DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE HALİME KILIÇ c. TURQUIE
(Requête no 63034/11)
ARRÊT
STRASBOURG
28 juin 2016
Cet arrêt a été révisé conformément à l’article 80 du règlement de la Cour par un arrêt du 25 juin 2019
DÉFINITIF
28/09/2016
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Halime Kılıç c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco
Ksenija Turković,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juin 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63034/11) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Halime Kılıç (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 août 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par Mes M. Nergiz et S. Nergiz, avocats à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. La requérante allègue une atteinte discriminatoire au droit à la vie de sa fille (articles 2 et 14 de la Convention). Elle se plaint également des violences domestiques et des mauvais traitements dont sa fille fut victime (article 3 de la Convention), du défaut d’équité de la procédure devant les instances nationales (article 6 de la Convention) et de ne pas avoir bénéficié d’une voie de recours effective (article 13 de la Convention).
4. Le 24 septembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1940 et réside à Diyarbakır.
6. Le 7 novembre 2008, sa fille, Fatma Babatlı, fut tuée par son mari, S.B., qui se donna également la mort. Fatma Babatlı était mère de sept enfants, tous mineurs au moment des faits.
A. Les évènements ayant précédé le décès de Fatma Babatlı
1. La première plainte pénale de Fatma Babatlı
7. Le 16 juillet 2008, la fille de la requérante saisit le procureur de la République de Diyarbakır (« le procureur de la République ») d’une plainte contre son mari. Elle déclara être mariée depuis dix-sept ans et subir depuis lors de graves violences de la part de son mari. Elle indiqua que ses enfants étaient également victimes de violences. Elle dit ne plus supporter celles-ci et s’être installée chez son père de ce fait. Elle dit également craindre son mari et vouloir bénéficier de la loi no 4320 relative à la protection de la famille (« loi no 4320 »).
8. Le jour même, Fatma Babatlı fut entendue par le procureur de la République qui établit un procès-verbal d’audition. À cette occasion, elle réitéra sa plainte, précisa avoir sept enfants, être mariée depuis dix-sept ans et être victime de violences récurrentes de la part de son mari. Fatma Babatlı déclara en outre que trois jours auparavant elle et ses enfants avaient à nouveau été battus. Elle demanda l’établissement d’un rapport médico-légal. Elle dit craindre pour sa vie et celle de ses enfants et demanda à ce que son mari soit éloigné de leur domicile.
9. Le 17 juillet 2008, l’institut médico-légal de Diyarbakır établit un rapport d’après lequel, lors de son auscultation, Fatma Babatlı avait déclaré subir les violences de son mari depuis le jour de son mariage, qu’elle n’en avait parlé à personne et qu’elle n’avait pas consulté de médecin de ce fait. Aux termes de ce rapport :
« (...)
De nombreuses et anciennes ecchymoses de 2-10 cm, de couleur mauve-vert, ont été observées sur la zone du zygoma gauche et de la mandibule gauche, sur le côté gauche de la zone lombaire et sur la partie extérieure du bras gauche (...).
Conclusion :
Les blessures constatées sur la personne :
1. Sont de nature légère de sorte que leur impact sur la personne peut être résorbé par une intervention médicale simple ;
2. Ne sont pas de nature à mettre la vie de la personne en danger ;
3. Aucun os brisé sur le corps de la personne (...). »
10. Le 18 juillet 2008, saisi d’une demande d’application de mesures de protection en vertu de la loi no 4320 par le procureur de la République, le tribunal de la famille de Diyarbakır (« le tribunal de la famille ») fit droit à cette demande. Pour ce faire, il constata que des témoignages établissaient que S.B., époux de Fatma Babatlı, avait fait preuve de violences à son endroit. Il ordonna en conséquence à S.B. de respecter les mesures suivantes, pendant six mois :
. l’interdiction de tout comportement de nature violente ou effrayante à l’endroit de F.B.,
. l’éloignement du domicile conjugal et l’attribution de celui-ci à son épouse et aux autres membres de sa famille,
. l’interdiction de s’approcher du domicile ou du lieu de travail où se trouvaient ces personnes,
. l’interdiction de déranger son épouse par le biais de communications,
. l’interdiction de s’approcher du domicile où elle vivait ou de son lieu de travail sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants et l’interdiction de faire usage de ces substances en ces lieux.
La décision du tribunal mentionnait que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté.
11. Le 24 juillet 2008, la déposition de Fatma Babatlı fut recueillie au commissariat de police de Çarşı (« le commissariat »). À cette occasion, elle réitéra avoir été victime de violences de la part de son mari. Elle dit notamment ceci :
« (...) parce que j’ai peur de mon mari, j’ai quitté la maison avec les enfants et je vis actuellement chez ma mère (...). Je demande à ce que mon mari soit éloigné du domicile. Je ne peux pas retourner chez moi (...) parce que j’ai peur que mon mari revienne. De plus, la santé mentale de mon mari est perturbée (...). Parce que j’ai sept enfants, on m’a dit qu’il n’y avait pas de lieu approprié pour moi dans un refuge (...). »
12. Ce jour, la déposition de la requérante fut également recueillie au commissariat. À cette occasion, elle dit que sa fille subissait des violences de la part de son mari depuis seize ans, qu’elle avait déjà vu son gendre frapper sa fille et qu’il lui était arrivé de se couper lui-même avec un rasoir. Elle déclara que la vie de sa fille était en danger et qu’elle s’était réfugiée chez elle.
13. Au cours de la même journée, furent recueillis les témoignages des sœurs de Fatma Babatlı, lesquelles déclarèrent qu’elle était victime des violences de son mari, qu’elle présentait des bleus sur le corps, qu’elle avait supporté cette situation pour ne pas briser son foyer mais que depuis un an, ses problèmes s’étaient accrus.
14. Le 25 juillet 2008, fut recueilli le témoignage de S.B. qui nia avoir jamais été violent à l’égard de son épouse. Il déclara qu’elle souffrait de diabète et tombait donc souvent, raison pour laquelle elle présentait des bleus.
15. Le 6 août 2008, la décision du tribunal de la famille du 18 juillet 2008 (paragraphe 10 ci-dessus) fut notifiée à S.B.
16. Le 7 octobre 2008, le procureur de la République inculpa S.B. pour blessure simple en vertu des articles 53, 86/2 et 86/3 a) de la loi pénale. Il ressort de l’acte d’accusation que S.B. avait blessé la victime d’une façon pouvant être résorbée par une intervention médicale simple, suite à une dispute survenue le 16 juillet 2008.
17. Le 21 octobre 2008, le tribunal correctionnel de Diyarbakır (« le tribunal correctionnel ») accepta l’acte d’accusation du procureur.
18. Le 30 décembre 2008, après le décès de S.B., le tribunal correctionnel adopta une décision mettant un terme à la procédure.
2. La deuxième plainte pénale de Fatma Babatlı
19. Le 26 juillet 2008, Fatma Babatlı et ses deux sœurs se rendirent au palais de justice pour assister à une comparution de son fils. En sortant du palais de justice, elles furent prises à partie par S.B.
20. Le jour même, des policiers recueillirent leurs dépositions. Elles déclarèrent que S.B. attendait devant le palais de justice, qu’il avait sorti un rasoir et l’avait posé sur son cou en accusant sa femme d’être responsable de ce qui arrivait à leur fils et qu’il les avait frappées toutes les trois avec l’aide de son frère, avant d’être interpellé par des policiers. Elles déclarèrent se porter plaignantes. Fatma Babatlı déclara en outre qu’elle vivait séparée de son mari depuis douze jours, qu’elle avait intenté une action en divorce et qu’elle ne souhaitait pas se rendre dans un refuge pour femmes.
21. Le soir même, trois rapports médico-légaux furent établis décrivant les blessures que Fatma Babatlı et ses sœurs présentaient. Selon ces rapports, Fatma Babatlı présentait sur la partie arrière du bras droit une rougeur, un œdème et un gonflement de 3-4 cm dus à un coup. Si. K. présentait quant à elle une ecchymose et une rougeur sur le torse dues à un coup. Enfin, Sa. K. présentait une rougeur étendue sur le torse due à un coup.
22. Le 18 août 2008, saisi d’une demande d’application de mesures de protection en vertu de la loi no 4320 par le procureur de la République, le tribunal de la famille adopta une nouvelle décision contenant les mesures d’injonctions suivantes, faites à S.B., pour une durée de six mois :
. l’interdiction de tout comportement de nature violente ou effrayante à l’endroit de son épouse,
. l’éloignement du domicile conjugal et l’attribution de celui-ci à son épouse et aux autres membres de sa famille,
. l’interdiction de s’approcher du domicile ou du lieu de travail où se trouvaient ces personnes à moins de 300 mètres,
. l’interdiction de déranger son épouse par le biais de communications. La décision du tribunal mentionnait que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté.
23. Le 9 septembre 2008, le procureur de la République enjoignit à la direction de la sûreté départementale de Yenişehir de procéder à l’audition de S.B. et de son frère pour les faits de violences survenus devant le palais de justice.
24. Le 12 septembre 2008, l’institut médico-légal de Diyarbakır établit trois rapports qui, reprenant le descriptif des blessures de Fatma Babatlı et de ses sœurs, tel que mentionné dans les rapports médicaux du 26 juillet 2008 (paragraphe 21 ci-dessus), conclurent que ces blessures étaient légères et pouvaient être résorbées par une intervention médicale simple.
25. Le 12 octobre 2008, la décision du tribunal de la famille du 18 août 2008 (paragraphe 22 ci-dessus) fut notifiée à S.B.
26. Le 25 novembre 2009, le procureur de la République inculpa B.B., frère de S.B., pour blessures volontaires sur la personne de Fatma Babatlı. Le même jour, il adopta une décision complémentaire de non-lieu à poursuivre concernant la plainte des sœurs de la défunte, celles-ci y ayant renoncé suite au décès de S.B.
27. Le 23 janvier 2010, le tribunal correctionnel accepta l’acte d’accusation du procureur de la République par lequel B.B. était poursuivi pour blessure simple.
28. Le 20 avril 2010, le tribunal correctionnel reconnut B.B. coupable de blessures volontaires sur la personne de Fatma Babatlı et le condamna en conséquence à une peine de cent-vingt jours-amende, réduit à cent jours-amende pour bonne conduite. Cette peine fut en outre commuée en une peine d’amende judiciaire de 2000 livres turques, assortie d’un sursis au prononcé du jugement.
3. La troisième plainte pénale de Fatma Babatlı.
29. Le 8 octobre 2008, le procureur de la République écrivit à la direction départementale de la sûreté de Sur pour ordonner l’arrestation et le placement en garde à vue de S.B., pour une durée ne pouvant excéder vingt-quatre heures, en raison de la violation par celui-ci, le soir même, des injonctions adoptées à son endroit en vertu de la loi no 4320.
