DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE UDEH c. SUISSE
(Requête no 12020/09)
ARRÊT
STRASBOURG
16 avril 2013
DÉFINITIF
09/09/2013
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Udeh c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012 et le 26 mars 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12020/09) dirigée contre la Confédération suisse. Les personnes suivantes ont saisi la Cour le 3 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») : M. Kinsley Chike Udeh, un ressortissant nigérian né en 1972 et résidant en Suisse (le requérant), son ex-épouse, Mme Michèle Udeh, une ressortissante suisse née en 1984 (deuxième requérante), et leurs enfants, Naira Johanna Udeh et Uzoma Elisa Udeh, des ressortissantes suisses nées en 2003 (troisième et quatrième requérantes). Ces dernières possèdent également la nationalité nigériane.
2. Les requérants sont représentés par Mes J. Rinceanu et A. Noll, avocats à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) et Bâle, respectivement. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’unité Droit européen et protection internationale des droits de l’homme de l’Office fédéral de la Justice.
3. Les requérants allèguent en particulier que le refus d’autorisation de séjour du requérant violerait leur droit au respect de leur vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.
4. Le 17 septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le 18 août 2001, le requérant, sous fausse identité et prétendant qu’il était né en 1983, fut condamné par un tribunal autrichien (Jugendgerichtshof de Vienne) à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour infraction à la législation en matière de stupéfiants. La condamnation concernait la possession d’une faible quantité de cocaïne.
7. Il entra en Suisse en novembre 2001. Le 18 janvier 2002, les autorités compétentes suisses déclarèrent irrecevable sa demande d’asile, qui avait été déposée sous une fausse identité. A une date non indiquée, il quitta la Suisse, mais y retourna le 2 septembre 2003.
8. Le 1er novembre 2003, le requérant épousa une ressortissante suisse qui venait de mettre au monde leurs filles jumelles (la troisième et la quatrième requérantes). Il reçut, de par son mariage, une autorisation de séjour en Suisse (le couple a entre-temps divorcé, voir paragraphe 19 ci‑dessous).
9. Le 6 août 2006, le requérant fut arrêté en Allemagne pour trafic de drogue et condamné à une peine de 42 mois d’emprisonnement (jugement du tribunal d’arrondissement de la ville de Kleve (Allemagne) du 24 novembre 2006). Les autorités compétentes considérèrent comme établi que l’intéressé avait essayé d’importer 55 doses de cocaïne pure, d’un poids total de 257 grammes, qu’il avait avalées (bodypacks).
10. Par une décision du 23 août 2007, l’office des migrations du canton de Bâle-Campagne constata que l’autorisation de séjour du requérant était devenue caduque car, étant détenu en Allemagne aux fins de purger la peine qui lui avait été infligée, il était absent depuis plus de six mois du territoire suisse. Par ailleurs, l’office des migrations considéra qu’il n’y avait pas lieu de délivrer à l’intéressé une nouvelle autorisation, le fait qu’il ait été condamné pénalement et que sa famille dépendait de l’aide sociale constituant une cause d’expulsion.
11. Tant le requérant que son épouse, agissant pour leur compte et pour celui de leurs enfants communs, contestèrent cette décision d’abord devant le Conseil d’Etat, qui rejeta les recours, puis devant le tribunal cantonal de Bâle-Campagne, qui rejeta également les recours par une décision du 14 mai 2008.
12. Le 5 mai 2008, le requérant bénéficia d’une remise en liberté anticipée de la prison allemande où il avait purgé sa peine.
13. Par un arrêt du 8 janvier 2009, le Tribunal fédéral rejeta en dernière instance un recours des requérants. Il rappela les deux condamnations du requérant pour infractions à la législation en matière de stupéfiants. Il soutint que le crime pour lequel le requérant avait été condamné en Allemagne pesait suffisamment lourd, de sorte que la possibilité qu’une sanction prononcée en Suisse aurait pu être légèrement plus clémente n’était pas pertinente. Il observa également que le trafic en question, concernant plus de 18 grammes de cocaïne pure, constituait un cas grave au sens de l’article 19 alinéa 2 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes, passible d’une peine privative de liberté d’un an au moins. Il estima par ailleurs que le fait que le requérant n’avait fait preuve d’un comportement délictuel qu’à deux reprises était peu pertinent pour l’examen de l’affaire.
