CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ILNSEHER c. ALLEMAGNE
(Requêtes nos 10211/12 et 27505/14)
ARRÊT
STRASBOURG
2 février 2017
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 04/12/2018
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ilnseher c. Allemagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Erik Møse, président,
Angelika Nußberger,
Ganna Yudkivska,
Faris Vehabović,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 janvier 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 10211/12 et 27505/14) dirigées contre la République fédérale d’Allemagne et dont un ressortissant de cet État, M. Daniel Ilnseher (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 février 2012 et le 4 avril 2014 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire pour les deux requêtes, a été initialement représenté pour sa requête no 10211/12 par Me A. Ahmed, avocat à Munich, puis pour ses deux requêtes par Me I.-J. Tegebauer, avocat à Trèves. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par deux de ses agents, M. H.‑J. Behrens et Mme K. Behr, du ministère fédéral de la Justice et de la Protection du consommateur.
3. Le requérant alléguait que sa détention de sûreté provisoire (en cause dans sa requête no 10211/12) et son placement rétroactif en détention de sûreté (nachträgliche Sicherungsverwahrung), qui avait été ordonné au cours de la procédure au principal (en cause dans la requête no 27505/14), emportaient violation de l’article 5 § 1 et de l’article 7 § 1 de la Convention. Il soutenait par ailleurs que les juridictions nationales n’avaient pas statué à bref délai sur la légalité de sa détention de sûreté provisoire, ce qui était selon lui contraire à l’article 5 § 4 de la Convention. De plus, le requérant arguait que le juge P. avait été partial à son endroit dans le cadre de la procédure au principal concernant l’ordonnance rétroactive de placement en détention de sûreté prise à son encontre, au mépris de l’article 6 § 1 de la Convention.
4. Le 26 novembre 2013, la requête no 10211/12 a été communiquée au Gouvernement. Le 22 décembre 2014, les griefs relatifs à l’ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté et le grief relatif à la partialité alléguée du juge P., formulés dans la requête no 27505/14, ont été communiqués au Gouvernement, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour (« le règlement »).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Né en 1978, le requérant est actuellement détenu au centre de détention de sûreté situé au sein de la prison de Straubing (« le centre de détention de sûreté de la prison de Straubing »).
A. La genèse de l’affaire : la condamnation du requérant et la première ordonnance rétroactive de placement en détention de sûreté
6. Le 29 octobre 1999, le tribunal régional de Ratisbonne déclara le requérant coupable de meurtre et, en application du droit pénal relatif aux jeunes délinquants, le condamna à une peine de dix ans d’emprisonnement. Il conclut qu’en juin 1997 le requérant, alors âgé de dix-neuf ans, avait étranglé une femme qui faisait du jogging sur un chemin forestier, avait en partie dévêtu la victime agonisante ou décédée et s’était ensuite masturbé. Le tribunal jugea que le requérant était pleinement responsable pénalement au moment de son acte.
7. À partir du 17 juillet 2008, après qu’il eut purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement, le requérant fut placé en détention de sûreté provisoire en application de l’article 275a § 5 du code de procédure pénale (paragraphe 41 ci-dessous).
8. Le 22 juin 2009, le tribunal régional de Ratisbonne, où siégeait le juge P., ordonna de manière rétroactive le placement du requérant en détention de sûreté en application de l’article 7 § 2 alinéa 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs combiné avec l’article 105 § 1 de cette même loi (paragraphes 38-39 ci-dessous). À la lumière des rapports établis par un expert criminologue (Bo.) et un expert psychiatre (Ba.), le tribunal estimait que le requérant nourrissait toujours des fantasmes sexuels violents et qu’il existait un risque élevé qu’il commît de nouveau des infractions sexuelles graves, notamment des meurtres à caractère sexuel, s’il était remis en liberté. Le 9 mars 2010, la Cour fédérale de justice allemande rejeta le pourvoi du requérant portant sur des points de droit.
9. Le 4 mai 2011, dans un arrêt de principe, la Cour constitutionnelle fédérale allemande accueillit le recours constitutionnel formé par le requérant. Elle annula le jugement du tribunal régional du 22 juin 2009 ainsi que l’arrêt de la Cour fédérale de justice du 9 mars 2010 et renvoya l’affaire devant le tribunal régional. Elle conclut en outre à l’inconstitutionnalité de l’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté provisoire – qui était devenue sans objet dès lors que l’ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté prise dans le cadre de la procédure au principal était devenue définitive (dossier no 2 BvR 2333/08 et no 2 BvR 1152/10). La Cour constitutionnelle fédérale estimait que les jugements et décisions litigieux avaient porté atteinte au droit à la liberté dans le chef du requérant et contrevenu à la protection constitutionnelle des espérances légitimes qui était garantie dans un État régi par l’état de droit (paragraphe 43 ci-dessous).
B. La procédure en cause dans la requête no 10211/12 concernant le placement du requérant en détention de sûreté provisoire
1. La procédure devant le tribunal régional
10. Le 5 mai 2011, le requérant demanda au tribunal régional de Ratisbonne d’ordonner sa remise en liberté immédiate. Il avançait qu’à la suite de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011, lequel avait annulé le jugement ordonnant rétroactivement son placement en détention de sûreté, sa détention ne reposait plus sur aucune base juridique.
11. Le 6 mai 2011, le tribunal régional de Ratisbonne, faisant droit à la demande du procureur du 5 mai 2011, ordonna une nouvelle fois le placement du requérant en détention de sûreté provisoire en application des articles 7 § 4 et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec la première phrase de l’article 275a § 5 du code de procédure pénale (paragraphes 39 et 41 ci-dessous). Le tribunal estimait que la détention de sûreté provisoire du requérant était nécessaire car il existait des raisons sérieuses de croire que son placement rétroactif en détention de sûreté serait prononcé en vertu de l’article 7 § 2 no 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs lu à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011.
2. La procédure devant la cour d’appel
12. Par un mémoire daté du 27 juin 2011, reçu au tribunal régional le 29 juin 2011, le requérant fit appel de la décision du tribunal régional et présenta à cette fin de nouveaux exposés de ses moyens les 15, 19, 22, 25 et 26 juillet 2011. Il alléguait en particulier que sa détention de sûreté provisoire était irrégulière.