30. Le 9 octobre 2008, des policiers établirent un procès-verbal d’après lequel la veille, vers 23 h, S.B. avait été arrêté. Ce procès-verbal énonce notamment :
« Suite à l’annonce faite vers 23 h, le 08.10.2008, selon laquelle une bagarre était survenue au sein d’une famille (...) les équipes se rendirent sur les lieux et s’entretinrent (...) avec la victime Fatma Babatlı qui déclara que son mari la battait (...), que la dernière fois qu’il l’avait battue elle avait porté plainte et avait obtenu du tribunal de la famille (...) une mesure d’éloignement du domicile pour une durée de six mois (...). [Elle dit] que ce soir il était entré de force dans sa maison et l’avait frappé et qu’elle se portait plaignante (...). La personne concernée fut appelée et attendue dans la rue (...). S.B. arriva alors avec, à la main, un couteau dont le manche [mesurait] 9,5 cm et la lame 11 cm, pointée sur son cou. Il s’approcha (...) en criant « laissez-moi tranquille (...) », « pour qui vous prenez-vous », « je me couperai ». Il fit un esclandre et avec le couteau qu’il tenait à la main, il tenta de se couper le cou. Il résista à son interpellation en se frappant la tête et le corps (...) contre les murs (...). Le couteau lui fut retiré des mains de force (...). Il fut menotté et placé en garde à vue. À son arrivée au commissariat, (...) il se jeta contre les murs (...), il continua à menacer sa femme en disant « quelle que soit la peine [qu’on m’infligera], cette nuit j’irais à la maison ou alors tuez-moi » (...). Un couteau dont le manche [mesurait] 15 cm et la lame 53 cm fut saisi sur lui (...). »
31. Ce jour, le commissaire de police de Çarşı établit un procès-verbal décrivant également, en des termes sensiblement similaires, l’intervention policière. Il ressort en outre de ce procès-verbal que le procureur de la République de garde fut informé des événements par téléphone ainsi que le tribunal de la famille.
32. Au cours de la même journée, la déposition de Fatma Babatlı fut recueillie à deux reprises au commissariat : une première fois, à environ une heure du matin et une seconde fois, à 11 h 26. Au cours de cette seconde déposition, elle fit les déclarations suivantes :
« (...) Mon mari m’a toujours battue (...). Avec l’espoir que cela s’arrangerait peut-être j’ai patienté, mais je n’ai jamais vu mon mari s’améliorer. Les derniers temps, il a accru ses violences. Il rentrait à la maison sous l’emprise de l’alcool et de la drogue et me frappait. Il m’insultait. J’ai 7 enfants de cette union (...). Il battait également mes enfants. Ne le supportant plus, j’ai déposé plainte le 18.07.2008 (...). Le tribunal a adopté une mesure préventive de six mois en vertu de la loi no 4320 (...). Depuis lors, sans respecter cette décision, mon mari a continué à me déranger (...). Le 08.10.2008, vers 22 h 30, il est venu ivre à la maison (...). De peur, je n’ai pas ouvert la porte. Il m’a dit qu’il voulait parler (...), j’ai ouvert la porte. À peine entré, mon mari (...) a commencé à me frapper. Il a poussé mon fils de trois ans contre un mur (...). J’ai voulu prendre mon enfant. Il a recommencé à me frapper. Puis, sortant devant la porte, il a commencé à injurier Allah et son prophète. Un passant dans la rue l’a entendu et l’a [interpellé]. Sur ce, mon mari a commencé à l’injurier et a dit aux enfants dans la maison de lui apporter son couteau. Les enfants lui ont apporté. Craignant qu’il attaque [ce] citoyen, j’ai fermé la porte du jardin. Il s’est tourné vers moi et a dit qu’il allait me tuer ou un membre de ma famille avec ce couteau. Je me suis enfuie dans la maison et j’ai refermé la porte (...). J’ai ensuite appelé le 115 et j’ai demandé de l’aide. Dans l’intervalle, mon mari avait fui. Les policiers sont venus (...), ils m’ont demandé de l’appeler sur son portable. Je l’ai appelé et lui ai dit de venir à la maison (...). Lorsqu’il est venu et a vu les policiers, il a pointé son couteau sur sa gorge et a menacé de se tuer (...). Les policiers lui ont pris le couteau de force (...). Je crains pour ma vie (...). Je me porte plaignante (...). Ma déposition du 08.10.2008 est juste. On m’a demandé si je voulais ou non être installée dans un refuge pour femmes. Mais je ne veux pas aller dans un refuge pour femmes. J’ai 7 enfants, c’est pourquoi je ne veux pas aller dans un refuge pour femmes. »
33. Un rapport médico-légal daté du même jour établit que Fatma Babatlı présentait une ecchymose et une hypérémie au niveau du coude gauche dues à un trauma consécutif à un coup.
34. Toujours le même jour, S.B. fut entendu au commissariat. Il déclara s’être rendu chez son épouse parce qu’ils s’étaient réconciliés et qu’il voulait voir ses enfants. Il dit qu’il s’était légèrement disputé avec son épouse et qu’elle avait dû prendre peur parce qu’il avait un peu haussé le ton. Il dit également qu’il était revenu lorsque sa femme l’avait appelé pour lui dire que la police était à la maison et que, voyant les policiers, il avait porté un couteau à son cou parce qu’il était peiné et que, sur le moment, il avait voulu mourir.
35. Au cours de cette journée, S.B. déposa également devant le procureur de la République qui lui lut le rapport médico-légal décrivant les blessures de sa femme (paragraphe 33 ci-dessus). Il déclara alors :
« (...) C’est la troisième fois que je me présente devant vous. Je réitère ma déposition faite au commissariat. Nous étions réconciliés, j’étais venu à la maison. Il y a eu quelques cris entre nous. N’ai-je donc pas le droit de crier un peu sur ma femme ? Puis, je suis parti de la maison (...). Je lui ai seulement retourné le bras lors de notre dispute. Lorsqu’elle m’a repoussé, j’ai immédiatement retiré ma main (...). »
36. Au terme de cette audition, le procureur de la République déféra S.B. devant le tribunal correctionnel pour blessures volontaires, tentative de blessures volontaires avec une arme, menaces avec une arme, mauvais traitements et manquement à la loi no 4320. Il demanda son placement en détention provisoire.
37. Sur ce, S.B. fut entendu par le tribunal correctionnel. Il dit regretter ses agissements, reconnaître s’être mal comporté vis-à-vis de sa femme et de la police et qu’il ne le ferait plus. Il déclara qu’il était dans cet état à cause de l’alcool mais qu’il allait arrêter de boire, qu’il allait mieux se comporter vis-à-vis de sa femme et de ses enfants. Il dit également que ses déclarations présentes étaient vraies et que ces précédentes déclarations au commissariat et devant le procureur avaient été faites pour échapper à ce qui lui était reproché.
38. Le tribunal correctionnel estima qu’il convenait de rejeter la demande de placement en détention du procureur de la République, au vu notamment de l’état des preuves et compte tenu de ce qu’une détention provisoire n’était pas une sanction mais une mesure de prévention. Il ordonna donc la libération immédiate du suspect si celui-ci ne faisait pas l’objet d’une détention, d’une condamnation ou d’un mandat d’amener pour une autre infraction. Cette libération était assortie d’une mesure de contrôle judiciaire consistant pour S.B. à se présenter deux fois par semaine au commissariat de police et en un avertissement, faute de respecter ce contrôle judiciaire, qu’il pourrait être immédiatement détenu.
39. Le 13 octobre 2008, le tribunal de la famille, saisi d’une demande d’application de mesures de protection en vertu de la loi no 4320 par le procureur de la République, adopta une nouvelle décision énonçant les injonctions suivantes à S.B., pour une durée de six mois :
. l’interdiction de tout comportement de nature violente ou effrayante à l’endroit de son épouse,
- l’éloignement du domicile conjugal et l’attribution de celui-ci à son épouse et aux autres membres de sa famille,
. l’interdiction de s’approcher du domicile ou du lieu de travail où se trouvaient ces personnes,
. l’interdiction de porter atteinte aux biens des membres de la famille,
. l’interdiction de déranger son épouse par le biais de communications,
. la remise aux forces de l’ordre des armes ou objets similaires qu’il détiendrait.
La décision du tribunal mentionnait que tout manquement aux injonctions ainsi faites ouvrirait la voie à une peine privative de liberté.
40. Le 17 novembre 2008, suite au décès de S.B., le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre s’agissant des faits de manquement à la loi no 4320, blessures, mauvais traitements et menaces avec une arme.
4. La quatrième plainte pénale de Fatma Babatlı
41. À une date non mentionnée, Fatma Babatlı écrivit à nouveau au procureur de la République pour se plaindre de son mari. Elle affirma que celui-ci faisait l’objet d’une mesure d’éloignement de son domicile pour une durée de six mois mais qu’il avait réussi à enlever deux de ses enfants devant chez elle et refusait de les lui restituer. Elle dit qu’il avait également essayé d’enlever sa fille, qu’il avait frappé son fils et qu’il avait menacé de le tuer ainsi qu’elle-même. Elle affirma que la vie de ses enfants et la sienne n’étaient pas en sécurité et demanda une aide urgente.
42. Le 20 octobre 2008, Fatma Babatlı déposa à nouveau plainte auprès du procureur de la République. Le procès-verbal de déposition établi ce jour énonce :
« (...) j’ai déjà porté plainte contre mon mari parce qu’il me battait. Au terme de cette plainte, le tribunal de la famille lui a ordonné le 18.07.2008 de s’éloigner de la maison pendant 6 mois. (...) mon mari a enlevé deux de mes enfants devant la maison. Mes enfants [doivent] aller à l’école mais mon mari ne me les rend pas (...). Il a également essayé d’enlever ma fille Y.B., mais elle a eu peur et s’est enfuie (...). Il lui a dit « je vais vous [cribler] de balles » et il l’a injuriée. Le même jour, il m’a appelée. Il m’a dit « les enfants sont avec moi, je vais te les envoyer » (...). Cela fait deux jours et il n’a toujours pas envoyé les enfants. Lorsque je l’ai appelé il a dit « je n’envoie pas les enfants, vas porter plainte à la police ». Environ une semaine plus tôt, il aurait battu mon fils R. et lui aurait dit « je vais te tuer toi, ta mère et ta tante ». Mon fils me l’a raconté. Mon mari m’a dit « ne me demande pas de pension alimentaire, je divorcerais de toi en un jour, je vais prendre les enfants [à ma charge], s’il le faut je les rejetterais dehors ». Je me porte plaignante contre S.B. qui me menace et menace ma famille, qui ne respecte pas la décision d’éloignement et qui a frappé mon enfant (...). »
43. Le 5 novembre 2008, le procureur de la République écrivit à la direction de la sûreté de Sur pour demander que l’adresse du suspect fût déterminée, qu’il fût entendu en sa défense et que les déclarations des enfants fussent recueillies.
44. Le 15 janvier 2009, suite au décès de S.B., le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre concernant la plainte de la défunte.
