CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE L.D. et P.K. c. BULGARIE
(Requêtes nos 7949/11 et 45522/13)
ARRÊT
STRASBOURG
8 décembre 2016
DÉFINITIF
08/03/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire L.D. et P.K. c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 novembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 7949/11 et 45522/13) dirigées contre la République de Bulgarie et dont deux ressortissants de cet État, M. L.D. et M. P.K. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 5 janvier 2011 et le 4 juillet 2013 respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). En vertu de l’article 47 § 3 du règlement de la Cour, la présidente de la section a décidé d’office la non‑divulgation de l’identité des requérants.
2. Le premier requérant, M. L.D., est représenté par Mes M. Ekimdzhiev et K. Boncheva, avocats à Plovdiv, et Me P. Borisov, avocat à Pernik. Le deuxième requérant, M. P.K., est représenté par Me G. Ganeva, avocate à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.
3. Les requérants se plaignent de l’impossibilité, en droit bulgare, de contester la reconnaissance de paternité effectuée par un tiers et d’établir leur propre paternité pour des enfants dont ils prétendent être les pères biologiques.
4. Le 12 février 2014, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le premier requérant est né en 1963 et réside à Sofia. Le deuxième requérant est né en 1979 et réside à Mezdra.
A. La requête no 7949/11
6. Entre 2007 et 2010, le premier requérant entretenait une relation avec une jeune femme, I. En janvier 2010, I. tomba enceinte. Hésitant d’abord à garder l’enfant, elle déclara en avril 2010 qu’elle souhaitait avorter. Cela ne fut cependant pas possible, les délais prévus par la loi étant dépassés. Aux dires du premier requérant, pendant toute la durée de la grossesse, tout laissait penser qu’il était le père de l’enfant : il aurait subvenu aux dépenses liées à la grossesse, aurait réalisé des travaux dans son appartement en vue d’accueillir l’enfant et se serait mis à la recherche d’une garde d’enfant.
7. Après le mois de septembre 2010, le premier requérant n’eut que des contacts téléphoniques avec I. Cette dernière lui indiqua à deux reprises que le terme de la grossesse avait été recalculé pour novembre, puis décembre 2010.
8. Ayant des doutes sur la véracité de ces affirmations, en novembre 2010, le premier requérant engagea un détective privé pour retrouver I. Il signala également à la police des frontières qu’il craignait que le nouveau‑né ne fît l’objet d’un trafic. Il apprit à cette occasion que I. avait donné naissance à une petite fille, K., le 12 octobre 2010. Un certain V., qui avait reconnu l’enfant, était inscrit comme père dans l’acte de naissance.
9. Le 1er décembre 2010, le premier requérant adressa une lettre au parquet et à l’Agence nationale de protection de l’enfance, indiquant qu’il craignait que l’enfant ne lui fût enlevée et ne fît l’objet d’un trafic. Le parquet de district de Sofia effectua une enquête, dans le cadre de laquelle le premier requérant, I. et V. furent entendus. I. et V. déclarèrent que l’enfant était née d’une relation extraconjugale qu’ils avaient entretenue, que V. était bien le père biologique de l’enfant et que lui et son épouse étaient prêts à s’en occuper. Par une ordonnance du 10 mars 2011, le procureur considéra qu’aucune infraction pénale n’avait été commise et qu’il n’y avait donc pas lieu d’engager des poursuites pénales.
10. La direction territoriale de l’aide sociale effectua une enquête sociale dans le cadre de laquelle I. et V. furent entendus. Le premier requérant ne se rendit apparemment pas à la convocation de ce service. L’enquête constata que K. avait été reconnue par V., qu’elle vivait, avec l’accord de sa mère, avec celui-ci, son épouse et leur enfant, et que le couple subvenait aux besoins matériels, affectifs et éducationnels de l’enfant. Il ressort des documents relatifs à l’enquête sociale que, devant les services sociaux, I. avait à certaines occasions admis avoir eu des relations avec le premier requérant à l’époque de la conception et l’avait nié à d’autres occasions.
11. Le 22 décembre 2010, le requérant saisit le tribunal de la ville de Sofia d’une action visant à établir que V. n’était pas le père de l’enfant et à démontrer sa propre paternité. Par une ordonnance du 15 juillet 2011, le tribunal clôtura la procédure en raison de plusieurs irrégularités de la demande introductive d’instance et également au motif que le premier requérant n’avait pas qualité pour agir. Le tribunal nota que, en vertu du code de la famille de 2009, seuls les parents légitimes, l’enfant, la direction territoriale de l’aide sociale et le parquet avaient la faculté de contester une reconnaissance de paternité et que le tiers soutenant être le père biologique de l’enfant ne disposait pas d’une telle action. Sur recours du premier requérant, cette décision fut confirmée en appel puis en cassation le 27 juin 2012.
12. Par ailleurs, dans l’intervalle, à la suite du signalement effectué par le premier requérant, le 25 mai 2011, le parquet de la ville de Sofia avait saisi le tribunal de la ville de Sofia d’une demande en annulation de la reconnaissance de paternité de V. sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille et en établissement de la paternité du premier requérant. I. et V., qui étaient défendeurs à l’action, avaient informé le tribunal que l’adoption plénière de l’enfant par l’épouse de V. avait été prononcée en février 2011 avec l’accord de la mère biologique, et soutenu que l’action du parquet était irrecevable. Le 15 septembre 2011, la procureure en charge du dossier avait informé le tribunal qu’elle se désistait des actions introduites. Par une ordonnance du 22 juin 2012, le tribunal de la ville de Sofia avait pris acte du désistement de la procureure et mis un terme à la procédure.
13. Le parquet de Sofia fit appel de cette décision, soutenant qu’elle mettait en péril les intérêts de la jeune enfant. Par une ordonnance du 30 octobre 2012, la cour d’appel de Sofia confirma l’ordonnance attaquée, après avoir constaté que la représentante du parquet s’était désistée de ses demandes, que l’enfant avait une filiation établie et que ni son intérêt ni l’intérêt public ne justifiaient la poursuite de la procédure. Sur pourvoi introduit par le parquet, le 25 janvier 2013, la Cour suprême de cassation confirma l’ordonnance de la cour d’appel, en précisant qu’en cas de désistement de l’action le tribunal devait mettre fin à la procédure et que toute autre considération était sans objet.
14. En 2015, le premier requérant introduisit une nouvelle action en justice visant à faire constater la nullité de la reconnaissance effectuée par V. Par une ordonnance du 23 novembre 2015, le tribunal de la ville de Sofia clôtura la procédure au motif que le premier requérant n’avait pas qualité pour contester la reconnaissance de paternité. Cette décision fut confirmée en appel puis, par une ordonnance du 10 juin 2016, la Cour suprême de cassation déclara le pourvoi introduit par l’intéressé non admis. La haute juridiction confirma l’absence de qualité pour agir du premier requérant et observa, à titre surabondant et pour répondre à l’argument que celui-ci avait formulé, que la jurisprudence de la Cour en application de l’article 8 de la Convention n’imposait pas aux États contractants l’obligation de permettre au père biologique allégué d’établir sa paternité en justice.
