TROISIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 65681/01 présentée par Joaquim MOREIRA BARBOSA contre le Portugal
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant le 29 avril 2004 en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président, I. Cabral Barreto, L. Caflisch, R. Türmen,
B. Zupančič, K. Traja, Mme A. Gyulumyan, juges
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 21 janvier 2001,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Joaquim Moreira Barbosa, est un ressortissant portugais, né en 1942 et résidant à Maia (Portugal). Il est représenté devant la Cour par Me J.J.F. Alves, avocat à Matosinhos.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 2 janvier 1996, le requérant déposa devant le parquet de Matosinhos une plainte pénale contre F.P.S., l'accusant du chef d'émission d'un chèque sans provision.
Le 9 février 1996, l'accusé fut entendu par le ministère public. Le 6 mars 1996, le procureur chargé de l'affaire présenta ses réquisitions.
Le 11 avril 1996, le requérant déposa une demande en dommages et intérêts.
Par une ordonnance du 14 juin 1996, le juge du tribunal criminel de Matosinhos, auquel le dossier avait été transmis, fixa l'audience au 14 avril 1997.
Le jour dit, l'audience fut reportée au 5 février 1998, en raison de l'absence de l'accusé. Celui-ci présenta ultérieurement un certificat médical, que le juge accepta par une ordonnance du 24 avril 1997.
Le 5 février 1998, l'audience n'eut pas lieu en raison de l'absence de l'accusé. Le juge reporta l'audience au 18 mai 1998 et délivra un mandat d'amener à l'encontre de l'accusé. Toutefois, le jour dit, l'accusé ne se présenta pas. Le juge reporta l'audience au 20 octobre 1998 et renouvela son mandat d'amener.
Le 20 mai 1998, la garde nationale républicaine signala que l'accusé n'avait pas été trouvé à l'adresse indiquée. Par une ordonnance du 4 juin 1998, le juge demanda aux services de police de rechercher l'éventuelle nouvelle adresse de l'accusé.
Le 20 octobre 1998, l'audience fut reportée au 28 janvier 1999 puis au 4 mars 1999 en raison de l'absence de l'accusé. Ce dernier jour, l'audience fut reportée sine die.
Par une ordonnance du 24 avril 1999, le juge déclara l'accusé en état de contumace.
Par une ordonnance du 20 septembre 1999, le juge décida qu'il y avait lieu d'attendre pendant un délai de six mois l'éventuelle présentation volontaire de l'accusé.
Le 28 janvier 2000, le requérant présenta une demande d'accélération de la procédure au Conseil supérieur de la magistrature, aux termes des articles 108 et 109 du code de procédure pénale.
Par une décision du 8 février 2000, le Conseil supérieur de la magistrature rejeta la demande, estimant ne pas pouvoir ordonner l'accélération de la procédure, compte tenu de l'ordonnance du juge du 20 septembre 1999.
Le 18 février 2000, le juge, sur demande du ministère public, ordonna au greffe de faire des démarches auprès des services des impôts ainsi que de la sécurité sociale afin d'essayer de retrouver l'accusé.
Le 29 avril 2000, la garde nationale républicaine informa le tribunal de la nouvelle adresse de l'accusé.
Par une ordonnance du 30 mai 2000, le juge fixa l'audience au 30 juin 2000 et, en cas d'impossibilité de tenir celle-ci le jour dit, au 20 octobre 2000.
L'accusé ne comparut pas. Il fut ainsi jugé in absentia lors de l'audience qui eut lieu le 11 décembre 2000.
Par un jugement du 14 décembre 2000, l'accusé fut jugé coupable et condamné à une amende de 150 000 escudos portugais (PTE), ainsi qu'au versement au requérant d'une indemnité de 1 500 000 PTE et intérêts y afférents.
Le 30 janvier 2001, le requérant introduisit devant le tribunal criminel de Matosinhos une procédure d'exécution de ce jugement dans la mesure où il portait sur le paiement de l'indemnité en question.
Le 6 février 2001, le juge ordonna la saisie des biens du débiteur, ce qui eut lieu le 22 novembre 2001.
Le 7 mai 2002, le juge ordonna la vente judiciaire des biens en question.
