DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE L.B. c. BELGIQUE
(Requête no 22831/08)
ARRÊT
STRASBOURG
2 octobre 2012
DÉFINITIF
02/01/2013
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire L.B. c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Danutė Jočienė, présidente,
Françoise Tulkens,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 septembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22831/08) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. L.B. (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente faisant fonction de la deuxième section a décidé que l’identité du requérant ne serait pas divulguée (article 47 § 3 du règlement).
2. Le requérant est représenté par Me W. van Steenbrugge, avocat à Merelbeke. Le gouvernement belge (« le Gouvernement »), est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.
3. Le requérant allègue en particulier que sa détention est contraire à l’article 5 § 1 de la Convention car elle a lieu dans un établissement non approprié.
4. Le 5 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1963 et est actuellement interné à l’annexe psychiatrique de la prison de Gand.
6. Entre 1986 et 1995, le requérant fut condamné à plusieurs reprises à des peines de prison pour vol et port d’armes.
7. Le 28 mai 1997, un rapport psychiatrique établi par les docteurs D. et H. conclut que le requérant souffrait d’un sérieux trouble de la personnalité avec une propension certaine à violer les droits des autres et à transgresser les règles et qu’il en résultait un danger constant pour la société et un risque important de récidive.
8. Le 17 novembre 1997, le requérant fut condamné par la cour d’appel de Gand à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour viol sur mineure, sa fille en l’occurrence.
9. Le 19 décembre 2000, la commission de libération conditionnelle prononça la libération conditionnelle du requérant et l’autorisa à subir sa peine en dehors de la prison sous condition, notamment, de faire l’objet d’un suivi psychiatrique.
10. Le 18 avril 2001, compte tenu de l’importance des troubles qu’il présentait, le requérant fut interné en établissement psychiatrique sur décision du ministère de la Justice prise sur avis conforme de la commission de défense sociale (« CDS ») de Gand du 28 mars 2001.
11. Le 17 octobre 2002, considérant que les possibilités concrètes d’un reclassement présentant assez de garanties pour la société n’étaient pas suffisantes, la commission supérieure de défense sociale réforma la décision de la CDS du 28 août 2002 qui s’était, entre-temps, prononcée en faveur de la libération définitive du requérant.
12. La libération conditionnelle fut révoquée le 10 avril 2003 au motif que le requérant ne se conformait pas aux conditions posées. Selon le rapport du service du centre pénitentiaire école de Hoogstraten, ce dernier n’avait pas le moindre contrôle de sa sexualité et faisait preuve d’un manque terrible de sens de la responsabilité et de prise de conscience de ses actes. Un rapport du 3 octobre 2003 d’un neuro-psychiatre, le docteur V.P., indiquait que le requérant accordait un intérêt démesuré et incontrôlé à ce qui avait trait à sa vie sexuelle. Il décrivait le requérant comme une personne particulièrement dérangée présentant une grande dangerosité. Il considérait le risque de récidive comme étant très élevé.
13. La décision fut prise d’interner le requérant dans un établissement de défense sociale le 22 janvier 2004 par le ministre de la Justice en application de l’article 21 de la loi de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels du 1er juillet 1964 (« loi de défense sociale ») et sur avis conforme de la CDS du 7 octobre 2003.
14. Sur décision de la CDS du 22 mars 2004, le requérant fut interné à l’annexe psychiatrique de la prison de Gand. La décision était formulée en ces termes :
[traduction du greffe]
« Etant entendu que :
. l’état mental de l’intéressé ne s’est pas suffisamment amélioré,
. les conditions en vue d’un reclassement ne sont pas remplies,
La Commission prend acte de l’arrêté ministériel du 22.01.2004 pris en application de l’article 21 et dit que l’internement doit se prolonger à l’annexe psychiatrique de la prison de Gand si l’interné est considéré comme étant apte pour participer au projet Obra.
La Commission dit que, si l’interné n’était pas considéré comme étant apte pour participer au projet Obra, l’internement se poursuivrait provisoirement à l’annexe psychiatrique de Merksplas jusqu’à ce que l’admission dans un cadre résidentiel puisse être réalisée ».
15. Le requérant fut transféré à l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas sur décision de la CDS du 13 décembre 2004.
16. Au cours de l’année 2004, le requérant rencontra le psychologue de la prison en moyenne une fois par mois.
17. Le 21 février 2005, la CDS confirma le maintien de l’internement à Merksplas en ces termes :
[traduction du greffe]
« Etant entendu que :
(...) - qu’il ressort du rapport le plus récent établi le 24.11.2004 par le service de la prison de Gand que les dispositions du requérant ne se sont pas suffisamment améliorées depuis l’expertise du Dr [V.P.] du 03.10.2003 et l’arrêté ministériel du 22.01.2004 ;
. que les garanties en vue d’une réintégration sociale ne sont pas remplies, ni celles d’un traitement thérapeutique adapté, (...) toutes les tentatives répétées en vue de traiter l’intéressé de manière spécialisée de la part des assistants sociaux, assistants de justice et thérapeutes ont échoué ;
. qu’il ressort de tous les avis autorisés que l’admission psychiatrique en résidentiel du requérant est la seule solution adéquate afin de réaliser la réinsertion sociale du requérant (...) ».
18. Un rapport établi par le centre légal de l’université d’Anvers le 12 mai 2005 recommanda l’administration d’un traitement hormonal ainsi que l’orientation du requérant vers un circuit pour personnes handicapées avec emploi en milieu protégé.
19. En 2004 et 2005, plusieurs établissements résidentiels privés furent contactés pour prendre en charge le requérant. Dans ses rapports de suivi de novembre 2004 et d’août 2005, le service de la prison constata leur refus d’intégrer le requérant à cause de la problématique sexuelle et ses faibles capacités intellectuelles.
20. Au cours de l’année 2005, le requérant rencontra le psychologue de la prison en moyenne une fois par mois.
21. Le 20 février 2006, le requérant fut à nouveau transféré à Gand sur décision de la CDS afin que son reclassement puisse être fait en coopération avec le centre Obra (paragraphe 71).
22. Le 21 juin 2006, invoquant une violation des articles 5 et 6 de la Convention, le requérant assigna l’Etat belge en référé devant le Président du tribunal de première instance de Gand lui demandant d’ordonner sa mise en liberté immédiate. Dans ses conclusions, le requérant se plaignait de l’absence de traitement adapté à sa pathologie et de ce que l’équipe soignante n’avait de toute façon pas les moyens pratiques de prodiguer les soins à l’ensemble de la population carcérale. Il demandait qu’une visite des lieux soit organisée pour constater ses allégations.
23. Dans une ordonnance du 13 novembre 2006, le Président du tribunal de première instance rejeta la demande au motif que, dans la mesure où cette disposition trouvait à s’appliquer, le traitement de l’affaire était conforme aux garanties prévues par l’article 6, y compris les droits de la défense, que l’internement et les décisions de la CDS avaient été prises selon les voies légales conformément à l’article 5 § 1 de la Convention, que le requérant bénéficiait de soins et d’un cadre destinés à le protéger et à protéger la société contre le risque de récidive, que ce risque était évalué et devait être discuté avec le personnel médical.
