TROISIÈME SECTION1
AFFAIRE TEKİN YILDIZ c. TURQUIE
(Requête no 22913/04)
ARRÊT
STRASBOURG
10 novembre 2005
DÉFINITIF
10/02/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Tekin Yıldız c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président, I. Cabral Barreto, L. Caflisch, R. Türmen, B.M. Zupančič, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. K. Traja, juges, et de M.V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2005,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22913/04) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Tekin Yıldız (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me F. Yolcu, avocate à İstanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent.
3. Dans sa requête, le requérant alléguait notamment que sa réincarcération, alors qu’il bénéficiait d’un sursis à l’exécution de sa peine pour motif d’inaptitude médical du fait des grèves de la faim entamées par le passé, emportait violation de ses droits et libertés consacrés par l’article 5 §§ 1 à 5 de la Convention.
4. La présente requête, qui faisait partie d’un groupe de cinquante-trois affaires similaires2, a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5. Le 1er juillet 2004, la Cour, dans l’exercice des fonctions que lui attribue l’annexe insérée le 7 juillet 2003 à son règlement, a décidé qu’une mission d’enquête aurait lieu en Turquie entre le 6 et le 13 septembre 2004. Aussi a-t-elle désigné dans ce cadre, une délégation de trois juges (« la délégation de la Cour ») pour procéder à des visites d’établissements notamment pénitentiaires ainsi qu’un comité d’experts pour évaluer l’aptitude médicale des cinquante-trois requérants, dont M. Yıldız, à purger une peine privative de liberté (paragraphes 38-41 ci-dessous).
La délégation de la Cour était composée de M. I. Cabral Barreto, Mme M. Tsatsa-Nikolovska et M. K. Traja, juges, et était assistée de M. V. Berger, greffier de section, et de M. C. Turmangil, M. S. Erel, Mme O. Andreotti et M. H. Mutaf, référendaires au greffe, et Mlle G. Güllü, secrétaire au greffe.
Le comité d’experts était composé de M. Christian Derouesné, neurologue et professeur émérite à la faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, Université Paris VI (Paris, France), de M. Francis Bolgert, neuropsychiatre à hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris, France) et de M. Doğan Yeşilbursa, psychiatre et chef de clinique adjoint à hôpital des maladies mentales et neurologiques de Bakırköy (Istanbul, Turquie).
6. Par une requête complémentaire du 21 juillet 2004, le requérant s’est plaint de ce que son maintien en prison constituait un traitement inhumain et dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention, du fait du syndrome de Wernicke-Korsakoff dont il souffrirait.
7. Le 29 juillet 2004, en application de l’article 39 du règlement, le président de la chambre a d’abord informé le Gouvernement qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties, de procéder à un réexamen médicolégal du requérant dans l’établissement concerné afin de vérifier l’état actuel de sa santé.
8. Le 23 août 2004, eu égard à l’ensemble des cinquante-trois requêtes sous examen, la Cour a invité le Gouvernement, toujours au titre de l’article 39 du règlement, à ne pas procéder à l’arrestation ou à la réincarcération des intéressés pendant le déroulement de la mission du 6 au 13 septembre 2004.
9. Le comité d’experts a examiné le requérant le 11 septembre 2004, dans le respect total du secret médical, dans le local disposé à cette fin par le Gouvernement à l’hôpital universitaire de Çapa (İstanbul).
10. Le 13 septembre 2004, la Cour a prolongé dans le chef du requérant et jusqu’à nouvel ordre, la mesure provisoire indiquée au Gouvernement (paragraphe 8 ci-dessus).
11. Les 27 septembre et 2 novembre 2004 respectivement, le Gouvernement et le requérant ont déposé des observations écrites quant à la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
12. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par l’ancienne troisième section telle qu’elle existait avant cette date.
13. Le 8 juin 2005, la Cour a communiqué aux parties le rapport médical établi par le comité d’experts à l’issue de la mission.
Se prévalant également de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
14. Les 28 et 29 juillet 2005, soit en dehors du délai fixé par la Cour, le Gouvernement a déposé ses observations finales quant au fond de la requête et ses commentaires sur le rapport du comité d’experts.
Le 5 août 2005, le requérant a fait parvenir, lui aussi en dehors du délai imparti, ses demandes au titre de la satisfaction équitable et ses observations sur le rapport précité.
Le président a décidé que ces documents seraient versés au dossier (article 38 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
15. Le requérant est né en 1970 et a la nationalité turque.
A. Les faits à l’origine de la requête
16. Le 17 mai 1994, le requérant fut condamné par la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul à douze ans et six mois de réclusion pour appartenance à une organisation terroriste, le TKP/ML-TİKKO.
Alors qu’il purgeait sa peine dans la prison de type F d’Edirne, le requérant entama une grève de la faim de longue durée, afin de protester contre le régime carcéral imposé dans les établissements de ce type.
17. Vers le 140ème jour de son action, sa santé s’étant détérioré, le requérant fut renvoyé devant la chambre de spécialistes no 3 de l’institut médicolégal (« la chambre de spécialistes » - « l’institut ») pour examen.
Celle-ci rendit son rapport le 11 juillet 2001. Après avoir constaté chez le requérant une dégradation de la mémoire de fixation et antérograde ainsi que des fonctions cognitives défaillantes, les médecins légistes portèrent un diagnostic de la maladie de Wernicke-Korsakoff et émirent l’avis qu’il y avait lieu de surseoir à l’exécution de la peine du requérant, en application de l’article 399 du code de procédure pénale (« CPP » – paragraphe 43 ci-dessous).
18. Selon la littérature médicale, cette maladie, que l’on retrouve notamment chez les alcooliques chroniques et les mal nourris, consiste en une combinaison du syndrome de Korsakoff, qui provoque la confusion, l’aphonie et l’affabulation, et d’encéphalopathie de Wernicke, caractérisée par une paralysie des yeux, un nystagmus, le coma, voire la mort, si le patient n’est pas dûment traité. Ce tableau est considéré comme résultant, en principe, d’une carence chronique en thiamine (vitamine B1), substance qui participe au métabolisme du glucose, étant entendu qu’en cas de pareille carence toute activité qui nécessite la métabolisation du glucose risque d’entraîner la maladie de Wernicke-Korsakoff. Le traitement le plus courant consiste à injecter de la thiamine par la voie intraveineuse ou intramusculaire pour ralentir la maladie, puis un traitement à long terme, à base de pastilles orales, pour le rétablissement.
19. Le 13 juillet 2001, en s’appuyant sur le rapport médicolégal susmentionné (paragraphe 17 ci-dessus), le procureur de la République d’Edirne (« le procureur ») décida de surseoir à l’exécution de la peine du requérant pour une durée renouvelable de six mois, en vertu de l’article 399 § 2 du CPP.
20. Le 7 janvier 2002, vers la fin du sursis, le requérant fut réexaminé par la chambre de spécialistes, qui observa que les symptômes perduraient.
Sur ce, le parquet de Bakırköy prorogea le sursis.
21. Au vu des résultats de l’examen suivant du 29 juillet 2002, le parquet d’Edirne suspendit la peine du requérant jusqu’à sa guérison complète, considérant que la maladie en cause, de par sa nature irréversible, tombait sous le coup de l’article 104 § 2 b) de la Constitution (paragraphe 42 ci-dessous).
22. Le 17 février et 25 août 2003, le requérant subit deux autres contrôles médicaux, lesquels confirmèrent le diagnostic initial.
Aussi, la mesure de sursis fut-elle prolongée à deux reprises.
23. Or, le 23 octobre 2003, à la demande du procureur près la cour de sûreté de l’Etat de Malatya, lequel avait entamé une enquête à l’encontre du requérant qu’il soupçonnait d’avoir repris ses activités au sein du TKP/ML-TİKKO à partir du 21 mars 2003, le procureur d’Edirne délivra un mandat d’arrêt.
Le 21 novembre 2003, le requérant fut arrêté et réincarcéré dans la prison de type H d’İstanbul.
24. Le 12 janvier 2004, il forma opposition contre son arrestation et demanda sa relaxe pour motif d’illégalité, faisant valoir le sursis dont il avait bénéficié jusqu’alors.
Le 10 février 2004, la chambre no 2 de la cour d’assises d’Edirne rejeta ce recours. D’après elle, malgré les rapports médicolégaux concluant à l’existence chez le requérant d’une maladie qu’il ne pouvait endurer dans le milieu carcéral, il ressortait de l’enquête menée par le parquet de Malatya que l’intéressé avait bien commis, dans l’intervalle, un autre délit justifiant son arrestation.