La procédure d'exécution est toujours pendante.
GRIEF
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure.
EN DROIT
Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, qui dispose notamment :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
a. Sur l'épuisement des voies de recours internes
Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes.
Il soutient d'abord que la violation du droit à une décision dans un délai raisonnable engage la responsabilité civile extra-contractuelle de l'Etat, qui est donc tenu d'indemniser les victimes. A cette fin, le requérant peut faire usage de l'action en responsabilité extra-contractuelle prévue par le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967, qui est un moyen accessible, adéquat et efficace pour redresser la situation qu'il dénonce.
Le Gouvernement affirme ensuite que le requérant aurait dû introduire un appel contre la décision qui a déclaré l'accusé en état de contumace.
Pour le requérant, aucune des voies de recours indiquées par le Gouvernement ne serait efficace ou adéquate pour redresser son grief. L'action en responsabilité extra-contractuelle, prévue par le décret-loi no 48051, n'aurait pas un degré suffisant de certitude juridique pour être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention. Quant à la décision qui a déclaré l'état de contumace de l'accusé, elle serait conforme à la loi, tout recours étant dès lors voué à l'échec.
La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l'occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (voir, par exemple, Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 19, § 36). Cette règle se fonde sur l'hypothèse – objet de l'article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d'étroites affinités – que l'ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).
L'article 35 de la Convention ne prescrit toutefois l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d'autres, les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A no 198, § 27, et Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 38).
A cet égard, la Cour observe que le système portugais offre au requérant la possibilité, s'agissant d'une procédure pénale, comme en l'occurrence, de demander l'accélération de la procédure aux termes des articles 108 et 109 du code de procédure pénale. Elle rappelle que cette voie de droit a été considérée comme un recours à épuiser s'agissant de la durée d'une procédure pénale (Tomé Mota c. Portugal (déc.), no 32082/96, CEDH 1999-IX).
La Cour constate que le requérant a utilisé en l'espèce, sans succès, cette voie de droit. La question se pose de savoir s'il devait de surcroît introduire une action en responsabilité extra-contractuelle de l'Etat. La Cour rappelle en effet que cette dernière action a également été considérée comme un recours à épuiser s'agissant de la durée d'une procédure (Paulino Tomás c. Portugal (déc.), no 58698/00, CEDH 2003-VIII).
A cet égard, la Cour rappelle que le requérant doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants. Lorsqu'une voie de recours a été utilisée, l'usage d'une autre voie dont le but est pratiquement le même n'est pas exigé (Wójcik c. Pologne, no 26757/95, décision de la Commission du 7 juillet 1997, Décisions et rapports (DR) 90, p. 24, et Günaydin c. Turquie (déc.), no 27526/95, 25 avril 2002).
La Cour estime, eu égard aux circonstances de la cause, qu'il serait excessif de demander au requérant d'intenter l'action mentionnée par le Gouvernement, alors qu'il a déposé, au cours de la procédure, une demande d'accélération de la procédure, qui doit être considérée comme une voie de recours adéquate et suffisante, conformément à la jurisprudence de la Cour (Quiles Gonzalez c. Espagne (déc.), no 71752/01, 7 octobre 2003).
La Cour rejette ainsi cette branche de l'exception du Gouvernement.
Quant à la seconde branche de l'exception, la Cour estime qu'un appel contre la décision du juge qui a déclaré l'accusé en état de contumace n'est pas un recours adéquat pour porter remède au grief du requérant, qui ne concerne que la durée de la procédure.
La Cour juge donc la seconde branche de l'exception également non fondée.
b. Sur le bien-fondé du grief
Le Gouvernement soutient que la durée en cause, qui doit se compter à partir du 11 avril 1996, date du dépôt de la demande en dommages et intérêts par le requérant, n'a pas dépassé le délai raisonnable.
Pour le requérant, la durée à apprécier, dont il situe le point de départ au 2 janvier 1996, date du dépôt de la plainte pénale, est manifestement excessive.
La Cour estime qu'à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l'affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Vincent Berger Georg Ress Greffier Président
DÉCISION MOREIRA BARBOSA c. PORTUGAL
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