15. Par ailleurs, dans une déclaration écrite, établie devant notaire en août 2013 et produite devant la Cour par le premier requérant, I. indiquait que, à l’époque de la conception de l’enfant, elle n’avait eu de relations intimes qu’avec le premier requérant, et non avec V., et qu’elle n’avait rencontré ce dernier que plus tard. Dans ce document, elle déclarait que la clinique où sa grossesse avait été suivie l’avait mise en relation avec V. et son épouse, qui cherchaient à adopter un enfant.
B. La requête no 45522/13
16. Entre 2009 et 2010, le deuxième requérant entretenait une relation avec une de ses collègues de travail, R. À la suite de la rupture de cette relation en mars 2010, il quitta son emploi et perdit le contact avec R. Au mois de décembre 2010, il apprit que celle-ci avait donné naissance à un petit garçon, T., le 1er décembre 2010. Un certain S., qui avait reconnu l’enfant, figurait comme père dans l’acte de naissance.
17. Dans les mois qui suivirent, face à l’insistance du deuxième requérant, R. accepta la réalisation d’un test ADN. Selon les résultats de ce test, effectué le 31 mai 2011, il y avait 99,99 % de probabilités que le deuxième requérant et R. fussent les parents de l’enfant.
18. Le 21 octobre 2011, le deuxième requérant saisit le tribunal de la ville de Sofia d’une action visant à contester la paternité de S. et à établir sa propre paternité. Par une ordonnance du 22 mai 2012, le tribunal déclara la demande irrecevable au motif que le deuxième requérant n’avait pas qualité pour agir, le code de la famille ne prévoyant pas la possibilité pour une personne prétendant être le père biologique de contester le lien de filiation établi par reconnaissance. Sur recours du deuxième requérant, cette ordonnance fut confirmée par la cour d’appel de Sofia le 19 juillet 2012. Le deuxième requérant se pourvut en cassation, en invoquant notamment l’article 8 de la Convention. Par une ordonnance du 8 janvier 2013, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis, considérant qu’en vertu du nouveau code de la famille, entré en vigueur en 2009, seuls la mère et l’enfant étaient recevables à contester une reconnaissance de paternité. Elle releva que cet état du droit était confirmé par une jurisprudence constante et que l’examen du pourvoi n’était dès lors pas justifié.
19. Il apparaît également qu’à deux reprises, en 2012 et 2013, R. a saisi le parquet d’abord pour se plaindre que le deuxième requérant troublait sa vie privée puis pour demander l’internement psychiatrique de celui-ci. Ces deux plaintes furent rejetées par le parquet.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La reconnaissance de paternité
20. En vertu de l’article 64 du code de la famille de 2009, chacun des parents peut reconnaître son enfant. La reconnaissance est l’acte par lequel le déclarant dit être le parent d’un enfant, établissant ainsi un lien de filiation. Un enfant peut être reconnu dès sa conception. La reconnaissance est effectuée devant l’officier d’état civil par le parent en personne, par déclaration certifiée devant notaire ou par l’intermédiaire du directeur de l’établissement médical dans lequel a eu lieu la naissance. L’officier d’état civil doit notifier la reconnaissance à l’autre parent et à l’enfant, s’il a plus de quatorze ans, dans un délai de sept jours (article 65).
B. L’opposition à la reconnaissance
21. L’autre parent et l’enfant, s’il a plus de quatorze ans, peuvent faire opposition à la reconnaissance, dans un délai de trois mois à compter de la notification, par déclaration écrite adressée à l’officier d’état civil. L’opposition a pour conséquence de priver d’effet la reconnaissance ; l’auteur de la reconnaissance peut alors introduire une action en établissement de filiation (article 66, alinéas 1 et 2, du code de la famille).
22. Si aucune opposition n’est effectuée dans un délai de trois mois ou si l’autre parent renonce à faire opposition, la reconnaissance est inscrite sur l’acte de naissance (article 66, alinéas 1 et 3, du code de la famille).
C. L’action en annulation d’une reconnaissance de paternité
23. L’enfant reconnu alors qu’il était mineur peut contester la reconnaissance par voie judiciaire dans un délai d’un an suivant sa majorité (article 66, alinéa 4, du code de la famille).
24. Le code de la famille dans sa rédaction actuelle ne prévoit pas la possibilité pour la personne prétendant être le père biologique d’un enfant ou pour une autre personne de contester le lien de filiation établi par reconnaissance. L’ancien code de la famille, en vigueur jusqu’au 30 septembre 2009, prévoyait en son article 38 que toute personne démontrant un intérêt à agir pouvait contester une reconnaissance de paternité dans un délai d’un an après en avoir eu connaissance.
25. En vertu du nouvel alinéa 5 de l’article 66 du code de la famille, entré en vigueur le 21 décembre 2010, la reconnaissance peut également être contestée par voie judiciaire par la direction territoriale de l’aide sociale et par le procureur, dans un délai d’un an à compter de la date de la reconnaissance. Ce délai court à compter de la déclaration de reconnaissance, et non de l’inscription de celle-ci sur l’acte de naissance (опр. № 263 от 3.04.2012 г. по ч.гр.д. № 192/2012 г., АС Варна).
26. La décision d’engager ou non une action en annulation d’une reconnaissance est à la discrétion de la direction territoriale de l’aide sociale et du parquet. L’homme qui prétend être le père biologique d’un enfant peut effectuer un signalement auprès de ces autorités mais ne peut les contraindre à introduire l’action ni contester en justice leur refus de le faire. Lorsque les autorités compétentes décident d’introduire une action, le père biologique présumé n’est pas partie à la procédure et n’est en principe pas entendu par le tribunal.
27. Il n’existe pas d’acte réglementaire ou d’instruction interne accessible au public qui spécifient les critères sur la base desquels le parquet et la direction territoriale de l’aide sociale décident d’exercer ou non leur prérogative d’introduire une action en contestation de reconnaissance et la procédure à suivre. Dans une lettre produite devant la Cour par le Gouvernement, l’Agence de l’aide sociale explique que ses directions territoriales sont compétentes pour introduire une action sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille lorsqu’il existe de sérieux doutes que la reconnaissance effectuée ne corresponde pas à la réalité biologique et en cas de risque pour l’enfant. Une enquête sociale est réalisée dans chaque cas suspect afin de rechercher si la reconnaissance a été effectuée dans le but de contourner la législation sur l’adoption ou d’entraîner l’enfant dans un trafic ou l’exploitation d’êtres humains ou encore si elle implique une contrepartie financière. Selon l’Agence de l’aide sociale, une lettre interne no 91000/190 du 10 août 2009, qu’elle a adressée aux directions territoriales, contient des instructions à cet égard. D’après ce texte, qui n’a pas été produit devant la Cour, les directions territoriales effectuent une enquête sociale lorsque, notamment :
– la reconnaissance a été effectuée longtemps après la naissance ;
– l’enfant reconnu est placé en institution ou bénéficie d’une autre mesure de protection de l’enfance ;
– la mère ne dispose pas de ressources et/ou de logement et/ou a déjà plusieurs enfants ;
– l’auteur de la reconnaissance a fait l’objet d’une enquête sociale en tant que candidat à l’adoption ;
– l’auteur de la reconnaissance est un ressortissant étranger.
