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17/10/2000 | CEDH | N°41894/98

CEDH | HAY contre le ROYAUME-UNI


[TRADUCTION]
EN FAIT
Le premier requérant [Robert HAY] est un ressortissant britannique né en 1940 et résidant dans le Kent. La seconde requérante [Dinah-Anne HAY], sœur du premier requérant, est une ressortissante britannique née en 1946 et vivant à Londres. Devant la Cour, ils sont représentés par Mme Chitra Karvé, juriste de l’organisation Liberty, à Londres.
Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, Mme Ruma Mandel, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les f

aits de la cause, exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Evénements...

[TRADUCTION]
EN FAIT
Le premier requérant [Robert HAY] est un ressortissant britannique né en 1940 et résidant dans le Kent. La seconde requérante [Dinah-Anne HAY], sœur du premier requérant, est une ressortissante britannique née en 1946 et vivant à Londres. Devant la Cour, ils sont représentés par Mme Chitra Karvé, juriste de l’organisation Liberty, à Londres.
Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, Mme Ruma Mandel, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Evénements du 13 octobre 1993
Le frère des requérants, M. Ian Hay, fut tué par balles devant le domicile familial, Crabadon Manor, dans le Devon, par des agents de la police du Devon et de Cornouailles (Devon and Cornwall Constabulary – la « DCC ») le 13 octobre 1993. Crabadon Manor est situé dans la campagne, dans un endroit isolé.
Le 30 avril 1993, Ian Hay se rendit au poste de police le plus proche de son domicile et remit de lui-même à l’inspecteur Martin un certain nombre d’armes légalement en sa possession. L’état mental d’Ian Hay préoccupa l’inspecteur qui, le 11 mai 1993, se rendit à Crabadon Manor pour saisir d’autres armes. Le 11 septembre 1993, Ian Hay demanda qu’on lui rende certaines des armes, ce que l’inspecteur Martin refusa de faire tant que M. Hay n’aurait pas produit un certificat relatif à sa santé mentale.
Le 1er mai 1993, le médecin de M. Hay, le Dr Lewis, avait reçu un message du voisin de M. Hay indiquant que celui-ci était armé et se conduisait de manière irrationnelle. Ce voisin était préoccupé par l’état mental de M. Hay.
Le 13 octobre 1993 se produisirent deux incidents avec des armes à feu. Premièrement, vers 11 heures, M. Hay tira huit balles sur une remorque servant au transport de moutons qui se trouvait dans une ferme voisine, et ce sous les yeux de la fermière. Celle-ci eut très peur et déclara que M. Hay n’était pas dans son état normal et lui avait dit après avoir chargé l’arme : « Voilà ce que je vais faire aux policiers s’ils s’approchent de moi. » Plus tard, à 13 h 50, M. Hay se rendit au pub armé d’un fusil à baïonnette et d’un pistolet. Il se comporta de nouveau de manière irrationnelle et tira plusieurs fois avec l’une des armes dans la cheminée, devant la serveuse. Il rechargea ensuite l’arme en sa présence. La serveuse appela la police, qu’une voisine avait déjà alertée. M. Hay tira une nouvelle fois dans la rue puis retourna à Crabadon Manor où il déjeuna avec sa mère.
A 13 h 49, la DCC de Paignton avait reçu l’appel de la voisine du pub. Des voitures de police se rendirent sur les lieux et un hélicoptère de surveillance de la police décolla vers 14 heures. L’équipage avait pour instructions de garder M. Hay en vue jusqu’à ce qu’une équipe de policiers armés arrive à le maîtriser physiquement. Pareille équipe fut alertée. Dix policiers armés se trouvaient par hasard être à l’exercice et on fit appel à eux au lieu de suivre la procédure habituelle.
La DCC disposait d’une structure de commandement et de contrôle pré-établie pour les incidents de ce type, le commandement se divisant en or, argent et bronze. L’or assurait le commandement général, définissait la stratégie et fournissait les renseignements, les ressources et la logistique. Le commandant or était un policier haut placé et le poste de contrôle or se trouvait dans la salle des opérations du quartier général de la police. Le commandant argent était responsable du contrôle tactique de l’incident sur place. Il bénéficiait du soutien du contrôle argent situé au poste de police le plus proche des lieux de l’incident à des fins de communications. Le commandant bronze était le spécialiste ou commandant de secteur chargé de mettre en œuvre la tactique définie par le commandant argent.
Cette structure fut mise en place lorsque la police eut appris que des coups de feu avaient été tirés. A 14 h 24, le commissaire Pyke prit en charge à titre provisoire les fonctions de commandant argent, bien qu’il ait été prévu qu’il assurerait plus tard le rôle de négociateur et que le commissaire Mechan le remplacerait au commandement argent. Le commissaire Street prit la tête du poste de contrôle argent. Le poste de contrôle or fut installé dans la salle des opérations du quartier général de la police sous l’autorité du contrôleur général Albon. L’inspecteur divisionnaire McArthur, chef de l’unité de maîtrise armée, devait être le commandant bronze. A 14 h 31, le commissaire Pyke autorisa le déploiement de policiers armés. Cette structure de commandement fut communiquée à tous à 15 h 06.
Le retard avec lequel cette structure fut mise en place était dû au fait qu’il n’était pas possible de déterminer quels étaient les officiers de police de service ou de les contacter. En particulier, le commissaire Mechan avait décidé de se rendre sur les lieux avec sa voiture personnelle, non pourvue d’une radio, alors que des véhicules de police entièrement équipés étaient disponibles. Cela signifie qu’il ne put être joint pendant 35 minutes et ne put donc pas être tenu au courant de l’évolution de la situation.
