CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ROSSI c. FRANCE
(Requête no 60468/08)
ARRÊT
STRASBOURG
18 octobre 2012
DÉFINITIF
18/01/2013
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Rossi c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Angelika Nußberger,
André Potocki,
Paul Lemmens, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60468/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Didier Rossi (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me A. Behr, avocat à Nancy. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier que la durée de sa détention provisoire a été excessive.
4. Le 19 septembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1961 et est actuellement détenu au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville.
A. La procédure d’instruction
6. Entre octobre 2004 et mai 2005, onze vols à main armée furent perpétrés dans des agences bancaires de l’Est de la France, pour un montant total de 97 360 euros.
7. Une expertise des images de vidéo surveillance et l’audition des témoins des différents vols permit de conclure que les faits avaient été commis par les mêmes auteurs.
8. A une date non précisée, une information judiciaire fut ouverte au sein de la juridiction interrégionale spécialisée de Nancy et tous les faits furent regroupés en un seul dossier.
9. Des surveillances furent mises en place par la gendarmerie à compter du 1er avril 2005. A la suite de l’identification du requérant et de son frère, une surveillance téléphonique fut également exercée. Une enquête de voisinage fut ensuite menée autour d’un box utilisé par le requérant pour y entreposer des véhicules.
10. Le requérant et son frère furent interpellés le 23 mai 2005, de même que leur mère et leurs compagnes.
11. Des perquisitions menées aux domiciles du requérant et de son frère permirent la découverte d’importantes sommes d’argent et de vêtements ressemblant à ceux portés par les auteurs des vols.
12. Le requérant et son frère furent mis en examen le 26 mai 2005 pour vols à main armée en bande organisée, association de malfaiteurs, en état de récidive concernant le requérant, recel de vol et destruction par incendie. Ils ne firent aucune déclaration.
13. Le juge d’instruction les interrogea les 3 et 16 juin 2005. Le requérant nia constamment toute participation à ces vols.
14. Le frère du requérant fut interrogé par le juge d’instruction le 20 juillet 2005.
15. Deux nouvelles personnes furent mises en examen les 26 et 27 juillet 2005.
16. En juillet et août 2005, les parloirs du requérant et de son frère furent mis sur écoutes.
17. Le 30 août 2005, la compagne du requérant fut entendue par le juge.
18. Une série d’expertises sur des vêtements fut ensuite demandée par le juge d’instruction.
Une série de photos extraites des vidéos de surveillance fut également présentée à une quinzaine de personnes appartenant à l’entourage du requérant.
A des dates non précisées, des perquisitions eurent également lieu chez la mère du requérant, dans le garage de celui-ci et dans un box qu’il louait et trois véhicules, dont deux étaient volés, furent examinés.
19. Le 7 mars 2006, le juge d’instruction entendit Mme G. en tant que témoin.
20. Le 14 mars 2006, la compagne du requérant fut mise en examen.
21. Le requérant fut interrogé par le juge d’instruction le 30 mars 2006 et continua à nier sa participation aux faits.
22. Le frère du requérant fut interrogé par le juge le 19 avril 2006.
23. Les deux frères furent à nouveau confrontés par le juge d’instruction le 9 juin 2006 et maintinrent chacun leur version des faits.
24. En juin et septembre, le requérant et son frère furent confrontés par le juge d’instruction à des témoins des vols.
25. Les deux frères furent confrontés entre eux par le juge d’instruction le 6 septembre 2006.
Le même jour, le juge d’instruction interrogea le requérant sur certaines des conversations enregistrées au parloir à l’été 2005 et notamment celles au cours desquelles il avait demandé à sa compagne de lui procurer des témoignages en sa faveur. Celle-ci fut également entendue par le juge à ce sujet.
26. En novembre 2006, le requérant et son frère furent à nouveau confrontés par le juge d’instruction à des témoins des vols.
27. Le 31 mai 2007, le juge d’instruction fut saisi d’un réquisitoire supplétif à la suite d’une dénonciation des autorités luxembourgeoises relative à un vol de véhicule. Ces faits nouveaux conduisirent à la mise en examen supplétive du requérant et de son frère. Les parties civiles furent ensuite avisées, les témoins entendus et une confrontation organisée.
28. Le 7 juin 2007, le requérant remit au juge d’instruction un ensemble de pièces visant à le disculper. Des attestations de personnes de son entourage tendaient notamment à prouver qu’il était présent à son travail le jour et à l’heure où certains faits avaient été commis.
29. Le fils du requérant fut également mis en examen pour vol le 22 juin 2007.
30. Le 25 juillet 2007, le juge d’instruction entendit trois des personnes ayant rédigé des attestations qui lui avaient été remises le 7 juin précédent par le requérant. Il délivra ensuite des commissions rogatoires pour qu’il soit procédé à des vérifications concernant les faits relatés dans ces attestations.
31. A une date non précisée, le magistrat instructeur demanda une série d’expertises de comparaison entre les vêtements saisis aux domiciles des mis en examen et les vêtements portés par les auteurs des vols à main armée tels qu’apparaissant sur les images de vidéosurveillance des banques.