28. L’enquête sociale est effectuée par le service de la direction territoriale de l’aide sociale chargé de la protection de l’enfance. Elle comprend une visite au domicile où se trouve l’enfant et un entretien avec les parents. Toute partie concernée peut être entendue, notamment la personne prétendant être le père biologique.
29. Il ressort de la jurisprudence existante en la matière que les directions territoriales de l’aide sociale ont introduit des actions en contestation de reconnaissance dans des cas où, par exemple, la mère avait donné son consentement pour l’adoption au moment de l’accouchement, avant de le retirer par la suite et de confier l’enfant à l’homme qui l’avait reconnu, ou encore lorsque l’auteur de la reconnaissance avait été candidat à l’adoption et s’était vu refuser l’agrément (опр. № 708 от 19.06.2015 г. по гр.д. № 39/2015, ВКС, III г.о., confirmant реш. № 139 от 29.09.2014 г. по гр.д. № 322/2014, АС Варна ; реш. № 101 от 14.03.2016 г. по гр.д. № 859/2015, ОС Плевен).
30. Le tribunal fait droit à l’action s’il est établi que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père biologique de l’enfant. La reconnaissance est alors annulée avec effet rétroactif. La preuve peut résulter d’un test ADN, mais aussi, en l’absence d’un tel test, d’autres éléments pertinents tels que le refus de l’auteur de la reconnaissance de se soumettre à un test, l’absence de relation entre la mère et l’intéressé avant la naissance, ou encore le fait que la mère avait dans un premier temps consenti à l’adoption (опр. № 708 от 19.06.2015 г. по гр.д. № 39/2015, ВКС, III г.о.).
31. L’article 71 du code de la famille dispose par ailleurs qu’il n’est pas possible d’introduire une action en établissement de filiation ou d’effectuer une reconnaissance si le lien de filiation établi n’a pas été réfuté par la voie d’une action en justice.
32. Dans une décision du 5 février 2015 (опр. № 81 от 5.02.2015 г. по гр.д. № 7104/2014, ВКС, III г.о.), rendue postérieurement aux faits des présentes causes, la Cour suprême de cassation a considéré que la personne prétendant être le père biologique d’un enfant dont la filiation était établie par reconnaissance de paternité avait la possibilité de saisir le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale, qui pouvaient, si cela apparaissait justifié après analyse du cas d’espèce et des intérêts en jeu, décider d’introduire une action en annulation de la reconnaissance. La haute juridiction a laissé ouverte la possibilité pour la personne concernée, en cas de refus injustifié de ces autorités d’exercer leur prérogative, d’introduire directement une action devant les tribunaux sur le fondement de l’article 8 de la Convention. Il n’existe toutefois pas d’exemples d’admission d’une action en annulation d’une reconnaissance introduite sur ce fondement.
D. L’adoption de l’enfant du conjoint
33. En vertu de l’article 82, alinéa 2, du code de la famille, un époux peut adopter l’enfant de son conjoint selon une procédure simplifiée, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un agrément de la direction territoriale de l’aide sociale en vue de l’adoption.
34. L’introduction d’une action en annulation d’une reconnaissance de paternité par le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code n’empêche pas le prononcé d’une adoption au profit de l’épouse de l’auteur de la reconnaissance, tant que la filiation n’a pas été modifiée dans l’acte de naissance à la suite d’un jugement définitif annulant la reconnaissance (опр. № 317 от 30.06.2016 г. по гр.д. № 1992/2016, ВКС, IV г.о.). De même, l’adoption effectuée par l’épouse ne paraît pas empêcher l’annulation de la reconnaissance dans le cadre d’une action sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code.
E. Les développements à venir
35. Un avant-projet de loi de modification du code de la famille, publié sur le site Internet du ministère de la Justice le 29 août 2016, prévoit de modifier les dispositions relatives à la contestation d’une reconnaissance de paternité. Il y est proposé, d’une part, d’ouvrir à la direction territoriale de l’aide sociale la possibilité de faire opposition à une reconnaissance par simple déclaration adressée à l’officier de l’état civil dans le délai de trois mois prévu à l’article 66, alinéa 1, du code de la famille et, d’autre part, de permettre à toute personne justifiant d’un intérêt à agir d’introduire une action judiciaire en contestation d’une reconnaissance de paternité dans un délai d’un an à compter de la reconnaissance. Dans ce dernier cas, l’action devrait être introduite conjointement avec une action en établissement de paternité afin de ne pas porter atteinte aux intérêts de l’enfant. Les motifs de l’avant-projet indiquent que ces modifications s’avèrent nécessaires à la suite de la multiplication des cas où la reconnaissance de paternité a été utilisée pour contourner la réglementation concernant l’adoption, voire pour le trafic d’enfants.
III. LE DROIT COMPARÉ PERTINENT
36. Un résumé des éléments pertinents de droit comparé des États membres figure dans les arrêts de la Cour rendus dans les affaires Ahrens c. Allemagne (no 45071/09, §§ 27-28, 22 mars 2012) et Kautzor c. Allemagne (no 23338/09, §§ 37-39, 22 mars 2012). Il en ressort que, parmi les vingt-six États ayant fait l’objet de l’étude menée par la Cour à cette époque, dix-sept États autorisaient le père biologique allégué à contester la filiation établie par reconnaissance. Cette possibilité était parfois limitée par des délais. Dans certains pays qui autorisaient la contestation, lorsque la filiation établie par reconnaissance correspondait à la réalité sociale et familiale, la contestation n’était pas admise (par exemple en Allemagne, voir Ahrens, précité, § 25) ou n’était plus admise si la relation familiale (la « possession d’état ») avait duré au-delà d’un certain temps (par exemple en France et en Espagne). Neuf États ne prévoyaient pas la possibilité pour le père biologique allégué de contester la filiation établie par reconnaissance.