24. Le 9 octobre 2006, le requérant fit savoir au service qu’il souhaitait faire l’objet d’une castration chimique.
25. Au cours de l’année 2006, le requérant rencontra le psychologue de la prison à neuf reprises.
26. Le service de la prison établit un rapport, le 2 janvier 2007, dont il ressort qu’aucune solution, ni le maintien en prison, ni le traitement ambulatoire, ne correspondait aux besoins du requérant et qu’aucune des pistes explorées n’avait abouti.
27. Le 8 janvier 2007, la CDS confirma le maintien provisoire de l’internement à la prison de Gand dans l’attente que soit effectuée une évaluation des risques que présentait le requérant et qu’un traitement hormonal soit entamé et évalué.
28. Une expertise psychologique fut établie par le docteur N. le 29 avril 2007 et soulignait que le profil du requérant demeurait à haut risque, qu’un contrôle permanent continuait d’être nécessaire ainsi qu’un traitement médicamenteux et un accompagnement.
29. Le 4 juin 2007, la CDS confirma le maintien provisoire de l’internement à la prison de Gand dans l’attente de trouver une solution résidentielle. Elle requit également du service de prendre les mesures nécessaires en vue d’une castration chimique, condition préalable au reclassement en ambulatoire.
30. En juillet 2007, le service social constata que la castration chimique était médicalement contre-indiquée dans le cas du requérant.
31. Dans un arrêt du 6 décembre 2007, la cour d’appel de Gand confirma la décision du tribunal de première instance du 13 novembre 2006. Sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention, la cour d’appel statua en ces termes :
[traduction du greffe]
« Du fait qu’il n’est pas contesté que l’intéressé soit gravement malade et qu’il ressort du dossier qu’il présente un grand danger de récidive, l’internement est régulier. De plus, [...], il a été ordonné conformément aux dispositions légales belges et est donc également régulier et conforme aux voies légales.
L’intéressé ne peut être suivi quand il avance que son internement ne serait pas régulier et que [relèverait] de la véritable sanction et non d’une mesure de soins et de protection au motif que la mesure d’internement ne serait pas accompagnée de soins thérapeutiques.
Bien que le requérant réside dans un établissement pénitentiaire, il y bénéficie des soins thérapeutiques et peut faire appel à tous les services disponibles. L’intéressé ne conteste pas la conclusion à laquelle la partie adverse est parvenue. Que ces soins ne soient pas adaptés ni suffisants n’est pas démontré en droit, tandis qu’il est à suffisance établi que dans le cadre de l’actuel examen prima facie, une telle recherche exhaustive ne doit et ne peut pas être entreprise. Quand bien même on accepterait que les soins disponibles soient inadaptés, on ne pourrait en tout état de cause – dans le cadre de l’actuelle procédure en référé – conclure à une violation manifeste desdites dispositions conventionnelles. »
32. Au cours de l’année 2007, le requérant rencontra le psychologue de la prison en moyenne une fois par mois.
33. Le 27 février 2008, un rapport fut établi par une ortho-agogue, le docteur A., et émettait un avis positif sur le requérant dans la perspective d’un reclassement. Ce rapport indiquait notamment que :
« Dans le passé, [L.B.] a eu des problèmes de fonctionnement dans la société. [L.B.] ne possède pas les aptitudes adaptatives efficaces pour faire lui-même face à des problèmes dans la vie quotidienne, sociale, relationnelle et sociale. Vu son manque de compréhension du fonctionnement social (manque de normes et valeur, etc.), il est très vulnérable.
Uniquement un environnement bien structuré offre suffisamment de support pour ce problème. [L.B.] nécessite une limitation externe et contrôle sur son comportement. Les conditions pour construire quelque chose sont un aménagement de jour sensé, assistance psychosociale et suivi médical strict. (...)
Selon nous, le mieux pour [L.B.] est un environnement en habitation et aménagement de jour dans lequel il peut avoir suffisamment d’espace pour lui-même (...). De cette manière, il peut fonctionner en groupe sans devoir y participer tout le temps. »
34. Le 3 mars 2008, la CDS confirma le maintien de l’internement à la prison de Gand. Pour la première fois, elle envisagea la possibilité de trouver un reclassement ambulatoire très structuré.
35. Courant 2008, le requérant contacta en vain cinq établissements privés en vue d’une prise en charge résidentielle ou ambulante.
36. Le 8 mai 2008, la demande d’assistance judiciaire introduite par le requérant en vue de former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel fut rejetée. Dans son rapport du 22 avril 2008, se référant à la jurisprudence de la Cour, l’avocat près la Cour de cassation avait en effet conclu à l’absence de chance raisonnable de succès du pourvoi.
37. D’après le rapport établi le 16 octobre 2008 par le psychologue du service psycho-social de la prison, le requérant se vit administrer un traitement en vue de sa castration chimique.
38. Le 3 novembre 2008, la CDS décida que l’internement se poursuivrait à la prison de Merksplas, confirma son accord de principe en vue d’un reclassement résidentiel ou ambulatoire à condition notamment que le requérant soit interdit de tout contact avec sa fille et sa famille et donna son accord de principe pour que le requérant soit pris en charge par l’association interdisciplinaire ‘t Zwart Goor.
39. Au cours de l’année 2008, le requérant rencontra le psychologue de la prison à neuf reprises.
40. Les 18 mai et 14 décembre 2009, la CDS confirma le maintien du requérant à Merksplas dans l’attente d’un reclassement résidentiel ou ambulatoire du requérant.
41. Le requérant contacta huit institutions résidentielles privées qui refusèrent toutes de le prendre en charge au motif principalement qu’un traitement thérapeutique ne faisait pas de sens et que le requérant était trop dangereux. Furent également contactés en vain des services « habitation protégée » pour une prise en charge ambulatoire ainsi que des centres de soins de jour « hygiène mentale » mais, dans un rapport du 7 mai 2009, le service écarta la piste de l’ambulatoire car trop peu contrôlée.
42. Dans un rapport du service psycho-social du 9 décembre 2009, les psychologues signalaient que le requérant souhaitait reprendre contact avec sa fille et relatait plus ouvertement les faits pour lesquels il avait été condamnés. A leur avis, il s’agissait d’une évolution inquiétante.
43. Au cours de l’année 2009, le requérant rencontra le psychologue de la prison à quatre reprises.
44. Dans une décision du 25 janvier 2010, la CDS, se référant au rapport établi par l’ortho-agogue du 27 février 2008, à l’échec des démarches entreprises en vue d’un traitement résidentiel et à l’évolution du comportement du requérant vers une prise de conscience de la gravité des faits qui lui étaient reprochés, donna son accord en vue d’un reclassement et un traitement ambulatoire structuré en dehors du milieu familial. La CDS approuva un régime de semi-liberté donnant la possibilité au requérant d’aller travailler de façon accompagnée dans le centre d’activités de jour De Moester tout en retournant chaque soir à la prison de Gand.