Ni le commissaire Pyke ni le commissaire Mechan ne mirent en place le poste de contrôle avancé, comme ils auraient dû le faire, alors que l’équipe de policiers armés s’était réunie au pub New Inn et semblait considérer cet endroit comme le poste de contrôle avancé.
Dans une conversation échangée à 14 h 46 entre le commissaire Street, chef du poste de contrôle argent, et un autre policier, il fut décidé de prendre contact avec les négociateurs. Cela fut difficile, car ces derniers n’avaient pas de moyen de communication d’urgence. Ils n’arrivèrent pas sur les lieux et ne furent donc d’aucune utilité avant la mort de M. Hay. Le commissaire Pyke ne put servir de négociateur car il attendait que le commissaire Mechan le remplace au poste de commandant argent.
A 14 h 43, l’équipage de l’hélicoptère signala que M. Hay agitait un fusil dans sa direction ; ils se mit donc hors de portée. Il remarqua que l’intéressé avait installé deux fusils à la verticale près de sa voiture, mais il ne pouvait le surveiller en permanence. A 14 h 50, les policiers de la salle des opérations furent informés de l’incident qui s’était produit à Wagland Farm.
A 15 heures environ, M. Hay fut observé en train de charger sa voiture devant le manoir. Il portait un gilet pare-balles. A 15 h 05, l’équipage de l’hélicoptère remarqua que la mère de M. Hay s’éloignait de Crabadon Manor au volant de la voiture et aussi que celui-ci installait un fusil-mitrailleur dans l’allée conduisait au manoir, mais sans y adjoindre de chargeur. Il semblait y avoir des caisses de munitions près du fusil-mitrailleur ainsi que des sacs-poubelles noirs susceptibles de contenir des explosifs. On tenta d’obtenir de la mère de M. Hay des renseignements au sujet de celui-ci en vue de négocier. Un policier s’entretint avec elle, mais ce qu’elle savait de l’état mental de son fils ou de la disposition de la maison ne put être mis à profit car l’incident fut clos avant que tous ces renseignements aient pu être recueillis.
A 15 h 17, le commissaire Mechan indiqua par radio qu’il était à « X-ray » (c’est-à-dire le poste de contrôle avancé du pub New Inn) ; il se trouvait en fait à Rolster Bridge, à 3 km de Crabadon Manor. Le commissaire Pyke et l’équipe de policiers armés étaient quant à eux au New Inn. L’inspecteur divisionnaire McArthur donna ses instructions aux membres de cette équipe, leur rappelant notamment qu’ils étaient personnellement responsables en vertu de l’article 3 de la loi de 1967 sur le droit pénal, et qu’il pouvait être bénéfique d’inciter un suspect armé à parlementer dans le cadre du processus de maîtrise. Supposant que l’arrivée du commissaire Mechan était imminente, le commissaire Pyke partit pour Crabadon Manor afin d’entamer des négociations ; toutefois, il n’alla pas jusqu’au manoir mais s’arrêta au carrefour voisin pour attendre la fin de l’opération de maîtrise. La communication avec le commissaire Mechan n’avait toujours pas pu être établie à 15 h 56, heure à laquelle il passa plusieurs coups de téléphone depuis un domicile privé. Il ne fut donc jamais en mesure de contrôler la situation. En fait, le commissaire Mechan ne prit aucune mesure concrète en qualité de commandant argent car il arriva sur place trop tard.
A 15 h 30 environ, le pilote de l’hélicoptère vit M. Hay étendu sur la pelouse devant le manoir et pensa même que celui-ci s’était tiré dessus à cause d’une ombre autour du corps qu’il prit pour du sang. On ne tenta pas à ce moment-là de procéder à l’arrestation, alors que le policier qui filmait la scène depuis l’hélicoptère déclara plus tard pendant l’enquête judiciaire que, l’homme étant assis par terre, il aurait été tout à fait approprié de s’approcher de lui et de le maîtriser physiquement. Ensuite, M. Hay se leva et dirigea une arme en direction de l’hélicoptère, qui s’éloigna. Les occupants de l’hélicoptère virent aussi M. Hay faire des allers et retours sur la pelouse au pas de course en imitant un avion.
Les policiers armés s’approchèrent du manoir et prirent position autour de celui-ci, chacun d’entre eux choisissant son emplacement. Une fois en poste, ils se rendirent compte que M. Hay pouvait s’échapper par plusieurs issues qu’ils s’efforcèrent de bloquer. Quatre policiers au moins se trouvaient dans des endroits mal protégés. Ils devaient désarmer M. Hay et le maîtriser afin de l’empêcher de s’échapper dans la campagne, où il aurait représenté un danger pour la population.
