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12/06/2007 | CEDH | N°70204/01

CEDH | AFFAIRE FREROT c. FRANCE


ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE FREROT c. FRANCE
(Requête no 70204/01)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juin 2007
DÉFINITIF
12/09/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Frérot c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (ancienne deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mm

es A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges   et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibé...

ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE FREROT c. FRANCE
(Requête no 70204/01)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juin 2007
DÉFINITIF
12/09/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. 
En l'affaire Frérot c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (ancienne deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,    J.-P. Costa,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    M. Ugrekhelidze,   Mmes A. Mularoni,    E. Fura-Sandström, juges   et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 mars 2006 et 22 mai 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 70204/01) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Maxime Frérot (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 mars 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Mes Christophe Nicolaÿ et Ludovic de Lanouvelle, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3.  Par des décisions des 11 mai 2004 et 28 mars 2006, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
4.  Le requérant a déposé des éléments de preuve complémentaires (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Le requérant est né en 1956. Il est détenu à la maison centrale de Lannemezan.
A. Les procédures
6.  Le requérant est un ancien membre de l'organisation Action directe, mouvement armé d'extrême gauche. Il fut incarcéré à la maison d'arrêt de Lyon le 1er décembre 1987 suite à deux mandats de dépôt délivrés par un juge d'instruction de Lyon.
7.  Le 29 juin 1989, le requérant fut condamné par la cour d'assisses du Rhône à la réclusion criminelle à perpétuité pour tentative d'homicide volontaire, vol avec arme, arrestation ou séquestration d'otage pour faciliter ou préparer un délit ou commettre un crime.
Par un arrêt du 14 octobre 1992, la cour d'assises de Paris le reconnut coupable d'assassinat, tentative d'assassinats et d'homicides volontaires, vol avec armes et recels de vols, association de malfaiteurs, détention et transports d'armes, falsification de chèques et usage, destruction ou détérioration d'objets ou biens immobiliers par l'effet de substances explosives et infraction à la législation sur les explosifs ; elle le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de dix-huit ans. Le 3 juillet 1995, cette même juridiction le condamna à trente ans de réclusion criminelle pour fabrication ou détention non autorisée de substances ou d'engins explosifs, vol, destruction de bien d'autrui et terrorisme.
8.  Le 25 septembre 1994, le requérant saisit le tribunal administratif de Versailles d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir de certaines dispositions des circulaires du garde des Sceaux, ministre de la Justice, des 14 mars et 19 décembre 1986, relatives respectivement à la fouille et aux correspondances écrites et télégraphiques des détenus. Il soutenait que ces circulaires contenaient des dispositions contraires aux décrets et lois en vigueur.
Il critiquait en particulier les modalités de la fouille intégrale telles que prévues par la notice technique annexée à la circulaire du 14 mars 1986, soutenant qu'elles étaient attentatoires à la dignité humaine et entraient ainsi en contradiction avec l'article D. 275 du code de procédure pénale. Il dénonçait en outre le fait que, par référence à l'article D. 174 du code de procédure pénale, cette circulaire donnait la possibilité au personnel de l'administration pénitentiaire d'utiliser la force pour contraindre les détenus à se soumettre à ces actes humiliants.
Par ailleurs, le requérant dénonçait le fait que la circulaire du 19 décembre 1986 définit la « correspondance » comme étant « une relation par écrit entre deux personnes nommément désignées, qui se distingue des bulletins, lettres, circulaires, tracts, imprimés dont le contenu ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire ». Il soulignait que cette définition, basée sur le contenu de l'écrit, entre en contradiction avec la liberté de correspondance consacrée tant par le droit interne – lequel ne limiterait pas le nombre de lettres reçues et envoyées par les condamnés et détenus et leur garantirait le libre choix de leurs correspondants – que par les articles 9 et 10 de la Convention ; selon lui, elle introduisait ainsi des restrictions non prévues par la loi et donnait aux chefs d'établissement un pouvoir de censure arbitraire. Il ajoutait qu'en privant les personnes placées en cellule de punition de la possibilité de correspondre avec leurs amis ou relations et les visiteurs de prison, la circulaire fixait des conditions plus restrictives que celles de l'article D. 169 du code de procédure pénale, lequel se bornerait à prévoir des restrictions à la correspondance.
Le requérant précisait que la direction de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis l'envoyait régulièrement en quartier disciplinaire en raison de son refus d'ouvrir la bouche lors des fouilles intégrales, ceci en application de la première des circulaires précitées. Il ajoutait que, le 28 juin 1993, faisant référence à la seconde de ces circulaires, le directeur de la maison d'arrêt avait refusé d'acheminer une lettre qu'il avait adressée à un ami incarcéré ailleurs – destinée à fournir à ce dernier des informations de nature à l'aider à présenter une demande de libération conditionnelle – au motif que cette lettre « ne correspond[ait] pas à la définition de la notion de correspondance ».
Par une ordonnance enregistrée le 21 novembre 1994 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif transmit la requête à la haute juridiction administrative. Le 8 décembre 2000, le Conseil d'Etat rendit l'arrêt suivant :
« Sur la circulaire du garde des Sceaux, ministre de la justice en date du 14 mars 1986 relative à la fouille des détenus :
Considérant qu'aux termes de l'article D. 275 du code de procédure pénale, dans sa rédaction en vigueur à la date de la circulaire attaquée : « Les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l'établissement l'estime nécessaire./ Ils le sont notamment à leur entrée dans l'établissement et chaque fois qu'ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit. Ils peuvent également faire l'objet d'une fouille avant et après tout parloir ou visite quelconque./ Les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » ;
Considérant en premier lieu que M. Frérot poursuit l'annulation des dispositions de la circulaire du 14 mars 1986 par lesquelles le garde des Sceaux, ministre de la justice, a prévu que les détenus pourraient être soumis à des fouilles intégrales, au cours desquelles ils seraient contraints de se déshabiller complètement en présence d'un agent de l'administration pénitentiaire, et fixé les modalités d'exécution de ces fouilles ;
Considérant que, même en l'absence d'un texte législatif ou réglementaire l'y habilitant expressément, le garde des Sceaux, ministre de la justice avait, en sa qualité de chef de service, le pouvoir de déterminer certaines des conditions dans lesquelles les fouilles de détenus seraient effectuées en application des dispositions de l'article D. 275 du code de procédure pénale ; qu'ainsi, M. Frérot n'est pas fondé à soutenir que le garde des Sceaux, ministre de la justice, n'aurait pas été compétent pour édicter les dispositions contestées de la circulaire du 14 mars 1986 ;
Considérant que les dispositions contestées de la circulaire du 14 mars 1986 tendent à « s'assurer que les détenus ne détiennent sur eux aucun objet ou produit susceptible de faciliter les agressions ou les évasions, de constituer l'enjeu d'un trafic ou permettre la consommation de produits ou substances toxiques » ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les buts ainsi énoncés pourraient être atteints dans des conditions équivalentes sans qu'il soit nécessaire de pratiquer des fouilles intégrales ; que les dispositions attaquées prévoient que la fouille intégrale doit être normalement effectuée par un seul agent, lequel ne peut avoir de contact avec le détenu « à l'exception (...) du contrôle de la chevelure », et qu'elle doit être exécutée dans un local réservé à cet usage sauf si la disposition des lieux ne le permet pas, « hors la vue des autres détenus ainsi que de toute personne étrangère à l'opération elle-même » ; que, compte tenu des mesures prévues pour protéger l'intimité et la dignité des détenus, et eu égard aux contraintes particulières afférentes au fonctionnement des établissements pénitentiaires, le garde des Sceaux, ministre de la justice, n'a ni porté une atteinte disproportionnée au principe posé par l'article 3 de la Convention (...), ni méconnu les dispositions de l'article D. 275 du code de procédure pénale en vertu desquelles les fouilles de détenus doivent être effectuées « dans des conditions qui (...) préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » ;
Considérant qu'il suit de là que M. Frérot n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions analysées ci-dessus de la circulaire du 14 mars 1986 ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article D. 174 du code de procédure pénale, alors en vigueur : « Le personnel de l'administration pénitentiaire ne doit utiliser la force envers les détenus qu'en cas de légitime défense, de tentative d'évasion ou de résistance par la violence ou par l'inertie physique aux ordres donnés./ Lorsqu'il y recourt, il ne peut le faire qu'en se limitant à ce qui est strictement nécessaire » ; qu'en rappelant, par la circulaire du 14 mars 1986, que le refus d'un détenu de se soumettre à une fouille peut donner lieu à une sanction disciplinaire et, si l'intéressé persiste dans son refus, au recours à la force dans les conditions prévues par les dispositions précitées, le garde des Sceaux, ministre de la justice, n'a pas édicté une règle nouvelle ; que, par suite, les conclusions de M. Frérot dirigées contre les mentions de cette circulaire relatives aux conséquences du refus d'un détenu de se soumettre à une fouille ne sont pas recevables ;
Sur la circulaire du garde des Sceaux, ministre de la justice, en date du 19 décembre 1986 relative aux correspondances écrites et télégraphiques des détenus :
Considérant qu'aux termes de l'article D. 169 du code de procédure pénale en vigueur à la date de la circulaire attaquée : « La mise en cellule de punition (...) comporte des restrictions à la correspondance autre que familiale. Toutefois, les détenus conservent la faculté de communiquer librement avec leur conseil (...) » ;
Considérant que, par les dispositions contestées de sa circulaire du 19 décembre 1986, le garde des Sceaux, ministre de la justice, a spécifié que les prévenus et condamnés placés en cellule de punition ne seraient pas autorisés, durant la mise en cellule de punition, à correspondre « avec leurs amis ou leurs relations » et avec les visiteurs de prison ; que ces dispositions, qui sont impératives, revêtent une nature réglementaire ; que, du fait de leur caractère général, elles méconnaissent les dispositions réglementaires ci-dessus rappelées et portent une atteinte illégale à la liberté de correspondance dont les détenus doivent continuer à bénéficier même pendant leur placement en cellule de punition, sous réserve des restrictions pouvant être décidées par le chef de l'établissement pénitentiaire ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens évoqués par M. Frérot, celui-ci est recevable et fondé à demander l'annulation desdites dispositions ;
Sur la décision du directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis refusant l'acheminement d'une correspondance de M. Frérot :
Considérant que la décision par laquelle le directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a refusé d'acheminer un courrier adressé par M. Frerot à un autre détenu le 28 juin 1993 présente, quel que soit le contenu de cette correspondance, le caractère d'une mesure d'ordre intérieur ; qu'ainsi, elle ne peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que les conclusions sus analysées sont entachées d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance, et doivent, dès lors, être rejetées ;
Sur les décisions des directeurs des maisons d'arrêt de Fleury-Mérogis et de Fresnes plaçant M. Frerot en cellule de punition :
Considérant qu'au soutien de ses conclusions dirigées contre plusieurs décisions des directeurs des maisons d'arrêt de Fleury-Mérogis et de Fresnes le plaçant en cellule de punition, M. Frérot se borne à exciper de l'illégalité de celles des dispositions de la circulaire du 14 mars 1986 dont il poursuit l'annulation par la présente requête ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de ces décisions ;
DECIDE
Article 1er : La circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 19 décembre 1986 est annulée en tant qu'elle interdit toute correspondance des prévenus et condamnés mis en cellule de punition « avec leurs amis ou leurs relations » et avec les visiteurs de prison.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Frérot est rejeté.
B. Les indications fournies par le requérant quant aux modalités de sa détention
9.  Placé à l'isolement dès le 2 décembre 1987, le requérant est en détention ordinaire depuis le 22 décembre 1990. Il est enregistré comme « détenu particulièrement signalé » (DPS), ce dont il n'aurait jamais reçu notification.
Il fut incarcéré dans divers établissements pénitentiaires : dans les maisons d'arrêt de Lyon (de début décembre 1987 à janvier 1988), de la Santé (de janvier à mars 1988), de Fleury-Mérogis (de mars 1988 à mai 1989), de Lyon (de mai à septembre 1989), de Bourgoin-Jallieu (mi-septembre 1989), de Fleury-Mérogis (de septembre à décembre 1989), de Bois d'Arcy (de décembre 1989 à décembre 1990), de la Santé (de décembre 1990 à décembre 1991), de Fleury-Mérogis (de décembre 1991 à septembre 1994), de Fresnes (de septembre 1994 à décembre 1996) et des Baumettes (décembre 1996), et dans les maisons centrales d'Arles (de décembre 1996 à décembre 2003) et de Lannemezan (depuis décembre 2003).
10.  A l'issue du procès de juin 1989 et jusqu'à son transfert – en septembre 1989 – à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, le requérant a bénéficié d'un régime de détention ordinaire à la maison d'arrêt de Lyon puis de Bourgoin-Jallieu ; en dépit d'activités très limitées et d'un regroupement avec les autres DPS, il avait la permission d'assister à la messe et d'accéder à la salle de musculation avec les autres détenus. Cependant, à son arrivée à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, il fut de nouveau mis à l'isolement total, sans justification de l'administration. Ce régime fut maintenu à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy où il n'a pu bénéficier de promenades avec un codétenu qu'à la suite d'une grève de la faim de huit jours ; l'isolement ne fut levé qu'après son transfert à la maison d'arrêt de la Santé, où, comme à Fleury-Mérogis ensuite, il eut accès à la salle de sport, à la cour de promenade en commun, à la messe et aux cours d'informatique. Cependant, en 1993, à Fleury-Mérogis, il fut, sur ordre de la direction, réveillé chaque jour par la ronde de cinq heures du matin pendant un mois ; il précise qu'il était le seul détenu à être concerné par cette mesure et que ses protestations lui ont valu d'être placé en cellule disciplinaire durant huit jours.