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
37. Compte tenu de la similitude entre les requêtes no 7949/11 et no 45522/13 quant aux questions de fond qu’elles soulèvent, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 41 § 2 de son règlement.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
38. Les requérants dénoncent l’impossibilité pour eux de contester les reconnaissances de paternité effectuées à l’égard des enfants dont ils prétendent être les pères biologiques et de chercher à établir leur propre paternité, qu’ils estiment constitutive d’une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale, tel que protégé par l’article 8 de la Convention. Ils invoquent également le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 et le deuxième requérant se réfère en outre à l’article 13. La Cour estime qu’il convient d’examiner les griefs ainsi formulés uniquement sous l’angle de l’article 8 de la Convention, qui dispose en ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Observations des parties
1. Le Gouvernement
39. À titre préliminaire, le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours dont ils disposaient en droit interne.
40. Concernant le premier requérant, le Gouvernement indique que celui-ci était au courant de la grossesse et qu’il avait dès lors la possibilité de reconnaître l’enfant dès avant la naissance, en vertu de l’article 64, alinéa 1, du code de la famille. Il estime que ce requérant aurait ainsi pu établir sa paternité avant que l’enfant ne soit reconnu par un autre homme. Il ajoute que, dans l’hypothèse où la mère aurait fait opposition à la reconnaissance anticipée par l’intéressé, celui-ci aurait eu la faculté d’établir sa paternité par la voie d’une action en justice.
41. Quant au deuxième requérant, le Gouvernement soutient que celui-ci aurait dû saisir la direction territoriale de l’aide sociale ou le parquet et que ceux-ci auraient alors pu introduire une action en contestation de la reconnaissance prétendument mensongère. Il précise que, dans l’exercice de leurs prérogatives, les autorités en question ont pour mission de veiller au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et du juste équilibre entre les intérêts du mineur et du père présumé.
42. Le Gouvernement considère ensuite que la relation des requérants avec les enfants dont ils prétendent être les pères biologiques ne peut être qualifiée de « vie familiale » pour les besoins de l’article 8 de la Convention. Selon lui, dans les deux cas, la filiation n’a pas été établie et il n’y a pas eu de vie commune avec la mère ou de contacts avec l’enfant. En admettant que la possibilité pour un homme d’établir sa paternité relève de la vie privée, le Gouvernement soutient qu’un juste équilibre a été maintenu entre les intérêts des requérants et ceux des autres personnes concernées. Il indique que les États disposent d’une marge d’appréciation étendue pour réglementer un domaine tel que celui de la filiation et du statut personnel. Il ajoute que, en l’espèce, le droit national limite les possibilités de contester une filiation déjà établie en prévoyant des délais et en restreignant le cercle des personnes titulaires d’une telle action, et ce dans l’intérêt supérieur de l’enfant et de la stabilité de la famille.
43. Le Gouvernement réitère son argumentation exposée au titre des exceptions de non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient ainsi que le premier requérant avait la possibilité d’effectuer une reconnaissance anticipée dès avant la naissance de l’enfant, qui n’aurait pas été soumise à l’accord de la mère – et ce, contrairement à la situation rencontrée dans l’affaire Różański c. Pologne (no 55339/00, 18 mai 2006), dans laquelle la Cour a constaté une violation de l’article 8 de la Convention. Il précise que, en cas d’opposition de la part de la mère, le premier requérant aurait eu la faculté d’introduire une action judiciaire en recherche de paternité. En omettant de reconnaître l’enfant en temps utile, il se serait ainsi lui-même placé dans la situation qu’il dénonce. Le Gouvernement indique par ailleurs que l’intéressé n’a pas fait réaliser un test de paternité et que ses allégations sur sa paternité biologique ne sont donc aucunement prouvées.
44. En ce qui concerne le deuxième requérant, le Gouvernement indique que ce dernier a également omis d’effectuer une reconnaissance de l’enfant avant la naissance et que, en cas d’opposition de la part de la mère à pareille reconnaissance, il aurait pu introduire une action en recherche de paternité. Il précise à cet égard que l’affirmation du deuxième requérant selon laquelle celui-ci n’était pas au courant de la grossesse n’a pas été prouvée. Il estime que l’intéressé avait en outre la possibilité de saisir la direction territoriale de l’aide sociale ou le parquet, compétents pour introduire une action en annulation de la reconnaissance litigieuse sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille. En revanche, s’agissant de l’action en recherche de paternité introduite par ce requérant sans que la reconnaissance en cause n’eût été préalablement annulée, il considère qu’elle était manifestement vouée à l’échec et a été à juste titre rejetée par les tribunaux puisque l’intéressé n’avait pas qualité pour agir en vertu de l’article 71 du code de la famille.
2. Le premier requérant (requête no 7949/11)
45. Le premier requérant réplique qu’il n’est pas d’usage en Bulgarie de reconnaître un enfant avant la naissance, puisque cette possibilité serait prévue, par exemple, pour les cas où le père serait gravement malade, afin de s’assurer de l’établissement d’une filiation pour l’enfant à naître. Il ajoute qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir les évènements qui allaient suivre afin d’entreprendre de reconnaître l’enfant dès le début de la grossesse. Il indique que, en tout état de cause, même s’il avait reconnu l’enfant de manière anticipée, il aurait été aisé pour la mère, en application des dispositions pertinentes du code de la famille, de faire opposition à cette reconnaissance puis d’acquiescer ensuite à la reconnaissance faite par un autre homme, ce qui selon lui aurait abouti à la même situation.
46. Sur le fond du grief, le premier requérant affirme que les dispositions du droit interne l’empêchent d’établir sa paternité et de maintenir des relations avec l’enfant dont il pense être le père biologique. Sur ce point, il ajoute que son absence de contacts avec l’enfant ne peut être interprétée en sa défaveur pour exclure l’application de l’article 8 de la Convention, cette situation faisant précisément l’objet de son grief devant la Cour.
47. Le premier requérant soutient que l’État n’a pas maintenu un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu, puisque les dispositions du droit interne privilégieraient automatiquement la reconnaissance de paternité effectuée aux dépens de la possibilité d’établir la filiation biologique. Or, selon lui, rien ne permet de penser qu’en l’espèce cette situation protège l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, la possibilité d’établir la paternité du requérant ne priverait pas l’enfant d’un lien de filiation, bien au contraire, et il serait dans l’intérêt de l’enfant de connaître son père biologique et d’être élevé par celui-ci. En outre, le premier requérant estime que la réglementation actuelle laisse la porte ouverte à des agissements abusifs de la part de la mère qui voudrait empêcher le père biologique d’établir sa paternité ou de la part de tiers qui utiliseraient la reconnaissance de paternité pour contourner les procédures d’adoption.
48. Le premier requérant soutient qu’un système qui priverait le père biologique de toute possibilité d’établir sa filiation ne peut être considéré comme justifié. Il argue que la possibilité pour le parquet et la direction territoriale de l’aide sociale de contester une reconnaissance ne peut être considérée comme suffisante pour permettre à l’État de remplir ses obligations au regard de l’article 8 de la Convention au motif que cette voie de recours n’est pas directement accessible à celui qui prétend être le père biologique. À cet égard, il précise que l’exercice de l’action dépend de la discrétion des autorités en question et qu’il n’existe aucune réglementation concernant la manière dont cette prérogative discrétionnaire devrait être exercée. Il indique que, dans son cas, une telle action a bien été introduite par le parquet, mais que celui-ci a toutefois décidé de s’en désister sans donner aucune explication et sans prendre en compte ses intérêts.