En réalité, les juges ignoraient que le 13 janvier 2004 le procureur de Malatya avait rendu un non-lieu au bénéfice du requérant. Il semble que l’ordonnance de non-lieu y afférente n’avait simplement pas été portée à la connaissance des instances d’Edirne.
25. Le 18 mars 2004, l’avocate du requérant s’adressa au procureur de la République d’Istanbul. S’appuyant sur les dispositions des articles 399 et 402 du CPP ainsi que sur le non-lieu rendu par le parquet de Malatya, elle demanda la libération de son client, souffrant d’une maladie irréversible qui pourrait lui coûter la vie s’il demeurait incarcéré.
26. Le 7 avril 2004, le procureur de la République à İstanbul ordonna le renvoi du requérant à la chambre de spécialistes pour réexamen et, le cas échéant, pour placement sous surveillance médicale.
27. Le 8 avril 2004, le procureur d’İstanbul, officiellement avisé du non-lieu susmentionné, demanda à la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul de décider, en vertu de l’article 402 § 2 du CPP (paragraphe 44 ci-dessous), si le requérant était en droit de recouvrer la liberté.
28. Le 21 avril 2004, la cour de sûreté de l’Etat d’İstanbul écarta la demande du procureur d’Istanbul, soulignant que seul le procureur chargé de l’exécution de la peine de l’intéressé était habilité à agir en la matière.
Le 28 avril 2004, l’opposition formée par le procureur d’İstanbul fut levée. Celui-ci saisit alors le ministre de la Justice pour qu’il introduise, contre cette décision, un recours en pourvoi extraordinaire (yazılı emirle bozma).
Le 23 juin 2004, le ministère refusa d’user de ce moyen.
29. Le 2 juillet 2004, environ trois mois après la demande du parquet d’Istanbul (paragraphe 26 ci-dessus), le requérant fut présenté à la chambre de spécialistes, laquelle refusa son admission à l’établissement, au motif qu’une surveillance médicale ne pouvait être ordonnée que par un juge, et non par un parquet.
30. Le 9 juillet 2004, le requérant forma opposition contre la décision rendue le 10 février 2004 par la chambre no 2 de la cour d’assises d’Edirne (paragraphe 24 ci-dessus).
31. Le 23 juillet 2004, la chambre no 1 de cette même juridiction, après avoir constaté que le requérant ne faisait l’objet d’aucune poursuite justifiant sa détention, ordonna sa libération jusqu’à son rétablissement complet.
Le requérant fut relaxé le 27 juillet 2004.
32. Le procureur d’Edirne saisit alors le ministre de la Justice pour qu’il introduise contre cette décision un recours en pourvoi extraordinaire, au motif que le sursis devait être accordé eu égard à un rapport médical récent, alors que le dernier rapport concernant le requérant datait du 25 août 2003.
Cette demande fut rejetée le 23 août 2004.
33. Le 28 janvier 2005, l’avocate du requérant demanda à la 10ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul que son client soit définitivement dispensé de purger sa peine, eu égard aux dispositions plus favorables du nouveau code pénal.
Le 11 mars 2005, la cour d’assises fit droit à cette demande, sous réserve de toute décision ultérieure qui pourrait être prise suivant l’entrée en vigueur de ce nouveau code. Celui-ci entra en vigueur le 1er juin 2005.
34. La Cour ne dispose pas de renseignements précis sur la suite qui pourrait avoir été donnée à l’ultime demande de réexamen du requérant par l’institut (paragraphes 26 et 29 ci-dessus). Toutefois, le dossier permet de comprendre qu’en mars 2005 le requérant se trouvait sous surveillance médicale à l’institut.
B. La mission d’enquête de la Cour
1. Les visites d’établissements pénitentiaires
35. Afin de se forger une idée sur les conditions matérielles régnant dans les différents types d’établissements carcéraux en Turquie, la délégation de la Cour, accompagné des représentants des requérants et du Gouvernement, a rendu visite à deux prisons de type F (Tekirdağ et Kocaeli), à deux prisons de type H (Tekirdağ et İstanbul), à une maison d’arrêt de type H (Bayrampaşa-İstanbul), et au service hospitalier de ce dernier établissement. Lors de ces visites, la délégation s’est également entretenue avec le personnel pénitencier ainsi que les procureurs et les médecins en poste dans ces établissements.
Le comité d’experts a accompagné la délégation lors des visites de la maison d’arrêt de Bayrampaşa et de son service hospitalier.
36. Les prisons de type F (paragraphe 16 ci-dessus) sont des établissements pénitentiaires de haute sécurité récemment instaurés. La structure générale de ces établissements est uniforme dans tout le pays et ils disposent de médecins, d’un dentiste, d’un psychologue, d’un instituteur et d’un sociologue. A titre d’exemple, la prison de type F de Kocaeli, visitée le 7 septembre 2004, dispose d’une bibliothèque, d’une salle de sport, et de deux ateliers assez vastes, où les détenus ont le moyen d’effecteur des travaux manuels, tels que la menuiserie et la peinture. La salle d’examen médical est d’une superficie d’environ 30 m2, trois médecins sont en charge de cette prison. Le médecin en chef explique que deux pièces avec une capacité de huit lits d’hôpital chacune, et séparées selon les sexes, sont prévues pour les malades qui ont besoin d’une surveillance et qu’il y a également deux pièces avec des murs matelassés. Le cabinet du dentiste est de la même superficie et dispose d’un siège de soins dentaires, d’un appareil radiographique dentaire, d’un bureau avec un ordinateur et de quelques armoires.
Les prisons de type F disposent d’unités de vie de une à trois personnes au lieu de dortoirs. Chaque unité de vie est constituée de deux étages, chacun de 25 m2. Elle donne accès à une cour de promenade de 50 m2. La pièce visitée par la délégation dispose au rez-de-chaussée d’un coin de cuisine simple et d’une pièce séparée d’environ 5 m2, où se trouve un lavabo, une toilette et une douche. Le premier étage est accessible par une dizaine de marche d’escaliers, où se trouvent trois lits séparés et trois armoires. La direction affirme que les repas sont servis dans les cellules à 7 h, 12 h et 16 h 30, les détenus peuvent se faire livrer des journaux et des livres, ainsi qu’un téléviseur. La cour de promenade s’ouvre à 7 h 30 et se ferme au coucher du soleil, l’accès n’y est pas contrôlé entre ces heures. Une cour de promenade est toujours accessible à trois personnes ; par conséquent, quand il s’agit de pièces d’une personne, trois pièces donnent sur la même cour de promenade. Toutes les pièces disposent d’une radio centralisé avec un bouton d’ouverture ainsi que d’un bouton d’appel. Les horaires de visite sont variables et peuvent être modifiés selon les demandes ; en principe chaque détenu a droit à une heure de visite fermée par semaine et à une heure de visite ouverte par mois avec les parents, le conjoint et les enfants.
37. S’agissant de la maison d’arrêt de type H de Bayrampaşa et la prison de type H d’İstanbul (paragraphe 23 ci-dessus), visitées le 8 septembre 2004, la direction pénitentiaire a informé les délégués que le premier établissement était réservé aux personnes placées en détention provisoire. D’une capacité de 10 000 personnes, celui-ci dispose de dortoirs de 70 à 100 lits, d’une cour de promenade de 800 m2 ainsi que de salles de sport, de cinéma, de télévision et de ping-pong.
Dans les trois unités d’infirmerie travaillent neuf médecins et seize infirmiers. Après la visite des unités en question, les médecins du comité d’experts se sont entretenus avec leurs homologues sur des questions portant notamment sur l’emploi et le dosage de la thiamine dans le traitement médical des grévistes de la faim en 1996 et en 2000.
Il ressort des discussions que, face aux grèves de la faim massivement entamées en 1996, les médecins pénitentiaires ont traité les grévistes selon une instruction écrite distribuée par les autorités compétentes, bien que dans un certain nombre de cas aucune intervention n’eût été possible du fait du refus des intéressés. A l’époque, des contrôles quotidiens voire biquotidiens auraient été mis en place afin de procéder à une intervention d’urgence en cas de perte de conscience chez l’un ou l’autre des grévistes, cette intervention consistant en l’administration d’une perfusion intraveineuse in situ, avant le transfert du sujet à un hôpital.
2. Les examens médicaux du comité d’experts
38. La Cour avait chargé le comité d’experts de déterminer notamment si le requérant présentait de troubles neurologiques ou psychiatriques et, dans l’affirmative, dans quelle mesure ces troubles s’avéraient compatibles avec la vie carcérale. Il devait également procéder, au besoin, à une évaluation scientifique du dossier médical de l’intéressé, tel que constitué par les instances médicolégales turques.