13. Le 4 juillet 2011, le tribunal régional de Ratisbonne refusa de modifier sa décision du 6 mai 2011.
14. Le 16 août 2011, la cour d’appel de Nuremberg rejeta le recours du requérant pour défaut de fondement. Elle s’appuya sur les éléments suivants : i) une requête déposée par le procureur général de Nuremberg le 20 juillet 2011 demandant que l’appel du requérant fût rejeté, ii) l’établissement des faits dressé par le tribunal régional de Ratisbonne dans son jugement du 22 juin 2009, iii) les conclusions rendues par deux médecins experts dans le cadre de la procédure qui avait conduit au jugement du 22 juin 2009, iv) les conclusions rendues dans le contexte d’une procédure antérieure par deux autres experts relativement à la santé mentale du requérant et à sa dangerosité, et v) les nouvelles règles plus strictes établies par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt du 4 mai 2011.
15. Le 29 août 2011, la cour d’appel de Nuremberg écarta le grief du requérant relatif à l’atteinte à son droit d’être entendu ainsi que son opposition à la décision du 16 août 2011. Cette décision fut signifiée à l’avocat du requérant le 6 septembre 2011.
3. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale
16. Le 7 septembre 2011, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours constitutionnel contre la décision du tribunal régional de Ratisbonne du 6 mai 2011, telle que confirmée par la cour d’appel de Nuremberg. Il demandait en outre que l’on sursît par une mesure provisoire à l’exécution de ces décisions jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle fédérale rendît sa décision. Le requérant soutenait en particulier que la procédure de contrôle de sa détention de sûreté provisoire avait méconnu son droit à une décision à bref délai, qui est enchâssé dans le droit constitutionnel à la liberté.
17. Le 18 octobre 2011, la Cour constitutionnelle fédérale communiqua le recours constitutionnel formé par le requérant au gouvernement du Land de Bavière, au président de la Cour fédérale de justice et au procureur général près cette dernière.
18. Le 25 octobre 2011, par une décision motivée, la Cour constitutionnelle fédérale refusa de suspendre par une mesure provisoire l’ordonnance de placement en détention de sûreté provisoire du requérant.
19. Par un mémoire daté du 1er janvier 2012, le requérant répondit aux arguments du gouvernement du Land de Bavière, du président de la Cour fédérale de justice et du procureur général près cette dernière datés respectivement du 28, du 24 et du 25 novembre 2011.
20. Le 22 mai 2012, la Cour constitutionnelle fédérale refusa, sans motiver sa décision, d’examiner le recours constitutionnel du requérant (dossier no 2 BvR 1952/11). Cette décision fut signifiée à l’avocat du requérant le 30 mai 2012.
C. La procédure en cause dans la requête no 27505/14 concernant la procédure au principal relative au placement rétroactif du requérant en détention de sûreté
1. La procédure devant le tribunal régional de Ratisbonne
a) La décision relative à la requête en suspicion légitime introduite par le requérant
21. Dans le cadre de la reprise de la procédure devant le tribunal régional de Ratisbonne, auquel l’affaire avait été renvoyée, le requérant déposa une requête en suspicion légitime à l’encontre du juge P. Ce dernier avait siégé dans la formation du tribunal régional de Ratisbonne qui avait ordonné rétroactivement son placement en détention de sûreté le 22 juin 2009 (paragraphe 8 ci-dessus). Le requérant assurait qu’à cette date, immédiatement après que le tribunal régional eut prononcé le jugement ordonnant rétroactivement son placement en détention de sûreté, le juge P. avait dit à son avocate, en faisant référence à lui-même : « prenez garde, après sa remise en liberté, à ne pas le trouver devant chez vous à vous attendre pour vous remercier. » Le requérant arguait que cette remarque avait été formulée au cours d’une discussion qui s’était tenue en privé entre les juges et ses deux défenseurs concernant l’éventualité de son transfert dans un établissement psychiatrique à la suite du jugement rendu par le tribunal régional.
22. Dans un commentaire daté du 13 décembre 2011 portant sur la requête en suspicion légitime introduite par le requérant, le juge P. expliqua qu’il se souvenait avoir discuté après le prononcé du jugement de l’éventualité d’un transfert du requérant dans un établissement psychiatrique. Cependant, compte tenu du temps qui s’était écoulé depuis lors, il dit ne plus se souvenir du contexte exact dans lequel il aurait prononcé la remarque litigieuse et ne plus se rappeler la teneur précise de la discussion.
23. Le 2 janvier 2012, le tribunal régional de Ratisbonne rejeta la requête en suspicion légitime qui avait été introduite par le requérant. Le tribunal considérait en particulier que même à supposer que le requérant ait démontré de manière convaincante pour le tribunal que le juge P. avait bien prononcé la remarque en question, il n’y avait aucune raison objective de douter de l’impartialité de P. Même à supposer que le requérant ait pu raisonnablement interpréter les mots « vous remercier » dans le contexte exposé ci-dessus comme signifiant qu’il était susceptible de commettre une infraction violente, il y avait lieu de noter que le tribunal régional, et notamment le juge P., venait juste d’établir que le requérant nourrissait toujours des fantasmes de violences sexuelles et qu’il existait à ce moment-là un risque important qu’il commît de nouveau des infractions graves attentatoires à la vie et à l’autodétermination sexuelle d’autrui. À supposer que le juge P. ait effectivement prononcé la remarque en question, son « conseil » n’aurait donc constitué en substance rien de plus que la transposition à un cas particulier des conclusions qui avaient été établies par le tribunal régional. De plus, cette remarque s’était inscrite dans le contexte d’un dialogue confidentiel qui s’était tenu entre les participants à la procédure en l’absence du requérant. Le juge P. pouvait s’attendre à ce que l’avocate du requérant interprétât sa remarque de la manière indiquée ci-dessus dans ce contexte.