11.  Le 15 mars 1993, à Fleury-Mérogis, le requérant fut contraint pour la première fois d'ouvrir la bouche au cours d'une fouille intégrale ; son refus d'obtempérer lui valut d'être placé en quartier disciplinaire. De fin janvier 1994 au 26 septembre 1994 (date de son transfert à Fresnes) il s'est vu exiger d'ouvrir la bouche à l'issue d'un parloir, lors de deux sorties de l'établissement et à l'occasion de toutes les fouilles intégrales inopinées, lesquelles se sont multipliées à la « fréquence inhabituelle » de trois tous les deux mois.
12.  Le 26 septembre 1994, en raison de ses refus de se soumettre et de ses envois répétés en quartier disciplinaire, il fut transféré à la maison d'arrêt de Fresnes, plus axée sur la sécurité. Il y fut placé dans le quartier DPS (jusqu'en juin 1995), où il n'y avait qu'un autre détenu gravement malade ; cela impliqua pour lui une « désocialisation oppressante », ce qu'il dénonça en entamant le 20 décembre 1994 une grève de la faim de vingt-cinq jours. Il y fut en outre, de septembre 1994 à septembre 1996, après chaque parloir, soumis à une fouille intégrale incluant désormais l'obligation « de se pencher et de tousser » ; ses refus d'obtempérer lui valurent d'être placé en cellule disciplinaire. Il fut en outre soumis à une telle fouille le 19 juin 1995, à l'issue de la première audience de son procès de 1995 devant la cour d'assises de Paris, alors même qu'il était constamment resté sous la garde des forces de police ou enfermé, seul, dans une cellule ; son refus lui valut un envoi immédiat en quartier disciplinaire. Sa situation ne s'est améliorée à cet égard que vers la fin du mois de juin 1995, après qu'il eut dénoncé ses conditions de détention au cours d'une audience devant la cour d'assises.
13.  Le requérant produit deux attestations établies les 7 novembre 2005 et 28 mai 2006 par M. Gabriel Mouesca, président de la section française de l'Observatoire international des prisons, ancien détenu à la maison d'arrêt de Fresnes entre 1988 et 1996. Elles certifient qu'en 1994, 1995 et 1996 l'ensemble des prisonniers y étaient systématiquement soumis à la fouille intégrale au retour du parloir. M. Mouesca ajoute qu'en 1995, ayant à une occasion refusé de s'y soumettre, il fit l'objet d'une procédure disciplinaire et d'un maintien en cellule disciplinaire durant huit jours.
14.  Le requérant produit une autre attestation, établie le 23 mai 2006 par Mme Héléna Mêtchédé, visiteuse de prison, indiquant qu'il a enduré des « humiliations inhumaines et un isolement non-dit » durant ses deux années de détention à Fresnes. Dans ce document, se référant à quatre lettres – jointes – que lui avait adressées le requérant les 25 octobre, 1er et 10 décembre 1994 et 11 janvier 1995, Mme Mêtchédé évoque le refus opposé aux demande de ce dernier, tendant à être autorisé à suivre des cours d'informatique, à se rendre à la messe et à pratiquer du sport avec d'autres détenus. Elle ajoute que le requérant a été privé d'affaires et effets personnels, qu'il n'a jamais eu de réponse à ses courriers de réclamation, qu'il a fait l'objet de fouilles intégrales à corps après chaque rencontre au parloir avec sa mère – et qu'en conséquence de son refus de s'y prêter, il était placé au « mitard » « à titre de prévention » (ce qui le privait des rencontres postérieures avec sa mère, qui venait de Nice tous les trois mois pour une semaine) – qu'il a subi à deux reprise une fouille de cette nature durant sa grève de la faim et que les autorités ont fait preuve de négligences à son égard à cette occasion.
Dans son attestation, Mme Mêchédé indique avoir rencontré le requérant à Fresnes le 14 mars 1996 et avoir pu mesurer à cette occasion « combien étaient grandes sa souffrance et sa détresse mais aussi combien il les endurait dignement » ; elle conclut ainsi :
« (...) Effectivement ces pénibles tracasseries répétées n'ont pas anéanti la force de réaction contrôlée de Maxime Frérot ; tout cet acharnement sur sa personne n'a pas réussi à faire de lui un soumis ou un désespéré, mais au contraire, ces vilénies ont certainement contribué à renforcer son sens du combat pour le respect des droits élémentaires des détenus. Même dans les plus grandes souffrances et les moments de ras-le-bol qui peuvent atteindre les plus forts et qu'a vécu très longtemps Maxime Frérot, il est parvenu à gérer et à intégrer ces sentiments de désarroi dans son quotidien ; ses moments de colère, de révolte, n'ont pas atteint sa raison et il n'a pas sombré dans le désespoir qui peut conduire un être accablé à l'irréparable à l'égard des autres ou de soi. (...) »
15.  Le requérant produit deux autres attestations. L'une, établie le 5 octobre 2005 par M. Werner Burki, ancien aumônier général des prisons, confirme qu'il n'était pas autorisé à participer à la messe lorsqu'il était détenu à Fresnes, ainsi que la « grande désespérance » dans laquelle cela l'avait plongé. L'autre, rédigée par sa mère et datée du 8 mai 2005, témoigne de son régime de détention, quant aux fouilles en particulier.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
16.  Aux termes de l'article 728 du code de procédure pénale, « un décret détermine l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires ».
A. La fouille des détenus
1. Le code de procédure pénale
17.  Dans sa version en vigueur à l'époque des faits de la cause, l'article D. 275 du code de procédure pénale était ainsi libellé :
« Les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l'établissement l'estime nécessaire.
Ils le sont notamment à leur entrée dans l'établissement et chaque fois qu'ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit. Ils peuvent également faire l'objet d'une fouille avant et après tout parloir ou visite quelconque.
Les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. »
D'autres dispositions du code de procédure pénale prévoient la fouille des détenus à leur arrivée dans l'établissement (article D. 284), avant transfèrement ou extradition (article D. 294) et avant et après entretien au parloir (article D. 406).
18.  Constitue une faute disciplinaire des deuxième et troisième degrés, respectivement, le fait pour un détenu de refuser de se soumettre à une mesure de sécurité définie par les règlements et instructions de service (article D. 249-2 6o du code de procédure pénale) et le fait de refuser d'obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l'établissement (article D. 249-3 4o du code de procédure pénale). Une telle faute peut, à titre de sanction disciplinaire, fonder notamment le confinement de son auteur en cellule disciplinaire durant un certain temps (article D. 251-2 du même code). Le chef d'établissement ou un membre du personnel ayant reçu délégation écrite à cet effet peut, à titre préventif et sans attendre la réunion de la commission de discipline, décider le placement du détenu dans une cellule disciplinaire si les faits constituent une faute du deuxième degré et si la mesure est l'unique moyen de mettre fin à la faute ou de préserver l'ordre à l'intérieur de l'établissement (article D. 250-3 du même code).
19.  L'article D. 283-5 (ancien article D. 174) du code de procédure pénale est rédigé comme suit :
« Le personnel de l'administration pénitentiaire ne doit utiliser la force envers les détenus qu'en cas de légitime défense, de tentative d'évasion ou de résistance par la violence ou par l'inertie physique aux ordres donnés.
Lorsqu'il y recourt, il ne peut le faire qu'en se limitant à ce qui est strictement nécessaire. »
2. La circulaire du 14 mars 1986 relative à la « fouille des détenus »
20.  La circulaire no A.P.86-12 G1 du garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 14 mars 1986, relative à la « fouille des détenus », est ainsi libellée :
« L'administration pénitentiaire, chargée d'exécuter les décisions privatives de liberté ordonnées par l'autorité judiciaire, a pour fonction première d'assurer la garde des personnes détenues. Cette mission, qui implique nécessairement que soient maintenus la sécurité et l'ordre dans les établissements pénitentiaires, doit cependant toujours s'exercer dans le respect de la dignité de la personne humaine.
La difficulté de concilier ses deux impératifs s'exprime tout particulièrement lors des fouilles intégrales qui contraignent le personnel pénitentiaire à porter atteinte à l'intimité des détenus, le recours au matériel de sécurité moderne ne pouvant en effet dans ce domaine se substituer à l'intervention active des personnels.
La finalité des fouilles est d'assurer que les détenus ne détiennent sur eux aucun objet ou produit susceptible de faciliter les agressions ou les évasions, de constituer l'enjeu de trafic ou permettre la consommation de produits ou substances toxiques.
L'expérience démontre à cet égard, en raison de l'ingéniosité dont sont susceptibles de faire preuve certains détenus, qu'il est indispensable de procéder non seulement à des fouilles par palpation mais également à des fouilles intégrales.
Ces dernières doivent être réalisées dans des conditions propres à assurer leur efficacité mais également le respect de la dignité des détenus et celle des agents chargés de les réaliser conformément aux dispositions de l'article D. 275 du code de procédure pénale telles qu'elles résultent du décret du 6 août 1985.
Section I : Les différentes formes de fouilles personnelles et les conditions de leur réalisation
Les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe.
La fouille par palpation s'effectue sans qu'il soit demandé au détenu de se dénuder. En revanche, la fouille intégrale suppose que le détenu se déshabille complètement en présence d'un agent.
Contrairement à la fouille par palpation, la fouille intégrale proscrit tout contact entre le détenu et l'agent à l'exception toutefois du contrôle de la chevelure.
Les fouilles intégrales doivent être effectuées dans un local réservé à cet usage dans lequel la température demeure acceptable en toutes saisons et situé de telle sorte que, tout à la fois, les moyens d'alerte et de sécurité soient efficaces mais, qu'en même temps, la fouille du détenu s'effectue hors de la vue des autres détenus ainsi que de toute personnes étrangères à l'opération elle-même.
Les fouilles intégrales collectives sont prohibées. Les détenus doivent en conséquence pénétrer un à un dans le local réservé à cet effet.
Le nombre d'agents chargés de la fouille intégrale doit être strictement limité aux besoins évalués en prenant en compte les circonstances et la personnalité du détenu. D'une manière habituelle et s'agissant de détenus de la part desquels aucun incident particulier n'est à redouter, la fouille sera effectuée par un seul agent.
Si les contraintes architecturales ne permettent pas de réserver un local de fouille individuelle, il convient d'isoler le détenu subissant la fouille intégrale du reste de la population pénale au moyen d'un système mobile de séparation (paravent, rideaux etc.).
Les détenus ne peuvent refuser de se soumettre aux fouilles sous peine de sanctions disciplinaires. Dans la mesure où un détenu s'obstinerait dans son refus, la force peut le cas échéant être employée (article D. 174 du code de procédure pénale).
Les modalités pratiques de réalisation des fouilles font l'objet d'une fiche technique annexée à la présente circulaire.
Section II : Circonstances à l'occasion desquelles il est procédé aux fouilles
I. Fouilles intégrales
A) A l'entrée et à la sortie de l'établissement
Les fouilles intégrales s'effectuent systématiquement à l'égard des détenus tant à l'entrée qu'à la sortie de l'établissement.
1) A l'entrée
Lors de son écrou à l'établissement, il doit être procédé systématiquement à la fouille intégrale du détenu que ce dernier vienne de l'état de liberté, qu'il ait fait l'objet d'un transfèrement ou d'une translation judiciaire.
De même, une fouille intégrale est obligatoirement effectuée lorsque le détenu réintègre l'établissement à l'issue d'une extradition judiciaire, ou médicale ou d'une permission de sortir. Sont fouillés dans les mêmes conditions les détenus qui réintègrent l'établissement à l'issue d'un placement à l'extérieur sans surveillance continue du personnel pénitentiaire ou dans le cadre de la semi-liberté dès lors que les conditions d'hébergement les conduisent à se trouver en contact avec des détenus qui ne bénéficient pas du même régime.
2) A la sortie
Tout détenu faisant l'objet d'une levée d'écrou que ce soit avant un transfèrement, une extradition ou un élargissement est fouillé intégralement avant de quitter l'établissement.
Il en va de même de ceux qui font l'objet d'une extradition pour raison administrative, judiciaire ou médicale (hospitalisation ou consultation en milieu extérieur).
Les bénéficiaires d'une permission de sortir sont fouillés avant leur départ en permission, ainsi que les détenus placés à l'extérieur sans surveillance continue du personnel pénitentiaire.
B) A l'occasion des mouvements à l'intérieur de la détention
Il est procédé systématiquement à la fouille intégrale des détenus :
- à l'issue de la visite de toute personne (parents, amis, avocats) titulaire d'un permis de visite délivré en application des articles D. 64 et D. 403 dès lors que l'entrevue s'est déroulée dans un parloir ne comportant pas de dispositif de séparation ;
- avant tout placement en cellule de punition ou d'isolement. Afin d'éviter tout risque d'altercation, il est souhaitable que l'agent qui effectue cette fouille ne soit pas celui qui a constaté l'incident entraînant placement au quartier disciplinaire.
C) Fouilles inopinées
Outre les cas visés aux articles précédents, il est, toutes les fois que le chef d'établissement ou l'un de ses collaborateurs directs l'estime nécessaire, procédé de manière inopinée à la fouille intégrale d'un ou de plusieurs détenus.
Ces fouilles qui, sauf urgence, doivent faire l'objet de consignes écrites peuvent être notamment effectuées à l'occasion des mouvements en détention (promenades, ateliers, salles d'activités).