A 15 h 50, l’équipe de policiers armés était en poste autour du manoir. Il apparaît que ces policiers ne connaissaient pas la situation personnelle de M. Hay et ne savaient pas qui était propriétaire des lieux. Il était facile de voir qu’il s’agissait de policiers car ils étaient coiffés de casquettes portant l’inscription « Police ». Le commissaire Pyke n’était pas au manoir et, les événements se précipitant, il n’arriva pas à temps pour entamer les négociations. A l’arrivée de l’équipe d’hommes armés, M. Hay était toujours allongé par terre. Les policiers étaient assez proches de lui pour l’empêcher d’entrer dans le manoir et d’avoir accès au fusil-mitrailleur. M. Hay se leva d’un bond et commença à crier, en jurant et en agitant le fusil de la main. On envoya un chien policier pour tenter de le contenir et de le désarmer. Le chien de M. Hay se trouva distraire l’attention du chien policier. L’un des policiers cria « Police armée ! Ne bougez pas ! » Un autre tenta de parler à M. Hay, en lui demandant d’obéir aux instructions et, à plusieurs reprises, de baisser son arme. M. Hay ne fit pas la moindre réponse. Les policiers adressèrent plusieurs sommations à M. Hay entre le moment où il se releva et celui où il fut tué. M. Hay ne cessait de pointer son doigt sur son front en criant « Allez-y, tirez, qu’est-ce que vous attendez ? »
A 15 h 53, l’inspecteur divisionnaire McArthur s’aperçut que ses policiers étaient en danger et ordonna l’envoi d’un deuxième chien policier en direction de M. Hay. Celui-ci se mit à courir en criant des paroles au chien et tira dessus trois fois avec un pistolet, blessant mortellement le chien. M. Hay dirigea ensuite son arme en direction de deux policiers ; trois policiers ouvrirent alors le feu. Etant donné qu’il portait un gilet pare-balles, les balles visaient le haut de la poitrine, au niveau de la gorge. M. Hay fut tué sur le coup d’une balle qui l’atteignit au front. Le policier qui avait tiré le coup fatal se tenait à une distance de 12 à 15 mètres et utilisait une arme automatique. M. Hay fut touché par d’autres balles non mortelles. La maîtrise armée, à supposer qu’elle ait été menée à terme, ne le fut que quelques secondes avant que M. Hay ne soit tué. Les preuves médicales citées lors de l’enquête judiciaire révélèrent qu’aucune drogue susceptible d’influer sur le comportement de M. Hay n’avait été détectée dans son corps et qu’il était peu vraisemblable que le taux d’alcoolémie ait eu un effet notable sur son comportement. Un expert en armes à feu expliqua que le coup fatal avait atteint M. Hay au front parce que celui-ci avait commencé à tomber en avant sous l’impact de l’une des balles qu’il avait reçues dans le dos, et que les trois balles avaient été tirées coup sur coup.
Enquête de police sur la mort de M. Hay
Le jour de la fusillade, la direction des plaintes contre la police (Police Complaints Authority – la « PCA ») fut chargée par le préfet de police du Devon et de Cornouailles « d’enquêter sur les incidents qui ont conduit à la mort de Ian Fitzgerald Hay et sur toutes les circonstances y afférentes ». La PCA confia l’enquête à M. Hugo Pike, contrôleur général de la police d’Avon et du Somerset.
Le rapport de la PCA, rédigé par M. Pike et daté de mars 1994, formulait un certain nombre de critiques à l’égard de la procédure suivie le jour des faits. Il relevait notamment les lacunes suivantes :
a. l’absence de « poste de contrôle avancé » ;
b. l’absence de collecte de renseignements au sujet de l’individu concerné alors qu’« il y avait le temps et les moyens de rassembler une grande quantité d’informations pertinentes » et l’absence de négociateurs expérimentés ;
c. l’absence de plan des lieux et d’organisation quant aux positions des policiers, qui ont choisi eux-mêmes leur emplacement, avec le résultat que quatre d’entre eux se sont trouvés à découvert ; « je trouve inadmissible qu’un policier de haut rang responsable d’une opération armée apprenne que ses hommes ont été en danger plusieurs heures après l’incident, lors d’une réunion de l’équipe » ;
d. « un degré de confusion qui ne devrait pas exister dans ce type d’opération de police (...) Indépendamment du rôle qu’a joué dans cette confusion la mauvaise réception radio qu’il y a eu par moments et les erreurs commises par certains des policiers se trouvant dans la salle des opérations, la cause principale en est que Mechan n’a pas pris la peine de vérifier si un poste de contrôle avancé avait été mis en place et où. Cette situation a été amplifiée du fait qu’il ne disposait pas de liaison radio, en conséquence de quoi il s’est rendu sur les lieux d’un incident dont il devait assurer le commandement sans rien savoir de la manière dont les choses avaient évolué et sans la moindre possibilité de donner des ordres » ;
e. « Je suis convaincu que [McArthur] n’a pas procédé à une préparation adéquate avant le déploiement des policiers armés autorisés à Crabadon Manor ; il n’a pas non plus donné l’ordre à un autre policier de le faire, ce qui constitue un manquement à ses devoirs, infraction corroborée par des preuves suffisantes (§ 178). (...) de fait, on peut même avancer qu’avec cette faute, McArthur a démontré un manque d’attention pour la sécurité de ses hommes et, indirectement, pour le suspect (§ 164) ; »
f. « le fait de ne pas appeler de policiers divisionnaires est une question importante, car on a laissé entendre que si un plus grand nombre d’hommes armés que ceux disponibles à Middlemoor s’était trouvé sur place, il aurait peut-être été possible d’effectuer une opération de maîtrise armée de M. Hay à plus grande distance ».
Les requérants affirment qu’il n’était pas nécessaire que les policiers armés se placent si près de M. Hay, ce qui a provoqué la confrontation qui s’est terminée par sa mort (§ 63). Toutefois, le rapport conclut au paragraphe 182 :
« Je pense que, compte tenu des événements survenus à Crabadon Manor le 13 octobre 1993, la procédure suivie par McArthur était la seule possible. Il était fondamental de maîtriser M. Hay sur place ; par ailleurs, la disposition des environs immédiats impliquait obligatoirement que les policiers effectuant cette opération fussent plus proches de M. Hay qu’il n’eût été souhaitable. J’admets également que la disponibilité restreinte de l’hélicoptère a conféré à la situation un caractère d’urgence dont il fallait tenir compte.