24. Qui plus est, la remarque prononcée par le juge P. reflétait l’opinion qui était la sienne le jour où le tribunal régional avait rendu son jugement, à savoir le 22 juin 2009. Elle ne suggérait aucunement que le juge P. n’était pas prêt à rendre une décision impartiale dans la procédure en cours, laquelle se déroulait quelque deux ans après que la remarque litigieuse avait été prononcée et après la conclusion d’une nouvelle audience au principal. Le fait que le juge P. avait précédemment eu à connaître de l’affaire du requérant ne signifiait pas automatiquement qu’il fût partial.
b) La nouvelle ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté
25. Le 3 août 2012, le tribunal régional de Ratisbonne, après avoir siégé pendant plus de vingt-quatre jours, ordonna de nouveau le placement rétroactif du requérant en détention de sûreté.
26. Le tribunal régional estimait en particulier que, en application des articles 7 § 2, alinéa 1, et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011, une analyse complète de la personnalité du requérant et de l’infraction qu’il avait commise, conjuguée à la manière dont celui-ci avait évolué pendant l’exécution de sa peine en tant que délinquant juvénile, avait révélé qu’il existait un risque élevé que, s’il était remis en liberté, du fait des spécificités de sa personnalité ou de son comportement, le requérant pût commettre les actes de violence et les infractions sexuelles les plus graves, semblables à celle dont il avait été reconnu coupable
27. Le tribunal régional estimait de plus que le requérant souffrait d’un trouble mental aux fins de l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique (paragraphe 43 ci-dessous). Eu égard à la jurisprudence de la Cour fédérale de justice et de la Cour constitutionnelle fédérale, il considérait que si une simple « accentuation de la personnalité » ne suffisait pas à constituer un trouble mental au sens de ladite loi, il n’était pas nécessaire que ce trouble présentât un niveau de gravité tel qu’il abolisse ou amoindrisse la responsabilité pénale de la personne concernée aux fins des articles 20 et 21 du code pénal (paragraphe 43 ci-dessous). Le tribunal jugeait qu’étant donné la gravité que présentait le sadisme sexuel dont souffrait le requérant et les importantes conséquences néfastes qu’il avait eues sur le développement de celui-ci depuis son adolescence, il était constitutif d’un trouble mental au sens de la loi sur l’internement thérapeutique.
28. Le tribunal régional fonda son avis sur les rapports établis par deux experts psychiatres externes, K. et F., qu’il avait consultés. Eu égard aux conclusions rendues par ces experts ainsi qu’aux constats dressés par plusieurs experts qui avaient examiné le requérant depuis son arrestation après la commission de l’infraction, le tribunal régional se disait convaincu que le requérant nourrissait depuis l’âge de dix-sept ans des fantasmes sexuels violents, notamment de strangulation de femmes. Il souffrait d’un trouble de la préférence sexuelle, à savoir de sadisme sexuel tel que décrit par la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-10), qui est l’outil pertinent pour la classification des maladies, dans sa version en vigueur à l’époque ; ce trouble, qui avait été à l’origine du crime brutal qu’il avait commis et s’était manifesté à travers lui, persistait. La thérapie que le requérant avait suivie jusqu’en 2007, en particulier la thérapie sociale, n’avait pas été efficace. Même s’il apparaissait que le requérant était prêt, en principe, à se soumettre à une autre thérapie, il n’en suivait à l’époque aucune.
2. La procédure devant la Cour fédérale de justice
29. Dans un pourvoi en cassation contre le jugement rendu par le tribunal régional le 3 août 2012, le requérant dénonçait le caractère illégal de son placement rétroactif en détention de sûreté et le fait qu’un juge partial, le juge P., avait pris part au jugement dans son affaire.
30. Le 5 mars 2013, la Cour fédérale de justice rejeta le pourvoi du requérant pour défaut manifeste de fondement.
3. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale
31. Le 11 avril 2013, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours constitutionnel. Il alléguait en particulier que l’ordonnance rétroactive relative à son placement en détention de sûreté contrevenait à l’interdiction des peines rétroactives prévue par la Loi fondamentale ainsi que par l’article 7 § 1 de la Convention, et portait atteinte dans son chef au droit à la liberté et au droit à la protection des attentes légitimes dans un État régi par l’état de droit, ou était contraire à l’article 5 § 1 de la Convention. Il avançait en outre que son droit constitutionnel à ce que sa cause fût entendue par un tribunal établi par la loi avait été méconnu en ce que le juge P. avait été partial à son égard.
32. Le 5 décembre 2013, la Cour constitutionnelle fédérale refusa, sans motiver sa décision, d’examiner le recours constitutionnel du requérant (dossier no 2 BvR 813/13).
D. Les conditions de détention du requérant pendant l’exécution de l’ordonnance de placement en détention de sûreté
33. Le 7 mai 2011, à la suite de l’adoption de l’ordonnance de placement en détention de sûreté provisoire, le requérant fut transféré de l’aile de la prison de Straubing accueillant les personnes en détention de sûreté vers une aile réservée aux détentions provisoires. Du fait de ce transfert, il perdit les avantages dont bénéficiaient les personnes placées en détention de sûreté. En particulier, il fut privé de la possibilité de suivre une thérapie. Le 13 septembre 2011, à la suite d’un autre transfert, il fut de nouveau détenu dans l’aile réservée aux personnes placées en détention de sûreté de la prison de Straubing, où il demeura jusqu’au 20 juin 2013.