Dans ce contexte, le comité d’experts releva tout d’abord que, dans toutes les affaires de ce groupe, les intéressés expliquaient leurs séquelles neuropsychiatriques alléguées par leurs grèves de la faim et désignaient ces séquelles comme étant celles du syndrome de Wernicke-Korsakoff, comme l’institut médicolégal l’avait diagnostiqué.
Partant, le comité d’experts décida de procéder à des examens médicaux standardisés, propres à mettre en évidence d’éventuels éléments de surcharge ou de simulation fréquents chez les prisonniers ainsi qu’à dégager les caractéristiques véritables du syndrome invoqué sur le plan tant neurologique que neuropsychologique.
39. Les examens eurent lieu entre le 8 et le 11 septembre 2004 dans les locaux disposés à cette fin par le Gouvernement à l’hôpital universitaire de Çapa à İstanbul, et ce dans le respect absolu du secret médical. Sept requérants ne se présentèrent pas à l’examen.
40. Le requérant a été examiné le 10 septembre 2004.
Les parties pertinentes du rapport médical3 du comité d’experts de la Cour quant au requérant se lisent comme suit :
« A. Antécédents
11 juillet 2001 : dans son rapport, la chambre no 3 mentionne une grève de la faim de 140 jours et observe que le sujet présente une dégradation de la mémoire de fixation, de la mémoire antérograde, ainsi que des fonctions cognitives. Un S-WK est diagnostiqué et une mesure de sursis appliquée.
7 janvier 2002 : le deuxième rapport établi à cette date indique l’existence de symptômes similaires à ceux indiqués dans le rapport précédent. En conséquence, la mesure de sursis est maintenue.
29 juillet 2002 : dans ce rapport, la chambre confirme les conclusions précédentes et avise que le sujet soit dispensé de purger sa peine par la voie de la grâce présidentielle.
17 février 2003 et 25 août 2003 : ces deux derniers rapports entérinent les conclusions précédentes.
B. Commentaires
Pas de commentaires particuliers.
C. Examen (10 septembre 2004)
La coopération est bonne. L’examen neurologique met en évidence un syndrome cérébelleux statique (troubles de l’équilibre et de la marche) et cinétique (troubles de la coordination motrice au niveau des membres supérieurs et inférieurs) ; il n’y a pas de nystagmus. L’examen neuropsychologique montre de grosses difficultés de concentration, un déclin intellectuel général et des troubles de mémoire avec de nombreuses intrusions, dont l’organicité est toutefois discutable vus a présence d’éléments de surcharge francs. Pas d’évidence de troubles psychopathologiques patents.
D. Avis
Le Comité observe la présence des séquelles neurologiques nettes d’un S-WK, lesquelles rendent difficiles l’exécution de certains gestes de la vie quotidienne et de la marche. Ces séquelles sont difficilement compatibles avec la vie carcérale. »
41. Les conclusions générales du rapport médical se lisent comme suit :
« Chez la plupart des intéressés, le diagnostic initial de S-WK paraît discutable. Diverses raisons peuvent expliquer les difficultés rencontrées à cet égard :
– l’interprétation de la présence de signes neurologiques, de troubles de la marche ainsi que d’un syndrome cérébelleux est difficile lorsque les patients sont vus très tôt, à un moment où ils demeurent encore très affaiblis par leur grève de la faim ; cette difficulté s’aggrave lorsque les intéressés refusent de coopérer, ce qui semble avoir été le cas pour beaucoup d’entre eux.
– l’efficacité d’un examen de la mémoire, fut-il exécuté selon un protocole d’examen neuropsychologique comportant des tests communément acceptés (à l’instar des examens effectués dans le service de neurologie de l’HUI), dépend largement de la coopération du patient. Or les tests utilisés en l’occurrence par les chambres comme par l’HUI ne pouvaient permettre ni de définir les caractères spécifiques d’une atteinte de type Korsakoff ni de dépister une simulation. Le Comité est beaucoup plus réticent encore sur la validité des tests employés par la chambre no 4 de l’institut médicolégal, lesquels ne paraissent pas vraiment adapté au problème (par exemple, le test de Benton ou la recherche d’un psycho-syndrome organique).
– la terminologie anglo-saxonne de S-WK ne fait pas de différence claire entre la phase aiguë (encéphalopathie de Wernicke) et la phase chronique (syndrome de Korsakoff) de cette maladie, ce qui est souvent source de confusion.
Une démonstration de la difficulté à affirmer la nature organique des signes présentés est illustrée par deux requérants, chez lesquels le diagnostic initial de S-WK a été ensuite révisé sur la foi des indications des administrations pénitentiaires affirmant que ces deux sujets n’avaient participé à aucune grève de la faim.
Il nous semble donc que l’institut médicolégal a eu des difficultés à démêler les signes relevant d’une atteinte neurologique organique et ceux se rapportant à des perturbations non organiques. Dans le doute, il semble avoir choisi le diagnostic qui favorisait les requérants, à savoir celui du S-WK. Par la suite, les chambres appelées à se prononcer en ultime lieu ont pu se trouver prisonnières, elles-mêmes, de ce diagnostic. Cela ressort de leurs décisions ayant motivé la levée des mesures de sursis, décisions qu’elles ont tenté de justifier par des hypothétiques récupérations tardives.
À ce sujet, il importe néanmoins d’indiquer que s’il est vrai que la communauté internationale accepte l’idée qu’un syndrome de Korsakoff franc ne récupère habituellement pas, plusieurs remarques doivent être faites :
– il n’existe que très peu d’études sur l’évolution d’un S-WK avéré et les quelques études existantes n’ont pas dépassé une durée de suivi d’un an.
– de plus en plus, on admet aujourd’hui qu’à côté des formes traditionnelles et bien définies du S-WK, il existe, du moins chez les alcooliques qui représentent la seule population étudiée en nombre important dans les pays développés :
· d’une part, des formes graves donnant lieu, non pas au syndrome amnésique habituel, mais à une détérioration globale qualifiée de démence et,
· d’autre part, des formes mineures qui se traduisent par des troubles de mémoire n’ayant pas les caractères traditionnels du syndrome amnésique.
Par ailleurs, il convient de noter que les syndromes purement carentiels, comme ceux consécutifs à une grève de la faim, sont beaucoup moins bien connus et, enfin, que les lésions de l’encéphalopathie de Wernicke consistent en des lésions gliales et des hémorragies peu destructrices, donc largement susceptibles de réversibilité.
Ces réserves étant faites, il faut rappeler que la grande majorité des requérants que nous avons examinés présentaient des signes manifestement non organiques, aussi bien à l’examen neurologique qu’à l’examen neuropsychologique. Il ne peut être exclu que ces éléments non organiques puissent masquer d’éventuels déficits organiques. Le terme de troubles non organiques ne signifie pas que ces troubles soient entièrement volontaires : entre la simulation délibérée et les symptômes anxieux ou de type hystérique inconscients existent bien des transitions.
Ces réactions sont particulièrement fréquentes en milieu carcéral. Toutefois, chez les requérants examinés, la constance de certains déficits, notamment de la mémoire à court terme, évoque fortement une concertation sur les troubles mnésiques, donc l’application de consignes, d’ailleurs mal orientées, car ne correspondant pas aux déficits habituels propres au S-WK.
Dans la grande majorité des cas, le Comité n’a pu que confirmer les décisions de l’institut médicolégal concluant à l’aptitude des requérants à purger leur peine d’emprisonnement, même si ces décisions nous sont apparues reposer sur des bases pour le moins discutables. Les décisions contradictoires des chambres de l’institut médicolégal et la tentative de les justifier par des références scientifiques non pertinentes ne pouvaient que susciter des réactions de méfiance et contribuer à aggraver les tensions psychologiques chez les intéressés, en particulier chez ceux qui avaient été libérés sur le fondement d’un diagnostic de séquelles définitives. Dans l’avenir, une meilleure appréhension des caractères spécifiques du S-WK et des moyens de les mettre en évidence apparaît nécessaire. »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Constitution
42. L’article 104 de la Constitution régit les tâches et compétences du président de la République et habilite celui-ci à gracier les condamnés atteints d’une maladie irréversible.
B. Le code de procédure pénale (« CPP »)
43. L’article 399 §§ 1 et 2 du CPP énonce :
« S’agissant des condamnés atteints d’une maladie mentale, l’exécution des peines privatives de liberté sera suspendue jusqu’à leur rétablissement.