Elles concernent principalement, mais non exclusivement, les détenus particulièrement signalés, les prévenus, ainsi que ceux dont la personnalité et les antécédents rendent nécessaire l'application de mesures de contrôle approfondies.
II. Circonstances à l'occasion desquelles sont effectuées les fouilles par palpation
Les fouilles par palpation sont effectuées toutes les fois que le chef d'établissement le prescrit, et notamment lors des mouvements tant individuels que collectifs des détenus au sein de la détention, sur la base, sauf urgence, de consignes écrites.
Les détenus se rendant aux parloirs font l'objet d'une fouille par palpation, sauf consigne particulière du chef d'établissement prévoyant, en raison de la personnalité d'un détenu, des circonstances, ou au titre des fouilles inopinées, une fouille intégrale.
Sans méconnaître les difficultés tant matérielles que psychologiques qu'impose aux surveillants la réalisation de ces fouilles, il importe que l'attention de chacun d'eux soit appelée à l'importance que revêt la stricte application des présentes instructions pour la protection de l'ensemble des personnels et la bonne exécution de la mission de garde qui incombe à l'institution pénitentiaire.
Les chefs d'établissement et les cadres devront veiller avec un soin particulier à ce que les consignes qu'il est de leur responsabilité de donner aux agents dans ce domaine soient correctement appliquées.
Les responsables de la formation s'attacheront, tant à l'école nationale d'administration pénitentiaire que dans les établissements, à expliquer aux stagiaires et aux jeunes fonctionnaires que, dans ce domaine tout particulièrement, la bonne exécution des consignes passe tout à la fois par l'acquisition de techniques mais également par une approche psychologique adaptée.
NOTE TECHNIQUE
A) La fouille par palpation
Le détenu se tient debout, face à l'agent, les bras et les jambes écartées, la paume des mains dirigée vers celui-ci et les doigts des mains écartés.
L'agent procède en cas de besoin au contrôle de la chevelure, des oreilles et du col de l'intéressé.
Il place ensuite ses mains sur les omoplates du détenu en l'entourant de ses bras et en les passant, si nécessaire, sous la veste déboutonnée puis il les fait glisser des épaules à la ceinture de l'intéressé en suivant la colonne vertébrale.
L'agent poursuit de la sorte son contrôle en inspectant si besoin est la ceinture, les poches revolver du pantalon avant de continuer par l'arrière des cuisses, le pli des genoux, les mollets et enfin les chevilles.
Après cette inspection de la partie dorsale, il reprend son mouvement en repartant du niveau du buste de l'intéressé et plus particulièrement de sa poitrine en vérifiant si nécessaire les poches de la chemise située à cet endroit avant de faire de même pour la ceinture, les poches du devant du pantalon et de poursuivre son contrôle des aines jusqu'à la face avant des chevilles.
B) La fouille intégrale
L'agent, après avoir fait éloigner le détenu de ses effets, procède à sa fouille corporelle selon l'ordre suivant.
Il examine les cheveux de l'intéressé, ses oreilles et éventuellement l'appareil auditif, puis sa bouche en le faisant tousser mais également en lui demandant de lever sa langue et d'enlever, si nécessaire, la prothèse dentaire.
Il effectue ensuite le contrôle des aisselles en faisant lever et baisser les bras avant d'inspecter les mains en lui demandant d'écarter les doigts.
L'entrejambe d'un individu pouvant permettre de dissimuler divers objets, il importe que l'agent lui fasse écarter les jambes pour procéder au contrôle.
Dans les cas précis des recherches d'objet ou de substance prohibés, il pourra être fait obligation au détenu de se pencher et de tousser. Il peut également être fait appel au médecin qui appréciera s'il convient de soumettre l'intéressé à une radiographie ou un examen médical afin de localiser d'éventuels corps étrangers.
Il est procédé ensuite à l'examen des pieds du détenu et notamment de la voûte plantaire et des orteils.
Tout en rendant ses vêtements au détenu dans l'ordre inverse duquel il les a enlevés l'agent procède à leur contrôle en s'attachant à vérifier notamment les coutures, ourlets, doublures et plus particulièrement les chaussures et s'assurant que celles-ci ne comportent pas de caches dissimulées. »
B. La correspondance écrite des détenus
1. Le code de procédure pénale
21.  Les articles pertinents du code de procédure pénale sont les suivants :
Article D. 414
« Les détenus condamnés peuvent écrire à toute personne de leur choix et recevoir des lettres de toute personne.
Le chef d'établissement peut toutefois interdire la correspondance occasionnelle ou périodique avec des personnes autres que le conjoint ou les membres de la famille d'un condamné lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement la réinsertion du détenu ou la sécurité et le bon ordre de l'établissement. Il informe de sa décision la commission de l'application des peines ».
Article D. 415
« Les lettres adressées aux détenus ou envoyées par eux doivent être écrites en clair et ne comporter aucun signe ou caractère conventionnel.
Elles sont retenues lorsqu'elles contiennent des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires. »
Article D. 416
« Sous réserve des dispositions des articles D. 69, D. 262, D. 438 et D. 469, les lettres de tous les détenus, tant à l'arrivée qu'au départ, peuvent être lues aux fins de contrôle.
Celles qui sont écrites par les prévenus, ou à eux adressées, sont au surplus communiquées au magistrat saisi du dossier de l'information dans les conditions que celui-ci détermine.
Les lettres qui ne satisfont pas aux prescriptions réglementaires peuvent être retenues. »
Article D. 417
« Les détenus peuvent écrire tous les jours et sans limitation (...) »
2. La circulaire du 29 décembre 1986 relative aux « correspondances écrites et télégraphiques de détenus »
22.  La circulaire no A.P.86.29.G1 du garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 29 décembre 1986, relative aux « correspondances écrites et télégraphiques de détenus » (publiée au journal officiel ; octobre-décembre 1986, p. 134), est ainsi libellée :
« Chapitre I – Correspondance de détenus
En fonction de leur destinataire, la correspondance des détenus s'effectue soit sous pli ouvert (première partie) soit sous pli fermé (deuxième partie).
Première partie – correspondance sous pli ouvert
Section 1 : Définition de la notion de correspondance
1. La correspondance est une relation par écrit entre deux personnes nommément désignées qui se distingue des bulletins, lettres, circulaires, tracts, imprimés dont le contenu ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire.
Section 2 : Personnes avec lesquelles la correspondance s'effectue sous pli ouvert
2. La correspondance sous pli ouvert est le mode normal de communication écrite des détenus.
Ils correspondent en effet de la sorte avec la plupart de leurs correspondants soit en l'occurrence avec les membres de leur famille, leurs amis, leurs relations, les visiteurs de prison mais également avec les autorités diplomatiques et consulaires en poste en France.
Section 3 : Les caractéristiques de la correspondance sous pli ouvert.
Les caractéristiques de la correspondance sous plis ouverts sont constituées par le principe de la liberté de correspondance tel qu'il est reconnu par les dispositions du code de procédure pénale, aux prévenus et aux condamnés (§ 1) mais également par les limitations qui sont apportées à ce principe (§ 2) et enfin, par les modalités de contrôle (§ 3).
§ 1 : Le principe de la liberté de correspondance
A. Pour les prévenus
3. Par principe, en application de l'article D. 65 du code de procédure pénale, les prévenus peuvent écrire tous les jours et recevoir de toute personne de leur choix des lettres telles que définies au point 1 de la présente circulaire et ce, sans aucune limitation de nombre ni restriction quant à leur longueur.
B. Pour les condamnés
4. Par principe et quel que soit le type d'établissement dans lequel ils sont détenus, les condamnés peuvent écrire et recevoir de toute personne de leur choix des correspondances telles que définies au point 1 de la présente circulaire (article D. 414 du code de procédure pénale).
Il y a lieu de considérer que les dispositions de l'article D. 65 dudit code relatives à l'absence de limitation du nombre et de la longueur des lettres pouvant être écrites ou reçues par les prévenus, sont applicables également aux condamnés.
§ 2 : Limitations au principe de la liberté de correspondance
5. Si les détenus peuvent communiquer librement avec toute personne de leur choix il n'en demeure pas moins que ce principe subit des exceptions lors du placement de l'intéressé en cellule de punition (A) ou à la suite d'une décision de l'autorité compétente (B).
A. Mise en cellule de punition
6. Les prévenus et les condamnés mis en cellule de punition, ne sont plus autorisés, durant leur mise en cellule de punition, à correspondre :
- avec leurs amis ou leurs relations ;
- avec les visiteurs de prison.
En revanche, ils peuvent continuer à communiquer par écrit avec :
- leur conjoint et avec les membres de leur famille (article D. 169 du code de procédure pénale) ;
- avec les représentants diplomatiques et consulaires de l'Etat dont ils sont ressortissants.
B. Par décision de l'autorité compétente
a) Prévenus
7. Les restrictions au droit de correspondance, que le magistrat saisi du dossier de l'information du prévenu peut ordonner en application des articles 116 et D. 65 du code de procédure pénale, sont portées à la connaissance du chef d'établissement au moyen de la notice individuelle du prévenu (...).
b) Condamnés
9. Le chef d'établissement peut, en application de l'article D. 414 du code de procédure pénale, apporter des restrictions au droit de correspondance lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement la réadaptation du détenu ou la sécurité et le bon ordre de l'établissement.
La commission de l'application des peines doit être informée de cette décision, qui, en aucun cas, ne peut concerner le conjoint ou les membres de la famille du détenu.
§ 3 : Contrôle des correspondances
Par définition, et sans que cela porte atteinte au principe de liberté de correspondance défini ci-dessus, les correspondances sous plis ouverts doivent être contrôlées. Elles peuvent être retenues dans les conditions définies par le code de procédure pénale.
A. Les modalités de contrôle
11. S'agissant de correspondances sous pli ouvert susceptibles d'être contrôlées elles sont remises ouvertes tant à l'arrivée qu'au départ.
C'est ainsi que les détenus remettent leur correspondance dans des enveloppes non cachetées et que le courrier qui leur est adressé est systématiquement ouvert.
12. Compte tenu des dispositions de l'article D. 416 du code de procédure pénale, il n'y a pas lieu d'effectuer une lecture systématique des correspondances tant à l'arrivée qu'au départ de l'établissement.
Ainsi, dans la pratique, et pour des détenus ne faisant pas l'objet de remarque particulière, il convient de procéder à des contrôles inopinés et fréquents de leurs correspondances.
En revanche, il importe de maintenir le contrôle régulier du courrier des détenus dont la personnalité ou les antécédents font craindre qu'il comporte des informations susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes ou celles des établissements.
B. L'objet du contrôle
13. Le contrôle effectué par l'administration pénitentiaire a pour objet de garantir la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires et porte, pour ce faire, sur le contenu des plis et la teneur des informations qu'ils contiennent. Il ne saurait par la même se substituer à celui réalisé par le magistrat saisi du dossier qui peut être d'une nature différente compte tenu des objectifs poursuivis.
14. Aux termes des dispositions du code de procédure pénale les motifs de retenue des correspondances sont constitués :
- par la présence de menaces précises contre la sécurité de personnes ou celle des établissements (article D. 415).
- par la présence de signe ou caractère conventionnel (article D. 416).
- d'une façon générale par le non respect des dispositions de la réglementation en vigueur en matière de correspondance (article D. 416).
15. L'envoi par pli postal de tout objet pouvant être utilisé comme moyen de don, d'échange, de trafic, de tractation ou de paris entre détenus est prohibé.
En revanche est autorisé l'envoi de photographies à caractère familial.
Il en va de même pour les timbres, dans la limite de 5 par lettre.
C. Diligences à accomplir lors de la retenue
16. Les correspondances faisant l'objet d'une retenue fondée sur l'un des motifs visés aux points 14 et 15 de la présente circulaire sont, si possible, retournées à l'expéditeur ou à défaut classées dans la partie pénitentiaire du dossier individuel du détenu (articles D. 159 et D. 160 du code de procédure pénale).
Toutefois, les correspondances qui contiennent des éléments ou des propos, mettant notamment en cause d'une façon particulièrement grave la sécurité des personnes ou celle de l'établissement, sont transmises par le chef d'établissement au procureur de la République du lieu de détention dès lors qu'elles sont susceptibles de constituer une infraction pénalement punissable.
17. Les objets saisis dans les correspondances et qui n'auraient pas été, pour les motifs évoqués au point 10 de la présente circulaire, transmis au procureur de la République, sont, si possible, retournés à leur expéditeur ou à défaut placés au vestiaire du détenu. Ils leur seront remis lors de son [sic] élargissement s'il s'agit d'objets dont la détention est licite et n'est pas soumise à une autorisation particulière.
En aucun cas, les dits objets ne peuvent être vendus par les services de l'administration pénitentiaire.
La décision de retenue et éventuellement d'envoi au procureur de la République prise par le chef d'établissement, à l'égard d'une correspondance ou d'un objet contenu dans cette dernière adressée ou envoyée par un détenu, est notifiée à ce dernier.
III. LE RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUETE DE L'ASSEMBLEE NATIONALE SUR LA SITUATION DANS LES PRISONS FRANCAISES
23.  Intitulé « La France face à ses prisons » (J. Floch, 28 juin 2000, Doc. AN 2000), ce rapport contient les passages suivants :
a) une hiérarchie des normes non respectée
Le foisonnement des normes applicables en prison serait acceptable s'il pouvait exister entre elles une véritable hiérarchie. Il s'avère au contraire qu'un nombre très important de contraintes, touchant à des libertés aussi essentielles que le droit à la vie privée ou le droit d'expression, sont régies par des dispositions réglementaires ou par la voie de circulaires. Il en est ainsi par exemple du contrôle des correspondances, de la réglementation de la fouille des détenus, de l'utilisation d'armes à feu ou de la mise en œuvre du droit de la défense dans les sanctions disciplinaires.
