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02/06/2015 | CEDH | N°001-155004

CEDH | CEDH, AFFAIRE OUABOUR c. BELGIQUE, 2015, 001-155004


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE OUABOUR c. BELGIQUE

(Requête no 26417/10)

ARRÊT

STRASBOURG

2 juin 2015

DÉFINITIF

02/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ouabour c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Sp

ano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2015,

Rend l’arrêt ...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE OUABOUR c. BELGIQUE

(Requête no 26417/10)

ARRÊT

STRASBOURG

2 juin 2015

DÉFINITIF

02/09/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ouabour c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26417/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant marocain, M. Abdellah Ouabour (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes C. Marchand et Z. Chihaoui, avocats à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue qu’il encourt, s’il est extradé vers le Maroc, un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Il se plaint également de ne pas avoir eu accès à un recours effectif pour faire valoir ce grief.

4. Le 17 décembre 2013, les griefs concernant l’article 3 et l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1974 et réside à Maaseik (Belgique).

A. Procédure pénale

6. Le 19 mars 2004, le requérant ainsi que trois autres personnes furent arrêtés et placés en détention après des perquisitions au cours desquelles avaient été saisis notamment des passeports et des cartes d’identité belges pour étrangers falsifiées.

7. Par ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles du 29 août 2005, le requérant et douze autres personnes furent renvoyés en correctionnelle.

8. Le 16 février 2006, le tribunal de première instance de Bruxelles condamna le requérant à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour participation en tant que membre aux activités d’une organisation terroriste et appartenance à une association de malfaiteurs. Il prononça également des peines d’emprisonnement et d’amende contre huit de ses co-prévenus.

9. Cinq co-prévenus – dont le requérant – et le procureur fédéral interjetèrent appel.

10. Le 15 septembre 2006, statuant par défaut, la cour d’appel de Bruxelles réforma partiellement le jugement du 16 février 2006. Considérant notamment, à la différence du juge de première instance, que le requérant avait joué un rôle central à la tête du groupement terroriste, elle le condamna à une peine d’emprisonnement de sept ans. Le requérant et deux des co-prévenus formèrent opposition.

11. Le 19 janvier 2007, la cour d’appel de Bruxelles, statuant contradictoirement, ramena la peine du requérant à six ans d’emprisonnement.

12. Par un arrêt du 27 juin 2007, la Cour de cassation rejeta les pourvois introduits par le requérant et deux de ses co-accusés.

13. La procédure précitée donna lieu à un arrêt de la Cour dans une affaire concernant un des co-accusés du requérant (El Haski c. Belgique, no 649/08, 25 septembre 2012).

14. À la suite de cet arrêt, qui constatait une violation de l’article 6 de la Convention, El Haski et trois de ses co-accusés, dont le requérant, demandèrent à la Cour de cassation la réouverture de la procédure pénale. La Cour de cassation accueillit ces demandes pour trois des demandeurs, dont le requérant. Par un arrêt du 11 décembre 2013, elle ordonna la réouverture de la procédure concernant ces trois demandeurs, retira son arrêt du 27 juin 2007 et cassa l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 19 janvier 2007. La cause fut renvoyée à la cour d’appel de Mons. Aucune information n’a été fournie à la Cour sur la suite de cette procédure.

B. Procédure d’extradition

15. Entretemps, le 2 avril 2005, le procureur général près la cour d’appel de Rabat (Maroc), émit un mandat d’arrêt international à l’encontre du requérant. Le résumé des faits à l’appui du mandat était rédigé en ces termes :

[Traduction]

« Il appert de la procédure effectuée par la brigade nationale de la police judiciaire de Casablanca que [le requérant] en compagnie de [B.], après avoir été recrutés, au cours de l’année 2000, pour rejoindre les rangs du Groupe Islamique Combattant Marocain (GICM) se sont rendus en Syrie et ont été inscrits à l’institut Khalbajia à Damas pour poursuivre les études idéologiques.

Au début de l’année 2001, [le requérant] a réussi en compagnie de [Z.] (...), en détention à Guantanamo, à pénétrer dans le territoire afghan où il a eu un entraînement militaire (...) avant de le quitter à destination de la Belgique. À peine arrivé sur le territoire belge, il se livre à la recherche des passeports et des documents au profit du GICM. (...) Lors de son séjour à Istanbul en Turquie courant 2002, il a été chargé de recueillir les membres du GICM arrivant dans ce pays (...). Fin 2003, [des] membres de la cellule GICM en France sont allés en Belgique où ils ont été accueillis par H. qui les a accompagnés où habitait [le requérant]. C’est là qu’une réunion a été tenue (....) pour discuter de l’avenir du GICM (...) suite aux événements de Casablanca et des arrestations des membres et dirigeants du GICM. À l’issue de cette réunion, un rendez-vous fut fixé avec El Haski, membre actif du GICM en Belgique, pour la mise au point du projet terroriste dont l’exécution est prévue en Belgique ou au Maroc.

Tels sont les faits qui correspondent aux crimes suivants : constitution de bande criminelle, falsification de passeports, des cartes de résidence, constitution d’une bande pour préparer et commettre des actes terroristes, en relation avec une entreprise collective ayant pour but l’atteinte grave à l’ordre public, organisation d’un lieu de refuge pour l’auteur de l’acte terroriste. »

1. Phase judiciaire d’exequatur du mandat d’arrêt international

16. Le 7 juillet 2005, après que les services de la police marocaine aient consulté le dossier du requérant en Belgique et l’aient entendu en tant que témoin, le premier substitut du procureur général de la cour d’appel de Rabat demanda l’extradition du requérant pour les faits énumérés dans le mandat d’arrêt émis par la cour d’appel de Rabat.

17. Par ordonnance du 15 juillet 2005, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara exécutoire le mandat d’arrêt rendu par la cour d’appel de Rabat (exequatur).

18. Le requérant interjeta appel le 19 juillet 2005. Le 4 octobre 2005, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel recevable mais non fondé. En ce qui concerne le risque allégué par le requérant d’être victime, en cas d’extradition vers le Maroc, de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, la cour d’appel s’exprima en ces termes :

[Traduction]

« [Le requérant] ne démontre pas non plus qu’en ce qui le concerne il y a des raisons sérieuses de craindre qu’il encourt une violation de ses droits fondamentaux s’il était livré aux autorités judiciaires marocaines. »

2. Phase judiciaire et administrative de la réponse à la demande d’extradition

19. Une fois que le mandat d’arrêt marocain fut déclaré exécutoire, la procédure concernant la réponse à donner à la demande d’extradition fut ouverte.