Cette disposition s’applique également pour d’autres maladies, si l’exécution de la peine privative de liberté présente un risque vital essentiel pour le condamné. »
44. L’article 402 §§ 1 et 2 du CPP est ainsi libellé :
« En cas de doute dans l’interprétation d’un jugement de condamnation ou dans le calcul de la peine prononcé, ou si [le ministère public] estime qu’il n’y a pas lieu que la peine soit purgée entièrement ou en partie, on demandera au juge de trancher la question.
La présente disposition s’applique également pour les oppositions formées contre les rejets des demandes de sursis à l’exécution d’une peine en vertu de l’article 399. »
C. La loi no 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes arrêtées ou détenues
45. L’article 1 de la loi no 466 prévoit :
« Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne :
1. arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ; (...)
3. qui n’aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal ; (...)
6. qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ;
D. L’institut médicolégal
46. Dans le système judiciaire turc, l’institut médicolégal, composé de cinq chambres de spécialistes, est l’autorité qui a la compétence exclusive pour délivrer des rapports d’expertise médicale définitifs dans le domaine judiciaire.
Telle qu’amendée par la loi no 4810 du 25 février 2003, la loi no 2659 du 14 avril 1982 portant instauration de l’institut, confirme le rattachement de celui-ci au ministère de la Justice et précise que sa fonction principale est de procéder aux expertises commandées par les tribunaux et, selon le cas, par les parquets.
D’après l’article 16 c) de cette loi, les questions de l’aptitude des condamnés à purger une peine privative de la liberté ou de suspension et commutation des peines pour des motifs de santé relèvent de la compétence de la chambre de spécialistes no 3, composée d’un médecin légiste, d’un chirurgien généraliste, d’un traumatologiste orthopédiste, d’un neurologue, d’un gastroentérologue et d’un spécialiste des maladies respiratoires.
Lorsqu’un condamné obtient un rapport d’expertise qui lui est favorable, il appartient, selon le cas, au procureur près l’établissement pénitentiaire concerné, au tribunal ayant prononcé la condamnation, ou au juge d’exécution des peines de se prononcer sur les mesures à prendre au regard du CPP (paragraphes 43-44 ci-dessus), sachant que la décision rendue en l’occurrence est susceptible d’appel, qu’elle que soit l’autorité dont elle émane.
Au cas où une expertise fournie par l’une des chambres de spécialistes est jugée insuffisante pour former une conviction ou lorsqu’il y a divergence entre les avis des chambres, il appartient à la chambre plénière de l’institut, qui peut être saisi par le procureur ou le juge, de trancher (article 15).
A ce propos, l’article 23-C § 3 de la loi précise que, si les conclusions de la chambre plénière sont définitives, cela ne restreint aucunement le pouvoir discrétionnaire des juges en matière de l’appréciation des preuves.
E. Les travaux du Conseil de l’Europe
1. Le Comité des Ministres
47. La recommandation no (87)3F sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 12 février 1987 énonce ce qui suit :
« Détenus aliénés et anormaux mentaux
100. 1. Les aliénés ne doivent pas être détenus dans les prisons et des dispositions doivent être prises pour les transférer aussitôt que possible dans des établissements appropriés pour malades mentaux.
2. Des institutions ou sections spécialisées placées sous contrôle médical doivent être organisées pour l’observation et le traitement des détenus atteints d’autres affections ou troubles mentaux.
3. Le service médical ou psychiatrique des établissements pénitentiaires doit assurer le traitement psychiatrique de tous les détenus qui ont besoin d’un tel traitement.
4. Des dispositions doivent être prises, en accord avec des organismes compétents, pour que le traitement psychiatrique soit continué, si nécessaire, après la libération et pour qu’une assistance sociale post-pénitentiaire à caractère psychiatrique soit assurée. »
48. La recommandation no (98)7F du 8 avril 1998, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, prévoit :
« C. Personnes inaptes à la détention continue: handicap physique grave, grand âge, pronostic fatal à court terme
50. Les détenus souffrant de handicaps physiques graves et ceux qui sont très âgés devraient pouvoir mener une vie aussi normale que possible et ne pas être séparés du reste de la population carcérale. Des modifications structurelles nécessaires devraient être entreprises dans les locaux pour faciliter les déplacements et les activités des personnes en fauteuil roulant et des autres handicapés, comme cela se pratique à l’extérieur de la prison.
51. La décision quant au moment opportun de transférer dans des unités de soins extérieures les malades dont l’état indique une issue fatale prochaine devrait être fondée sur des critères médicaux. En attendant de quitter l’établissement pénitentiaire, ces personnes devraient recevoir pendant la phase terminale de leur maladie des soins optimaux dans le service sanitaire. Dans de tels cas, des périodes d’hospitalisation temporaire hors du cadre pénitentiaire devraient être prévues. La possibilité d’accorder la grâce ou une libération anticipée pour des raisons médicales devrait être examinée.
D. Symptômes psychiatriques, troubles mentaux et troubles graves de la personnalité, risque de suicide
52. L’administration pénitentiaire et le ministère responsable de la santé mentale devraient coopérer à l’organisation des services psychiatriques mis en place à l’intention des détenus.
53. Les services de santé mentale et les services sociaux rattachés aux prisons ont pour mission d’assister les détenus, de les conseiller et de renforcer leurs moyens d’adaptation et leurs possibilités de faire face à leurs problèmes personnels. Compte tenu de leurs missions respectives, ces services devraient coordonner leurs activités. Ils devraient être professionnellement indépendants, tout en prenant en considération les conditions spécifiques du cadre pénitentiaire.
55. Les détenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié. La décision d’admettre un détenu dans un hôpital public devrait être prise par un médecin psychiatre sous réserve de l’autorisation des autorités compétentes.
56. Dans les cas où l’isolement cellulaire des malades mentaux ne peut être évité, celui-ci devrait être réduit à une durée minimale et remplacé dès que possible par une surveillance infirmière permanente et personnelle.
58. Les risques de suicide devraient être appréciés en permanence par le personnel médical et pénitentiaire. Suivant le cas, des mesures de contention physique conçues pour empêcher les détenus malades de se porter préjudice à eux-mêmes, une surveillance étroite et permanente et un soutien relationnel devraient être utilisés pendant les périodes de crise.
59. Le suivi thérapeutique pour les détenus libérés sous traitement devrait être assuré par des services spécialisés extérieurs.
E. Refus de traitement, grève de la faim
60. Si une personne détenue refuse le traitement qui lui est proposé, le médecin devrait lui faire signer une déclaration écrite en présence d’un témoin. Le médecin devrait fournir au patient toutes les informations nécessaires sur les bienfaits escomptés du traitement médical, les alternatives thérapeutiques éventuellement existantes, et l’avoir mis en garde contre les risques auxquels son refus l’expose. Il convient de s’assurer que le malade est pleinement conscient de sa situation. Il serait indispensable de faire appel à un interprète expérimenté si la langue pratiquée par le malade constitue un obstacle à la compréhension.
61. L’examen clinique d’un gréviste de la faim ne devrait être pratiqué qu’avec son consentement explicite, sauf s’il souffre de troubles mentaux graves et qu’il doive alors être transféré dans un service psychiatrique.
62. Les grévistes de la faim devraient être informés de manière objective des effets nuisibles de leur action sur leur état de santé afin de leur faire comprendre les dangers que comporte une grève de la faim prolongée.
63. Si le médecin estime que l’état de santé d’une personne en grève de la faim se dégrade rapidement, il lui incombe de le signaler à l’autorité compétente et d’entreprendre une action selon la législation nationale (y inclus les normes professionnelles). »
49. L’annexe 2 à la recommandation no (2000) 22, adoptée le 29 septembre 2000, concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la Communauté, énonce des « principes directeurs tendant à une utilisation plus efficace des sanctions et mesures appliquées dans la communauté ». A ce propos, il faut citer la recommandation suivante :
« Législation
1. Il convient de mettre en place un éventail de sanctions et mesures appliquées dans la communauté qui soit suffisamment large et varié et pourraient comporter, à titre d’exemple :
– la suspension, assortie de conditions, de l’exécution d’une peine d’emprisonnement ;
2. Le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT »)
50. Dans son troisième rapport général d’activités couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1992, le CPT met en exergue les points suivants s’agissant de la question de l’intervention humanitaire dans le milieu carcéral :
« III. SERVICES DE SANTÉ DANS LES PRISONS
iv) incapacité à la détention
70. Des exemples typiques sont ceux de détenus qui présentent un pronostic fatal à court terme, ceux qui souffrent d’une affection grave dont le traitement ne peut être conduit correctement dans les conditions de la détention ainsi que ceux qui sont sévèrement handicapés ou d’un grand âge. La détention continue de telles personnes en milieu pénitentiaire peut créer une situation humainement intolérable. Dans des cas de ce genre, il appartient au médecin pénitentiaire d’établir un rapport à l’intention de l’autorité compétente, afin que les dispositions qui s’imposent soient prises. »
51. Lors de son 45ème réunion tenue du 3 au 6 juillet 2001, le CPT a adopté un rapport sur ses visites ad hoc en Turquie (CPT/Inf (2001) 31), effectuées du 10 au 16 décembre 2000 et du 10 au 15 janvier 2001.