Il est pourtant absolument indispensable de recourir à une loi pénitentiaire pour régir des questions aussi essentielles que celles-ci. Deux raisons à cela : on ne peut imaginer qu'il y ait deux qualités de normes selon qu'il s'agit d'un citoyen libre ou d'un citoyen détenu. La garantie des droits est la même, le détenu n'étant privé que de sa liberté d'aller et venir. Il ne faut pas non plus laisser l'administration pénitentiaire régir seule de telles atteintes à la liberté ; un débat public s'impose, et c'est dans le débat que peuvent être discutées des limitations.
Certaines limitations pourraient s'avérer finalement non nécessaires. La question notamment de l'accès au téléphone pour les prévenus et les condamnés en maison d'arrêt mérite d'être posée. Ce n'est pas à l'administration pénitentiaire d'y répondre même s'il est indispensable qu'elle soit associée à la réflexion. Une conception gestionnaire des atteintes aux libertés est dangereuse ; on a trop longtemps laissé la gestion de la détention dans le règne de la circulaire et de la gestion administrative. Il est temps de substituer le débat politique à la technique.
b) des droits au conditionnel
Le non-respect de la hiérarchie des normes dans le droit régissant la prison n'est pas qu'un sujet théorique pour étudiants en droit ; sont ainsi prévues, par le biais de décrets ou circulaires, des interdictions fondamentales qui vont bien au-delà de la privation de la liberté d'aller et venir. Chaque autorisation, chaque droit accordé est assorti de précautions, de limitations, de conditions qui en affaiblissent considérablement la portée.
Ces restrictions ont toutes pour justification les impératifs liés à la sécurité ; pour exemple, la partie réglementaire du code de procédure pénale permet au directeur d'établissement de refuser un permis de visite ou d'imposer le dispositif de parloir avec séparation ; un surveillant peut mettre fin à un entretien au parloir ; un directeur d'établissement peut décider de « déclasser » un détenu qui travaille ou tout simplement prendre la décision de ne pas le classer.
Bien au-delà des prescriptions du code de procédure pénale, c'est l'ensemble de la vie en détention qui est régi par des droits incertains, des autorisations conditionnelles pouvant être remises en cause à tout moment.
Même s'il faut garder à l'esprit les contraintes imposées par la sécurité, force est de reconnaître que le droit de la prison est toujours fondé sur une logique de récompense et de punition. Cette logique illustre les véritables rapports de force entre détenus et personnel pénitentiaire ; elle ne paraît pas cependant, comme nous le verrons ultérieurement, favoriser une démarche de responsabilisation du détenu, et ce d'autant plus qu'il n'a pas accès aux voies de la contestation de ces règles.
c) des règles insusceptibles de recours
La prison est souvent présentée comme une zone de non-droit ; c'est inexact : le droit existe en prison et il y a même surabondance de droits. Le problème est que rien n'est assuré pour permettre la garantie de ces droits.
Certes, le détenu a la possibilité de saisir les autorités administratives indépendantes, telles que la Commission d'accès aux documents administratifs ou le Médiateur de la République ; il peut également être entendu seul par le juge et écrire sans contrôle ni restriction à certaines autorités judiciaires, administratives ou politiques. Le droit de demander l'annulation de décisions qui relèvent d'une autorité administrative par le biais du recours pour excès de pouvoir est également reconnu au détenu en vertu des principes généraux du droit.
Cependant, ces droits sont très spécifiques et ne peuvent concerner qu'une décision particulière de l'administration ; ils ne portent pas sur l'ensemble de la détention : il n'existe pas à cet effet, comme au Canada, de droit concernant l'expression collective des détenus.
Par ailleurs, le droit de saisine du juge administratif se heurte rapidement à la longueur des procédures précontentieuses ou contentieuses, qui rend finalement totalement inopérante la décision finale. En matière de contentieux administratif, les droits des détenus se trouvent également fortement remis en cause par la position tout à fait exceptionnelle qu'occupe la prison dans la jurisprudence du juge administratif. Ce dernier a ainsi contribué, en définissant les mesures d'ordre intérieur, insusceptibles de recours, à rejeter la prison dans le règne de l'arbitraire.
Les mesures d'ordre intérieur se définissent à l'aide de trois critères cumulatifs : elles sont dépourvues d'effet juridique à l'égard des personnes auxquelles elles s'appliquent, purement internes au service et discrétionnaires.
L'irrecevabilité du recours contre les mesures d'ordre intérieur en matière pénitentiaire est « jugée indispensable au fonctionnement de la prison, car destinée à faire obstacle au développement d'un contentieux susceptible de compromettre l'exécution d'une situation pénale, dans laquelle il est particulièrement souhaitable de garantir le maintien de l'ordre et la cohésion interne. » (Tribunal administratif de Strasbourg, arrêt Théron du 2 juillet 1991)
Si la notion de mesure d'ordre intérieur est le plus souvent retenue pour des décisions individuelles, elle a parfois été appliquée à des actes réglementaires généraux. (CE, Winterstein, 12 novembre 1986)
Sont ainsi considérées comme des mesures d'ordre intérieur, les décisions de transfert et d'affectation (CE, 8 décembre 1967, Kayanakis), le fichage d'un détenu comme détenu dangereux (CE, 12 novembre 1986, Winterstein), l'interdiction faite au détenu de porter des gants en détention (CE, 10 janvier 1986, Rougetet), le placement d'un détenu dans un quartier de plus haute sécurité (CE, 27 janvier 1984, Caillol), le refus de faire bénéficier le détenu du régime applicable aux détenus politiques (CE, 1er mars 1939, Troncaso) ou la soumission du détenu au régime cellulaire (CE, 8 décembre 1967, Kayanakis).
Surtout, il importe de souligner que la décision de mise à l'isolement (sur le fondement de l'article D.283-1 du code de procédure pénale) est toujours qualifiée par la jurisprudence de mesure d'ordre intérieur.
Le Conseil d'Etat considère en effet que ce type d'isolement n'aggrave pas les conditions de détention et ne peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE, 28 février 1996, Fauqueux). Cette vision de la prison, et plus particulièrement de l'isolement relève d'une méconnaissance totale de la vie pénitentiaire : les conséquences désocialisantes et psychiquement déstructurantes d'une décision de mise à l'isolement ont été à la fois dénoncées par tous les intervenants de l'administration pénitentiaire et constatées lors des visites. L'impunité dont jouit l'administration dans la décision de recourir à l'isolement est scandaleuse ; ajoutons qu'elle est même mal ressentie par l'administration elle-même. Il ne s'agit pas de contester la procédure d'isolement en tant que telle mais bien de prévoir des recours pour la contester. Il est urgent que le législateur se saisisse du sujet et aménage des procédures contentieuses adéquates.
Il faut cependant préciser, pour s'en féliciter, que le champ des mesures d'ordre intérieur a tendance à se réduire, notamment avec le contentieux des mesures d'ordre disciplinaire.
Jusqu'alors en effet, selon une jurisprudence traditionnelle (arrêt Bruneaux, CE, 28 juillet 1932, à propos d'une punition de cellule), lorsqu'il avait à connaître d'un recours dirigé contre une sanction disciplinaire, le juge administratif le déclarait irrecevable, car dirigé contre « une mesure d'ordre intérieur prise à l'égard d'un détenu par l'administration pénitentiaire ». « Destinées à assurer la discipline dans les établissements pénitentiaires » (arrêt Comité d'action des prisonniers et autres, CE du 4 mai 1979), les sanctions disciplinaires étaient considérées comme n'affectant pas le statut même des détenus.
Malgré ces critiques, cette jurisprudence s'est longtemps maintenue (arrêt Théron, CE, 14 février 1992). Elle devait toutefois être reconsidérée à la lumière de la jurisprudence européenne relative notamment à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Dans l'affaire Marie, le Conseil d'Etat a jugé qu' « eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure, la punition de cellule constitue une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir ». L'incidence de la sanction sur le régime des réductions de peines est un élément déterminant en l'espèce, puisque la haute juridiction relève notamment qu'en application de l'article 721 du code de procédure pénale des réductions de peines peuvent être accordées aux condamnés détenus en exécution de peines privatives de libertés « s'ils ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite » et que les réductions de peine ainsi octroyées peuvent être rapportées « en cas de mauvaise conduite du condamné en détention » (conclusions du commissaire du gouvernement P. Frydmann, in RFDA, 1995 p. 353).
A la suite de ce revirement de jurisprudence, le décret no 96-287 du 2 avril 1996 a réformé l'ensemble de la matière disciplinaire en considération des principes contenus dans la recommandation R(87) 3 du Conseil de l'Europe sur les règles pénitentiaires européennes et tirés de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'il faut se féliciter de l'avancée de ces droits, il est cependant nécessaire là encore d'en relativiser la portée : l'encombrement des juridictions administratives ne permet d'obtenir l'annulation de la décision que plusieurs années après. Le détenu a bien souvent été libéré depuis lors et n'obtient qu'une décision purement symbolique même si, dans le cas de l'annulation d'une sanction, la responsabilité de l'Etat peut être engagée et justifier l'allocation de dommages-intérêts. L'annulation de la sanction ne permet pas cependant de l'effacer du dossier du détenu, alors même que cette sanction a pu être prise en compte dans les décisions du juge de l'application des peines.
Il semble indispensable d'étudier, au sujet du droit en prison, les recommandations faites par la commission Canivet qui préconise un aménagement des procédures d'urgence devant le juge administratif, rendant ainsi effectifs et utiles les recours du détenu.
La proposition d'une loi pénitentiaire revêt là encore toute sa pertinence ; c'est en effet au législateur que devrait revenir la responsabilité de déterminer les décisions faisant grief et susceptibles de recours (...). »
IV. LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ETAT
24.  Par l'arrêt Marie du 17 février 1995, le Conseil d'Etat a jugé que la « punition de cellule » constituait non une mesure d'ordre intérieur, mais une décision susceptible d'être déférée au juge d'excès de pouvoir.
Il a abouti à la même conclusion pour une décision relative à la procédure d'acquisition de matériel informatique par des détenus (arrêt Druelle du 18 mars 1998).
Revenant sur un arrêt Fauqueux du 28 février 1996, le Conseil, par un arrêt Garde des Sceaux contre Remli du 30 juillet 2003, a jugé qu'était recevable le recours pour excès de pouvoir à l'encontre d'une mise à l'isolement, contre son gré, d'un détenu.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 8 DE LA CONVENTION A RAISON DES FOUILLES INTÉGRALES SUBIES PAR LE REQUÉRANT
25.  Le requérant soutient que les modalités de la fouille intégrale telles que prévues par la notice technique annexée à la circulaire no A.P.86-12 G1 du 14 mars 1986 relative à la « fouille des détenus », sont inhumaines et dégradantes. Il expose qu'il a fait l'objet de sanctions disciplinaires systématiques en raison de refus de se soumettre à des fouilles de cette nature selon ces modalités. Il invoque l'article 3 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
D'après le requérant, la fouille intégrale systématique des détenus à l'issue de chaque visite, prévue par la circulaire du 14 mars 1986, est également constitutive d'une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée de ceux-ci ; par ailleurs, non publiée au journal officiel, cette circulaire manquerait de l'accessibilité, de la précision et de la prévisibilité requises pour être qualifiée de « loi » au sens de la jurisprudence de la Cour. Il invoque à cet égard l'article 8 de la Convention, aux termes duquel :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...) et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
26.  Le Gouvernement rejette ces thèses.
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
27.  Le Gouvernement souligne en premier lieu que le requérant bénéficie depuis le début de son incarcération d'un régime de détention conforme aux dispositions du code de procédure pénale et n'a pas fait l'objet d'une surveillance excessive compte tenu des accusations retenues contre lui. Il précise que, par mesure de précaution et de sécurité, l'intéressé fut placé à l'isolement le 21 décembre 1987 en application de l'article D. 170 du code de procédure pénale, par décision du chef d'établissement de la maison d'arrêt de Lyon, et que cette mesure fut renouvelée tous les trois mois jusqu'au 22 décembre 1990, date de son transfert à la maison d'arrêt de la Santé où il fut placé en détention ordinaire. Depuis lors, poursuit le Gouvernement, le requérant bénéfice d'un régime de détention de droit commun ; il est certes inscrit sur le registre des détenus particulièrement surveillés (« DPS »), mais comme le précise la circulaire de l'administration pénitentiaire du 26 juillet 1983, l'inscription au répertoire des DPS « est une simple mesure d'ordre intérieur sans caractère disciplinaire ou discriminatoire visant à assurer avec plus d'efficacité la surveillance des détenus réputés dangereux, notamment lors des mouvements, extractions ou transferts et à attirer sur eux l'attention du personnel [;] elle ne doit donc, par elle-même, en aucun cas entraîner l'application d'un régime particulier plus défavorable : les mesures de sécurité que prévoient les textes et instructions en vigueur doivent être décidées en fonction de considérations d'espèce et non de manière systématique et a priori ».
Le Gouvernement ajoute que, lorsque le requérant était à l'isolement à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, il bénéficiait de promenades avec un codétenu. Il indique également que, durant les diverses grèves de la faim qu'il a entamées (en mars et novembre 1991, juin et juillet 1993 et octobre et novembre 1994) pour protester contre ses conditions de détention, le requérant a bénéficié d'un suivi médical quotidien ; en outre, depuis le début de son incarcération, il est en mesure d'entretenir une correspondance avec ses proches, sa mère et son frère ont obtenu un permis de visite, il a la possibilité de travailler et a accès à des enseignements et formations, peut pratiquer sa religion, et bénéficie de promenades et d'un accès aux activités sportives proposées.