45. Le 12 février 2010, le requérant fut transféré à la prison de Gand et commença ses activités auprès de De Moester le 15 mars 2010.
46. Le 3 mai 2010, la CDS donna son autorisation pour que le requérant puisse fréquenter De Moester trois jours par semaine. Elle confirma la poursuite de l’internement à la prison de Gand dans l’attente d’un « reclassement ambulatoire sur une base très progressive avec pré-thérapie ». L’autorisation fut étendue à cinq jours par semaine par décision du 30 juillet 2010.
47. Le requérant prit contact avec le service psycho-social de la prison de Gand pour la mise en œuvre de la pré-thérapie. Le 29 mai 2010, la direction de la prison lui répondit que ses chances d’accéder à une pré-thérapie en Belgique étaient quasi-nulles mais qu’une demande avait été faite auprès du centre Caw Artevelde. Dans un courrier du 7 décembre 2010 adressé au président de la CDS, l’avocat du requérant fit savoir qu’il était toujours en attente d’une réponse.
48. Le rapport du service de la prison du 10 novembre 2010 évalua l’évolution de la situation du requérant en ces termes :
[traduction du greffe]
« Point de vue de De Moester
[...] Nous pouvons conclure que nous sommes satisfaits de ses activités.
Point de vue du service
Malgré l’évolution positive du régime de semi-liberté, nous pensons [...] que seul un encadrement strictement structuré et fortement contrôlé est adapté à la problématique de l’intéressé. Ni le service de Merksplas ni celui de Gand n’ont trouvé d’établissement qui voulait entamer une thérapie d’une part en raison du risque de récidive, d’autre part, en raison des facultés intellectuelles et de la réceptivité thérapeutique très limitées de l’intéressé. Aucun dispositif ambulant n’a été trouvé qui répondrait suffisamment aux limitations et à la problématique du requérant. Malgré ce point de vue [...] un travail volontaire fut entamé auprès de De Moester sans [...] préparation sérieuse [...] ».
49. Le 8 avril 2011, la CDS donna son accord en vue de l’intégration du requérant dans la structure de séjour résidentiel ‘t Eilandje.
50. Le 11 mai 2011, le service psycho-social fit part de son avis défavorable à un séjour résidentiel hors de la prison au motif que la structure en question n’offrait pas le contrôle et le suivi rigoureux nécessaires.
51. Le 1er août 2011, le requérant ne retourna pas à la prison en raison de son hospitalisation à la suite d’un accident de la route. Le permis de sortie journalier de la prison fut ensuite suspendu temporairement et le centre De Moester l’informa qu’il ne pouvait plus y revenir. Le rapport psychologique établi à cette occasion fit état de ce que :
« en fait, on n’a jamais eu un aperçu complet de son problème, ce qui aurait peut-être pu changer leur décision originale ou leur approche et éviter la situation actuelle ».
52. Fin août 2011, une pré-thérapie commença avec l’intervention à la prison du centre Obra.
53. Le 13 septembre 2011, la CDS révoqua le régime de semi-liberté au motif :
« Que le plan de reclassement difficilement développé pour l’intéressé semble avoir échoué.
Que la capacité mentale de l’interné semble trop faible dans un système de
semi- liberté.
Certes, que la semi-liberté qui fut attribuée sous la forme de permissions journalières de sortie afin de participer comme volontaire aux activités du centre de soins de jour De Moester à St Denijs-Westrem a échoué bien que ce processus avait été entamé de manière positive.
Que cet échec n’est pas uniquement dû à la faible personnalité de l’intéressé, mais également au défaut de suivi psycho-social de l’interné dans le système de la semi- liberté qui offre trop peu de suivi dans la prison, vu les moments de présence réduits de l’interné dans l’institution et l’absence du personnel psycho-social dans la prison le soir et pendant les week-ends.
Qu’il faut offrir un réseau de suivi et un contrôle ortho-agogique et psychosocial aussi structuré que possible comme décrit dans le rapport d’expertise de Mme N.A. [...] du 27 février 2008.
Que la division psychiatrique de l’établissement pénitentiaire à Gand n’est pas l’institution appropriée en vue d’un soin sur mesure exigé par l’état de l’intéressé en vue de sa réintégration dans la société.
Que la CDS n’a pas le pouvoir d’obliger une institution privée d’accueillir l’interné.
Qu’il faut cependant saisir toute possibilité de continuer intensivement la recherche d’une institution appropriée.
Que la CDS n’est pas non plus compétente pour retirer ou annuler l’arrêté ministériel du 22 janvier 2004 ordonnant l’internement de l’intéressé ».
54. Depuis septembre 2011, le requérant réside à nouveau à temps plein à la prison de Gand.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
55. Les dispositions applicables en l’espèce figurent dans la loi de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels du 1er juillet 1964 ainsi modifiée par la loi du 5 mars 1998.
56. Cette loi doit être remplacée par la loi du 21 avril 2007 relative à l’internement des personnes atteintes d’un trouble mental. Cette nouvelle loi, qui n’est pas encore entrée en vigueur, a pour objet d’adapter celle de 1964 à l’évolution des connaissances scientifiques en matière de psychiatrie et à la réforme du droit de l’exécution des peines. L’objectif du législateur est double: d’une part, la protection de la société et d’autre part, un soutien thérapeutique adapté à la personne internée en vue de sa réinsertion dans la société.
A. Décision et durée de l’internement
57. Les personnes visées par l’article 71 du code pénal, « [accusées] ou [prévenues] en état de démence au moment du fait » ainsi que les personnes qui se trouvent dans « un état grave de déséquilibre ou de débilité mentale [les] rendant incapables du contrôle de [leurs] actions » (article 1er de la loi de défense sociale) peuvent faire l’objet de deux types de mesures prévues par la loi de défense sociale: (i) la mise en observation qui a pour but d’établir un diagnostic sur leur état mental et dont il n’est pas question en l’espèce et (ii) la mesure de « défense sociale » à durée indéterminée qui se substitue à la peine dès lors qu’au moment du jugement, l’auteur est dans un des états prévus par la loi et qu’il constitue un « danger social ».
58. L’internement est, dans ce cas, décidé par une juridiction et sa durée dépend de l’évolution de l’intéressé.
Article 7
« Les juridictions d’instruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit politiques ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement de l’inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l’article premier. (...) »
59. L’internement peut également concerner les personnes condamnées qui développent un trouble mental au cours de leur détention.
Article 21
« Les condamnés pour crimes et délits qui, au cours de leur détention, sont reconnus en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant incapables du contrôle de leurs actions, peuvent être internés en vertu d’une décision du Ministre de la Justice rendue sur avis conforme de la commission de défense sociale.
(...)
Si, avant l’expiration de la durée prévue pour la peine, l’état mental du condamné est suffisamment amélioré pour ne plus nécessiter son internement, la commission le constate et le Ministre de la Justice ordonne le retour du condamné au centre pénitentiaire où il se trouvait antérieurement détenu.
(...) »
B. Instances de défense sociale
60. Les commissions de défense sociale (« CDS ») sont responsables de la mise en œuvre de l’internement.
Article 12
« Il est institué auprès de chaque annexe psychiatrique une commission de défense sociale.