J’ai déjà exprimé l’avis que les carences de McArthur constituent un manquement à la discipline et qu’il existe suffisamment de preuves pour les étayer. Il s’agit de lacunes graves et, même si la mort de M. Hay ne leur est pas due, cela ne diminue pas pour autant leur importance. »
Procédure disciplinaire
Le 15 novembre 1993, l’inspecteur divisionnaire McArthur reçut notification, en vertu du règlement disciplinaire de la police, de documents faisant valoir qu’en tant que responsable tactique, il n’avait pas procédé à une préparation adéquate avant le déploiement des policiers armés participant à l’opération.
Le 25 mars 1994, le rapport complet de la PCA fut remis au préfet de police du Devon et de Cornouailles, qui recommanda d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de l’inspecteur divisionnaire McArthur et du commissaire Mechan pour manquement à leurs devoirs, mais non d’engager des poursuites pénales. En particulier, il y était allégué que l’inspecteur divisionnaire avait :
« omis de préparer correctement l’opération de maîtrise armée de Crabadon Manor et notamment :
a. omis de tenir compte de la topographie locale ;
b. omis de confronter les renseignements disponibles sur M. Hay et l’opportunité d’une opération de maîtrise armée ;
c. omis d’assurer une liaison correcte avec le commandement argent. »
Une fois le verdict rendu à l’issue de l’enquête judiciaire le 12 décembre 1994, le préfet de police et la PCA eurent un échange de correspondance. Selon le préfet de police, aucun des deux policiers concernés n’aurait dû faire l’objet d’accusations disciplinaires. Le 28 décembre 1993, il déclara :
« Etant donné les manquements imputables au commissaire Mechan en cette affaire, il est difficile de critiquer l’inspecteur divisionnaire McArthur. Cette question est d’autant plus poignante qu’il est à mon sens peu probable que le commissaire Mechan puisse reprendre le travail à l’issue de son congé de maladie et répondre de l’accusation de manquement à ses devoirs. »
Le 4 janvier 1995, la PCA répondit en faisant valoir qu’elle avait légalement le pouvoir de recommander qu’une accusation de manquement à ses devoirs soit dirigée contre l’inspecteur divisionnaire McArthur. Elle identifiait quatre types de préoccupations, exposés en détail dans son rapport :
a. absence de planification initiale et de recueil de renseignements ;
b. non-recueil des informations nécessaires à la maîtrise du défunt ;
c. changement non autorisé de rôle au cours de l’opération ; et
d. non-consultation de la mère du défunt avant le déploiement de l’équipe de policiers armés.
Le 1er février 1995, le premier requérant écrivit à la PCA pour demander que la famille soit représentée lors de l’audience disciplinaire. M. Portlock, contrôleur général de la police du Devon et de Cornouailles, rejeta cette demande au motif qu’il ne s’agissait pas d’une plainte officielle. Le premier requérant décida alors de déposer une plainte pour remédier à cela.
Le 24 avril 1995, cinq semaines environ avant la date fixée pour l’audience, le préfet de police admit l’avis des médecins de la police selon lequel il était vraisemblable que la comparution du commissaire Mechan lors de l’audience disciplinaire précipiterait son effondrement mental, et autorisa le commissaire, qui était en congé maladie depuis l’incident fatal, à prendre sa retraite pour raisons de santé. Selon les éléments de preuve fournis par les médecins, le commissaire souffrait d’une maladie mentale, dont il était déjà atteint à l’époque de l’incident. Les accusations disciplinaires portées contre lui furent donc retirées.
Le 9 mai 1995, M. Portlock demanda officiellement à la PCA de ne pas maintenir les charges dirigées contre ses policiers, ce qui lui fut refusé. Le lendemain, le contrôleur général refusa d’autoriser le premier requérant à soumettre une autre plainte pour faute policière.
Les charges contre le commissaire Mechan ayant été retirées, le préfet de police modifia celles retenues contre l’inspecteur divisionnaire McArthur. Lors de l’audience disciplinaire du 30 mai 1995 présidée par M. Girven, préfet de police du Wiltshire, celui-ci accueillit la demande de l’inspecteur divisionnaire, à savoir mettre fin à l’instance pour abus de procédure au motif que la notification tardive des nouvelles charges jointe au retard avec lequel l’audience se tenait (17 mois après l’incident) avait porté préjudice à sa défense. Dans un communiqué de presse paru le lendemain, la DCC qualifiait la procédure « d’inutile et totalement déplacée compte tenu de l’absence de preuves à l’appui de l’accusation ».
La PCA et les requérants déposèrent chacun de leur côté une demande de contrôle juridictionnel de la décision de M. Girven d’abandonner les poursuites contre M. McArthur. Les requérants demandaient en outre le contrôle de deux autres décisions, dont celle du préfet de police autorisant le commissaire Mechan à prendre sa retraite. Le 21 novembre 1995, le juge Sedley déclara que cette décision n’avait pas été prise dans les règles, mais qu’il ne la contesterait pas. Il considéra en outre que M. Girven avait commis une erreur de droit en abandonnant les charges contre l’inspecteur divisionnaire McArthur, car les retards invoqués n’étaient à l’origine d’aucun préjudice. Il émit une ordonnance de mandamus enjoignant au préfet de police d’entendre les charges dirigées contre l’inspecteur divisionnaire quant au fond.
La procédure disciplinaire dirigée contre l’inspecteur divisionnaire McArthur se tint en fin de compte en 1997, avec un retard dû aux contestations portant sur l’enquête judiciaire et, en avril 1997, l’intéressé fut déclaré non coupable de manquement à ses devoirs.