20. Le 19 octobre 2006, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles émit un avis favorable à l’extradition du requérant vers le Maroc, avec une réservé partielle en ce qui concerne le respect du principe ne bis in idem.

21. Par un arrêté du 11 janvier 2008, le ministre de la Justice accorda l’extradition du requérant. L’arrêté soulignait que le requérant n’avait pas démontré qu’il y avait des risques graves et concrets que, s’il était extradé au Maroc, il serait victime d’un déni flagrant de justice ou d’actes de torture ou de traitements inhumains et dégradants.

22. Le 17 août 2008, le requérant introduisit un recours en suspension et en annulation de l’arrêté ministériel devant le Conseil d’État. Il invoquait un moyen tiré du risque d’être soumis au Maroc à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Il fournissait à l’appui des rapports publiés notamment par Amnesty International et Human Rights Watch faisant état de nombreux cas de détention arbitraire d’activistes islamistes et de pratiques systématiques de torture à l’endroit des personnes présumées d’avoir commis des actes terroristes lors des interrogatoires et dans les prisons marocaines. Eu égard aux termes du mandat d’arrêt délivré par les autorités marocaines, le requérant estimait entrer clairement dans une catégorie de personnes à risque de subir de tels traitements. Selon le requérant, sa situation était en tous points comparable à celle du requérant dans l’affaire Saadi c. Italie ([GC], no 37201/06, CEDH 2008).

23. Le requérant soulevait également un moyen tiré du risque de subir un flagrant déni de justice en violation de l’article 6 éventuellement combiné avec l’article 3 de la Convention. Il citait à l’appui de ses allégations des rapports d’Amnesty International signalant que des détenus avaient été condamnés à mort après des procès manifestement inéquitables.

24. Le requérant se plaignait en outre du défaut de motivation de l’arrêté ministériel.

25. La suspension fut accordée par le Conseil d’État par un arrêt du 28 mai 2009 eu égard au sérieux du moyen tiré de la violation des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 concernant la motivation formelle des actes administratifs. Le Conseil d’État s’exprima notamment en ces termes :

[Traduction]

« il ressort [des rapports soumis par le requérant] qu’en ce qui concerne les personnes soupçonnées de terrorisme, il y a un schéma de violations constantes et graves qui ne font en général pas l’objet d’enquêtes approfondies et minutieuses en cas de plaintes des victimes ; (...) vu que l’extradition du [requérant] est demandée, entre autres, en raison des activités terroristes et qu’il a également été reconnu coupable d’implication dans des activités terroristes en Belgique, cela rend prima facie plausible la thèse du [requérant] selon laquelle il court un risque d’être maltraité et torturé dans une prison marocaine ; que la décision attaquée déclare simplement qu’il n’y a pas de risque sérieux concret que [le requérant], s’il est extradé, sera soumis à (...) la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants dans l’État requérant ; que cette phrase est si brève qu’il ne peut en être déduit que le risque de torture dans les prisons marocaines en ce qui concerne les personnes suspectées de terrorisme a bien été examiné ni pour quelle raison précise le ministre considère qu’il n’y a pas d’obstacle à l’extradition du [requérant]. (...) »

26. Le 5 octobre 2009, le ministre de la Justice retira sa décision du 11 janvier 2008 et prit un deuxième arrêté accordant l’extradition qui examinait le risque allégué par le requérant d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention dans les prisons marocaines de la manière suivante :

[Traduction]

« Amnesty international et Human Rights Watch brossent un tableau général de la procédure pénale et la pratique en ce qui concerne notamment les personnes soupçonnées de terrorisme au Maroc. Malgré leur qualité et le fait qu’ils émanent d’organisations internationales reconnues, ces rapports ne fournissent pas d’éléments précis et individualisés qui conduisent à conclure qu’en pratique, une personne recherchée serait exposée à des procédures ou des pratiques contraires à l’article 3 de la Convention. (...)

L’examen de la loi marocaine antiterroriste de mai 2003 dans lesdits rapports ne suffit pas pour démontrer une pratique concrète et réelle qui serait en violation des droits de l’homme. (...)

La [Cour] a, dans son arrêt Saadi c. Italie du 28 février 2008, indiqué clairement qu’il ne suffit pas de se référer à la situation des droits de l’homme en général dans le pays vers lequel un requérant est menacé d’être expulsé ou extradé pour conclure que le requérant court le risque sérieux, individuel et spécifique d’être exposé à des violations des droits de l’homme.

(...)

Attendu encore qu’il n’existe pas en l’espèce de raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition, motivée par une infraction de droit commun, ait été présentée aux fins de poursuivre ou de punir la personne réclamée pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cette personne risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons;

Attendu, en conclusion, que l’intéressé ne produit pas d’éléments susceptibles de démontrer qu’il y aurait des raisons sérieuses de penser que, s’il était extradé, il serait exposé à un flagrant déni de justice ou à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants. »

27. Le 7 décembre 2009, le requérant introduisit devant le Conseil d’État un recours en annulation de ce deuxième arrêté assorti d’une demande de suspension. Il soulevait des moyens tirés de la violation des articles 3, 6 et 7 de la Convention. Il s’appuyait notamment sur les constats du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants publiés en 2009 ainsi que sur des rapports publiés par Human Rights Watch et Amnesty International entre 2006 et 2008 pour établir la persistance du recours systématique par les autorités marocaines à des pratiques de torture et de traitements inhumains et dégradants dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il insistait également sur le fait qu’il appartenait à une catégorie particulière d’individus – les personnes suspectées d’appartenance à un groupe terroriste – ainsi que cela résultait des faits à la base du mandat d’arrêt délivré par les autorités marocaines et sur la base duquel son extradition avait été accordée.

28. Dans son rapport du 18 mars 2010, l’auditeur au Conseil d’État jugea qu’aucun moyen présenté par le requérant ne pouvait être considéré comme sérieux. Il faisait valoir que conformément à la jurisprudence Saadi de la Cour il ne suffisait pas de faire valoir la situation générale du pays de renvoi ou une simple possibilité de mauvais traitements pour établir une infraction à l’article 3 de la Convention. Or, la majeure partie du dossier du requérant se référait à des pièces datant des années 2003 à 2006 et ne permettaient pas d’établir que les personnes arrêtées et poursuivies au Maroc depuis, pour des actes de terrorisme, continuaient à faire systématiquement l’objet de torture ou de traitements inhumains et dégradants. Dès lors, il estimait la requête en suspension non-fondée.