B. Le décès de Fatma Babatlı et l’enquête pénale subséquente
45. Le 7 novembre 2008, deux policiers dressèrent un procès-verbal d’après lequel, le jour même, vers 11 h 45, une femme s’était approchée d’eux alors qu’ils étaient en faction devant le commissariat pour les informer qu’un homme avait tué une femme. Ils se rendirent sur les lieux où ils virent deux corps à terre et une arme à feu près de l’homme. Ils appelèrent une ambulance et les équipes compétentes. Vers 12 h 10, les équipes de la sûreté arrivèrent sur place et établirent un procès-verbal d’examen des lieux ainsi qu’un croquis.
46. Le jour même, à 13 h 30, le procureur de la République établit un procès-verbal d’examen des lieux d’après lequel, suite à une querelle entre deux époux, le mari avait tiré sur sa femme avant de se tirer dessus. Blessé, il fut conduit à l’hôpital.
47. Au cours de la même journée, les policiers recueillirent les dépositions des témoins. L’une d’elle déclara qu’elle avait vu un homme et une femme se disputer dans la rue, que l’homme avait un pistolet à la main, qu’elle avait pris peur et s’était enfuie. Elle dit avoir alors entendu des coups de feu. Les policiers recueillirent également la déposition de deux des enfants de la défunte. K.B., sa fille, née en 1994, déclara :
« (...) ils se disputaient tout le temps, généralement parce que mon père buvait. Depuis un an, ces disputes se sont accrues. Mon père buvait tout le temps et battait ma mère. C’est pourquoi ma mère a saisi le commissariat. Mon père a eu une peine d’éloignement du domicile (...). Il venait devant la maison, enlevait mes [frères et sœurs] et voulait rentrer dans la maison mais ma mère ne le lui permettait pas. Mon frère aîné R. ne venait pas à la maison à cause du comportement de mon père. Il mentait à mes [frères et sœurs] pour que ceux-ci disent à ma mère qu’il allait lui tirer dessus, ainsi que sur mon frère R. Une semaine avant, il m’a conduit chez ma tante et m’a demandé pourquoi je ne venais pas chez lui. Je lui ai répondu que c’était parce qu’il buvait. Il m’a aussi dit qu’il allait tuer ma mère. Mon père aurait acheté une arme, il la cachait chez ma tante. Je n’ai pas vu l’arme mais il l’aurait montrée à mes [frères et sœurs] (...) Je porte plainte contre mon père (...). »
R.B., fils de la défunte, né en 1993, déclara quant à lui :
« (...) ils se disputaient tout le temps. Mon père a toujours bu et frappé ma mère (...). Lorsque je m’interposais, il me frappait également (...). Environ une semaine plus tôt, il m’a frappé au visage avec un petit pistolet noir (...). Il nous menaçait tout le temps et disait qu’il allait nous frapper (...). Depuis environ deux mois, il vivait chez sa sœur (...). De temps en temps, il venait à la maison pour nous menacer, il disait « je vais vous tuer », « je vais vous découper ». Ma mère a intenté une procédure en divorce qui est pendante. Ma mère a saisi le commissariat (...). Je me porte plaignant contre mon père (...). »
48. Ce jour, à 15 h 20, un procès-verbal d’examen du corps de Fatma Babatlı et d’autopsie fut établi concluant qu’elle était morte suite à une blessure par balle ayant brisé sa boîte crânienne, provoqué une hémorragie cérébrale, des blessures aux organes internes ainsi qu’une hémorragie interne.
49. Le 10 novembre 2008, le tribunal pour enfants de Diyarbakır adopta une décision de placement en urgence des enfants de la défunte sous protection, dans un centre des services sociaux.
50. Le 2 décembre 2008, le procureur de la République écrivit au tribunal d’instance de Diyarbakır aux fins de demander la désignation d’un tuteur pour les enfants de la défunte.
51. Le 13 janvier 2009, la requérante saisit le procureur de la République d’une plainte pour manquement aux devoirs. Elle demanda l’identification et l’engagement de poursuites contre les fonctionnaires qui, malgré toutes les plaintes de sa fille, n’avaient pas, selon elle, mené d’enquête effective et dont les manquements avaient conduit à sa mort. Elle invoqua les articles 2, 3, 6, 13 et 14 de la Convention. La requérante lista les différentes plaintes déposées par sa fille, contre son mari. Elle fit valoir qu’en l’espace de trois mois et demi à compter de la date de sa première plainte, elle avait déposé quatre autres plaintes contre son mari. Chaque fois, elle déclara que ses enfants et elle étaient victimes de violences, qu’elle était menacée de mort et elle demanda une protection. La requérante soutint que les trois ordonnances du tribunal de la famille adoptées au bénéfice de sa fille avaient été des décisions de pure forme. En effet, selon elle, la première ordonnance contenait des injonctions valables six mois de sorte qu’en vertu de la loi no 4320, son gendre aurait dû être placé en détention dès le premier manquement à ces injonctions. Faisant référence à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (CEDAW) et aux évolutions de la législation interne, telle que la loi no 4320, la requérante argua que ces évolutions étaient vaines : la violence dont sa fille avait été victime ayant été qualifiée de « blessure simple ». Selon la requérante, même le dernier acte de violence pour lequel les forces de l’ordre intervinrent ne fut pas jugé suffisant pour que son gendre fût placé en détention. Pour elle, les cris de détresse de sa fille ne furent pas entendus et la législation existante ne fut pas utilisée de manière suffisante ou effective. Elle argua ainsi que de nouvelles ordonnances de protection furent adoptées alors même que la durée des injonctions prononcées au titre de la loi no 4320 n’était pas encore expirée.
52. Le 13 février 2009, le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre S.B. du fait d’homicide volontaire, celui-ci étant décédé.
53. Le 23 octobre 2009, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Elle déclara réitérer le contenu de sa plainte (paragraphe 51 ci-dessus) et se porter plaignante contre l’État car, selon elle, tous les fonctionnaires étaient fautifs.
54. Le 2 février 2011, le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre estimant qu’il n’y avait pas de preuves susceptibles de créer un doute suffisant pour que des fonctionnaires fussent poursuivis.
55. Le 3 février 2011, la requérante saisit la cour d’assises de Siverek d’un recours en opposition contre cette décision faisant valoir que le procureur s’était prononcé sans examiner les informations et documents qui lui avaient été présentés. Elle argua en outre que les dispositions légales pour assurer la protection de sa fille n’avait pas été utilisées de manière efficiente et que les fonctionnaires n’avaient pas dûment exercé leurs fonctions.
56. Le 4 avril 2011, la cour d’assises rejeta ce recours estimant que la décision du procureur était conforme à la procédure et à la loi.
II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
A. Le droit et la pratique interne pertinent
1. Dispositions législatives pertinentes
57. La loi no 4320 du 14 janvier 1998 relative à la protection de la famille, dans sa rédaction initiale, est décrite dans l’affaire Opuz c. Turquie, (no 33401/02, § 70, CEDH 2009). Les passages pertinents de cette loi, telle que modifiée par la loi no 5636 du 26 avril 2007, sont énoncés dans l’arrêt M.G. c. Turquie (no 646/10, § 48, 22 mars 2016).
58. La loi no 4320 a été remplacée par la loi no 6284 du 8 mars 2012 relative à la protection de la famille et à la prévention des violences contre les femmes, publiée au journal officiel le 20 mars 2012.
59. Le règlement relatif à la mise en œuvre de la loi relative à la protection de la famille, paru au journal officiel le 1er mars 2008 disposait notamment :
« Transmission de l’ordonnance préventive au procureur de la République et mise en œuvre.
Article 15. (1) Le tribunal transmet une copie de l’ordonnance préventive au procureur de la République (...).
(2) Le procureur de la République surveille l’exécution de cette décision par le biais des forces de l’ordre. En fonction de son contenu, l’ordonnance préventive est envoyée en urgence aux forces de l’ordre (...).
(3) Le devoir de surveillance des forces de l’ordre débute à la date à laquelle l’ordonnance de protection a été rendue. Les forces de l’ordre informent les intéressés en fonction du contenu de l’ordonnance de protection. Cette information fait l’objet d’un procès-verbal et un contrôle est effectué pendant la durée de l’ordonnance quant au respect des mesures [préventives]. Ce contrôle implique, au regard de la personne au bénéficie de laquelle l’ordonnance a été adoptée :
a) la visite une fois par semaine du logement où elle se trouve ;
b) l’établissement de liens avec ses proches (...) ;
c) une demande d’informations auprès de ses voisins ;
ç) l’obtention d’informations auprès du muhtar du lieu de résidence ;
d) des recherches autour du logement où elle se trouve ;
(4) Si, au terme des contrôles effectués dans les conditions énoncées ci-dessus ou de [toute] autre manière, il est établi que la personne à l’encontre de laquelle l’ordonnance de protection a été adoptée ne la respecte pas, cette situation est inscrite dans un procès-verbal. En se fondant sur ce procès-verbal, les forces de l’ordre déclenchent une enquête d’office et transmettent le document dans les plus brefs délais au procureur de la République.
(5) Le procureur de la République déclenche des poursuites devant le tribunal correctionnel contre le mari ou les autres membres de la famille qui ne respectent pas l’ordonnance de protection. »
2. Rapport de l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch
60. Le 4 mai 2011, l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch publia un rapport intitulé « “He loves you, he beats you”: Family Violence in Turkey and Access to Protection » («“Il t’aime, il te bat” : la violence familiale en Turquie et l’accès à la protection »). Ce rapport énonce, dans ses passages pertinents en l’espèce :
« (...)
Prevalence of Domestic Violence in Turkey
(...) In January 2009, the Turkish Hacettepe University published the first-ever comprehensive nationwide survey on the prevalence of domestic violence against women in Turkey. Comprising interviews with over 12,000 women in all regions of Turkey, it found that 42 percent of women in Turkey aged 15-60, and 47 percent of women in rural areas, had experienced physical and/or sexual violence by their husbands or partners at some point in their lives. This means at least eleven million women have faced or are facing physical or sexual violence in Turkey. This did not include other forms of violence, or violence by other family members.
The study also found that only 8 percent of women who have experienced sexual or physical violence seek help from any institution, NGO, or other source of support. A different academic study conducted in 2009 concludes that only around 3 percent of women told the muhtar (elected village or neighborhood official), police, gendarme, a lawyer, or public prosecutor about their experience of domestic violence.
(...)
Reforms and Civil Society Efforts
Turkey has in recent years passed major legislative reforms in the area of women’s human rights including: adopting the Law on the Protection of the Family 1998; the Turkish Civil Code, reformed in 2001; and the reform of the Turkish Penal Code in 2004-05 (...).
(...)
II. Legal Reforms and Gaps
The Turkish government’s response to domestic violence is full of contradictions, and gains and gaps explored below.
On the one hand, parliament has adopted crucial changes to the Penal and Civil Codes that remove discriminatory provisions and banish the possibility that someone who kills a woman allegedly to preserve family “honor” could get a reduced sentence. On the other hand, gaps remain in the laws, and many law enforcement officials emphasize preserving the family as a unit, rather than protecting domestic violence survivors.