Les commissions de défense sociale sont composées de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire qui en est le président, un avocat et un médecin.
Les membres des commissions sont nommés pour trois ans; ils ont chacun un ou plusieurs suppléants. (...) »
Article 13
« Il est institué également une commission supérieure de défense sociale composée de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire de la Cour de cassation ou d’une Cour d’appel, qui en est le président, un avocat et le médecin directeur du service d’anthropologie pénitentiaire. (...) »
61. Les CDS décident du lieu d’internement.
Article 14
« L’internement a lieu dans l’établissement désigné par la commission de défense sociale.
Celui-ci est choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement. La commission peut toutefois, pour des raisons thérapeutiques et par décision spécialement motivée, ordonner le placement et le maintien dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. (...) »
Article 15
« La commission peut d’office ou à la demande du Ministre de la Justice, du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat ordonner le transfèrement de l’interné dans un autre établissement.
La demande de l’interné ou de son avocat ne peut être représentée qu’après l’expiration d’un délai de six mois.
La commission peut admettre l’interné à un régime de semi-liberté dont les conditions et modalités sont fixées par le Ministre de la Justice. »
Article 17
« En cas d’urgence, le président de la commission peut ordonner à titre provisoire le transfèrement dans un autre établissement. Sa décision est soumise à la commission qui statue lors de sa plus prochaine séance.
Dans le même cas, et pour des raisons de sécurité, le Ministre de la Justice peut également ordonner, à titre provisoire, le transfèrement de l’intéressé dans un autre établissement. Il en informe immédiatement la commission. »
62. La loi n’accorde pas aux CDS le pouvoir pour imposer l’acceptation des internés par l’établissement approprié qu’elles ont désignées. La Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle sur la compatibilité de cette situation avec l’article 5 § 1 de la Convention, déclina sa compétence en ces termes dans un arrêt no 142/2009 du 17 septembre 2009 :
« B.7.3. Lorsque la juridiction compétente a jugé qu’une personne internée doit être accueillie dans un établissement approprié, il appartient aux autorités compétentes de faire en sorte que cette personne puisse y être accueillie (CEDH, Johnson c. Royaume-Uni, 24 octobre 1997; Brand c. Pays-Bas, 11 mai 2004; Morsink c. Pays-Bas, 11 mai 2004). Si, lorsque l’établissement désigné par la commission de défense sociale ne peut accueillir la personne internée, un équilibre raisonnable doit être recherché entre les intérêts des autorités et ceux de l’intéressé, un tel équilibre est rompu lorsque celui-ci est laissé indéfiniment dans un établissement que la juridiction compétente a jugé inadapté pour permettre son reclassement.
B.7.4. Cette atteinte au droit fondamental mentionné en B.7.1 ne provient cependant pas de la disposition législative sur laquelle la Cour est interrogée. Elle est due à l’insuffisance de places disponibles dans les établissements dans lesquels la mesure ordonnée par le juge a quo pourrait être exécutée.
B.8. Une telle situation concerne l’application de la loi. Sa sanction relève des cours et tribunaux et échappe par conséquent à la compétence de la Cour, de telle sorte que la question préjudicielle appelle une réponse négative. »
63. Sauf dans l’hypothèse, visée par l’article 21, où la peine n’a pas été purgée, les CDS sont compétentes pour ordonner la mise en liberté des internés.
Article 18
« La commission [de défense sociale] se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet définitif.
(...) »
Article 19bis
«La décision de rejet de la demande de mise en liberté est notifiée à l’interné par le directeur de l’établissement au plus tard le surlendemain du prononcé.
L’avocat de l’interné peut interjeter appel de cette décision auprès de la commission supérieure de défense sociale dans un délai de (quinze) jours à dater de la notification. »
Article 19ter
« Le pourvoi en cassation contre la décision de la Commission supérieure de défense sociale confirmant la décision de rejet de la demande de mise en liberté de l’interné ou déclarant fondée l’opposition du procureur du Roi contre la décision de mise en liberté de l’interné ne peut être formé que par l’avocat de l’interné. »
64. La procédure devant les CDS se présente comme suit :
Article 16
« La commission peut, avant de statuer par application des articles 14 et 15, prendre l’avis d’un médecin de son choix appartenant ou non à l’administration.
L’interné peut aussi se faire examiner par un médecin de son choix, et produire l’avis de celui-ci. Ce médecin peut prendre connaissance du dossier de l’interné.
Le procureur du Roi de l’arrondissement, le directeur ou le médecin de l’établissement de défense sociale ou de l’établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner, l’interné et son avocat sont entendus. Le dossier est mis pendant quatre jours à la disposition de l’avocat de l’interné.
Les débats ont lieu à huis clos.
L’interné est représenté par son avocat dans le cas où il est préjudiciable d’examiner en sa présence des questions médico-psychiatriques concernant son état.
Les services de reclassement et de tutelle peuvent se faire représenter aux débats par des délégués agréés à cette fin par le Ministre de la Justice.
Les trois membres de la commission et le secrétaire sont seuls présents lors du délibéré. »
C. Lieux d’internement
65. L’internement peut avoir lieu dans trois types d’établissements :
. les établissements de défense sociale : il existe trois établissements de ce type, gérés par l’administration pénitentiaire ou dépendant du ministère de la Justice, tous situés en Wallonie : l’établissement de Paifve, susceptible d’accueillir 208 internés ; l’hôpital de soins psychiatriques sécurisé Les Marronniers dont la capacité d’accueil est de 376 internés et la section de défense sociale du centre hospitalier psychiatrique du Chêne aux Haies, dont la capacité d’accueil est de trente lits réservés aux femmes internées ;
. les établissements psychiatriques classiques : ce sont des hôpitaux psychiatriques privés subventionnés ;
. les annexes psychiatriques de prison : douze prisons disposent d’annexes psychiatriques conçues à l’origine pour la mise en observation et l’internement provisoire dans l’attente d’un transfert vers un établissement de défense sociale.
66. En 2010 environ 10 % de la population carcérale (1 094 internés) séjournaient ainsi dans une annexe psychiatrique. Ils étaient au nombre de 790 en 1992 (document de « Politique pénale et d’exécution des peines – aperçu et développements », publié par le ministère de la Justice en mars 2010).
67. Des projets sont en cours en Flandre pour augmenter le nombre de places en hôpital psychiatrique avec la construction de deux établissements de défense sociale d’une capacité totale de 390 places qui devraient être opérationnels en 2014.
D. Encadrement thérapeutique dans les annexes psychiatriques de prison
68. Chaque établissement pénitentiaire et de défense sociale dispose d’un service qui apporte « une assistance professionnelle aux autorités compétentes par les avis qu’il formule, et contribue par une approche scientifique à la réintégration psycho-sociale des détenus afin de limiter la récidive tout en contribuant à l’exécution sûre et humaine de la peine » (administration des établissements pénitentiaires, rapport annuel d’activités, 1999). Le service est composé d’un directeur (qui est en principe le directeur d’établissement), un psychiatre, un psychologue, un assistant social et un assistant administratif.