34. Depuis cette date, le requérant est détenu dans le centre de détention de sûreté nouvellement construit dans la prison de Straubing. Dans ce centre, qui peut accueillir jusqu’à 84 détenus, un psychiatre, sept psychologues, un médecin généraliste, sept travailleurs sociaux, un avocat, un enseignant, un inspecteur pénitentiaire, quatre infirmiers, quarante-quatre membres du personnel pénitentiaire général et quatre membres du personnel administratif s’occupent des détenus. Ceux-ci disposent aujourd’hui d’une cellule de 15 mètres carrés et peuvent rester à l’extérieur de leur cellule de 6 heures à 23 h 30. Le requérant a refusé toutes les thérapies que lui proposait le centre, et en particulier une thérapie sociale individuelle ou en groupe, la participation à un programme de traitement intensif destiné aux délinquants sexuels ou une thérapie assurée par un psychiatre externe.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le cadre juridique général
35. On trouvera un exposé complet des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale régissant la détention de sûreté ainsi que l’adoption, le contrôle et la mise en œuvre pratique des ordonnances de placement en détention de sûreté, et notamment les modifications y afférentes apportées à la législation pendant la période considérée, principalement dans les arrêts rendus par la Cour dans les affaires M. c. Allemagne (no 19359/04, §§ 45-78, CEDH 2009), Glien c. Allemagne (no 7345/12, §§ 32-52, 28 novembre 2013) et Bergmann c. Allemagne (no 23279/14, §§ 42-76, 7 janvier 2016). Les dispositions mentionnées dans la présente affaire sont les suivantes (paragraphes 36-42 ci-dessous).
B. Les ordonnances de placement en détention de sûreté concernant les mineurs et les jeunes adultes
36. Initialement, la loi sur les tribunaux pour mineurs n’autorisait pas la délivrance d’ordonnances de placement en détention de sûreté visant les mineurs et les jeunes adultes, auxquels s’appliquait le droit pénal relatif aux jeunes délinquants.
37. Avec la loi portant introduction du placement rétroactif en détention de sûreté en cas de condamnation prononcée selon le droit pénal relatif aux jeunes délinquants (Gesetz zur Einführung der nachträglichen Sicherungsverwahrung bei Verurteilungen nach Jugendstrafrecht) du 8 juillet 2008, qui est entrée en vigueur le 12 juillet 2008, l’article 7 § 2 a été intégré dans la loi sur les tribunaux pour mineurs.
38. L’article 7 § 2 de ladite loi tel qu’en vigueur jusqu’au 31 mai 2013 se lisait ainsi :
« si, à la suite de l’imposition d’une peine applicable aux jeunes délinquants d’une durée d’au moins sept années destinée à sanctionner (...) un crime
1. attentatoire à la vie, à l’intégrité physique ou au droit à l’autodétermination sexuelle, ou
2. (...)
qui a causé à la victime un préjudice moral ou physique grave ou l’a exposée au risque de subir pareil préjudice, des éléments montrent avant le terme de la peine infligée selon le droit pénal relatif aux jeunes délinquants que la personne condamnée représente un danger significatif pour la société, le tribunal peut ordonner rétroactivement le placement en détention de sûreté à condition qu’une analyse complète de la personnalité du condamné, de son infraction ou de ses infractions et (...) de la manière dont il a évolué pendant qu’il purgeait la peine qui lui a été infligée selon le droit pénal relatif aux jeunes délinquants permet de déterminer qu’il est très probable que l’intéressé commettra de nouveau des infractions semblables à celles décrites ci-dessus. »
39. L’article 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dispose que le tribunal doit appliquer certaines dispositions de cette loi qui concernent les mineurs (c’est-à-dire les personnes de quatorze à dix-huit ans) lorsqu’un jeune adulte d’un âge compris entre dix-huit et vingt et un ans a commis une infraction si, en particulier, une analyse complète de la personnalité de l’auteur de l’infraction, englobant son environnement de vie, a permis de déterminer que l’intéressé présentait le niveau de développement moral et intellectuel d’un mineur au moment de la commission de l’infraction.
40. En vertu de l’article 7 § 4 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dans sa version en vigueur jusqu’au 31 mai 2013, les tribunaux étaient tenus de vérifier tous les ans s’il était envisageable de suspendre telle ou telle ordonnance de placement en détention de sûreté et d’appliquer une mesure de mise à l’épreuve ; dans son arrêt du 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle fédérale a ordonné de ramener cette périodicité de un an à six mois.
41. En vertu de l’article 7 § 4 de la loi sur les tribunaux pour mineurs combiné avec la première phrase de l’article 275a § 5 du code de procédure pénale dans sa version en vigueur à la période considérée en vertu du régime transitoire applicable, un tribunal pouvait ordonner le placement d’une personne en détention de sûreté provisoire (jusqu’à ce que le jugement relatif au placement rétroactif en détention de sûreté devînt définitif) s’il existait des raisons sérieuses de croire que le placement de cette personne en détention de sûreté serait prononcé rétroactivement.
42. Les articles 304 § 1 et 305 du code de procédure pénale offrent la possibilité (qui n’est pas limitée dans le temps) de saisir une cour d’appel d’un recours contre la décision d’un tribunal régional d’ordonner un placement en détention de sûreté provisoire ; l’article 310 du code de procédure pénale exclut la possibilité de contester par un nouvel appel devant les juridictions ordinaires la décision rendue par la cour d’appel. À la suite de la décision de la cour d’appel, un détenu est en revanche en droit de former un nouvel appel auprès du tribunal régional compétent pour attaquer une ordonnance de placement en détention de sûreté provisoire.
C. Autres éléments pertinents du droit et de la pratique internes
43. Les autres dispositions auxquelles il est fait référence dans la présente affaire, dans leur version en vigueur à l’époque considérée, sont énumérées ci-après. Les dispositions relatives à l’irresponsabilité pénale et à l’atténuation de la responsabilité pénale (articles 20 et 21 du code pénal) sont énoncées dans l’arrêt Bergmann (précité, §§ 61-62). Les règles portant sur la détention des malades mentaux (article 63 du code pénal et article 1 de la loi sur l’internement thérapeutique) sont également exposées dans l’arrêt Bergmann (précité, §§ 63-64). Enfin, cet arrêt (idem, §§ 66-72) contient un résumé de l’arrêt de principe rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011 sur la détention de sûreté. L’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, qui a été prononcé, entre autres, à l’égard du requérant dans la présente espèce, concernait le placement rétroactif en détention de sûreté tel qu’il était prévu par l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs tout comme la détention de sûreté rétroactive des adultes prévue par le code pénal.