Le tribunal admit néanmoins que les requérants s’efforçaient d’échapper à leur dépendance de l’aide sociale, mais observa également qu’ils avaient entre-temps obtenu à ce titre une somme qui s’élevait au total à 165 000 francs suisses (CHF) (environ 137 500 euros (EUR)). En outre, il nota que le requérant ne vivait que depuis octobre 2003 avec sa famille en Suisse et qu’il n’exerçait pas de véritable activité professionnelle, même si, à cet égard, il était probable que le fait qu’il souffrait de tuberculose jouait un certain rôle.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral estima que, eu égard aux perspectives professionnelles sombres du requérant, il n’était pas exclu que celui-ci s’engage dans de nouvelles activités délictuelles. En outre, il considéra que l’intéressé, ne parlant que mal l’allemand et fréquentant avant tout des ressortissants de son pays, ne s’était pas intégré en Suisse.
En revanche, le Tribunal fédéral ne contesta pas qu’il existait une vie familiale réelle et étroite au sein des requérants. Il estima que le refus d’octroi d’un permis de séjour au requérant les frapperait sans doute fort, et ce d’autant plus que l’on ne pouvait guère exiger d’elles qu’elles suivent le requérant au Nigéria. Quant à l’intéressé, le tribunal considéra qu’il possédait encore un réseau familial intact dans ce pays et qu’il pourrait s’y réintégrer assez facilement.
14. Par une lettre du 26 janvier 2009, l’office des migrations du canton de Bâle-Campagne informa le requérant qu’il devait quitter le territoire suisse au plus tard le 31 mars 2009.
15. Par une décision du 10 mars 2009, le président de la première section rejeta une demande de mesures provisoires au sens de l’article 39 du règlement de la Cour.
16. Le requérant fut mis en détention en vue de son expulsion entre le 15 et le 17 septembre 2009.
17. Le requérant fut déclaré disparu le 23 avril 2010. Le 25 septembre 2010, il fut arrêté par les autorités compétentes du canton de Bâle-Campagne. Par une décision du 28 septembre 2010, le juge compétent dudit canton confirma la détention du requérant en vue de son expulsion jusqu’au 24 novembre 2010. Il en ressort que le couple s’était entre-temps séparé. Le premier requérant aurait affirmé maintenir néanmoins certains contacts avec ses enfants. La détention fut prolongée par la suite. Il fut remis en liberté le 25 janvier 2011.
18. Le 25 janvier 2011, l’Office fédéral des migrations émit une interdiction d’entrée sur le territoire suisse à l’encontre du requérant, valable jusqu’au 26 janvier 2020. Il en ressort que cette interdiction pourrait être levée temporairement pour permettre au requérant de rendre visite à sa famille, sur demande motivée et si une telle levée s’avérait nécessaire (paragraphe 21 ci-dessous). Par une lettre du 21 août 2012, les représentants du requérant informèrent la Cour que la décision du 25 janvier 2011 était devenue définitive. Ils y précisent également que le requérant réside toujours en Suisse, mais séparé de son épouse. Ils allèguent qu’il s’efforce de maintenir un contact régulier avec ses enfants.
19. Par une lettre en date du 31 décembre 2012, l’un des deux avocats du requérant a informé la Cour que le requérant avait entre-temps divorcé de son épouse suisse. Il en ressort également qu’il est devenu père d’un troisième enfant, une fille née le 21 août 2012 qu’il a eue avec une autre ressortissante suisse. Il vit maintenant avec elle et veut l’épouser le plus rapidement possible.
L’avocat joint à sa lettre la copie d’un arrêt relatif au divorce du tribunal de district de Liestal en date du 27 septembre 2012, notifié à l’autre avocat du requérant le 2 octobre 2012. Il en découle également que le droit de garde était attribué à la mère mais que le requérant s’était vu octroyer un droit de visite de ses deux premiers enfants, limité à un après-midi tous les quinze jours au moins.