Ces visites étaient déclenchées par le mouvement de grèves de la faim qui avait débuté en octobre 2000 pour protester contre le projet de prisons de type F, projet qui s’inscrivait dans les plans des autorités visant à mettre en place, dans le cadre de la réforme du système pénitentiaire, des unités de vie d’une à trois personnes au lieu de dortoirs (paragraphe 36, 37 ci-dessus).
Les visites du CPT avaient commencé début décembre 2000, à la demande des autorités turques, pour contribuer aux efforts en cours afin de trouver une solution susceptible de mettre un terme aux grèves de la faim.
Lors des visites, le CPT a recueilli des informations sur les interventions opérées par les forces de sécurité dans les prisons où se déroulaient des grèves de la faim (interventions au cours desquelles il y a eu trente-deux morts et un grand nombre de blessés) ainsi que sur les enquêtes et investigations menées à cet égard. Le CPT a aussi examiné la situation dans les établissements – et plus précisément dans les prisons de type F – vers lesquels des détenus avaient été transférés après les interventions.
Au sujet du traitement prodigué aux grévistes de la faim, les observations et l’avis (souligné en gras) du CPT se présentent comme suit :
« C. Other issues
1. Management of hunger strikers
32. In the preliminary observations dated 29 January 2001 forwarded to the Turkish authorities after the December 2000/January 2001 visit, the CPT’s delegation stated that it was on the whole impressed by the management of hunger strikers in the prisons and hospitals visited. The delegation nevertheless requested a copy of a circular which reportedly had been issued on this subject by the Ministry of Health.
By their response of 2 May 2001, the Turkish authorities forwarded two Ministry of Health directives, Nos 2000/145 of 19 December 2000 and 2001/26 of 29 March 2001. The delegation had earlier been informed that these directives indicated that the management of hunger strikers should be based on a doctor/patient relationship. In fact, they deliver the clear message that "The duty of health workers is to assist in the continuation of life. The right to life, the most basic of the rights and freedoms, may not be limited by any norm or criterion." Turning to specifics, it is stipulated that "From the instant organ deterioration is noted, total parenteral nutrition is to be administered".
At the time of the December 2000/January 2001 visit, no prisoner had yet reached a stage where it was necessary to take a decision on possible artificial feeding against his/her wishes. However, cases of artificial feeding have subsequently occurred. Ministry of Health officials informed the CPT’s delegation during the April 2001 visit that they were not aware of any cases of forced feeding of prisoners who were conscious, but that prisoners had been artificially fed after losing consciousness.
33. As was acknowledged in the preliminary observations dated 29 January 2001, the issue of the artificial feeding of a hunger striker against his/her wishes is a delicate matter about which different views are held, both within Turkey and elsewhere. The CPT understands that the World Medical Association is currently reviewing its policy on this subject.
To date, the CPT has refrained from adopting a stance on this matter. However, it does believe firmly that the management of hunger strikers should be based on a doctor/patient relationship. Consequently, the Committee has considerable reservations as regards attempts to impinge upon that relationship by imposing on doctors managing hunger strikers a particular method of treatment. »
52. Soucieux de répondre aux préoccupations croissantes concernant la crise engendrée par cette campagne de grèves de la faim, une délégation du CPT a revisité les établissements en cause pendant la semaine du 18 au 21 avril 2001. A l’issue de ses visites, la délégation a exprimé sont regret face aux pertes de vies humaines survenues entre-temps.
Partant, il a appelé les autorités turques à étudier tous les moyens possibles pour alléger immédiatement le système d’isolement par petits groupes qui découlait du texte de l’article 16 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, soulignant que « lorsque des vies sont en jeu, un certain degré de flexibilité dans le cadre de la législation et des principes juridiques actuellement en vigueur devrait être possible ».
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
53. Le Gouvernement excipe d’abord du non-épuisement des voies de recours internes, en ce que le requérant n’a jamais donné aux juridictions internes l’occasion de redresser la situation qu’il a dénoncée prématurément devant la Cour, avant même que la première chambre de la cour d’assises d’Edirne ne statuât sur son opposition du 9 juillet 2004.
En second lieu, le Gouvernement reproche au requérant d’avoir omis d’introduire un recours de pleine juridiction devant les tribunaux administratifs ou encore une action en dommages intérêts devant les juridictions civiles, afin d’obtenir réparation de son préjudice allégué du fait des méfaits et des abus de pouvoir imputables aux organes de l’Etat.
Au regard de l’article 5 de la Convention, il invoque en particulier la voie de réparation prévue par la loi no 466 (paragraphe 45 ci-dessus), ouverte aux personnes détenues dans des circonstances comparables à celles du requérant.
54. Le Gouvernement conteste en outre la qualité de victime de l’intéressé. D’après lui, libéré par la cour d’assises d’Edirne, l’intéressé serait malvenu de se prétendre victime d’une quelconque violation de la Convention, d’autant moins que le 11 mars 2005 la cour d’assises d’İstanbul a suspendu l’exécution de la peine restant à purger, au vu du nouveau code pénal (paragraphe 33 ci-dessus). Aussi le Gouvernement se réfère-t-il à l’affaire Gündüz c. Turquie ((déc.), no 37997/04, 28 juin 2005) et affirme que la présente requête, ainsi restée sans objet, devrait être rayée du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention.
2. Le requérant
55. Le requérant estime qu’on ne devrait pas le blâmer pour n’avoir pas utilisé des voies de recours, notamment civiles et administratives, qui ne présentaient aucune perspective de succès s’agissant des griefs tels que les siens. Il avance notamment qu’aucun des cas donnant lieu à un droit de réparation au titre de la loi no 466 ne correspond aux réalités de la présente cause.
56. Du reste, le requérant soutient qu’on ne saurait lui dénier la qualité de victime, ne serait-ce que du fait qu’il a été irrégulièrement privé de sa liberté pendant des mois entiers, en dépit de son état de santé irréversible et incompatible avec la vie carcérale.
B. Appréciation de la Cour
1. Épuisement des voies de recours internes
57. En ce qui concerne la règle de l’épuisement inscrite à l’article 35 de la Convention, la Cour rappelle que cette disposition ne prescrit que l’exercice des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 75 CEDH 1999-V). Il faut donc procéder à une distinction entre les griefs du requérant, qui portent, d’une part, sur l’incompatibilité d’une mesure privative de la liberté avec les articles 3 et 5 §§ 1 à 4 de la Convention (première branche) et, de l’autre part, sur de l’absence d’une voie de droit en vue d’obtenir un dédommagement du fait de cette mesure, au sens de l’article 5 § 5 (seconde branche).
58. En l’espèce, dans l’opposition formée le 12 janvier 2004 devant la chambre no 2 de la cour d’assises d’Edirne, la représentante du requérant a fait état de l’irrégularité de l’arrestation de son client. Hormis ce point, il ressort également de la décision rendue en conséquence que cette juridiction n’était pas moins au courant de la maladie du requérant qui, d’après les instances médicolégales, contre-indiquait l’exécution de sa peine (paragraphe 24 ci-dessus). De plus, dans son recours du 18 mars 2004 devant le parquet d’Istanbul, Me Yolcu a mis expressément en exergue le fait que la réincarcération du requérant risquait de mettre sa vie en danger (paragraphe 25 ci-dessus).
59. A ce propos, la Cour réaffirme que lorsque les interdictions posées par les articles 3 et 5 sont en jeu, le droit d’obtenir la cessation d’une privation de liberté se distingue de celui de recevoir un dédommagement pour une telle privation (Demir et autres c. Turquie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, pp. 2652-2653, § 37 ; K.-F. c. Allemagne, arrêt du 27 novembre 1997, Recueil 1997-VII, §§ 51 et 52 ; et Tomasi c. France, arrêt du 27 août 1992, série A no 241, p. 34, § 79 ; voir aussi, mutatis mutandis, Ali Şahmo c. Turquie (déc.), no 37415/97, 1er avril 2003).