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
44. Étant donné que les deux requêtes en cause concernent deux procédures qui sont liées, l’une portant sur l’ordonnance provisoire de placement du requérant en détention de sûreté et l’autre sur l’ordonnance définitive rendue à cet égard, la Cour décide de les joindre (article 42 § 1 du règlement).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 § 1 ET 7 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE LA DÉTENTION DE SÛRETÉ DU REQUÉRANT DU 6 MAI 2011 AU 20 JUIN 2013
45. Le requérant se plaint que sa détention de sûreté ordonnée de manière rétroactive – qui a duré du 6 mai 2011 au 20 juin 2013 sur la base, dans un premier temps, d’une ordonnance provisoire de placement en détention de sûreté puis, dans un second temps, d’une ordonnance définitive de placement en détention de sûreté adoptée pendant la procédure au principal – a emporté violation de son droit à la liberté garanti par l’article 5 § 1 de la Convention ainsi que du principe de non-rétroactivité des peines consacré par l’article 7 § 1 de la Convention.
46. Après avoir à plusieurs reprises échoué à conclure un règlement amiable directement avec le requérant, le Gouvernement a informé la Cour par une lettre du 23 mai 2014 que, eu égard à l’arrêt qu’elle avait rendu dans l’affaire Glien (précité), il proposait de faire une déclaration unilatérale dans le but de résoudre la question soulevée par ce volet de la requête no 10211/12. Il a également demandé à la Cour de rayer cette requête du rôle conformément à l’article 37 de la Convention.
47. Cette déclaration est ainsi libellée :
« 1. Les tentatives visant à conclure un règlement amiable avec le requérant ont échoué.
2. Par une déclaration unilatérale, le gouvernement fédéral reconnaît que les droits du requérant garantis par les articles 5 et 7 de la Convention ont été violés à raison de la détention de sûreté qui a été prononcée a posteriori de manière provisoire à son encontre par l’ordonnance du 6 mai 2011. Le facteur décisif est que, compte tenu des circonstances particulières de sa détention, l’établissement dans lequel le requérant était détenu au début de la période en question « ne convenait pas » à l’accueil de personnes placées en détention de sûreté.
3. Étant donné les circonstances particulières de cette affaire, le Gouvernement est disposé à payer au requérant une indemnité d’un montant de 12 500 euros à condition que, en contrepartie de ce paiement, la Cour raye la requête du rôle conformément à l’article 37 § 1 c) de la Convention. Seraient ainsi réputées satisfaites toutes les demandes d’indemnisation et de remboursement des frais et dépens formulées par le requérant à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne (c’est‑à-dire à l’encontre de la fédération et/ou des Länder) à raison du placement [du requérant] en détention de sûreté, contraire à la Convention.
Ce montant devra être versé dans les trois mois à compter du moment où la décision de la Cour de rayer cette requête du rôle sera devenue définitive. »
48. Le Gouvernement explique par ailleurs qu’à son avis, pendant environ vingt-cinq mois, c’est-à-dire du 6 mai 2011 jusqu’à son transfert le 20 juin 2013 au centre de détention de sûreté situé au sein de la prison de Straubing, le requérant a été détenu dans un établissement ne convenant pas à l’accueil de patients atteints de troubles mentaux. À la suite de la communication de la requête no 27505/14, le Gouvernement a précisé à la demande de la Cour que sa déclaration couvrait la détention du requérant jusqu’au 20 juin 2013 au titre de l’ordonnance provisoire ainsi que de l’ordonnance adoptée au principal.
49. Par une lettre du 16 juin 2014, le requérant a fait savoir qu’il n’était pas satisfait des termes de la déclaration unilatérale aux motifs que ladite déclaration n’englobait pas toutes les violations de la Convention qui avaient selon lui été commises, que la somme proposée à titre de réparation ne couvrait pas intégralement le préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de ces violations, et qu’il souhaitait obtenir sa libération immédiate.
50. La Cour rappelle que l’article 37 de la Convention prévoit qu’elle peut à tout moment de la procédure décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent d’aboutir à l’une des conclusions énumérées aux points a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. En particulier, l’article 37 § 1 c) permet à la Cour de rayer une requête du rôle si :
« (...) pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête. »
51. Elle rappelle également que, dans certaines circonstances, elle peut rayer une requête du rôle en application de l’article 37 § 1 c) sur la base d’une déclaration unilatérale émanant d’un gouvernement défendeur, même si le requérant souhaite qu’elle poursuive l’examen de la requête.
52. À cette fin, la Cour a examiné la déclaration à la lumière des principes établis dans sa jurisprudence, en particulier dans l’arrêt Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, §§ 75-77, CEDH 2003‑VI, WAZA Spółka z o.o. c. Pologne (déc.), no 11602/02, 26 juin 2007, et Herman c. Pays-Bas (déc.), no 35965/14, §§ 15-18, 17 novembre 2015).
53. La Cour a, dans un certain nombre d’affaires, établi sa pratique relative aux griefs de violation des articles 5 § 1 et 7 § 1 de la Convention à raison de la prolongation ou de l’imposition rétroactives d’une détention de sûreté mise à exécution dans des ailes distinctes réservées dans les prisons aux personnes placées en détention de sûreté (voir, par exemple, M. c. Allemagne, précité, §§ 86-105 et §§ 117-137, B. c. Allemagne, no 61272/09, §§ 66-89, 19 avril 2012, G. c. Allemagne, no 65210/09, §§ 69‑80, 7 juin 2012, et Glien, précité, §§ 71-108 et 118-131).
54. Eu égard à la nature des éléments que le Gouvernement reconnaît dans sa déclaration ainsi qu’au montant de l’indemnité proposée, qui cadre avec les sommes qui ont été allouées dans des affaires similaires, la Cour considère qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de cette partie des requêtes (article 37 § 1 c) de la Convention).
55. De plus, à la lumière des considérations ci-dessus, et vu en particulier la jurisprudence claire et abondante qui existe sur ce sujet, la Cour est convaincue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de cette partie des requêtes (article 37 § 1 in fine de la Convention).
56. La Cour dit que le montant indiqué dans la déclaration du Gouvernement devra être versé dans les trois mois à compter de la date de la notification de la décision rendue par elle conformément à l’article 37 § 1 de la Convention. En cas de non-règlement dans le délai imparti, cette somme sera majorée d’un intérêt simple égal au taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne augmenté de trois points de pourcentage.
