DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEDICI ET AUTRES c. ITALIE
(Requête no 70508/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour le 13 novembre 2014
STRASBOURG
4 décembre 2012
DÉFINITIF
04/03/2013
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Medici et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant une chambre composée de :
Danutė Jočienė, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 novembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 70508/01) dirigée contre la République italienne et dont huit ressortissants de cet État, M. Pietro Medici, Mme Elisabetta Medici, M. Vincenzo Medici, M. Filippo Medici, M. Felice Medici, M. Giulio Medici, Mme Francesca Medici et Mme Caterina Maria Strati (« les requérants »), ont saisi la Cour le 30 septembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Par une lettre du 19 juin 2008, le représentant des requérants informait la Cour, que, d’après l’acte de notoriété établi par un notaire le 18 juin 2008, Mme Patrizia Medici, fille d’un des requérants et nièces des autres était la seule titulaire de l’ensemble des droits patrimoniaux et non patrimoniaux découlant de la requête pendante devant la Cour.
2. Par un arrêt du 5 octobre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’administration avait pu s’approprier du terrain des requérants au mépris des règles régissant l’expropriation en bonne et due forme, sans qu’une indemnité soit mise en parallèle à la disposition des intéressés et que l’ingérence litigieuse n’était donc pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle avait enfreint le droit au respect des biens des requérants (Medici et autres c. Italie, no 70508/01, §§ 45-46, 5 octobre 2006).
3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable de 20 415 867,69 EUR, somme égale à la valeur vénale du terrain en 2006, ainsi que la somme de 6 819 728,35 à titre d’indemnisation pour non-jouissance du terrain. En outre, ils sollicitaient le versement des sommes de 14 258 640 EUR à titre d’indemnisation pour l’impossibilité de bâtir sur le terrain, de 2 603 903,27 EUR pour la plus-value apportée par l’ouvrage public réalisé sur le terrain, et de 2 004 385 EUR pour la destruction des œuvres existant sur le terrain au cours des travaux. Les requérants sollicitaient une somme au titre de dommage moral et le remboursement des frais de procédure.
4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 56 et point 3 b) du dispositif).
5. Le 12 mars 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d’évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d’expertise avant le 14 juin 2007.
6. Le Gouvernement n’a pas déposé de rapport d’expertise dans le délai imparti.
7. A la suite de la modification de la composition des sections de la Cour, la présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée.
I. REMARQUE PRÉLIMINAIRE
8. La Cour relève que Mme Patrizia Medici, fille d’un des requérants et nièce des autres, affirme être la seule titulaire de tous les droits patrimoniaux et non patrimoniaux découlant de la requête. A supposer même que les droits en cause puissent faire l’objet d’une transmission inter vivos, la Cour estime qu’une telle transmission dépend de la volonté expresse des requérants, et ne peut se faire que sur la base d’un acte formel signé en bonne et due forme par ceux-ci. Or, la Cour note que, dans le cas d’espèce, il n’y a eu aucune renonciation au recours de la part des requérants et que l’acte notarié est signé exclusivement par le notaire et par Mme Medici. Dans ces conditions, la Cour estime que Mme Medici n’a pas, dès lors, qualité de requérante devant la Cour (mutatis mutandis, Arnautu c. Roumanie (déc) no 22785/09, 3 juillet 2012).
II. EN DROIT
9. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
10. Les requérants sollicitent un dédommagement de 20 586 648,00 EUR égal à la valeur vénale du terrain et 66 906 606,00 EUR pour la non-jouissance du terrain.
11. Le Gouvernement s’y oppose et demande à la Cour de calculer le dommage à octroyer aux requérants en se basant sur l’expertise déposée devant la cour d’appel de Catanzaro.
12. La Cour rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.
13. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
14. Les requérants ont perdu la propriété de leur terrain en octobre 1969. Il ressort de l’expertise effectuée au cours de la procédure nationale que la valeur du terrain réévaluée en 1987 était de 6 308 368 000 ITL (3 258 000 EUR). Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants conjointement 12 750 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme. De cette somme devra être déduite la somme déjà perçue par les requérants suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Reggio de Calabre (§ 26 de l’arrêt au principal) et payée en 2001 et 2002.[1]
B. Dommage moral
15. Les requérants demandent 2 058 664,80 EUR pour le dommage moral.
16. Le Gouvernement s’y oppose.
17. La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien a causé aux requérants un préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.
18. Statuant en équité, la Cour accorde aux requérants conjointement 20 000 EUR pour le dommage moral.
C. Frais et dépens
19. Les requérants demandent 322 208,37 EUR pour les frais de procédure devant la Cour y compris l’expertise déposée en 2007.
20. Le Gouvernement soutient que les sommes réclamées par les requérants à titre de frais et dépens sont excessives.
21. La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
22. La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement aux requérants un montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
23. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 12 750 000 EUR (douze millions sept cent cinquante mille euros), moins la somme reconnue en 1999 par la cour d’appel de Reggio de Calabre et payée aux requérants en 2001 et 2002, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;[2]
ii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NaismithDanutė Jočienė
GreffierPrésidente
* * *
[1]. Rectifié le 13 novembre 2014 : le texte suivant a été rajouté : « De cette somme devra être déduite la somme déjà perçue par les requérants suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Reggio de Calabre (§ 26 de l’arrêt au principal) et payée en 2001 et 2002. ».
[2]. Rectifié le 13 novembre 2014 : le texte suivant a été rajouté : « moins la somme reconnue en 1999 par la cour d’appel de Reggio de Calabre et payée aux requérants en 2001 et 2002, ».