60. S’agissant de la première branche des griefs, le requérant doit donc passer pour avoir exercé une voie de droit pénal qui constituait un recours adéquat et suffisant non seulement aux fins de l’article 5 de la Convention (K.-F. c. Allemagne, précité, p. 2672, § 51), mais aussi au regard de l’article 3 invoqué à raison des circonstances similaires, sinon identiques.
61. Partant, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si l’une ou l’autre des voies de réparation civile et administrative indiquées par le Gouvernement était également à épuiser quant à la première branche des griefs du requérant (paragraphe 57 in fine ci-dessus).
Cependant, eu égard aux considérations qui précèdent, il en va autrement de la seconde branche des griefs relative à l’article 5 § 5 de la Convention.
62. Cette disposition suppose préalablement qu’une violation de l’un des autres paragraphes de l’article 5 ait été établie soit par un organe interne, soit par les organes de la Convention (Bouchet c. France, no 33591/96, § 50, 20 mars 2001).
La Cour observe qu’en l’espèce les juridictions répressives ont mis fin à la détention du requérant, après avoir constaté, entre autres, que l’enquête préliminaire à l’origine de son arrestation avait abouti à un non-lieu (paragraphe 24 ci-dessus). Ainsi considérée, la situation du requérant paraît bien relever de l’article 1 de la loi no 466, prévoyant l’octroi d’une réparation à quiconque, « après avoir été arrêté ou mis en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu » (paragraphe 45 ci-dessus).
La Cour ne saurait donc préjuger que ce recours aurait été de toute évidence voué à l’échec.
63. En l’absence d’explications plus solides du requérant et dans la mesure où le simple fait pour lui de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès de ce recours ne pouvait le dispenser de l’exercer (Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1212, § 71), il faut conclure que cette partie de la requête se heurte au motif de non-épuisement.
2. Qualité de victime
64. La Cour ne peut suivre le Gouvernement lorsqu’il argue de l’absence de la qualité de victime du requérant.
En premier lieu, l’espèce est différente de l’affaire Gündüz c. Turquie, précitée, où la Cour, dans sa décision de rayer la requête du rôle, a jugé pertinent le fait que la mesure – contestée puis levée – de l’envoi forcée de M. Gündüz sous les drapeaux n’avait jamais été exécutée effectivement par les autorités turques (voir par exemple, Leblon c. Belgique (déc.), no 34046/96, 1er juin 1999).
Or, dans la présente affaire, il n’est pas contesté que le requérant, arrêté le 21 novembre 2003, a été maintenu en prison jusqu’au 27 juillet 2004, date de sa dernière mise en liberté pour motif de santé.
A partir de cette dernière date on ne saurait dire que les circonstances dont l’intéressé faisait grief persistaient. Cependant, on ne peut pas non plus admettre que les conséquences qui pourraient résulter d’une éventuelle violation de la Convention à raison de ces mêmes circonstances aient été effacées (Pisano c. Italie [GC] (radiation), no 36732/97, § 42, 24 octobre 2002), rien dans le dossier n’indiquant qu’une quelconque mesure favorable au requérant ait été prise à cet effet.
La Cour déclare donc cette partie de la requête recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
65. Le requérant allègue que sa réincarcération en date du 21 novembre 2003, en dépit du diagnostic de Wernicke-Korsakoff posé par l’institut médicolégal, constitue un traitement inhumain et dégradant au regard de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
66. Le Gouvernement estime que les autorités nationales ont rempli toutes leurs obligations au regard de l’article 3, le requérant ayant bénéficié, durant sa détention, de tous les traitements médicaux nécessaires.
67. Le Gouvernement se réfère notamment à la décision Papon c. France ((no 1), no 64666/01, CEDH 2001-VI) ainsi qu’à l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, CEDH 2002-III) et considère qu’en tout état de cause la réincarcération du requérant ne constituait point un traitement atteignant le niveau de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3, d’autant plus que la situation de l’intéressé, aussi regrettable soit-elle, ne résultait d’aucun acte ou omission attribuable aux autorités.
68. Dans ses observations sur le rapport du comité d’experts, sans se prononcer sur les conclusions médicales qui y figurent, le Gouvernement souligne que le 16 juillet 2004 la chambre de spécialistes no 3 avait invité le requérant à se présenter pour subir une observation médicale, invitation à laquelle celui-ci n’a pas répondu.
2. Le requérant
69. Le requérant combat ces thèses et maintient sa doléance, en s’appuyant sur les rapports médicolégaux des 17 février et 25 août 2003 rendus par l’institut et qui reconnaissaient l’existence, chez lui, d’une maladie irréversible faisant obstacle à son maintien en prison.
B. Appréciation de la Cour
70. Il est vrai que la Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades. Toutefois, indépendamment de l’obligation faite aux Etats de protéger l’intégrité physique des détenus par l’administration des soins médicaux requis, il faut rappeler que la souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en soi relever de l’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (Mouisel c. France, no 67263/01, §§ 37, 38 et 40, CEDH 2002-IX, et Pretty, précité, § 52 et les références qui figurent dans ces textes).
71. Outre la santé du prisonnier, c’est donc son bien-être qui doit également être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, tout prisonnier ayant droit à des conditions de détention conformes à la dignité humaine de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI).
72. Si la Convention n’implique aucune « obligation générale » de libérer un détenu pour motifs de santé, le tableau clinique d’un détenu constitue pourtant l’une des situations pour lesquelles la question de la capacité à la détention est aujourd’hui posée sous l’angle de l’article 3 de la Convention au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe (voir Mouisel, ibidem, et Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII – paragraphes 47-50 ci-dessus), dont la Turquie (paragraphes 42-52 ci-dessus et paragraphe 75 ci-dessous). Cet élément fait désormais partie de ceux à prendre en compte dans les modalités d’exécution d’une peine privative de liberté, notamment en ce qui concerne la durée du maintien en détention (Mousiel, précité, § 44).
Bref, dans une affaire donnée, la détention d’une personne atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état est durablement incompatible avec la vie carcérale peut poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention.
73. Avant d’aborder son examen, la Cour a étudié la législation turque en vigueur en matière d’application des peines en cas de maladie grave des condamnés. Elle note que celle-ci offre aux autorités nationales des moyens d’intervenir en cas d’affections médicales graves atteignant des détenus. La santé est l’un des éléments pouvant motiver une décision de libération provisoire ou la suspension d’une peine. Ces mesures suppléent le recours en grâce médicale réservé au président de la République (paragraphes 42-44 ci-dessus).
La Cour considère que ces procédures constituent à première vue des garanties adéquates pour assurer la protection de l’intégrité physique et du bien-être des prisonniers que les Etats doivent concilier avec les exigences légitimes de la peine privative de liberté.
74. Dans le contexte spécifique de la présente affaire, il est pertinent de rappeler que par le passé, la Turquie, face au mouvement des grèves de la faim déclenché en 1996 et 2000 pour protester contre l’instauration des prisons de type F (paragraphes 16, 36, 37, 51 et 52 ci-dessus), s’était vu confrontée au problème du maintien en détention de personnes souffrant des séquelles physiques et mentales dues à la malnutrition, jugées dans certains cas comme étant celles du syndrome de Wernicke-Korsakoff. Nombre de détenus malades avaient été ainsi admis au bénéfice de la libération provisoire pour motif de santé, les autorités compétentes ayant sans doute estimé qu’une telle détention ne se justifiait plus en termes de protection de la société.
75. En l’espèce, le requérant, ayant apparemment participé au mouvement susmentionné, a d’ailleurs eu accès aux possibilités offertes par le droit turc et en a tiré profit jusqu’à sa réincarcération, le 21 novembre 2003 (paragraphe 23 ci-dessus).
A ce propos, la Cour note que le 13 juillet 2001, en s’appuyant sur le rapport de la chambre de spécialistes no 3 de l’institut médicolégal (paragraphe 17 ci-dessus), le procureur de la République d’Edirne a décidé de surseoir à l’exécution de la peine du requérant, atteint de la maladie de Wernicke-Korsakoff, jugée irréversible et, du même coup, incompatible avec la vie carcérale (paragraphes 19 à 24 ci-dessus).
Ainsi, en vertu de l’article 399 § 2 du CPP, le requérant a été admis au bénéfice d’une libération provisoire avec hébergement auprès de ses proches, afin de recevoir les soins médicaux nécessaires dans un milieu hospitalier.
76. Reste donc à examiner si le maintien en prison du requérant jusqu’au 27 juillet 2004 (paragraphe 31 ci-dessus), soit pendant une période d’environ huit mois, l’a placé dans une situation qui atteint un niveau suffisant de gravité pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention (voir Price, ibidem).