Enquête judiciaire
Le 18 octobre 1993 s’ouvrit officiellement l’enquête judiciaire sur la mort de Ian Hay. Les audiences se succédèrent du 28 novembre au 12 décembre 1994 et permirent au Coroner d’entendre plus de 40 témoins, dont des connaissances du défunt, des témoins des autres incidents où M. Hay avait utilisé des armes à feu et les policiers présents lors de l’incident fatal. L’un des policiers enquêtant sur l’incident déclara que la conduite du commissaire Mechan n’avait eu aucune incidence sur l’opération. Les policiers déclarèrent avoir été préoccupés par le fait qu’une personne armée laissée en liberté autour du manoir pouvait facilement se dissimuler. L’inspecteur divisionnaire responsable de la formation opérationnelle expliqua que, lorsqu’un policier armé se trouve face à un suspect armé, il peut se livrer aux suppositions suivantes :
« L’arme est réelle, l’arme est chargée, le suspect en connaît le maniement et a l’intention de s’en servir ; le policier réglera sa conduite sur ces suppositions en veillant avant tout à protéger la population et la police. »
Les policiers confirmèrent que le négociateur ne devait intervenir qu’une fois l’opération de maîtrise terminée et que les armes n’avaient été employées qu’en dernier recours. Ils avaient estimé que M. Hay constituait une menace réelle et immédiate pour certains des policiers. Par ailleurs, la décision d’ouvrir le feu était toujours prise personnellement par chaque policier.
Dans son résumé à l’intention du jury, le Coroner déclara :
« (...) vous avez entendu citer plus d’une fois l’article 3 (...) toute la question tourne autour ce que l’on entend par raisonnable, de ce que vous avez cru (...) être raisonnable vu les circonstances (...) Vous (...) devez tenir compte de toutes les circonstances, de l’état d’esprit, du comportement de M. Hay, du sentiment d’urgence et de la nécessité, si vous l’avez ressentie, d’une réaction immédiate de la part des policiers et notamment, bien entendu, de celui qui a tiré le coup fatal et qui a dû prendre cette décision. »
Le jury a conclu que « (...) M. Hay avait succombé à une blessure à la tête causée par une balle tirée par un policier armé ». Le Coroner rendit un verdict d’« homicide légal ».
Le 9 mars 1995, les requérants sollicitèrent le contrôle juridictionnel du résumé du Coroner au jury, parce qu’ils estimaient que ce dernier n’avait pas instruit le jury comme il le fallait en omettant de l’informer qu’un « homicide illégal » pouvait être le résultat non seulement de la défaillance d’une personne mais aussi de carences opérationnelles. Les requérants ne contestaient pas les faits exposés lors de l’enquête. Dans leur demande de contrôle juridictionnel, ils déclaraient :
« En réalité, dans cette affaire, le seul point pertinent en rapport avec la question de l’illégalité de l’homicide est l’échec opérationnel total et l’absence de contrôle de l’équipe se trouvant sur les lieux. Le Coroner n’a pas examiné cet aspect des choses avec le jury (...) ».
Le 16 mars 1995, le juge Latham refusa l’autorisation de demander un contrôle juridictionnel. Le 8 août 1995, la Cour d’appel fut de nouveau saisie de la même demande, qui fut suspendue afin d’y ajouter un nouveau motif se rapportant au rapport de la PCA.
La nouvelle demande de contrôle juridictionnel soumise le 3 janvier 1996 reprochait au Coroner de ne pas avoir cité le rapport de la PCA comme preuve alors qu’il en connaissait l’existence. Le juge Popplewell rejeta la demande le 8 juillet 1996. La Cour d’appel, saisie d’une autre requête similaire le 10 février 1997, la rejeta également.
Procédure civile
M. Ian Hay est décédé sans avoir fait de testament. Sa mère fut nommée administratrice de la succession le 12 juin 1995. Par un acte notarié, elle créa une fiducie variable comprenant la totalité des actifs nets du patrimoine du défunt. Les requérants figuraient parmi les bénéficiaires de cette fiducie.
La mère du défunt, qui était peut-être à sa charge, mourut à la fin de 1995. Les requérants étaient couchés sur son testament. Les actifs nets de son patrimoine furent accrus aux fiduciaires, en sus de la fiducie créée après la mort de Ian Hay.
L’assistance judiciaire avait à l’origine été accordée au premier requérant en 1995 pour intenter une action pour faute.
En mars 1996, M. Philip Engelman, Q.C., conseilla les requérants en matière de responsabilité et de réparation. D’après lui, l’affaire pouvait se distinguer d’autres cas où il n’avait pas été possible d’établir la responsabilité de la police pour des raisons d’intérêt général. Voici ce qu’il conseilla.
« La demande au nom du défunt invoquerait une faute de la police ne relevant pas du champ de l’enquête sur l’infraction. Dans des affaires telles que Hill v. Chief Constable of West Yorkshire [1989] AC 53, les tribunaux craignaient qu’un constat de responsabilité ne détourne les policiers de la lutte contre le crime et que le remède ne soit pire que le mal, c’est-à-dire que les activités de la police soient par la suite organisées de manière à éviter toute poursuite judiciaire.
A mon avis, l’opération qui s’est soldée par la mort de M. Hay n’entraîne pas pareille préoccupation. Tout d’abord, il est peu probable qu’un constat de faute conduise les policiers à une attitude défensive ou à s’abstenir de tirer, car les allégations de faute ne sont pas dirigées contre le policier qui a effectivement tué M. Hay.