32. Des confrontations avec vingt-trois témoins des vols eurent également lieu, dont seize identifièrent le requérant et/ou son frère sur les photos tirées des bandes de vidéosurveillance. Cinq personnes ayant vu le requérant et/ou son frère aux abords du box loué pour y garer des véhicules leur furent également confrontées.
33. Le 21 janvier 2008, le requérant demanda au juge d’instruction d’entendre à nouveau Mme G., auditionnée précédemment le 7 mars 2006.
Le juge entendit ce témoin le 7 février 2008. Cette ancienne compagne du requérant indiqua alors que le matin où l’un des vols avait été commis, le 8 avril 2005, elle avait rencontré le requérant à Metz et avait passé la matinée avec lui en le raccompagnant notamment en voiture. Interrogée sur le caractère tardif de sa déclaration, elle indiqua qu’elle avait eu à cette occasion une relation intime avec le requérant et qu’elle ne voulait pas que la compagne de celui-ci en soit informé. Aucun élément ne fut découvert à l’appui de ses affirmations et elle ne put expliquer pourquoi elle était sûre que cette rencontre avait eu lieu le 8 avril 2005.
34. Par ordonnance du 6 juin 2008, le magistrat instructeur rendit une ordonnance refusant à l’avocat du requérant le droit de remettre à ce dernier une reproduction de l’intégralité du dossier. Il invoquait le risque de représailles sur les victimes, les autres personnes mises en examen et toute autre personne participant à la procédure, compte tenu de la présence des coordonnées des témoins et des experts dans le dossier de l’instruction et ceci au regard du passé du requérant déjà condamné à vingt ans de réclusion en 1992 pour meurtre, viol et séquestration et à six ans de réclusion en 1982 pour vol avec port d’arme.
35. Le 21 juin 2008, le requérant demanda au juge d’instruction l’audition d’un témoin et, le 23 juin suivant, son avocat demanda à nouveau au juge d’instruction l’autorisation de remettre au requérant une reproduction de l’intégralité du dossier. Par une ordonnance du 24 juin 2008, le juge d’instruction rejeta cette demande en arguant du risque de pression ou de représailles sur les témoins, de celui de la disparition d’éléments importants de preuves, les armes utilisées pendant les attaques n’ayant pas été retrouvées. Il ajoutait qu’il paraissait exclu de communiquer aux mis en examen des informations aussi importantes que les adresses et numéros de téléphone des témoins et experts, d’autant que le requérant avait déjà un lourd passé pénal et avait déjà été condamné.
36. Le requérant fit appel de cette ordonnance. Le 2 juillet 2008, le conseiller faisant fonction de président de la chambre de l’instruction déclara l’appel irrecevable car le président avait statué le 27 juin précédent sur l’appel formé par le conseil du requérant, seul habilité à lui déférer la décision.
37. Par un arrêt du 22 octobre 2008, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant non admis.
38. Le 25 juillet 2008, le juge d’instruction rendit une ordonnance de renvoi devant la cour d’assises. Il rendit un non-lieu partiel pour le requérant concernant trois des vols à main armée, requalifia certains faits et le mit en accusation pour huit vols avec arme et en bande organisée en état de récidive légale, recel d’un véhicule volé, destruction par incendie d’un véhicule et entente en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes ou délits punis de dix ans d’emprisonnement.
39. Le 29 juillet 2008, le requérant fit appel de cette ordonnance. Le parquet forma ensuite un appel incident.
Le requérant se plaignait notamment de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable dans la mesure où le magistrat instructeur avait refusé de lui communiquer les pièces du dossier.
40. Dans son arrêt du 25 novembre 2008, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy releva que le code de procédure pénale prévoit que le dossier doit être mis à la disposition du conseil, ce qui constitue une formalité nécessaire mais suffisante. Elle estima que, dès lors, le magistrat instructeur peut légalement refuser la communication du dossier à l’inculpé lui-même. Elle considéra que la motivation développée par le juge d’instruction était pertinente et suffisante et que cette limitation, justifiée en l’espèce, ne constituait donc pas une violation de l’article 6.
Sur le fond, la chambre de l’instruction considéra que les éléments constitutifs de l’existence d’une bande organisée étaient réunis et confirma l’ordonnance attaquée en toutes ses dispositions.
41. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Il se plaignait notamment du refus de la chambre de l’instruction de l’autoriser à recevoir copie de l’intégralité du dossier et de ce que le même fait ne pouvait être retenu comme élément constitutif d’un crime ou délit et comme circonstance aggravante d’une autre infraction.
42. Dans son arrêt du 1er avril 2009 par lequel elle rejeta le pourvoi, la Cour de cassation releva que le requérant n’avait pas exercé le recours prévu à l’article 114 alinéa 9 du code de procédure pénale pour contester l’ordonnance du juge d’instruction rejetant sa demande d’obtenir copie intégrale du dossier et que ce moyen était donc irrecevable. Pour le reste, elle rappela que les juridictions d’instruction apprécient souverainement si les faits sont constitutifs d’une infraction et qu’elle ne peut que vérifier, à supposer les faits établis, si la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement. Elle nota sur ce point que la procédure était régulière et que les faits étaient qualifiés de crime par la loi.