Ces nouvelles informations ont dûment été notifiées aux parties qui ont été invitées à soumettre leurs observations (voir paragraphes 28 et 36 ci‑dessous).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
20. Le droit de séjour du conjoint d’un ressortissant suisse ainsi que les conditions auxquelles devait répondre le renouvellement de son permis de séjour étaient réglés par l’ancienne loi sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931 (ci-après : « LSEE »), dont les dispositions pertinentes étaient libellées comme suit :
Article 7, alinéa premier
« Le conjoint étranger d’un ressortissant suisse a le droit à l’octroi et à la prolongation de l’autorisation de séjour. Après un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans, il a droit à l’autorisation d’établissement. Ce droit s’éteint lorsqu’il existe un motif d’expulsion.
Article 10, alinéa premier
L’étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d’un canton que pour les motifs suivants :
1. S’il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ;
(...)
d. si lui-même, ou une personne aux besoins de laquelle il est tenu de pourvoir, tombe d’une manière continue et dans une large mesure à la charge de l’assistance publique.
Article 11, alinéa 3
L’expulsion ne sera prononcée que si elle paraît appropriée à l’ensemble des circonstances (...) »
21. L’article 67 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 régit l’interdiction d’entrée d’un étranger qui fait l’objet d’une décision de renvoi. Son alinéa 5 permet à l’autorité compétente de suspendre provisoirement ou définitivement une interdiction d’entrée :
Article 67
« 1. L’office interdit l’entrée en Suisse, sous réserve de l’al. 5, à un étranger frappé d’une décision de renvoi lorsque :
a. le renvoi est immédiatement exécutoire en vertu de l’art. 64d, al. 2, let. a à c ;
b. l’étranger n’a pas quitté la Suisse dans le délai imparti.
2. L’office peut interdire l’entrée en Suisse à un étranger lorsque ce dernier :
a. a attenté à la sécurité et à l’ordre publics en Suisse ou à l’étranger ou les a mis en danger ;
b. a occasionné des coûts en matière d’aide sociale ;
c. a été placé en détention en phase préparatoire, en détention en vue du renvoi ou de l’expulsion ou en détention pour insoumission (art. 75 à 78).
3. L’interdiction d’entrée est prononcée pour une durée maximale de cinq ans. Elle peut être prononcée pour une plus longue durée lorsque la personne concernée constitue une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics.
4. L’Office fédéral de la police (fedpol) peut interdire l’entrée en Suisse à un étranger pour sauvegarder la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse ; il consulte au préalable le Service de renseignement de la Confédération (SRC). Fedpol peut prononcer une interdiction d’entrée pour une durée supérieure à cinq ans ou, dans des cas graves, pour une durée illimitée.
5. Pour des raisons humanitaires ou pour d’autres motifs importants, l’autorité appelée à statuer peut s’abstenir de prononcer une interdiction d’entrée ou suspendre provisoirement ou définitivement une interdiction d’entrée. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
22. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants prétendent qu’une mise à exécution du refus d’autorisation de séjour pour le requérant ruinerait leur vie de famille. Cette disposition est libellée comme il suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
23. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
24. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
a. Les requérants
25. Les requérants ne contestent pas que l’expulsion du requérant était fondée sur une base légale suffisante et qu’elle poursuivait des buts légitimes au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. En revanche, contrairement au Gouvernement, ils soutiennent que la mesure litigieuse n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
26. Dans la mesure où les tribunaux suisses et le Gouvernement entendent se prévaloir de la dépendance financière des requérants, ceux-ci allèguent que le premier requérant a trouvé assez rapidement un travail après avoir été remis en liberté en mai 2008. Il n’était donc pas exclu, à ce moment-là, qu’ils échappent à l’aide publique.
27. Les requérants soulignent également que le premier requérant n’a commis qu’une seule infraction grave, pour laquelle il a entièrement purgé sa peine. Ils allèguent également que son comportement en prison était exemplaire, comme en atteste sa remise en liberté anticipée. En outre, ils précisent qu’il n’a jamais commis le moindre délit en Suisse – l’infraction principale pour laquelle il a été condamné ayant été commise en Allemagne – et que son comportement après avoir été remis en liberté était également irréprochable. Il en ressort qu’il ne peut plus être considéré comme un danger pour l’ordre ou la sécurité publics en Suisse.