69. La circulaire no 1800, adoptée par le ministre de la Justice le 7 juin 2007, prévoit que dans les établissements pénitentiaires disposant d’une annexe psychiatrique, le service se complète d’infirmiers psychiatriques, d’ergothérapeutes, de kinésithérapeutes et d’éducateurs. En fonction de la taille de l’annexe, et donc du nombre d’internés, il s’agit d’effectifs à temps plein ou à temps partiel.
70. En 2011, selon les informations données par le ministre de la Justice en réponse à une question parlementaire, les douze prisons disposant d’une annexe psychiatrique comptaient au total 19,79 psychologues et 27,38 psychiatres équivalent temps plein (question écrite no 5-2172 du 21 avril 2011).
71. La prison de Gand travaille en collaboration avec l’association sans but lucratif Obra qui propose un service d’accompagnement des personnes handicapées mentales séjournant à la prison sous la forme notamment d’activités pédagogiques à l’intérieur de la prison et d’accompagnement à des activités extérieures. Intervient également une équipe « antro » composée d’agents pénitentiaires chargés d’organiser des activités de formation et de détente pour les détenus.
III. DOCUMENTS PERTINENTS RELATIFS A LA SITUATION EN MATIERE D’INTERNEMENT EN BELGIQUE
72. Le maintien des personnes atteintes d’un trouble mental en institutions pénitentiaires est une problématique reconnue par les instances officielles belges. Dans le document précité (paragraghe 66), le ministère de la Justice s’exprimait en ces termes :
« (...) Les internés n’appartiennent pas à une catégorie carcérale classique. Ce sont des personnes souffrant de graves problèmes psychiques qui nécessitent un traitement adéquat. Un traitement adapté aux internés est d’ailleurs la meilleure prévention de la rechute.
Le manque permanent de capacités d’accueil dans le circuit psychiatrique externe conduit à l’admission des internés dans les établissements pénitentiaires, même si l’internement n’est pas une peine d’emprisonnement mais une mesure de sûreté. En dépit des circuits alternatifs (unités légales etc.) qui existent actuellement pour les internés, il y a une augmentation significative du nombre des internés dans les établissements pénitentiaires.
Malgré la constitution d’équipes de soins dans les établissements pénitentiaires, les internés restent, dans une mesure importante, privés des soins thérapeutiques qui doivent contribuer à une réintégration fructueuse dans la vie sociale.
En raison de la problématique de la surpopulation, la détention a en outre un effet contre-productif sur le processus de traitement des internés. »
73. Le Conseil central de surveillance pénitentiaire (« CCSP »), institué au sein du Service public fédéral Justice et ayant pour mandat de contrôler de manière indépendante les conditions de traitement des détenus, fit état dans son rapport annuel 2008-2010 de ce qui suit :
« Selon la base, les soins médicaux en prison doivent être comparables aux soins apportés en dehors de la prison. Cet objectif n’est pas encore réalisé, certainement pas en ce qui concerne les soins de santé mentale (...) L’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant, compte tenu des besoins de soins, tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires. Les rapports annuels du CCSP de 2006 et 2007 ont déjà signalé cette situation et nous devons constater qu’au cours des trois dernières années, la situation s’est constamment aggravée. Plus de 1000 personnes internées traitées de manière inadéquate attendent dans des annexes psychiatriques surpeuplées ou dans des cellules de prisons ordinaires. Le temps d’attente pour un transfert vers une institution de soins adaptée peut grimper jusqu’à 2 ou 3 ans. La morbidité psychiatrique de la population pénitentiaire augmente au fil des ans et 5 à 10% des prisonniers présentent un trouble psychiatrique majeur. Ces chiffres ne tiennent pas compte du fait que presque 47% des détenus répondent aux critères du diagnostic de trouble antisocial de la personnalité.
(...)
Même si les soins fournis répondent aux règles de l’art, ils ne sont pas à la hauteur au niveau relationnel. La satisfaction relative à un traitement médical dépend dans une grande mesure de la qualité de la relation entre le médecin et le patient. Cet aspect peut très certainement faire l’objet d’une plus grande attention. En raison de la pénurie de personnel médical qualifié, surtout pendant les weekends et les gardes, l’on mobilise souvent du personnel pénitentiaire sans qualification médicale pour certaines tâches de soins, ce qui constitue une source de mécontentement qu’il convient d’éviter ».
74. La situation est par ailleurs critiquée depuis longtemps (voir arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, § 28, Recueil des arrêts et décisions 1998-V) par plusieurs instances internationales et organisations non gouvernementales.
. Le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe releva au cours de sa visite en Belgique des 15-19 décembre 2008, (CommDH(2009)14) ce qui suit :
« 51. Le Commissaire a relevé que l’organisation et la pratique des soins de santé en milieu pénitentiaire en Belgique sont lacunaires. Le principe du droit à la protection de la santé et aux soins de santé en milieu carcéral est consacré par la loi Dupont. Le Commissaire s’appuie sur les constatations faites lors de sa visite et se réfère au rapport de l’Observatoire international des prisons pour 2008. Le Comité contre la torture s’est déclaré préoccupé par les conditions de détention, en particulier en ce qui concerne l’insuffisance de personnel qualifié, une vétusté des installations, une qualité insuffisante de soins, une absence de continuité des traitements ».
52. Le Commissaire se félicite de la mise en place en 2007 d’équipes de soins multidisciplinaires au sein des annexes psychiatriques. Pourtant, le personnel qualifié est en nombre insuffisant par rapport au nombre de détenus, les délais d’attente pour rencontrer le médecin ou l’infirmier sont longs et le temps de consultation est insuffisant, ce qui porte atteinte à la qualité des soins. Par ailleurs, le manque de personnel surveillant pour assurer les transferts médicaux pose des problèmes d’organisation et limite l’accès aux soins.