29. La procédure se poursuivit postérieurement à l’intervention de la Cour (voir paragraphe 37 ci-dessous).

C. Détention extraditionnelle

30. Détenu à la prison de Louvain, le requérant acheva de purger sa peine le 16 mai 2010, date à partir de laquelle il fut mis sous écrou extraditionnel en application de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions et détenu sur cette base.

31. Le 28 mai 2010, le requérant saisit la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles d’une requête de mise en liberté. Celle-ci fut déclarée irrecevable par ordonnance du 15 juin 2010 au motif que le requérant n’avait pas qualité pour agir contre une décision prise par l’exécutif.

32. Invoquant une violation des articles 5 §§ 1 f) et 4, et 13 de la Convention, le requérant fit appel de cette ordonnance. Par un arrêt du 30 juin 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles rejeta l’appel et confirma l’ordonnance entreprise.

33. Par un arrêt du 13 juillet 2010, la Cour de cassation, saisie sur pourvoi du requérant, cassa l’arrêt de la cour d’appel.

34. Le 30 juillet 2010, à la suite de l’indication d’une mesure provisoire par la Cour (voir paragraphe 37, ci-dessous), la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, ordonna la mise en liberté immédiate du requérant au motif que la durée de la détention du requérant n’était pas proportionnée à l’objectif poursuivi par celle-ci.

35. Entre-temps, le 28 mai 2010, le requérant avait également saisi le président du tribunal de première instance de Bruxelles en référé afin d’obtenir sa mise en liberté immédiate. Cette demande avait été rejetée par une ordonnance du 27 juillet 2010.

D. Intervention de la Cour

36. Le 11 mai 2010, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires en vue de surseoir à son extradition vers le Maroc.

37. Le 12 mai 2010, la Cour décida d’indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant elle, de ne pas extrader le requérant vers le Maroc jusqu’à nouvel ordre.

E. Poursuite de la procédure devant le Conseil d’État

38. La procédure en suspension et en annulation du deuxième arrêté ministériel d’extradition (voir paragraphes 26-28, ci-dessus) se poursuivit à l’audience du 13 octobre 2010. Le conseil de l’État belge y déclara que le gouvernement s’en tenait à la décision de la Cour du 12 mai 2010 et que la demande de suspension du requérant n’avait plus d’objet.

39. Le 19 novembre 2010, le Conseil d’État rendit deux arrêts. Le premier arrêt, no 209.031, accordait le désistement d’instance du requérant en raison du retrait du premier arrêté ministériel d’extradition du 18 août 2008. Le second arrêt, no 209.030, concernait l’arrêté ministériel d’extradition du 5 octobre 2009 et constatait que le requérant s’était également désisté de son recours en suspension et en annulation. Ayant ensuite égard au fait « qu’à l’audience, il [était] confirmé par les parties que la décision attaquée [avait] été retirée », le Conseil d’État mit les frais de ce second recours à la charge de l’État belge.

40. L’avocat du requérant prit contact à plusieurs reprises avec le conseil de l’État belge au sujet des suites réservées à l’arrêt no 209.030 du Conseil d’État. Par fax des 16 décembre 2010 et 12 mars 2011, le conseil de l’État belge informa les conseils du requérant qu’il n’avait jamais déclaré que l’arrêté ministériel avait été retiré et qu’il appartenait au requérant de demander au Conseil d’État la correction de l’arrêt de désistement.

41. Le 8 novembre 2011, l’avocat du requérant s’adressa en ces termes au ministre de la Justice :

« Compte tenu de la motivation de l’arrêt du Conseil d’État et de l’absence de réponse à mes précédentes missives, je considère que le second arrêté ministériel, délivré à mon client, a bien été retiré.

Il vous appartient dès lors d’adopter une nouvelle décision.

Dans cette mesure, je tenais à m’en référer expressément aux très nombreux documents transmis dans le cadre de dossiers similaires [H. et El Haski].

(...) Les dernières décisions rendues par notre plus haute juridiction administrative (...) sont unanimes. Il existe un risque réel et avéré d’être torturé en cas d’extradition ou d’éloignement vers le Maroc.

(...) Dans [l’arrêt no 216.088 du Conseil d’État, H. c. Ministre de la Justice, 27 octobre 2011] la violation de l’article 3 de la [Convention] a été constatée tant dans son volet matériel que dans son volet procédural.

Cela implique que, pour pouvoir extrader mon client vers le Maroc, il reviendra à votre ministère de renverser le constat réalisé par le Conseil d’État. (...) »

42. Le 2 mai 2012, la Cour adressa un courrier au Gouvernement belge lui demandant des informations sur la situation juridique exacte du requérant.

43. Le 25 mai 2012, le Gouvernement confirma que le deuxième arrêté ministériel d’extradition du requérant n’avait pas été retiré et que la circonstance que le Conseil d’État ait fait état du retrait de la décision attaquée était une erreur matérielle qui aurait dû être rectifiée par le requérant.

44. Par une lettre en réponse du 23 octobre 2012, le requérant fit valoir que le Conseil d’État n’avait fait qu’acter les propos tenus par le conseil de l’État à l’audience.

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS

A. La loi belge relative à l’extradition

45. La procédure d’extradition est réglée en droit belge par la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions dont les dispositions, en ce qu’elles s’appliquent en l’espèce, sont résumées dans les affaires Zarmayev c. Belgique (no 35/10, §§ 64-71, 27 février 2014) et Trabelsi c. Belgique (no 140/10, §§ 69-76, CEDH 2014 (extraits)).

46. Par deux arrêts, no 224.915 du 1er octobre 2013 et no 225.058 du 10 octobre 2013, le Conseil d’État a annulé les arrêtés ministériels d’extradition de deux autres membres du GICM qui avaient été condamnés en 2007 par la cour d’appel de Bruxelles au terme du même procès que le requérant. À propos du risque allégué, en cas d’extradition vers le Maroc, d’être soumis à des traitements incompatibles avec l’article 3 de la Convention, le Conseil d’État s’exprima comme suit dans l’arrêt no 224.915 :

« V. 2. En l’espèce, dans sa requête, appuyée par les nombreuses pièces y annexées, le requérant ne s’est pas limité à décrire la situation générale au Maroc pour soutenir qu’il existe bel et bien un risque de traitement inhumain et dégradant ou à dénoncer in abstracto une violation de l’article 3 de la [Convention]. Son argumentation s’articule autour de différents éléments destinées à démontrer, d’une part, que son pays d’origine recourt à des pratiques consistant en des actes de torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et, d’autre part, que lui-même appartient à la catégorie des personnes visées par ce type de mesures.