28. Les requérants soutiennent également que leurs deux filles jumelles auraient, en vertu de l’article 8 de la Convention, un droit à un contact régulier avec leur père. Par ailleurs, le requérant rappelle qu’il est devenu père d’un troisième enfant en 2012, issu d’une relation avec une autre ressortissante suisse. Il vit avec cette personne et entend l’épouser le plus rapidement possible.
29. Compte tenu de ce qui précède, les requérants sont convaincus que la mesure litigieuse était disproportionnée et, dès lors, pas nécessaire dans une société démocratique.
b. Le Gouvernement
30. En se référant aux dispositions précitées (paragraphes 20 et suiv. ci‑dessus), le Gouvernement estime que l’ingérence était prévue par la loi. Il soutient également que l’expulsion du requérant poursuivait des buts légitimes au sens de l’article 8 § 2, soit la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales, la sûreté publique, le bien-être économique du pays et la protection des droits et libertés d’autrui.
31. Le Gouvernement est convaincu que la mesure était aussi nécessaire dans une société démocratique. Il estime qu’au vu de la qualité des drogues transportées (257 grammes de cocaïne pure) et des condamnations importantes (4 puis 42 mois d’emprisonnement pour infractions à la législation en matière de stupéfiants), le cas du requérant est grave. Il réitère à cet égard le fait que la Cour a toujours fait preuve d’une grande fermeté vis-à-vis des personnes qui se sont rendues coupables des crimes en matière de stupéfiants.
32. Le Gouvernement admet que, selon ses informations, le requérant n’a plus été condamné après avoir purgé sa peine. En même temps, il soutient que la condamnation pour 42 mois d’emprisonnement laisse croire qu’il constitue à l’avenir un danger pour l’ordre et la sûreté publics. Il précise à cet égard également que ni son mariage, ni son travail ne l’ont empêché de commettre ledit crime.
33. Le Gouvernement rappelle également que les requérants ont dû être mis au bénéfice de l’aide sociale pour des périodes étendues.
34. Le Gouvernement rappelle aussi que le requérant a grandi au Nigéria et qu’il est entré en Suisse à l’âge de 21 ans. Il devrait donc disposer d’un réseau familial dans ce pays et ne saurait prétendre de façon crédible que son rattachement social aurait été totalement rompu en raison du temps passé en Suisse et en Allemagne. Aucun indice n’indique qu’il ne pourrait plus s’intégrer dans la société nigériane. En outre, le requérant ne serait pas vraiment établi d’un point de vue professionnel en Suisse. Selon le Tribunal fédéral, il ne maîtrise que mal l’allemand et a noué des contacts essentiellement avec des compatriotes.
35. Le Gouvernement observe également que les requérants sont maintenant divorcés. Les filles vivent avec leur mère et les contacts que le requérant prétend avoir maintenus ne sont pas d’emblée rendus impossibles en cas de renvoi du requérant.
36. En ce qui concerne par ailleurs la relation du requérant avec sa nouvelle amie qu’il entend épouser et avec laquelle il a un enfant, le Gouvernement soutient que celle-ci a commencé à un moment où il n’avait ni titre de séjour ni de chance d’en obtenir un, ce que son amie savait. Le Gouvernement estime que, sans vouloir spéculer sur la décision des parents le concernant, cet enfant se trouve en bas âge et pourrait s’intégrer dans la société nigériane, le cas échéant. De surcroît, selon les informations dont dispose le Gouvernement, cet enfant n’a pas été reconnu par le requérant.
37. Le Gouvernement conclut donc que c’est à juste titre que les autorités suisses, après un examen circonstancié du cas d’espèce, ont jugé que l’expulsion du requérant était une mesure nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. On ne saurait dès lors leur reprocher d’avoir outrepassé la marge d’appréciation dont elles jouissaient en l’espèce. Il en découle qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8.
2. L’appréciation de la Cour
a. Ingérence dans le droit protégé par l’article 8
38. La Cour rappelle que la Convention ne garantit, comme tel, aucun droit pour un étranger d’entrer ou de résider sur le territoire d’un pays déterminé. Toutefois, exclure une personne d’un pays où vivent les membres de sa famille peut constituer une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale, tel que protégé par l’article 8 § 1 de la Convention (voir, dans ce sens, Moustaquim c. Belgique, 18 février 1991, § 36, série A no 193).