57. Enfin, la Cour souligne que si le Gouvernement devait ne pas honorer les termes de sa déclaration unilatérale, les requêtes pourraient être réinscrites au rôle conformément à l’article 37 § 2 de la Convention (Josipović c. Serbie (déc.), no 18369/07, 4 mars 2008).
58. Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rayer ces requêtes du rôle pour autant qu’elles portent sur les griefs ci-dessus.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE LA DÉTENTION DE SÛRETÉ DU REQUÉRANT À COMPTER DU 20 JUIN 2013
59. Le requérant se plaint également que la détention de sûreté ordonnée de manière rétroactive (pour autant qu’elle a été exécutée sur la base du jugement rendu par le tribunal régional de Ratisbonne le 3 août 2012) qu’il a subie à partir du 20 juin 2013 dans le centre de détention de sûreté de la prison de Straubing a elle aussi emporté violation de son droit à la liberté garanti par l’article 5 § 1 de la Convention, lequel, en ses parties pertinentes, est libellé comme suit :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; (...) »
60. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
61. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
62. Le requérant soutient que la détention litigieuse était contraire à l’article 5 § 1 car, en particulier, elle n’était pas justifiée au titre de l’alinéa e) de cette disposition. Il assure qu’il n’était pas un « aliéné ». Il ajoute que, du moins avant son transfert au centre de détention de sûreté de la prison de Straubing le 20 juin 2013, il n’était pas détenu dans un établissement adapté au traitement des patients souffrant de troubles mentaux.
63. Le Gouvernement estime que le placement du requérant en détention de sûreté ordonné rétroactivement dans le cadre de la procédure au principal était conforme à l’article 5 § 1 après le transfert de l’intéressé, le 20 juin 2013, au centre de rétention de sûreté de la prison de Straubing. Selon le Gouvernement, cette détention était justifiée au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 au titre de la détention d’un « aliéné ». En particulier, comme l’ont confirmé aux dires du Gouvernement les deux experts psychiatres qui avaient été consultés par le tribunal régional, le requérant souffrait d’un véritable trouble mental aux fins de cette disposition, à savoir un trouble pathologique de la préférence sexuelle. Le Gouvernement ajoute que le centre susmentionné dans lequel le requérant a été détenu était un établissement propre à accueillir des « aliénés ».
2. Appréciation de la Cour
64. Pour une synthèse des principes pertinents qui ont été établis relativement à l’article 5 § 1 e), la Cour renvoie au récapitulatif de ces principes dressé dans l’arrêt Bergmann (précité, §§ 95-99).
65. Pour déterminer si le placement du requérant en détention de sûreté qui avait été ordonné de manière rétroactive se justifiait au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 au titre de la détention d’un « aliéné », la Cour observe que le tribunal régional de Ratisbonne a conclu dans le cadre de la procédure au principal que le requérant souffrait toujours à l’époque considérée d’un trouble de la préférence sexuelle, à savoir de sadisme sexuel tel que défini par la classification CIM-10. Le requérant présentait donc un trouble mental aux fins de l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique. Pour parvenir à ces conclusions, qui ont été confirmées en appel, le tribunal s’est appuyé sur les rapports remis par deux experts psychiatres externes (paragraphes 25-28 ci-dessus).
66. Eu égard aux éléments à sa disposition, la Cour est convaincue qu’il a été établi devant les juridictions nationales compétentes sur la base d’une expertise médicale objective que le requérant souffrait d’un véritable trouble mental aux fins de l’article 5 § 1 e). Elle note en particulier que le trouble mental dont le requérant était atteint d’après les conclusions des juridictions nationales, à savoir un sadisme sexuel caractérisé par des fantasmes de violences sexuelles, notamment de strangulation de femmes, présentait un caractère grave, avait été à l’origine du meurtre commis par le requérant et s’était manifesté à travers ce meurtre, persistait et nécessitait un traitement psychiatrique.
67. La Cour considère par ailleurs que, conformément aux principes énoncés dans sa jurisprudence (paragraphe 64 ci-dessus), c’est à juste titre que les juridictions nationales compétentes ont estimé que le trouble mental dont souffrait le requérant présentait une nature ou un degré de gravité qui légitimaient un internement étant donné le risque élevé, qui avait été établi par ces juridictions, que le requérant commît, s’il était remis en liberté, une autre infraction grave similaire à celle dont il avait déjà été reconnu coupable (paragraphe 26 ci-dessus). De plus, la validité du maintien du requérant en internement dépendait de la persistance de son trouble mental, car au regard du droit interne, il n’était possible d’ordonner son maintien en détention de sûreté qu’à la condition qu’il existât un risque élevé que, s’il était remis en liberté, l’intéressé récidivât du fait de ce trouble et uniquement tant que ce risque existerait (paragraphe 40 ci-dessus).
68. Il s’ensuit que le requérant était un « aliéné » aux fins de l’article 5 § 1 e).
69. En ce qui concerne la légalité de la détention litigieuse du requérant, qui a été ordonnée en application des articles 7 § 2, alinéa 1, et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011 (paragraphes 26 et 38, 39 et 43 ci‑dessus), la Cour, eu égard aux principes posés dans sa jurisprudence (paragraphe 64 ci-dessus), doit rechercher si ladite détention a été exécutée dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement apte à recevoir des patients atteints de troubles mentaux. Elle observe que sur la période en cause, c’est-à-dire du 20 juin 2013 jusqu’à la décision qui devait être rendue dans le cadre du contrôle juridictionnel périodique à venir de son maintien en détention de sûreté, le requérant a été détenu dans le nouveau centre de détention de sûreté qui a été construit dans la prison de Straubing.