(...)
The government’s inconsistent response to domestic violence and women’s rights reflects a wider societal ambivalence about women’s changing roles. As one advocate put it, many people in Turkey believe “the rise of women is the fall of family”.
(...)
Penal and Civil Code Reforms
Turkey has undertaken major Civil and Penal Code reforms in the past fifteen years, many of which constitute impressive gains for women’s rights (...). As a result of the reforms, Turkey’s Civil and Penal Codes now include:
• A general principle of gender equality under the Penal Code;
• Increased sentences for murders in the name of “custom,” (replacing the prior provision that reduced sentences for “honor” murders);
• Even though there is no specific article regulating the crime of domestic violence, article 96 of the new Penal Code stipulates that anyone causing torment to their spouse or family members will be sentenced to three to eight years in prison. Article 232 of the Penal Code provides for imprisonment of up to one year for the maltreatment of anyone living under the same roof;
(...)
Anti-Violence Programming
The legal realm is not the only sphere of progress on violence against women in Turkey: in recent years, a number of government agencies, NGOs, and media outlets have launched programs and campaigns to address the topic (...). The Directorate General also trains police officers, members of the judiciary, and health workers, and works with religious officials to garner support in combating domestic violence. Their efforts appear to be paying off (...).
(...)
III. Failings in Implementing the Protection Law
There is no doubt that the legal framework for protection from violence has improved. However, as this chapter shows, there are serious shortcomings in the way it is implemented. In 2009, a large study by academics concluded that 57 percent of women in Turkey as whole, but only 35 percent in the east, are aware of the Family Protection Law. Of those women who had heard of the law, only 7.5 percent knew someone who had actually benefited from it. Human Rights Watch research indicates that even those women who do know about protection orders face barriers that prevent them seeking help and protection. Human Rights Watch research suggests that all too often police, prosecutors, or judges to whom women might turn for help send them back to the abusive situation, push for reconciliation, ask for medical records, or delay the process significantly. If a judge does eventually issue a protection order, police monitoring often falls short.
(...)
Police and Gendarmerie Response to Reports of Abuse
(...)
Law enforcement officers often prioritize preserving family unity, and push battered women to reconcile with abusers rather than pursuing criminal investigations or assisting women in getting protection orders. Human Rights Watch documented this tendency in every city visited for research.
In most cases documented, police officers or gendarmerie sent women back to violent husbands or family, or summoned the husband to pressure the couple to reconcile. In some cases, police sent women back to batterers multiple times, even when they returned to report more attacks on themselves or their children.
While important progress has been achieved in some areas, such as improved awareness of the law among law enforcement personnel through law enforcement trainings and public pressure, much remains to be done before abused women can count on their complaints and safety being taken seriously.
(...)
Role of Judges and Prosecutors
Usually, a woman who is experiencing violence will go first to the police, who should then refer her to the family court to apply for a protection order. She can also apply to the prosecutor’s office for a family court to issue a protection order. The 2007 amendment to Law 4320 made it possible for a prosecutor to start a protection order process on his or her own initiative as well. The prosecutor forwards the request to a family judge, who issues or refuses the order. The decision is passed back to the prosecutor, who is responsible for monitoring its implementation through the police. This section shows the problems that women face at this stage of the procedure. For example, the decision-making process can be too slow for an emergency measure; prosecutors are sometimes reluctant to forward a request to a judge or start the process on their own accord; and judges may take too long to decide whether to grant an order. Another common problem is that family judges may demand medical or other forms of evidence, which are not required for a protection order.
Reluctance and Slow Decisions by Family Courts
Protection orders are meant to be emergency measures adopted when there is imminent risk of family violence. Speed is essential, and delays by prosecutors and judges can defeat their purpose. Human Rights Watch documented cases where the process took anywhere from two days up to six months due to inaction and reluctance on the part of prosecutors and judges to interfere with “family matters.”
(...)
Monitoring Compliance with Protection Orders
Protection orders are only helpful if they are enforced, which requires diligence and action on the part of law enforcement officials. Once issued, police or the gendarmerie are responsible for informing the respondent of the issued order, and obligated to conduct regular checks of the home. If it appears the abuser is violating the order, law enforcement officers must investigate and refer the matter to prosecutors to initiate criminal proceedings. The spouse or family member who has not abided by the protection order can be sent to prison for three to six months.
The government issued a regulation in March 2008 on implementation of Law 4320, stipulating that law enforcement officers should check up on recipients of protection orders once a week. These proactive checks are vital for victim safety. Violence can escalate after abusers learn of protection orders and may be determined to defy the orders, making this a particularly risky time. (...) we documented cases in Diyarbakır and throughout the country in which women successfully petitioned for protection orders only to have their effectiveness undermined when police did not monitor enforcement.
(...)
If, through proactive checks or reports from the abuser, the police or gendarmerie learns that an abuser is violating a protection order, they are required to investigate and refer the matter to a prosecutor quickly. The law authorizes the prosecutor to then file suit against the accused in a magistrate’s court. The spouse who has violated the order can be sentenced to prison for three to six months. In practice, it is rare that police initiate, and a prosecutor takes forward, such a procedure against the violator of a protection order (...).
(...)
IV. Inadequate Shelters
(...)
Shelters for family violence survivors, sometimes called guest houses, differ in size, set-up, and quality, and are run by different groups, including central government social services agency (SHÇEK guest houses), municipalities, governorships, and NGOs. All forms of shelters are covered by a 2001 regulation specifying who can open a shelter, services that should be provided, basic building requirements, and shelter rules. This report shows the need for more shelters, broader eligibility rules, and adequate regulation of shelter quality.
Number of Shelters
The number of shelters that must be available in Turkey is governed by Municipality Law No. 5393, which states, “The Greater City Municipalities and the municipalities having population more than 50,000 shall open houses for women and children welfare.”
Estimates vary as to the actual numbers of shelters, but by all accounts there are far less than the number required under this law. According to NGOs, there are 52 shelters; according to the Directorate General on the Status of Women, there are 37 SHÇEK shelters, and 25 shelters run by NGOs, governorships, and local authorities, totaling 62 shelters. However, there are at least 166 cities with over 50,000 inhabitants, so more than 100 cities certainly do not comply with the law. Besides that, there are many more municipalities within those cities with over 50,000 inhabitants, which do not run shelters. The shelters needed to fulfill the requirement runs into the hundreds.
(...)
Children up to 12 can usually stay with their mother in shelters. The child can be taken away from the mother if she has to stay in the shelter for a long time, and placed into a designated ‘hostel’ (...). »
3. Rapports de recherches de l’Université Hacettepe
61. En 2009, l’université Hacettepe et le ministère de la famille et des politiques sociales publièrent un rapport intitulé « Domestic Violence against women in Turkey » (« La violence domestique contre les femmes en Turquie »), lequel expose, en ses passages pertinents en l’espèce :
« The inadequate number of women’s counselling centers and shelters is one of the important problems brought up by people working in this field (...).
(...)
At the moment, the number of shelters in our country is 49, including those connected to SHÇEK. This is far from adequate when considering the population of the country (...). One of the most important points brought up in the interviews is the deficiency of the services provided at the shelters or women’s guesthouses besides the low number of shelters (...). Actually, as mentioned in the previous section, the women who experienced violence also emphasized the insecurity created by the ‘temporary’ state as one of the problems around applying to shelters.
(...)
Chapter 8. An Overview of the Results
Violence at home: at father’s home, at husband’s home
The research findings indicate that domestic violence against women is widespread throughout the country. Women are not only exposed to violence from their spouses or intimate partners, but they are also exposed to physical and/or sexual violence by people from their close environment. Results of the research show that, 75 percent of physical violence experienced by women before 15 years of age is being perpetrated by members of their families (...).
In their childhood and youth, women are being exposed to physical violence by their fathers, mothers and brothers. In later years of their lives violence continues in physical and/or sexual form, perpetrated by these women’s boyfriends, fiancés, and husbands and, rarely by persons unknown to them. Nationwide, the percentage of ever-married women who reported to have experienced physical partner violence during their lifetime is 39 percent, and almost half of these women (46 percent) stated that they had experienced severe forms of physical violence such as hitting with fist, kicking, choking and threatening with a weapon like a knife or gun (...). Moreover, the results show that one of 10 women reported to have been exposed to violence during pregnancy.
Fifteen percent of ever-married women in Turkey reported that they had experienced sexual violence by a husband or partner at least once in their lifetime. This proportion of women that were ever exposed physical or sexual violence, or both, that is 42 percent demonstrates that these two forms of violence are often experienced together. It also reveals that physical violence is a common form of violence in women’s lives (...).
(...)
Women’s physical and mental health is severely being affected by the violence they are exposed to. The results show that 24 percent of ever-married women in Turkey were injured as a result of the physical or sexual violence by their husband or partner. Nationwide, most of the women who were injured due to violence stated that injuries had occurred several times. Overall, 58 percent of women who had been injured by violence reported that they had been injured at least three times.
Thirty-three percent of women that had experienced physical or sexual violence reported that they had thought about committing suicide and 12 percent of women reported that they had attempted to commit suicide. Proportions of those who had never experienced sexual or physical violence are 11 and 3 percent respectively. These results indicate that suicide attempts among women who have experienced physical or sexual partner violence are 4 times more than among those who have never experienced such violence.
(...)
Violence is transferred from one generation to the next
(...) in Turkey, domestic violence against women is a phenomenon that is learned during socialization process and consequently, it is transferred from one generation to the next one. Female and male children who learn the violence against women as a natural part of life in the socialization period are affected by violence in different ways. On the one hand, this may cause the male children to perpetrate violence against their sisters, girlfriends, partners or any other women in their lives and causes them to perceive this as normal behavior. On the other hand, it may make female children accept violence more easily (...).
(...)
Women are all alone...
In Turkey, half of the women (51 percent) who have experienced violence reported that they had not told anybody about their experiences. Among the important reasons for this silence are: that women who are exposed to violence experienced it many times rather than once; that they do not believe they can get support about the violence they are subjected to; that they care about their children; and that the violence in the society is regard as a “private family issue”. In addition to family relations, the acceptance of the violence as normal and common act –partly due to the way the media tackles the issue – and the physical and mental damage that all family members suffer due to violence make women feel insecure and helpless (...). »
62. En 2015, l’université Hacettepe et le ministère de la famille et des politiques sociales publièrent un nouveau rapport, lequel expose en ses passages pertinents en l’espèce :
« Chapter 14. Conclusion and Recommendations
(...)
14.1. Overview of the research results
Violence against women is still widespread. The first result of the Research on Domestic Violence against Women in Turkey is that throughout Turkey, the violence experienced by women is still widespread. Women, whether their marriage or relationships continue or not, are generally being subjected to violence by men who are closest to them. These men include their husbands or fiancés/betrotheds/boyfriends in the first place and are followed by their fathers, brothers and relatives. The research findings are similar in patterns with the findings of the research conducted in 2008. The following findings are among the mutual findings of the two researches: women experience violence from their fathers and this violence is continued by their husbands; women experience violence mostly from their family members, especially the men closest to them.