39. En l’espèce, le Tribunal fédéral a, par son arrêt du 8 janvier 2009, confirmé l’expulsion du requérant. Par ailleurs, l’Office fédéral des migrations a émis une interdiction d’entrée sur le territoire suisse à l’encontre du requérant, valable jusqu’au 26 janvier 2020. Ces décisions ont pour conséquence sa séparation de ses filles jumelles, qui possèdent la nationalité suisse. Il a dès lors subi une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale, même si la décision d’éloignement n’a pour l’instant pas encore été mise en œuvre.
b. Justification de l’ingérence
40. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire, dans une société démocratique ».
i. « Prévue par la loi »
41. Il n’est pas contesté que l’éloignement du requérant du territoire suisse était fondé sur les dispositions pertinentes de la LSEE (voir le paragraphe 20 ci-dessus).
ii. But légitime
42. Il n’est pas davantage controversé que l’ingérence en cause visait des fins pleinement compatibles avec la Convention, à savoir notamment « la défense de l’ordre » et la « prévention des infractions pénales ».
iii. Nécessité dans une société démocratique de la mesure
α) Principes généraux
43. Il reste donc à examiner si la mesure était nécessaire dans une société démocratique.
44. A titre liminaire, il convient de rappeler que selon un principe de droit international bien établi, les Etats ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée des étrangers sur leur sol (voir, parmi beaucoup d’autres, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, § 67, 28 mai 1985, série A no 94, Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI). La Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d’entrer ou de résider dans un pays particulier, et, lorsqu’ils assument leur mission de maintien de l’ordre public, les Etats contractants ont la faculté d’expulser un étranger délinquant, entré et résidant légalement sur leur territoire. Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le paragraphe 1 de l’article 8, doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire être justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi (Mehemi c. France, 26 septembre 1997, § 34, Recueil 1997-VI, Dalia c. France, 19 février 1998, § 52, Recueil 1998-I, Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 46, CEDH 2001‑IX, et Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 113, CEDH 2003-X).
45. Dans l’affaire Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, §§ 54-60, CEDH 2006‑XII, la Cour a eu l’occasion de résumer les critères devant guider les instances nationales dans de telles affaires (§§ 57 et suiv.) :
– la nature et la gravité de l’infraction commise par le requérant ;
– la durée du séjour de l’intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;
– le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;
– la nationalité des diverses personnes concernées ;
– la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d’autres facteurs témoignant de l’effectivité d’une vie familiale au sein d’un couple ;
– la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l’infraction à l’époque de la création de la relation familiale ;
– la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ;
– la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé ;
– l’intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l’intéressé doit être expulsé ; et
– la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.
β) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce
46. En ce qui concerne le cas d’espèce, la Cour reconnaît tout d’abord que la condamnation prononcée le 24 novembre 2006 par le tribunal d’arrondissement de la ville de Kleve (Allemagne) pour l’infraction en matière de stupéfiants (42 mois d’emprisonnement pour avoir essayé d’importer 55 doses de cocaïne pure, d’un poids total de 257 grammes) pèse certes lourdement. En ce qui concerne la condamnation du 18 août 2001, elle a été prononcée par la Cour des affaires relatives à la jeunesse (Jugendgerichtshof) de Vienne, trompée par le requérant sur son identité et son âge (paragraphe 6 ci-dessus). En réalité, il a commis cet acte en tant qu’adulte, soit à l’âge de 29 ans. Dès lors, il ne relève pas de la délinquance juvénile. Cette infraction n’a pas été punie très sévèrement, à savoir par une peine de quatre mois d’emprisonnement. Il s’avéra établi que le requérant ne possédait qu’une faible quantité de cocaïne. Par ailleurs, le requérant a bénéficié d’un sursis à l’exécution de cette peine. La Cour en conclut qu’il convient d’apprécier cette condamnation à sa juste mesure.
47. Il convient d’observer que le comportement criminel du requérant s’est limité à ces deux actes, un fait qui n’a pas été considéré comme pertinent par le Tribunal fédéral. La présente affaire se distingue donc notamment de l’affaire Emre c. Suisse (no 42034/04, §§ 72-76, 22 mai 2008), dans laquelle le requérant avait été condamné pour plus de 30 infractions. On ne saurait dès lors dire que le requérant aurait fait preuve d’une véritable énergie ou d’un potentiel criminel.