53. S’agissant des infrastructures, les locaux médicaux de certains établissements pénitentiaires sont tout aussi vétustes et insalubres que les autres parties des établissements. Ainsi, l’annexe psychiatrique de la maison d’arrêt de Forest est ancienne et manque d’infrastructures adéquates. Les conditions de détention des internés dans le système carcéral belge sont particulièrement problématiques. Les annexes psychiatriques sont occupées par des internés psychiatriques en attente prolongée d’un transfert vers un établissement de défense sociale, par des détenus présentant des troubles mentaux, par des détenus toxicomanes ou des détenus suicidaires. Les annexes psychiatriques sont souvent surpeuplées et certains internés sont par conséquent détenus dans les cellules « normales ». Ainsi, lors de sa visite de la maison d’arrêt d’Anvers, le Commissaire a constaté que l’aile psychiatrique avait une capacité de 51 places, alors que 100 personnes avec des troubles psychiatriques étaient détenues. Le Commissaire relève qu’une telle situation prive les internés de l’accès au personnel hospitalier et aux soins thérapeutiques dont ils ont besoin. Le Commissaire prend note du plan du Gouvernement pour la construction de deux établissements de défense sociale. »
. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») – qui a accordé une attention particulière, depuis sa première visite en Belgique en 1993, à la situation des détenus et des internés placés dans les annexes psychiatriques des établissements pénitentiaires – commenta la mise en œuvre de la circulaire 1800 à la prison de Lantin dans son rapport relatif à la visite effectuée du 28 septembre au 7 octobre 2009, comme suit :
« Le projet visé par la circulaire no 1800 susmentionnée était de mettre en place au sein des annexes psychiatriques pénitentiaires (et dans les sections et établissements EDS du pays) des équipes de soins multidisciplinaires, constituées de personnels médical, infirmier et paramédical qualifiés, en nombre suffisant pour assurer aux internés « des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre ». L’APL avait été doté, à cette fin, d’ ½ poste équivalent temps plein (ETP) de psychiatre. Bien que ceci constitue une réelle avancée par rapport à la situation antérieure, un tel niveau de présence est loin d’être satisfaisant au regard des soins exigés par les internés placés à l’APL et ne permet guère d’assurer un suivi régulier suffisant des patients. Le CPT rappelle à cet égard sa recommandation, déjà formulée en 1993 et 1997, selon laquelle l’APL de Lantin doit bénéficier d’au moins un poste de psychiatre »
. Le Comité contre la torture des Nations Unies fit état de ses préoccupations dans ses Observations finales relatives à la Belgique (CAT/C/BEL/CO/2, 19 janvier 2009) :
« 23. Le Comité se déclare préoccupé par la problématique des conditions de détention des internés psychiatriques dans le système carcéral belge, déjà déploré dans ses dernières recommandations (CAT/C/CR/30/6, § 7, g)), en particulier en ce qui concerne l’insuffisance de personnel qualifié, une vétusté des installations, une qualité insuffisante de soins, une absence de continuité des traitements, des examens médicaux, problématique sensiblement aggravée lors des grèves des agents pénitentiaires. Par ailleurs, le Comité s’inquiète par la longue période d’attente subie par de nombreux détenus figurant dans les annexes psychiatriques vers un transfert à un établissement de défense sociale (EDS). En raison de la surpopulation dans les EDS, l’attente peut durer de huit à quinze mois (Articles 11 et 16).
Le Comité recommande à l’Etat partie de prendre des mesures concrètes afin de contrer les problèmes du manque de qualité des soins de santé des internés, de la surpopulation des annexes, du placement de certains internés dans les ailes de la prison en raison du manque de place dans les annexes, de la vétusté des locaux, du manque d’activité et de prise en charge spécifiques des internés se trouvant dans les ailes de la prison. En outre, le Comité recommande à l’Etat partie d’assurer l’encadrement thérapeutique spécialisé suffisant. »
. Le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies s’exprima dans ces termes en octobre 2010 dans le cadre de l’examen du rapport soumis par la Belgique conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (projet d’observations finales, CCPR/C/BEL/CO/5) :
« Le Comité est préoccupé par la pratique de détention des malades mentaux dans les prisons et annexes psychiatriques des prisons belges, ainsi que par la longue période d’attente qu’ils doivent subir avant un transfert dans les établissements de défense sociale (EDS) (art. 7, 9, 10).
L’Etat partie devrait veiller, ainsi que le Comité l’a recommandé dans ses précédentes observations finales, à mettre fin à la pratique de détention des malades mentaux dans les prisons et les annexes psychiatriques. Il devrait également accroître les places d’internement dans les établissements de défense sociale et les conditions de vie des malades. »
. L’Observatoire international des prisons, section belge, dans sa note de 2010, fit part de sa préoccupation en ces termes :
« Sur la dernière décennie, la population des internés a augmenté de 85 % (Justice en chiffres 2010, SPF Justice) ! Sans compter les internés placés dans les établissements de défense sociale de Mons et de Tournai, on compte 1 038 internés en Belgique en 2009 et 1.089 internés en 2010, soit 1/10ème de la population carcérale....
A l’heure actuelle, les internés sont placés dans des annexes psychiatriques d’établissements pénitentiaires en attente d’être transférés vers un établissement de défense sociale. Le délai est de trois à quatre ans. Cette situation a déjà valu la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Les annexes psychiatriques sont surpeuplées et ne sont pas équipées pour recevoir des internés. Le mélange des pathologies aggrave l’état de santé des détenus qui sont souvent parqués à trois 23h/24h dans une même cellule prévue pour 1 ou 2 détenus ou dans un dortoir comme à Jamioulx.
Depuis 2007 des équipes multidisciplinaires ont été mises en place au sein des annexes psychiatriques (circulaire no 1800 du 7 juin 2007). Cependant, le Ministre reconnaît lui-même que « malgré la présence des équipes de soins, les internés restent privés de soins dont ils ont besoin » (Politique pénale et d’exécution des peines – aperçu et développements, Ministre de la Justice, mars 2010, p.34).
Certains établissements de défense sociale pour leur part disposent d’un personnel soignant insuffisant et la qualité des soins suscite également de nombreuses critiques. »
. Dans sa note de 2006, la section belge de l’Observatoire international des prisons observait que :
« Un des principaux problèmes résulte du manque manifeste de personnel médical. Le personnel étant en nombre totalement insuffisant, il ne peut consacrer que quelques minutes à chaque consultation. Une association de médecins travaillant dans les établissements pénitentiaires (AMEP) s’est constituée afin de dénoncer cette situation et de proposer des réformes aux autorités politiques. Le 28 avril 2003, l’AMEP indiquait qu’un médecin devait examiner entre 20 et 50 détenus en 2 heures, soit entre 2,5 et 6 minutes par détenu. Des plaintes récurrentes sont régulièrement émises quant à la disponibilité des médecins et à la manière dont sont organisées les consultations (...) En réalité, le médecin n’est présent que quelques heures par semaine et il n’y a pas toujours de véritable permanence médicale, la nuit et le week-end. Cette situation d’ores et déjà dangereuse pour les détenus « ordinaires » est totalement inacceptable pour des internés. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
75. Le requérant se plaint d’être privé de liberté en violation de l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond. »
76. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
77. Le Gouvernement est d’avis que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement du fait que le requérant a omis d’apporter des preuves concrètes étayant l’absence alléguée de soins et les effets sur sa situation personnelle.
78. Le requérant fait valoir qu’il se plaint précisément de l’absence de soins adaptés à sa pathologie telle qu’elle a été diagnostiquée. Il soutient avoir fait valoir de manière étayée l’absence de soins et le caractère inapproprié de ses lieux de détention devant les juridictions internes et avoir demandé en vain à ce que ces carences soient constatées sur place.