B. La détention provisoire du requérant
43. Le requérant fut incarcéré le 26 mai 2005.
44. Par ordonnance du 19 mai 2006, le juge des libertés et de la détention prolongea cette mesure pour une durée de six mois à compter du 26 mai 2006. Il motiva sa décision notamment dans les termes suivants :
« (...), un contrôle judiciaire, mesure de liberté restreinte ou réglementée, reste insusceptible de rendre compte de manière réaliste du problème de prévention efficace des contacts nuisibles à l’instruction (...) d’autant qu’il reste encore à accomplir des interrogatoires, confrontation prévue et autres actes mentionnés par le juge d’instruction dans son ordonnance de saisine susvisée
(...) la détention provisoire, (...), reste le seul moyen d’empêcher la renaissance du trouble qualifié ci-dessus, d’empêcher tout contact entre l’intéressé et toutes les personnes concernées par cette affaire à quelque titre que ce soit et (...) reste également le seul moyen d’assurer l’absence de matérialisation du risque considérable de réitération compte-tenu de la série de faits auxquels la présente procédure met un terme et alors que cette détention provisoire a, d’abord, seule pu mettre fin au trouble précité ; »
45. Le 23 mai 2006, le requérant fit appel de cette ordonnance, appel rejeté par la chambre de l’instruction le 6 juin 2006. Celle-ci nota que de nombreuses investigations étaient encore en cours afin d’étudier de manière minutieuse les indices matériels et les témoignages réunis. Elle estima qu’il était indispensable de préserver les investigations en cours de toute interférence du requérant. Elle fit également référence à la nécessité d’empêcher toute pression sur les témoins et d’assurer la représentation en justice du requérant qui encourait une peine très importante et pourrait être tenté de fuir. Enfin, elle nota qu’en raison de leur gravité et de leur nombre, les faits avaient causé un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public.
46. Le 21 novembre 2006, le juge des libertés et de la détention prolongea la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois, en reprenant la motivation de son ordonnance du 19 mai 2006.
Le 22 novembre 2006, celui-ci fit appel de cette ordonnance.
47. Dans un arrêt du 7 décembre 2006, la chambre de l’instruction rejeta l’appel et confirma l’ordonnance du 21 novembre 2006 en retenant notamment :
« [la] détention provisoire [du requérant] est l’unique moyen de faire cesser le trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public causé par ces nombreuses attaques à main armée (...) ;
(...) elle est également l’unique moyen d’empêcher la déperdition des preuves, alors que des vérifications doivent encore être exécutées par le juge et les enquêteurs, et les pressions sur les témoins, hypothèse tout à fait vraisemblable au regard du contenu des écoutes réalisées au parloir ;
(...) le mis en examen a déjà été condamné à deux reprises à des peines criminelles pour des faits similaires, de sorte que sa détention provisoire est l’unique moyen de prévenir la réitération des mêmes infractions ;».
48. Par ordonnance du 22 mai 2007, le juge des libertés et de la détention prolongea à nouveau la détention provisoire du requérant pour une durée de 6 mois. Le 23 mai 2007, celui-ci fit appel de cette ordonnance.
Dans un arrêt du 5 juin 2007, la chambre de l’instruction rejeta la demande d’appel et confirma l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 22 mai 2007 en usant exactement de la même argumentation que dans son arrêt du 7 décembre 2006.
49. Le 20 novembre 2007, le juge des libertés et de la détention prolongea la détention provisoire du requérant pour une nouvelle durée de 6 mois.
Il releva notamment que les attestations produites par le requérant tendant à exclure sa participation à quatre des attaques étaient en cours de vérification, que des indices graves persistaient selon lesquels le requérant aurait participé comme auteur ou comme complice à la commission des faits pour lesquels il était mis en examen. Il ajouta que les investigations en cours d’achèvement devaient intervenir dans la sérénité à l’abri de tous risques de concertation avec les autres protagonistes de ces faits, qu’il convenait d’éviter tout danger de pression sur les témoins et de disparition d’éléments importants de preuve, d’autant notamment que les armes de poing utilisées lors des braquages et les sommes dérobées n’avaient pas été retrouvées. Il rappela les condamnations antérieures du requérant et estima qu’il existait un risque élevé que celui-ci cherche à prendre la fuite au regard de l’importance de la peine encourue. Il mentionna encore le trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public. Il conclut qu’un contrôle judiciaire n’était pas, en l’espèce, susceptible de mettre fin au trouble causé à l’ordre public, de garantir l’absence de disparition des preuves et d’empêcher le requérant de communiquer, de s’enfuir, de réitérer les faits.
Le 22 novembre 2007, ce dernier fit appel de cette ordonnance.
Dans un arrêt du 11 décembre 2007, la chambre de l’instruction confirma l’ordonnance du 20 novembre 2007 en se référant expressément aux motifs énoncés dans son arrêt du 5 juin 2007 et au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public, au risque de pression sur les témoins et aux condamnations antérieures du requérant.