Violence is always very close to women:
Violence against women by husbands/intimate partners
Among the women interviewed in the research, 38 percent of ever-married women reported having been subjected to lifetime physical and/or sexual violence by their husbands or intimate partners. Physical violence is the first form of violence that comes to mind among the forms of violence that women experience by their intimate partners. For nearly one out of every ten women, physical violence also continues during pregnancy. Overall, the prevalence of physical violence has not changed much within the last twenty-year period. The prevalence of physical violence, which was found to be 36 percent in this research, was 39 percent in the 2008 research, 35 percent in another research conducted around the same time and 34 percent in the research conducted in 1994. The physical violence within the last 12 months which was found to be 8 percent according to this research was 10 percent in the 2008 research.
Throughout the country, 12 percent of women reported being subjected to lifetime sexual violence by their husbands or intimate partners. Thirty-eight percent of women have experienced either physical or sexual violence in their lifetime. This situation points out that, just as was observed in the 2008 research, physical and sexual violence are mostly experienced concomitantly. Five percent of women have been subjected to sexual violence within the last 12 months (7 percent in the 2008 research). Forty-four percent of ever-married women reported having been subjected to acts of emotional violence/abuse such as threatening, swearing, being insulted and humiliated by their husbands or intimate partners. The prevalence of lifetime emotional violence/abuse and emotional violence/abuse within the last 12 months are the same with the findings of the 2008 research (for both researches 44 percent and 25 percent, respectively).
The results of the 2014 research reveal the importance of marriage and the age at first marriage for the experienced violence. Among the ever-married women aged 15-59 interviewed in the survey, 26 percent were married before completing the age of 18. Half of the women who were married before the age of 18 are being subjected to physical and/or sexual violence and nearly one-fifth of them are being subjected to sexual violence. These results clearly demonstrate that women who are married early experience violence more prevalently.
Divorced/separated women are another group who experience violence more prevalently. Nearly three-fourths of divorced/separated women reported being subjected to lifetime physical and/or sexual violence. These results point out that women want to end their marriages when they experience violence or ending the marriage itself might be the reason for violence. The prevalence of physical and/or sexual violence among never-married but ever-partnered women being at 7 percent highlights the existence of violence in relationships other than marriage in where the violence increases (...).
(...)
Legal improvements regarding the combat against violence and problems faced during the implementation
There have been legal improvements regarding the combat with violence against women in the period between the two researches. The ratification of the Council of Europe Convention on Preventing and Combating Violence against Women and Domestic Violence (İstanbul Convention); Law No. 6284 on the Protection of the Family and the Prevention of Violence against Women, which is based on the İstanbul Convention and other legal regulations in effect, coming into force and the establishment of Violence Prevention and Monitoring Centers (ŞÖNİM) as stated in article 14 of Law No. 6284, where the services and activities are defined, are the primal steps taken for combating violence against women.
(...)
Police stations/police and women’s guesthouses/shelters are the most widely known institutions that provide services in the field of violence against women. Regarding the applications made to the police, women’s statements not being taken (81 percent), and women not being alone during the statement taking process (18 percent another police officer, 14 percent their family, 3 percent their husbands) are among the problems encountered during the application process. Referral of women subjected to violence to another institution/organization by the police is the most common implementation (40 percent). However, the fact that 27 percent of the applications resulted in women’s reconciliation with their husbands points out that there are still problems in this field. The Violence Prevention and Monitoring Centers which started to provide services in 2012 and which are still operative as a pilot scheme in certain provinces are the least known institutions.
(...). »
B. Les textes internationaux pertinents
63. Le droit international pertinent est décrit en partie dans l’affaire Opuz (précitée, §§ 72-82).
64. Le 11 mai 2011, fut signée la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul). Cette Convention a été ratifiée par la Turquie le 14 mars 2012 et est entrée en vigueur le 1er août 2014. Les passages pertinents de cette Convention sont en partie exposés dans l’affaire Y. c. Slovénie (no 41107/10, § 72, CEDH 2015 (extraits)). Elle énonce en outre :
« (...)
Article 3 – Définitions
Aux fins de la présente Convention :
a. le terme « violence à l’égard des femmes » doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ;
b. le terme « violence domestique » désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ;
(...) »
65. Au terme de l’examen de l’état d’avancement de l’exécution de l’arrêt Opuz précité, lors de la 1222e réunion (11-12 mars 2015) des Délégués des Ministres, l’arrêt fut transféré en procédure de surveillance soutenue (voir M.G., précité, § 55 pour un exposé de la décision en cause).
66. Lors de sa quarante-sixième session, du 12-30 juillet 2010, la CEDAW a adopté ses Observations finales concernant la Turquie, lesquelles peuvent se lire comme suit, en leurs passages pertinents en l’espèce :
« Violence à l’égard des femmes
22. Le Comité prend note avec satisfaction des mesures prises pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, telles que les amendements au Code pénal turc, la publication d’une circulaire du Premier Ministre énonçant les mesures à prendre et les institutions responsables, la création du Comité de surveillance de la violence contre les femmes, l’adoption du Plan d’action national de lutte contre la violence à l’égard des femmes dans la famille, ainsi que plusieurs programmes de sensibilisation et de formation. Il note que l’État partie met au point un nouveau plan d’action contre la violence à l’égard des femmes. Toutefois, le Comité est préoccupé par la persistance des cas de violence à l’égard des femmes, notamment de violence familiale, qui touche 39 % des femmes vivant sur le territoire de l’État partie. Il note l’existence de la loi no 4320 relative à la protection de la famille tout en constatant qu’il n’existe pas de législation générale sur la violence à l’égard des femmes. Le Comité constate également qu’il existe un nombre limité de centres d’accueil dans l’État partie (57) et craint que ces centres ne disposent pas des installations et des ressources nécessaires.
22. Le Comité demande instamment à l’État partie de continuer de s’occuper en priorité d’adopter toutes les mesures voulues pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, en application de la recommandation générale no 19 du Comité. Il demande à l’État partie d’évaluer et de renforcer sa loi no 4320 pour pouvoir promulguer une législation générale s’appliquant à toutes les formes de violences à l’égard des femmes, notamment la violence familiale, et de veiller à ce que ladite législation interdise la violence à l’égard des femmes sous toutes ses formes, de faire en sorte que les femmes et les filles qui sont victimes de violences bénéficient sans délai de moyens de recours et de protection tels que des mesures conservatoires et que les auteurs de violences fassent l’objet de poursuites et de sanctions. Dans l’esprit de ses observations finales précédentes (2005), le Comité recommande à l’État partie de développer les activités et les programmes de formation des représentants des pouvoirs publics et de l’appareil judiciaire, des agents des forces de l’ordre et des prestataires de soins de santé, afin qu’ils puissent répondre à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et les combattre tout en offrant aux victimes un soutien approprié. Il recommande également la poursuite des campagnes de sensibilisation du public à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles. Le Comité recommande en outre à l’État partie de mettre en place des services supplémentaires de soutien psychologique et d’autres services d’accompagnement des victimes de violences, notamment de nouveaux centres d’accueil, et de veiller à ce que les ressources allouées permettent de prendre les mesures nécessaires. Il demande à l’État partie de renforcer ses liens de coopération avec les organisations non gouvernementales qui luttent contre la violence à l’égard des femmes.
(...) »
67. Le 9 décembre 2014, la CEDAW publia le septième rapport périodique de la Turquie, préparé par la Direction générale sur le statut des femmes et le Ministère de la famille et des politiques sociales (KSGM). Ce rapport énonce, en ses passages pertinents en l’espèce :
« (...)
8. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), que la Turquie a été la première à ratifier en 2012, adopte le principe de non-discrimination fondée sur le sexe.
9. La loi no 6284 sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et la protection de la famille, basée sur la Convention d’Istanbul et entrée en vigueur en 2012, couvre l’ensemble des femmes, des enfants et autres membres de la famille, ainsi que les victimes de harcèlement persistant.
(...)
25. Le Plan d’action national pour l’égalité des sexes (2008-2013) et le Plan d’action national pour la lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes (2007-2010) ont été mis en œuvre pour transposer dans la pratique la législation actuelle et mobiliser les institutions et agences concernées afin qu’elles remplissent leur mission pour parvenir à l’égalité des sexes. Le Plan d’action national pour la lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes a été actualisé et mis en œuvre pour les années 2012 et 2015 (...).
(...)
29. Le Ministère de la famille et des politiques sociales a engagé des travaux juridiques afin de combattre la violence à l’égard des femmes et a préparé à cet effet la loi no 6284 sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et la protection de la famille (...). Cette loi, approuvée à l’unanimité par l’Assemblée générale de la Grande Assemblée nationale de Turquie le 8 mars 2012, est entrée en vigueur le 20 mars de cette même année.
30. La loi élargit le concept de violence sexiste et définit ceux de « violence », « violence domestique » et « violence à l’égard des femmes » de manière à y intégrer les actes de violence physique, verbale, sexuelle, économique et psychologique. Des mesures de prévention et de protection concernant les victimes, les auteurs de violence et les auteurs potentiels sont détaillées dans la loi. Les pouvoirs locaux et les autorités responsables de l’application des lois sont également habilités à promulguer des ordonnances conservatoires en accord avec les juges aux affaires familiales, dans les limites des dispositions légales. Cette approche permet l’adoption de mesures de prévention et de protection même durant les week-ends et les vacances. La loi garantit également la confidentialité et la sécurité des victimes et prévoit, en cas de besoin, d’accompagner l’ordonnance conservatoire de la dissimulation, sur demande ou ex officio et dans l’ensemble des documents officiels, de toute information ou détail qui permettrait d’identifier les personnes ou les autres membres de la famille sous protection. La loi établit par ailleurs les sanctions à imposer aux auteurs de violence, de manière à renforcer l’efficacité et le pouvoir dissuasif des ordonnances conservatoires dans l’hypothèse où l’auteur y contreviendrait. Dans ce contexte, la loi prévoit la condamnation de l’auteur à une contrainte par corps de trois à dix jours et de 15 à 30 jours pour chaque récidive. La loi énonce également la mise en place de centres de prévention et de suivi de la violence (ŞÖNİM), qui dispensent des services et un soutien et contrôlent activement le respect des ordonnances de protection et de prévention. Il est prévu dans les dispositions de la loi que les ordonnances conservatoires peuvent donner lieu à des poursuites en recourant à des outils et méthodes techniques sur la base d’une décision de justice (...).
(...)