3. Le deuxième requérant (requête no 45522/13)
49. Le deuxième requérant indique qu’il a tenté de contester la reconnaissance de paternité mais que son action a été rejetée comme irrecevable au motif d’une absence de qualité pour agir. Concernant la possibilité, avancée par le Gouvernement au titre d’exception de non‑épuisement, de saisir la direction territoriale de l’aide sociale ou le parquet aux fins d’engagement par ceux-ci d’une action en annulation de la reconnaissance, il soutient que cette action ne constituait pas une voie de recours effective car elle ne lui aurait pas été directement accessible et aurait dépendu de la décision discrétionnaire des autorités en question d’engager ou non une telle procédure. Il indique en outre que ces autorités n’ont pas pour compétence d’agir au nom du père biologique présumé ou de défendre les intérêts de celui-ci et qu’elles peuvent seulement défendre les intérêts de l’enfant ou le respect de la loi. Il ajoute que la mise en œuvre de cette procédure est difficile en pratique, et il précise à cet égard que le délai d’un an court à compter de la déclaration de reconnaissance, et non de l’établissement de l’acte de naissance, ce qui, dans les faits, laisserait peu de temps au père biologique pour agir.
50. Le deuxième requérant soutient par ailleurs que l’absence de vie commune avec la mère n’exclut pas l’existence d’un lien familial avec l’enfant dont il prétend être le père biologique et donc la protection de l’article 8 de la Convention. Il soutient que, en ne prévoyant aucune possibilité de contester la reconnaissance et d’établir sa paternité biologique, et ce malgré la réalisation d’un test prouvant celle-ci, le droit interne le prive non seulement de la possibilité d’établir juridiquement sa filiation mais aussi d’avoir tout contact et tout lien avec l’enfant, puisque la mère aurait rejeté toutes ses tentatives en ce sens. Le requérant précise que l’enfant est actuellement élevé par sa mère, que l’homme qui l’a reconnu ne s’en occupe pas, mais que cette reconnaissance de paternité l’empêche d’établir sa propre paternité et d’avoir des relations avec le mineur.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
51. La Cour constate que les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes soulevées par le Gouvernement sont étroitement liées au fond des griefs formulés par les requérants au regard de l’article 8 de la Convention dans le sens que le droit interne ne permettait pas aux intéressés d’établir leur paternité. Il convient dès lors de les joindre à l’examen au fond de ces griefs.
52. Constatant par ailleurs que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent pas à un autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
2. Sur le bien-fondé des griefs
a) Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention et sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits protégés par cette disposition
53. La Cour note que les requérants se plaignent d’une violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Eu égard aux circonstances des présentes affaires, elle estime nécessaire de se pencher d’abord sur la question de l’applicabilité de l’article 8 en l’espèce.
54. Elle rappelle que la notion de « vie familiale » visée par cette disposition ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober des liens familiaux de fait lorsque les personnes cohabitent en dehors du mariage (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30, série A no 297-C). Lorsque les circonstances le justifient, cette notion peut s’étendre non seulement à une vie familiale déjà établie, mais aussi à la relation qui peut se développer entre un enfant né hors mariage et son père naturel. À cet égard, les facteurs à prendre en compte comprennent la nature de la relation entre les parents naturels, ainsi que l’intérêt et l’attachement manifestés par le père naturel pour l’enfant avant et après la naissance (Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI, Anayo c. Allemagne, no 20578/07, § 57, 21 décembre 2010, et Ahrens, précité, § 58).
55. En l’espèce, la Cour relève que le premier requérant soutient qu’il a pendant un temps accompagné la grossesse de la mère et qu’il était prêt à s’occuper de l’enfant dont il affirme être le père biologique après sa naissance. L’enfant ayant été ensuite confiée à la famille de l’homme l’ayant reconnue, le requérant n’a pas pu la voir ou entretenir de liens affectifs avec elle. Concernant le deuxième requérant, la Cour observe que celui-ci affirme qu’il n’était pas au courant de la grossesse et qu’il n’a appris l’existence de l’enfant qu’après sa naissance. L’intéressé n’a pas non plus été en mesure d’avoir des contacts avec l’enfant même s’il a pu faire réaliser un test ADN qui indique qu’il en est le père biologique. Dans ces circonstances, la Cour estime que les liens des requérants avec les enfants en question ne constituent pas une base suffisante pour qu’ils puissent relever de la notion de « vie familiale » visée à l’article 8 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nylund, décision précitée, Ahrens, précité, § 59, et Marinis c. Grèce, no 3004/10, § 57, 9 octobre 2014).
56. La Cour rappelle toutefois que l’article 8 de la Convention protège non seulement la vie familiale mais aussi la vie privée. Elle a ainsi déjà constaté à plusieurs occasions que les procédures en reconnaissance ou en contestation de paternité concernaient la « vie privée », au sens de cette disposition, du père présumé, car elles englobent des aspects importants de l’identité de ce dernier (Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A no 87, Ahrens, précité, § 60, Nylund, décision précitée, et Yildirim c. Autriche (déc.), no 34308/96, 19 octobre 1999). La Cour ne voit aucune raison de se prononcer différemment en l’espèce, et elle considère dès lors que la situation dénoncée par les requérants entre dans le champ d’application de l’article 8.
57. La Cour doit donc examiner si l’impossibilité pour les requérants de faire établir leur paternité biologique révèle un manque de respect pour leur vie privée, au sens de cette disposition.
58. La Cour rappelle à cet égard que, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. À ces deux égards, il faut tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, aux deux égards, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Kroon et autres, précité, § 31, Mizzi c. Malte, no 26111/02, §§ 105-106, CEDH 2006-I (extraits), Różański, précité, §§ 60-61, et Nylund, décision précitée).
b) Sur l’observation de l’article 8 de la Convention
59. Pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte. En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large. De plus, la marge d’appréciation est généralement étendue lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et des intérêts publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011, et les références qui y sont citées ; voir aussi Ahrens, précité, § 68, A.L. c. Pologne, no 28609/08, § 68, 18 février 2014, et Mandet c. France, no 30955/12, § 52, 14 janvier 2016). La Cour a par ailleurs jugé que les États disposaient d’une marge d’appréciation plus ample lorsqu’il s’agissait de déterminer le statut juridique d’un enfant que lorsqu’il s’agissait de questions relatives aux contacts entre un enfant et un parent (Ahrens, précité, § 70, A.L. c. Pologne, précité, § 68, et Krisztián Barnabás Tóth c. Hongrie, no 48494/06, § 37, 12 février 2013).