50. Par ordonnance du 23 mai 2008, le juge des libertés et de la détention prolongea la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois en reprenant les arguments retenus dans son ordonnance du 20 novembre 2007 et en ajoutant que la durée de l’instruction s’expliquait par les investigations complexes, nécessitées par l’identification des auteurs de ces faits criminels multiples, des investigations à l’étranger et des investigations complémentaires à la demande du requérant.
Le 2 juin 2008, le requérant fit appel de cette décision.
51. Dans un arrêt du 19 juin 2008, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy confirma la décision entreprise. Elle constata que le requérant était détenu depuis un peu plus de vingt-quatre mois et qu’il n’avait pas été entendu par le juge d’instruction depuis novembre 2006. Elle estima néanmoins que la durée de la détention était justifiée par la multiplicité des faits et la complexité des investigations à mener, notamment en raison de la contestation des faits par le requérant. Elle releva encore que le juge d’instruction avait procédé à de multiples vérifications nécessaires à la manifestation de la vérité, dont certaines à la demande du requérant.
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Par arrêt du 10 décembre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en considérant notamment que le requérant ne pouvait critiquer les motifs de la décision de la chambre de l’instruction car l’appréciation de la durée de la détention provisoire échappait au contrôle de la Cour de cassation
52. Les 25 et 28 juillet 2008, le requérant déposa deux demandes de mise en liberté.
Le 13 août 2008, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy, compétente en raison du renvoi du requérant devant la cour d’assises, intervenu le 25 juillet 2008, rendit son arrêt.
Elle réitéra que les attaques à main armée accomplies dans des conditions particulièrement traumatisantes pour les victimes avaient causé un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public, que seule la détention provisoire du requérant était de nature à faire cesser.
Elle ajouta que c’était également le seul moyen d’empêcher les pressions sur les témoins, risque tout à fait vraisemblable au regard du contenu des écoutes réalisées au parloir de la maison d’arrêt.
Elle nota enfin que le requérant avait déjà été condamné à plusieurs reprises, dont deux à des peines criminelles pour des faits similaires.
Elle estima dès lors que les obligations d’un contrôle judiciaire seraient insuffisantes pour atteindre ces objectifs et rejeta les demandes de mise en liberté.
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.
Par arrêt du 16 décembre 2008, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis.
53. Le 22 octobre 2008, le requérant déposa une nouvelle demande de mise en liberté. Il mentionnait qu’il pourrait travailler dans l’entreprise qui l’employait précédemment et pourrait être hébergé par sa sœur. Il arguait de la durée de sa détention et demandait à être placé sous contrôle judiciaire.
Par arrêt du 30 octobre 2008, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy rejeta la demande du requérant.
Elle concéda que la durée de la détention était longue, mais estima qu’elle ne pouvait être qualifiée de déraisonnable au regard de la multiplicité des faits commis qui avaient nécessité de nombreuses investigations et des dénégations du requérant qui avaient impliqué la réalisation d’expertises et de très nombreuses auditions.
Elle ajouta qu’il convenait de prévenir tout risque de pression sur les témoins et les victimes dans l’optique du procès devant la cour d’assises.
Elle estima que le risque de réitération de l’infraction était réel compte tenu du casier judiciaire du requérant qui comportait sept condamnations dont deux prononcées en 1982 et 1992 pour des faits similaires.
Elle releva encore que le trouble à l’ordre public était toujours présent s’agissant de vols commis avec l’usage d’une arme et en bande organisée.
Elle ajouta que le requérant ne produisait aucun justificatif concernant un travail et un hébergement.
Elle conclut dès lors que les obligations d’un contrôle judiciaire seraient insuffisantes pour atteindre ces objectifs, même avec un placement sous surveillance électronique.
54. Le 3 novembre 2008, le requérant déposa une demande de mise en liberté. Il invoquait les articles 5 et 6 de la Convention et l’exigence d’un délai raisonnable quant à la détention provisoire.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy, rendit son arrêt le 20 novembre 2008.
Elle se prononça exactement dans les mêmes termes que dans son arrêt du 30 octobre précédent et rejeta la demande de mise en liberté du requérant.
Celui-ci se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il invoquait notamment l’article 5 § 3 de la Convention et le fait qu’il était détenu depuis 43 mois et n’avait plus été entendu par le magistrat instructeur depuis 24 mois.
La Cour de cassation se prononça par arrêt du 17 mars 2009.
Elle rejeta le pourvoi en considérant que le requérant ne pouvait critiquer la décision de la chambre de l’instruction car l’appréciation de la durée de la détention provisoire échappait au contrôle de la Cour de cassation. Elle nota également que la chambre de l’instruction s’était déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences du code pénal.
55. Le 13 janvier 2009, le requérant déposa une nouvelle demande de mise en liberté. Il invoquait les articles 5 et 6 de la Convention et l’exigence d’un délai raisonnable en matière de détention provisoire.
Dans son arrêt du 29 janvier 2009, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy reprit son argumentation développée dans ses arrêts précédents. Elle ajouta que, compte tenu de l’absence de garanties de représentation, du risque de pression sur les témoins et les victimes, du risque de réitération des faits ainsi que du trouble causé à l’ordre public, le requérant était maintenu en détention provisoire car une mesure de contrôle judiciaire était insuffisante pour répondre à ces objectifs.