79. La Cour estime que les griefs formulés par le requérant sous l’angle de l’article 5 du fait du caractère inapproprié de son lieu de détention posent des questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être tranchées qu’après un examen au fond de cette partie de la requête; il s’ensuit qu’elle n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été relevé, il y a lieu en conséquence de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
80. A titre général, le gouvernement estime que la présente affaire se distingue des affaires Aerts précitée et Morsink c. Pays-Bas (no 48865/99, 11 mai 2004). A la différence de M. Aerts, le requérant a toujours été interné dans des établissements désignés par la CDS. De plus, il y a toujours bénéficié de soins alors que, dans l’affaire Aerts, les autorités avaient admis un manque de soins et dans l’affaire Morsink, le requérant était maintenu en prison. Du reste, la détention du requérant dans cette dernière affaire manquait de base légale. Enfin et contrairement à ces deux affaires, son comportement difficile fait en grand partie obstacle à toute alternative.
81. Le gouvernement soutient que le requérant a fait et continue de faire l’objet de soins appropriés, ainsi que la cour d’appel de Gand l’a d’ailleurs constaté, et que l’encadrement médical et psychiatrique à la prison de Gand est adéquat. Le requérant y a accès à un psychologue et à un psychiatre ainsi qu’aux activités proposées par l’association Obra et une équipe « antro ».
82. Le gouvernement attribue la mise en échec de toute chance de réussite d’une thérapie à l’état psychique particulier et à l’attitude difficile du requérant. Il s’appuie sur plusieurs rapports psychiatriques qui font état des capacités limitées du requérant, sa propension à la déviance sexuelle, l’absence de prise de conscience et sa personnalité antisociale et font valoir la dangerosité du requérant et le risque de récidive.
83. Le gouvernement soutient que les autorités ont, de leur côté, tout mis en œuvre pour faire évoluer la prise en charge thérapeutique du requérant ainsi que son reclassement mais que ces éléments ont rendu cet objectif particulièrement difficile à atteindre et expliquent les refus continuels opposés par les centres contactés. Dès lors, le gouvernement est convaincu que la présente espèce est comparable à l’affaire De Schepper c. Belgique (no 27428/07, 13 octobre 2009) et appelle la même solution.
84. Le requérant maintient qu’il est privé de liberté en violation de l’article 5 § 1 de la Convention en raison du caractère inapproprié de l’établissement dans lequel il est détenu. Il dit ne pas bénéficier d’un suivi médical ni d’un environnement thérapeutique adaptés à son état de santé mentale et être en attente depuis plusieurs années d’un transfert dans un établissement psychiatrique ou de son admission par un service de soins ambulatoires adapté.
85. Le requérant souligne qu’il a toujours été détenu dans un établissement désigné provisoirement par la CDS dans l’attente d’un plan de reclassement. Il a, pour sa part, collaboré à faire évoluer sa prise en charge en contactant de nombreuses institutions et demandé, en vain, à la CDS d’indiquer une institution où il devait être repris. Selon le requérant, le problème réside dans le manque de places d’accueil, problème structurel dont seul l’Etat est responsable et derrière lequel il ne peut se retrancher comme la Cour le lui a rappelé dans l’affaire De Donder et De Clippel c. Belgique (no 8595/06, § 84, 6 décembre 2011). De cette carence découle tout le reste.
86. Le requérant fait valoir que les propos du gouvernement sont contredits par la CDS elle-même qui, dans sa décision du 13 septembre 2011, a reconnu que l’échec de l’alternative résidentielle n’était pas seulement due à la personnalité du requérant mais également au défaut de suivi psycho-social dans la prison et que l’annexe psychiatrique n’était pas l’institution appropriée. Le requérant souligne que cette décision ne fait que confirmer les rapports psychiatriques les plus récents, notamment ceux qui ont été établis par l’ortho-agogue, qui se sont prononcés en faveur d’une surveillance psycho-sociale intense et personnalisée et d’un reclassement dans un environnement structuré mais plus autonome. Il reproche aux autorités, en particulier le service psycho-social de la prison, d’avoir freiné ces perspectives de reclassement notamment en ne faisant pas un meilleur usage de ces rapports pourtant constructifs.
87. Le requérant explique avoir eu accès au psychiatre de la prison en moyenne une fois par mois entre 2004 et 2008 mais ne plus avoir bénéficié d’aucune consultation psychiatrique depuis 2010. Il se plaint que ces consultations n’ont donné lieu à aucun suivi ni traitement et ne sauraient passer pour des soins adéquats à son état au sens donné dans les rapports précités. Du reste, le requérant fait valoir que le gouvernement lui-même est en défaut de démontrer de quel traitement il aurait bénéficié et quel suivi aurait été mis en place. Cette carence de soins individualisés contribue à compromettre ses chances de bénéficier d’un reclassement dans un environnement adapté.
88. Enfin, le requérant conteste la comparaison avec l’affaire De Schepper précitée. Alors qu’elle concernait un délinquant dangereux mis à disposition du gouvernement et devant être traité dans un établissement de haute sécurité qui n’existait pas, dans son cas, la piste du reclassement ambulant ou résidentiel est considérée comme possible par la CDS mais se heurte principalement à la mauvaise volonté des établissements privés et à l’absence de places en établissement de défense sociale. En tout état de cause, si la Cour a conclu à la non-violation dans l’affaire De Schepper, elle a pris soin de préciser que l’Etat belge n’était pas libéré de son obligation de trouver une solution adaptée au requérant dans un avenir proche.
2. Appréciation de la Cour
89. La Cour observe qu’en l’espèce, la privation de liberté litigieuse du requérant est fondée sur la décision d’internement adoptée par le ministre de la Justice du 22 janvier 2004 prise en raison de la dangerosité et des troubles mentaux du requérant. Elle a ensuite été prolongée à intervalles réguliers par la CDS de Gand. L’internement du requérant a été décidé en marge de sa condamnation à cinq ans d’emprisonnement par la cour d’appel de Gand du 15 novembre 1997 pour faits de viol sur mineure. En conséquence, la détention subie par l’intéressé relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.
90. La Cour note qu’il n’est pas contesté que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.
91. Aux fins de l’article 5 de la Convention toutefois, la conformité au droit interne de privation de liberté du requérant n’est pas en soi décisive. Encore faut-il établir que la détention de l’intéressé est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention, qui est de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de leur liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §§ 72-73, CEDH 2000-III). La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (idem, § 78, Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 61, 19 juin 2012).
92. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008, et Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X). Rien ne permet à la Cour de douter que ces conditions, qui ne font du reste pas l’objet de controverse devant elle entre les parties, sont remplies en l’espèce.
93. La Cour a également jugé qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention et que, en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93, Aerts, précité, § 46, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 48, CEDH 2003-IV).
94. La Cour a admis que le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté (Morsink précité, §§ 66 à 68, Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 62 à 65, 11 mai 2004). Dans le même esprit, elle a pris en compte dans l’affaire De Schepper précitée (§ 48) les efforts déployés par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour la prise en charge thérapeutique d’un requérant au profil à haut risque pour évaluer la régularité de son maintien en détention au sein d’une annexe psychiatrique de prison.