60. En ce qui concerne l’existence d’un consensus entre les États membres, il ressort des éléments de droit comparé dont la Cour dispose en l’espèce qu’une large majorité (dix-sept parmi vingt-six) des États ayant fait l’objet de l’étude menée en 2012 autorisaient, parfois sous certaines conditions, la personne prétendant être le père biologique d’un enfant à contester une filiation établie par reconnaissance, alors que neuf États n’autorisaient pas une telle contestation (paragraphe 36 ci-dessus). La Cour note que l’étude en question date de 2012 et que la législation de certains États a pu changer dans l’intervalle. Celle-ci permet toutefois de constater qu’une large majorité des États membres ayant fait l’objet de l’étude permettent la contestation d’une reconnaissance de paternité mais qu’il n’y a pas de consensus à cet égard, à même de réduire la marge d’appréciation de l’État. Il résulte de l’ensemble des circonstances énumérées ci-dessus (paragraphes 59 et 60) que l’État défendeur disposait en l’espèce d’une marge d’appréciation étendue.
61. Même dans ce cas, les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Celle-ci doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les différents intérêts en présence. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer (Mandet, précité, § 53, Mennesson c. France, no 65192/11, § 81, CEDH 2014 (extraits), et Krisztián Barnabás Tóth, précité, § 32). La Cour n’a cependant pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités, lesdites autorités bénéficiant de rapports directs avec tous les individus intéressés. Il lui incombe d’apprécier sous l’angle des dispositions pertinentes de la Convention les décisions rendues par ces autorités dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Ahrens, § 64, Marinis, § 61, et A.L. c. Pologne, § 66, tous précités).
62. La Cour a déjà eu l’occasion de considérer que l’article 8 de la Convention impose aux États l’obligation de rechercher s’il est dans l’intérêt de l’enfant de permettre au père biologique de nouer une relation avec le mineur, par exemple en lui accordant un droit de visite. Le père biologique ne devrait pas être complètement empêché d’établir sa paternité ou exclu de la vie de l’enfant sauf s’il y a des raisons impératives liées à l’intérêt supérieur de ce dernier pour le faire. Cela n’implique pas nécessairement une obligation d’autoriser un père biologique présumé à contester le statut du père légitime (Kautzor, §§ 76-77, et Ahrens, § 74, précités). Toutefois, une impossibilité absolue pour un homme prétendant être le père biologique de chercher à établir sa paternité, au seul motif qu’un autre homme a déjà reconnu l’enfant, a été considérée comme méconnaissant l’article 8 (Różański, précité, § 79). Dans l’affaire Różański, la Cour a considéré que le fait que les autorités disposaient d’un pouvoir d’appréciation pour décider d’engager ou non une procédure en contestation d’une reconnaissance de paternité n’était pas en soi critiquable. Toutefois, l’absence d’accès direct à une procédure au travers de laquelle le requérant pouvait chercher à établir sa paternité, l’absence, en droit interne, de lignes directrices concernant la manière dont le pouvoir discrétionnaire des autorités de contester une reconnaissance de paternité devait être exercé, ainsi que la façon superficielle dont les demandes du requérant visant à contester la reconnaissance effectuée par un autre homme avaient été examinées, a amené la Cour à conclure à la violation de l’article 8 (Różański, précité, §§ 75-79).
63. Dans d’autres affaires, la Cour a estimé que le refus d’examiner l’action en recherche de paternité du requérant n’avait pas rompu le juste équilibre et n’avait ainsi pas enfreint l’article 8 dans la mesure où ce refus était fondé non seulement sur le fait que l’enfant avait déjà un lien de filiation établi par reconnaissance ou présomption de paternité, mais aussi sur l’existence d’une relation sociale et familiale entre l’enfant et ses père et mère légitimes (Ahrens, § 74 in fine, Kautzor, § 77 in fine, Marinis, § 77, tous précités) ou sur l’appréciation des juridictions internes selon laquelle, dans le cas concret, l’autorisation d’une recherche de paternité ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant (Nylund, décision précitée, et Krisztián Barnabás Tóth, précité, § 33). Dans toutes ces affaires, la Cour a relevé que l’interdiction pour le père biologique de chercher à établir sa paternité n’était pas absolue et que le droit interne prévoyait des hypothèses où une recherche de paternité était recevable, par exemple lorsque la paternité légitime ne correspondait pas à la réalité sociale et familiale (arrêts Ahrens et Kautzor précités) ou encore lorsque le père biologique présumé avait eu pendant la période de la conception une relation durable avec la mère, qui avait interrompu sa cohabitation avec le père légitime (Marinis, précité, §§ 30 et 77). La Cour a également tenu compte du fait que le processus décisionnel ayant abouti à l’interdiction en question comportait certaines garanties telles que l’examen circonstancié des faits de la part des autorités compétentes, la mise en balance des différents intérêts en jeu, et notamment de l’intérêt supérieur de l’enfant, ou la possibilité pour le requérant d’exposer sa position et sa situation personnelle (Ahrens, précité, §§ 76-80, et Krisztián Barnabás Tóth, précité, §§ 33-36).
64. En l’espèce, la Cour constate que le droit interne ne prévoit pas la possibilité pour un homme qui prétend être le père biologique d’un enfant dont la filiation paternelle a été établie par reconnaissance de directement contester cette reconnaissance ou d’établir sa propre paternité. Cette interdiction apparaît comme ne souffrant aucune exception. La Cour observe à cet égard que, si une décision récente de la Cour suprême de cassation semble suggérer qu’une action directe sur le fondement de l’article 8 de la Convention serait possible, aucun exemple d’exercice d’une telle action ne lui a été rapporté et l’action engagée en 2015 par le premier requérant sur ce fondement a été déclarée irrecevable (paragraphes 14, 31 et 32 ci-dessus).
65. La Cour relève que l’interdiction posée par le droit interne a effectivement été appliquée dans le cas des requérants puisque les juridictions internes ont rejeté les actions que ces derniers ont tenté d’introduire au motif de l’absence de qualité pour agir. Pour rejeter les actions engagées par les intéressés, les juridictions internes, en application des dispositions pertinentes en la matière du code de la famille, ont uniquement tenu compte du fait qu’une reconnaissance de paternité avait été effectuée. À aucun moment elles n’ont pris en compte les circonstances particulières de chaque espèce et la situation des différents protagonistes – l’enfant, la mère, le père légitime et le père biologique présumé (paragraphes 11, 14 et 18 ci-dessus, voir aussi Różański, précité, § 77).