56. Le 13 février 2009, le requérant forma une nouvelle demande de mise en liberté rejetée par la chambre de l’instruction dans un arrêt du 26 février 2009. Dans cet arrêt, la chambre de l’instruction estima à nouveau que la durée de la détention provisoire du requérant s’expliquait par la multiplicité et la complexité des faits commis qui avaient nécessité de nombreuses investigations, ainsi que par les dénégations de l’intéressé qui avaient impliqué la réalisation d’expertises et de très nombreuses auditions, lui-même ayant sollicité l’accomplissement de certains actes ; que sa détention n’était donc pas déraisonnable au regard de l’article 144-1 du code de procédure pénale et des articles 5 et 6 de la Convention.
Par un arrêt du 8 juillet 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant pour les mêmes motifs que ceux indiqués dans ses précédents arrêts.
57. Le requérant déposa une nouvelle demande de mise en liberté le 23 avril 2009.
Le 7 mai 2009, la chambre de l’instruction rendit un arrêt avant-dire droit chargeant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) près le tribunal de grande instance de Perpignan de procéder aux vérifications relatives à la mise en œuvre d’un placement sous surveillance électronique et de s’assurer de la validité des promesses d’embauche et d’hébergement.
Suite à deux rapports de ce service, la chambre de l’instruction rendit son arrêt le 25 juin 2009. Elle fit droit à la demande de mise en liberté du requérant, sous contrôle judiciaire assorti d’un placement sous surveillance électronique pour une durée de six mois et un certain nombre d’autres obligations relatives à son lieu de résidence et à ses heures de sortie et ordonna qu’il soit libéré le 10 juillet suivant au plus tard.
Cette mesure fut prolongée jusqu’au 14 mai 2010 par un arrêt de la chambre de l’instruction du 10 décembre 2009.
58. A la suite d’un rapport effectué le 11 mai 2010 par le service chargé de suivre le placement sous surveillance électronique du requérant, qui signalait l’absence de ce dernier à son domicile et des vérifications effectuées par les services de police, le juge des libertés et de la détention émit un mandat d’arrêt le 12 mai 2010 à l’encontre du requérant en raison du non-respect des obligations de son contrôle judiciaire depuis le 9 mai 2010. Son procès devant la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle devait commencer le 18 mai suivant.
59. Le 12 mai 2010, le vice-procureur de la République près la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Nancy émit un mandat d’arrêt européen à l’encontre du requérant.
60. Le 1er juin 2010, la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle rendit un arrêt par défaut à l’égard du requérant, reconnu coupable des faits, et le condamna à vingt-deux ans de réclusion criminelle. Un mandat d’arrêt fut délivré à son encontre.
61. Le 5 juillet 2010, le requérant se présenta spontanément et fut interpellé. Il fit opposition à l’arrêt du 1er juin et fut incarcéré en exécution de cet arrêt.
62. Le requérant déposa, le 21 juillet 2010, une nouvelle demande de mise en liberté.
Le 4 août 2010, la chambre de l’instruction rejeta sa demande de mise en liberté en raison du non-respect de la mesure de contrôle judiciaire dont il avait bénéficié, des explications peu crédibles données par l’intéressé et de la nécessité de s’assurer de sa présence devant la cour d’assises qui allait de nouveau être réunie pour le juger. Elle ajouta que la fuite du requérant avait montré le peu de confiance et de crédit qui pouvaient être accordés aux engagements pris par l’intéressé.
63. Le 16 mai 2011, la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle a condamné le requérant à vingt ans de réclusion criminelle. Il a interjeté appel de cette décision.
64. Le requérant devait comparaître début juillet 2012 devant la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle statuant en appel et désignée à cette fin par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le code de procédure pénale dispose :
Article 114 alinéas 7, 8 et 9
« L’avocat doit donner connaissance au juge d’instruction, par déclaration à son greffier ou par lettre ayant ce seul objet et adressée en recommandé avec accusé de réception, de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client.
Le juge d’instruction dispose d’un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour s’opposer à la remise de tout ou partie de ces reproductions par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure.
Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai à l’avocat .A défaut de réponse du juge d’instruction notifiée dans le délai imparti, l’avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes dont il avait fourni la liste. Il peut, dans les deux jours de sa notification, déférer la décision du juge d’instruction au président de la chambre de l’instruction, qui statue dans un délai de cinq jours ouvrables par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours. A défaut de réponse notifiée dans le délai imparti, l’avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes mentionnés sur la liste. »
Article 143-1
« Sous réserve des dispositions de l’article 137, la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l’un des cas ci-après énumérés :
1o La personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
(...)
La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions prévues à l’article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. »
Article 144
« La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l’unique moyen :
1o De conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;
2o De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l’infraction ou de prévenir son renouvellement ;
3o De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. »
Article 144-1
« La détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité. (...) »
Article 145-2
« En matière criminelle, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d’un an.