28.  Le Gouvernement indique ensuite que le régime des fouilles est le même en maison d'arrêt et en établissement sous peine, et que les dispositions réglementaires ne fixent pas expressément la fréquence de celles-ci (cela est du ressort du chef d'établissement) mais imposent de procéder à la fouille des détenus lorsqu'ils ont été en contact avec des personnes extérieures à l'établissement : à l'occasion de leur entrée dans l'établissement, chaque fois qu'ils en sont extraits et reconduits et avant et après chaque parloir (article D. 275, D 284, D. 294 et D. 406 du code de procédure pénale) ; par ailleurs, la circulaire du 14 mars 1986 « invite » les chefs d'établissement à procéder à la fouille des détenus avant tout placement en cellule disciplinaire ou à l'isolement, ceci pour préserver leur sécurité et, notamment, éviter tout risque d'atteinte à leur intégrité corporelle. Le Gouvernement ajoute que cette même circulaire définit deux types de fouilles : les fouilles intégrales – le détenu est nu – et les fouilles par palpation. Les premières, à l'exception du contrôle de la chevelure, s'effectuent sans contact entre le détenu et l'agent ; elles ne peuvent être collectives, se déroulent en principe dans un local réservé à cet usage, et dans tous les cas hors de la vue de toute personne étrangère à l'opération, et sont effectuées en général par un seul agent. Le Gouvernement renvoie au texte de la circulaire précitée qui, indique-t-il, « définit précisément les gestes professionnels devant être effectués lors d'une fouille intégrale » afin de permettre le déroulement de ce type d'opérations dans le respect de la dignité des détenus ; il met l'accent sur le fait que s'il peut être fait obligation au détenu de se pencher et de tousser, c'est exclusivement « dans le cas précis de recherche d'objet ou de substances prohibées », à l'exclusion de tous autres cas. Les fouilles par palpation sont « ordonnées par le chef d'établissement toutes les fois qu'il l'estime utile et notamment lors des mouvements des détenus au sein de l'établissement » ; le détenu reste habillé ; il se tient debout, devant le surveillant, les bras et les jambes écartées et, « en cas de besoin », l'agent « peut contrôler les cheveux, les oreilles et le col de l'intéressé ».
Le Gouvernement souligne qu'aucun élément du dossier n'indique que le requérant ait fait l'objet de mesures particulières quant à la fréquence et aux modalités des fouilles et ce, quel que soit l'établissement dans lequel il était incarcéré, mais que, compte tenu des infractions qui lui étaient reprochées, de son appartenance à un groupe terroriste, de son classement au registre des détenus particulièrement surveillés et de son placement à l'isolement pendant plusieurs mois, l'administration pénitentiaire était tenue, pour des raisons de sécurité, de procéder rigoureusement à sa fouille régulière après tout contact avec l'extérieur (parloirs et extractions notamment) et de manière inopinée. Selon le Gouvernement, les rapports d'incidents relatifs aux refus du requérant de se soumettre à des fouilles permettent de constater qu'il s'agissait toujours de fouilles réglementaires, après un parloir, au moment d'une extraction, à la suite d'une promenade ou à l'occasion de son placement en cellule disciplinaire ; il cite à cet égard onze rapports, des 15 mars 1993, 28 juin, 9 août, 13 septembre, 19 et 21 décembre 1994, 25 mars, 13 et 20 mai 1995, et 26 et 27 mai 1996 ; dans six de ces cas (19 et 21 décembre 1994, 25 mars, 13 et 20 mai 1995, et 27 mai 1996), le requérant avait refusé de « se pencher et tousser ». Le Gouvernement souligne que, compte tenu de la position de principe du requérant qui consistait à refuser systématiquement de se soumettre aux mesures de fouille, il était nécessaire, pour des raisons de respect de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement, que l'administration pénitentiaire prenne des sanctions disciplinaires à son encontre. Il ajoute qu'à partir de la fin de l'année 1996, le requérant s'est conformé aux mesures en vigueur et n'a plus fait l'objet de procédures disciplinaires pour avoir refusé de se soumettre à des fouilles.
29.  Selon le Gouvernement, les circonstances de la présente cause ne sont pas comparables à celles des arrêts Van der Ven c. Pays-Bas (no 50901/99, CEDH 2003-II) et Lorsé c. Pays-Bas (no 52750/99), dans lesquels la Cour a conclu à la violation de l'article 3 dans le contexte de fouilles corporelles pratiquées sur des détenus. Il souligne à cet égard qu'en France, le régime des fouilles corporelles est strictement encadré par des textes de nature législative et réglementaire (le Gouvernement renvoie en particulier aux articles 728 et D. 275 du code de procédure pénale), la place des circulaires étant marginale, dès lors qu'elles se bornent à édicter les modalités d'application et de mise en œuvre des ces textes. Il ajoute, d'une part, que la fréquence des fouilles est définie par lesdits textes et que le requérant n'a été soumis à des fouilles corporelles que dans les cas fixés par ceux-ci et en aucune manière de façon systématique et répétée, et, d'autre part, que les fouilles intégrales dont il a fait l'objet répondaient à des impératifs de sécurité puisqu'elles intervenaient lorsqu'il s'était trouvé en contact avec des personnes extérieures à l'établissement (parloirs et extractions) ou d'autres détenus (après une promenade). En tout état de cause, la « fréquence » de fouilles ne suffirait pas à en faire « un élément routinier du fonctionnement de la détention », et la circulaire du 14 mars 1986 inciterait les personnels de surveillance à ne pas banaliser ces actes. Le Gouvernement précise en outre que le requérant est soumis à un régime de détention de droit commun et ne fait pas l'objet de mesures de surveillances particulières, et met l'accent sur le fait que les fouilles intégrales n'entraînent aucun contact entre les détenus et les agents, ne comportent pas d'inspection anale (pour pratiquer de telles fouilles, l'intervention d'un médecin est obligatoire) et se déroulent dans le respect de la dignité humaine et de l'intimité des détenus. Enfin, le Gouvernement rappelle qu'il ressort notamment des arrêts précités que la Cour admet que les fouilles à corps peuvent s'avérer nécessaires parfois pour garantir la sécurité à l'intérieur de la prison ou pour prévenir des troubles ou des infractions.
30.  Quant à l'article 8, le Gouvernement admet que les fouilles intégrales dont le requérant a fait l'objet constituaient des ingérences dans sa vie privée, au sens de cette disposition. Il considère cependant qu'elles étaient prévues par la loi (le code pénal tel qu'explicité par la circulaire du 14 mars 1986, ces textes étant clairs, précis et accessibles), poursuivaient un but légitime, et étaient nécessaires dans une société démocratique. Sur le premier point, il indique que si la circulaire du 14 mars 1986 n'a pas été publiée au Journal officiel, elle est accessible à toute personne sur demande adressée à l'administration ; en revanche, « pour des raisons évidentes de sécurité, la note jointe à cette circulaire et précisant le protocole concret de réalisation de la fouille n'est pas communicable en ce qu'elle contient des éléments techniques et méthodologiques à l'attention des personnels de surveillance, dont la publication pourrait porter atteinte à la sécurité des établissements s'ils étaient connus des détenus ».
2. Le requérant
31.  Le requérant rappelle que la Cour a jugé dans ses arrêts Van der Ven et Lorsé (précités) que la fouille intégrale constitue un traitement dégradant dès lors qu'elle est effectuée de manière routinière, qu'elle ne répond pas à un impératif de sécurité concret, qu'elle ne résulte pas du comportement du détenu et qu'elle oblige ce dernier à se déshabiller en présence d'agents pénitentiaires et à adopter des « positions embarrassantes ».
Il souligne ensuite qu'outre le pouvoir du chef d'établissement d'ordonner des fouilles quand « il l'estime nécessaire » – ce qui lui laisse une marge d'appréciation significative – le code de procédure pénale oblige à la fouille à l'entrée et à la sortie de l'établissement et lors de chaque parloir, et la circulaire du 14 mars 1986 prévoit en sus la fouille avant et après tout placement en cellule de punition ou d'isolement. Selon lui, la circulaire multiplie à l'excès les occasions de fouille des détenus, ce qui aboutit immanquablement à la routine condamnée par la Cour dans les arrêts précités. Il ajoute que les modalités des fouilles intégrales sont dégradantes : nus, les détenus peuvent être obligés d'ouvrir la bouche, tel des esclaves ou des animaux à vendre, et se voir soumis à des « inspections anales ».
D'après le requérant, tant la fréquence que les modalités des fouilles intégrales prévues par la circulaire sont incompatibles avec les exigences de l'article 3 de la Convention.
32.  Le requérant précise qu'en dix-huit années de détention, il a été incarcéré dans une quinzaine d'établissements différents, et que, s'il a subi des fouilles intégrales de façon systématique et répétée, chacun suivait ses propres pratiques en matière de fouille des détenus. Ainsi, en particulier, durant plus de seize de ces dix-huit années, il ne lui a pas été demandé, une fois nu, d'ouvrir la bouche ou de se pencher et de tousser ; ces obligations ne lui ont été imposées qu'à Fleury-Mérogis (pour la première) et à Fresnes (pour les deux). Il souligne à cet égard que, dans ces établissements, il fut systématiquement contraint d'ouvrir la bouche à l'occasion de chaque fouille inopinée. Il ajoute que la moitié des rapports d'incidents auxquels se réfère le Gouvernement concernent son refus de se « pencher et de tousser » – c'est-à-dire son refus de se soumettre, selon lui, à une « inspection anale » — et que le Gouvernement ne fournit aucune précision sur la nature des objets ou substances prohibés recherchés à ces occasions ; en réalité rien n'indiquerait que ces mesures répondaient à une recherche précise, d'autant que tous les détenus y étaient soumis.
33.  Quant aux régimes de détention auxquels il a été et est soumis, le requérant souligne qu'il est le seul membre de la « branche lyonnaise » d'Action directe à avoir été maintenu à l' « isolement total » pendant tant d'années. Or, indique-t-il, ce régime – qui de par sa nature prive les détenus concernés de l'accès aux activités qui sont proposées de façon collective aux autres – fut singulièrement éprouvant ; en particulier, ce n'est qu'après une grève de la faim de huit jours qu'il put, à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy, bénéficier de promenades avec un codétenu. Il ajoute que, s'il est depuis 1990 en détention ordinaire, il n'a eu accès, à la maison d'arrêt de Fresnes où il fut transféré en 1994, ni à la chapelle ni à la salle de culte, ce qui montrerait qu'il n'a pas toujours été en mesure de conserver l'exercice de ses droits fondamentaux. Ensuite, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, l'inscription de détenus sur le répertoire des détenus particulièrement surveillés (« DPS ») est constitutive d'un régime particulier de détention, dénué de fondement légal et privant de fait les détenus concernés d'un certain nombre de droits dont ils devraient pouvoir jouir : le contact avec les autres détenus – et donc les promenades et les activités – est limité (bien souvent, leur emploi du temps journalier se résume à une heure de promenade solitaire et vingt-trois heures de cellule), leur correspondance fait l'objet d'un contrôle accru, tous leurs déplacements au sein de l'établissement se font accompagnés d'un surveillant, ils ne peuvent bénéficier d'un emploi au service général ou dans un atelier qui ne dispose pas du dispositif de sécurité jugé indispensable, ils sont fréquemment transférés dans une prison plus axée sur la sécurité et, selon les établissements où ils se trouvent, ils se voient imposer des changements fréquents de cellule ainsi que des fouilles supplémentaires. Sur ce dernier point, ils seraient particulièrement exposés aux fouilles inopinées, la circulaire du 14 mars 1986 prévoyant expressément que de telles fouilles « concernent principalement mais non exclusivement les détenus spécialement signalés » ainsi que, comme l'indiquerait le Gouvernement dans ses observations devant la Cour, aux fouilles intégrales ; la qualification de DPS constituerait ainsi une circonstance aggravante dans l'administration des contrôles.
34.  Sur le terrain spécifique de l'article 8, le requérant met l'accent sur le fait que le code de procédure pénale ne définit ni les modalités ni la fréquence des fouilles, pas plus qu'il ne prévoit les fouilles intégrales : celles-ci, infiniment plus humiliantes que les fouilles par palpation puisqu'elle nécessitent une « dévêture totale », ne sont prévues que par la circulaire du 14 mars 1986, laquelle va au-delà de l'édiction de modalités d'application et de mise en œuvre de prescriptions réglementaires et constitue d'autant moins une « loi » au sens de la jurisprudence de la Cour qu'elle n'a pas été publiée au Journal officiel. Il dénonce en outre tout particulièrement le fait que l'article D. 275 alinéa 1er et la circulaire consacrent la possibilité de fouilles inopinées, laissant au chef d'établissement un pouvoir discrétionnaire arbitraire, inacceptable dans une société démocratique, que le rapport de la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises (paragraphe 23 ci-dessus) dénonce. Selon lui, les cas de fouilles inopinées devraient être expressément prévus par la loi au regard d'impératifs de sécurité bien définis.
B. Appréciation de la Cour
35.  La Cour réaffirme d'emblée que l'article 3 de la Convention consacre l'une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, les arrêts Labita c. Italie [GC], du 6 avril 2000, no 26772/95, CEDH 2000-IV, § 119, ainsi que les arrêts Van der Ven et Lorsé précités, §§ 46 et 58 respectivement), même dans les circonstances les plus difficiles, tels la lutte contre le terrorisme et le crime organisé (arrêt Ramirez Sanchez c. France [GC] du 4 juillet 2006, no 59450/00, CEDH 2006-.., § 115).