70. Le requérant ne conteste pas que les soins médicaux et thérapeutiques dont il a bénéficié dans ce centre ont marqué un changement considérable par rapport aux conditions qui prévalaient à la prison de Straubing. Au regard de la dotation en personnel, des conditions matérielles et notamment des propositions de thérapie qui ont été faites au requérant (y compris une thérapie sociale individuelle ou en groupe, un programme de traitement intensif à l’intention des délinquants sexuels ou une thérapie assurée par un psychiatre externe), la Cour est convaincue que le requérant s’est vu offrir l’environnement thérapeutique approprié à une personne détenue en qualité de patient atteint de troubles mentaux et qu’il était donc détenu dans un établissement adapté aux fins de l’article 5 § 1 e).
71. Il s’ensuit que la détention de sûreté du requérant ordonnée de manière rétroactive, pour autant qu’elle a été exécutée sous l’effet des décisions litigieuses à partir du 20 juin 2013 dans le centre de détention de sûreté de la prison de Straubing, était justifiée au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 étant donné qu’il s’agissait de la détention régulière d’un « aliéné ».
72. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention concernant cette partie de la requête.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE LA DÉTENTION DE SÛRETÉ DU REQUÉRANT À COMPTER DU 20 JUIN 2013
73. Le requérant se plaint que sa détention de sûreté ordonnée de manière rétroactive qui a été exécutée, sur la base du jugement du tribunal régional de Ratisbonne du 3 août 2012, dans le centre de détention de sûreté de la prison de Straubing à partir du 20 juin 2013 a également emporté violation de son droit de ne pas se voir infliger une peine plus forte que celle qui était applicable au moment de la commission de l’infraction, en 1997. Il invoque l’article 7 § 1 de la Convention, lequel, dans ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »
74. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
75. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
76. Du point de vue du requérant, la détention de sûreté litigieuse qui lui a été imposée était contraire à l’article 7 § 1 de la Convention. Eu égard aux critères établis par la Cour dans l’arrêt M. c. Allemagne (précité), cette détention, qui avait été ordonnée rétroactivement, aurait selon lui dû être qualifiée de « peine ». Il ajoute que le fait que cette détention a été exécutée dans le centre de détention de sûreté de la prison de Straubing, conformément aux modifications introduites par la loi du 5 décembre 2012 sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement, ne change rien à ce constat. Selon lui, si l’on regarde au-delà des apparences, sa détention de sûreté demeurait une « peine » aux fins de l’article 7 § 1.
77. Le Gouvernement assure que l’ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté qui a été prise dans le cadre de la procédure au principal a été conforme à l’article 7 § 1 de la Convention dès lors que le requérant a été transféré au centre de détention de sûreté de la prison de Straubing le 20 juin 2013. Le Gouvernement estime qu’à partir de cette date, la détention de sûreté du requérant ne pouvait plus être qualifiée de « peine » aux fins de la deuxième phrase de l’article 7 § 1. Pour le Gouvernement, la détention de l’intéressé était destinée à traiter son trouble mental. Il ajoute que depuis cette date, au sein de ce centre, une équipe pluridisciplinaire d’experts déploie des efforts considérables pour motiver le requérant afin qu’il suive un traitement approprié à sa pathologie.
2. Appréciation de la Cour
78. Pour une synthèse des principes pertinents qui ont été établis relativement à l’article 7 § 1, la Cour renvoie au récapitulatif de ces principes dressé dans l’arrêt Bergmann (précité, §§ 149-150).
79. Pour déterminer si, en l’espèce, la détention de sûreté du requérant qui a été ordonnée de manière rétroactive après sa condamnation pour un meurtre commis en 1997 constituait une « peine » aux fins de la deuxième phrase de l’article 7 § 1, la Cour s’appuie en premier lieu sur les conclusions qu’elle a rendues dans l’affaire Bergmann (arrêt précité, §§ 153-183). Dans cette affaire, la Cour a été appelée à dire si la détention de sûreté imposée au requérant concerné, qui ne pouvait qu’être prolongée rétroactivement parce que l’intéressé souffrait d’un trouble mental et qui a été exécutée dans un nouveau centre de détention de sûreté que l’on avait construit afin de répondre à l’obligation constitutionnelle d’opérer une distinction entre détention de sûreté et emprisonnement, devait être qualifiée de « peine ».
80. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que dans les cas où la détention de sûreté était prolongée en raison de la nécessité de traiter le trouble mental de la personne concernée et dans cette optique, tant la nature que la finalité de la détention changeaient substantiellement par rapport à celles d’une détention de sûreté qui était exécutée sans qu’il fût tenu compte de l’existence ou non d’un trouble mental. Là où la détention de sûreté était prolongée et ne pouvait que l’être aux fins du traitement d’un trouble mental dans un établissement adapté, l’élément punitif de la détention de sûreté et son lien avec la condamnation pénale de l’intéressé s’effaçaient au point que la mesure n’était plus constitutive d’une peine au sens de l’article 7 § 1.
81. La Cour estime que les mêmes considérations s’appliquent à une détention de sûreté qui n’a pas été prolongée au-delà d’une durée maximale anciennement autorisée, comme dans l’affaire Bergmann (arrêt précité), mais qui a été ordonnée rétroactivement dans un jugement distinct sans qu’une ordonnance de placement en détention de sûreté ait été incluse dans le jugement de condamnation, comme dans la présente affaire.
82. La Cour observe qu’en l’espèce, la détention de sûreté du requérant a été ordonnée, et là aussi ne pouvait que l’être, dans la mesure où il avait été constaté que l’intéressé souffrait d’un trouble mental (paragraphes 27 et 43 ci-dessus). De même, cette détention a été exécutée dans un centre nouvellement construit afin d’accueillir des personnes placées en détention de sûreté. Dans ce centre, le requérant s’est vu proposer des soins personnalisés et une thérapie complète ciblant son état mental dans le cadre d’une thérapie sociale individuelle ou en groupe, un programme de traitement intensif destiné aux délinquants sexuels ou une thérapie assurée par un psychiatre externe.
83. Dans ces conditions, la Cour conclut que la détention de sûreté du requérant pendant la période en cause et telle que résultant des décisions litigieuses ne pouvait plus être qualifiée de « peine ».
84. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention s’agissant de cette partie de la requête.