Toutefois, sous réserve des dispositions de l’article 145-3, le juge des libertés et de la détention peut, à l’expiration de ce délai, prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois par une ordonnance motivée conformément aux dispositions de l’article 137-3 et rendue après un débat contradictoire organisé conformément aux dispositions du sixième alinéa de l’article 145, l’avocat ayant été convoqué conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 114. Cette décision peut être renouvelée selon la même procédure.
La personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres cas. Les délais sont portés respectivement à trois et quatre ans lorsque l’un des faits constitutifs de l’infraction a été commis hors du territoire national. Le délai est également de quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour (...) un crime commis en bande organisée.
A titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d’instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d’une particulière gravité, la chambre de l’instruction peut prolonger pour une durée de quatre mois les durées prévues au présent article. La chambre de l’instruction, devant laquelle la comparution personnelle du mis en examen est de droit, est saisie par ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention selon les modalités prévues par le dernier alinéa de l’article 137-1, et elle statue conformément aux dispositions des articles 144, 144-1, 145-3, 194, 197, 198, 199, 200, 206 et 207. Cette décision peut être renouvelée une fois sous les mêmes conditions et selon les mêmes modalités.
Les dispositions du présent article sont applicables jusqu’à l’ordonnance de règlement. »
Article 145-3
« Lorsque la durée de la détention provisoire excède un an en matière criminelle ou huit mois en matière délictuelle, les décisions ordonnant sa prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent aussi comporter les indications particulières qui justifient en l’espèce la poursuite de l’information et le délai prévisible d’achèvement de la procédure. (...). »
Article 148
« En toute matière, la personne placée en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté, sous les obligations prévues à l’article précédent.
La demande de mise en liberté est adressée au juge d’instruction, qui communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions.
Sauf s’il donne une suite favorable à la demande, le juge d’instruction doit, dans les cinq jours suivant la communication au procureur de la République, la transmettre avec son avis motivé au juge des libertés et de la détention. Ce magistrat statue dans un délai de trois jours ouvrables, par une ordonnance comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de l’article 144. Toutefois, lorsqu’il n’a pas encore été statué sur une précédente demande de mise en liberté ou sur l’appel d’une précédente ordonnance de refus de mise en liberté, les délais précités ne commencent à courir qu’à compter de la décision rendue par la juridiction compétente. Lorsqu’il a été adressé plusieurs demandes de mise en liberté, il peut être répondu à ces différentes demandes dans les délais précités par une décision unique.
La mise en liberté, lorsqu’elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire. (...). »
Article 148-1
« La mise en liberté peut aussi être demandée en tout état de cause par toute personne mise en examen, tout prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure.
Lorsqu’une juridiction de jugement est saisie, il lui appartient de statuer sur la détention provisoire. Toutefois, en matière criminelle, la cour d’assises n’est compétente que lorsque la demande est formée durant la session au cours de laquelle elle doit juger l’accusé. Dans les autres cas, la demande est examinée par la chambre de l’instruction.
En cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond. Si le pourvoi a été formé contre un arrêt de la cour d’assises, il est statué sur la détention par la chambre de l’instruction. (...) »
Article 148-4
« A l’expiration d’un délai de quatre mois depuis sa dernière comparution devant le juge d’instruction ou le magistrat par lui délégué et tant que l’ordonnance de règlement n’a pas été rendue, la personne détenue ou son avocat peut saisir directement d’une demande de mise en liberté la chambre de l’instruction qui statue dans les conditions prévues à l’article 148 (dernier alinéa).
(...) »
Article 181
« Si le juge d’instruction estime que les faits retenus à la charge des personnes mises en examen constituent une infraction qualifiée de crime par la loi, il ordonne leur mise en accusation devant la cour d’assises.
(...)
Le contrôle judiciaire dont fait l’objet l’accusé continue à produire ses effets.
(...)
Si l’accusé est placé en détention provisoire, le mandat de dépôt décerné contre lui conserve sa force exécutoire et l’intéressé reste détenu jusqu’à son jugement par la cour d’assises, sous réserve des dispositions des deux alinéas suivants et de l’article 148-1. S’il a été décerné, le mandat d’arrêt conserve sa force exécutoire ; s’ils ont été décernés, les mandats d’amener ou de recherche cessent de pouvoir recevoir exécution, sans préjudice de la possibilité pour le juge d’instruction de délivrer mandat d’arrêt contre l’accusé.
(...) »
Le code pénal dispose :
Article 311-9
« Le vol en bande organisée est puni de quinze ans de réclusion criminelle et de 150000 euros d’amende.
Il est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 150000 euros d’amende lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de violences sur autrui.
Il est puni de trente ans de réclusion criminelle et de 150000 euros d’amende lorsqu’il est commis soit avec usage ou menace d’une arme, soit par une personne porteuse d’une arme soumise à autorisation ou dont le port est prohibé.
Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article. »
Article 132-71
« Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
65. Le requérant allègue que sa détention provisoire, qui s’est achevée à la suite de l’arrêt de la chambre de l’instruction du 25 juin 2009, a dépassé le délai raisonnable tel que prévu par l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
66. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
67. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
68. Le Gouvernement relève que la période a débuté le 26 mai 2005 avec le placement du requérant en détention provisoire et s’est achevée le 25 juin 2009 avec l’arrêt par lequel la chambre de l’instruction a ordonné sa remise en liberté sous contrôle judiciaire à compter du 10 juillet 2009 au plus tard.
69. La Cour rappelle que le point de départ du calcul de la détention visée coïncide avec le jour de l’arrestation du requérant, soit le 23 mai 2005 (Gérard Bernard c. France, no 27678/02, 26 septembre 2006, § 34 et Paradysz c. France, no 17020/05, § 61, 29 octobre 2009).
S’agissant de la fin de la période dont se plaint le requérant, elle se situe entre le 25 juin 2009 et le 10 juillet 2009, la date précise de sa remise en liberté ne figurant pas au dossier.
La détention a donc duré quatre ans et un peu plus d’un mois.
2. Caractère raisonnable de la durée de la détention
a) Thèses des parties
70. Le requérant estime que les refus opposés à ses demandes de remise en liberté étaient injustifiés. Il ajoute que les exigences posées par les autorités pour sa mise en liberté sous contrôle judiciaire avec port d’un bracelet électronique étaient excessives.
71. Le Gouvernement rappelle que les décisions successives relatives à la détention provisoire du requérant ont été prises dans le cadre d’une procédure d’instruction criminelle relative à des infractions particulièrement graves. A la suite de onze vols à main armée, dix-neuf individus et huit personnes morales (les agences bancaires victimes des vols à main armée) se sont constitués parties civiles.
72. Il souligne que des raisons plausibles de soupçonner le requérant ont persisté tout au long de la procédure, malgré ses dénégations. La motivation des décisions de prolongation de la détention provisoire a également été fondée sur la nécessité de préserver les investigations de toute interférence du requérant et d’éviter une disparition des éléments de preuve. Le risque de pression sur les témoins et les victimes ainsi que le risque de concertation frauduleuse entre le requérant et ses complices ont également été invoqués. En outre, ont été visées les exigences de précaution liées au risque de fuite et à la nécessité de maintien du requérant à la disposition de la justice. Enfin, les magistrats ont justifié leur décision en se fondant sur le risque de renouvellement de l’infraction ainsi que sur le trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la multiplicité des vols à main armée commis sur une période de quelques mois dans des circonstances particulièrement traumatisantes pour les victimes.
73. Le Gouvernement ajoute que l’affaire était complexe.
Il rappelle que le requérant était soupçonné d’avoir participé à huit vols à main armée. Selon lui, il n’existe aucune période de latence dans l’exécution des actes d’instruction ou des recherches nécessaires. Un intense travail d’investigation a été accompli ; ainsi, à la date de mise en accusation, le dossier comprenait 8.700 documents. Le juge d’instruction a conduit l’information avec rigueur et célérité. Les services enquêteurs ont multiplié les auditions, confrontations et vérifications techniques, traitant ainsi la procédure dans un délai raisonnable.
74. Le requérant a été entendu plus d’une dizaine de fois, mais dans la mesure où il a toujours nié les faits, les éléments déterminants de l’instruction ont été constitués par l’accumulation des indices matériels, leur recoupement et les investigations scientifiques et techniques. Le temps écoulé entre chaque interrogatoire a permis de procéder à de multiples actes d’enquête.
Il ajoute que dans les derniers mois de l’année 2006, se sont succédé un grand nombre d’auditions des mis en examen, de confrontations de ces derniers avec les parties civiles, de notification aux parties des conclusions des expertises, notamment médicales.
Enfin, la procédure d’instruction fut marquée, dans les premiers mois de l’année 2007 par le retour des commissions rogatoires exécutées par les services d’enquête.
75. Le 31 mai 2007, le juge d’instruction fut saisi d’un réquisitoire supplétif à la suite d’une dénonciation des autorités luxembourgeoises relative à un vol de véhicule. Ces nouveaux faits menèrent à la mise en examen supplétive du frère du requérant et de ce dernier. Les parties civiles ont été avisées, les témoins entendus et une confrontation organisée.
76. Pour ce qui est du comportement du requérant, le Gouvernement fait observer qu’en niant toute implication dans les faits reprochés pendant toute la durée de l’instruction, celui-ci a conduit le magistrat instructeur à recourir à un nombre plus élevé d’actes pour permettre la corroboration de preuves matérielles, prolongeant ainsi l’instruction.
Il ajoute que le requérant a contribué à allonger la durée de l’instruction en multipliant les demandes d’actes, notamment en fin d’instruction, et les recours contre les décisions de prolongation de sa détention provisoire. Ainsi, le requérant a déposé quatre-vingt-dix-neuf demandes de mise en liberté entre le 23 janvier 2006 et le 25 juillet 2008 et sept après sa mise en accusation.
Le Gouvernement conclut que le comportement du requérant doit être pleinement pris en compte pour justifier la durée de sa détention provisoire.
b) Appréciation de la Cour
77. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d’en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil 1998‑VIII et Paradysz c. France, no 17020/05, § 65, 29 octobre 2009).
78. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », la Cour cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, les arrêts Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, § 35 ; I.A. c. France du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, § 102 ; Ismaël Debboub alias Husseini Ali c. France du 9 novembre 1999, no 37786/97, P.B. c. France du 1er août 2000, no 38781/97 et Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110-111, CEDH‑2000).
79. Pour refuser de libérer le requérant, le juge des libertés et de la détention et la chambre de l’instruction avancèrent principalement les arguments suivants : la nécessité d’accomplir des interrogatoires, confrontations et autres investigations sans interférence du requérant, empêcher tout contact entre le requérant et les personnes concernées par cette affaire ainsi que toute pression sur les témoins et toute déperdition des preuves, éviter le risque de réitération des faits, compte tenu notamment de ce que le requérant avait déjà été condamné à deux reprises pour des faits similaires, assurer la représentation du requérant en justice et tenir compte du trouble considérable porté à l’ordre public.
80. En ce qui concerne la nécessité d’accomplir des investigations, la Cour relève que de très nombreux actes ont en effet été diligentés pour mener l’enquête sur les onze vols à main armée que le requérant et son frère étaient soupçonnés d’avoir commis. Le juge entendit ainsi une trentaine de témoins, des confrontations eurent lieu, des expertises et des perquisitions furent ordonnées. Quatre autres personnes furent par ailleurs mises en examen. Enfin, le requérant demanda lui-même l’audition de certains témoins, la réalisation de certains actes et produisit des documents qui nécessitaient des vérifications.
81. Pour ce qui est du risque de pression sur les témoins, la Cour note qu’il a été constaté, à la suite des écoutes mises en place lors des parloirs du requérant et de sa compagne, que celui-ci lui avait demandé de lui procurer des attestations et témoignages en sa faveur. L’implication du requérant dans les actes reprochés était par ailleurs notamment attestée par les dépositions de témoins ayant assisté aux vols. En outre, la dangerosité du requérant était attestée par ses condamnations criminelles antérieures pour des faits graves et violents (voir par. 34 ci-dessus) et l’on pouvait légitimement craindre qu’il tente d’exercer des pressions sur les témoins et d’interférer ainsi dans l’enquête.
82. Le risque de fuite ou de réitération ne pouvait pas non plus être négligé dans la mesure où l’arrestation du requérant et de son frère faisait suite à une série de onze vols à main armée et où le requérant, qui avait été condamné à sept reprises entre 1980 et 1997, l’avait été en 1982 et 1992 pour des faits similaires. Il encourait par ailleurs une lourde peine de prison. La Cour constate enfin sur ce point que, remis en liberté sous contrôle judiciaire avec placement sous surveillance électronique fin juin ou début juillet 2009, le requérant disparut de son domicile le 11 mai 2010, avant de se présenter spontanément le 5 juillet suivant.
83. La Cour en conclut qu’en l’espèce des raisons objectives pouvaient justifier le maintien prolongé du requérant en détention provisoire.
Elle note encore qu’il ne ressort pas du dossier que les autorités compétentes aient négligé ce dossier qui portait sur onze infractions différentes et a nécessité une multitude d’actes de la part du juge d’instruction et des autorités menant l’enquête.
84. La Cour rappelle que la célérité particulière à laquelle un accusé détenu a droit dans l’examen de son cas ne doit pas nuire aux efforts des magistrats pour accomplir leur tâche avec le soin voulu (mutatis mutandis, W. c. Suisse, 26 janvier 1993, § 42, série A no 254‑A). En l’espèce, la Cour ne discerne aucune période pendant laquelle les autorités n’ont pas procédé aux recherches ou à des actes d’instruction. La longueur de la détention incriminée se révèle imputable, pour l’essentiel, à la complexité de l’affaire et, en partie, au comportement du requérant, qui a multiplié les demandes d’actes et les demandes de remise en liberté. Celui-ci n’avait certes pas l’obligation de coopérer avec les autorités, mais il doit supporter les conséquences que son attitude a pu entraîner dans la marche de l’instruction (Pêcheur c. Luxembourg, no 16308/02, § 62, 11 décembre 2007).
85. Dans les circonstances particulières de la cause, la Cour estime que la période litigieuse, pour longue qu’elle ait été, ne peut être considérée comme excessive.
86. Partant, la Cour conclut à l’absence de violation de l’article 5 § 3 de la Convention
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
87. Le requérant invoque enfin d’abord l’article 1 de la Convention, sans toutefois préciser son grief.
Il invoque également l’article 3 de la Convention et se plaint d’avoir été maintenu dix-neuf mois en isolement complet sans raison. Il précise qu’il est sorti d’isolement fin 2006.
Il ajoute sous l’angle de l’article 6 § 1 que l’instruction de son affaire n’a pas été équitable car il n’a pu obtenir une copie intégrale de son dossier.
Sous l’angle de l’article 8, le requérant se plaint de ce que son courrier a été lu par le juge d’instruction pendant plus de quatre ans.
88. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief concernant la durée de la détention provisoire et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia WesterdiekDean Spielmann
GreffièrePrésident