Il ressort de l’examen des pièces communiquées au Ministre de la Justice par l’avocat du requérant et des autres sources documentaires figurant au dossier que rien ne permet de relativiser, comme le fait la partie adverse, l’argumentation du requérant concernant la problématique de traitements inhumains et dégradants au Maroc : des pratiques, sinon systématiques, du moins avérées mettent en évidence un risque sérieux d’exposition à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Parmi les pièces produites, toutes publiées ou connues de la partie adverse au moment de l’arrêté attaqué et qui apparaissent différentes des pièces relatives à la période 2003 à 2006 produites lors d’une procédure antérieure d’extradition, il y a lieu de retenir surtout les deux rapports de Human Rights Watch (de janvier 2008 et de janvier 2010) ainsi que les deux rapports d’Amnesty International (de 2009 et de juin 2010) traitant de la situation des droits de l’homme au Maroc : l’ensemble de ces documents, qui témoignent d’actes de torture, s’accordent pour dénoncer les mauvais traitements réservés aux ressortissants marocains soupçonnées de participation à des entreprises terroristes.

Dans le même sens, le rapport du Comité des Nations-Unies contre la torture, daté du 21 décembre 2011 (...), souligne à propos du Maroc que « ce Comité est préoccupé par les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements commis par les officiers de police, les agents pénitentiaires et plus particulièrement les agents de la Direction générale de surveillance du territoire (DST) [...] lorsque les personnes sont privées de l’exercice des garanties juridiques fondamentales comme l’accès à un avocat, en particulier celles suspectées d’appartenir à des réseaux terroristes [...] ou durant les interrogatoires dans le but de soutirer des aveux aux personnes suspectées de terrorisme ».

La même conclusion peut être tirée du document de réponse du Commissaire général belge aux réfugiés, établi le 11 mai 2011 concernant « l’évaluation de la question du retour dans son pays d’origine d’un marocain, membre éminent du groupe Islamiste Combattant Marocain condamné en février 2006 par le tribunal correctionnel de Bruxelles ». Ce rapport CEDOCA conclut que « le retour dans son pays d’origine d’un Marocain susceptible d’être étiqueté comme lié au terrorisme n’est pas sans risque », que « la loi de lutte contre le terrorisme telle qu’elle est rédigée est susceptible d’entraîner de nombreux abus ». Dans les cas politiquement colorés, dont le terrorisme islamiste fait partie, le droit à un procès équitable est « systématiquement bafoué » selon Human Rights Watch » et qu’ « on ne peut, à ce stade, malgré quelques développements positifs, exclure tout risque de torture, dans le cadre des disparitions forcées notamment, lesquelles sont en hausse ces derniers temps ».

Si l’arrêté attaqué analyse les différentes pièces communiquées par l’avocat du requérant pour en déduire que ces documents « ne permettent pas de conclure à l’existence de mauvais traitements systématiques à l’égard de personnes suspectées de terrorisme », il ne ressort cependant pas de la motivation de l’arrêté qu’une recherche ou une confrontation avec d’autres sources documentaires auraient été effectuées par la partie adverse concernant la problématique concernée. Il y a également lieu d’observer qu’il ne ressort pas du dossier soumis au Conseil d’État que les autorités belges auraient accompli une quelconque démarche diplomatique auprès des autorités marocaines en vue d’obtenir de celles-ci des garanties ou des assurances que le requérant ne serait pas exposé après son extradition à des traitements inhumains et dégradants ou à une violation de ses droits fondamentaux.

Le requérant est par ailleurs l’auteur d’infractions terroristes, ce qui suffit à démontrer le caractère personnel du risque qu’il allègue. L’arrêté ministériel attaqué relève en effet « qu’il n’est pas contestable que l’intéressé est une personne suspectée de terrorisme au Maroc », tandis que le mandat d’arrêt international émis par le procureur près la Cour d’appel de Rabat indique que le requérant est recherché pour « la participation à une organisation criminelle, en l’occurrence terroriste ».

V.3. Il y a lieu de conclure que l’ensemble des documents produits par le requérant permettent bien d’établir qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant, soupçonné de terrorisme, courra, en cas d’extradition vers son pays d’origine, un risque réel d’être soumis à un traitement incompatible avec l’article 3 de la [Convention]. C’est dès lors à tort que la partie adverse a considéré dans l’arrêté attaqué qu’« il n’existe pas en l’espèce de motifs permettant d’estimer qu’il y aurait des raisons sérieuses de penser que, si l’intéressé était extradé, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires (...) à l’article 3 de la Convention » et que « l’on ne saurait déduire l’existence, à l’heure actuelle, d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements, en dépit d’une situation générale défavorable ».

Dans cette mesure le premier moyen de la requête, en sa première branche (intitulée « sur le volet matériel »), doit être jugé fondé et suffit à entraîner l’annulation de l’arrêté attaqué. »

Le Conseil d’État s’exprima dans des termes similaires dans son arrêt no 225.058 précité.

B. La convention belgo-marocaine d’extradition

47. Il existe entre la Belgique et le Maroc une convention d’extradition, signée le 7 juillet 1997 et entrée en vigueur le 29 avril 2005, instaurant un engagement de principe à se livrer réciproquement les individus se trouvant sur leur territoire et qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté.

C. La loi marocaine relative à la lutte contre le terrorisme

48. Les dispositions pertinentes de la loi marocaine no 03/03 du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme sont exposées dans l’arrêt Rafaa c. France (no 25393/10, § 28, 30 mai 2013).

III. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX

A. Documents des Nations Unies

49. Les observations finales du Comité des Nations Unies contre la torture sur le quatrième rapport périodique du Maroc (CAT/C/MAR/CO/4 ; 21 décembre 2011) sont énoncées dans l’arrêt El Haski, précité (§ 51) et dans l’arrêt Rafaa, précité (§ 29). Le Gouvernement du Maroc fit part de renseignements en réponse à ces observations (CAT/C/MAR/CO/4/Add.1, 9 septembre 2013), notamment la circonstance que des poursuites judiciaires avaient été engagées à l’encontre de membres des forces de l’ordre accusés d’actes de torture et que, dans certaines de ces affaires, des condamnations avaient été prononcées.

50. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants publia le 11 mars 2013 un rapport à la suite de sa visite effectuée au Maroc en 2012 (A/HCR/22/53/Add.2). Le groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies fit de même le 4 août 2014 à la suite de sa visite au Maroc en 2013 (A/HRC/27/48/Add.5). Le premier rapport fait état du constat suivant :

« Dans les situations de forte tension, comme par exemple en cas de menace perçue à la sécurité nationale, de terrorisme ou de manifestation de masse, il y a un recours accru aux actes de torture et aux mauvais traitements lors de l’arrestation et pendant la détention. Même si les mauvais traitements subis par des détenus semblent être infligés essentiellement pendant la période initiale de la détention, des cas ont également été relevés dans des phases ultérieures. »

51. Le second rapport confirma les pratiques de torture et de mauvais traitements à l’égard des personnes suspectées de terrorisme :

« 23. Le Groupe de travail a entendu plusieurs témoignages relatifs au recours à torture et aux mauvais traitements dans les cas présumés de terrorisme ou de menaces contre la sécurité nationale. Dans ces cas, le Groupe de travail est d’accord avec le Rapporteur spécial sur la torture, une pratique systématique des actes de torture et des mauvais traitements lors de l’arrestation et pendant la détention peut être relevée. »

52. Le Rapporteur spécial précisa en outre :

« 17. Le Rapporteur spécial a examiné de nombreux cas qui se sont produits après les attentats commis le 16 mai 2003 à Casablanca, à la suite desquels des milliers de suspects ont été arrêtés, souvent par des fonctionnaires de la Direction générale de la surveillance du territoire (DST) et détenus « incommunicado » ou dans des lieux de détention inconnus. Il a également entendu des témoignages de personnes soupçonnées de terrorisme récemment arrêtées. Il semble qu’actuellement la torture soit utilisée sur une large échelle pour obtenir des aveux dans les affaires touchant la sureté nationale. Les tortures infligées consistent à frapper les personnes concernées avec un bâton et un tuyau, à les suspendre pendant de longues périodes, à les frapper sur la plante des pieds (falaqa), à les frapper de la paume de la main sur le visage et, en particulier, sur les oreilles, à leur donner des coups de pied, à les exposer à des températures extrêmes, à les agresser sexuellement ou à les menacer d’agressions sexuelles.

(...)

19. Le Rapporteur spécial a constaté que les détenus reconnus coupables d’infractions liées au terrorisme continuaient d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements pendant l’exécution de leur peine. La plupart de ces personnes sont détenues dans les prisons de Salé 1 et 2 et celle de Toulal à Meknès. Le Rapporteur spécial a reçu de nombreuses informations faisant état d’agressions sexuelles et de menaces de représailles en cas de plainte, en particulier après le soulèvement dans la prison de Salé 2, le 16 mai 2011. Dans ce contexte, il est également fait état d’un recours excessif, en guise de mesure disciplinaire, à l’isolement cellulaire pendant des périodes allant de plusieurs jours à plusieurs semaines. »

53. Dans le cadre d’une communication portée devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies par un ressortissant belgo-marocain extradé par les autorités espagnoles au Maroc où il était poursuivi pour des actes terroristes, le Comité adopta le 21 juillet 2014 les constatations suivantes (Aarrass c. Espagne, communication no 2008/2010) :

« 10.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel l’État partie n’a pas évalué comme il convient le risque auquel l’auteur serait exposé en cas d’extradition vers le Maroc et selon lequel il était raisonnable de prévoir que son extradition le placerait dans une situation particulièrement vulnérable et l’exposerait au risque d’être torturé, ce qui s’est effectivement passé après l’extradition au Maroc, où il a été détenu dans des conditions pénibles, à l’isolement, et soumis à des mauvais traitements et des tortures graves. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’Audiencia Nacional a examiné cette allégation de l’auteur et a pris note des informations dont elle était saisie; toutefois, l’Audiencia a conclu qu’il n’existait aucune preuve, même circonstancielle, que l’auteur fût exposé à un risque concret et réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au Maroc.

(...)

10.4En l’espèce, le Comité observe que l’extradition de l’auteur a été demandée dans le cadre de l’affaire [B.] pour des délits liés à des actes de terrorisme, en application du Code pénal et de la loi marocaine 03/03 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans le procès d’extradition, l’Audiencia Nacional a pris note de l’information faisant état de l’emploi de la torture pour obtenir des aveux ainsi que des mauvais traitements infligés par les agents pénitentiaires et les forces de sécurité au Maroc, mais a rejeté les allégations de l’auteur touchant le risque de torture, se contentant de signaler que ces violations ne pouvaient être considérées comme systématiques et généralisées. Toutefois, le Comité observe que, selon des rapports dignes de foi présentés par l’auteur à l’Audiencia Nacional ainsi que des informations relevant du domaine public, au Maroc, de nombreuses personnes accusées de crimes liés à des actes de terrorisme, en particulier dans le cadre de l’affaire [B.], avaient été arrêtées, détenues au secret et soumises à de mauvais traitements graves ainsi qu’à la torture. Dans ce contexte et compte tenu des circonstances personnelles de l’auteur en qualité d’accusé de délits liés à des actes de terrorisme, le Comité considère que l’État partie n’a pas évalué comme il convient le risque de torture et de mauvais traitements graves auquel l’auteur était exposé. En conséquence, le Comité estime que l’extradition de l’auteur vers le Maroc constituait une violation de l’article 7 du Pacte. »

B. Rapports des organisations internationales non gouvernementales (« OING »)

54. Les extraits pertinents des rapports publiés entre 2004 et 2011 par Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (« FIDH ») et Amnesty International dénonçant les pratiques de violence et d’actes de torture, notamment dans les prisons, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme menée par les autorités marocaines depuis les attentats de Casablanca du 16 mai 2003 figurent dans l’arrêt El Haski précité (§§ 53-55).

55. Il ressort des rapports annuels de 2012 à 2015 d’Amnesty International et de Human Rights Watch que la situation au Maroc telle que dénoncée par ces OING ne s’est guère améliorée.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

56. Le requérant allègue qu’un renvoi vers son pays d’origine, le Maroc, l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

57. La Cour note que le Gouvernement ne suggère pas que le requérant ne pourrait se prévaloir de la qualité de victime de la violation alléguée d’article 3 de la Convention en raison du retrait de la décision litigieuse à la suite de l’arrêt no 209.030 du 19 novembre 2010 du Conseil d’État (voir paragraphe 39, ci-dessus). Au contraire, il soutient que le deuxième arrêté ministériel d’extradition fait toujours partie de l’ordre juridique et est exécutoire.