Ensuite, les activités policières peuvent se diviser en deux domaines : décisionnel et opérationnel. Cette distinction est reprise par exemple dans l’affaire Anns v. Merton [1978] AC 728. (...) Dans le premier domaine, la police a latitude pour agir ou pas (...) Je suppose que lorsque la police du Devon et de Cornouailles eut décidé de lancer une opération pour désarmer M. Hay, ses activités en vinrent au stade opérationnel, où elles peuvent être contestées.
La distinction entre la marge de manœuvre décisionnelle et opérationnelle a certes été critiquée, en dernier lieu dans l’affaire Osman v. Ferguson [1993] 4 All ER 344, mais on ne saurait faire valoir en l’occurrence que des considérations d’intérêt général annulent toute obligation due au défunt ; de plus, la police du Devon et de Cornouailles n’a pris aucune décision centralisée qui l’aurait empêchée d’accomplir ses obligations envers le défunt.
Il n’existe aucun élément d’intérêt général de nature à empêcher la police d’être potentiellement tenue pour responsable d’une faute envers le défunt, dont la mort est due à ses omissions. »
Le conseil ajouta qu’il y avait selon toute probabilité une obligation de prudence en raison d’une proximité suffisante et d’une relation spéciale, du caractère prévisible du dommage et de ce qu’il était juste et raisonnable d’imposer une obligation. Il était possible de plaider que la police avait manqué de prudence et de savoir-faire et que la relation de causalité était suffisante. Le conseil conclut que les requérants avaient des chances raisonnables de gagner une action contre la police. S’agissant des dommages et intérêts, le conseil estima qu’ils ne seraient pas très élevés et seraient fonction de la réponse à la question de savoir si la mère du défunt, qui était à la charge de celui-ci, avait subi une perte financière due à la mort de celui-ci pendant la période où elle lui avait survécu.
Le 7 juin 1996, les services de l’assistance judiciaire menacèrent d’interrompre celle-ci au motif que « compte tenu de l’issue incertaine de l’action, de la valeur de la réclamation et des frais de procédure, un client de condition modeste payant lui-même les frais abandonnerait les poursuites ». Le 3 octobre 1996, l’assistance judiciaire fut supprimée car « le requérant n’avait pas de raison d’agir, n’étant pas l’exécuteur testamentaire. En tout état de cause, les frais de la procédure en dépasseraient les bénéfices ». Le 11 octobre 1996, les exécuteurs testamentaires du défunt et ceux de la mère de M. Hay intentèrent une action pour faute contre le préfet de police du Devon et de Cornouailles.
Les allégations de faute étaient libellées comme suit :
« Le décès dont il s’agit est le résultat de la faute du défendeur, de ses subordonnés ou de ses agents.
DESCRIPTION DÉTAILLÉE DE LA FAUTE
i.  non-vérification de l’existence d’une préparation avant le déploiement des policiers armés sur le site ou de son caractère adéquat, et ce par l’intermédiaire de l’inspecteur divisionnaire McArthur ;
ii.  non-vérification de ce que le commissaire Mechan avait pris son poste, ce qui a conduit à une mauvaise structure de commande ;
iii.  prévision d’un nombre insuffisant de policiers armés sur les lieux ;
iv.  non-placement d’un nombre suffisant de policiers armés sur les lieux ;
v.  non-obtention de renseignements ou obtention de renseignements insuffisants au sujet de l’état mental du défunt ;
vi.  non-obtention d’informations ou obtention d’informations inadéquates sur la disposition des lieux ;
vii.  déploiement d’une équipe de policiers armés non munis d’informations, ou munis d’informations inadéquates quant à la disposition du site ;
viii.  non-recours à un négociateur expérimenté dans le cadre de l’opération sur place ;
ix.  demande à un hélicoptère de tenter de surveiller l’opération sachant qu’il ne pourrait observer les lieux de manière continue ;
x.  demande à un hélicoptère de tenter de surveiller l’opération alors qu’il avait peu de carburant ;
xi.  non-organisation de l’opération en sorte de ne pas mettre la vie de M. Hay en danger tout en protégeant la sécurité de la population et des policiers ;
xii.  non-recours à un degré raisonnable de prudence et de savoir-faire en toutes circonstances ;
xiii.  exposition de M. Hay à un risque inutile de se faire tuer, risque qui s’est matérialisé. »
Par une attestation sous serment du 13 novembre 1996, Charles Metherell, solicitor et administrateur de la succession du défunt, déclara que les administrateurs ne souhaitaient pas poursuivre l’instance « (...) compte tenu de l’avis du conseil et de l’absence d’assistance judiciaire (...) ». Le 4 décembre 1996, la High Court autorisa les administrateurs à abandonner la procédure pour faute engagée devant la County Court.
Par la suite, la procédure se régla d’un commun accord le 24 juin 1997 avec le versement de 10 000 GBP par le préfet de police. On ne sait pas exactement comment les négociations se sont déroulées. Dans une lettre aux exécuteurs testamentaires du 6 juin 1997, le préfet de police précisait les termes du règlement, dont les dispositions suivantes :
« 2. Le règlement est conclu sans préjudice du droit des exécuteurs testamentaires de Ian Fitzgerald HAY de diriger une requête contre le Royaume-Uni en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme (...)
4. La police du Devon et de Cornouailles déplore le décès de Ian Fitzgerald HAY. Elle reconnaît que les personnes ayant pris part à cette opération ne se sont pas toutes montrées à la hauteur des très grandes exigences professionnelles qui sont celles de la police du Devon et de Cornouailles.