48. La Cour rappelle ensuite que le requérant est entré une première fois en Suisse en novembre 2001 et y a déposé une demande d’asile sans succès. Après avoir quitté la Suisse à une date non spécifiée, il y est revenu en septembre 2003 où il a épousé une ressortissante suisse deux mois plus tard. Il y a séjourné jusqu’en août 2006, lorsqu’il a été arrêté et placé en détention en Allemagne. Le 5 mai 2008, après avoir purgé sa peine et bénéficié d’une remise en liberté anticipée, il a regagné la Suisse et y a vécu jusqu’à aujourd’hui (voir paragraphe 12 ci-dessus). Lorsque le Tribunal fédéral a rendu son arrêt, le 8 janvier 2009, il avait donc séjourné en Suisse depuis plus de 3 ans et demi. Aujourd’hui, au moment de l’adoption du présent arrêt, à défaut d’une mise en œuvre de l’ordre d’éloignement, la durée totale de son séjour en Suisse s’élève à plus de 7 ans et demi, ce qui constitue une durée considérable dans la vie d’un être humain. Il ne semble pas douteux que la Suisse constitue depuis assez longtemps le centre de la vie privée et familiale du requérant.
49. La Cour constate qu’il n’est pas contesté entre les parties que le comportement dont le requérant a fait preuve en prison et après avoir été remis en liberté, le 5 mai 2008, était irréprochable. Or, cette évolution positive, notamment le fait qu’il a été remis en liberté conditionnelle après avoir purgé une partie de sa peine, peut être prise en compte dans la pesée des intérêts en jeu (voir notamment Maslov, précité, §§ 87 et suiv., et Emre c. Suisse (no 2), no 5056/10, § 74, 11 octobre 2011). A cet égard, la Cour considère comme spéculatif l’argument du Gouvernement selon lequel la condamnation du requérant pour 42 mois d’emprisonnement laisse croire que celui-ci constituera à l’avenir un danger pour l’ordre et la sûreté publics.
50. La Cour rappelle que le Tribunal fédéral n’a pas mis en doute que le premier requérant entretenait une relation réelle et étroite avec son ex-épouse et leurs enfants communs. Le Gouvernement n’a pas remis en cause cette constatation. Le couple a entre-temps divorcé. En revanche, il découle notamment des lettres du requérant des 21 août et 31 décembre 2012 qu’il s’efforce de maintenir un contact régulier avec ses enfants. Il découle en outre de l’arrêt relatif au divorce du tribunal de district de Liestal du 27 septembre 2012 que le droit de garde des deux enfants communs était attribué à la mère, mais que le requérant s’était vu octroyer un droit de visite, limité actuellement à un après-midi chaque deux semaines au moins. Dès lors, la Cour estime que les requérants peuvent se prévaloir de l’article 8 de la Convention ; par ailleurs, l’infraction principale a été commise par le requérant après la conception des enfants communs ; en d’autres termes, son épouse ne pouvait pas être au courant au moment de la création de la relation familiale, un fait qui joue un rôle considérable dans l’appréciation de la présente affaire. En revanche, en ce qui concerne la relation avec la nouvelle amie du requérant et la naissance de l’enfant issu de cette relation, ces faits ne peuvent pas être pris en compte dans l’examen de la Cour, étant donné qu’ils sont intervenus à un moment où le droit du requérant de séjourner en Suisse était déjà précaire. Il ne peut dès lors pas s’en prévaloir dans le cadre de la présente affaire, même dans l’hypothèse où il va se marier avec cette personne.
51. Ensuite, le Tribunal fédéral a observé que le requérant a grandi au Nigéria et, dès lors, devait y posséder encore un réseau familial intact. Selon cette juridiction, il pourrait s’intégrer assez facilement dans son pays d’origine. Par contre, il ne serait pas véritablement intégré en Suisse, ni professionnellement, ni socialement, et ne parlerait que mal l’allemand. Il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause ses allégations, non contestées par les requérants. Elle rappelle simplement que le Tribunal fédéral a reconnu les efforts des requérants pour échapper à leur dépendance de l’aide sociale et qu’il n’a pas exclu que la maladie du requérant (tuberculose) jouait un rôle sur le fait qu’il n’exerçait pas de véritable activité lucrative.