58. Par ailleurs, la Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

59. Le requérant se réfère à la jurisprudence Saadi (précité, § 103) et soutient qu’il convient, pour déterminer l’existence de motifs sérieux et avérés de croire à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 d’examiner les conséquences prévisibles du renvoi dans le pays de destination au vu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au requérant. Sur le premier point, il expose qu’il faut avoir égard à la situation actuelle dans le pays et ce même si l’extradition a été retardée par suite de l’indication d’une mesure provisoire. Le requérant soutient que les pratiques systématiques contraires à l’article 3 de la Convention sont en matière de lutte contre le terrorisme manifestes et indiscutables au Maroc, comme en attestent les rapports des organisations internationales et OING auxquels la Cour s’est référée dans l’affaire El Haski précitée, et que cette situation est toujours celle qui prévaut au Maroc à ce jour ainsi que cela ressort des constats du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradant (voir paragraphes 50-52 ci-dessus).

60. Sur le deuxième point, le requérant insiste sur le fait qu’il appartient à une catégorie particulière d’individus: les personnes suspectées d’appartenance à un groupe terroriste. Il a été condamné en Belgique du chef de participation, en tant que membre dirigeant, à un groupe terroriste dans le cadre d’un dossier où une coopération pénale internationale a eu lieu entre la Belgique et le Maroc, et que son extradition est demandée du chef d’infractions à la loi anti-terroriste marocaine de 2003.

61. Le Gouvernement souligne qu’il résulte également de l’arrêt Saadi précité qu’il ne suffit pas de faire valoir la situation générale du pays de renvoi ou une simple possibilité de mauvais traitements pour établir en soi une infraction à l’article 3 de la Convention. Or la majeure partie du dossier du requérant se réfère à des pièces datant des années 2003 à 2006 et ne permettent pas d’établir que les personnes arrêtées et poursuivies au Maroc depuis, pour des actes de terrorisme, continuent à faire systématiquement l’objet de torture ou de traitements inhumains et dégradants. C’est d’ailleurs le sens de l’avis de l’auditeur au Conseil d’État du 18 mars 2010 qui considéra que le moyen tiré par le requérant de l’article 3 de la Convention devait être jugé non sérieux.

2. Appréciation de la Cour

a) Rappel des principes généraux

62. Il est de jurisprudence constante que la protection contre les traitements prohibés par l’article 3 est absolue et qu’il en résulte que l’éloignement d’une personne du territoire par un État contractant peut soulever un problème au regard de cette disposition, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé, si on l’éloigne vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161).

63. Par ailleurs, la Cour rappelle qu’elle est pleinement consciente des difficultés que les États rencontrent pour protéger leur population contre la violence terroriste, laquelle constitue en elle-même une grave menace pour les droits de l’homme. Elle se garde donc de sous-estimer l’ampleur du danger que représente le terrorisme et la menace qu’il fait peser sur la collectivité (Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 183, CEDH 2012 (extraits), et références citées). Elle considère qu’il est légitime, devant une telle menace, que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme (idem). Enfin, la Cour ne perd pas de vue les fondements de l’extradition qui sont d’empêcher les délinquants en fuite de se soustraire à la justice ni l’objectif bénéfique qu’elle poursuit pour tous les États dans un contexte de la criminalité internationale (consulter sur ce point, Soering, précité, § 89).

64. Aucun de ces éléments ne saurait toutefois remettre en cause le caractère absolu de l’article 3. Comme la Cour l’a affirmé à plusieurs reprises, cette règle ne souffre aucune exception. Il y a donc lieu de réaffirmer le principe maintes fois exprimé depuis l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15 novembre 1996, §§ 80-81, Recueil des arrêts et décisions 1996-V) selon lequel il n’est pas possible de prendre en compte les agissements de la personne considérée, aussi indésirables ou dangereux soient-ils, ni de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l’éloignement afin de déterminer si la responsabilité de l’État est engagée sur le terrain de l’article 3 (Saadi, précité, § 138 ; voir également Daoudi c. France, no 19576/08, § 64, 3 décembre 2009, et M.S. c. Belgique, no 50012/08, §§ 126-127, 31 janvier 2012).

65. La Cour rappelle en outre les enseignements de l’arrêt Saadi précité (§§ 129-132) dans lequel elle a expliqué la manière dont il convenait d’évaluer s’il y avait des motifs sérieux de croire qu’un requérant, si on l’éloigne vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Pour ce faire, l’examen doit porter sur les conséquences prévisibles du renvoi du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de l’intéressé. C’est au requérant qu’il appartient en principe de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé à un risque de traitement contraire à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments. Il ne suffit pas de faire valoir la situation générale du pays de renvoi ou une simple possibilité de mauvais traitements en raison de la conjoncture dudit pays pour établir en soi une violation de l’article 3 ; dans le cas où un requérant fait état d’allégations spécifiques telles que, comme en l’espèce, l’appartenance à un groupe systématiquement exposé à des pratiques de mauvais traitements, ces allégations doivent être corroborées par des éléments de preuve.

66. Pour ce qui est du moment à prendre en considération, il faut se référer en priorité aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’éloignement. Toutefois, si le requérant n’a pas été extradé ou expulsé au moment où la Cour examine l’affaire, la date à prendre en compte est celle de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal, précité, §§ 85-86, Saadi, précité, § 133). Pareille situation se produit généralement lorsque, comme dans la présente affaire, l’expulsion ou l’extradition est retardée par suite de l’indication d’une mesure provisoire par la Cour conformément à l’article 39 du règlement. Partant, s’il est vrai que les faits historiques présentent un intérêt dans la mesure où ils permettent d’éclairer la situation actuelle et son évolution probable, ce sont les circonstances présentes qui sont déterminantes (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 69, CEDH 2005‑I, Saadi, précité, § 133, et Khaydarov c. Russie, no 21055/09, § 100, 20 mai 2010).

b) Application des principes généraux en l’espèce

67. Conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, la Cour doit examiner si les conséquences prévisibles du renvoi du requérant vers le Maroc sont telles qu’il l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

68. Étant donné que l’intéressé n’a pas encore été extradé, conformément à l’indication par la Cour d’une mesure provisoire en application de l’article 39 de son règlement, le moment à prendre en considération pour évaluer l’existence de ce risque est celui de l’examen de l’affaire par la Cour.

69. Pour ce faire, la Cour s’appuiera sur l’ensemble des éléments qu’on lui fournit ou, au besoin, qu’elle se procure d’office. Pour ce qui est des éléments qu’elle se procure d’office, la Cour estime que, compte tenu de la nature absolue de la protection garantie par l’article 3, elle doit se convaincre que l’appréciation effectuée par les autorités nationales est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles provenant d’autres sources fiables et objectives, comme par exemple d’autres États contractants ou non contractants, des agences des Nations unies et des organisations non gouvernementales réputées pour leur sérieux (Salah Sheekh c. Pays-Bas, no 1948/04, § 136, 11 janvier 2007).