Malgré cela, un grand nombre de personnes se sont acquittées de leur tâche de manière honorable et correcte. La police ne pense toujours pas que l’issue fatale puisse être attribuée à la faute d’un individu en particulier étant donné le contexte de cette affaire, que vous connaissez bien. »
La police versa également la somme de 500 GBP au bénéfice de la succession du défunt à titre d’indemnisation des dégâts causés à Crabadon Manor, et la somme de 8 941,31 GBP au titre des frais encourus pour la procédure de contrôle juridictionnel.
Depuis la mort de Ian Hay, la police du Devon et de Cornouailles a modifié sa procédure en cas d’incident impliquant des armes à feu. Elle a notamment introduit quelques nouveautés :
– des scénarios de formation pour les policiers armés, pratiqués en commun avec d’autres unités de la police, comme les chiens et les hélicoptères ;
– des conseillers tactiques expérimentés sont de service 24 heures sur 24 ;
– le commandement d’un incident de ce type échoit désormais à un inspecteur divisionnaire ou un policier d’un grade supérieur ayant suivi avec succès une formation organisée dans une école nationale homologuée.
B.  Le droit et la pratique internes pertinents
Action civile intentée contre la police
Un recours illégal et délibéré à la force contre un individu aboutissant à la mort de celui-ci est constitutif de voies de fait. Il est possible d’intenter une action pour faute lorsque, le défendeur ayant une obligation de prudence envers le demandeur, ce dernier subit un préjudice, à condition que l’on ait pu prévoir que ce comportement entraînerait pareil préjudice. Les voies de fait et la faute sont des délits civils.
Conformément à l’article 48 § 1 de la loi de 1964 sur la police, remplacé par l’article 88 de la loi de 1996 sur la police, le préfet de police est responsable des délits commis par les policiers placés sous ses ordres. Il peut donc être assigné en justice pour les voies de fait et fautes commises par un policier.
Loi de 1934 portant réforme du droit (dispositions diverses)
L’article 1 de cette loi dispose :
« (...) à la mort d’une personne (...) toute action en justice (...) subsistant en sa faveur ou en sa défaveur persiste en faveur de la succession ou en sa défaveur. »
La loi de 1976 sur les accidents mortels
Les personnes qui sont à la charge d’un individu ayant trouvé la mort accidentellement, et ce au moment de sa mort, peuvent réclamer des dommages-intérêts. L’octroi d’indemnités est fonction des éléments de preuve relatifs au degré de dépendance. Le montant de 7 500 GBP prévu par la loi n’est versé qu’à la veuve ou au veuf ou aux parents de mineurs non mariés. Une personne à charge peut obtenir le remboursement des frais d’obsèques à titre de dommages-intérêts spéciaux.
Le chagrin et la mort par elle-même ne sont pas de nature à constituer un préjudice donnant naissance à une action reconnue en droit britannique.
Loi de 1967 sur le droit pénal
L’emploi des armes à feu par la police est régi par l’article 3 de cette loi, qui dispose :
« Une personne peut recourir à une force raisonnable selon les circonstances pour prévenir les infractions, ou pour procéder à l’arrestation légale d’individus ayant commis des infractions ou soupçonnés d’en avoir commis ou d’individus irrégulièrement en liberté, ou pour contribuer à l’arrestation de tels individus. »
GRIEFS
Les requérants dénoncent la violation des articles 2, 6 § 1 et/ou 13 de la Convention.
1. Sur le terrain de l’article 2, les requérants déclarent que les conditions dans lesquelles leur parent a été tué par la police n’ont pas respecté l’exigence qu’impliquent les termes « absolument nécessaire » figurant au paragraphe 2 de cette disposition. De plus, selon eux, les carences et erreurs dans la préparation et l’exécution de l’opération entraînent en elles-mêmes une violation de l’article 2. Ils considèrent que le rapport d’enquête de la PCA révèle l’existence de pareilles carences.
2. Quant aux articles 6 § 1 et 13, les requérants déclarent n’avoir bénéficié d’aucun recours interne, dans la mesure où ils n’ont pas pu invoquer la Convention devant les tribunaux internes ; le fait que le droit interne lui-même soit contraire à l’article 2 implique que les requérants conservent le statut de victime.
EN DROIT
Les requérants invoquent les articles 2, 6 et 13 quant au fait que leur frère, Ian Hay, ait été tué par la police.
L’article 2 dispose
« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...)
2.  La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue (...) »
Les passages pertinents de l’article 6 § 1 sont ainsi libellés :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
L’article 13 dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
La Cour rappelle que les requérants ont mis fin à leur action contre la police pour faute quant à la mort de leur frère contre le versement de 10 000 GBP plus frais et dépens. En communiquant la requête, elle a demandé aux parties leurs observations sur le point de savoir si cela privait les requérants du statut de victime aux fins de la procédure devant elle.
Le Gouvernement soutient que le fait que les requérants aient accepté l’offre de règlement leur a fourni un redressement adéquat de leurs griefs. Cette offre ne revêtait pas un caractère gracieux mais venait en règlement de la revendication d’un droit et représentait une indemnisation substantielle. Elle s’accompagnait de l’aveu de ce qu’un policier ne s’était pas montré à la hauteur de sa tâche. De plus, les héritiers ont accepté l’offre après avoir reçu un avis juridique. Il fait en outre remarquer que les autorités ont pris les mesures qui convenaient pour réduire le plus possible le risque que des incidents de ce type ne se reproduisent, ce qui montre que le Royaume-Uni n’utilise pas l’indemnisation comme un moyen de se soustraire aux obligations que lui impose l’article 2 de la Convention.
