DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 35324/02 présentée par Pascal ERRE contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 8 juin 2004 en une chambre composée de
MM. L. Loucaides, président, J.-P. Costa, C. Bîrsan, K. Jungwiert, V. Butkevych, Mmes W. Thomassen, A. Mularoni, juges, et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 septembre 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Pascal Erre, est un ressortissant français, né en 1957 et résidant à Dommartin-Lettrée (Marne).
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant, tête d'une liste électorale, fut élu conseiller municipal de la commune de Vitry-le-François (Marne) le 18 mars 2001.
M. B. demanda au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation de cette élection. Il soutint que le requérant était inéligible car il n'aurait pas apporté la preuve de son inscription au 1er janvier 2001 sur le rôle des contributions directes de la commune de Vitry-le-François et que le bail du requérant était fictif puisqu'un même immeuble avait servi d'adresse commune pour cinq candidats de la liste conduite par le requérant. Le tribunal demanda au requérant des pièces justificatives. Le requérant fournit un bail de location d'une chambre à Vitry-le-François.
Par une décision du 2 octobre 2001, le tribunal rejeta la requête de M. B. en se fondant notamment sur les considérations suivantes :
« (...) Considérant qu'il n'est pas contesté que M. Erre, élu le 18 mars 2001, conseiller municipal de la commune Vitry-le-François n'était pas inscrit sur la liste électorale de cette commune ; que suite à une mesure d'instruction en date du 4 septembre 2001 tendant à demander à M. Erre des pièces justificatives, l'intéressé a communiqué au tribunal une copie certifiée conforme d'un acte sous seing privé enregistré le 16 novembre 2000 établissant qu'il est devenu locataire d'un immeuble de cette commune ; qu'ainsi, par application des dispositions de l'article L. 228 [du code électoral], M. Erre a justifié par des pièces ayant date certaine qu'il aurait dû, au 1er janvier 2001, être inscrit au rôle de la taxe d'habitation de la commune de Vitry-le-François ; que cette taxe est due dès lors que le contribuable a la jouissance d'un local destiné à l'habitation ; que, dès lors, M. Erre était éligible au conseil municipal de Vitry-le-François (...) ».
M. B. forma un recours contre cette décision. Par un arrêt du 29 juillet 2002, le Conseil d'Etat annula le jugement du tribunal ainsi que l'élection du requérant, dans les termes suivants :
« Considérant que si M. Erre, qui n'était ni électeur de la commune de Vitry-le-François, ni inscrit au 1er janvier 2001 au rôle des contributions directes, soutient qu'il a loué en vertu d'un bail enregistré à la recette des impôts de Châlons-en-Champagne le 16 novembre 2000, une chambre sise 5, rue du Mont Sainte-Geneviève à Vitry-le-François, il résulte de l'instruction que ce local est situé dans une maison d'habitation occupée par le bailleur et disposant de quatre chambres dont trois avaient été également louées à d'autres membres de la liste conduite par lui ; que M. Erre n'établit pas que ledit local constituait à lui seul un local d'habitation lui donnant vocation, en application des articles 1407 à 1408 du code général des impôts, à être inscrit au rôle de la taxe d'habitation de la commune de Vitry-le-François au 1er janvier de l'année de l'élection contestée ; qu'il était, pas suite, inéligible au conseil municipal de cette commune ; (...) qu'il y a lieu d'annuler l'élection de M. Erre et de proclamer élu à sa place M. T. »
B. Le droit interne pertinent
Article L. 228 du code électoral
« (...) Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l'année de l'élection. (...) »
Code général des impôts
Article 1407
« I. La taxe d'habitation est due :
1o Pour tous les locaux meublés affectés à l'habitation (...) »
Article 1408
« I. La taxe est établie au nom des personnes qui ont, à quelque titre que ce soit, la disposition ou la jouissance des locaux imposables (...) »
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant met en cause l'équité de la procédure devant le Conseil d'Etat. Il se plaint de ce qu'il n'a pas pu y faire valoir ses arguments et de ce que cette juridiction n'a pas tiré les justes conséquences des éléments de preuve en sa possession. Il demande en conséquence l'annulation de l'arrêt du Conseil d'Etat.
2. Il allègue la violation de l'article 7 de la Convention en ce sens que la « peine d'inéligibilité » serait « illégale ».
EN DROIT
1. Le requérant soutient en premier lieu qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable devant le Conseil d'Etat. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
La Cour rappelle que pour que l'article 6 de la Convention trouve à s'appliquer, la procédure litigieuse doit avoir trait à des « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » ou au « bien-fondé d'une accusation en matière pénale ». Relevant que la procédure ne visait pas à trancher une accusation en matière pénale, la Cour écarte d'emblée l'applicabilité de l'article 6 sous son angle pénal. En l'occurrence, il y a donc lieu de déterminer si cette disposition est applicable sous son aspect civil.
A cet égard, la Cour rappelle que les procédures concernant le contentieux électoral échappent en principe au champ d'application de l'article 6 de la Convention dans la mesure où celles-ci concernent l'exercice de droits de caractère politique et ne portent donc pas sur des droits et obligations de caractère civil (Pierre-Bloch c. France, arrêt du 21 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2223, § 50 ; Cheminade c. France (déc.), no 31599/96, CEDH 1999-II).
En l'espèce, la Cour relève que la procédure litigieuse avait pour objet de vérifier si le requérant élu au cours des élections municipales du 18 mars 2001 remplissait les conditions d'éligibilité à un mandat de conseiller municipal de la commune de Vitry-le-François. Elle note que cette procédure trouve son origine dans le droit du requérant de se porter candidat à une élection, en l'occurrence une élection municipale, et de conserver son mandat. Or, la Cour rappelle que selon sa jurisprudence, le droit de se porter candidat à une élection est un droit de caractère politique et non civil au sens de l'article 6 § 1, de sorte que les litiges relatifs à l'organisation de son exercice sortent du champ d'application de cette disposition. Elle estime qu'il n'y a pas lieu à distinguer selon qu'il s'agit d'une élection de portée nationale ou de portée locale comme en l'espèce (voir Cherepkov c. Russie (déc.), no 51501/99, CEDH 2000-I).
Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
2. Le requérant allègue en second lieu la violation de l'article 7 § 1 de la Convention selon lequel :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »
La Cour constate que le Conseil d'Etat a jugé que le requérant était inéligible au conseil municipal de la commune de Vitry-le-François dans la mesure où il ne remplissait pas les conditions d'éligibilité requises par la loi. Le Conseil d'Etat a en conséquence annulé l'élection du requérant. La Cour ne relève aucune « peine d'inéligibilité » et considère en outre que l'annulation d'une élection n'est pas une « condamnation » au sens de l'article 7 de la Convention qui n'a, dès lors, pas vocation à s'appliquer aux circonstances de la cause.
Il s'ensuit que ce grief est également incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
T.L. Early L. Loucaides Greffier adjoint Président
DÉCISION ERRE c. FRANCE
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