32. Tenant compte des préoccupations soulignées au paragraphe 23 des Observations finales, le nombre de centres d’accueil publics, qui était de 43 durant la période couverte par le sixième rapport, est passé à 48, pour une capacité totale de 1 014 places en 2011 (...) Actuellement, il existe près de 129 centres d’accueil pour les femmes, d’une capacité totale de 3 365 personnes (...). Seules cinq provinces ne disposent pas de centres d’accueil, et les autorités ont redoublé d’efforts pour combler cette lacune. En mai 2014, 39 352 personnes, dont 26 980 femmes et 12 372 enfants, ont bénéficié des centres d’accueil rattachés au ministère.
(...)
35. Dans le cadre de la loi no 6284, en date de mai 2014, 31 828 ordonnances de protection et 198 961 ordonnances préventives avaient été promulguées, ainsi que 3 231 peines de contrainte par corps.
(...)
38. Un nombre croissant de programmes de formation, proposés à tous les segments de la société et notamment aux prestataires de services et aux décideurs politiques, traitent de l’intégration d’une démarche soucieuse d’égalité entre les sexes, transposant le cadre juridique existant dans la pratique pour prévenir la violence à l’égard des femmes et modifier les attitudes et mentalités (...).
(...)
49. Le Plan d’action national de lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes a été mis en œuvre entre 2007 et 2010. Des réunions périodiques permettent de contrôler l’application des mesures définies dans ce plan d’action. Ce dernier a été actualisé avec la participation et les contributions des institutions et organisations publiques pertinentes, d’ONG et de centres universitaires de recherche sur les femmes. Le Plan d’action de lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes 2012-2015 est entré en vigueur le 10 juillet 2012. La phase de mise en œuvre du plan d’action se poursuit et fait l’objet de réunions d’évaluation et de suivi semestrielles.
(...)
53. L’enquête nationale sur la violence domestique à l’égard des femmes en Turquie (2008) est la plus exhaustive de toutes celles menées à l’échelon national à ce jour, en termes de détermination de la prévalence de ces violences, de leurs formes, causes et conséquences ainsi que des facteurs de risque (...). L’actualisation de l’enquête a démarré en 2013 et les résultats devraient en principe être publiés fin 2014.
(...)
55. Une analyse d’impact sera menée en 2014 afin de déterminer le niveau de mise en œuvre des dispositions de la loi no 6284 et l’importance des ordonnances de prévention et de protection promulguées dans le cadre de cette loi pour prévenir les violences à l’égard des femmes.
(...). »
68. Le résumé du contre-rapport préparé pour la 64e pré-session du groupe de travail de la CEDAW (2015), soumis par le comité exécutif pour le forum des ONG à la CEDAW énonce notamment :
« (...)
5. Violence
(...)
Therefore, despite having ratified the Council of Europe Convention on preventing and combating violence against women and domestic violence in 2011, (almost) all legal regulations concerning gender – and the way in which they are applied – are developed in order to protect the family as an institution, rather than women. As a result of this approach, the problem of violence against women has been much more protracted and the number of women murdered has increased significantly since 2002 (...). According to the official information provided by the Minister of Justice in 2009, murders of women increased by 1,400% during the period 2002-2009, and no data has been disclosed to the public containing statistics after that period. Despite the fact that there is a lack of official data on instances of violence against women throughout the last 5 years, the number of incidents is estimated to be far higher. According to the statistics collected between 2010-2014 by the Bianet, an independent communication network, 1134 women were murdered, 735 women were raped, 986 women were sexually assaulted and 1395 women were wounded.
(...)
In respect of protection measures for victims of gender-based violence, both the number of women’s shelters and the support services provided to women subjected to violence are extremely inadequate. This also contributes to the continuing cycle of violence.
(...). »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
69. La requérante allègue que les autorités internes n’ont pas protégé la vie de sa fille. Elle argue notamment que les instances nationales ne veillèrent pas à ce que les ordonnances adoptées par le tribunal de la famille contre le mari de sa fille fussent dûment respectées. Elle reproche en outre aux instances nationales de n’avoir pas mené une enquête suffisante et effective, malgré les plaintes de sa fille, et de ne l’avoir pas protégée. Elle invoque un manquement aux obligations positives de l’article 2 de la Convention et une violation de l’article 3 de la Convention à l’appui de ses griefs.
70. La requérante allègue de plus que sa fille n’a pas bénéficié d’une procédure équitable. À cet égard, elle argue que dans le cadre de contentieux portant sur des violences domestiques, la protection de la victime est essentielle à une procédure équitable. Elle invoque l’article 6 de la Convention à l’appui de ses dires.
71. Enfin, la requérante se plaint de l’absence de voies de recours effectives en droit interne susceptibles de protéger sa fille. À cet égard, elle argue que la plainte déposée après la mort de sa fille pour éveiller l’attention sur la responsabilité des fonctionnaires a abouti à un non-lieu à poursuivre. Elle invoque l’article 13 de la Convention à cet égard.
72. La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examiné d’office des griefs sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqué les parties. Un grief se caractérise en effet par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 43, CEDH 2012). Eu égard aux circonstances dénoncées par la requérante et à la formulation de ses griefs, la Cour examinera ces derniers sous l’angle de l’article 2 de la Convention, dans ses aspects matériel et procédural, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. »
A. Sur la recevabilité
73. Selon le Gouvernement, à supposer même que la requérante puisse être considérée comme ayant épuisé les voies de recours internes, la présente requête a été introduite en dehors du délai de six mois. À cet égard, il expose que trois ordonnances furent adoptées en vertu de la loi no 4320, qui demeurèrent inefficaces à assurer une protection (Opuz précité, § 195). Malgré tout, la requérante aurait attendu un long moment avant de saisir la Cour.
74. Le Gouvernement souligne en outre que la requérante était représentée par un avocat lors de la procédure initiée contre les fonctionnaires. Son avocat aurait dû connaître la nature des injonctions en cause, leur inefficacité à offrir une protection ainsi que le délai à respecter pour saisir la Cour. La requérante aurait dû prendre conscience, à un stade antérieur, que les ordonnances adoptées au titre de la loi no 4320 n’étaient pas en mesure d’assurer une protection suffisante et qu’il y avait un problème sérieux dans l’application de la loi. Elle aurait donc dû saisir la Cour, au plus tard, à compter de la date à laquelle sa fille est décédée. À l’appui de ses dires, le Gouvernement cite les affaires Er et autres c. Turquie (no 23016/04, § 52, 31 juillet 2012) et Çiçek et autres c. Turquie (no 28883/05, § 54, 26 mars 2013).
75. La requérante s’oppose aux arguments du Gouvernement. Selon elle, malgré les nombreuses requêtes déposées par sa fille auprès des instances judiciaires, aucune mesure efficace ne fut prise par les autorités internes de sorte qu’en sus de S.B., des fonctionnaires sont également responsables de sa mort. La requérante dit avoir d’abord cherché à obtenir justice en droit interne, mais en vain, la plainte déposée auprès du procureur de la République ayant abouti à un non-lieu à poursuivre. Elle précise avoir saisi la cour d’assises d’un recours contre ce non-lieu, lequel fut cependant rejeté par une décision du 4 avril 2011, notifiée le 17 juin 2011. Elle dit avoir introduit sa requête devant la Cour le 5 août 2011, soit dans le respect du délai de six mois. Elle argue que si elle avait introduit sa requête sans attendre l’issue de cette procédure, elle se serait heurtée à l’argument du non-épuisement des voies de recours internes.
76. Selon la requérante, l’appréciation négative portée par le Gouvernement sur le fait qu’elle ait d’abord cherché à obtenir justice en droit interne, constitue une reconnaissance implicite de l’absence de recours effectif en ce qui concerne les faits qui font l’objet de la présente requête.
77. La Cour rappelle qu’en règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes. Toutefois, lorsqu’il est clair d’emblée que le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois prend naissance à la date des actes ou mesures dénoncés ou à la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice. En outre, l’article 35 § 1 ne saurait être interprété d’une manière qui exigerait qu’un requérant saisisse la Cour de son grief avant que la situation relative à la question en jeu n’ait fait l’objet d’une décision définitive au niveau interne (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 157, CEDH 2009).
78. En l’espèce, la requérante a saisi les instances nationales d’une plainte aux fins que fussent identifiés et poursuivis pour leurs manquements, les fonctionnaires qui, selon elle, ne prirent pas les mesures nécessaires pour assurer la protection de sa fille. La procédure qu’elle a ainsi initiée prit fin avec la décision de la cour d’assises du 4 avril 2011 (paragraphe 56 ci-dessus). À cet égard, la Cour estime que la requérante a fait un essai loyal des voies de recours disponibles en droit interne pour tenter d’obtenir l’établissement des responsabilités en cause dans le décès de sa fille. On ne saurait le lui reprocher. Dès lors, la présente requête ayant été introduite le 5 août 2011, soit dans le délai de six mois à compter de la décision de la cour d’assises susmentionnée, il convient de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.
79. Constatant par ailleurs que le grief de la requérante n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments de la requérante
80. La requérante argue que sa fille a déposé plainte à de multiples reprises pour dénoncer les violences dont ses enfants et elle-même étaient victimes. Elle dit que lors de sa première déposition du 24 juillet 2008 (paragraphe 11 ci-dessus), sa fille indiqua que son mari souffrait d’un problème de santé mentale. Malgré ses dires, aucune recherche n’aurait été menée pour vérifier son état psychologique. Selon la requérante, il ressortait clairement de cette déposition que sa fille craignait pour sa vie et pour celle de ses enfants.
81. La requérante reproche en outre au procureur de la République qui avait recueilli la déposition de sa fille, d’avoir demandé à ce qu’elle soit à nouveau entendue au commissariat de police ce, avec un jour d’intervalle de l’audition de son gendre. Elle considère qu’il s’agissait là d’une invitation au meurtre. À cet égard, elle argue que la mention de son adresse sur les procès-verbaux dénote un manque de sérieux des instances nationales.
82. Selon la requérante, le Gouvernement n’a pas exposé quelles mesures concrètes avaient été prises pour protéger la vie de sa fille. Si, comme il le soutient (paragraphe 89 ci-après), le fait qu’elle ait eu sept enfants n’était pas un obstacle à son admission dans un refuge, la requérante ne comprend pas l’inaction du procureur qui n’aurait pas avisé sa fille de cette possibilité ni orienté vers un tel refuge. La requérante décrit en outre l’agression dont sa fille fut victime le 8 octobre 2008 (paragraphe 30 ci-dessus) et demande pourquoi, face à la gravité des faits et alors même que son gendre avait continué à menacer sa fille au sein du commissariat, il n’avait pas été placé en détention.
83. La requérante argue qu’il existe une tolérance en Turquie face à la violence. Ainsi, dans la majorité des cas, les peines prononcées pour des faits de violences à l’égard des femmes seraient commuées en amendes et suspendues.
