
Le Gouvernement soulève d’emblée une exception tirée du non-respect du délai de six mois. D’après lui, la procédure principale s’est terminée le 27 juin 1997, avec la décision du tribunal de Seixal qui a déclaré sans effet un appel interjeté par les demandeurs, alors que la requête n’a été introduite que le 20 février 1998, soit après le délai de six mois prévu à l’article 35 §1 de la Convention.
Le Gouvernement soutient ensuite que l’article 6 § 1 n’est pas applicable à la procédure d’opposition à la décision conservatoire engagée par les requérants. Il souligne qu’il ne saurait y avoir « détermination » d’un droit civil dans une procédure conservatoire, laquelle n’a pas d’autonomie par rapport à la procédure principale dans laquelle on décide d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil. Pour le Gouvernement, le fait qu’il est possible de faire opposition à une mesure conservatoire ne change pas la nature même de la procédure tendant à une telle mesure.
Les requérants contestent ces arguments. Ils soulignent que les trois procédures dont ils se plaignent, à savoir la procédure principale, la demande incidente en faux et l’opposition à la décision conservatoire, doivent être examinées dans leur ensemble. Les requérants considèrent que les procédures ont été déterminantes pour leurs droits de caractère civil, et soutiennent que la requête n’est pas tardive, la décision définitive étant celle qui a été rendue par la cour d’appel de Lisbonne, le 30 juin 1998.
La Cour observe d’emblée que la procédure principale et celle d’opposition à la décision conservatoire doivent être examinées séparément.
S’agissant de la procédure principale, la Cour constate que la décision définitive est celle qui a été rendue par le tribunal de Seixal le 27 juin 1997, portée à la connaissance des requérants le 3 juillet 1997. La présente requête n’ayant été introduite que 20 février 1998, elle est, pour autant que cette procédure est concernée, tardive, comme le souligne le Gouvernement.
Reste à savoir si la procédure d’opposition à la décision conservatoire peut être prise en considération.
A cet égard, la Cour rappelle la jurisprudence constante des organes de la Convention selon laquelle l’article 6 § 1 n’est pas applicable à une procédure de caractère conservatoire tendant à une ordonnance de référé. Ces procédures visent en effet à régir une situation temporaire en attendant qu’il soit statué au principal et ne tendent donc pas à une décision sur des droits et obligations de caractère civil (voir Comm. eur. D.H., n° 7990/77, déc. 11.5.81, D.R. n° 24, p. 57 ; APIS a.s. c. Slovaquie (déc.), n° 39754/98, 10.1.2000, non publiée).
Aux yeux de la Cour, cette jurisprudence est également valable s’agissant d’une procédure d’opposition à une mesure conservatoire comme celle ici en cause. En effet, la procédure litigieuse ne pouvait déboucher que sur la confirmation ou l’annulation de la mesure conservatoire ou sur un éventuel changement des modalités dans lesquelles cette dernière avait été prononcée. La question de fond, à savoir l’éventuelle inexécution de la promesse de vente, ne pouvait être tranchée que dans la procédure principale, comme ce fut le cas. L’issue de la procédure d’opposition n’était ainsi pas déterminante, au sens de la jurisprudence de la Cour (cf. arrêt Pudas c. Suède du 27 octobre 1987, série A n° 125-A, p. 14, § 31), pour un droit de caractère civil, de sorte que l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Vincent Berger Georg Ress Greffier Président
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