66. La Cour observe que le droit bulgare prévoit par ailleurs que le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale peuvent introduire une action en contestation d’une reconnaissance de paternité, qui peut aboutir à l’annulation de celle-ci s’il s’avère qu’elle ne correspond pas à la réalité biologique (article 66, alinéa 5, du code de la famille). Ni le code de la famille ni aucun autre acte normatif ne précisent dans quels cas les autorités devraient faire usage de cette prérogative ; il ressort cependant de la jurisprudence existante et des observations soumises par l’Agence de l’aide sociale qu’une action sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille est introduite lorsqu’il existe un soupçon que la reconnaissance a été utilisée pour contourner la réglementation relative à l’adoption ou en cas de danger pour l’enfant (paragraphe 27 ci-dessus).
67. La Cour prend note de l’existence de cette possibilité, qui semble être effectivement utilisée en pratique, mais elle relève qu’une telle action n’était pas directement accessible aux requérants : sa mise en œuvre dépendait en effet de la décision d’autorités publiques – le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale –, qui disposent du pouvoir discrétionnaire de l’engager ou non dans un cas donné. De plus, il n’existe pas de réglementation accessible au public indiquant dans quels cas ces autorités peuvent ou doivent exercer cette prérogative et quelle est la procédure suivie (voir Różański, précité, §§ 73 et 76). Un homme qui prétend être le parent biologique d’un enfant peut certes effectuer un signalement auprès des autorités susmentionnées et leur demander d’engager une action. Ces autorités n’ont toutefois pas l’obligation légale d’entendre l’intéressé (même si cela peut être fait dans la pratique dans le cadre de l’enquête sociale) ou de lui fournir les motifs de leur décision en cas de refus. De plus, un éventuel refus de leur part n’est pas susceptible d’un recours judiciaire.
68. Par ailleurs, pour décider d’engager ou non une action, les autorités en question ne sont pas tenues de procéder à un examen des différents intérêts en jeu. Si elles tiennent apparemment compte de l’intérêt de l’enfant, notamment en cas de risque pour la santé ou le bien-être de celui‑ci, ou du respect de la législation sur l’adoption, il n’apparaît pas que ces intérêts légitimes soient mis en balance avec les autres intérêts en jeu, notamment ceux du père biologique.
69. L’objectif d’une telle action n’est d’ailleurs pas de conduire à l’établissement judiciaire de la paternité du père biologique, mais seulement à l’annulation de la filiation établie par reconnaissance ; pareille action apparaît de ce fait réservée à des situations exceptionnelles mettant en cause le respect de la législation ou un risque pour l’enfant, et non un simple conflit concernant l’établissement de la paternité. Dès lors, en l’espèce, cette voie de recours n’apparaît pas comme applicable dans la situation du deuxième requérant (paragraphes 16-19 ci-dessus).
70. Quant au premier requérant, si une action en annulation de la reconnaissance a bien été introduite par le parquet à la suite du signalement effectué par l’intéressé, la Cour relève que la procédure y afférente a été clôturée à la suite du désistement de l’action par la procureure, et ce sans que cette dernière n’ait eu à fournir un quelconque motif à son désistement, que les juridictions aient apprécié l’opportunité de celui-ci au regard des différents intérêts en jeu ou que le requérant ait pu s’opposer à ce désistement ou faire appel de la décision (paragraphes 12-13 ci-dessus).
71. Dès lors, la possibilité de saisir le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale aux fins d’introduction par ces autorités d’une action en annulation de reconnaissance sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille n’apparaît pas comme une voie de recours effective, susceptible de remédier à la situation dénoncée par les requérants.
72. Concernant enfin l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants avaient la possibilité de reconnaître les enfants en question avant leur naissance, la Cour note que l’article 64 du code de la famille permet effectivement de reconnaître un enfant de manière anticipée, dès la conception de celui-ci. Elle prend toutefois en considération les arguments des requérants, qui avancent que cela n’est pas toujours possible dans les faits – le deuxième requérant n’était vraisemblablement pas au courant de la grossesse – et qu’il ne s’agit en tout cas pas d’une pratique courante en Bulgarie.
73. La Cour observe en outre que, même en cas de reconnaissance anticipée, il est loisible à la mère de priver celle-ci d’effet en faisant opposition par une simple déclaration (paragraphe 21 ci-dessus). Si la mère acquiesce ensuite à la reconnaissance effectuée par un autre homme (paragraphe 22 ci-dessus) avant que l’auteur de la première reconnaissance n’ait pu introduire une action judiciaire en recherche de paternité, ce dernier, même s’il est le père biologique de l’enfant, se retrouvera dans la même situation que les requérants, c’est-à-dire dans l’impossibilité d’établir sa paternité. Dès lors, la possibilité de faire une déclaration de paternité anticipée n’apparaît pas comme un moyen effectif d’établir sa paternité en l’absence d’accord de la mère.
74. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait reprocher aux requérants de ne pas avoir effectué une reconnaissance de paternité anticipée. Elle relève en outre que, dans les deux cas, les intéressés ont entrepris des démarches en vue de la reconnaissance de leur paternité dès qu’ils ont eu connaissance des naissances respectives.
75. Il apparaît de ce qui précède que les requérants en l’espèce n’avaient pas de possibilité effective de contester la filiation établie par reconnaissance et aucune possibilité d’établir directement leur propre paternité. La Cour constate que cette situation résulte de la volonté du législateur bulgare, dans un objectif de stabilité des relations familiales, de privilégier la filiation déjà établie par rapport à la possibilité d’établir une paternité biologique. S’il est bien entendu raisonnable de la part des autorités internes de tenir compte du fait que l’enfant a déjà une filiation établie, la Cour estime que d’autres éléments auraient dû être pris en considération dans des situations comme celles de l’espèce. Elle relève à cet égard que, pour rejeter les actions introduites par les requérants, les juridictions internes, en application des dispositions pertinentes en la matière du code de la famille, se sont fondées uniquement sur le fait qu’une reconnaissance de paternité avait été effectuée, sans prendre en compte les circonstances particulières de chaque espèce et la situation des différents protagonistes – l’enfant, la mère, le père légitime et le père biologique présumé (voir Różański, précité, § 77).
76. Dans ces circonstances, la Cour considère que, en dépit de la marge d’appréciation étendue dont bénéficie l’État en la matière, le droit des requérants au respect de la vie privée a été méconnu. Partant, elle rejette les exceptions soulevées par le Gouvernement et conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION
A. Sur l’application de l’article 46 de la Convention
77. Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 46 de la Convention se lisent comme suit :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
78. Le premier requérant demande à la Cour d’indiquer au gouvernement défendeur les mesures à prendre en exécution de l’arrêt conformément à l’article 46 de la Convention. Il considère que les mesures individuelles qui seront adoptées devront permettre la réouverture de la procédure sur son action en contestation de la reconnaissance de paternité de V. et en établissement de sa paternité. Quant aux mesures générales, il suggère que le code de la famille soit modifié de manière à permettre la contestation d’une reconnaissance par un tiers lorsqu’il existe un intérêt légitime de le faire, par exemple en rétablissant la possibilité qui existait dans l’ancien code de la famille, en vigueur jusqu’en 2009.
79. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs rendus par elle dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il appartient au premier chef à l’État défendeur, reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles, de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de ses obligations au regard de l’article 46 de la Convention. Pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de cette disposition, la Cour peut chercher à indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation constatée (voir, parmi d’autres, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 254-255, CEDH 2012).
80. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 8 en raison de l’impossibilité pour les requérants, selon le droit interne, de chercher à établir leur paternité biologique au seul motif qu’un autre homme avait déjà reconnu l’enfant, sans aucune appréciation de la proportionnalité de cette interdiction ni mise en balance des différents intérêts en jeu. La Cour observe que, s’agissant d’une matière aussi délicate que la filiation et les relations entre des parents et de jeunes enfants, les autorités nationales, qui bénéficient de rapports directs avec les individus concernés, sont les mieux placées pour apprécier les différents intérêts en jeu. Elle prend par ailleurs note du fait qu’un projet de loi de modification du code de la famille visant à l’extension des possibilités de contestation d’une filiation établie par reconnaissance, notamment en faveur de la personne qui prétend être le père biologique d’un enfant, est en cours d’élaboration (paragraphe 35 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour considère que les autorités nationales, en coopération avec le Comité des Ministres, sont les mieux placées pour décider des mesures individuelles et générales à adopter en exécution du présent arrêt.
B. Sur l’application de l’article 41 de la Convention
81. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
82. Le premier requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison de l’impossibilité d’établir sa paternité et de maintenir une vie familiale avec l’enfant dont il prétend être le père.
83. Le deuxième requérant réclame 150 000 EUR au même titre. Il allègue que, consécutivement aux faits de l’espèce, il a subi une grave dépression nerveuse, pour laquelle il a fait l’objet d’une hospitalisation de sept jours en novembre 2013.
84. Le Gouvernement juge les prétentions des requérants excessives, et il invite la Cour, en cas de constat de violation, à allouer aux intéressés des sommes raisonnables pour le préjudice moral qui aurait été subi par ceux-ci.
85. La Cour considère que les requérants ont subi un préjudice moral certain en raison de l’impossibilité pour eux, en droit interne, de chercher à établir leur paternité biologique. Eu égard à tous les éléments dont elle dispose et statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer 6 000 EUR à ce titre à chacun des requérants.
2. Frais et dépens
a) La requête no 7949/11
86. Le premier requérant demande 5 861,15 EUR au titre des frais et dépens. Plus particulièrement, il réclame 756,56 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes dans le cadre de son action en recherche de paternité, dont 36,56 EUR en remboursement de taxes judiciaires versées et 720 EUR d’honoraires d’avocats. Il produit les justificatifs pertinents concernant le paiement des taxes judiciaires et des honoraires d’avocats à hauteur de 240 levs bulgares (BGN), taxe sur la valeur ajoutée (TVA) incluse (soit l’équivalent de 122 EUR). Concernant le restant des honoraires réclamés, il produit un contrat conclu avec ses avocats le 25 juillet 2014 et un décompte du travail effectué pour un total de douze heures au taux horaire de 60 EUR.
87. Le premier requérant demande également 5 104,59 EUR pour les frais engagés devant la Cour, correspondant à 4 933 EUR d’honoraires d’avocats et 171,59 EUR de frais de courrier, de fax, de matériel de bureau et de traduction. Il produit les factures concernant les frais postaux et de traduction, ainsi que les justificatifs correspondant à l’envoi de télécopies au greffe de la Cour. Il fournit des contrats de représentation juridique et des factures attestant du paiement de 1 560 BGN, TVA incluse (soit l’équivalent d’environ 798 EUR). Pour le restant des honoraires réclamés, il se réfère au contrat conclu avec ses avocats le 25 juillet 2014 et il présente un décompte du travail effectué pour un total de quarante-neuf heures et vingt minutes au taux horaire de 100 EUR.
88. Le premier requérant demande à la Cour de verser les sommes accordées au titre des frais et dépens directement à ses avocats, Mes Ekimdzhiev et Boncheva, à l’exception de 920 EUR correspondant aux honoraires qu’il a déjà versés.
89. Le Gouvernement soutient qu’il n’est pas justifié, dans le cadre de la procédure devant la Cour, de rembourser les frais et dépens réclamés par le premier requérant pour la procédure interne. Concernant les frais réclamés pour la procédure devant la Cour, le Gouvernement estime que les honoraires d’avocats demandés sont excessifs par rapport au niveau de vie en Bulgarie et que leur paiement effectif n’a pas été prouvé.
90. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, concernant les frais et dépens réclamés au titre de la procédure interne, la Cour relève que le premier requérant ne présente des justificatifs que pour une partie de ces frais, à savoir 36,56 EUR de taxes et 122 EUR d’honoraires d’avocats, dont il convient d’ordonner le remboursement. Les frais d’avocat complémentaires, jusqu’au montant total de 720 EUR, n’apparaissent cependant pas avoir été réellement exposés dans la mesure où ils n’ont pas été réglés et que le décompte présenté a été établi en 2014, soit plus de deux ans après la fin de la procédure interne (paragraphe 11 ci‑dessus). Il convient donc de rejeter cette partie de la demande.
91. Concernant la procédure devant elle, la Cour estime également justifié d’allouer le remboursement des honoraires d’avocats réellement versés, d’un montant de 798 EUR, TVA incluse. Pour le restant des frais et honoraires réclamés, elle estime raisonnable d’accorder au premier requérant un montant de 1 500 EUR, tous frais confondus.
b) La requête no 45522/13
92. Le deuxième requérant réclame 4 000 BGN (l’équivalent de 2 045 EUR) au titre des frais et dépens, correspondant aux honoraires versés à son avocate. Il présente les ordres de virements bancaires y afférents.
93. Le Gouvernement estime que ce montant est excessif.
94. Eu égard aux éléments dont elle dispose et aux critères établis dans sa jurisprudence, la Cour considère les sommes demandées par le deuxième requérant au titre des frais et dépens comme réellement engagées et d’un montant raisonnable, et elle les accorde en totalité, soit 2 045 EUR.
3. Intérêts moratoires
95. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Joint les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes soulevées par le Gouvernement à l’examen du bien-fondé des requêtes ;
3. Déclare les requêtes recevables ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention et rejette les exceptions du Gouvernement ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :
i. 6 000 EUR (six mille euros), à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 2 456 EUR (deux mille quatre cent cinquante-six euros) au titre des frais et dépens engagés par le premier requérant, dont 920 EUR à verser à celui-ci et 1 536 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ce requérant, à verser sur le compte bancaire indiqué par ses avocats M. Ekimdzhiev et K. Boncheva,
iii. 2 045 EUR (deux mille quarante-cinq euros) au titre des frais et dépens engagés par le deuxième requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ce requérant ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 décembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente