DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE PINI ET BERTANI
ET
MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE
(Requêtes nos 78028/01 et 78030/01)
ARRÊT
STRASBOURG
22 juin 2004
DÉFINITIF
22/09/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Pini et Bertani et Manera et Atripaldi c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président, A.B. Baka, L. Loucaides, C. Bîrsan, K. Jungwiert, V. Butkevych, Mme W. Thomassen, juges, et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 novembre 2003, 10 février, 6 avril et 25 mai 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 78028/01 et 78030/01) dirigées contre la Roumanie par quatre ressortissants italiens, M. Carlo Pini et Mme Annalisa Bertani (ci-après « les premiers requérants ») et M. Salvatore Manera et Mme Rosalba Atripaldi (ci-après « les seconds requérants »), qui ont saisi la Cour les 10 mars et 20 avril 2001, respectivement en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me. S. Papa, avocat à Reggio Emilia. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») était représenté par son agent, M. B. Aurescu, à l'époque Sous-Secrétaire d'Etat au ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérants alléguaient notamment, au titre de l'article 8 de la Convention, une atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale, en raison de la non-exécution des décisions du tribunal départemental de Braşov relative à l'adoption de deux mineures roumaines, qui les aurait privés de tout contact avec leurs enfants. Ils alléguaient en outre de ce que les autorités roumaines refusaient de permettre à leurs filles adoptives respectives de quitter la Roumanie, en violation de l'article 2 § 2 du Protocole no 4 à la Convention.
4. Les requêtes ont été attribuées à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). Les présentes requêtes ont été attribuées à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Le 25 juin 2002, la chambre a décidé qu'elles seraient traitées par priorité (article 41 du règlement) et, le 16 septembre 2003, elle a décidé de les joindre (article 42 § 1 du règlement).
7. Les 2 octobre 2002 et 7 octobre 2003, le président a autorisé les tiers à intervenir dans la procédure écrite et orale (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement) : le Complexe éducatif « Poiana Soarelui » de Braşov, représenté par M. N. Mîndrilă ; Mme la Baronne Nicholson de Winterbourne, ressortissante britannique, rapporteure auprès du Parlement européen ; M. I. Tiriac, membre fondateur de l'établissement éducatif « Poiana Soarelui » ; Me V. Arhire, avocat à Bucarest, en qualité de représentant des mineures Florentina Goroh (ci-après « Florentina») et Mariana Estoica (ci-après « Mariana »). Les tiers intervenants ont soumis des observations écrites auxquelles les parties ont chacune répondu (article 44 § 5 du règlement).
Le gouvernement italien, invité le 18 septembre 2003 de prendre part à l'audience et/ou de présenter des observations écrites, n'a pas manifesté le souhait d'exercer ce droit (articles 36 § 1 de la Convention et 61 du règlement).
8. Une audience dédiée à la fois aux questions de recevabilité et à celles de fond s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 25 novembre 2003 (article 59 § 3 et article 54 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
M. Bogdan Aurescu, Sous-Secrétaire d'Etat agent ;
Mme Roxana Rizoiu, Directrice,
Direction de l'Agent du Gouvernement, co-agent ;
M. Razvan Rotundu, co-agent ;
– pour les requérants
Me Stefano Papa, conseil ;
M. Carlo Pini,
Mme Annalisa Bertani,
M. Salvatore Manera,
Mme Rosalba Atripaldi, requérants ;
– pour les tierces parties
M. Nicolai Mîndrilâ ;
Mme la Baronne Emma Nicholson de Winterbourne ;
M. Ioan Ţiriac ;
Me Vasile Arhire, conseil.
9. Par une décision du 25 novembre 2003, la chambre a déclaré les requêtes partiellement recevables (article 54 § 3 du règlement). Elle a décidé inter alia de joindre au fond les questions soulevées par le Gouvernement relatives à l'applicabilité de l'article 8 de la Convention et de soulever ex officio l'article 6 § 1 de la Convention quant à la non-exécution des décisions définitives d'adoption, visée exclusivement par les requérants sous l'angle de l'article 8 de la Convention.
10. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
11. Les requérants sont nés respectivement en 1957, 1952, 1951 et 1953 et résident à Reggio Emilia (les premiers requérants) et à Mantova (les seconds requérants). A la date d'introduction de leur requête, ils avaient la qualité de parents adoptifs de Florentina et Mariana, ressortissantes roumaines, nées respectivement les 31 mars et 17 avril 1991, et résidant à Braşov, au sein du Complexe éducatif « Poiana Soarelui » de Braşov (ci-après « le CEPSB »).
A. Procédures d'adoption
1. Adoption de Florentina
12. Par décision définitive du 17 juin 1994, le tribunal départemental de Iaşi constata l'abandon de Florentina, alors âgée de trois ans. A cette occasion, les droits parentaux furent délégués à l'établissement d'assistance publique L.
13. Le 6 septembre 1994, par décision de la Commission pour la protection de l'enfant de Iaşi, la mineure fut placée auprès du CEPSB.
14. Le 15 mai 2000, après l'entrée en vigueur de l'Ordonnance d'urgence du Gouvernement no 25/1997 sur le régime juridique de l'adoption (ci-après « l'O.U.G. no 25/1997 »), le Gouvernement roumain confia à l'association privée C. la charge de trouver une famille ou une personne aux fins de l'adoption de Florentina. Il chargea également le Comité roumain pour les adoptions de soutenir l'association C. dans cette démarche et d'établir un rapport psychosocial sur la mineure.
15. Les premiers requérants exprimèrent leur souhait d'adopter un enfant roumain auprès de l'association C., qui leur fit parvenir une photo de Florentina. Ils rencontrèrent la mineure pour la première fois le 3 août 2000, au sein du CEPSB. Par le biais de l'association C., ils furent informés par la suite du désir de la mineure de les rejoindre et de sa passion pour la musique.
16. Le 30 août 2000, le Comité roumain pour les adoptions, sur proposition de l'association C., émit un avis favorable à l'adoption de Florentina par les premiers requérants et, le 21 septembre 2000, il renvoya le dossier ouvert à la suite de leur demande d'adoption auprès du tribunal départemental de Braşov, conformément à l'article 14 § 2 de l'O.U.G. no 25/1997.
17. Le 28 septembre 2000, le tribunal fit droit à leur demande. Il constata que la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov avait donné un avis favorable à l'adoption et qu'elle avait confirmé son consentement devant le tribunal. Relevant aussi que la mineure se trouvait au CEPSB, il ordonna au service d'état civil de modifier le certificat de naissance de Florentina et de lui délivrer un nouveau certificat de naissance.
18. Le Comité roumain pour les adoptions interjeta appel contre cette décision. Le 13 décembre 2000, la cour d'appel de Braşov rejeta cet appel comme tardivement introduit. Cette décision devint définitive.
19. Le 5 février 2001, le Comité roumain pour les adoptions certifia que l'adoption de Florentina était conforme aux dispositions légales nationales en vigueur ainsi qu'à la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, et délivra aux requérants un certificat de conformité en ce sens.
20. Le 14 février 2001, la Commission pour les adoptions internationales autorisa l'entrée et la résidence permanente de la mineure en Italie, et ordonna la communication de cette décision, entre autres, à la Représentation de l'Italie à Bucarest.
21. A une date non précisée, le procureur général forma un recours en annulation de la décision du tribunal départemental Braşov et de l'arrêt de la cour d'appel de Braşov. Le 5 juin 2001, la Cour suprême de justice déclara ce recours irrecevable.
2. Adoption de Mariana
22. Le 28 septembre 2000, à la suite d'une procédure similaire à celle décrite aux paragraphes 16-18 ci-dessus, le tribunal départemental de Braşov fit droit à la demande des seconds requérants en vue de l'adoption de Mariana. Le tribunal constata que la mineure, déclarée abandonnée par décision définitive du 22 octobre 1998, se trouvait au CEPSB et ordonna au service d'état civil de modifier son certificat de naissance et de lui en délivrer un nouveau.
23. Le Comité roumain pour les adoptions interjeta appel contre cette décision. Le 13 décembre 2000, la cour d'appel de Braşov rejeta l'appel comme tardivement introduit. Cette décision devint définitive.
24. Le 28 décembre 2000, le Comité roumain pour les adoptions certifia que l'adoption de Mariana était conforme aux dispositions légales nationales en vigueur ainsi qu'à la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, et délivra aux requérants un certificat de conformité en ce sens.
B. Tentatives d'exécution des décisions d'adoption
1. La décision concernant Florentina
a) Action en référé afin d'obtenir la remise de son certificat de naissance
25. A une date non précisée, les premiers requérants saisirent le tribunal de première instance de Braşov d'une action en référé à l'encontre du CEPSB afin d'obtenir que le certificat de naissance de la mineure leur soit remis, et que celle-ci leur soit confiée. Le 24 octobre 2000, le tribunal fit droit à cette demande.
26. Le CEPSB interjeta appel contre ce jugement et sollicita le sursis à exécution, estimant que les conditions nécessaires pour une action en référé n'étaient pas remplies en l'espèce, que la décision d'adoption n'était pas définitive et qu'elle avait été rendue en violation des dispositions légales.
27. Le 7 mars 2001, le tribunal rejeta l'appel, au motif que l'intérêt de l'enfant et le fait que les parents adoptifs résident à l'étranger justifiaient l'urgence dans l'examen de l'affaire, et que la demande des requérants était donc conforme aux exigences de procédure requises pour une action en référé. Le tribunal constata également que, selon les documents du dossier, la décision d'adoption était définitive et avait acquis l'autorité de la chose jugée. Par conséquent, le tribunal jugea que les questions de fond concernant l'adoption ne pouvaient plus être réexaminées dans le cadre de l'action en référé. Le tribunal rejeta la demande de sursis à exécution, au motif qu'elle ne se justifiait pas compte tenu de sa décision de rejeter l'appel.
28. Le recours formé par le CEPSB fut également rejeté par un arrêt définitif du 7 juin 2001 de la cour d'appel de Braşov.
b) Procédure d'exécution des décisions de référé
29. Les premiers requérants sollicitèrent l'exécution des décisions des 28 septembre 2000 et 7 juin 2001 par les huissiers de justice auprès du tribunal de première instance de Braşov. Le 22 février 2001, ceux-ci notifièrent au CEPSB son obligation de remettre aux requérants le certificat de naissance de la mineure et de transférer sa garde aux parents adoptifs avant le 2 mars 2001. Par la suite, le président du tribunal ordonna le sursis à exécution pendant la procédure de contestation à l'exécution formée par le CEPSB (paragraphes 30-32 ci-dessous).
c) Première contestation à l'exécution
30. Le 23 février 2001, le CEPSB forma une contestation à l'exécution de la décision du 28 septembre 2000, en raison du manque de clarté du dispositif et au motif que l'adoption avait été décidée sans respecter les dispositions légales en la matière. Il demanda également la suspension de l'exécution.
31. Le 30 mars 2001, le tribunal rejeta la contestation au motif que le dispositif de la décision était clair et ne posait aucun problème d'exécution. Quant au deuxième chef de la demande, le tribunal jugea que la décision contestée avait acquis l'autorité de la chose jugée, et que, par conséquent, le bien-fondé de l'affaire ne pouvait pas être tranché à nouveau lors d'une contestation à l'exécution. Le tribunal rejeta également la demande de sursis à exécution du CEPSB.
32. Le CEPSB interjeta appel devant le tribunal départemental de Braşov qui, le 2 juillet 2001, le rejeta comme mal fondé.
d) Reprise de l'exécution
33. Le 12 juin 2001, les premiers requérants demandèrent aux huissiers de justice auprès du tribunal de première instance de Braşov de reprendre l'exécution, compte tenu également du fait que la Cour suprême de justice avait rejeté, entre temps, le recours en annulation formé par le procureur général.
34. Le 13 juin 2001, les huissiers notifièrent au CEPSB son obligation de remettre aux requérants le certificat de naissance de la mineure et de transférer sa garde aux parents adoptifs avant le 15 juin 2001.
35. Le 19 juillet 2001, ils renouvelèrent leur notification au CEPSB, lui demandant de s'y conformer avant le 8 août 2001.
e) Deuxième contestation à l'exécution
36. Le CEPSB forma une contestation à l'exécution à l'encontre des requérants devant le tribunal de première instance de Braşov, en faisant valoir qu'une action en référé visait des situations provisoires, et que, dans la présente affaire, l'exécution de la décision de référé aurait, au contraire, des conséquences permanentes. Les défendeurs s'opposèrent à la demande et sollicitèrent le prononcé d'une amende pour non-exécution d'un jugement définitif ainsi que d'une astreinte.
37. Le 8 août 2001, le tribunal fit droit à la demande de suspension provisoire de l'exécution jusqu'à l'audience du 22 août 2001. A cette dernière date, le tribunal prolongea la suspension de l'exécution jusqu'à l'audience suivante, fixée au 11 septembre 2001. Le jour venu, le tribunal accorda une nouvelle prolongation de la suspension jusqu'à l'audience du 25 septembre 2001, lors de laquelle le tribunal rejeta les demandes du CEPSB et des requérants comme mal fondées. Le tribunal jugea que la question soulevée par le CEPSB visait le fond de l'affaire, qui avait été déjà tranché par un arrêt ayant acquis l'autorité de la chose jugée. Il rejeta la demande des premiers requérants au motif que ceux-ci n'avaient pas prouvé la mauvaise foi du CEPSB dans l'affaire, ni l'étendue de leur préjudice.
f) Nouvelle reprise de l'exécution
38. Le 5 novembre 2001, les huissiers de justice notifièrent au CEPSB son obligation de remettre aux premiers requérants le certificat de naissance de Florentina et de transférer sa garde aux parents adoptifs, et l'avertirent qu'en cas contraire, ils procéderaient à une exécution forcée.
g) Troisième contestation à l'exécution
39. A une date non précisée, le CEPSB saisit le tribunal de première instance de Braşov d'une contestation à l'exécution selon une procédure d'urgence, à l'encontre des premiers requérants, au motif qu'une action en annulation de l'adoption était pendante devant le tribunal départemental de Braşov, ainsi qu'une demande en révision de l'arrêt concernant l'adoption et qu'une plainte pénale avait été déposée visant le processus d'adoption. Le CEPSB sollicita également le sursis à exécution.
40. Le 14 décembre 2001, le tribunal rejeta la contestation, au motif qu'une contestation en exécution ordinaire ayant été déjà rejetée, une demande d'examen d'urgence d'une action similaire ne se justifiait plus. Sur le fond, il nota que l'arrêt d'adoption ainsi que la décision rendue dans l'action en référé formée par les requérants étaient définitifs et exécutoires, et que le fait qu'une action visant leur annulation ou leur révision soit pendante n'était pas pertinent.
h) Demande de sursis à exécution
41. A une date non précisée, le CEPSB demanda au président du tribunal de première instance de Braşov le sursis à exécution. Le 25 janvier 2002, cette demande fut rejetée.
i) Reprise de l'exécution
42. Le 30 janvier 2002 à 14 heures, les huissiers de justice auprès du tribunal de première instance de Braşov se présentèrent au siège du CEPSB, accompagnés par des représentants de la force publique. Le gardien leur refusa l'entrée et ferma la porte à clef. Une demi-heure plus tard, le directeur du CEPSB et son adjointe se présentèrent à l'entrée du bâtiment et informèrent les huissiers et les forces de l'ordre que la mineure n'était pas présente dans l'établissement, mais qu'elle était partie pour une excursion en dehors de la ville. Sur vérification, Florentina ne fut pas trouvée à l'intérieur de l'établissement.
43. Les huissiers attirèrent l'attention du directeur du CEPSB sur son obligation de permettre à Florentina de rejoindre les requérants.
44. Le 27 mars 2002, les huissiers sommèrent le CEPSB de restituer le certificat de naissance de la mineure et de lui permettre de rejoindre les requérants dans un délai de dix jours et l'informèrent qu'en cas de refus, ils procéderaient à l'exécution forcée.
45. Le 3 septembre 2002, à 10 h 45, un huissier de justice, accompagné des premiers requérants et de leur avocat, se déplaça au CEPSB. Dans le procès-verbal dressé à cette occasion, l'huissier faisait état de ce que les gardiens de l'établissement les avaient tous séquestrés à l'intérieur de l'établissement. Il mentionna aussi qu'il avait téléphoné au bureau de police et que, après avoir expliqué cet incident au commissaire D., ce dernier avait répliqué qu'il aurait dû téléphoner au poste de police avant de procéder à l'exécution. L'huissier notait, enfin, qu'il était impossible de fournir l'aide légale nécessaire à l'exécution et qu'il y avait opposition à l'exécution. Il nota que la tentative d'exécution avait pris fin à 13 h.
j) Action en référé en sursis à exécution
46. Le CEPSB saisit le tribunal de première instance de Braşov d'une action en référé visant à obtenir la suspension de l'exécution, au motif qu'il avait saisi le tribunal d'une nouvelle contestation à l'exécution. Le 8 avril 2002, le tribunal rejeta la demande comme mal fondée.
k) Quatrième contestation à l'exécution
47. Le CEPSB forma une contestation à l'exécution devant le tribunal de première instance de Braşov à l'encontre des premiers requérants, au motif qu'une action en annulation de l'adoption était pendante devant la cour d'appel de Braşov. L'issue de cette procédure n'a pas été communiquée à la Cour.
l) Action en référé en sursis à exécution
48. Le CEPSB saisit en référé le tribunal de première instance de Braşov d'une action en suspension de l'exécution, au motif qu'il avait saisi le tribunal d'une nouvelle contestation à l'exécution. Par jugement du 4 septembre 2002, le tribunal fit droit à sa demande et ordonna provisoirement le sursis à exécution.
49. Il ressort des pièces fournies que la période pendant laquelle ce sursis a été ordonné est arrivée à échéance le 3 avril 2003. Un autre sursis à exécution a été ordonné par la suite, du 23 août au 12 septembre 2003.
2. La décision concernant Mariana
a) Action en référé visant la remise du certificat de naissance de la mineure
50. A une date non précisée, les seconds requérants saisirent le tribunal de première instance de Braşov d'une action en référé à l'encontre du CEPSB afin d'obtenir que le certificat de naissance de Mariana leur soit remis, et que celle-ci leur soit confiée. Le 24 octobre 2000, le tribunal fit droit à cette demande.
51. Ce jugement fut confirmé sur appel du défendeur par une décision définitive du tribunal départemental de Braşov rendue le 22 août 2001.
b) Première contestation à l'exécution
52. Le 1er février 2001, le CEPSB introduisit auprès du tribunal de première instance de Braşov une contestation à l'exécution de la décision du 28 septembre 2000, alléguant le manque de clarté de son dispositif et le fait que l'adoption avait été décidée sans respecter les dispositions légales en la matière. Il demanda également la suspension de l'exécution.
53. Le tribunal accueillit cette dernière demande et sursit à exécution jusqu'au 30 mars 2001, date à laquelle il rejeta la contestation, au motif que le dispositif de la décision était clair et ne posait aucun problème d'exécution. Quant au deuxième chef de demande, le tribunal jugea que la décision contestée avait acquis l'autorité de la chose jugée, et que, par conséquent, le bien-fondé de l'affaire ne pouvait pas être tranché à nouveau dans le cadre d'une contestation à l'exécution.
54. Ce jugement fut confirmé sur appel du CEPSB par une décision définitive du tribunal départemental de Braşov rendue le 2 juillet 2001.
c) Procédure d'exécution
55. Les seconds requérants sollicitèrent l'exécution des décisions du 28 septembre 2000 et 24 octobre 2000 par les huissiers de justice auprès du tribunal de première instance de Braşov. Ceux-ci notifièrent au CEPSB, les 22 février, 13 juin et 19 juillet 2001, son obligation de remettre aux demandeurs le certificat de naissance de Mariana et de leur transférer sa garde.
d) Deuxième contestation à l'exécution
56. Le 15 juin 2001, le CEPSB forma une contestation à l'exécution à l'encontre des seconds requérants. Devant le tribunal de première instance de Braşov, il demanda à plusieurs reprises le sursis à exécution, en faisant valoir qu'une décision en référé visait généralement des situations provisoires, mais que, dans la présente affaire, l'exécution de la décision de référé aurait, au contraire, des conséquences permanentes. Les seconds requérants s'opposèrent à la demande et sollicitèrent le prononcé d'une amende pour non-exécution d'un jugement définitif ainsi qu'une astreinte.
57. Le tribunal ordonna le sursis à exécution du 15 juin au 11 juillet 2001, du 8 août au 11 septembre 2001 et du 14 au 25 septembre 2001, date à laquelle il rejeta la contestation du CEPSB et la demande des seconds requérants comme mal fondées. Le tribunal jugea que la question soulevée par le CEPSB visait le fond de l'affaire, qui avait déjà été tranché par la décision du 28 septembre 2000 ayant acquis l'autorité de la chose jugée. Il rejeta la demande des parents adoptifs, au motif que ceux-ci n'avaient pas prouvé la mauvaise foi du CEPSB dans l'affaire, ni l'étendue de leur préjudice.
e) Nouvelle reprise de l'exécution
58. Les 5 novembre et 5 décembre 2001, les huissiers de justice notifièrent au CEPSB d'avoir à remettre aux seconds requérants le certificat de naissance de Mariana et de leur transférer sa garde et l'avertirent qu'en cas contraire, ils procéderaient à une exécution forcée.
f) Troisième contestation à l'exécution
59. A une date non précisée, le CEPSB saisit le tribunal de première instance de Braşov d'une contestation à l'exécution selon une procédure d'urgence, à l'encontre des seconds requérants, au motif qu'une action en annulation de l'adoption était pendante devant le tribunal départemental de Braşov, ainsi qu'une demande en révision de l'arrêt concernant l'adoption et qu'une plainte pénale avait été déposée visant le processus d'adoption. Le CEPSB sollicita également la suspension de l'exécution.
60. Le 14 décembre 2001, le tribunal rejeta la demande au motif qu'une contestation à l'exécution ordinaire ayant été déjà rejetée, une demande similaire ne se justifiait plus. Sur le fond, il nota que l'arrêt d'adoption ainsi que la décision rendue dans l'action en référé formée par les seconds requérants étaient définitifs et exécutoires, et que le fait qu'une action visant leur annulation ou leur révision soit pendante n'était pas pertinent.
g) Nouvelle reprise de l'exécution
61. Le 25 mars 2002, les huissiers de justice notifièrent à nouveau au CEPSB son obligation de remettre aux seconds requérants le certificat de naissance de la mineure et de leur transférer sa garde.
62. Les 30 janvier et 9 avril 2002, un huissier se déplaça au CEPSB, accompagné par les seconds requérants et les forces de police. Il constata que Mariana ne se trouvait pas à l'intérieur de l'établissement.
h) Quatrième contestation à l'exécution
63. Le CEPSB forma une contestation à l'exécution devant le tribunal de première instance de Braşov à l'encontre des seconds requérants, au motif qu'une action en annulation de l'adoption était pendante devant la cour d'appel de Braşov. L'issue de cette procédure n'a pas été communiquée à la Cour.
i) Action en référé en sursis à exécution
64. Le CEPSB saisit en référé le tribunal de première instance de Braşov d'une action en suspension de l'exécution de la décision d'adoption, au motif qu'il avait saisi le tribunal d'une nouvelle contestation à l'exécution. Par jugement du 4 septembre 2002, le tribunal fit droit à sa demande et ordonna provisoirement le sursis à exécution.
65. Il ressort des pièces fournies que la période pendant laquelle ce sursis a été ordonné est arrivée à échéance le 3 avril 2003. Un autre sursis à exécution a été ordonné par la suite, du 23 août au 12 septembre 2003.
C. Actions introduites par le CEPSB en annulation de l'adoption de Florentina et de Mariana
66. A une date non précisée, le CEPSB saisit le tribunal départemental de Braşov de deux actions en annulation de l'adoption de chacune des mineures à l'encontre des requérants, du Comité roumain pour les adoptions et de la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov, alléguant que leurs adoptions n'étaient pas légales en absence de son accord préalable.
67. Le 14 février 2002, le tribunal rejeta la demande, au motif que l'accord pour adoption était requis exclusivement de la part de la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov, qui exerçait, en vertu de l'article 8 de l'Ordonnance d'urgence du Gouvernement no 26/1997 (ci-après « l'O.U.G. no 26/97 »), les droits parentaux sur les adoptées. Or, le tribunal releva que la Commission avait donné un avis favorable à l'adoption et qu'elle avait fait connaître son consentement auprès du tribunal saisi de la demande d'adoption des requérants.
68. Le CEPSB fit recours contre cette décision. Lors de l'audience du 2 avril 2002 devant la cour d'appel, le Comité roumain pour les adoptions fit valoir que les nombreuses demandes introduites par la partie adverse au rôle des tribunaux nationaux étaient un abus de droit, car elles ne visaient pas l'intérêt supérieur de l'enfant, à savoir son intégration au sein d'une famille, mais elles étaient destinées à retarder et à entraver le processus d'adoption, en perpétuant ainsi la situation actuelle d'institutionnalisation des mineures.
69. Le CEPSB demanda le renvoi des ces affaires devant la Cour constitutionnelle, afin qu'elle se prononce sur l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 7 §§ 1 a) et 2 de l'O.U.G. no 25/97, relative au consentement à l'adoption. Le 10 décembre 2002, la Cour constitutionnelle rejeta, comme irrecevable, l'exception d'inconstitutionnalité soulevée, au motif qu'elle s'était déjà prononcée, par décision du 12 novembre 2002, sur la constitutionnalité des dispositions légales invoquées par le CEPSB.
70. Par arrêt définitif du 11 février 2004, la cour d'appel de Ploieşti annula, pour non-respect des exigences de forme, le recours formé par le CEPSB contre le jugement du 14 février 2002. Elle constata que l'établissement CEPSB avait omis de motiver sa demande de recours dans le délai prévu par la loi et jugea, à cet égard, que l'exception d'inconstitutionnalité de centaines dispositions de l'O.U.G. no 25/97 qu'il avait soulevée lors de l'audience du 2 avril 2002 ne le dispensait pas de remplir les exigences de forme prévues par la loi. Le jugement du 14 février 2002 devint ainsi définitif, ne pouvant plus être attaqué par les voies de recours ordinaires.
D. Plainte pénale pour privation de liberté des mineures
71. A une date non précisée, les requérants saisirent le Parquet près du tribunal de première instance de Braşov d'une plainte pénale contre le directeur du CEPSB pour privation de liberté des mineures.
72. Le 6 août 2001, le Parquet informa les requérants de sa décision du 9 juillet 2001 de ne pas ouvrir de poursuites pénales dans l'affaire.
73. Le 18 février 2002, les requérants déposèrent une nouvelle plainte auprès du Parquet près du tribunal départemental de Braşov à l'encontre des dirigeants du CEPSB, les accusant notamment de priver illégalement de liberté leurs filles adoptives respectives, en violation de l'article 189 du Code pénal. Ils firent connaître en outre leur désaccord avec la décision du 9 juillet 2001 de ne pas ouvrir de poursuites pénales.
74. Un rapport dressé par la police de Braşov le 15 juillet 2002 fait état de ce que, dans le cadre de l'enquête ouverte à la suite de la plainte pénale des requérants, des policiers se sont rendus au CEPSB, où ils ont procédé à l'audition de Florentina et du chef de l'établissement. Ils notèrent dans ledit rapport que la mineure, âgée de plus de dix ans à la date de son audition, avait exprimé le souhait de rester dans l'établissement, refusant de rejoindre la famille de ses parents adoptifs, dont elle n'avait jamais fait la connaissance.
75. Le 28 novembre 2002, le Parquet près du tribunal départemental de Braşov ordonna un non-lieu en faveur du directeur du CEPSB.
E. Actions introduites par les mineures en révocation de leur adoption
1. Action introduite par Florentina
76. Le 4 novembre 2002, Florentina, représentée par un avocat et par S.G., directeur du CEPSB, en qualité de curateur, introduisit auprès du tribunal départemental de Braşov une action en révocation de l'adoption à l'encontre des requérants, du Comité roumain pour les adoptions et de la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov, s'appuyant sur l'article 22 de l'O.U.G. no 25/1997. Elle demandait, à titre subsidiaire et en cas de non-révocation de la décision d'adoption, trois milliards de lei à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral. Faisant valoir qu'elle n'avait pas vu les parents adoptifs ni avant, ni après la date à laquelle avait été prononcée la décision d'adoption, elle mentionnait que la seule fois où elle avait vu les requérants avait été le 3 septembre 2002, date à laquelle ils étaient venus tenter de l'enlever du CEPSB, contre son gré, accompagnés de leur avocat et de l'huissier de justice.
77. Par jugement du 9 juin 2003, le tribunal départemental de Prahova, auquel l'affaire avait été renvoyée pour examen par décision de la Cour suprême de justice, rejeta la demande de Florentina pour défaut de fondement. S'appuyant sur les preuves écrites versées par les parties au dossier, le tribunal jugea qu'il était dans l'intérêt de la demanderesse que la décision d'adoption ne soit pas révoquée. Il retint qu'elle n'établissait nullement, par l'intermédiaire de son curateur, que ses parents adoptifs auraient manifesté du désintérêt à son égard, mais qu'au contraire, il résultait des pièces du dossier qu'ils avaient fait de nombreuses démarches afin qu'elle puisse les rejoindre en Italie. Le tribunal écarta dès lors les témoignages de C.V. et D.M., qui avaient appuyé la demande de la mineure à titre respectivement de « mère » et de « tante » « de remplacement » de la mineure au sein du CEPSB.
78. Le tribunal retint en outre que l'adoption remplissait les exigences légales, et souligna que la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov, qui, en vertu de l'article 8 de l'O.U.G. no 25/97, exerçait les droits parentaux sur la mineure à la date à laquelle le tribunal a été saisi de la demande d'adoption, l'avait jugée dans l'intérêt de la mineure et avait donné un avis favorable à l'adoption.
79. Ce jugement fut confirmé sur recours de la demanderesse par un arrêt définitif de la cour d'appel de Ploieşti du 22 septembre 2003, prononcé à l'issue d'une audience publique à laquelle Florentina était présente et représentée par un avocat et par son curateur.
80. Par une décision définitive du 16 décembre 2003, la cour d'appel de Ploieşti rejeta la contestation en annulation introduite par Florentina contre l'arrêt définitif de la même juridiction du 22 septembre 2003.
2. Action introduite par Mariana
81. Le 4 septembre 2002, Mariana, s'appuyant sur l'article 22 de l'O.U.G. no 25/1997, introduisit auprès du tribunal départemental de Braşov une action en révocation de son adoption à l'encontre des requérants, du Comité roumain pour les adoptions et de la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov.
82. Lors de l'audience, en salle du conseil, du 31 octobre 2003, Mariana déclara, en présence de son curateur, qu'elle ne connaissait pas ses parents adoptifs et qu'elle ne désirait pas partir pour un autre pays, car elle était satisfaite de sa vie au sein du CEPSB, où elle bénéficiait de bonnes conditions.
83. Par jugement du 31 octobre 2003, le tribunal accueillit sa demande, s'appuyant notamment sur les déclarations des « mères et tantes » que Mariana avait au sein de l'établissement CEPSB, qui confirmèrent qu'elle y vivait depuis 1994 ou 1995 et qu'elle y bénéficiait d'une bonne éducation et de bonnes conditions de vie. Constatant l'absence de relations affectives qui auraient dû s'établir entre les adoptants et l'adoptée après la décision définitive du 28 septembre 2000, le tribunal révoqua l'adoption de Mariana par les seconds requérants et décida que la mineure devrait reprendre, à l'avenir, le nom qu'elle avait avant le 28 septembre 2000.
84. Bien que ce jugement fût susceptible de recours, les défendeurs n'en firent pas usage de cette possibilité, de sorte qu'il devint définitif.
F. Autres démarches, plaintes et pétitions des requérants en vue de l'exécution des décisions d'adoption
85. Le 27 février 2001, l'association C. demanda à la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov l'annulation de sa décision de placement des mineures au CEPSB. Le 2 mars 2001, la Commission l'informa qu'en raison des décisions définitives d'adoption des mineures par les requérants, le 28 septembre 2000, la mesure de placement était implicitement annulée et qu'une demande en ce sens était superflue.
86. Le 16 juillet 2001, la Direction générale pour la protection de l'enfant et pour l'adoption fit savoir aux requérants, sur leur demande, qu'elle n'était pas compétente pour faire les démarches nécessaires pour que les mineures leur soient remises. Elle indiquait que ses attributions en la matière avaient cessé à la date de la délivrance du certificat de conformité de l'adoption aux normes nationales et internationales en la matière.
87. Le 27 août 2001, les requérants déposèrent une plainte pour non-exécution des décisions définitives par les autorités roumaines devant la Commission du Sénat chargée de l'examen des abus de l'administration. Ils y faisaient valoir que les mêmes procureurs ayant donné un avis favorable à l'adoption avaient par la suite proposé au procureur général de former un recours en annulation de l'arrêt définitif.
88. Le 6 septembre 2001, ils sollicitèrent l'aide de l'ambassade d'Italie à Bucarest dans l'affaire, et le 12 septembre 2001, celle de la Commission pour les adoptions internationales.
89. Le 13 septembre 2001, ils déposèrent une pétition auprès du président de la Roumanie, du Premier ministre et du ministre de la justice.
90. Les 23 février, 5 mars, 19 avril, 6 août, 12 septembre et 15 novembre 2001, ils se plaignirent auprès du ministère de la Justice de la situation créée par la non-exécution des décisions d'adoption.
91. Les 27 octobre 2000, 19 février, 5 juin et 15 avril 2001, ils se rendirent en Roumanie dans l'espoir de revoir leurs filles adoptives respectives, mais sans résultat.
92. Ils leur envoyèrent constamment des lettres en roumain et des cadeaux, encourageant les mineures à leur répondre par écrit en roumain, langue qu'ils avaient apprise en attendant de les revoir, et leur faisant savoir que leur plus grand souhait était de les avoir à leur côtés, afin de leur témoigner de l'amour et de l'affection.
G. L'établissement CEPSB et la situation actuelle des mineures
93. Il ressort des observations fournies par les parties que le CEPSB, lieu de résidence des mineures, est un établissement privé, agréé par la Direction générale pour la protection de l'enfant de Braşov, dont les fonctions consistent à élever des enfants orphelins ou abandonnés, à en prendre soin et à en assurer l'éducation.
94. Les rapports rédigés par l'autorité nationale chargée de surveiller l'activité des établissements sociaux attestent que : le CEPSB bénéficie de bonnes conditions matérielles et d'hygiène ; l'assistance médicale y est assurée par des contrôles réguliers, effectués par des médecins, et par la surveillance permanente du personnel médical ; l'établissement développe des programmes spécifiques comprenant des activités d'éducation, de sport et de jeu des enfants placés ; ceux-ci fréquentent les écoles situées aux environs de l'établissement et sont intégrés dans le système national d'éducation ; les mineurs placés qui font preuve d'aptitudes particulières dans des domaines sportifs et artistiques sont encouragés à les développer ; de nombreuses activités à caractère pratique sont organisées ; l'établissement est structuré par groupes d'environ 7-8 enfants sous la supervision étroite d'employés chargés de remplir la fonction de « parents de remplacement » ; un psychologue est employé à titre permanent dans l'établissement.
95. Les 7 septembre 2000 et 4 février 2002, un employé du CEPSB travaillant à la boulangerie du Centre fut condamné par le tribunal de première instance de Braşov à des peines de prison ferme pour abus sexuel sur plusieurs mineurs placés au CEPSB et âgés respectivement de 9, 11 et 12 ans. Les mineures Florentina et Mariana n'étaient pas concernées.
96. Plusieurs articles parus dans le journal local de Braşov « M. » relèvent qu'après une visite au CEPSB, le 9 janvier 2001, de Mme la Baronne Nicholson de Winterbourne, rapporteure du Parlement européen, elle aurait considéré que les enfants placés dans cet établissement ne devraient pas partir pour l'étranger rejoindre leurs familles adoptives, compte tenu de ce qu'une véritable famille se serait créée au CEPSB, dans laquelle les enfants seraient bien élevés et éduqués. Ces articles font également état de ce que M. Ioan Tiriac, fondateur du Centre, aurait affirmé qu'aucun des enfants placés au sein du CEPSB ne quitterait l'établissement, car tous étaient devenus désormais sa famille et qu'il était temps d'arrêter l'« exportation » des enfants roumains.
97. Il ressort des éléments fournis par les parties que les mineures Florentina et Mariana vont régulièrement à l'école, rendent visite à leurs proches et effectuent des déplacements à l'étranger organisés par le CEPSB. Plus particulièrement, Florentina accomplit actuellement sa scolarité au Lycée des Beaux Arts, où elle prend des cours de violon et de piano, alors que Mariana est encouragée, par le personnel de l'établissement CEPSB, à perfectionner ses aptitudes à la danse et au sport.
98. Les photocopies du passeport de Florentina attestent qu'elle a effectué en juillet 2003 un voyage en Hongrie et en Autriche.
99. Un enregistrement vidéo fourni par le Gouvernement et réalisé avec le concours d'une psychologue au sein de l'établissement où résident les mineures fait état de ce que les filles n'ont pas reçu d'informations concrètes et précises sur la procédure d'adoption en cours à leur égard ou sur l'identité de leurs parents adoptifs. Il n'en ressort pas qu'elles aient été préparées à leur départ éventuel de l'établissement CEPSB afin de rejoindre la famille des requérants. Florentina, en particulier, exprima, au cours de l'enregistrement, ses désirs de faire partie d'une famille traditionnelle, faisant toutefois état de ses hésitations par rapport à son adoption par les requérants, qu'elle déclara avoir souhaitée, dans un premier temps.
Il n'est pas certain que les mineures aient reçu, avant l'arrivée des requérants, en septembre 2002, dans le Centre, les lettres que ces derniers leurs avaient adressées, en roumain, depuis plusieurs années.
Il ressort de l'enregistrement respectif que les filles ne souhaitent pas, à présent, partir pour l'Italie pour rejoindre les requérants, dont elles n'ont qu'une vague connaissance, mais qu'elles préfèrent rester au sein du CEPSB, où elles semblent avoir établi des relations sociales et affectives avec les autres enfants placés et avec les « mères » et « tantes » « de remplacement ».
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit et la pratique internationaux pertinents
100. Les dispositions du droit et de la pratique internationaux pertinents sont libellées comme suit :
1. Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, ratifiée par la Roumanie le 18 octobre 1994
Article 4 sur les conditions des adoptions internationales
« Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de 1'Etat d'origine :
a) ont établi que l'enfant est adoptable ;
b) ont constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l'enfant dans son Etat d'origine, qu'une adoption internationale répond à l'intérêt supérieur de l'enfant ;
c) se sont assurées : 1. que les personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption ont été entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d'une adoption, des liens de droit entre l'enfant et sa famille d'origine ; 2. que celles-ci ont donné librement leur consentement dans les formes légales requises, et que ce consentement a été donné ou constaté par écrit ; 3. que les consentements n'ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte et qu'ils n'ont pas été retirés ; 4. que le consentement de la mère, s'il est requis, n'a été donné qu'après la naissance de l'enfant ; et
d) se sont assurées, eu égard à l'âge et à la maturité de l'enfant : 1. que celui-ci a été entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l'adoption et de son consentement à l'adoption, si celui-ci est requis ; 2. que les souhaits et avis de l'enfant ont été pris en considération ; 3. que le consentement de l'enfant à l'adoption, lorsqu'il est requis, a été donné librement, dans les formes légales requises, et que son consentement a été donné ou constaté par écrit, et 4. que ce consentement n'a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte. »
Article 9
« Les Autorités centrales prennent, soit directement, soit avec le concours d'autorités publiques ou d'organismes dûment agréés dans leur Etat, toutes mesures appropriées, notamment pour : (...) b) faciliter, suivre et activer la procédure en vue de l'adoption ; c) promouvoir dans leurs Etats le développement de service de conseils pour l'adoption et pour le suivi de l'adoption ; (...) »
Article 10
« Peuvent seuls bénéficier de l'agrément et le conserver les organismes qui démontrent leur aptitude à remplir correctement les missions qui pourraient leur être confiées. »
Article 17
« Toute décision de confier un enfant à des futurs parents adoptifs ne peut être prise dans 1'Etat d'origine que a) si l'Autorité centrale de cet Etat s'est assurée de l'accord des futurs parents adoptifs ; b) si l'Autorité centrale de l'Etat d'accueil a approuvé cette décision, lorsque la loi de cet Etat ou l'Autorité centrale de 1'Etat d'origine le requiert ; c) si les Autorités centrales des deux Etats ont accepté que la procédure en vue de l'adoption se poursuive ; et d) s'il a été constaté que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter et que l'enfant est ou sera autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente dans 1'Etat d'accueil. »
Article 18
« Les Autorités centrales des deux Etats prennent toutes mesures utiles pour que l'enfant reçoive l'autorisation de sortie de 1'Etat d'origine, ainsi que celle d'entrée et de séjour permanent dans 1'Etat d'accueil. »
Article 19
« 1. Le déplacement de l'enfant vers 1'Etat d'accueil ne peut avoir lieu que si les conditions de l'article 17 ont été remplies.
2. Les Autorités centrales des deux Etats veillent à ce que ce déplacement s'effectue en toute sécurité, dans des conditions appropriées et, si possible, en compagnie des parents adoptifs. »
2. Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ratifiée par la Roumanie le 28 septembre 1990
Article 21
« Les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière, et : a) Veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ;
b) Reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé (...) »
3. Convention européenne en matière d'adoption des enfants, signée à Strasbourg, le 24 avril 1967, et ratifiée par la Roumanie le 18 mai 1993
Article 4
« L'adoption n'est valable que si elle est prononcée par une autorité judiciaire ou administrative ci-après appelée 'l'autorité compétente'. »
Article 5
« 1. L'adoption n'est prononcée que si au moins les consentements suivants ont été accordés et n'ont pas été retirés : a) le consentement de la mère et, lorsque l'enfant est légitime, celui du père ou, s'il n'y a ni père ni mère qui puisse consentir, le consentement de toute personne ou de tout organisme qui serait habilité à exercer les droits parentaux à cet égard; b) le consentement du conjoint de l'adoptant.
2. Il n'est pas permis à l'autorité compétente : a) de se dispenser de recueillir le consentement de l'une des personnes visées au paragraphe 1 ci-dessus, ou b) de passer outre au refus de consentement de l'une des personnes ou de l'un des organismes visés audit paragraphe 1, sinon pour des motifs exceptionnels déterminés par la législation. »
Article 10
« 1. L'adoption confère à l'adoptant à l'égard de l'enfant adopté les droits et obligations de toute nature qui sont ceux d'un père ou d'une mère à l'égard de son enfant légitime.
L'adoption confère à l'adopté à l'égard de l'adoptant les droits et obligations de toute nature qui sont ceux d'un enfant légitime à l'égard de son père ou de sa mère.
2. Dès que naissent les droits et obligations visés au paragraphe 1 du présent article, les droits et obligations de même nature existant entre l'adopté et son père ou sa mère ou tout autre personne ou organisme cessent d'exister. »
4. Rapport au Parlement européen, en date du 24 juillet 2001, sur la demande d'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne
101. Dans son Rapport au Parlement européen, Mme la Baronne Nicholson de Winterbourne, après avoir constaté avec satisfaction les progrès réalisés par la Roumanie sur la voie de la consolidation de l'Etat du droit et du respect des droits de l'homme, souligne, en sa qualité de rapporteure, que la situation des enfants en Roumanie nécessite de nouvelles améliorations. Elle relève que le sort des enfants placés dans des institutions demeure toujours une cause majeure d'inquiétude et un problème en matière de droits fondamentaux ayant un impact sur la procédure d'adhésion.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
102. Les dispositions du droit et de la pratique internes pertinents sont libellées comme suit :
1. Ordonnance d'urgence du Gouvernement no 25 du 9 juin 1997 relative à l'adoption (publiée au Moniteur officiel du 12 juin 1997), approuvée par la loi no 87 du 25 avril 1998
Article 1
« 1. L'adoption est une mesure spéciale de protection des intérêts de l'enfant, établissant la filiation entre l'adoptant et l'adopté et créant des liens de parenté entre l'enfant et les membres de la famille de l'adoptant.(...)
3. L'adoption produit ses effets à la date à laquelle la décision judiciaire [accueillant la demande d'adoption] est devenue irrévocable. »
Article 7
« 1. Pour accueillir une demande d'adoption, sont nécessaires : a) le consentement, des parents ou, selon le cas, du parent de l'adopté (...) ; b) l'avis favorable de la Commission pour la protection de l'enfant du domicile de ce dernier ; c) le consentement de l'enfant âgé de 10 ans minimum ; d) le consentement de la personne ou de la famille qui adopte.
2. Si (...) l'enfant a été déclaré abandonné par décision judiciaire devenue définitive, le consentement prévu par l'article 7 § 1 a) n'est pas nécessaire. »
Article 18
« 1. Le tribunal se prononce sur la demande d'adoption en chambre du conseil, en formation de deux juges (...) 2. Seront cités à l'audience : la Commission pour la protection de l'enfant qui a donné son avis favorable à l'adoption, et qui représente l'enfant, la personne ou la famille qui souhaite adopter et le Comité roumain pour les adoptions ; la participation du procureur est obligatoire. (...) 3. Le tribunal peut administrer toute preuve admise par la loi ; 4. Le consentement de l'enfant âgé de 10 ans minimum sera recueilli devant le tribunal. »
Article 21
« L'enfant acquiert le nom de la personne qui l'adopte (...) En vertu de la décision devenue irrévocable de la juridiction prononçant l'adoption, le service d'état civil compétent établit un nouveau certificat de naissance de l'enfant, dans lequel les parents adoptifs figurent à titre de parents naturels. L'ancien certificat de naissance est gardé, avec une mention en marge concernant le nouvel acte établi. »
Article 22
« 1. L'adoption peut être annulée ou révoquée, selon la loi.
2. L'adoption peut être révoquée sur demande de l'enfant de plus de 10 ans ou de la Commission pour la protection de l'enfant de son domicile, si cela est dans l'intérêt supérieur de l'enfant.
3. Le tribunal (qui révoque l'adoption) se prononce sur le nom qu'aura l'enfant après que son adoption ait été révoquée. »
2. Ordonnance d'urgence du Gouvernement no 26 du 9 juin 1997 sur la protection de l'enfant en difficulté (publiée au Moniteur officiel du 12 juin 1997)
Article 7
« Afin d'assurer le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant en difficulté, la Commission pour la protection de l'enfant peut ordonner :...e) le placement de l'enfant auprès d'un service public de protection spécialisé ou auprès d'un établissement privé agréé. »
Article 8
« Si l'enfant a été déclaré abandonné par décision judiciaire définitive (...) les droits parentaux sont exercés par le conseil départemental, par le biais de la Commission pour la protection de l'enfant. »
3. Arrêté du Gouvernement no 502 du 12 septembre 1997 sur l'organisation et le fonctionnement du Comité roumain pour les adoptions
Article 1
« Le Comité roumain pour les adoptions est organisé et agit comme organe de spécialité sous tutelle du Gouvernement, dans le but d'assurer la surveillance et le soutien des actions de protection des droits des enfants par l'adoption et de réaliser la coopération internationale dans ce domaine.
2. Le Comité roumain pour les adoptions est l'autorité centrale roumaine chargée d'assumer les obligations prévues par la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (...) »
4. Arrêté du Gouvernement no 770 du 3 juillet 2003 sur l'organisation et le fonctionnement de l'autorité nationale pour la protection de l'enfant et pour adoption
Article 1
« L'autorité nationale pour la protection de l'enfant agit comme organe de spécialité de l'administration publique centrale, dotée de la personnalité juridique, sous tutelle du ministère du Travail, de la Solidarité sociale et de la Famille. »
Article 7
« L'autorité a les attributions suivantes : (...) f) propose aux autorités compétentes de suspendre ou de faire cesser les activités qui mettent en danger grave et imminent la santé ou le développement physique ou psychique de l'enfant et de retirer l'autorisation de fonctionnement des personnes juridiques responsables ;
g) agit pour prévenir ou pour faire cesser les effets des faits ou des actes contraires aux principes et aux normes contenus dans les conventions internationales auxquelles la Roumanie a adhéré en matière des droits de l'enfant et d'adoption (...) »
5. Code de la famille
Article 75
« [A compter de la date à laquelle la décision prononçant l'adoption est devenue définitive], les droits et les obligations que l'adopté a à l'égard de l'adoptant sont les mêmes que ceux qu'un enfant né d'un mariage a à l'égard de ses parents (...) »
Article 100
« L'enfant mineur habite avec ses parents (...) »
Article 103
« Les parents ont le droit de demander que leur enfant leur soit remis par toute personne le gardant sans en avoir le droit. Les tribunaux rejetteront la demande de retour si elle est contraire aux intérêts de l'enfant. Celui-ci sera entendu après l'âge de dix ans. »
103. Ces dispositions ont été abrogées et remplacées par l'O.U.G. no 25 du 9 juin 1997 relative à l'adoption (voir supra, paragraphe 102, no 1)
6. Code pénal (« CP »)
Article 189
« 1. La privation illégale de liberté est passible d'une peine de un à cinq ans d'emprisonnement.
2. Si (...) la victime est mineure, la sanction est une peine de cinq à douze ans d'emprisonnement. »
7. Code de procédure pénale (« CPP »)
Article 275
« (1) Toute personne peut se plaindre contre les mesures et actes de poursuites pénales, s'ils ont porté atteinte à ses intérêts légitimes. »
Article 278
« Les plaintes contre les mesures prises ou actes effectués par le procureur ou actes effectués sur ses ordres sont adressées au procureur en chef du Parquet. »
8. Décision no 308 du 12 novembre 2002 de la Cour constitutionnelle
104. La Cour constitutionnelle a accueilli l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 7 §§ 1a) et 2 de l'O.U.G. no 25/1997 relative au régime juridique de l'adoption, en considérant que cette disposition était inconstitutionnelle dans la mesure où, s'agissant d'un enfant déclaré abandonné par décision judiciaire, elle n'exigeait pas de recueillir le consentement préalable à l'adoption de la personne ou de l'organisme habilités à exercer les droits parentaux sur le mineur.
9. La Constitution
Article 11
« § 2. Les traités ratifiés par le Parlement selon les voies légales font partie intégrante de l'ordre juridique interne. »
Article 20
« (1) Les dispositions constitutionnelles concernant les droits et libertés des citoyens seront interprétées et appliquées en conformité avec la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et les pactes et autres traités auxquels la Roumanie est partie.
(2) En cas de contradiction entre les pactes et traités concernant les droits fondamentaux de l'homme auxquels la Roumanie est partie et les lois internes, les dispositions internationales prévaudront. »
10. Ordonnance d'urgence du Gouvernement no 121 du 8 octobre 2001 sur le sursis temporaire à toutes les procédures d'adoption internationales
Article 1
« Toutes les procédures ayant comme objet l'adoption des enfants roumains par une personne ou une famille de nationalité étrangère (...) sont sursises sur une durée de 12 mois à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance »
Article 2
« Pendant le délai indiqué à l'article 1, l'Autorité Nationale pour la protection de l'enfant et pour l'adoption et le Ministère de la justice ré-analyseront le régime juridique des adoptions internationales, afin d'harmoniser la législation nationale avec les dispositions et les pratiques internationales en la matière. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
105. Les requérants se plaignent de la non-exécution des décisions définitives des juridictions nationales relatives à l'adoption de Florentina et de Mariana, et y voient une atteinte au droit au respect de leur vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention, qui dispose ainsi dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A. Arguments des parties
1. Les requérants
a) Sur l'existence d'un lien constitutif d'une « vie familiale », au sens de l'article 8 § 1 de la Convention
106. Les requérants considèrent que la relation établie entre eux et leurs filles adoptives respectives est constitutive d'un lien familial, protégé par l'article 8 de la Convention, lequel s'applique dès lors en l'espèce. Ils renvoient aux arrêts Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (arrêt du 28 mai 1985, série A no 94), Eriksson c. Suède, (arrêt du 22 juin 1989, série A no 156), Marckx c. Belgique (arrêt du 13 juin 1979, série A no 31) et Ignaccolo-Zenide c. Roumanie (no 31679/96, CEDH 2000-I).
107. Ils font valoir que la Cour a déjà considéré que le mot « famille » englobait la relation entre deux personnes qui se croyaient mariées et souhaitaient sincèrement cohabiter et mener une vie familiale normale, au motif que le lien noué ainsi était assez étroit pour entraîner la mise en jeu de l'article 8 (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, précité, § 63). Or, s'appuyant sur les décisions définitives d'adoption, ils font valoir que la relation établie entre eux et leur enfant adoptif respectif est a fortiori constitutive d'un lien familial.
108. Plus encore, ils soulignent qu'ils ont rencontré les mineures Florentina et Mariana, et que, même s'ils se sont vu dénier, par le CEPSB, le droit de leur rendre d'autres visites, ils ont constamment pensé à elles en leur témoignant leur affection et en leur envoyant fréquemment des lettres et des cadeaux.
109. Se référant plus particulièrement à leur visite du 3 août 2000, ils contestent les allégations de Florentina et de Mariana et doutent de ce qu'elles auraient été exprimées en réalité par les mineures, vu le climat d'hostilité et de résistance entretenu par le CEPSB. Ils soulignent qu'un enregistrement vidéo prouve qu'elles ont été contentes de leur visite et qu'elles ont exprimé leur souhait de les rejoindre, ayant apprécié de passer du temps avec eux.
110. Admettant que les mineures ont pu développer au sein du CEPSB des liens d'affection avec les autres enfants ou avec les « mères de remplacement », ils font valoir qu'un mineur a besoin de soutien lorsqu'il doit quitter un environnement qu'il a considéré, depuis des années, comme étant sa vie réelle, pour rejoindre sa nouvelle famille, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Or, de l'avis des requérants, les fondements même de l'institution de l'adoption impliquent l'accompagnement de l'enfant dans cette délicate phase de sa vie.
b) Sur le respect de leur « vie familiale »
111. Les requérants soulignent que toutes les conventions internationales relatives aux droits de l'enfant ont affirmé, sans équivoque, le fait que la famille représente le meilleur cadre pour l'épanouissement de la personnalité de l'enfant. Se référant en outre à un rapport du Parlement européen (voir « le droit international pertinent », paragraphe 101 ci-dessus), ils indiquent que l'une des priorités assumées par le Gouvernement roumain en vue de l'adhésion à l'Union européenne est la question des mineurs placés en institutions. Or, nonobstant les qualités du CEPSB, ils sont d'avis que cet établissement ne saurait en aucun cas remplacer une famille, dès lors qu'il n'offre aux enfants placés que des « parents de remplacement sur contrat », qui ne sont rien de plus que de simples employés, et peuvent à tout moment être licenciés ou donner leur démission.
112. En tout état de cause, les requérants soulignent que le rôle d'une telle institution n'est pas d'entraver le processus d'adoption, et qu'elle ne devrait pas non plus s'impliquer dans une campagne de diffamation, en faisant des affirmations non vérifiées à l'égard des parents adoptifs, que les journaux ont reprises sous le qualificatif de « trafiquants d'enfants ».
113. Le fait de vouloir discréditer à tout prix les étrangers souhaitant adopter des enfants roumains soulève, de l'avis des requérants, des doutes quant aux qualités de cet établissement, et ce d'autant plus qu'il aurait suffisamment d'opportunités de trouver d'autres mineurs à la place de ceux qui le quitteraient en vertu des décisions d'adoption prononcées par les autorités compétentes. Ils estiment que de tels doutes se justifient davantage si l'on considère la condamnation récente d'un employé de l'établissement pour abus sexuel sur trois des mineurs placés (voir paragraphe 95 ci-dessus).
114. Ils soulignent, enfin, que, si les mineures n'ont pris connaissance des décisions d'adoption que le 3 septembre 2002 et « par hasard », comme elles l'allèguent, cela prouve que l'établissement ne les en a jamais informées.
115. S'agissant de la prétendue absence de consentement du CEPSB à l'adoption, ils soulignent que les procédures d'adoption de Florentina et de Mariana étaient conformes à la législation roumaine et aux conventions internationales en la matière, dès lors qu'en vertu de l'article 8 de l'O.U.G. no 26/1997, les droits parentaux sur les enfants déclarés abandonnés par décision judiciaire, comme en l'espèce, étaient exercés par la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov, qui a donné un avis favorable à l'adoption des mineures et qui a réitéré son consentement devant le tribunal qui s'est prononcé sur leurs demandes d'adoption.
2. Le Gouvernement
a) Sur l'existence d'un lien constitutif d'une « vie familiale », au sens de l'article 8 § 1 de la Convention
116. Le Gouvernement considère à titre principal que l'article 8 de la Convention ne s'applique pas à la situation des requérants, qui ne sauraient se prévaloir de l'existence d'une « vie familiale » susceptible d'être protégée par la disposition précitée. Il fait valoir que, même si les requérants ont été reconnus comme parents adoptifs de Florentina et de Mariana par décisions judiciaires définitives, ce simple fait ne devrait pas être considéré comme faisant tomber ces affaires dans le champ d'application de l'article 8, dans la mesure où nulle vie familiale concrète n'a existé. Il souligne sur ce point que les requérants n'ont jamais rencontré leurs filles adoptives en tant que parents et n'ont jamais entretenu de relations concrètes de vie familiale avec elles.
117. Même s'ils ont visité l'établissement CEPSB le 3 août 2000, cette visite ne saurait être considérée, de l'avis du Gouvernement, comme donnant naissance à un quelconque lien suffisamment profond pour engendrer une vie familiale. Il fait valoir que les adoptions ont été réalisées par l'intermédiaire de l'association C. et que les enfants n'ont jamais vécu avec les requérants et ne les ont jamais considérés comme étant leurs parents.
118. Le Gouvernement considère qu'en réalité, les requérants n'ont pas prouvé un réel intérêt à connaître les petites filles et à s'assurer, en premier lieu, du bien-être des enfants, et souligne à cet égard que, dans le cadre du processus d'adoption des enfants roumains, les premiers requérants ne se sont rendus en Roumanie que cinq fois, et les seconds requérants ne s'y sont rendus que trois fois, dont une seule fois avant la décision d'adoption prononcée le 28 septembre 2000.
119. Il fait valoir que les requérants se trouvent encore dans la position de parents « potentiels », nul lien de sang et nulle vie de famille de facto ne les unissant à leur enfant. Dans ce cas, l'existence d'un lien de parenté formel établi par une décision judiciaire ne devrait pas jouir, de l'avis du Gouvernement, de la protection garantie par l'article 8 de la Convention, la pratique des institutions de la Convention ayant toujours favorisé une approche fondée sur des éléments substantiels, plutôt qu'une démarche formelle, basée sur la qualification donnée par le droit interne à la notion de famille.
120. Invoquant en particulier les arrêts Fretté c. France (no 36515/97, CEDH 2002-I) et Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, (no 33290/96, CEDH 1999-IX), le Gouvernement considère qu'un parent adoptif essayant d'établir des relations effectives avec l'adopté ne saurait être traité du point de vue de l'article 8 de la même façon qu'une personne qui invoquerait l'existence de relations de famille fondées sur la filiation naturelle ou sur des liens affectifs déjà existants. Il est d'avis que, dans le premier cas, le futur parent s'efforce d'obtenir un droit, alors que le parent naturel essaye de le conserver.
121. Le Gouvernement conclut qu'une vie familiale, au sens de l'article 8 précité, ne pourrait pas s'envisager dans le cadre d'une relation fondée sur l'adoption, conçue comme n'étant une famille que pour les parents adoptifs, de façon unilatérale, tant que l'enfant refuse de partager sa vie familiale avec les parents adoptifs.
b) Sur le respect de la « vie familiale » des requérants
122. Subsidiairement, le Gouvernement est d'avis que les particularités de la situation de fait de ces affaires ont pour effet de modifier l'étendue des obligations positives découlant pour l'Etat de la notion de « respect de la vie familiale ». Il souligne tout d'abord que les liens familiaux établis entre les mineures Florentina et Mariana et le personnel de l'établissement ne se résument nullement à une simple relation entre une assistante sociale et ses patients, mais qu'elles atteignent le même niveau de profondeur que ceux établis au sein d'une relation classique, entre un parent et son enfant. La « mère » et la « tante » qu'ont chacune des filles au sein de l'établissement sont les « témoins » de leur évolution, ayant participé aux moments les plus importants de leur enfance, ce qui est très important, de l'avis du Gouvernement, pour leur évolution.
123. Il fait valoir que les sentiments des mineures à l'égard de ces personnes, de même qu'à l'égard des autres enfants de l'établissement, sont des plus chaleureux, sincères et solides. Or, rompre, de manière délibérée et brutale, de telles relations consolidées par le temps, pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour le psychisme de l'enfant.
124. Soulignant que les responsables de l'établissement s'efforcent de trouver les parents biologiques des mineures, le Gouvernement est d'avis que les enjeux sont majeurs en l'espèce, s'agissant d'une adoption internationale. Il relève sur ce point que la possibilité pour les mineures de revoir leurs parents naturels ou leurs proches du CEPSB est fortement diminuée en cas d'adoption assortie de leur départ pour l'Italie, et que la souffrance découlant d'une séparation avec ces derniers serait accrue dans un milieu étranger, vu les différences d'ordre culturel et religieux et l'absence de repère qui soit familier à l'enfant.
125. Le Gouvernement note aussi que les mineures ne sont nullement traitées dans l'établissement d'une manière « institutionnalisée » ou « arithmétique », mais, en revanche, qu'elles y demeurent comme dans une famille, sans qu'elles aient la crainte d'être mises à la porte quant elles atteindront l'age adulte, dès lors qu'elles savent qu'elles y trouveront appui jusqu'au moment où elles maîtriseront leur vie. De plus, il souligne que les mineures y bénéficient de toutes les conditions nécessaires au développement de leurs vocations. Plus particulièrement, le Gouvernement indique que Florentina accomplit sa scolarité au Lycée des Beaux Arts, où elle prend des cours de violon et de piano, alors que Mariana est encouragée à perfectionner ses aptitudes à la danse et au sport.