95. En l’espèce, la Cour souligne d’emblée qu’elle ne peut souscrire à l’argument du Gouvernement selon lequel, à la différence de l’affaire Aerts précitée, le requérant est en l’espèce entouré de soins appropriés au sein de l’annexe psychiatrique de la prison de Gand. Elle note que la CDS, dans sa décision du 13 septembre 2011, est particulièrement claire sur ce point quand elle constate que cet établissement n’est pas le lieu approprié pour les soins requis par l’état de l’intéressé en vue de sa réintégration dans la société. Ce constat remonte à 2005, époque à laquelle la CDS observait déjà que, selon tous les avis autorisés, l’admission psychiatrique en résidentiel du requérant était la seule solution adaptée pour réaliser sa réinsertion sociale (paragraphe 17). De fait, toutes les décisions de la CDS sont formulées dans des termes comparables en ce qu’elle a maintenu l’internement en annexe psychiatrique des prisons de Gand et de Merksplas à titre provisoire dans l’attente qu’une structure adaptée soit trouvée. Compte tenu du poids particulier qu’elle accorde au droit à la liberté du requérant, la Cour estime que cet aspect est déterminant.
96. La Cour observe que le cas du requérant n’est pas isolé ; il ressort des documents versés au dossier par les parties et ceux qu’elle a consultés d’office (paragraphes 72 à 75) que, de façon notoire en Belgique, de nombreux internés sont dans l’attente d’un transfert dans un établissement de défense sociale ou un établissement privé et se trouvent dans une situation comparable au requérant, privés des soins thérapeutiques pouvant contribuer à une réintégration fructueuse dans la vie sociale. Cet état de fait est constaté par le ministère de la Justice lui-même (paragraphe 72). Le conseil central de surveillance pénitentiaire confirme que l’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires, et que la situation s’aggrave constamment notamment du fait de l’augmentation de la surpopulation carcérale (paragraphe 73). Le CPT, le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ainsi que l’observatoire international des prisons expriment, de manière récurrente, les mêmes préoccupations (paragraphe 74).
97. Du reste, les seuls éléments, auxquels se réfère le Gouvernement pour étayer sa thèse, sont l’accès du requérant aux professionnels de la santé présents dans l’établissement et les rapports établis par des psychologues et psychiatres en vue d’évaluer la dangerosité du requérant et ses chances de reclassement. Or, la Cour constate que jusqu’à la pré-thérapie entamée en 2011, et sous réserve du traitement hormonal administré en 2008 en vue de la castration chimique du requérant, il n’est nulle part question d’une prise en charge thérapeutique ni d’un suivi médical individualisés au sein de la prison en vue de faire évoluer la situation particulière du requérant. Contrairement à ce que laisse entendre le Gouvernement, la Cour n’a pas trouvé dans l’arrêt de la cour d’appel de Gand d’éléments concrets lui permettant d’en savoir plus sur le caractère approprié des soins dont aurait bénéficié le requérant. Il apparaît d’ailleurs que la juridiction a considéré qu’une telle investigation dépassait sa compétence dans la procédure devant elle (paragraphe 31).
98. Le Gouvernement défend le caractère approprié des soins prodigués dans l’annexe psychiatrique de la prison en même temps que l’intensité des démarches effectuées par les autorités pour trouver une solution adaptée au requérant. A cet égard, il ressort des circonstances de la cause que des efforts ont effectivement été déployés régulièrement par les autorités belges, en plus de ceux effectués par le requérant lui-même, en vue de permettre son admission dans un établissement psychiatrique privé, en reclassement ambulatoire ou résidentiel.
99. Ces démarches échouèrent toutes à l’exception du régime de semi-liberté dont bénéficia le requérant de février 2010 à août 2011. Le gouvernement explique cet échec par l’attitude du requérant et sa dangerosité et fait un parallèle avec la cause de l’affaire De Schepper précitée. La Cour observe que cette analyse ne cadre pas avec celle de la CDS qui suit l’évolution du requérant depuis le début de son internement. Celle-ci fait, dans sa décision du 13 septembre 2011, une analyse positive de l’expérience de semi-liberté et en attribue l’échec en partie à la faible personnalité de l’intéressé mais aussi au défaut de suivi psycho-social dans la prison et donc au caractère inapproprié du lieu de détention (paragraphe 53). En tout état de cause, la Cour considère que si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut, quod non, contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer au requérant un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper, précité, § 48).
100. De plus, elle rappelle que dans l’affaire De Schepper l’état du requérant, déjà considéré comme dangereux, s’était aggravé et ne laissait pas entrevoir d’amélioration (§§ 21 et 48) et aucun établissement psychiatrique pour délinquants sexuels de haut voire de moyen risque n’existait en Belgique (§ 33). Or, la situation était différente en l’espèce : l’état du requérant s’est, dans l’ensemble, amélioré, des perspectives réalistes de reclassement ont été évoquées par les instances compétentes, une expérience a été menée à bien et des structures adaptées existent. Il apparaît en réalité que c’est le manque structurel de places dans ces institutions ainsi que leur statut d’établissement privé qui soient les principaux obstacles à une prise en charge appropriée du requérant.
101. Aux yeux de la Cour, le maintien du requérant pendant sept ans dans un établissement pénitentiaire alors que tous les avis médicaux et psycho-sociaux et les décisions de l’autorité compétente concordaient pour constater son caractère inadapté à la pathologie et au reclassement du requérant a eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu.
102. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
103. Le requérant dénonce une violation de son droit à un procès équitable et invoque l’article 6 § 1 de la Convention. Considérant que l’internement décidé en application de l’article 21 de la loi de défense sociale est une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable au sens de cette disposition. Il soutient que la décision ministérielle est prise sur la seule base d’un avis de CDS, sans respect des droits de la défense et n’est susceptible d’aucun recours.
104. La Cour constate que la décision ministérielle dont se plaint le requérant date du 22 janvier 2004 et que la requête dont elle a été saisie a été introduite le 28 avril 2008, soit plus de six mois après la décision litigieuse.
105. Il s’ensuit que cette partie de la requête est tardive au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et doit être rejetée, conformément à l’article 35 § 4.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
106. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
107. Le requérant réclame 144 950 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi. Pour parvenir à ce montant, il s’inspire du montant de l’indemnité journalière de 40 EUR pour détention inopérante prévue par la loi du 13 mars 1973 rapportés à 2 899 jours de détention.
108. Le Gouvernement est d’avis que la comparaison avec la détention inopérante n’est pas pertinente, le requérant ayant fait l’objet d’une détention régulière d’internement. Pour le reste, il s’en remet à la sagesse de la Cour.
109. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de son maintien en détention dans un établissement inapproprié. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 15 000 EUR au titre du préjudice moral.
110. De plus, la Cour est d’avis qu’en l’espèce, le transfert du requérant dans un établissement approprié à ses besoins constitue la manière adéquate de redresser la violation constatée.
B. Frais et dépens
111. Le requérant demande également 9 351 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes. Il produit des états de frais et honoraires et précise que ces montants ont été réglés. Ayant bénéficié de l’assistance judiciaire prévue par le code judiciaire belge pour la procédure devant la Cour, il ne réclame que les frais afférents à la traduction de son mémoire, à savoir 741 EUR.
112. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
113. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 9 000 EUR, tous frais confondus.
C. Intérêts moratoires
114. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 1 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :
i) 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NaismithDanutė Jočienė
GreffierPrésidente