Les requérants font valoir qu’ils ont conclu le règlement en cause « sans préjudice » de leur droit de soumettre une requête en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme et qu’il s’agissait là d’une condition fondamentale. Leur affaire se distinguerait en cela de celles où la Cour a jugé que ce genre de règlement privait les requérants de la qualité de victime (requêtes n° 5577-5583/72, Donnelly et autres c. Royaume-Uni, déc. 5.12.75, D.R. 4, p. 4, et n° 24520/94, Caraher c. Royaume-Uni, déc. 1.1.00, à paraître). Le Gouvernement serait ainsi forclos à invoquer cet argument pour contester leur requête. Selon eux, le règlement ne leur a pas procuré un redressement adéquat, étant donné que la police a nuancé ses propos relatifs à la faiblesse des exigences requises en déclarant qu’elle ne reconnaissait toujours pas que le tragique incident fût dû aux carences de certaines personnes en particulier. Leur grief selon lequel les carences opérationnelles et autres de la police sont à l’origine de la mort de leur frère ne serait donc pas reconnu.
La Cour relève en premier lieu que la possibilité d’obtenir une indemnisation pour la mort d’une personne peut, dans des circonstances normales, représenter un redressement adéquat et suffisant pour l’individu qui se plaint d’un recours injustifié à la force meurtrière, de la part d’un agent de l’Etat, au mépris de l’article 2 de la Convention (voir, mutatis mutandis, la décision Donnelly précitée, p. 153). L’article 2 peut aussi donner lieu à des obligations procédurales distinctes quant à l’existence d’une enquête effective sur l’usage de la force meurtrière ; toutefois, cela n’est pas en jeu en l’espèce, puisqu’aucun grief ne porte sur le caractère complet et effectif de l’enquête judiciaire relative à la mort de Ian Hay (arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 324, §§ 86-87). Lorsqu’un proche parent accepte une indemnité en règlement de griefs civils et renonce à exercer d’autres recours internes, il ne peut en règle générale plus se prétendre victime pour ce qui est de ces griefs (décisions précitées Donnelly, p. 174, et Caraher).
Les requérants font valoir que le Gouvernement est forclos à invoquer le règlement comme motif de rejet de l’affaire, puisque la police a conclu avec eux ce règlement « sans préjudice » d’une certaine condition. Or la Cour note que le Gouvernement n’a pas soulevé cet argument de lui-même mais a répondu à une question expressément posée aux parties par la Cour.
La Cour observe que les Etats contractants ne peuvent, de leur propre autorité, exclure le respect des règles de recevabilité énoncées dans la Convention (voir, mutatis mutandis, req. n° 10416/83, déc. 17.5.84, D.R. 38, p. 58, et n° 9990/82, déc. 15.5.84, D.R. 39, p. 119). De plus, la Cour a compétence pour appliquer ces règles, que le gouvernement défendeur concerné ait ou non soulevé une exception. Il serait contraire à l’objet et au but de la Convention tels qu’exposés en son article 1 – que l’Etat contractant reconnaisse les droits et libertés à toute personne relevant de sa juridiction – et au caractère subsidiaire du rôle de la Cour, que les requérants, même avec l’accord des autorités de l’Etat, invoquent la juridiction de la Cour sans avoir utilisé les mécanismes de redressement internes disponibles et effectifs. En l’espèce, les requérants auraient pu poursuivre leur action pour faute et obtenir l’avis des juridictions internes quant aux carences et insuffisances des policiers et au lien de causalité de ces dernières avec la mort de leur frère. Or ils ont opté pour le règlement de l’action sans rechercher pareille décision. Dans ces conditions, il n’appartient pas à la Cour de jouer le rôle d’un tribunal du fond connaissant des faits et du droit.
La Cour ne décèle dans les termes du règlement conclu par les requérants ou la procédure suivie pour y parvenir aucun signe d’abus de nature à rendre nécessaire de sa part un complément d’examen afin de conserver à la protection assurée par la Convention son caractère effectif. Rien n’indique que le Gouvernement ait tenté de se soustraire aux obligations que lui impose la Convention en se bornant à verser une indemnité. Rien ne montre que la violation alléguée en l’espèce ait été autorisée par la loi ou ait fait partie d’une pratique administrative par laquelle les autorités supérieures de l’Etat auraient autorisé ou toléré le comportement attaqué. L’on pourra noter que le service de police impliqué dans l’incident a pris des mesures pour améliorer la formation et le contrôle afin de prévenir de nouveaux incidents.
Eu égard aux considérations ci-dessus, la Cour conclut que, en engageant une action civile pour faute quant à la mort de leur frère, les requérants se sont prévalu des recours internes disponibles et que, en concluant un règlement dans le cadre duquel ils ont accepté et touché une indemnisation, ils ont effectivement renoncé à exercer encore ces recours. Dans ces conditions, ils ne sauraient se prétendre victimes d’une violation de la Convention au sens de l’article 34 de la Convention.
Partant, il échet de rejeter la requête pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Sally Dollé Jean-Paul Costa  Greffière Président
DÉCISION HAY c. ROYAUME-UNI
DÉCISION HAY c. ROYAUME-UNI 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 41894/98
Date de la décision : 17/10/2000
Type d'affaire : Decision
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 5-1) ARRESTATION OU DETENTION REGULIERE, (Art. 5-1-c) INFRACTION PENALE, (Art. 5-1-c) RAISONS PLAUSIBLES DE SOUPCONNER, (Art. 5-4) CONTROLE A BREF DELAI, (Art. 5-4) GARANTIES PROCEDURALES DE CONTROLE, (Art. 6) PROCEDURE PENALE


Parties
Demandeurs : HAY
Défendeurs : le ROYAUME-UNI

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2000-10-17;41894.98 ?
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