126. Or, tous ces éléments, auxquels s'ajoute l'attitude constante des mineures à l'égard de leur adoption, influent fortement, de l'avis du Gouvernement, sur l'opportunité des mesures à prendre, par les autorités, afin d'assurer le respect de la vie familiale des requérants. Il fait valoir sur ce point que les mineures se sont toujours opposées à leur départ pour l'Italie, ainsi qu'il ressort, notamment, de leurs demandes de révocation de l'adoption et de la déclaration faite par Florentina dans le cadre de la procédure pénale dirigée par les requérants contre le directeur de l'établissement du chef de privation de liberté des mineures (paragraphe 74 ci-dessus).
127. Le Gouvernement estime, enfin, qu'aucune méconnaissance de l'article 8 ne saurait être établie en l'espèce, cette clause conventionnelle ne pouvant pas être interprétée comme astreignant l'Etat à prendre des mesures radicales pour exécuter manu militari une décision d'adoption ou à procéder, par d'autres moyens de préparation psychologique, à la création d'une relation de parenté, tant que l'analyse de l'intérêt de l'enfant fait encore l'objet de procédures judiciaires.
B. Arguments des tiers intervenants
a) Sur l'existence d'un lien entre les requérants et les mineures constitutif d'une « vie familiale », au sens de l'article 8 § 1 de la Convention
128. Tous les tiers intervenants sont d'avis que l'article 8 de la Convention n'est pas applicable en l'espèce, en l'absence d'une vie familiale réelle entre Florentina et Mariana, d'une part, et les requérants, de l'autre. Ils relèvent sur ce point que l'équilibre des intérêts en jeu doit tenir compte de l'intérêt des enfants, car c'est à eux qu'il revient d'accepter la famille qui les adopte et non pas l'inverse. Or, selon les tiers intervenants, la seule famille que les mineures acceptent est celle du CEPSB.
129. Florentina et Mariana font valoir en particulier que ce n'est que le 3 septembre 2002 qu'elles ont pris connaissance, complètement par hasard, de l'existence d'une décision définitive et exécutoire sur le fondement de laquelle leurs parents adoptifs respectifs voulaient les forcer à quitter leur pays et leur famille au sein du CEPSB, dans laquelle elles vivent depuis 8 et 4 ans respectivement. Elles soulignent qu'elles ne sont pas liées aux requérants par un lien de sang ou par une vie de famille de facto, et font valoir que la visite qu'ils leur auraient rendue au Centre le 3 août 2000, dont elles ne se souviennent plus, ne saurait être considérée un lien assez profond pour les engager dans une nouvelle vie de famille.
b) Sur le respect de la « vie familiale » des requérants
130. Les tiers intervenants mettent en exergue le fait que le CEPSB est organisé de manière à assurer aux enfants des conditions proches de celles offertes par des familles traditionnelles. Ils soulignent que Florentina et Mariana y résident dans une maison moderne, avec leurs familles respectives, formées d'une « mère et d'une tante de replacement » et de huit autres enfants mineurs. Le CEPSB aurait onze familles similaires, vivant chacune dans une maison moderne et offrant aux enfants tout ce dont ils ont besoin. Ils soulignent que Florentina et Mariana, de même que les autres enfants, y vivent sans être contraints.
131. Indiquant que, le 3 septembre 2002, Florentina aurait été agressée physiquement par ses parents adoptifs, par leur avocate et par les forces de l'ordre qui étaient venus la faire sortir de l'établissement, ils estiment que cet incident a été traumatisant à la fois pour Florentina et pour Mariana.
132. Ils expriment des doutes sur la légalité de l'adoption des mineures, en faisant valoir, tout abord, qu'elles étaient déjà intégrées, à la date de leur adoption, dans l'une des familles constituées au sein de l'établissement. Or, ils rappellent que les adoptions internationales ne sont permises, tant par la Convention de Nations Unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989, que par la Convention européenne en matière d'adoption d'enfants, signée à Strasbourg le 24 avril 1967, que dans le cas où le mineur ne peut être adopté dans le pays d'origine ou s'il ne peut être pris en charge de manière appropriée dans son propre pays (cf. paragraphe 100 ci-dessus).
133. Ils soulignent ensuite que l'adoption des mineures, en l'absence de leur consentement et de celui du CEPSB, aurait enfreint l'article 5 § 1 a) de la Convention européenne en matière d'adoption.
134. S'appuyant aussi sur les dispositions de la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, ils soulignent que les décisions d'adoption doivent être prises en tenant compte des désirs et des avis des adoptés, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
135. Florentina et Mariana soulignent en particulier qu'elles entendent mener leur vie de famille en Roumanie, au sein du CEPSB, où elles pratiquent le sport et font de la musique, et où elles se sont fait des amis. Elles font valoir qu'elles ne conçoivent pas d'autre vie de famille et que leurs opinions et leurs désirs devraient être respectés, d'autant plus qu'elles ont désormais plus de 11 ans. Elles considèrent que le fait d'être confiées à l'établissement CEPSB est la meilleure solution et s'opposent à l'exécution forcée des décisions relatives à leur adoption.
C. Appréciation de la Cour
1. Applicabilité de l'article 8 de la Convention
136. La Cour relève qu'il s'agit d'un point disputé par les parties, dans la mesure où les requérants, s'appuyant sur la légalité de la décision d'adoption et sur les contacts concrets qu'ils ont pu avoir avec leurs filles adoptives respectives, plaident l'existence d'un lien familial, protégé par l'article 8 de la Convention, lequel s'appliquerait dès lors en l'espèce, alors que le Gouvernement conteste cette thèse, pour des motifs liés, notamment, à l'absence de relations familiales de facto entre les parents adoptifs et les mineures, auxquels se rallient les tiers intervenants.
137. Il incombe, dès lors, à la Cour, de rechercher si les faits de l'espèce se situent dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention.
138. La Cour rappelle que la Convention doit s'appliquer en accord avec les principes du droit international, en particulier ceux relatifs à la protection internationale des droits de l'homme (voir les arrêts Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], no 34044/96 et 35532/97, § 90, CEDH 2001-II, et Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001).
139. S'agissant plus précisément des obligations que l'article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière d'adoption et des effets de l'adoption sur la relation entre les adoptants et les adoptés, ils doivent s'interpréter à la lumière de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et de la Convention européenne en matière d'adoption des enfants, signée à Strasbourg le 24 avril 1967.
140. En la matière, la Cour réitère une jurisprudence plus ancienne, selon laquelle, bien que le droit d'adopter ne figure pas en tant que tel au nombre des droits garantis par la Convention, les relations entre un adoptant et un adopté sont en principe de même nature que les relations familiales protégées par l'article 8 de la Convention (X. c. France, décision de la Commission du 5 octobre 1982, no 9993/82, Décisions et rapports (DR) 31, p. 241 ; X. c. Belgique, no 6482/74, décision de la Commission du 10 juillet 1975, DR 7, p. 75).
141. En l'espèce, la Cour note que les requérants peuvent se prévaloir de décisions définitives et irrévocables de juridictions nationales, qui, faisant droit à leur demande d'adoption, ont reconnu leur qualité de parents de Florentina et de Mariana.
142. Force est de constater que cette adoption conférait aux requérants les mêmes droits et obligations à l'égard des mineures adoptées que ceux d'un père ou d'une mère à l'égard de son enfant légitime, tout en faisant cesser les droits et obligations existant entre l'adopté et son père ou sa mère biologiques ou toute autre personne ou organisme, ainsi qu'il ressort de l'article 10 de la Convention européenne en matière d'adoption d'enfants, ratifiée par la Roumanie le 18 mai 1993. La Cour relève par ailleurs que la législation nationale en la matière, en particulier l'article 1er de l'O.U.G. no 25/1997, approuvée par la loi no 87 du 25 avril 1998, qui a remplacé l'ancien article 75 du Code de la famille, ne fait pas non plus de distinction entre parents légitimes et adoptifs (paragraphes 100 et 102 ci-dessus).
143. Certes, en garantissant le droit au respect de la vie familiale, l'article 8 présuppose l'existence d'une famille (Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31, § 31 ; Johnson c. Royaume-Uni, arrêt du 24 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, § 62), condition qui ne semble pas remplie en l'espèce, en l'absence de cohabitation ou de liens de facto suffisamment étroits entre les requérants et leurs filles adoptives respectives, avant ou après les décisions d'adoption. Il n'en résulte pas pour autant, de l'avis de la Cour, que toute vie familiale projetée sorte entièrement du cadre de l'article 8. En ce sens, la Cour a déjà considéré que cette disposition pouvait aussi s'étendre à la relation potentielle qui aurait pu se développer, par exemple, entre un père naturel et un enfant né hors mariage (Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI ), ou à la relation née d'un mariage non fictif, même si une vie familiale ne se trouvait pas encore pleinement établie (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 94, § 62).
144. Or, en l'espèce, rien ne permet de mettre en doute la conformité de l'adoption à la législation nationale ou aux conventions internationales en la matière : les autorités nationales ont établi que les mineures, déclarées abandonnées par décision judiciaire, étaient adoptables et ont estimé que leur adoption internationale répondait à leur intérêt supérieur, après s'être assurées du consentement des adoptants et de la Commission pour la protection de l'enfant de Braşov, qui exerçait les droits parentaux sur les enfants, en vertu de l'article 8 de l'O.U.G. no 26/1997 (paragraphes 100-104 ci-dessus).
145. Il est vrai que le consentement des mineures à l'adoption n'a pas été recueilli par les juridictions qui ont accueilli la demande d'adoption des requérants. La Cour relève toutefois qu'il ne s'agissait pas d'une omission. Âgées de 9 ans et demi à la date à laquelle les juridictions nationales se sont prononcées sur la demande d'adoption des requérants, elles n'avaient pas atteint l'âge à partir duquel leur consentement à l'adoption aurait dû être recueilli pour la validité de l'adoption, que la législation nationale a fixé à 10 ans. Or, un tel seuil n'apparaît pas déraisonnable, les conventions internationales en la matière laissant aux autorités un pouvoir d'appréciation quant à l'âge à partir duquel l'enfant doit être considéré comme suffisamment mûr pour que ses souhaits soient pris en compte (paragraphe 100 no 1 article 4 d ci-dessus).
146. Enfin, la Cour note que, si une vie familiale ne se trouve pas encore pleinement établie, en l'espèce, vu l'absence de cohabitation ou de liens de facto suffisamment étroits entre les requérants et leurs filles adoptives respectives avant ou après les décisions d'adoption, ce fait ne saurait être imputable aux requérants, qui, en choisissant les mineures sur la base d'une simple photo, sans qu'il y ait de véritables contacts avec elles qui les auraient préparées à l'adoption, n'ont fait que suivre la procédure qu'avait mise en place l'Etat défendeur en la matière.
147. De surcroît, il ressort des éléments du dossier que les requérants se sont toujours considérés comme les parents des mineures et se sont toujours comportés de la sorte à leur égard par la seule voie qui leur était ouverte, à savoir en leur faisant parvenir des lettres, écrites en roumain (voir paragraphe 92 ci-dessus).
148. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu'une telle relation, née d'une adoption légale et non fictive, pourrait être regardée comme suffisante pour mériter le respect que peut vouloir l'article 8 de la Convention, lequel trouve, dès lors, à s'appliquer.
2. Observation de l'article 8 de la Convention
149. La Cour rappelle que l'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics ; il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l'autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (Keegan c. Irlande, arrêt du 26 mai 1994, série A no 290, p. 19, § 49).
150. S'agissant de l'obligation pour l'Etat d'arrêter des mesures positives, la Cour n'a cessé de dire - dès lors qu'elle a constaté l'existence de relations de famille fondées sur la filiation naturelle ou sur des liens affectifs déjà existants - que l'article 8 implique le droit d'un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l'obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, les arrêts Eriksson c. Suède du 22 juin 1989, série A no 156, pp. 26-27, § 71 ; Margareta et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, série A no 226-A, p. 30, § 91 ; Olsson c. Suède (no 2) du 27 novembre 1992, série A no 250, pp. 35-36, § 90 ; Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55).
151. Toutefois, l'obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n'est pas absolue - s'agissant même des relations de famille fondées sur la filiation naturelle - notamment lorsque les intéressés ne se connaissent pas encore (Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, CEDH 2000-VIII, § 128 ). La nature et l'étendue de celles-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l'ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s'évertuer à faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l'enfant et des droits que lui reconnaît l'article 8 de la Convention. Dans l'hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux (arrêts Hokkanen précité, p. 22, § 58 ; Nuutinen précité, § 128 ; Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 221, CEDH 2000-VIII).
152. Le point décisif en l'espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires afin de permettre aux requérants, reconnus parents adoptifs des mineures Florentina et Mariana et ayant également obtenu, à l'issue d'une procédure judiciaire en référé, une décision enjoignant à l'établissement privé CEPSB de leur confier l'enfant, d'établir des relations familiales avec chacune des mineures adoptées.
153. Comme le soutient le Gouvernement, sont ici en cause les intérêts concurrents des requérants et des enfants adoptés. Il est indéniable que, du point de vue de ces derniers, il n'y a aucune raison pour leur assurer, contre leur gré, la création de relations affectives avec des personnes avec lesquelles ils ne sont pas unis par un lien biologique et qu'ils perçoivent comme des étrangers. Il ressort ainsi clairement des faits de l'espèce que les mineures Florentina et Mariana préfèrent rester maintenant dans l'environnement socio-familial dans lequel elles ont grandi au sein de l'établissement CEPSB, dans lequel elles s'estiment parfaitement intégrées et qui est susceptible de leur assurer la possibilité d'un épanouissement physique, affectif, éducatif et social, plutôt que d'être transférées dans un milieu différent, dans un pays étranger.
154. Du point de vue des parents adoptifs, l'intérêt découlait de leur volonté de créer une nouvelle relation de famille, en nouant des relations avec les mineures Mariana et Florentina qu'ils avaient adoptées.
155. Bien que ce désir des requérants soit légitime, il ne saurait jouir, de l'avis de la Cour, d'une protection absolue au titre de l'article 8 dans la mesure où il rentre en conflit avec le refus des mineures d'être adoptées par une famille étrangère. En effet, la Cour a toujours affirmé qu'une importance particulière devait être attachée à l'intérêt supérieur de l'enfant afin d'examiner si les autorités nationales avaient pris toutes les mesures nécessaires que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles pour assurer le regroupement de l'enfant et de ses parents. Elle a notamment conclu, sur ce point, qu'un tel intérêt pouvait, selon sa nature et sa gravité, l'emporter sur celui du parent (arrêts E.P. c. Italie, no 31127/96, § 62, 16 novembre 1999, ainsi que Johansen c. Norvège, 7 août 1996, Recueil 1996-III, p. 1008, § 78).
156. La Cour estime que l'importance à privilégier les intérêts de l'enfant par rapport à ceux des parents est accrue dans le cas d'une relation fondée sur l'adoption, car, ainsi qu'elle l'a déjà affirmé dans sa jurisprudence, l'adoption consiste à « donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille » (Fretté c. France, no 36515/97, § 42, CEDH 2002-I).
157. Or, force est de constater, en l'espèce, que les mineures ont rejeté l'idée de rejoindre leurs parents adoptifs et de partir pour l'Italie dès lors qu'elles ont atteint un âge à partir duquel on pouvait raisonnablement considérer que leur personnalité était suffisamment structurée et qu'elles avaient acquis la maturité nécessaire pour exprimer leur avis quant au milieu dans lequel elles désiraient être élevées (paragraphes 74, 76, 82, 99, 135 ci-dessus). La Cour note par ailleurs que le droit roumain leur reconnaît expressément la possibilité d'exprimer un tel avis, car, d'une part, l'enfant pour lequel une procédure d'adoption est en cours doit obligatoirement y consentir à partir de l'âge de 10 ans, et, d'autre part, il est loisible aux enfants déjà adoptés qui ont atteint cet âge de demander la révocation de leur adoption.
158. Certes, l'intérêt des mineures a sans nul doute fait l'objet d'une analyse des autorités compétentes durant le processus d'adoption. Cela ne saurait exclure, de l'avis de la Cour, un nouvel examen de tous les éléments pertinents à un moment ultérieur, lorsque des circonstances spécifiques l'exigent et lorsque l'intérêt supérieur de l'enfant est en jeu (mutatis mutandis, Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 63, 24 avril 2003).
159. A cet égard, la Cour note, à l'instar du Gouvernement, que les requérants jouissaient, après le 28 septembre 2000, d'une reconnaissance purement formelle de leur relation de parenté avec les mineures, qui n'était assortie d'aucun lien effectif. En effet, ils n'ont jamais véritablement connu les mineures, l'adoption ayant été réalisée par l'intermédiaire de l'association C., sans que les enfants cohabitent préalablement avec eux ou qu'elles les considèrent comme leurs parents. Or, âgées de 9 ans et demi au moment de l'adoption, à savoir à un âge très proche de celui où leur consentement à l'adoption aurait dû être recueilli de manière obligatoire, les mineures n'ont pas accepté cette relation de parenté et s'y sont opposées.
160. De surcroît, elles ont introduit en nom propre des demandes de révocation de leurs adoptions, motivées par le fait qu'elles ne désiraient pas quitter le pays et l'environnement dans lequel elles avaient été élevées et dans lesquels elles se sentaient parfaitement intégrées. A cet égard, il n'est pas dépourvu d'importance qu'à la suite de l'action introduite par Mariana, elle ait obtenu gain de cause, et que son adoption soit désormais révoquée, par une décision définitive ayant des effets ex nunc (paragraphe 83 ci-dessus).
161. La Cour relève en outre que, pendant plusieurs années après les décisions du 28 septembre 2000 favorables aux requérants, diverses autres procédures pendantes inscrites au rôle des juridictions nationales visaient à faire constater la nullité des adoptions, en raison, notamment, de la méconnaissance des dispositions des conventions internationales en la matière. Or, la Cour n'estime pas déraisonnable que les autorités aient attendu l'aboutissement de ces procédures, dont le résultat ne pouvait pas être prévisible, avant de procéder à des mesures à caractère définitif, susceptibles d'assurer la création d'une nouvelle vie de famille des requérants.
162. En effet, tant que des allégations d'irrégularité des adoptions formaient l'objet de procédures judiciaires pendantes devant les tribunaux compétents, il incombait aux autorités de s'assurer que toute incertitude visant la légalité de l'adoption était écartée. Cette conclusion s'impose d'autant plus en l'occurrence qu'une éventuelle exécution des décisions favorables aux requérants, assortie du déplacement des mineures en Italie, aurait rendu difficile et préjudiciable pour les intérêts des enfants tout retour de ceux-ci en Roumanie subséquent à une future décision judiciaire prononçant l'annulation de l'adoption ou décidant sa révocation.
163. La Cour déplore la manière dont les procédures d'adoption se sont déroulées, notamment l'absence de contacts concrets et effectifs entre les intéressés préalablement à l'adoption, ce qui a été rendu possible par des lacunes dans la législation interne pertinente à l'époque des faits. Elle trouve particulièrement regrettable que les mineures n'aient manifestement pas bénéficié d'un soutien psychologique, susceptible de les préparer à leur départ imminent de l'établissement qui les avait accueillies pendant plusieurs années et dans lequel elles avaient établi des liens sociaux et affectifs. De telles mesures auraient probablement permis que les intérêts des requérants convergent avec ceux des enfants adoptés, et non pas qu'ils soient en concurrence, comme c'est le cas en l'occurrence.
164. Il reste que, dans les circonstances de l'espèce, la nature plus faible de l'intérêt des requérants, reconnus parents adoptifs d'enfants âgées de presque 10 ans en l'absence de tout lien concret préexistant, ne saurait justifier le fait d'imposer aux autorités roumaines une obligation absolue d'assurer le départ des mineures pour l'Italie, contre leur gré et en ignorant les procédures judiciaires pendantes visant à remettre en cause la légalité et le bien-fondé des décisions initiales d'adoption. L'intérêt des enfants imposait, en effet, de tenir compte de leurs opinions dès lors qu'elles ont atteint la maturité nécessaire pour s'exprimer sur ce point.
Le refus des mineures, constamment manifesté après qu'elles aient atteint l'âge de 10 ans, de partir pour l'Italie pour rejoindre leurs parents adoptifs revêt à cet égard un poids certain. Or, une opposition consciente des enfants à l'adoption rendrait, en effet, improbable qu'elles puissent s'intégrer d'une manière harmonieuse dans la nouvelle famille adoptive.
165. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que les autorités nationales ont légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit des requérants à nouer des relations avec les mineures adoptées trouvait sa limite dans l'intérêt des enfants, nonobstant les aspirations légitimes des requérants de vouloir fonder une famille.
166. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
167. La Cour a considéré nécessaire, compte tenu des circonstances de l'espèce, d'examiner le grief des requérants tiré de la non-exécution des décisions définitives relatives à l'adoption de Florentina et de Mariana sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Arguments des parties
168. Les requérants soulignent que l'Etat roumain a manqué, pendant plusieurs années, à son obligation d'exécuter des jugements définitifs et irrévocables. Ils renvoient tout particulièrement au rapport de l'huissier de justice du 3 septembre 2002, qui précise que la tentative d'exécution des jugements définitifs s'est transformée, avec le concours des gardiens de l'établissement, en une détention illégale pour eux-mêmes, pour l'huissier et pour leur avocat (paragraphe 45 ci-dessus).
169. Le Gouvernement défendeur met en exergue le caractère sensible des questions sur lesquelles portaient les décisions définitives en question et souligne qu'aucune méconnaissance de l'article 6 § 1 ne saurait être établie en l'espèce, cette clause conventionnelle ne pouvant pas être interprétée comme astreignant l'Etat à prendre des mesures radicales pour exécuter manu militari des décisions qui pourraient briser l'équilibre d'un enfant.
170. Admettant que le droit à l'exécution est reconnu par la jurisprudence de la Cour comme un élément du droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6 précité, et renvoyant aux opinions dissidentes exprimées par les juges Thomassen et Maruste sous les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Ruianu (no 34647/97, 17 juin 2003) et Ignaccolo-Zenide (no 31679/96, CEDH 2000-I), le Gouvernement est d'avis qu'il peut exister des situations exceptionnelles autorisant les autorités à ne pas exécuter une décision, comme, par exemple, un changement dans la situation de fait (mutatis mutandis, Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, 24 avril 2003).
171. Or, selon le Gouvernement, les présentes affaires constituent de telles situations exceptionnelles, qui justifient l'inexécution des décisions litigieuses par les autorités. Il fait valoir sur ce point que le droit des enfants adoptés de garder leur famille et leur domicile au sein du CEPSB doit prévaloir sur le droit processuel des parents adoptifs de voir exécuter une décision pouvant causer des dégâts importants pour l'avenir et l'équilibre des mineures.
172. Rappelant que les huissiers de justice ont entamé l'exécution des décisions judiciaires relatives à l'adoption, le Gouvernement considère qu'il n'y a pas eu de longues périodes d'inactivité de ces autorités pendant les phases lors desquelles l'exécution n'a pas été suspendue par décision des juridictions nationales et que, en tout état de cause, l'Etat ne saurait être tenu pour responsable du refus opposé par l'établissement privé CEPSB de confier les mineures aux requérants.
173. Il souligne, enfin, que la question devrait être envisagée en tenant compte des efforts du Gouvernement et de la société roumaine dans son ensemble pour s'adapter à l'acquis communautaire, y compris dans le domaine de la protection de l'enfant et des adoptions internationales. Or, le Gouvernement fait valoir que, sur demande de la Commission européenne, un moratoire sur les adoptions internationales a été institué en Roumanie jusqu'au moment où le cadre législatif roumain serait apte à protéger entièrement les droits des enfants.
B. Appréciation de la Cour
174. La Cour note que les décisions rendues le 28 septembre 2000 par le tribunal départemental de Braşov - statuant sur un droit de caractère civil des requérants, à savoir la reconnaissance de leur qualité de parents adoptifs des mineures Florentina et Mariana - de même que les décisions ultérieures de la même juridiction, enjoignant à l'établissement CEPSB de confier les mineures aux requérants, sont restées depuis inexécutées, en dépit de leur caractère définitif et irrévocable.
175. Elle rappelle que l'exécution de ce type de décisions requiert un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur la relation entre l'enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (mutatis mutandis, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 73, 26 juin 2003).
176. La Cour tient à réitérer, en outre, sa jurisprudence constante, selon laquelle l'article 6 protège également la mise en oeuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires qui, dans un Etat qui respecte la prééminence du droit, ne peuvent rester inopérantes au détriment d'une partie. Par conséquent, l'exécution d'une décision judiciaire ne peut être empêchée, invalidée ou retardée de manière excessive (voir, entre autres, les arrêts Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil 1997-II, pp. 510-511, § 40 ; Burdov c. Russie, no 59498/00, § 34, 7 mai 2002 ; Jasiuniene c. Lituanie, no 41510/98, § 27, 6 mars 2003 ; Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 65, 17 juin 2003).
177. En l'espèce, la Cour note que la procédure d'exécution des décisions favorables aux requérants est pendante depuis septembre 2000. Or, elle relève d'emblée que la situation litigieuse ne saurait en aucun cas être imputable aux requérants, qui ont fait diligence auprès les autorités nationales compétentes afin d'y mettre un terme, et ont constamment accompli des démarches régulières, dans le but de se voir confier les mineures et leurs certificats de naissance.
178. La Cour note également, à l'instar du Gouvernement, que les huissiers de justice ne sont pas non plus restés inactifs. En effet, hormis les périodes pendant lesquelles l'exécution des décisions litigieuses a été suspendue par les juridictions nationales, ceux-ci ont procédé à la mise en demeure de l'établissement CEPSB, lui notifiant d'avoir à se conformer aux décisions judiciaires définitives et exécutoires favorables aux requérants (paragraphes 29, 34, 35, 38, 42, 43, 44, 55, 58, 61 et 62 ci-dessus).
179. Force est de constater, en revanche, que toutes les tentatives des huissiers de justice pour procéder à l'exécution forcée des décisions d'adoption se sont constamment heurtées à l'opposition manifeste de l'établissement privé CEPSB, où résident les mineures, et qu'elles sont restées infructueuses.
180. Il semblerait, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, que l'inexécution des décisions accueillant la demande d'adoption des requérants ait été le résultat exclusif des agissements des employés du CEPSB et de ses membres fondateurs, qui se sont constamment opposés au départ des mineures pour l'Italie, introduisant de nombreuses contestations à l'exécution ou rendant inefficaces les démarches entreprises par les huissiers de justice.
181. Pour autant que le Gouvernement allègue qu'il ne saurait se voir reprocher les agissements de cet établissement privé, il convient d'examiner si, au-delà des apparences, l'Etat peut être tenu pour responsable de la situation litigieuse. Plusieurs faits sont particulièrement frappants à cet égard.
182. La Cour note, tout d'abord, qu'en dépit des efforts déployés par les huissiers de justice pour assurer l'exécution des décisions en cause, leurs actions ont été dépourvues, en l'espèce, de toute efficacité. Les événements consignés par l'huissier dans son procès-verbal du 3 septembre 2002 constituent un exemple significatif en ce sens, la tentative d'exécution ayant revêtu, à cette date-là, l'apparence d'une véritable séquestration, au sein du CEPSB, de l'huissier lui-même, des requérants et de leur avocat (paragraphe 45 ci-dessus).
183. De l'avis de la Cour, une telle attitude envers les huissiers de justice - qui oeuvrent dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ce qui fait d'eux un élément essentiel de l'Etat de droit – était incompatible avec leur qualité de dépositaires de la force publique en matière d'exécution et ne saurait demeurer sans conséquences pour ceux qui en sont responsables. A ce titre, il appartient à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires afin qu'ils puissent mener à bien la tâche dont ils ont été investis, notamment en leur assurant le concours effectif des autres autorités qui peuvent prêter main forte à l'exécution là où la situation s'impose, à défaut de quoi les garanties dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d'être (mutatis mutandis Hornsby précité, § 41).
184. En l'espèce, la Cour constate que la situation inconfortable à laquelle s'est trouvé confronté, le 3 septembre 2002, l'huissier chargé d'exécuter les décisions favorables aux requérants, à savoir sa séquestration au sein du CEPSB, a été une conséquence directe du manque de concours des autorités de police de prêter main forte à l'exécution, ce qui est demeuré, depuis lors, sans aucune conséquence.
185. Sur ce dernier point, la Cour note qu'un vaste arsenal juridique a été mis en place par le Gouvernement défendeur afin de se conformer aux conventions européennes et internationales en matière d'adoption. Son attention a été attirée plus particulièrement par les arrêtés nos 502 et 770, régissant l'organisation et le fonctionnement du « Comité roumain pour les adoptions » et de « l'Autorité nationale pour la protection de l'enfant », parmi les compétences desquels figure le pouvoir de faire suspendre ou cesser les activités qui mettent en danger la santé ou le développement physique ou psychique de l'enfant, en retirant, notamment, l'autorisation de fonctionnement des responsables.
186. Or, en dépit de ces dispositions législatives nationales, la Cour relève qu'aucune mesure n'a été prise afin de sanctionner le manque de coopération de cet établissement privé avec les autorités investies du pouvoir d'exécution des décisions d'adoption en cause. Elle note par ailleurs que le refus du directeur de CEPSB de coopérer avec les huissiers de justice n'a entraîné pour lui, depuis près de trois années, aucune conséquence.
187. La Cour admet, avec le Gouvernement, que l'emploi de la force aurait été, en l'occurrence, très délicat, afin de faire exécuter les décisions définitives en cause. Il n'en reste pas moins que, devenues définitives, mais non suivies d'exécution, les décisions d'adoption des deux mineures ont été dépourvues de leur force obligatoire et sont restées depuis de simples recommandations. Or, une telle situation porte atteinte à l'Etat de droit, fondé sur la prééminence du droit et la sécurité des rapports juridiques, nonobstant l'existence de certaines raisons susceptibles de la justifier, invoquées par le Gouvernement en termes d'obligations pesant sur l'État défendeur en vue de sa future appartenance à l'ordre juridique communautaire.
188. En s'abstenant, pendant plus de trois années, de prendre des mesures efficaces, nécessaires pour se conformer à des décisions judiciaires définitives et exécutoires, les autorités nationales ont privé, en l'occurrence, les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.
Cette conclusion s'impose d'autant plus en l'occurrence, eu égard aux conséquences - sans doute irréversibles - de l'écoulement du temps sur la relation potentielle entre les requérants et leurs filles adoptives respectives. Sur ce point, la Cour constate, avec regret, que les chances d'épanouissement de cette relation semblent, désormais, sinon sérieusement compromises, au moins, peu probables, vu notamment la forte opposition manifestée récemment par les mineures - âgées à présent de 13 ans - à leur adoption et à leur départ pour l'Italie.
189. Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUÉE DE L'ARTICLE 2 § 2 DU PROTOCOLE No 4 Á LA CONVENTION
190. Les requérants se plaignent du refus des autorités roumaines de permettre à leurs filles adoptives respectives de quitter la Roumanie et invoquent l'article 2 § 2 du Protocole no 4 à la Convention, libellé ainsi dans ses parties pertinentes :
« (...) Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien. »
191. Le Gouvernement estime que cette allégation des requérants doit être analysée exclusivement sous l'angle de l'article 8 précité. Mettant en cause la qualité de victime des requérants en raison, notamment, du caractère personnel et non-transmissible du droit garanti par l'article 2 § 2 précité, il fait valoir qu'en tout état de cause, aucune entrave à la liberté de circulation des mineures ne saurait être alléguée en l'espèce, dès lors qu'elles voyagent librement, tant en Roumanie qu'à l'étranger.
192. S'estimant directement et personnellement touchés par les ingérences dans le droit garanti par l'article 2 du Protocole no 4 précité subies par leurs filles adoptives, les requérants sont d'avis que les déplacements effectués par elles à l'étranger sans leur autorisation constitue, en soi, une preuve supplémentaires de violation de leur droit à la liberté de circulation, au sens de la disposition précitée.
193. Les tiers intervenants soulignent que Florentina et Mariana n'ont jamais été empêchées de quitter leur pays et qu'elles demeurent au sein du CEPSB de leur propre gré, refusant catégoriquement de le quitter ou de partir pour l'Italie. Ils soulignent que, dans ce cas, ni l'Etat roumain, ni le CEPSB ne sauraient être forcés d'exécuter les décisions relatives à leur adoption.
194. La Cour relève que les requérants allèguent des restrictions au droit à la liberté de circulation de leurs filles adoptives, mais invoquent en réalité une violation de leur propre droit à la liberté de circulation, tel qu'il est garanti par la disposition précitée. Or, pour autant que la violation tirée par les requérants de l'article 2 § 2 du Protocole no 4 les concerne de manière indirecte, ils n'ont pas étayé les raisons pour lesquelles ils estiment être personnellement atteints par les restrictions alléguées sur le terrain de la disposition précitée.
195. En tout état de cause, à supposer que les requérants puissent se considérer « victimes », au sens de l'article 34 de la Convention, compte tenu des circonstances de l'espèce, qui laissent facilement présumer, d'une part, l'existence d'un lien particulier et personnel entre eux et les victimes directes et, d'autre part, leur intérêt personnel à ce que le bien-être de leurs filles mineures soit assuré en mettant fin à la violation alléguée (mutatis mutandis, Becker c. Danemark, no 7011/75, décision de la Commission du 3 octobre 1975, Décisions et rapports 4, p. 215), la Cour ne relève, en revanche, dans les faits de l'espèce, aucune apparence de violation du droit garanti par la disposition précitée.
196. En effet, il ressort des éléments fournis par les parties que Florentina et Mariana circulent librement, de leur propre gré, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leur pays, qu'elles se déplacent régulièrement à l'école, qu'elles rendent visite à leurs proches, participent aux audiences auxquelles elles ont été convoquées lors du jugement de leurs demandes en révocation de l'adoption et qu'elles effectuent même des voyages à l'étranger (paragraphes 79, 82, 97 et 98 ci-dessus). Le fait que de tels déplacements auraient été organisés sous l'égide du CEPSB en l'absence du consentement des requérants ne saurait changer ce constat d'ordre factuel et ne saurait entraîner, en soi, une méconnaissance du droit des requérants de circuler librement.
197. De surcroît, la Cour relève que Florentina et Mariana contestent elles-mêmes, en tant que principales intéressées, qu'il y ait eu une quelconque ingérence dans leur liberté de circulation.
198. Partant, la Cour estime qu'aucune méconnaissance du droit garanti par l'article 2 § 2 du Protocole no 4 ne saurait être établie en l'espèce et que, dès lors, il n'y a pas eu violation de cette disposition.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
199. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
200. Au titre du préjudice matériel, les requérants demandent le remboursement des sommes occasionnées par leurs déplacements en Roumanie, qui s'élèvent à 5 708 euros (EUR) (pour les premiers requérants) et à 2 348,48 EUR (pour les seconds requérants). Les premiers requérants demandent en outre l'octroi de 2 360 EUR, représentant l'équivalent du manque à gagner pendant leurs séjours en Roumanie.
201. Ils sollicitent en outre l'octroi d'une somme pour les préjudices moraux subis à la fois par eux-mêmes et par leurs enfants adoptives, en raison de l'inexécution des décisions faisant droit à leurs demandes d'adoption. Ils font valoir que l'opposition à laquelle ils se sont heurtés pendant de nombreuses années a entraîné, à terme, des frustrations et des souffrances, ainsi qu'une perte de chances pour eux et pour leurs enfants adoptives, et a, en outre, affecté leur motivation initiale et leur désir légitime de fonder une famille par le biais de l'adoption.
Laissant à l'appréciation de la Cour la fixation du montant à allouer à ce titre, ils estiment qu'il ne saurait être inférieur à 750 000 EUR pour chacun des deux couples de requérants.
202. Le Gouvernement considère que les sommes exposées par les requérants antérieurement aux décisions d'adoption, en particulier, celles relatives au voyage qu'ils avaient effectué en Roumanie au mois d'août 2000, ne sont pas liées aux violations alléguées dans la procédure devant la Cour, qui portent sur la non-exécution des décisions en cause, soit sur des événements postérieurs audit voyage. En conséquence, le Gouvernement demande à la Cour de ne pas octroyer de dédommagement à ce titre.
203. Il fait valoir en outre que la somme demandée par les requérants à titre de préjudice moral est exagérée et considère que le fait pour les requérants de demander un montant aussi exorbitant constitue un détournement grave de la finalité de la procédure devant la Cour. Il considère, enfin, qu'aucune somme ne saurait être allouée du chef des préjudices prétendument subis par les enfants, compte tenu de ce qu'elles n'ont pas la qualité de requérantes dans la présente espèce et qu'il n'y a pas non plus de réel fondement à ce que les requérants perçoivent des dédommagements pour leur compte.
204. S'agissant du préjudice matériel, la Cour relève que seule une partie des sommes demandées ont un lien de causalité direct avec la violation de l'article 6 § 1 de la Convention constatée par la Cour au paragraphe 189 ci-dessus.
205. S'agissant des préjudices moraux, elle n'estime pas déraisonnable de penser que les requérants ont éprouvé un tort moral certain du fait, notamment, de la frustration provoquée par l'inexécution, pendant plusieurs années, des décisions définitives et exécutoires qui leur étaient favorables, et des conséquences, vraisemblablement irréversibles, d'une telle situation, que le simple constat de violation ne saurait suffisamment compenser. Les sommes réclamées à ce titre sont toutefois exagérées.
206. Dans ces circonstances, eu égard à l'ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle alloue 12 000 EUR aux premiers requérants et 10 000 EUR aux seconds requérants, toutes causes de préjudices confondues.
B. Frais et dépens
207. Les requérants sollicitent le remboursement de la totalité du montant des frais encourus dans les procédures devant les autorités roumaines et devant la Cour, qu'ils ventilent comme suit, justificatifs à l'appui :
a) 868 EUR (les premiers requérants) et 868,36 EUR (les seconds requérants) pour les frais de traduction ;
b) 8 754 EUR (les premiers requérants) et 7 133,28 EUR (les seconds requérants) pour les honoraires de l'avocat qui les représente dans la procédure devant la Cour ;
c) 5 002 EUR (les premiers requérants) et 652,18 EUR (les seconds requérants) pour les honoraires des avocats qui les ont représentés dans les procédures devant les autorités nationales.
Ils demandent en outre le remboursement d'un montant de 35 107 EUR (les premiers requérants) et 36 824,63 EUR (les seconds requérants) à titre de « frais provisionnels liés à l'issue de la procédure », sans fournir des précisions à cet égard.
208. Le Gouvernement s'oppose à l'octroi des sommes demandées par les requérants à titre de « frais provisionnels », faisant valoir qu'une telle appellation n'est pas concluante. Il conteste la réalité de ces sommes et souligne qu'elles n'ont pas été justifiées, en conformité avec les exigences de la jurisprudence de la Cour sur le terrain de l'article 41 de la Convention.
209. La Cour a apprécié les demandes à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence (arrêts Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II ; Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 83, CEDH 1999-VI ; Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 88, CEDH 2000-III).
210. Appliquant ces critères à la présente espèce, et statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d'allouer 7 000 EUR aux premiers requérants et 6 000 EUR aux seconds pour l'ensemble de leurs frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
211. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, par cinq voix contre deux, qu'il y avait entre les requérants et les mineures adoptées un lien constitutif d'une « vie familiale », au sens de l'article 8 § 1 de la Convention, lequel est applicable en l'occurrence ;
2. Dit, par six voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;
3. Dit, par quatre voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 § 2 du Protocole no 4 à la Convention ;
5. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 12 000 (douze mille) euros aux premiers requérants et 10 000 (dix mille) euros aux seconds requérants pour dommage matériel et moral,
ii. 7 000 (sept mille) euros aux premiers requérants et 6 000 (six mille) euros aux seconds requérants pour frais et dépens,
iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juin 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L. Early J.-P. Costa Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions suivantes :
– opinion concordante de M. Costa ;
– opinion en partie dissidente de M. Loucaides ;
– opinion en partie dissidente de M. Bîrsan ;
– opinion dissidente de Mme Thomassen, à laquelle se rallie M. Jungwiert.
J.-P.C. T.L.E
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE COSTA
Je souscris aux conclusions de l'arrêt. J'ai cependant beaucoup hésité avant de voter dans le sens de l'absence de violation de l'article 8 de la Convention. Les deux petites filles, Florentina et Mariana, déclarées abandonnées à l'âge de trois ans et de sept ans, respectivement, ont été adoptées par les deux couples de requérants par l'effet de jugements définitifs alors qu'elles avaient atteint toutes les deux l'âge de neuf ans. Le complexe éducatif qui les avait recueillies à partir de leur abandon a multiplié les obstacles à l'exécution des jugements, et n'a guère facilité, pour user d'un euphémisme, les échanges et les rencontres physiques entre les enfants et leurs parents adoptifs qui résident en Italie. De leur côté, Florentina et Mariana, qui ont maintenant 13 ans, n'ont jamais manifesté le désir d'aller vivre avec leurs parents, dont elle ne parlent pas la langue, et semblent mener une vie heureuse au sein de l'établissement et y développer leur personnalité et leurs aptitudes de façon satisfaisante. Elles ont en outre demandé la révocation des jugements prononçant l'adoption et on se trouve actuellement dans la situation étrange où l'adoption de Florentina n'a pas été révoquée et où celle de Mariana a été révoquée par un jugement définitif !
Les sentiments qu'on éprouve face à une telle situation sont mêlés. Le Gouvernement roumain n'a guère de pouvoirs face à un établissement privé qui d'ailleurs fonctionne bien et présente des garanties éducatives de qualité. S'il est clair que la responsabilité du Gouvernement est engagée au titre de l'article 6 dans la mesure où il n'a pas réussi à faire exécuter les jugements et/ou n'a pas voulu le faire, sa responsabilité au regard de l'article 8 est beaucoup moins évidente. Elle se situe en fait sur le plan des obligations positives plus que sur celui de l'ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie familiale ; et surtout il est difficile de contester que l'intérêt supérieur des enfants (auquel notre jurisprudence attache à bon droit un grand poids), adoptées tardivement (peut-être trop tardivement) et n'ayant guère noué de liens avec les adoptants, est plus de rester dans le complexe éducatif au sein duquel elles vivent depuis de nombreuses années que de changer complètement de vie, de milieu, de langue, de culture. Il est certes très irritant que l'entêtement de l'établissement et l'inefficacité des autorités publiques aient conduit, le temps n'étant pas réversible, à une situation dans laquelle les adolescentes ont maintenant peu de chances de pouvoir développer une relation harmonieuse au sein de leurs familles adoptives. Mais l'irritation n'est pas bonne conseillère. A la réflexion, il me semble, comme à la majorité de mes collègues, que la violation de la Convention de la part de l'Etat défendeur est à trouver du côté de l'article 6 plutôt que de l'article 8.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE LOUCAIDES
(Traduction)
A l'instar de la majorité, je parviens à la conclusion qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention pour les motifs énoncés dans l'arrêt, mais je ne souscris pas au constat de non-violation de l'article 8 de la Convention en l'espèce. Pour me prononcer sur cette question, je retiendrai la démarche suivante, exposée au paragraphe 152 de l'arrêt :
« Le point décisif en l'espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires afin de permettre aux requérants, reconnus parents adoptifs des mineures Florentina et Mariana et ayant également obtenu, à l'issue d'une procédure judiciaire en référé, une décision enjoignant à l'établissement privé CEPSB de leur confier l'enfant, d'établir des relations familiales avec chacune des mineures adoptées. »
Eu égard aux faits et aux circonstances de l'affaire, j'estime que l'Etat défendeur a manqué aux obligations positives qui lui incombaient en vertu de l'article 8 de la Convention, ce que confirme en substance le constat de la majorité au paragraphe 163 de l'arrêt, où il est admis qu'il y a eu :
« (...) [une] absence de contacts concrets et effectifs entre les intéressés préalablement à l'adoption, ce qui a été rendu possible par des lacunes dans la législation interne à l'époque des faits. »
et
« (...) que les mineures n'[ont] manifestement pas bénéficié d'un soutien psychologique, susceptible de les préparer à leur départ imminent de l'établissement qui les avait accueillies pendant plusieurs années et dans lequel elles avaient établi des liens sociaux et affectifs. De telles mesures auraient probablement permis que les intérêts des requérants convergent avec ceux des enfants adoptés, et non pas qu'ils soient en concurrence, comme c'est le cas en l'occurrence. »
Malgré ces constats, la majorité conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention, compte tenu du « refus des mineures, constamment manifesté après qu'elles ont atteint l'âge de dix ans, de partir pour l'Italie pour rejoindre leurs parents adoptifs » (paragraphe 164 de l'arrêt) et du fait qu'« une opposition consciente des enfants à l'adoption rendrait, en effet, improbable qu'elles puissent s'intégrer d'une manière harmonieuse dans la nouvelle famille adoptive » en l'absence, de surcroît, de « lien préexistant » avec leurs parents adoptifs (ibidem). La majorité estime qu'une « obligation absolue » des autorités de l'Etat défendeur « d'assurer le départ des mineures pour l'Italie, contre leur gré et en ignorant les procédures judiciaires pendantes visant à remettre en cause la légalité et le bien-fondé des décisions initiales d'adoption » n'était pas justifiée (ibidem).
Or l'ensemble de ces problèmes, qui sont invoqués par la majorité (l'opposition des enfants après qu'elles avaient atteint l'âge de dix ans, l'absence de liens antérieurs avec les parents adoptifs et le fait que des procédures judiciaires contestant l'adoption étaient pendantes), ont été créés par les autorités de l'Etat défendeur. Ainsi que la Cour le souligne dans son constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention en l'espèce, « (...) l'exécution de ce type de décisions [d'adoption] requiert un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur la relation entre l'enfant et le parent qui ne vit pas avec lui » (paragraphe 175 de l'arrêt).
L'inexécution des décisions pertinentes concernant les adoptions en l'espèce, les retards qui s'ensuivirent et les répercussions néfastes sur la mise en œuvre de ces décisions sont imputables aux autorités de l'Etat défendeur.
Le juge Costa souligne dans son opinion concordante qu'« il est certes très irritant que l'entêtement de l'établissement et l'inefficacité des autorités publiques aient conduit, le temps n'étant pas réversible, à une situation dans laquelle les adolescentes ont maintenant peu de chances de pouvoir développer une relation harmonieuse au sein de leurs familles adoptives ».
Dès lors, je ne vois pas comment l'Etat défendeur peut, sur la base de son propre comportement fautif, être déchargé de sa responsabilité de prendre les mesures positives nécessaires à temps pour permettre l'adoption. Nul ne peut tirer avantage de sa propre faute pour se soustraire à ses responsabilités (« Nullus commodum capere potest de injuria sua propria »).
En l'espèce, les obligations positives de l'Etat défendeur ne se limitaient pas à veiller à ce que les enfants puissent rejoindre leurs parents adoptifs. Elles englobaient également l'ensemble des mesures préparatoires permettant de parvenir à ce résultat (Kosmopoulou c. Grèce, arrêt du 5 février 2004, requête no 60457/00, § 45). A mon sens, le défaut de mise en œuvre de ces mesures s'analyse en soi en une atteinte au droit au respect de la vie familiale et, dès lors, en une violation de l'article 8 de la Convention.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LE JUGE BÎRSAN
Je regrette de ne pas pouvoir partager la conclusion de la majorité selon laquelle il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1 de la Convention. A mon avis, la majorité a suivi sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention une approche trop formelle, à laquelle je ne saurais souscrire pour les raisons qui suivent.
Force est de constater que l'arrêt aboutit à la conclusion de violation de l'article 6 § 1 de la Convention au motif que les autorités se sont abstenues, pendant plus de trois années, de prendre des mesures efficaces et nécessaires pour se conformer à des décisions judiciaires définitives et exécutoires (voir les paragraphes 187 et 188 de l'arrêt). A mon avis, une telle conclusion est difficilement conciliable avec celle à laquelle la majorité a abouti sur le terrain de l'article 8 de la Convention (voir le paragraphe 166 de l'arrêt) et à laquelle j'ai entièrement souscrit, après mûre réflexion.
Je reconnais que les arguments de la majorité pour aboutir à une conclusion de violation de l'article 6 § 1 – tirés, notamment, du manque de concours des autorités de police à l'exécution – sont solides et ne sont nullement en dysharmonie avec la jurisprudence de notre Cour (voir, parmi d'autres, les arrêts Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, pp. 510-511, § 40 ; Burdov c. Russie, no 59498/00, § 34, CEDH 2002-III ; Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 65, 17 juin 2003 ; Jasiuniene c. Lituanie, no 41510/98, § 27, 6 mars 2003).
Tout en exprimant mon profond attachement aux principes dégagés par notre jurisprudence constante précitée, selon laquelle « le droit d'accès à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie » et « l'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 », j'estime toutefois qu'une approche moins formaliste s'imposait en l'occurrence, compte tenu des circonstances tout à fait particulières de l'espèce.
Avec tout le respect dû à mes pairs, je considère qu'il convenait d'avoir davantage à l'esprit que les décisions judiciaires en litige portaient sur des questions extrêmement sensibles et délicates, car, à mon avis, un certain paradoxe se dégage de cet arrêt. La majorité a accordé un poids décisif, sur le terrain de l'article 8, à l'intérêt prédominant des mineures à demeurer au sein de l'établissement CEPSB, lequel intérêt imposait de tenir compte de leurs opinions dès lors qu'elles avaient atteint la maturité nécessaire pour s'exprimer sur ce point (paragraphe 164 in fine). J'ai souscrit à cette conclusion sans aucune hésitation. En effet, à la lecture de l'arrêt, on comprend aisément qu'un tel intérêt ait été jugé suffisant pour justifier le
manque de concours des autorités en vue de permettre aux requérants de nouer des relations avec les enfants.
Or, le même intérêt prédominant de l'enfant ne jouait-il pas aussi, de la même manière et dans la même mesure, sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention ? Comment faire prévaloir, dans les circonstances particulières de l'espèce, une approche purement théorique -si correcte soit-elle sur le plan dogmatique ou procédural- sans tenir compte de l'importance des enjeux en termes d'intérêt supérieur de l'enfant ?
Je considère que cette affaire se prêtait fort bien à une approche plus nuancée et, à cet égard, je constate avec satisfaction que la jurisprudence plus récente de la Cour en matière d'exécution des décisions judiciaires est moins empreinte de formalisme qu'auparavant. Je me réfère simplement à l'arrêt Sylvester c. Autriche du 24 avril 2003, où la Cour a conclu, au paragraphe 63, « qu'un changement dans la situation de fait peut exceptionnellement justifier la non-exécution d'un jugement définitif ordonnant le retour des enfants ». J'estime que cet arrêt marque un changement important par rapport à l'approche autrefois strictement théorique de la Cour sur cette question.
Je ne saurais non plus négliger les avis exprimés récemment, dans le même sens, au sein des opinions dissidentes dans les arrêts en matière d'exécution de décisions de justice, faisant valoir que « l'accès à un tribunal ne peut pas obliger un Etat à faire exécuter chaque jugement de caractère civil quel qu'il soit et quelles que soient les circonstances » (voir l'opinion dissidente de Mme la juge Thomassen sous l'arrêt Ruianu, précité). Je précise que, dans cette dernière affaire, il s'agissait de démolir une construction mitoyenne à la maison du requérant, que ses voisins avaient commencée à bâtir, et qui occupait une petite partie de son terrain, ce qui m'avait fait voter, avec la majorité, pour une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
Dans la présente affaire, il s'agit d'une tout autre situation, beaucoup plus sensible et plus compliquée à la fois : faire partir deux fillettes vers un pays étranger pour qu'elles y rejoignent des familles adoptives qu'elles connaissent à peine. S'il y a un reproche à faire aux autorités nationales, ce serait, à mon avis, qu'elles n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour que des liens puissent se développer entre les fillettes et les familles des requérants avant l'adoption, ce qui constitue d'ailleurs, paraît-il, un problème pour toute adoption internationale, dans n'importe quel pays partie à la Convention.
En tout état de cause, je suis convaincu que, dans cette affaire, il y avait bel et bien une situation exceptionnelle justifiant l'inexécution des décisions d'adoption de Florentina et de Mariana.
En concluant à la violation de l'article 6 § 1, la majorité a fait pencher la balance des intérêts en jeu en faveur du droit procédural des parents adoptifs de voir exécuter une décision judiciaire, semblant oublier les considérations qui l'ont conduite à conclure à la non-violation de l'article 8. De telles considérations, relevées à juste titre aux paragraphes 159 et 160 de l'arrêt, étaient à mon sens parfaitement applicables en l'occurrence également sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention et constituaient des arguments pertinents et suffisants pour conduire à un constat de non-violation du droit qui s'y trouve garanti.
Il ne faut pas oublier qu'au paragraphe 162 de l'arrêt, la majorité a elle-même estimé qu'« une éventuelle exécution des décisions favorables aux requérants, assortie du déplacement des mineures en Italie, aurait rendu difficile et préjudiciable pour les intérêts des enfants tout retour de ceux-ci en Roumanie subséquent à une future décision judiciaire prononçant l'annulation de l'adoption ou décidant sa révocation ».
De plus, l'argument du Gouvernement défendeur résumé au paragraphe 172 de l'arrêt, selon lequel il n'y a pas eu, en l'espèce, de longues périodes pendant lesquelles les décisions litigieuses d'adoption n'ont pas été mises en exécution, ne me semble pas déraisonnable compte tenu des sursis répétés à exécution ordonnés par les juridictions nationales en attendant l'aboutissement des procédures judiciaires pendantes devant les tribunaux du pays. En effet, je considère que de telles procédures étaient de nature à écarter toute incertitude sur la légalité des adoptions et que c'est à juste titre que les autorités ont attendu leur aboutissement avant de procéder à des mesures d'exécution à caractère définitif.
Il n'est pas dépourvu d'importance de souligner, dans ce contexte, que l'une des procédures en cause a abouti, récemment, à la révocation de l'adoption de Mariana (paragraphe 83 de l'arrêt).
Pour toutes ces raisons, il me semble regrettable que la Cour n'ait pas saisi l'occasion que lui donnait cette affaire sensible et délicate en matière d'adoption internationale pour confirmer une nouvelle approche, plus nuancée et moins formaliste, dans le domaine de l'exécution des décisions judiciaires.
OPINION DISSIDENTE DE Mme LA JUGE THOMASSEN, à laquelle se rallie M. le juge Jungwiert
Je souscris à la conclusion de la majorité selon laquelle il n'y a pas eu, en l'espèce, violation de l'article 8 de la Convention. En revanche, contrairement à la majorité, j'estime qu'il n'a jamais existé entre les requérants et leurs enfants adoptifs de vie familiale au sens de l'article 8. Je ne partage pas non plus l'avis de la majorité selon lequel la non-exécution par les autorités roumaines des jugements prononçant l'adoption constitue une violation des droits des requérants au regard de l'article 6 de la Convention.
Les requérants sont deux couples d'Italiens qui, sous l'empire du droit roumain, avaient adopté chacun un enfant en Roumanie, Florentina et Mariana respectivement, qui au moment des jugements prononçant l'adoption étaient âgées de neuf ans et demi et n'avaient encore jamais vu leurs parents adoptifs. Les enfants ne voulurent pas partir en Italie avec ces derniers et entre-temps l'adoption de Mariana avait été annulée à sa demande tandis qu'une requête du même ordre était pendante concernant Florentina. Les jugements prononçant l'adoption n'ont pas été exécutés par les autorités roumaines en raison des hésitations quant à la justesse de la procédure (voir aussi l'avis de la majorité aux paragraphes 161 et 162 de l'arrêt).
Les requérants se plaignent de la non-exécution de ces décisions, dans laquelle ils voient une atteinte au droit au respect de leur vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention.
La première question à laquelle la Cour a dû répondre est celle de savoir s'il existait un lien familial entre les requérants et les enfants.
A mon avis, ce n'est pas le cas. La jurisprudence de la Cour relative aux relations entre adultes et enfants protégées par l'article 8 a toujours mis l'accent sur l'existence réelle d'une vie familiale, généralement fondée sur des liens biologiques. Des relations entre des parents et enfants adoptifs méritent la même protection, justement en raison de l'existence de cette vie familiale réelle. Les décisions de la Commission qui sont citées au paragraphe 140 concernent, contrairement aux relations entre les requérants et les deux enfants dans la présente affaire, des liens réels de ce type. Dans l'affaire X. c. France, le père adoptif avait cohabité avec l'enfant pendant sept ans et, dans l'affaire X. c Belgique, le requérant avait pendant plusieurs années pris soin de l'enfant qu'il voulait adopter.
Ce n'est donc pas, selon moi, le jugement prononçant l'adoption qui purement et simplement mérite la protection de l'article 8, mais ce qu'il représente en termes de réalité sociale. Une interprétation différente conduirait à un résultat étonnant - et selon moi inacceptable -, à savoir qu'un lien naturel entre un père biologique et un enfant, sans circonstances complémentaires, ne créerait pas automatiquement une vie familiale
(voir l'arrêt L. c. Pays-Bas du 1er juin 2004), tandis qu'au contraire une vie familiale serait créée par un jugement prononçant une adoption, indépendamment de la manière dont celle-ci a été réalisée et des relations entre les intéressés.
Je trouve que dans la présente affaire les circonstances complémentaires qui devraient pouvoir accorder la protection de l'article 8 au lien juridique entre les requérants et les enfants font défaut. Au moment où ont été pris les jugements prononçant l'adoption, les enfants n'avaient encore jamais vu les requérants ni eu le moindre contact direct avec eux. Il ne semble pas, d'après le dossier, qu'il leur ait jamais été demandé de donner leur avis, soit directement lors d'un entretien avec un juge ou un conseiller, soit indirectement à travers des expertises qui auraient permis de sonder leurs opinions et leurs sentiments à propos de cette adoption concrète. Le foyer où, au moment de la décision prononçant l'adoption, les enfants avaient vécu pendant environ cinq ans et six ans respectivement, et où elles avaient été soignées et élevées, n'a pu en aucune manière, pendant la procédure, faire connaître son avis, fondé sur sa connaissance des enfants. Lorsque cela est devenu possible, les enfants elles-mêmes ont intenté une procédure en vue de faire annuler l'adoption, pouvant ainsi finalement faire comprendre qu'elles ne souhaitaient pas partir en Italie pour aller habiter chez les requérants. Bref, il n'y avait aucun lien affectif ou de fait par lequel les enfants se seraient senties proches des requérants et qui aurait donné à la fiction juridique du jugement prononçant l'adoption un contenu pouvant être considéré comme une vie familiale.
Je reconnais volontiers que la manière dont les procédures d'adoption se sont déroulées pour les requérants a dû être dure à supporter. Mais le fait que la procédure à l'égard des requérants n'était pas correcte ne peut à mon avis être décisif pour répondre à la question de savoir s'il existait une vie familiale entre eux et les enfants. N'est pas davantage suffisant selon moi, pour admettre l'existence d'une vie familiale, le fait que les requérants se sont toujours considérés comme les parents des mineures et se sont toujours comportés de la sorte à leur égard par la seule voie qui leur était ouverte, à savoir en leur faisant parvenir des lettres, écrites en roumain. En effet, cela signifierait que, dans ce contexte, la position d'enfants âgés de presque dix ans reste complètement hors de considération.
Certes, les adoptions internationales qui se sont manifestement déroulées de façon rigoureuse, et même si elles concernent des enfants adoptés en très bas âge, posent souvent des problèmes délicats, aussi bien pour les parents que pour les enfants. A cet égard, le départ de l'enfant pour le pays de résidence des parents peut jouer un rôle important. Je ne veux pas dire que cet élément constitue en soi une raison de renoncer à essayer de trouver une famille pour un enfant afin qu'il puisse grandir dans un environnement affectueux, même si cela doit être dans un autre pays. Cependant, la position très délicate dans laquelle ces enfants se trouvent nécessite certainement une protection spéciale. Dans la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, cette protection est accordée notamment par l'obligation faite aux Etats d'examiner dûment les possibilités de placement de l'enfant dans son Etat d'origine (article 4 b) et de s'assurer, eu égard à l'âge et la maturité de l'enfant, que celui-ci est entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l'adoption, et que les souhaits et avis de l'enfant ont été pris en considération (article 4 d).
Il me semble que cette affaire fait naître un doute sérieux quant au respect de ces conditions.
Admettre dans les circonstances de la présente affaire l'existence d'une vie familiale offrirait une protection insuffisante aux enfants concernées par des adoptions internationales et ayant atteint un âge où leurs souhaits et opinions doivent être pris au sérieux avant que ne soit prise la décision extrême prononçant l'adoption, au vu des conséquences qui s'y attachent (voir par exemple le paragraphe 152 de l'arrêt).
La Cour a recherché d'office si la non-exécution des jugements prononçant l'adoption constituait une violation de l'article 6. La majorité considère qu'« une telle situation porte atteinte à l'Etat de droit, fondé sur la prééminence du droit et la sécurité des rapports juridiques, nonobstant l'existence de certaines raisons susceptibles de la justifier » (paragraphe 187 de l'arrêt). Je ne puis approuver une telle interprétation de l'article 6, qui revient à reconnaître la prééminence pure et simple de chaque règle juridique. Or, à mon avis, l'article 6 ne saurait justifier l'exécution d'une décision judiciaire qui, dans son application, viole les droits fondamentaux d'autrui. Dans la présente affaire, l'exécution des décisions aurait obligé les enfants à quitter leur pays contre leur gré pour habiter avec des parents qu'elles n'avaient jamais rencontrés. Je ne trouve pas que les autorités roumaines auraient dû exécuter de telles décisions. Cela aurait représenté à mon avis un acte de l'Etat posant des problèmes sérieux quant au respect dû aux droits des enfants en vertu de l'article 8. C'est pourquoi j'estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6.
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE–
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LOUCAIDES
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE –
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. LOUCAIDES
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE –
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. BÎRSAN
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE –
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE M. BÎRSAN
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE –
OPINION DISSIDENTE DE Mme THOMASSEN, À LAQUELLE SE RALLIE M. JUNGWIERT
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE –
OPINION DISSIDENTE DE Mme THOMASSEN, À LAQUELLE SE RALLIE M. JUNGWIERT
ARRÊT PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE –
OPINION DISSIDENTE DE Mme THOMASSEN, À LAQUELLE SE RALLIE M. JUNGWIERT