70. Dans sa requête et ses observations, le requérant a expliqué que ses craintes d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 au Maroc étaient justifiés par deux facteurs. Premièrement, se référant à de nombreux rapports publiés par des organisations internationales et des OING, il soutient que la situation générale au Maroc est caractérisée par des pratiques systématiques de torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Deuxièmement, il soutient qu’il appartient lui-même à la catégorie des personnes visées par ce type de mesures.

71. La Cour doit donc d’abord examiner la problématique des traitements inhumains et dégradants au Maroc dans le contexte de la politique de lutte contre le terrorisme.

72. Elle rappelle les termes dans lesquels elle a analysé cette problématique en 2012 dans l’affaire El Haski précitée (§§ 96-98) :

« 97. (...) [La] Cour relève que le requérant faisait valoir devant les juridictions internes que les déclarations litigieuses émanaient de personnes suspectées d’être impliquées dans les attentats de Casablanca du 16 mai 2003, interrogées au Maroc dans le cadre des enquêtes et procédures qui avaient suivi. Il exposait que ce pays était sévèrement critiqué par des organisations gouvernementales et non gouvernementales pour des actes de torture et des mauvais traitements infligés de manière systématique aux personnes poursuivies après ces événements, renvoyant en particulier au rapport (...) de Human Rights Watch [du 28 novembre 2005, portant sur les conséquences des attentats précités]. Il précisait que les auteurs des déclarations en question s’étaient plaints d’avoir subi des actes de torture et des traitements inhumains et dégradants. Il ajoutait que les autorités marocaines n’avaient pas conduit d’enquête suite à ces allégations. Il arguait aussi du fait que la procédure marocaine avait été menée de manière expéditive.

La cour d’appel de Bruxelles a toutefois considéré qu’en se bornant à « citer de manière générale » des rapports d’organisations de défense des droits de l’homme, le requérant n’avait apporté aucun élément concret propre à susciter en la présente cause un « doute raisonnable » s’agissant de violences, tortures ou traitements inhumains ou dégradants dont les personnes auditionnées au Maroc auraient été victimes (...).

98. La Cour considère pour sa part que, dès lors que ces déclarations émanaient de suspects interrogés au Maroc dans le cadre des enquêtes et procédures consécutives aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003, les rapports susmentionnés établissaient l’existence d’un « risque réel » qu’elles aient été obtenues au moyen de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Il en ressort en effet que des mauvais traitements aux fins d’aveux ont été largement pratiqués à l’encontre de ces suspects.

Ainsi, en 2004, le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est dit préoccupé par les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements à l’égard de personnes en détention au Maroc, tout comme le Comité contre la torture des Nations unies, qui a spécifiquement relevé l’augmentation de celles mettant en cause la direction de la surveillance du territoire.

(...)

En outre, il ressort du rapport de Human Rights Watch que la plupart des présumés islamistes détenus dans les semaines qui ont suivi les attentats de Casablanca « ont été maintenus au secret pendant des jours, voire des semaines, et ont été soumis, par les policiers, à différentes formes de mauvais traitements voire, dans certains cas, à des actes de torture afin de leur soutirer des aveux » (...). La FIDH fait état de nombreux cas de privations de liberté arbitraires dans des centres secrets, où les interrogatoires étaient « menés en violation de l’ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention et d’emprisonnement adoptés par les Nations Unies en 1975 et de la convention contre la torture et traitements cruels, inhumains et dégradants ». (...) Amnesty International fait une description similaire des traitements infligés aux personnes détenues à Témara (...).

99. Selon la Cour, ces informations, issues de sources diverses, objectives et concordantes, établissent qu’il existait à l’époque des faits un « risque réel » que les déclarations litigieuses aient été obtenues au Maroc au moyen de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. (...) »

73. Ensuite, en 2013, dans l’affaire Rafaa précitée (§§ 29 et 41), la Cour considéra, à la lumière des observations finales du Comité des Nations Unies contre la torture sur le quatrième rapport périodique du Maroc publié en 2011, que la situation des droits de l’homme au Maroc avait peu évolué depuis l’arrêt Boutagni c. France (no 42360/08, § 46, 18 novembre 2010) et que les mauvais traitements réservés aux personnes soupçonnées de participation à des entreprises terroristes persistaient.

74. La Cour constate par ailleurs que plus récemment encore, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants ainsi que le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies ont chacun publié, à la suite de visites effectuées au Maroc respectivement en 2012 et 2013, un rapport soulignant que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les autorités marocaines continuaient à recourir aux actes de torture et aux mauvais traitements lors de l’arrestation et pendant la détention (voir paragraphes 50-52, ci-dessus). Les derniers rapports en date publiés par Human Rights Watch et Amnesty International (voir paragraphe 54 ci-dessus) confirment que la situation ne s’est pas améliorée.

75. Selon la Cour, ces informations, issues de sources objectives, diverses et concordantes, établissent que la situation au Maroc en matière de respect des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme n’a pas évolué favorablement et que l’usage de pratiques contraires à l’article 3 de la Convention à l’encontre des personnes poursuivies et arrêtées dans ce cadre est un problème durable au Maroc.

76. La Cour relève en outre que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, le requérant ne se limite pas à dénoncer in abstracto le risque d’être exposé à une violation de l’article 3 de la Convention en raison de la pratique des autorités marocaines dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il établit en effet que lui-même appartient à la catégorie de personnes visées par ce type de mesures. Le mandat d’arrêt international émis par le procureur près la cour d’appel de Rabat indique que le requérant est recherché pour « constitution d’une bande pour préparer et commettre des actes terroristes » (voir paragraphe 15, ci-dessus).

77. La Cour estime en outre utile d’observer qu’il ne ressort pas des observations qui lui ont été soumises que les autorités belges auraient accompli une quelconque démarche diplomatique auprès des autorités marocaines en vue d’obtenir de celles-ci des garanties ou des assurances que le requérant ne serait pas exposé, après son extradition, à des traitements inhumains et dégradants.

78. Dans ces circonstances, la Cour est loin d’être convaincue par l’analyse proposée par le Gouvernement belge selon laquelle les craintes du requérant sous l’angle de l’article 3 de la Convention ne sont pas fondées.