52. La Cour rappelle également que leurs filles jumelles, qui possèdent la nationalité suisse, sont nées en 2003. L’éloignement forcé du requérant est susceptible d’avoir pour conséquence qu’elles grandissent séparées de leur père. Selon le Tribunal fédéral, l’on ne pouvait guère exiger des requérantes qu’elles suivent le requérant dans ce pays. En tout état de cause, la Cour estime qu’il est dans l’intérêt supérieur des filles qu’elles grandissent auprès des deux parents et, eu égard au divorce intervenu, la seule possibilité de maintenir un contact régulier entre le requérant et les deux enfants est de l’autoriser à séjourner en Suisse, étant donné que l’on ne saurait s’attendre que la mère, avec les enfants communs, suive le requérant au Nigéria.
53. Enfin, le Gouvernement prétend que les contacts entre le requérant et ses filles jumelles ne seraient pas rendus impossibles en cas de renvoi au Nigéria. La Cour rappelle que, par une décision du 25 janvier 2011, l’Office fédéral des migrations a émis une interdiction d’entrée sur le territoire suisse à l’encontre du requérant, valable jusqu’au 26 janvier 2020. Quant à la faculté pour les intéressés de demander une levée temporaire ou définitive de l’expulsion, possibilité qui découle de cette décision (paragraphes 18 et 21 ci‑dessus), la Cour estime que, même dans l’hypothèse où les autorités compétentes accueilleraient favorablement une telle demande, ces mesures temporaires ne sauraient en aucun cas être considérées comme pouvant remplacer le droit des requérants de jouir de leur droit de vivre ensemble, qui constitue l’un des aspects fondamentaux du droit au respect la vie familiale (voir, mutatis mutandis, les arrêts Agraw c. Suisse, no 3295/06, § 51, et Mengesha Kimfe c. Suisse, no 24404/05, §§ 69-72, tous deux du 29 juillet 2010).
54. Compte tenu de ce qui précède, et en particulier eu égard à leurs enfants communs, à la relation familiale qui existe réellement entre le requérant et les enfants ainsi qu’au fait que le requérant a commis une seule infraction grave et que son comportement ultérieur a été irréprochable, ce qui laisse supposer une évolution positive pour l’avenir, la Cour estime que l’Etat défendeur a outrepassé la marge d’appréciation dont il jouissait dans le cas d’espèce.
55. Partant, il y aurait violation de l’article 8 de la Convention si le requérant était expulsé.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7
56. Invoquant l’article 4 du Protocole no 7, les requérants se prétendent en outre victimes d’une atteinte au principe ne bis in idem. Ils allèguent que l’expulsion du premier requérant repose sur les mêmes faits que ceux pour lesquels il a été condamné et a purgé sa peine. Cette disposition est libellée comme il suit :
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »
57. La Cour observe que l’article 4 du Protocole no 7 interdit la poursuite ou la punition pour une infraction pour laquelle une personne a déjà été acquittée ou condamnée par les tribunaux du même Etat. La Cour observe qu’en l’espèce les décisions prises par les autorités suisses ne portaient pas sur des accusations en matière pénale, mais avaient pour objet l’éloignement du requérant du territoire suisse.
58. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 (a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
60. Les requérants réclament 23 000 francs suisses (CHF) au titre du préjudice moral que le requérant aurait subi en raison de sa détention subie en vue de son expulsion en septembre 2009 et entre septembre 2010 et janvier 2011 (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Pour les autres souffrances qu’ils auraient subies, notamment causées par l’incertitude relative à la possibilité de vivre ensemble ainsi que par l’attitude hostile des autorités suisses à leur égard, les requérants demandent le montant de 40 000 euros (EUR). En revanche, ils ne réclament aucun montant au titre du dommage matériel.