77. De fait, tous les contrôles médicaux effectués jusqu’à la réincarcération du requérant n’avaient fait que confirmer le diagnostic du syndrome de Wernicke-Korsakoff initialement posé. Demeurant marqué par une dégradation de la mémoire de fixation et antérograde ainsi que des défaillances cognitives, l’état de santé du requérant avait été jugé constamment inconciliable avec la détention (paragraphes 17 à 22 ci-dessus).
La Cour n’aperçoit aucun élément susceptible de remettre en cause ces constats (paragraphe 40 ci-dessus ; Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, p. 17, §§ 29-30) et, pour les raisons qui suivent, elle est également convaincue qu’aucune évolution propre à remettre ces constats en cause n’était survenue ni pendant la détention litigieuse, ni plus tard.
78. En effet, le 10 septembre 2004, à savoir bien après la remise en liberté du requérant, celui-ci a été examiné par le comité d’experts de la Cour. Ce dernier a relevé chez M. Yıldız la persistance d’un syndrome cérébelleux tant statique que cinétique, lequel se manifestait par des troubles de l’équilibre, de la marche et de la coordination motrice. Le requérant présentait aussi d’importantes difficultés de concentration, un déclin intellectuel général et des troubles de mémoire accompagnés de nombreuses intrusions (paragraphe 40 ci-dessus).
79. Partant, le comité d’experts a conclu, à l’unanimité, que M. Yıldız souffrait des séquelles neurologiques nettes d’un syndrome de Wernicke-Korsakoff, le rendant inapte à endurer sa maladie en prison.
80. Considérée ainsi, l’espèce n’est pas comparable avec l’affaire Papon c. France (no 1) que le Gouvernement invoque, ne serait-ce que parce que dans cette affaire il s’était avéré que l’état général de santé de M. Papon – qui, du reste, ne montrait aucun signe de dépendance – était qualifié de « bon, avec une conscience et une lucidité parfaites », et qu’il bénéficiait régulièrement « d’une surveillance et de soins médicaux, soit par le personnel médical et paramédical de l’établissement pénitentiaire, soit dans le cadre de consultations ou d’hospitalisations dans un environnement hospitalier ».
Sur ce dernier point et malgré le fait que le requérant ne se plaint pas expressément de l’absence de soins médicaux, il convient de souligner que le Gouvernement n’a pas été en mesure d’étayer la nature et l’adéquation du traitement qui aurait été prodigué au requérant pour le syndrome de Wernicke-Korsakoff lors de sa détention (paragraphe 66-68 ci-dessus). Un tel argument se comprendrait d’ailleurs mal, en ce qu’il ne fait que remettre en cause la pertinence de la libération provisoire accordée auparavant pour que le requérant puisse se faire soigner à l’extérieur de la prison.
81. Contrairement à ce que le Gouvernement affirme (paragraphe 67 ci-dessus), la Cour estime que la situation de M. Yıldız, exacerbée par sa réincarcération et son maintien en détention, a atteint un niveau suffisant de gravité pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.
De fait, cette situation n’était imputable qu’au dysfonctionnement du mécanisme de protection mis en place en Turquie (paragraphes 42-44, 46, 73 et 74 ci-dessus) qui, en pratique, s’est avéré défaillant quant à cet épisode des évènements.
Pour en aller autrement, il aurait fallu que les autorités dûment saisies par le requérant immédiatement après les faits litigieux (paragraphes 24 et 25 ci-dessus), fassent preuve d’une diligence particulière pour remédier à la situation avec célérité, en tenant compte de tous les tenants et aboutissants de l’affaire, sachant qu’en fin de compte tant l’arrestation que la détention prolongée de l’intéressé ne semblent avoir résulté que des défaillances de communication et des conflits de compétence entre diverses institutions répressives (paragraphes 26-30 ci-dessus).
82. Pareilles circonstances engagent la responsabilité des autorités de l’Etat au regard de l’article 3 de la Convention, sans que celles-ci puissent prétendre n’avoir rien à se reprocher dans l’enchaînement des événements à l’origine de la maladie du requérant (paragraphe 70 in fine ci-dessus). Car, quel que soit le mal que le requérant ait pu s’infliger en décidant d’entamer une grève de la faim de longue durée, cela ne dispense aucunement l’Etat de ses obligations face à de telles personnes, au regard de l’article 3 (pour les différentes discussions en la matière, voir Nevmerzhitsky c. Ukraine, no 54825/00, §§ 82 à 106, arrêt du 5 avril 2005).
Que le requérant ait omis de se présenter le 16 juillet 2004 à la chambre de spécialistes no 3 aux fins de son placement sous observation médicale (paragraphe 70 ci-dessus) ne tire pas non plus à conséquence. L’intérêt qu’on pouvait attendre d’une telle mesure aurait pu être assuré bien avant cette date, si les autorités compétentes n’avaient pas attendu trois mois pour renvoyer l’intéressé devant l’institut, ou toléré que son admission dans cet établissement soit refusé pour des raisons de formalité (paragraphe 29 ci-dessus).
83. En définitive, la Cour est d’avis que les autorités nationales qui ont décidé de réincarcérer le requérant le 21 novembre 2003 puis de le maintenir en détention jusqu’au 27 juillet 2004, au mépris de son état de santé inchangé, ne sauraient passer pour avoir réagi d’une manière cadrant avec les exigences de l’article 3 de la Convention.
La Cour y voit un traitement inhumain et dégradant à raison de la souffrance ainsi causée à M. Yıldız, et qui va au-delà de celle que comportent inévitablement une détention et le traitement d’une maladie telle que le syndrome de Wernicke-Korsakoff. Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.
84. La Cour entend souligner qu’il en irait forcément de même si les autorités turques décidaient à l’avenir de priver derechef le requérant de sa liberté, sans qu’il y ait un net changement dans son aptitude médicale à endurer une telle mesure.
III. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION
85. Le requérant se plaint d’avoir été arrêté, sans être dûment informé des raisons, du fait d’un mandat délivré à tort avant le terme du sursis dont il bénéficiait. Aussi fait-il grief de la durée excessive de son maintien en prison, tous ses recours visant à contester cette mesure s’étant avérés vains.
Il invoque à ces égards les dispositions suivantes de l’article 5 de la Convention :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci.
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...)
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
86. Dans sa requête, le requérant invoquait également, en substance, l’article 13 de la Convention, combiné avec les dispositions ci-dessus. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu de distinguer ce grief, dès lors que l’article 5 § 4 constitue un lex specialis par rapport à l’article 13.
A. Thèses des parties
87. Le Gouvernement souligne d’abord que la réincarcération litigieuse, fondée sur un mandat délivré dans le cadre d’une enquête pénale qui prête le flanc à aucune critique, était conforme tant à la législation interne qu’à la Convention.
Du reste, il précise que le requérant, qui s’est finalement vu libéré par les juridictions répressives d’Edirne, ne saurait prétendre n’avoir pas bénéficié d’un recours au sens de l’article 5 § 4.
88. Le requérant conteste ces thèses, faisant notamment valoir que sa libération est intervenue très tardivement, les autorités compétentes ayant choisi d’user des moyens de procédure dilatoires plutôt que d’assumer leurs responsabilités au regard de la Convention.
B. Appréciation de la Cour
89. Tout bien considéré, la Cour observe que les doléances exposées ci-dessus reprennent des éléments identiques ou similaires aux questions déjà traitées sous l’angle de l’article 3. Se référant aux constats qui l’ont amenés à conclure à une violation de cette disposition (paragraphes 70-84 ci-dessus), elle juge qu’en l’espèce il n’y a pas lieu d’examiner ces doléances séparément.
IV. SUR L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
90. Aux termes de l’article 46 de la Convention :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
91. Après s’être penchée de près sur les circonstances communément dénoncées dans les cinquante-trois affaires ayant fait l’objet de la mission d’enquête (paragraphe 4 ci-dessus) et soucieuse d’aider le gouvernement défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46 de la Convention, la Cour estime devoir indiquer maintenant, à titre exceptionnel, les mesures qui lui semblent aptes à pallier certains problèmes relevés quant au mécanisme officiel d’expertise médicolégale tel qu’il est mis en œuvre en Turquie (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 194, CEDH 2004-V).