Pour tomber sous le coup de l'article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de l'espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé de la victime, etc. (voir, parmi d'autres, l'arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, § 162, ainsi que les arrêts Van der Ven et Lorsé précités, §§ 47 et 59 respectivement). La Cour a ainsi jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu'il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu'il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales ; elle a par ailleurs considéré qu'un traitement était « dégradant » en ce qu'il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir, par exemple, les arrêts Kudła c. Pologne [GC], du 26 octobre 2000, no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI et Van der Ven et Lorsé précités, §§ 48 et 60 respectivement). Pour qu'une peine ou un traitement puisse être qualifié d'« inhumain » ou de « dégradant », la souffrance ou l'humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (voir par exemple les arrêts V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999-IX, et Van der Ven et Lorsé, références précitées).
36.  Des conditions générales de détention – dans lesquelles s'inscrivent les modalités des fouilles imposées aux détenus – peuvent s'analyser en un traitement contraire à l'article 3 (voir, par exemple, les arrêts Van der Ven et Lorsé précités, §§ 49 et 61 respectivement), tout comme une fouille corporelle isolée (voir les arrêts Valašinas c. Lituanie, du 24 juillet 2001, no 44558/98, CEDH 2001-VIII, et Iwańczuk c. Pologne, du 15 novembre 2001, no 25196/94 ; voir aussi l'arrêt Yankov c. Bulgarie, du 11 décembre 2003, § 110).
Ainsi lorsque, comme en l'espèce, un individu soutient qu'il a subi un traitement inhumain ou dégradant à raison de fouilles auxquelles il a été soumis en détention, la Cour peut être amenée à examiner les modalités de celles-ci à l'aune du régime de privation de liberté dans lequel elles s'inscrivent, afin de prendre en compte les effets cumulatifs des conditions de détention subies par l'intéressé (voir, par exemple, l'arrêt Van der Ven précité, §§ 49 et 62-63).
37.  Les mesures privatives de liberté s'accompagnent inévitablement de souffrance et d'humiliation. S'il s'agit là d'un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n'emporte pas violation de l'article 3, cette disposition impose néanmoins à l'Etat de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (voir, par exemple, précités, les arrêts Kudla, §§ 92-94, et Ramirez Sanchez, § 119) ; en outre, les mesures prises dans le cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitime poursuivi (arrêt Ramirez Sanchez précité, même référence).
38.  S'agissant spécifiquement de la fouille corporelle des détenus, la Cour n'a aucune difficulté à concevoir qu'un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité, tout particulièrement lorsque cela implique qu'il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu'il lui faut adopter des postures embarrassantes.
Un tel traitement n'est pourtant pas en soi illégitime : des fouilles corporelles, même intégrales, peuvent parfois se révéler nécessaires pour assurer la sécurité dans une prison – y compris celle du détenu lui-même –, défendre l'ordre ou prévenir les infractions pénales (voir, précités, les arrêts Valašinas, § 117, Iwańczuk, § 59, Van der Ven, § 60, et Lorsé, § 72).
Il n'en reste pas moins que les fouilles corporelles doivent, en sus d'être « nécessaires » pour parvenir à l'un de ces buts (arrêt Ramirez Sanchez précité, § 119), être menées selon des « modalités adéquates » (arrêts Valašinas, Iwańczuk, Van der Ven et Lorsé, références précitées), de manière à ce que le degré de souffrance ou d'humiliation subi par les détenus ne dépasse pas celui que comporte inévitablement cette forme de traitement légitime. A défaut, elles enfreignent l'article 3 de la Convention.
Il va en outre de soi que plus importante est l'intrusion dans l'intimité du détenu fouillé à corps (notamment lorsque ces modalités incluent l'obligation de se dévêtir devant autrui, plus encore lorsque l'intéressé doit en sus prendre des postures embarrassantes), plus grande est la vigilance qui s'impose.
39.  Ainsi, dans l'affaire Valašinas précitée, la Cour a jugé une fouille corporelle intégrale dégradante au sens de cette disposition, au motif qu' « obliger [un détenu masculin] à se dévêtir totalement en présence d'une femme puis toucher avec des mains nues ses organes génitaux et la nourriture reçue démontre un manque évident de respect pour l'intéressé qui a subi une réelle atteinte à sa dignité [, et qui] a dû éprouver des sentiments d'angoisse et d'infériorité, sources d'humiliation et de vexation » (arrêt précité, § 117).
La Cour est parvenue à la même conclusion dans l'affaire Iwańczuk précitée, dans laquelle un individu placé en détention provisoire qui souhaitait exercer son droit de vote dans le cadre d'élections législatives et avait demandé l'autorisation de se rendre dans le lieu prévu à cet effet dans l'établissement où il se trouvait, avait reçu l'ordre de se dévêtir devant quatre gardiens en vue d'une fouille corporelle préalable. La Cour a retenu, d'une part que, dans les circonstances de la cause, eu égard en particulier à la personnalité du requérant, rien ne démontrait qu'un tel ordre était nécessaire et justifié par des raisons de sécurité et, d'autre part, que les gardiens en question avaient ridiculisé et insulté le requérant, ce qui dénotait de leur part l'intention de l'humilier et de le rabaisser (arrêt précitée, §§ 58-59).
Dans les affaires Van der Ven et Lorsé précitées, la Cour a examiné non pas une fouille intégrale en particulier comme dans les précédentes mais le régime général des fouilles intégrales auxquelles étaient soumises des personnes détenues dans un « établissement de sécurité maximale » : fouille à corps avant et après chaque visite « ouverte », après chaque visite à la clinique, chez le dentiste et chez le coiffeur, lors de chaque inspection hebdomadaire de la cellule du détenu ; nu en présence d'agents pénitentiaires, le détenu ainsi fouillé devait notamment se soumettre à une inspection rectale le contraignant à adopter des positions embarrassantes. Tenant compte du fait que les requérants étaient déjà soumis à un grand nombre de mesures de contrôle, la Cour a jugé que la pratique des fouilles à corps hebdomadaires, imposée durant environ trois ans et demi à M. Van der Ven et plus de six ans à M. Lorsé, alors qu'il n'y avait pour cela aucun impératif de sécurité convaincant, avait porté atteinte à leur « dignité humaine » et avait pu provoquer chez eux des sentiments d'angoisse et d'infériorité de nature à les humilier et à les rabaisser. La Cour a ensuite conclu que la combinaison des fouilles à corps routinières et des autres mesures de sécurité draconiennes en vigueur dans l'établissement s'analysaient en un traitement « inhumain ou dégradant » contraire à l'article 3 de la Convention (arrêts précités, §§ 62-63 et § 74 respectivement).
40.   En l'espèce, il n'est pas contesté que, comme tout détenu, le requérant est soumis au régime de fouilles défini pour l'essentiel par la circulaire du 14 mars 1986 et la note technique y annexée.
La circulaire précise que « la finalité des fouilles [qu'il s'agisse de fouilles par palpation ou de fouilles intégrales] est d'assurer que les détenus ne détiennent sur eux aucun objet ou produit susceptible de faciliter les agressions ou les évasions, de constituer l'enjeu de trafic ou permettre la consommation de produits ou substances toxiques ».
Quant aux «  modalités pratiques » des fouilles corporelles intégrales, elles sont décrites dans la note technique. Le détenu doit se dévêtir complètement. L'agent chargé de la fouille examine ses cheveux, ses oreilles puis sa bouche : le détenu doit ouvrir celle-ci, tousser, lever la langue et « si nécessaire » enlever sa prothèse dentaire. L'agent contrôle en outre les aisselles du détenu en lui faisant lever et baisser les bras, avant d'inspecter ses mains en lui demandant d'écarter les doigts ; les pieds - notamment la voute plantaire et les orteils – sont également examinés. Le détenu doit par ailleurs écarter les jambes afin que l'agent puisse s'assurer que des objets ne sont pas dissimulés dans l'entrejambe. Enfin, « dans les cas précis de recherches d'objet ou de substance prohibés », il peut se voir obligé de se pencher et de tousser, (ceci, les fesses face au surveillant chargé de la fouille afin, manifestement, de permettre une inspection anale visuelle) ; la note ajoute qu'il peut également être fait appel au médecin, qui appréciera s'il convient de soumettre l'intéressé à une radiographie ou à un examen médical afin de localiser d'éventuels corps étrangers.
Comme l'indique le Gouvernement, les modalités des fouilles corporelles intégrales incluent des précautions visant à préserver la dignité des détenus. L'article D. 275 du code de procédure pénale précise ainsi que les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et, d'une manière générale, « dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». La circulaire précitée, qui réitère ces principes, indique que tout contact entre le détenu et l'agent est proscrit, à l'exception du contrôle de la chevelure. Elle ajoute que le « nombre d'agents chargés de la fouille intégrale doit être strictement limité aux besoins évalués en prenant en compte les circonstances et la personnalité du détenu », étant entendu qu'elle est en principe effectuée par un seul agent. Les fouilles intégrales collectives sont prohibées ; les détenus pénètrent un à un dans un local réservé à cet effet, permettant que la fouille s'effectue hors de la vue des autres détenus et de « toute personne étrangère à l'opération elle-même ». Si les contraintes architecturales ne permettent pas de réserver un local de fouille individuelle, le détenu doit être isolé du reste de la population pénale au moyen d'un système mobile de séparation (paravent, rideau, etc.).
41.  La Cour conçoit que nonobstant ces précautions, les détenus ainsi fouillés à corps se sentent atteints dans leur dignité. Il lui est tout aussi évident que plus l'intrusion dans l'intimité des détenus est importante, plus ce sentiment est susceptible d'être marqué ; elle comprend ainsi fort bien que le requérant critique avec virulence le fait qu'il lui a été ordonné à certaines occasions de se soumettre à des inspections buccales ou anales.
La Cour juge cependant les modalités susdécrites globalement adéquates ; selon elle, prise isolément, une fouille à corps qui se déroule de la sorte et qui est concrètement nécessaire pour assurer la sécurité dans une prison, défendre l'ordre ou prévenir des infractions pénales, n'est pas incompatible avec l'article 3 de la Convention : sauf spécificités tenant à la situation de la personne qui en fait l'objet, l'on ne saurait dire que par principe, une telle fouille implique un degré de souffrance ou d'humiliation dépassant l'inévitable (voir, mutatis mutandis, la décision Helen et Wilfred-Marvin Kleuver c. Norvège du 30 avril 2002, no 45837/99). La Cour précise que cela vaut même lorsqu'il est fait obligation au détenu de se pencher et de tousser en vue d'une inspection anale visuelle « dans les cas précis de recherches d'objet ou de substance prohibés », étant entendu qu'une telle mesure n'est admissible que si elle est absolument nécessaire au regard des circonstances particulière dans lesquelles elle s'inscrit et s'il existe des soupçons concrets et sérieux que l'intéressé dissimule de tels objet ou substance dans cette partie de son corps.
Par conséquent, la Cour n'est pas convaincue par la thèse du requérant pour autant qu'elle consiste à dire que ces modalités sont, d'un point de vue général, inhumaines ou dégradantes.
42.  La Cour relève par ailleurs que le requérant ne prétend pas que les fouilles corporelles intégrales qu'il a subies se seraient déroulées autrement que selon le procédé susdécrit, ni ne soutient que leur but ou celui de telle ou telle fouille était de l'humilier ou de le rabaisser. En particulier, il n'allègue pas avoir été victime de gardiens irrespectueux, ou qui auraient fait preuve d'un comportement démontrant qu'ils poursuivaient une fin de cette nature.
Cela différencie le cas du requérant de celui des requérants dans les affaires Valašinas et Iwańczuk.
Néanmoins, cela ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l'article 3 (voir, par exemple, précités, les arrêts Van der Ven, § 48, et Ramirez Sanchez, § 118) : comme cela est rappelé ci-dessus, pour juger si le seuil de gravité au-delà duquel un mauvais traitement tombe sous le coup de cette disposition a été dépassé, il faut prendre en compte l'ensemble des données de chaque espèce. La Cour a ainsi conclu au dépassement de ce seuil dans les affaires Van der Ven et Lorsé (précitées), relatives à des fouilles corporelles intégrales qui s'étaient chacune déroulées selon des modalités « normales », au motif qu'une fouille de cette nature avait lieu « chaque semaine, de manière systématique, routinière et sans justification précise tenant au comportement du requérant » ; elle a vu dans ces circonstances une « pratique de la fouille corporelle (...) [ayant] un effet dégradant et s'analys[ant] en une violation de l'article 3 de la Convention » (arrêt Yankov précité, § 110).
43.  En l'espèce, ne sont connus avec précision ni la fréquence des fouilles subies par le requérant (fouilles par palpation et fouilles intégrales confondues), ni la proportion de fouilles intégrales, ni le nombre de celles à l'occasion desquelles il lui fut ordonné « de se pencher et de tousser ».
44.  Cependant, il ressort des textes pertinents que la fréquence des fouilles subies par les détenus (fouilles par palpation et fouilles intégrales confondues) est en principe importante. Il résulte en effet de l'article D. 275 du code de procédure pénale que « les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l'établissement l'estime nécessaire », et qu'« ils le sont notamment à leur entrée dans l'établissement et chaque fois qu'ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit [et] peuvent également faire l'objet d'une fouille avant et après tout parloir ou visite quelconque » ; d'autres dispositions du code de procédure pénale prévoient la fouille des détenus à leur arrivée dans l'établissement (article D. 284), avant transfèrement ou extradition (article D. 294) et avant et après entretien au parloir (article D. 406).
Le code de procédure pénale n'indique pas dans quelles circonstances la fouille est intégrale ou est effectuée par palpation. La circulaire du 14 mars 1986 précise en revanche que des fouilles intégrales doivent systématiquement être effectuées à l'égard des détenus entrant et sortant de l'établissement, quelle que soit la raison de ce mouvement (y compris, par exemple, en cas d'hospitalisation ou consultation en milieu extérieur), à l'issue de la visite de toute personne (parents, amis, avocat) dès lors que l'entrevue s'est déroulée dans un parloir ne comportant pas de dispositif de séparation, et avant tout placement en cellule de punition ou d'isolement. La circulaire ajoute que des fouilles intégrales inopinées d'un ou plusieurs détenus peuvent être effectuées « toutes les fois que le chef d'établissement ou l'un de ses collaborateurs directs l'estiment nécessaire », « notamment (...) à l'occasion des mouvements en détention (promenades, ateliers, salles d'activités) » ; « elles concernent principalement, mais non exclusivement, les détenus particulièrement signalés, les prévenus, ainsi que ceux dont la personnalité et les antécédents rendent nécessaire l'application de mesures de contrôle approfondies » (paragraphes 17-20 ci-dessus).
Il apparaît ainsi qu'au cours de la privation de liberté qu'il subit, tout détenu est susceptible de faire fréquemment l'objet de fouilles intégrales. Par ailleurs, il résulte du texte même de la circulaire précitée que les « détenus spécialement signalés », tel le requérant, sont plus exposés encore à ce type de fouilles.
45.  Ces éléments confirment les dires du requérant selon lesquels il a été souvent l'objet de fouilles intégrales.
Cependant, comme le souligne le Gouvernement, on ne saurait voir là une « routine » comparable à celle condamnée par la Cour dans les affaires Van der Ven et Lorsé précitées, dans lesquelles les requérants avaient été systématiquement, une fois par semaine, soumis à une fouille intégrale incluant chaque fois une inspection rectale.
En l'espèce, les fouilles intégrales ont été imposées au requérant dans le contexte d'événements caractérisant leur nécessité quant à la sécurité ou la prévention des infractions pénales. En effet, elles sont intervenues soit avant son placement en cellule disciplinaire, dans le but de s'assurer qu'il ne dissimulait pas sur lui des choses avec lesquelles il aurait pu porter atteinte à son intégrité corporelle, soit après qu'il ait été en contact avec l'extérieur ou d'autres détenus, c'est-à-dire en situation de se voir remettre des objets ou substances prohibés. Par ailleurs, elles n'incluaient pas une inspection anale systématique.
46.  La Cour est en revanche frappée par le fait que, d'un lieu de détention à un autre, les modalités les plus intrusives dans l'intimité corporelle ont été appliquées de manière variable au requérant.
Il ressort en effet des écrits non contestés de ce dernier qu'il fut pour la première fois contraint d'ouvrir la bouche au cours d'une fouille intégrale le 15 mars 1993, dans la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, alors qu'il était privé de liberté depuis le 1er décembre 1987. La Cour constate ensuite que le Gouvernement ne dément pas non plus que, par la suite, de fin janvier 1994 au 26 septembre 1994, le requérant s'y est vu contraint d'ouvrir la bouche dans le cadre de plusieurs fouilles intégrales, inopinées dans plus d'un cas, ou effectuées à l'issue d'un parloir et lors de deux sorties de l'établissement.
Par ailleurs et surtout, le Gouvernement ne nie pas davantage que, dans la maison d'arrêt de Fresnes, où il fut transféré le 26 septembre 1994, le requérant fut durant deux ans, après chaque parloir, soumis à une fouille intégrale incluant en sus l'obligation « de se pencher et de tousser », ni qu'il fut soumis à une telle fouille le 19 juin 1995 à l'issue de la première audience de son procès de 1995 devant la cour d'assises de Paris, ni que ses refus d'obtempérer lui valurent plusieurs envois en quartier disciplinaire.
Si le nombre exact et la fréquence des fouilles intégrales incluant l'ordre d'ouvrir la bouche ou « de se pencher et de tousser » subies par le requérant ne sont pas connus, le Gouvernement reconnaît au moins onze événements de ce type, qui se sont produits les 15 mars 1993, 28 juin, 9 août, 13 septembre, 19 et 21 décembre 1994, 25 mars, 13 et 20 mai 1995, 26 et 27 mai 1996, après un parloir, au moment d'une extraction, à la suite d'une promenade ou à l'occasion du placement du requérant en cellule disciplinaire ; dans six de ces cas (les 19 et 21 décembre 1994, 25 mars, 13 et 20 mai 1995, et 27 mai 1996), le requérant avait refusé de « se pencher et tousser ». Il est donc crédible – eu égard en outre à ce qui précède (paragraphe 44) – que, durant la phase de détention du requérant qui s'est déroulée entre le début de 1993 et la fin de 1996, ce nombre et cette fréquence ont été notables.
47.  La Cour observe tout particulièrement que le requérant a été confronté à des inspections anales dans un seul des nombreux établissements qu'il a fréquentés, la maison d'arrêt de Fresnes. Elle relève ensuite que le Gouvernement ne prétend pas que, dans les circonstances particulières dans lesquelles elle s'inscrivait, chacune de ces mesures reposait sur des soupçons concrets et sérieux que le requérant dissimulait dans son anus des « objets ou substances prohibés » ; il n'allègue pas même qu'un changement de comportement du requérant le rendait particulièrement suspect à cet égard. Il ressort en fait des écrits non contestés de ce dernier que, dans cet établissement, soumis à la fouille après chaque parloir, les détenus se voyaient systématiquement ordonner de « se pencher et tousser ». Autrement dit, il y avait dans cet établissement une présomption que tout détenu revenant du parloir dissimulait de tels objets ou substances dans les parties les plus intimes de son corps.
On ne saurait dire que des inspections anales pratiquées dans de telles conditions reposent comme il se doit sur un « impératif convaincant de sécurité » (arrêt Van der Ven précité, § 62), de défense de l'ordre ou de prévention des infractions pénales. La Cour comprend en conséquence que les détenus concernés, tel le requérant, aient le sentiment d'être de la sorte victimes de mesures arbitraires. Elle conçoit que ce sentiment soit accentué par le fait que le régime de la fouille des détenus en général, et des fouilles intégrales en particulier, d'une part est pour l'essentiel organisé par une instruction émanant de l'administration elle-même – la circulaire du 14 mars 1986 –, et d'autre part laisse au chef d'établissement un large pouvoir d'appréciation.
Selon la Cour, ensemble, ce sentiment d'arbitraire, celui d'infériorité et l'angoisse qui y sont souvent associés, et celui d'une profonde atteinte à la dignité que provoque indubitablement l'obligation de se déshabiller devant autrui et de se soumettre à une inspection anale visuelle, en sus des autres mesures intrusives dans l'intimité que comportent les fouilles intégrales, caractérisent un degré d'humiliation dépassant celui – tolérable parce qu'inéluctable – que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus. De surcroît, l'humiliation ressentie par le requérant a été accentuée par le fait que ses refus de se plier à ces mesures lui ont valu, à plusieurs reprises, d'être sanctionné par des placements en cellule disciplinaire.
48.  La Cour en déduit que les fouilles intégrales que le requérant a subies alors qu'il était détenu à la maison d'arrêt de Fresnes, entre septembre 1994 et décembre 1996, s'analysent en un traitement dégradant au sens de l'article 3. Il y a donc eu violation de cette disposition.
Elle considère en revanche que le seuil de gravité requis n'est pas atteint en l'espèce pour qu'il y ait traitement « inhumain ».
49.  Enfin, la Cour ayant examiné la question des fouilles intégrales subies par le requérant sous l'angle de l'article 3 de la Convention et ayant conclu à une violation de cette disposition, il n'y a pas lieu de l'examiner aussi sous l'angle de l'article 8 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DU DROIT AU RESPECT DE LA CORRESPONDANCE AU SENS DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
50.  Invoquant l'article 8 de la Convention précité, le requérant soutient que la circulaire du 29 décembre 1986, relative aux « correspondances écrites et télégraphiques des détenus », viole le droit au respect de la correspondance de ceux-ci. Il estime qu'en excluant de la correspondance tout « contenu qui ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire », dont les bulletins, les circulaires, les tracts, les imprimés et les lettres qui ne remplissent pas les critères de spécificité et d'exclusivité, cette circulaire consacre des restrictions non prévues par la loi à l'exercice de ce droit. Il se plaint en outre particulièrement de la décision du directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis du 28 juin 1993 de ne pas acheminer un courrier qu'il avait rédigé à l'attention d'un ami détenu dans un autre établissement.
51.  Le Gouvernement rejette cette thèse. Il expose que, si les articles D. 414 et D. 417 consacrent largement le droit des détenus de correspondre, ce droit est entouré de limites précises quant à la forme et au contenu des lettres envoyées : elles doivent en particulier être écrites « en clair » et ne comporter aucun signe ou « caractère conventionnel », et écrites par les prévenus ou à eux adressés (articles D. 415 et D. 416 du même code) ; celles qui ne satisfont pas aux prescriptions réglementaires peuvent être retenues (alinéa 3 de l'article D. 416 du même code). Il souligne que la circulaire d'application du 19 décembre 1986 ne comporte pas de définition de la notion de correspondance allant au-delà de ce que prévoient les dispositions réglementaires en vigueur, puisqu'elle définit la correspondance comme étant « une relation par écrit entre deux personnes nommément désignées qui se distingue des bulletins, lettres, circulaires, tracts, imprimés dont le contenu ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire » ; la distinction ainsi opérée serait en adéquation avec le terme « lettre » dont use le code de procédure pénale. Par ailleurs, les chefs d'établissement ne peuvent se fonder en droit que sur un des motifs prévus aux articles D. 414 à D. 416 pour retenir une correspondance : lorsqu'elle paraît compromettre gravement la réinsertion du détenu ou la sécurité et le bon ordre de l'établissement, lorsqu'elle contient des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires, ou lorsqu'elle ne satisfait pas aux prescriptions réglementaires.
Le Gouvernement en déduit que, d'un point de vue général, l'ingérence dénoncée est « prévue par la loi » au sens de l'article 8 de la Convention ; elle est par ailleurs « expliquée » par les menaces éventuelles contre les personnes ou contre la sécurité des établissements pénitentiaires que pourraient contenir ces courriers, ou la nécessité de ne pas compromettre la réinsertion des détenus.
S'agissant en particulier de la décision du directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis du 28 juin 1993 de retenir un courrier adressé par le requérant à un ami détenu ailleurs au motif qu'il ne correspondait pas à la définition de la notion de correspondance, le Gouvernement expose que dans le courrier litigieux le requérant entendait aider le destinataire à rédiger une demande de libération conditionnelle ; la signature figurant sur la lettre étant illisible, il était possible de conclure que le requérant avait lui-même rédigé le courrier que son ami devait ensuite transmettre au juge d'application des peines. Le Gouvernement en déduit qu'il ne s'agissait pas d'une lettre mettant en relation deux personnes nommément désignées, de sorte que l'« atteinte à la vie privée » du requérant est discutable.
52.  Le requérant réplique que le code de procédure pénale consacre le principe de liberté de correspondance pour les détenus, l'assortissant de quelques limites nécessaires à leur réinsertion, ou à la sécurité, ou au bon ordre de l'établissement pénitentiaire. La circulaire du 29 décembre 1986, en retenant une définition restrictive de la notion de correspondance excluant tout contenu qui ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire, consacrerait des restrictions à l'exercice de cette liberté qui ne sont pas prévues par la loi et qui vont jusqu'à la contredire. Par ailleurs, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, un chef d'établissement qui retient une correspondance au motif qu'il ne s'agit pas d'une relation écrite entre deux personnes nommément désignées se fonde sur un motif non prévu par les articles D. 414 et D. 416 du code de procédure pénale.
Selon le requérant, l'incompatibilité de la circulaire du 29 décembre 1986 avec les exigences de l'article 8 de la Convention suffit pour conclure que la décision du 28 juin 1993 a été prise en violation de son droit au respect de sa correspondance. Au surplus, en tout état de cause, cette décision serait contraire à ladite circulaire puisque le courrier en question répondait à la définition qu'elle donne de la notion de correspondance.
53.  La Cour souligne que, comme la Commission européenne des Droits de l'Homme l'avait retenu dans sa décision B.C. c. Suisse (no 21535/93) du 27 février 1995, en consacrant le droit de « toute personne » au respect de sa correspondance, l'article 8 de la Convention protège la confidentialité des « communications privées » ; cela englobe évidemment les échanges de lettres entre individus, y compris lorsque l'envoyeur ou le destinataire est un détenu (voir, par exemple, l'arrêt Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61).
La Cour a ainsi jugé que le simple contrôle de la correspondance des détenus par les autorités est constitutif d'une « ingérence », au sens de l'article 8, dans l'exercice du droit de ces derniers au respect de celle-ci (voir, par exemple, l'arrêt Calogero Diana c. Italie du 15 novembre 1996, Recueil des Arrêts et Décisions 1996-V, § 28).
54.  Il en résulte que le contenu de la correspondance dont il est question est sans pertinence lorsqu'il s'agit de déterminer si une mesure restrictive est constitutive d'une « ingérence » (ce qu'illustre au demeurant l'arrêt A c. France du 23 novembre 1993, série A no 277-B, §§ 35-37) : pour qu'il en aille de la sorte, il suffit qu'il y ait immixtion dans une communication privée.