84. La requérante souligne en outre qu’entre la première plainte déposée par sa fille et son décès, trois mois et demi s’écoulèrent durant lesquels elle saisit cinq fois les instances nationales (y inclus par le biais d’une procédure en divorce). Chaque fois, elle déclara être menacée de mort par son mari, que ses enfants et elle étaient victimes de violences et demanda à bénéficier de mesures de protection. Si trois ordonnances restrictives furent adoptées par le tribunal de la famille, celles-ci furent, selon la requérante, de pure forme et leur respect ne fut pas vérifié. À cet égard, la requérante précise que la première ordonnance du 18 juillet 2008 avait une validité de six mois : à la date à laquelle sa fille a été tuée cette première ordonnance était donc encore valable. Dès lors, selon elle, au lieu d’adopter d’autres ordonnances restrictives à l’encontre de son gendre, il eût fallu le placer en détention pour ne pas avoir respecté la première. La requérante reproche aux instances nationales de n’avoir jamais détenu S.B. malgré la gravité des faits qui lui étaient reprochés et son manquement, à plusieurs reprises, aux injonctions qui lui avaient été faites. Elle soutient que si tel avait été le cas, si des sanctions appropriées à son encontre avaient été prises et si sa fille avait bénéficié de mesures de protection adaptées, elle serait toujours en vie. Pour elle, il est impossible que les autorités internes n’aient pas relevé « le profil dangereux » de S.B.
85. La requérante affirme par ailleurs que l’existence d’une loi ne suffit pas en soi à protéger les femmes. Encore faut-il, selon elle, que les mesures de protection soient adoptées en urgence et exécutées de manière effective. Or, très souvent les décisions prises par les tribunaux resteraient lettre morte. Ainsi, malgré la gravité de la violence à laquelle sa fille fut confrontée, elle n’aurait pas été prise au sérieux.
86. La requérante reproche au procureur de la République de n’avoir pas exercé les compétences que lui conférait la loi no 4320. Selon elle, rien ne fut mis en œuvre pour veiller au respect des trois ordonnances adoptées en vertu de cette loi. Ce que sa fille a vécu illustre, selon la requérante, que la violence à l’égard des femmes ne devient visible que lorsqu’elle aboutit à la mort. À cet égard, elle argue que les instances nationales compétentes n’ont pris aucune mesure effective pour protéger sa fille, de sorte que les fonctionnaires publics sont tout aussi responsables de sa mort que son gendre. Elle précise que la procédure qu’elle a voulu mener à leur encontre n’a pas abouti. Elle dit n’avoir connaissance d’aucun cas où la responsabilité des fonctionnaires auraient été mises en cause dans des cas similaires.
2. Arguments du Gouvernement
87. Après avoir énoncé les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement se dit désolé de la mort de la fille de la requérante et déclare être bien informé de la jurisprudence de la Cour quant aux violences domestiques.
88. Cela étant, le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur les points suivants : Fatma Babatlı et S.B. avaient des problèmes dans leur relation de couple depuis le début de celle-ci mais la fille de la requérante ne porta pas plainte avant le 16 juillet 2008. Ensuite, après chacune de ses plaintes, les autorités nationales auraient pris des actions immédiates et procédé à de multiples actes d’investigations (tels que recueillir sa déposition ainsi que celle du suspect et des témoins et obtenir des rapports médico-légaux) pour vérifier si ces plaintes étaient justifiées. Le tribunal de la famille aurait en outre adopté une ordonnance, en vertu de la loi no 4320, enjoignant à S.B. de quitter le domicile commun, de s’abstenir de tout comportement violent ou effrayant vis-à-vis de son épouse et de ne pas la déranger par le biais de communications. Le Gouvernement souligne qu’après la plainte du 16 juillet 2008 (paragraphe 7 ci-dessus), le procureur de la République initia des poursuites pénales pour blessure et B.B. fut par ailleurs condamné suite à la plainte du 26 juillet 2008 (paragraphe 28 ci-dessus).
89. Le Gouvernement soutient que les conditions d’admission dans un refuge pour femmes sont énoncées à l’article 9 du règlement relatif aux services sociaux et aux maisons d’hôtes pour femmes. La circonstance que la défunte ait eu sept enfants n’était pas, selon lui, un obstacle à son admission dans un refuge. Le Gouvernement soutient que F.B. n’a fait aucune demande pour être admise dans un refuge.
90. Enfin, selon le Gouvernement, rien ne permet de dire que le meurtre n’aurait pas eu lieu si les autorités avaient agi différemment.
3. Appréciation de la Cour
91. La Cour rappelle les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de violences domestiques tels qu’énoncés dans l’affaire Opuz précitée (§ 159 avec les références jurisprudentielles y mentionnées). Elle examinera la présente affaire à la lumière de ces principes.
92. À cet égard, elle réitère que les enfants et autres personnes vulnérables en particulier, dont font partie les victimes de violences domestiques, ont droit à la protection de l’État, sous la forme d’une prévention efficace, les mettant à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l’intégrité de la personne (Opuz précité, § 159). Elle rappelle en outre que les obligations positives énoncées à la première phrase de l’article 2 de la Convention impliquent également l’obligation de mettre en place un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du meurtre d’un individu et de punir les coupables. Le but essentiel de pareille enquête est d’assurer la mise en œuvre effective des dispositions de droit interne qui protègent le droit à la vie et, lorsque le comportement d’agents ou autorités de l’État pourrait être mis en cause, de veiller à ce que ceux-ci répondent des décès survenus sous leur responsabilité. Une exigence de promptitude et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte (ibidem, §§ 150-151).
93. En l’espèce, la Cour relève que la fille de la requérante saisit le procureur de la République d’une première plainte et dénonça les violences infligées par son mari le 16 juillet 2008 (paragraphe 7 ci-dessus). À cette occasion, elle fit part des craintes qu’elle éprouvait pour sa vie. Il convient dès lors d’apprécier le comportement des autorités internes à compter de cette date.
94. Au vu des pièces du dossier et des informations fournies par les parties, la Cour observe que la fille de la requérante saisit, à quatre reprises, les autorités internes pour se plaindre des violences infligées par son mari et des menaces proférées à son encontre (paragraphes 7, 20, 32 et 41-42 ci-dessus). Chaque fois, elle déclara craindre pour sa vie et celle de ses enfants. Elle demanda en outre plusieurs fois à être protégée. Ces faits de violences se trouvaient par ailleurs étayés par des rapports médico-légaux et des témoignages (paragraphes 9, 12-13, 21 et 33 ci-dessus).
95. Certes, en réponse aux plaintes de Fatma Babatlı, le procureur de la République saisit le tribunal de la famille afin que celui-ci ordonne des mesures de protection. Trois ordonnances de protection et d’injonctions furent ainsi adoptées. Pour autant, la Cour observe qu’elles se révélèrent totalement inefficaces à assurer une quelconque protection à la fille de la requérante.
96. En effet, alors même que dans le contexte des violences domestiques, des mesures de protection sont en principe destinées à réagir au plus vite à une situation de danger, la Cour relève tout d’abord qu’il aura fallu attendre dix-neuf jours pour que la première ordonnance du tribunal de la famille soit notifiée à S.B. (paragraphe 15 ci-dessus) et huit semaines s’agissant de la seconde (paragraphe 25 ci-dessus). De tels délais ne pouvaient que priver la requérante du bénéfice d’une protection immédiate, alors même que la situation le requérait, et par là-même ces ordonnances de leur efficacité. Il suffit à cet égard de constater qu’entre la date à laquelle la première ordonnance du tribunal de la famille a été adoptée et sa notification, Fatma Babatlı a été à nouveau victime d’un acte de violence de son mari (paragraphe 20 ci-dessus et, pour un descriptif des retards excessifs en matière de notification des injonctions judiciaires, voir les rapports des ONG tels qu’exposés dans l’arrêt Opuz, précité, §§ 92-93 et 196).
97. La Cour considère ensuite que l’efficacité des mesures de protection ne pouvait être garantie que par des mécanismes de contrôles appropriés. Or, si la loi no 4320 confiait cette mission au procureur de la République, la Cour observe qu’il aura fallu attendre le 8 octobre 2008 et l’interpellation policière de S.B. en possession de deux couteaux pour que le procureur ordonne son placement en garde à vue (paragraphe 29 ci-dessus). En outre, alors même que la dangerosité de S.B. était clairement établie, le tribunal correctionnel a refusé de faire droit à la demande de placement en détention provisoire du procureur de la République (paragraphe 38 ci-dessus). Ce faisant, il ne procéda à aucune appréciation des risques encourues par la fille de la requérante, y compris du risque de létalité ou de nouvelles agressions dont elle était susceptible de faire l’objet. S.B. fut donc libéré sans qu’aucune mesure d’ordre pratique ne fût prise pour préserver la vie de Fatma Babatlı et ce, alors qu’il était désormais avéré que les ordonnances du tribunal de la famille étaient dépourvues de tout effet dissuasif à l’endroit de S.B.
98. De surcroît, bien que la loi no 4320 telle qu’en vigueur à l’époque des faits (paragraphe 57 ci-dessus) ait prévu que le non-respect des mesures d’injonction puisse être sanctionné par une peine privative de liberté, S.B. ne fut jamais effectivement poursuivi de ce chef.
99. Au vu de tout ce qui précède, la Cour estime qu’en ne sanctionnant pas les manquements de S.B. aux injonctions qui lui avaient été faites, les instances nationales ont privé de toute efficacité celles-ci, créant un contexte d’impunité tel qu’il a pu réitérer, sans être inquiété, ses violences à l’encontre de sa femme.
100. La Cour note les versions divergentes des parties quant à la possibilité qu’aurait eue la défunte de se réfugier dans un foyer avec ses sept enfants. À cet égard, elle ne peut que constater le faible nombre de foyers pour femmes disponibles en Turquie à l’époque des faits (paragraphes 60, 61 et 67). En outre, si comme le soutient le Gouvernement (paragraphe 89 ci-dessus), il existait des structures adaptées qui avaient pu accueillir la défunte et ses enfants, la Cour observe que ni le procureur de la République ni les officiers de police auxquels la fille de la requérante fit part des raisons pour lesquelles elle ne pouvait se rendre dans un foyer (paragraphes 11 et 32 ci-dessus), ne cherchèrent à la détromper ou à l’orienter vers une structure adaptée à ses besoins. Pour la Cour, il incombait pourtant aux instances nationales de tenir compte de la situation de précarité et de vulnérabilité particulière, morale, physique et matérielle, dans laquelle se trouvait la fille de la requérante et d’apprécier la situation en conséquence, en lui offrant un accompagnement approprié. Tel ne fut cependant pas le cas en l’espèce.
101. Enfin, quant au grief de la requérante selon lequel la responsabilité pénale des agents publics dans le décès de sa fille ne fut pas établie, la Cour estime utile de rappeler la nature des griefs de la requérante sous l’angle substantiel de l’article 2 de la Convention ainsi que les constats auxquels elle est parvenue à cet égard (paragraphes 96-100 ci-dessus). Ces constats impliquent que les procédures internes étaient insuffisantes pour satisfaire aux exigences de l’article 2 de la Convention.
102. L’ensemble de ces éléments suffit à la Cour pour conclure à la violation de l’article 2 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 2
103. La requérante allègue que les circonstances dénoncées sous l’angle de l’article 2 de la Convention sont dues au fait que sa fille était une femme. Elle argue que son gendre ne fut pas arrêté parce qu’était en cause des violences domestiques. Elle invoque l’article 14 de la Convention, lequel dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
104. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
A. Arguments des parties
1. Arguments de la requérante
105. La requérante allègue que si des réformes législatives ont été adoptées aux fins de lutter contre la discrimination et la violence à l’égard des femmes, celles-ci restent, pour une grande part, purement textuelles. À cet égard, elle cite, entre autres documents, un contre-rapport soumis en 2010 au comité de la CEDAW par des ONG, le rapport de la CEDAW de 2012 ainsi que le rapport de l’ONG Human Rights Watch de 2011 portant sur la violence familiale en Turquie et l’accès à la protection. Au vu des constats opérés dans ce dernier rapport, elle fait valoir que les acteurs étatiques censés lutter contre la violence à l’égard des femmes, à savoir les policiers, les juges et les procureurs, considèrent que cette tâche ne leur incombe pas mais qu’est en cause une question devant être traitée au sein de la famille.
106. La requérante argue en outre une discrimination dans l’application des lois. En effet, les instances judiciaires et administratives se comporteraient de manière insuffisante en ce qui concerne le traitement des plaintes déposées par les femmes. Elles seraient réticentes à les traiter, en particulier lorsque ces plaintes mettraient en cause les relations familiales. Elle soutient par ailleurs que la loi est interprétée de manière restrictive aux dépens des femmes.
107. La requérante critique l’intitulé de la loi no 4320 qui viserait « la protection de la famille », la suppression en 2011 du ministère relatif aux questions pour les femmes et son remplacement par un ministère de la famille et des politiques sociales ainsi que l’absence de statistiques concernant la violence à l’égard des femmes. La requérante interroge l’existence d’un changement au niveau des statistiques après l’affaire Opuz et estime quant à elle que la violence à l’égard des femmes aurait encore augmenté. À cet égard, elle cite des chiffres contradictoires qui auraient été avancés par le ministère de la justice et le ministère de la famille quant au nombre de femmes décédées par suite de violences. Elle soutient que selon les chiffres du ministère de la justice, entre 2002 et 2009, la violence contre les femmes aurait augmenté 1400 fois. Elle avance en outre les chiffres suivant du ministère de la famille : 171 femmes seraient mortes par suite de violences en 2009, 177 en 2010, 163 en 2011 et 155 en 2012. Elle reproche au Gouvernement de ne pas disposer de données statistiques fiables.
108. Selon la requérante, les faits de violence à l’égard des femmes sont envisagés comme des blessures simples, pris à la légère et les peines infligées sont commuées en amende et assorties de sursis. L’assistance d’un avocat ne serait toujours pas requise lors du dépôt de plainte, de sorte que les femmes se retrouveraient seules. Rien ne serait mis en œuvre pour protéger les femmes des violences domestiques et pour préserver leur vie. Le nombre de refuges pour femmes serait insuffisant et le Gouvernement ne ferait rien pour augmenter celui-ci. Rien ne serait non plus mis en œuvre pour aider économiquement et socialement les femmes victimes de violences domestiques. Il n’y aurait toujours pas, au sein de la police, de brigade spécialisée dans le traitement des questions de violences contre les femmes. Les lois auraient certes changé mais pas les mentalités des fonctionnaires et des juges.
2. Arguments du Gouvernement
109. Après avoir cité la jurisprudence de la Cour (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 63, CEDH 2008 et Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 12, CEDH 2008), le Gouvernement argue que la Cour doit avoir égard – lors de l’examen de la définition et du champ de la discrimination contre les femmes – aux dispositions d’instruments légaux plus spécialisés et aux décisions des organes internationaux sur la question des violences à l’égard des femmes. Ce faisant, le Gouvernement cite la définition de la discrimination telle qu’elle figure à l’article 1 de la CEDAW.
110. Le Gouvernement dit en outre être informé de la jurisprudence de la Cour sur la question de la discrimination dans le contexte des violences domestiques. Dans le but d’éliminer les carences dans la loi et la pratique, des réformes auraient été adoptées aux fins de prévenir les violences contre les femmes. Le 4 mai 2007, la loi no 5636 entra en vigueur et le 1er mars 2008 ce fut le règlement relatif à l’exécution de la loi sur la protection de la famille. Le Gouvernement précise toutefois que malgré les efforts fournis, des problèmes persistaient dans la pratique de sorte que des études furent menées aux fins d’introduire une nouvelle loi, plus compréhensible et à même d’éliminer ces problèmes. Ainsi, le 20 mars 2012, la loi no 6284 entra en vigueur. Le Gouvernement cite les mesures introduites par cette loi pour une protection plus effective des femmes et joint en outre à ses observations une note d’information détaillant celles-ci.
111. Le Gouvernement rappelle que la Turquie a par ailleurs ratifié la Convention d’Istanbul. Il ajoute qu’une circulaire no 2012/13 est entrée en vigueur pour assurer l’application effective de la loi et qu’un décret-loi relatif à l’ouverture et la gestion des maisons d’hôtes pour femmes est également entré en vigueur. En sus, de nombreuses formations auraient été délivrées et des activités de sensibilisation auraient été menées. Le Gouvernement soutient avoir ainsi effectivement satisfait à ses obligations au regard des articles 2, 13 et 14 de la Convention. Si, par le passé, des défaillances existaient dans la pratique, de nombreuses mesures légales et pratiques protectrices et non discriminatoires auraient été adoptées depuis.
B. Appréciation de la Cour
112. La Cour souligne tout d’abord que selon sa jurisprudence bien établie, la discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, §§ 175-180, CEDH 2007‑IV). Elle rappelle également avoir admis que pouvait être considérée comme discriminatoire une politique ou une mesure générale qui avait des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes, même si elle ne visait pas spécifiquement ce groupe. En ce qui concerne la charge de la preuve en la matière, la Cour a déjà statué que, quand un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (ibidem).
113. La Cour réitère ensuite que pour définir la discrimination contre les femmes et en délimiter la portée, elle doit tenir compte non seulement de l’interprétation générale qu’elle a donnée à la notion de discrimination dans sa jurisprudence mais aussi aux dispositions des instruments juridiques spécialisés en matière de violence contre les femmes (Opuz précité, § 185). À cet égard, elle rappelle avoir déjà constaté que le manquement – même involontaire – des États à leur obligation de protéger les femmes contre la violence domestique s’analyse en une violation du droit de celles-ci à une égale protection de la loi (ibidem § 181).
114. La Cour souligne en outre que l’article 3 de la Convention d’Istanbul estime que le « terme ‘‘violence à l’égard des femmes’’ doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes » (droit international pertinent, paragraphe 64 ci-dessus).
115. Dans l’affaire Opuz (précité, § 198), la Cour avait constaté que la violence domestique touchait principalement les femmes et que la passivité généralisée et discriminatoire de la justice turque créait un climat propice à cette violence. Depuis cette affaire, de nombreuses initiatives tant législatives que politiques destinées à lutter contre la violence à l’égard des femmes furent menées en Turquie (pour le détail des réformes intervenues depuis l’arrêt Opuz voir paragraphes 58, 62 et 67 ci-dessus). Notamment, la loi no 6284 fut adoptée (paragraphe 58 ci-dessus) et la Convention d’Istanbul fut ratifiée (paragraphe 64 ci-dessus).
116. Cela constaté, la Cour estime utile de souligner que les circonstances de la présente affaire s’inscrivent dans une période antérieure aux réformes dont le Gouvernement se prévaut (paragraphes 110-111 ci-dessus). Il ne lui appartient donc aucunement, dans les circonstances de la présente affaire, de se prononcer sur celles-ci mais uniquement d’apprécier le contexte juridique et factuel existant au moment où la fille de la requérante fut tuée, c’est-à-dire au moment où la loi no 4320 était en vigueur.
117. À cet égard, la Cour estime, qu’en se référant aux rapports de l’ONG Human Rights Watch et de la CEDAW, et en avançant des chiffres quant au nombre de femmes ayant perdu la vie par suite de violences (paragraphes 105 et 107 ci-dessus), la requérante a soumis un commencement de preuve établissant qu’à l’époque litigieuse les femmes ne bénéficiaient pas d’une protection effective contre les violences.
118. La Cour a elle-même pu constater, au vu de ces rapports et des données statistiques contenues dans les rapports de l’université Hacettepe et du ministère de la famille et des politiques sociales (paragraphes 61 et 62 ci-dessus), l’étendue et la persistance de la violence à l’égard des femmes, notamment de la violence domestique, dans la société turque. Elle a également pu relever que le nombre de refuges pour femmes, à l’époque litigieuse, était considéré comme insuffisant (paragraphes 60, 61 et 67 ci-dessus).
119. Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour observe que la fille de la requérante a été victime de violences et de menaces de mort de la part de son mari à de multiples occasions et que les autorités internes étaient informées de celles-ci. Elle rappelle à cet égard les constats auxquels elle est parvenue quant au manquement des autorités internes à lui assurer une protection effective et au contexte d’impunité dans lequel se trouvait son mari (paragraphes 96-100 ci-dessus).
120. Pour la Cour, ce contexte reflète un déni certain de la part des instances nationales quant à la gravité des faits de violences domestiques, pourtant particulièrement préoccupants, et quant à la vulnérabilité particulière des victimes de ces violences. En fermant régulièrement les yeux sur la réitération des actes de violences et des menaces de mort dont la fille de la requérante était victime, les autorités internes ont créé un climat propice à cette violence. Or, la Cour juge inacceptable que la défunte ait été laissée démunie et sans protection face à la violence de son mari.
121. Ainsi, bien que les faits dénoncés par la requérante s’inscrivent dans une période postérieure à l’affaire Opuz, la Cour estime que le constat auquel elle était alors parvenue (paragraphe 115 ci-dessus) reste valable dans les circonstances de la présente affaire.
122. Elle conclut en conséquence à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
123. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
124. La requérante réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.
125. Le Gouvernement s’oppose à cette demande.
126. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 65 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
127. La requérante demande également 17 600 livres turques (TRY) au titre des honoraires d’avocat et 206 TRY au titre des frais. Son avocat évalue à 44 heures le temps de travail consacré au dossier de l’affaire, rémunéré à hauteur de 400 TRY par heure. Il soumet à titre de justificatif un tableau d’honoraires de référence des avocats.
128. Le Gouvernement s’oppose à ces réclamations, arguant que les sommes réclamées sont excessives au regard de procédures similaires et que la requérante n’a pas soumis de documents attestant de leur paiement.
129. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour souligne que la requérante a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire. Elle estime que la somme de 850 EUR perçue à ce titre est suffisante pour la procédure devant la Cour et rejette donc la demande de la requérante au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
130. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 65 000 EUR (soixante-cinq mille euros), pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley NaismithJulia Laffranque
GreffierPrésidente