92. Aux yeux de la Cour, le problème majeur est surtout lié à la pratique des magistrats consistant à délivrer des mandats impliquant l’arrestation d’une personne condamnée, mais qui bénéficie d’une libération provisoire pour motif médical (il s’agit notamment des « mandats d’amener » – mahkumlara mahsus yakalama müzekkeresi). Il ressort des dossiers examinés que de telles mesures sont prises dans l’un ou l’autre des trois cas suivants : lorsqu’il faut faire réexaminer l’intéressé par l’institut médicolégal (voir, par exemple, Uyan c. Turquie, no 7454/04, §§ 26, 27 et 52, 10 novembre 2005), lorsqu’il faut décider du sort de l’intéressé à l’expiration du délai de sursis qui lui avait été accordé (voir Özgür et 30 autres requêtes c. Turquie (déc.), nos 28480/04 et 25514/04, 10 novembre 2005, Ateş c. Turquie (déc.), no 14390/04, 10 novembre 2005, et Yılmaz c. Turquie (déc.), no 24030/04), ou bien lorsqu’il faut procéder à la réincarcération de l’intéressé, suite à un rapport médicolégal ultérieur et défavorable de l’institut médicolégal (Gürbüz c. Turquie, no 26050/04, §§ 33 et 34, 10 novembre 2005).
93. Or, dans les deux premiers cas susvisés, le but recherché pourrait être atteint au moyen d’invitations judiciaires (davetiye) ou de mandats à comparaître (ihzar müzekkeresi). Ces possibilités, du reste prévues par le code pénal, semblent être plus appropriées afin d’éviter qu’une personne atteinte d’une maladie a priori incompatible avec la vie carcérale, ne soit indûment réincarcérée pour ne passer qu’un contrôle médical.
94. S’agissant du troisième cas, la Cour observe une lacune procédurale. En effet, d’après l’article 15 de la loi no 2659 sur l’institut médicolégal, seul un procureur ou un juge est autorisé à remettre en cause les conclusions d’un rapport d’expertise devant la chambre plénière de l’institut (paragraphe 46 ci-dessus). Or c’est l’intéressé, qui du jour au lendemain se voit refuser la qualité de « malade grave », qui devrait avoir directement accès à un tel recours et pouvoir combattre le rapport médico-légal qui lui est défavorable (voir Gürbüz, précité, § 35 ; comparer, mutatis mutandis, avec Çıraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VII, pp. 3070-3071, §§ 29-32, et Erdoğdu c. Turquie, no 25723/94, § 34, CEDH 2000-VI).
95. Encore faudrait-il que l’exercice de ce recours par l’intéressé ait un effet suspensif sur la réincarcération jusqu’à ce que la chambre plénière de l’institut statue (voir Gürbüz, précité, § 51 ; comparer, mutatis mutandis, avec Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 65-84, CEDH 2002-I). En d’autres termes, pour décider de la réincarcération d’un condamné, qui jusqu’alors bénéficiait d’un sursis pour motif médical, les autorités devraient se fonder sur un rapport médicolégal devenu ainsi « définitif » après épuisement par l’intéressé du recours à prévoir dans le système judiciaire turc.
La Cour laisse à l’Etat défendeur le soin de prendre les mesures nécessaires à ces effets.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
96. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
97. Le requérant ne prétend à aucune réparation pour dommage matériel. En revanche, il revendique 50 000 euros (EUR) pour préjudice moral.
98. Le Gouvernement considère que ce montant est injustifié et excessif.
99. La Cour considère que l’intéressé a pu éprouver de forts sentiments d’angoisse en raison de sa détention et a subi un préjudice moral qui ne peut être réparé uniquement par le constat de violation.
Statuant en équité, elle alloue au requérant 10 000 EUR de ce chef.
B. Frais et dépens
100. Le requérant sollicite au total 4 560 EUR, qu’il ventile selon les honoraires de son avocate, les frais de traduction, de communication et de poste.
101. Le Gouvernement fait valoir qu’en l’absence de pièces justificatives, il y a lieu d’écarter la demande qui précède.
102. La Cour rappelle qu’au regard de l’article 41 de la Convention seuls peuvent être remboursés les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont d’un montant raisonnable (voir, entre autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II).
En l’espèce, elle observe que le requérant n’a produit ni justificatifs ni notes concernant ses prétentions. Il n’en reste pas moins qu’aux fins de la préparation de la présente affaire il a dû encourir certains frais.
Considérant les détails fournis, la Cour juge raisonnable d’octroyer à ce titre la somme de 2 000 EUR, charges fiscales éventuellement dues non comprises, moins les 715 EUR perçus du Conseil de l’Europe par la voie d’assistance judiciaire.
Le montant ainsi alloué sera à convertir à la date du règlement en nouvelles livres turques (YTL) et versé sur le compte bancaire indiqué par le requérant ou son conseil dûment habilité.
C. Intérêts moratoires
103. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Déclare irrecevable le grief tiré de l’article 5 § 5 de la Convention,
2. Déclare la requête recevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
4. Dit qu’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention au cas où le requérant serait réincarcéré sans qu’il y ait un net changement dans son aptitude médicale à endurer une telle mesure ;
5. Dit qu’il n’y pas lieu d’examiner la cause de plus sous l’angle de l’article 5 §§ 1 à 4 de la Convention ;
6. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date de règlement :
i. 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral ;
ii. 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, moins les 715 (sept cent quinze euros) perçus du Conseil de l’Europe par la voie d’assistance judiciaire ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 novembre 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Georg Ress Greffier Président
1. Dans sa composition antérieure au 1er novembre 2004.
2. Il s’agit des requêtes suivantes : Tamer TUNCER (no 14445/02), Turan TALAY (no 4824/03), Ergül ÇİÇEKLER (no 14899/03), Bekir BALYEMEZ (no 32495/03), Ferhan GÜLLÜ (no 1889/04), Ahmet ARSLAN (no 5114/04), Hacı Aziz HUN (no 5142/04), Serkan AYDOĞAN (no 7018/04), Sinan EREN (no 8062/04), Sait Oral UYAN (no 7454/04), Aslıhan GENÇAY (no 10057/04), İsmet ÖZDEMİR (no 10911/04), Kemal AKYÜZ (no 11244/04), Ayhan OHANCAN (no 13565/04), Necati ÖNDER (no 13449/04), Kemal BOLAT (no 13570/04), Zülfikar TARAF (no 14292/04), Tülin DAĞ (no 16827/04), Eylem ÇEVİK (no 17175/04), Elif ATEŞ (no 14390/04), Muhammet ŞAHİN (no 20767/04), Hüseyin AKIŞ (no 21294/04), Cemalettin GÜRZOĞLU (no 21862/04), Cengiz KUMANLI (no 24187/04), Fatime AKALIN (no 21844/04), Halit GÜNER (no 21827/04), Hasan Basri ÜNLÜ (no 22938/04), Mürüvvet KÜÇÜK (no 21784/04), Ayşe EĞİLMEZ (no 21798/04), Hüsne DAVRAN (no 21807/04), Hakkı ALPAN (no 22731/04), Murat KARAKUŞ (no 21780/04), Levent Can YILMAZ (no 24030/04), Günnaz KURUÇAY (no 24040/04), Savaş ERBEKTAŞ (no 24135/04), Cafer GÜRBÜZ (no 26050/04), Baki YAŞ (no 25514/04), Savaş KÖR (no 27151/04), Mesut DENİZ (no 27186/04), Yavuz ATEŞ (no 27370/04), Ali Musa AYDIN (no 27324/04), Hasan GÜLBAHAR (no 27375/04), Ali Rıza SEÇİK (no 28979/04), Murat BAHÇELİ (no 28915/04), Çiğdem Diren KIRKOÇ (no 28275/04), Dursun BÜTÜNER (no 28854/04), Menderes SADIKOĞULLARI (no 28904/04), Kasım AKSAKA (no 28895/04), Hüseyin ŞIKTAŞ (no 28925/04), Alişan YILMAZ (no 28967/04), İhsan CİBELİK (no 29223/04), Tahir ÖZGÜR (no 28480/04) et la présente requête, Tekin YILDIZ (no 22913/04).
3. Abréviations concernant le rapport médical :
- « le Comité » : le comité de trois experts de la Cour.
- « la chambre » : la chambre de spécialistes de l’Institut médicolégal ayant délivré le rapport médical auquel il est fait référence.
- « HUI » : l’hôpital universitaire d’İstanbul.
- « S-WK » : le syndrome de Wernicke-Korsakoff.
- « mesure de sursis » : mesure de sursis à exécution d’une peine d’emprisonnement pour motifs de santé, en vertu de l’article 399 du code de procédure pénale.
- « l’article 104 » : l’article 104 b) de la Constitution, habilitant le président de la République à gracier un condamné pour raison de maladie chronique ou d’invalidité.
ARRÊT TEKİN YILDIZ c. TURQUIE
ARRÊT TEKİN YILDIZ c. TURQUIE