79. Eu égard à ce qui précède, elle estime au contraire que la mise en œuvre de l’arrêté ministériel d’extradition délivré à l’endroit du requérant entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

80. Le requérant se plaint de ne pas avoir eu droit à un recours effectif pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention et invoque l’article 13 de la Convention, qui se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Thèses des parties

81. Le requérant met en cause l’effectivité du recours devant le Conseil d’État à deux égards. Premièrement il se plaint de la situation qui a abouti, dans son cas, à ce que le Conseil d’État ait suspendu le premier arrêté d’extradition sans toutefois examiner le bien-fondé du grief tiré de l’article 3 de la Convention et tout en laissant la « porte ouverte » à l’État de prendre un deuxième arrêté formulé dans des termes quasiment identiques. Deuxièmement, il se plaint que, malgré l’arrêt du Conseil d’État no 209.030 du 19 novembre 2010 constatant le retrait du second arrêté ministériel, l’État belge considère que ledit arrêté est toujours valable. D’une part, le requérant soutient que l’arrêt ne contient pas d’erreur matérielle et que le Conseil d’État n’a fait qu’acter les propos tenus par le conseil de l’État à l’audience pour en tirer les conséquences juridiques admises par toutes les parties présentes. D’autre part, il est d’avis que l’arrêt du Conseil d’État a créé un droit dans son chef à voir retirer, avec effet rétroactif, le second arrêté ministériel de l’ordre juridique belge. Or il est impossible en droit belge de demander à une juridiction d’étendre, restreindre ou modifier des droits consacrés par une décision qu’elle a rendue. Selon le requérant, la procédure devant le Conseil d’État est clôturée et à défaut pour le Gouvernement belge de retirer l’arrêté, il ne dispose d’aucun recours pour faire valoir le bien-fondé de ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention à l’encontre du deuxième arrêté d’extradition.

82. Le Gouvernement soutient que le requérant bénéficiait d’un recours effectif devant le Conseil d’État qu’il a d’ailleurs utilisé. Toutefois, aucune des parties n’ayant déclaré à l’audience devant le Conseil d’État que le deuxième arrêté ministériel avait été retiré, la constatation par le Conseil d’État dans son arrêt no 209.030 du 19 novembre 2010 que l’acte attaqué avait été retiré était une erreur matérielle dont le requérant pouvait demander la correction. Cette erreur lésait en effet les droits du requérant qui se retrouvait empêché de continuer la procédure en annulation devant le Conseil d’État. Le Gouvernement explique que la législation belge ne connaît pas de recours formel en rectification ou correction d’un tel arrêt mais que la jurisprudence du Conseil d’État est telle que celui-ci, de sa propre initiative ou à la demande d’une des parties ou de toute partie ayant intérêt, peut prononcer un nouvel arrêt corrigeant l’arrêt contenant une erreur du Conseil d’État.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

83 La Cour note que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Par ailleurs, il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

84. Eu égard à son constat de violation de l’article 3 de la Convention, la Cour ne peut que conclure au caractère « défendable » des griefs soulevés par le requérant aux fins de l’article 13.

85. La Cour constate que le droit belge ouvrait au requérant un recours lui permettant de demander au Conseil d’État la suspension et l’annulation de la décision litigieuse, à savoir l’arrêté ministériel d’extradition du 5 octobre 2009, et de se prévaloir de ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention. Ainsi que l’illustrent plusieurs arrêts rendus par cette juridiction dans des affaires similaires (voir paragraphe 46 ci-dessus), ce recours lui offrait la possibilité d’obtenir l’examen du contenu de ces griefs et l’octroi du redressement approprié conformément aux exigences d’effectivité requises par l’article 13 de la Convention (Kudła c. Pologne [GC], no, § 157, CEDH 2000‑XI, et Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 131, CEDH 2014).

86. La circonstance qu’en l’espèce, le Conseil d’État n’ait pas annulé l’arrêté d’extradition (comme dans le cas des deux autres membres du GICM, voir paragraphe 46, ci-dessus), mais qu’il ait, par un arrêt du 19 novembre 2010, décrété le désistement du recours, n’a pas pour autant, de l’avis de la Cour, privé le requérant d’un recours effectif. En effet, il résulte des motifs de l’arrêt que le désistement par le requérant a été la suite du retrait de l’arrêté attaqué par le ministre de la Justice, fait confirmé par les deux parties selon l’arrêt. Or, le constat du retrait de l’arrêté attaqué est en tant que tel un constat favorable au requérant.

87. Certes, la Cour note que les parties sont en désaccord sur le point de savoir si l’arrêt du Conseil d’État ne contient pas une erreur matérielle sur ce point et sur les conséquences juridiques à en tirer éventuellement. Alors que le requérant soutient que le Conseil d’État a acté les propos tenus par le conseil de l’État à l’audience du 13 octobre 2010 et que l’arrêt du Conseil d’État a créé un droit dans son chef à voir retirer, avec effet rétroactif, le second arrêté ministériel de l’ordre juridique belge, le Gouvernement affirme qu’aucune des parties à l’audience n’a fait état du retrait de ladite décision et qu’il s’agit d’une erreur matérielle dont la correction doit être demandée par le requérant. Entre-temps, la décision demeure exécutoire. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de prendre position dans cette discussion.

88. Néanmoins, la Cour n’aperçoit pas les raisons pour lesquelles le Gouvernement fait valoir d’une part, qu’il entend exécuter une décision administrative dont le retrait a formellement été constaté par le Conseil d’État au motif que la juridiction aurait commis une erreur matérielle et d’autre part, qu’il incombe au requérant et non pas au Gouvernement de demander la rectification de ladite erreur.

89. Cela étant dit, la Cour estime qu’à l’heure actuelle, dans les circonstances de la cause, ce débat est sans incidence sur l’effectivité du recours et n’énerve pas le constat qu’elle a fait ci-dessus (voir paragraphes 85-86).

90. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

91. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

92. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (voir paragraphes 36-37, ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

93. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

94. Le requérant réclame 108 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il a subi du fait de son maintien en détention extraditionnelle en mai 2005 et de la menace de renvoi vers le Maroc.

95. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

96. La Cour estime qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention en cas d’éloignement vers le Maroc constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant.

B. Frais et dépens

97. Le requérant demande également 12 790 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Une note de frais et honoraires est versée au dossier et fait état d’un tarif horaire de 125 EUR et de 95 heures de travail.

98. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

99. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 6 500 EUR au titre des frais et dépens pour sa défense devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

100. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevables les griefs tirés des articles 3 et 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

2. Dit que, dans l’éventualité de la mise à exécution de l’éloignement du requérant vers le Maroc, il y aurait violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Décide que la mesure provisoire indiquée par la Cour en application de l’article 39 de son règlement reste en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

5. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithAndrás Sajó
GreffierPrésident


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