61. Le Gouvernement soutient que le simple constat de violation suffit pour remédier à la violation constatée.
62. La Cour n’exclut pas que les requérants éprouvent un préjudice moral. En tout état de cause, la Cour partage l’avis du Gouvernement et estime qu’à défaut d’une mise en exécution de l’ordre d’expulsion, le constat de violation par la Cour constitue une satisfaction équitable suffisante (dans ce sens Raza c. Bulgarie, no 31465/08, §§ 56 et 88, 11 février 2010 ; Beldjoudi c. France, 26 mars 1992, §§ 79 et 86, série A no 234 A ; et M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 105 et 143, 26 juillet 2011).
B. Frais et dépens
63. Les requérants demandent également les sommes de 25 155,17 EUR et 910,30 CHF (Me Noll) ainsi que 22 750 EUR (Me Rinceanu) pour les frais et dépens engagés devant la Cour, et les sommes de 19 473,95 EUR et de 1 531,30 CHF (Me Noll) pour les frais et dépens exposés au niveau interne, à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral du 8 janvier 2009.
64. Le Gouvernement estime que la somme de 3 000 CHF couvrirait l’ensemble des frais et dépens pour la procédure engagée sur le plan national et devant la Cour.
65. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Elle considère comme exagérées les demandes des requérants. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 9 000 EUR au titre des frais et dépens et l’accorde conjointement aux requérants.
C. Intérêts moratoires
66. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y aurait violation de l’article 8 si le requérant était expulsé ;
3. Dit, par cinq voix contre deux, quant au dommage moral subi par les requérants, que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante aux fins de l’article 41 ;
4. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Jočienė et Lorenzen.
G.R.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE
AUX JUGES JOČIENE ET LORENZEN
(Traduction)
Nous ne pouvons souscrire à l’avis de la majorité selon lequel l’expulsion du requérant vers le Nigéria emporterait violation de l’article 8 de la Convention. Les faits pertinents de l’espèce peuvent se résumer comme suit.
Le requérant, un ressortissant nigérian, entra en Suisse sous une fausse identité en novembre 2001. Il avait alors 29 ans. Avant son arrivée, il avait été condamné en Autriche à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour une infraction à la législation sur les stupéfiants. Après le rejet de sa demande d’asile par les autorités suisses, il quitta la Suisse à une date non connue, mais y revint en septembre 2003 et, peu après, épousa une ressortissante de ce pays avec laquelle il eut deux filles jumelles, nées la même année. Moins de trois ans après, il fut arrêté en Allemagne et condamné à une peine de trois ans et six mois d’emprisonnement pour une infraction grave de trafic de stupéfiants. Après sa libération sous condition en mai 2008, il retourna vivre en Suisse avec son épouse et ses filles. Il est séparé de son épouse depuis 2010. Il a également divorcé de celle-ci en octobre 2012.
Dans l’appréciation des critères à prendre en compte pour déterminer si l’expulsion d’un étranger se justifie au regard de l’article 8 de la Convention, nous estimons que la condamnation du requérant en Allemagne pour trafic de stupéfiants joue considérablement en sa défaveur. Ainsi, la Cour a souvent dit, s’agissant de trafic de stupéfiants, qu’elle concevait que les autorités nationales fassent preuve de fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à la propagation de ce fléau (voir, par exemple, Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 80, CEDH 2008). Nous attachons également de l’importance au fait que le requérant est arrivé en Suisse à l’âge adulte sous une fausse identité, qu’il a séjourné dans ce pays pendant une période relativement courte avant sa condamnation en Allemagne, et qu’il est séparé de son, maintenant ex-, épouse suisse depuis quelques années. Nous souscrivons pleinement à l’avis de la majorité selon lequel on ne peut prendre en compte le fait que le requérant vive maintenant avec une autre femme avec laquelle il a eu une fille née en août 2012.
Il est vrai que si le requérant était renvoyé vers le Nigéria, il lui serait difficile de maintenir des contacts réguliers avec ses filles, mais il ne semble pas exclu que les droits de visite puissent être exercés au Nigéria, ou en Suisse, où le requérant pourrait revenir au titre d’un permis de séjour temporaire. Quoi qu’il en soit, les difficultés de l’intéressé à cet égard ne sauraient, à notre avis, l’emporter sur les éléments susmentionnés, qui militent contre lui.
En conclusion, nous estimons que les autorités suisses n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation dont elles jouissent en la matière. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.