55.  Il est donc manifeste qu'est constitutive d'une « ingérence » la décision du directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis du 28 juin 1993 de ne pas acheminer un courrier rédigé par le requérant à l'attention d'une personne détenue dans un autre établissement, destiné à lui fournir des indications sur la manière de procéder pour obtenir une libération conditionnelle.
56.  Pareille ingérence enfreint l'article 8, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire, dans une société démocratique », pour le ou les atteindre (étant entendu à cet égard qu'un certain contrôle de la correspondance des détenus est compatible avec la Convention ; voir notamment l'arrêt Silver et autres précité, § 98).
57.  La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi » signifient en premier lieu que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne, qu'elle entend le terme « loi » dans son acception matérielle plutôt que formelle, et qu'elle y a inclus des textes de rang « interlégislatif » édictés par les autorités compétentes en vertu d'un pouvoir normatif délégué (arrêt Lavents c. Lettonie du 28 novembre 2002, no 58442/00, § 135).
58.  En l'espèce, elle constate que le code de procédure pénale reconnaît largement le principe de la liberté de correspondance des détenus. L'article D. 414 (premier alinéa) dispose en effet que «  les détenus condamnés peuvent écrire à toute personne de leur choix et recevoir des lettres de toute personne » et l'article D. 417 que « les détenus peuvent écrire tous les jours et sans limitation ».
L'article D. 414 précise néanmoins que la correspondance des « détenus condamnés » avec des personnes autres que le conjoint ou les membres de la famille peut être « interdite » par le chef d'établissement lorsqu'elle « paraît compromettre gravement [leur] réinsertion (...) ou la sécurité et le bon ordre de l'établissement » (second alinéa). L'article D. 415 ajoute que les lettres adressés aux détenus ou envoyées par eux doivent « être écrites en clair et ne comporter aucun signe ou caractère conventionnel » (premier alinéa), et qu'« elles sont retenues lorsqu'elles contiennent des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires » (second alinéa). Quant à l'article D. 416 (troisième alinéa), il spécifie que « les lettres qui ne satisfont pas aux prescriptions réglementaires peuvent être retenues ».
59.  Le Gouvernement concède que, dans tous les cas, les chefs d'établissements ne peuvent « se fonder en droit » que sur un des motifs suscités pour retenir ou interdire une correspondance. Or en l'espèce la décision de ne pas acheminer le courrier du requérant ne relevait pas d'une interdiction préalable telle que celle qui est prévue par le second alinéa de l'article D. 414 du code de procédure pénale. Par ailleurs, rien n'indique – et le Gouvernement ne le prétend pas – que la lettre litigieuse n'était pas « écrite en clair » ou comportait des « signes ou caractères conventionnels », contenait des menaces contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires, ou manquait autrement aux « prescriptions réglementaires », au sens des articles D. 415 et D. 416 du même code.
Il ressort du dossier que, plutôt que de reposer sur l'un de ces motifs, la décision de ne pas acheminer ladite lettre a été prise par le chef d'établissement parce que, selon lui, elle « ne correspond[ait] pas à la définition de la notion de correspondance ». Aucun texte de nature législative ou réglementaire ne pourvoit pourtant à une définition de cette notion, et le Gouvernement ne prétend pas que cette lacune a été comblée par la jurisprudence ; comme le requérant, il renvoie à cet égard à la définition figurant dans la circulaire du 29 décembre 1986, selon laquelle « la correspondance est une relation par écrit entre deux personnes nommément désignées qui se distingue des bulletins, lettres, circulaires, tracts, imprimés dont le contenu ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire ». Or les circulaires ne sont rien de plus que des instructions de service adressées, en vertu de son pouvoir hiérarchique, par une autorité administrative supérieure à des agents subordonnés ; elles sont en principe dépourvues de force obligatoire vis-à-vis des administrés (voir, mutatis mutandis, les arrêts Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, § 53, et Poltoratskiy c. Ukraine du 29 avril 2003, no 38812/97, §§ 158-162). Selon la Cour, on ne saurait voir dans un texte de cette nature, édicté en dehors de l'exercice d'un pouvoir normatif, la « loi » à laquelle renvoie l'article 8 de la Convention notamment.
60.  La Cour en déduit qu'en tout état de cause, l'ingérence litigeuse n'était pas « prévue par la loi » ; cela est d'autant plus frappant que, comme elle l'a précédemment souligné, la liberté de correspondance des détenus est largement reconnue par le code de procédure pénale.
61.  La Cour constate en outre que la définition de la notion de « correspondance » que retient la circulaire du 29 décembre 1986 exclut notamment les « lettres (...) dont le contenu ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire ». Elle juge une telle définition incompatible avec l'article 8 de la Convention, en ce qu'elle s'articule autour du contenu de la « correspondance » (voir le paragraphe 54 ci-dessus) et conduit à exclure d'office du champ de protection de cette disposition une catégorie entière d'échanges épistolaires privés auxquels des détenus peuvent souhaiter participer.
62.  Partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
63.  Le requérant se plaint du fait que le Conseil d'Etat a déclaré irrecevable sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis du 28 juin 1993 précitée, au motif qu'il s'agit d'une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il voit là une méconnaissance de son droit à un recours effectif. Il invoque, combiné avec l'article 8 précité, l'article 13 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
64.  Le Gouvernement souligne que la décision prise en l'espèce par le Conseil d'Etat s'inscrit dans le droit fil de sa jurisprudence relative à la notion de mesure d'ordre intérieur – qui découle de l'adage de minimis non curat praetor – antérieure à ses arrêts Marie et Remli (précités, paragraphe 23 ci-dessus). Il ajoute que, vu l'absence manifeste de violation de l'article 8 en l'espèce, le grief tiré de l'article 13 ne saurait prospérer.
65.  Le requérant réplique qu'il suffit qu'un grief tiré de la violation de l'une des dispositions de la Convention soit « défendable » pour que l'article 13 puisse être invoqué. Or tel serait le cas en l'espèce.
66.  La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés ; cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement. La portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant ; toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit toujours être « effectif » en pratique comme en droit. L'« effectivité » d'un « recours » au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. De même, l'« instance » dont parle cette disposition n'a pas besoin d'être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu'elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l'effectivité du recours s'exerçant devant elle. En outre, l'ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l'article 13, même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui seul (voir, parmi de nombreu x autres, les arrêts Čonka c. Belgique du 5 février 2002, no 51564/99, CEDH 2002-I, §§ 75-76 et, précité, Ramirez Sanchez, § 157-159).
Vu la conclusion de la Cour sur ce point (paragraphe 62 ci-dessus), le caractère « défendable » du grief tiré de l'article 8 et relatif au refus du directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis d'acheminer un courrier du requérant ne fait pas de doute en l'espèce ; le requérant est donc en mesure de se prévaloir de l'article 13 combiné avec cette disposition. Ceci étant, la Cour constate que le Conseil d'Etat a déclaré irrecevable la demande du requérant tendant à l'annulation de cette décision de refus, au seul motif qu'il s'agissait d'une mesure d'ordre intérieur, insusceptible  de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Elle relève ensuite que le Gouvernement ne prétend pas qu'un autre recours répondant aux exigences de l'article 13 était à la disposition du requérant. Elle en déduit que ce dernier a été privé de tout recours, s'agissant du grief tiré d'une violation de son droit au respect de sa correspondance.
Partant, il y a eu violation de l'article 13 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
67.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure devant le Conseil d'Etat. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
68.  Selon le Gouvernement, la période à considérer sous l'angle du « délai raisonnable » est de six ans pour une instance. Il estime qu'en constituant tardivement avocat, le requérant a ralenti le déroulement de la procédure, mais reconnaît que celle-ci « a également connu des périodes de latence » et déclare en conséquence « s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour ».
69.  Le requérant réplique qu'aucune attitude abusive ou dilatoire ne peut lui être imputée et invite la Cour à relever que le Gouvernement ne conteste pas que l'article 6 § 1 a été violé en l'espèce.
70.  Selon la Cour, la période à considérer sous l'angle du « délai raisonnable » débute le 24 septembre 1994, date de la saisine du tribunal administratif de Versailles, et prend fin le 8 décembre 2000, date de l'arrêt du Conseil d'Etat. Elle est donc de plus de six ans pour une seule instance.
Ceci étant, la Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Frydlender c. France [GC] du 27 juin 2000, no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et prenant acte de la déclaration du Gouvernement, la Cour estime, compte tenu de sa jurisprudence en la matière, que la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
V.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
71.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
72.  Le requérant met l'accent sur la gravité des violations des droits fondamentaux dont il est victime, soulignant en particulier qu'entre janvier 1994 et fin 1996 il a été soumis fréquemment et sans aucune justification à des fouilles intégrales avilissantes, inopinées à Fleury-Mérogis, systématiques à Fresnes, et que ses refus de s'y soumettre lui ont invariablement valu des sanctions disciplinaires ; il indique avoir ainsi vécu durant une longue période dans l'angoisse permanente de ces fouilles déshumanisantes. Il ajoute que l'ingérence des autorités pénitentiaires dans son droit au respect de sa correspondance a accentué son « impression oppressante d'être à la merci d'un pouvoir arbitraire absolu », et que l'absence de recours effectif et le temps de traitement du litige par le juge administratif l'ont laissé dans une profonde détresse et un sentiment éprouvant d'abandon.
Plus généralement, du 1er février 1993 au 2 décembre 1996, le régime de détention qu'il a subi à Fleury-Mérogis puis à Fresnes lui aurait causé non seulement « une grande détresse » mais aussi des « conséquences psychologiques dommageables » : des sentiments de désarroi, d'impuissance et de colère (contre-lui-même et autrui), ainsi que des « difficultés de communication avec l'administration pénitentiaire qui ont détérioré le climat de sa détention ». Il affirme présenter des « séquelles psychologiques persistantes (insomnie, symptômes d'anxiété, symptômes psychosomatiques) ». Il réclame 42 150 euros (« EUR ») en réparation du préjudice moral ainsi caractérisé (soit 30 EUR par jour passé « dans l'angoisse » sous le régime de détention qu'il dénonce).
Le requérant déclare avoir l'intention de « consacrer la satisfaction équitable allouée par la Cour à l'indemnisation des parties civiles aux différents procès pénaux qui l'ont condamné ».
73.  Le Gouvernement juge le montant réclamé excessif. Il propose 8 000  EUR en réparation du préjudice moral résultant de la violation des articles 3, 8 et 13 de la Convention.
74.  Les circonstances qui ont conduit la Cour à conclure en l'espèce à la violation des articles 3, 8, 13 et 6 § 1 de la Convention sont incontestablement de nature à générer désespoir, angoisse et tension. Le requérant est donc en mesure de se prévaloir d'un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour lui alloue 12 000 EUR à ce titre.
B.  Frais et dépens
75.  Le requérant – qui indique avoir bénéficié de l'aide juridictionnelle devant le Conseil d'Etat – réclame 6 000 EUR en remboursement de ses frais et dépens devant cette juridiction puis la Cour, cette somme correspondant aux honoraires de son avocat (il indique vingt-deux heures de travail dans le cadre de la procédure interne et vingt-cinq dans le cadre de la procédure devant la Cour) ainsi qu'aux « entretiens téléphoniques » et à la correspondance effectuée par celui-ci. Il ne fournit pas de justificatif à l'appui de sa demande.
76.  Selon le Gouvernement, « le requérant est uniquement fondé à demander le versement des sommes engagées pour son contentieux devant la Cour, sous réserve de la production de justificatifs et du caractère raisonnable de ces honoraires » ; sous cette réserve, il propose 2 500 EUR.
77.  La Cour rappelle que lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le paiement des frais et dépens qu'il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, par exemple, les arrêts Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36 et Lallement c. France du 11 avril 2002, no 46044/99, § 34) en sus de ceux exposés devant elle. Selon sa jurisprudence, un requérant ne peut cependant obtenir un remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, aux termes de l'article 60 §§ 2 et 3 du règlement, le requérant doit soumettre des prétentions chiffrées et ventilées par rubriques et accompagnées des justificatifs pertinents, faute de quoi la chambre peut rejeter tout ou partie de celles-ci.
En l'espèce, le requérant ne fournit aucun justificatif à l'appui de sa demande. Il ne prend pas même soin d'indiquer le taux horaire sur la base duquel les honoraires dont il demande le remboursement ont été calculés, ni de distinguer les parts du montant réclamé relatives respectivement à la procédure interne – dans le cadre de laquelle il a d'ailleurs bénéficié de l'aide juridictionnelle – et à celle devant la Cour. Dans ces conditions, la Cour considère qu'il y a lieu de rejeter l'intégralité des prétentions du requérant au titre des frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
78.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention à raison des fouilles intégrales subies par le requérant, et qu'il n'y a pas lieu d'examiner cette question sous l'angle de l'article 8 de la Convention ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention, à raison du contrôle de la correspondance du requérant ;
3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
5.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 12 000 EUR (douze mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juin 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka   Greffière Président
ARRÊT FRÉROT c. FRANCE
ARRÊT FRÉROT c. FRANCE 


Synthèse
Formation : Cour (deuxième section)
Numéro d'arrêt : 70204/01
Date de la décision : 12/06/2007
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 13 ; Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens (procédure nationale) - demande rejetée ; Frais et dépens (procédure de la Convention) - demande rejetée

Analyses

(Art. 13) RECOURS EFFECTIF, (Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : FREROT
Défendeurs : FRANCE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-06-12;70204.01 ?
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