V. SUR L’ABSENCE ALLÉGUÉE DE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL À BREF DÉLAI
85. Le requérant se plaint en outre dans sa requête no 10211/12 que les juridictions nationales n’ont pas statué à bref délai dans la procédure en cause. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.
86. La Cour note que, dans ladite procédure, le requérant a cherché à contester la légalité de sa détention de sûreté provisoire. Le grief doit donc être examiné sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
87. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
88. La Cour observe que le requérant se plaint que la garantie d’un contrôle à bref délai n’a pas été honorée, entre autres, dans le contexte de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale. Elle rappelle à ce propos avoir dit de manière réitérée que l’article 5 § 4 s’appliquait aux procédures devant les juridictions constitutionnelles nationales qui, dans leur examen de la conformité de l’ordonnance de détention litigieuse avec les droits fondamentaux, doivent s’assurer de la légalité de la détention de l’intéressé et ont compétence pour annuler les décisions des tribunaux ordinaires et, si nécessaire, pour ordonner la remise en liberté de la personne détenue (voir, en particulier, Smatana c. République tchèque, no 18642/04, §§ 119-124, 27 septembre 2007, et Žúbor c. Slovaquie, no 7711/06, §§ 71-77, 6 décembre 2011, avec d’autres références). Eu égard à la compétence de la Cour constitutionnelle fédérale (voir à ce sujet, à titre d’exemple, son arrêt de principe du 4 mai 2011, paragraphe 43 ci-dessus), la Cour conclut que l’article 5 § 4 s’applique également aux procédures devant cette juridiction. Les parties s’accordent d’ailleurs sur ce point.
89. Constatant en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
90. Le requérant avance que la durée de la procédure par laquelle il a contesté la légalité de sa détention de sûreté provisoire n’a pas respecté l’impératif de célérité (« à bref délai ») énoncé à l’article 5 § 4 de la Convention. Il soutient qu’à partir du moment où il a, le 27 juin 2011, introduit son appel contre la décision du tribunal régional de Ratisbonne du 6 mai 2011, près de onze mois se sont écoulés avant que la Cour constitutionnelle fédérale ne rendît, le 22 mai 2012, sa décision définitive sur la légalité de sa détention de sûreté provisoire. Il estime en particulier que la Cour constitutionnelle fédérale, devant laquelle la procédure a duré du 7 septembre 2011 jusqu’au 22 mai 2012, n’a pas statué à bref délai.
91. Le Gouvernement considère que la procédure en cause a été conduite avec célérité, comme l’exige l’article 5 § 4. Il précise que le requérant a sollicité le 29 juin 2011 un contrôle juridictionnel de la décision par laquelle, le 6 mai 2011, le tribunal régional avait ordonné son placement en détention de sûreté provisoire. Il ajoute qu’étant donné la complexité de l’affaire – les juridictions internes ayant dû non seulement travailler sur un dossier volumineux mais aussi apprécier la légalité de la détention du requérant à la lumière du nouvel arrêt de principe rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011 et des nouveaux critères énoncés par elle – tant la cour d’appel que la Cour constitutionnelle fédérale doivent être réputées avoir statué avec célérité. De plus, selon lui, le requérant avait la possibilité (dont il a fait usage) de saisir le tribunal régional d’une nouvelle demande de contrôle juridictionnel de sa détention de sûreté provisoire tandis que la procédure en cause était pendante devant la Cour constitutionnelle fédérale.
2. Appréciation de la Cour
a) Récapitulatif des principes pertinents
92. La Cour rappelle que, en garantissant aux détenus un recours pour contester la régularité de leur incarcération, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour eux d’obtenir, dans un bref délai à compter de l’introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 106, 9 juillet 2009, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 154, 22 mai 2012).
93. Le point de savoir si le droit à une décision à bref délai a été respecté doit – comme c’est le cas pour la clause de « délai raisonnable » de l’article 5 § 3 et de l’article 6 § 1 de la Convention – s’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce, notamment la complexité de la procédure, la manière dont elle a été conduite par les autorités nationales et par le requérant et l’enjeu qu’elle représentait pour ce dernier (Mooren, précité, § 106, avec d’autres références, S.T.S. c. Pays-Bas, no 277/05, § 43, CEDH 2011, et Shcherbina c. Russie, no 41970/11, § 62, 26 juin 2014).
94. L’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer plus d’un degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et pour celui des demandes d’élargissement. Néanmoins, un État qui se dote d’un second degré de juridiction doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance (Navarra c. France, 23 novembre 1993, § 28, série A no 273‑B, Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 124, CEDH 2006‑XII (extraits), et S.T.S. c. Pays-Bas, précité, § 43).
95. Pour déterminer s’il a été satisfait à l’exigence de respect d’un « bref délai », il faut se livrer à une appréciation globale lorsque la procédure s’est déroulée devant plusieurs degrés de juridiction (Navarra, précité, § 28, et Mooren, précité, § 106). Lorsque l’ordonnance initiale de placement en détention a été prise par un tribunal (c’est-à-dire par un organe judiciaire indépendant et impartial) dans le cadre d’une procédure offrant les garanties judiciaires appropriées, et lorsque le droit interne instaure un double degré de juridiction, la Cour est disposée à tolérer que le contrôle devant une juridiction de deuxième instance prenne plus de temps (Lebedev c. Russie, no 4493/04, § 96, 25 octobre 2007, et Shcherbina, précité, § 65). Ces considérations valent également pour les griefs soulevés sur le terrain de l’article 5 § 4 concernant des procédures conduites devant des juridictions constitutionnelles qui, en vertu des dispositions pertinentes de la procédure pénale, étaient distinctes des procédures conduites devant les tribunaux ordinaires (Žúbor, précité, § 89).
96. La Cour a défini dans sa jurisprudence des normes relativement rigoureuses concernant le respect par l’État de l’exigence de célérité. Une analyse de sa jurisprudence révèle que, dans les procédures d’appel qui se déroulent devant des juridictions ordinaires et qui font suite à une ordonnance de placement en détention prise par un tribunal de première instance, des retards de plus de trois à quatre semaines dont les autorités doivent être tenues pour responsables sont susceptibles de soulever un problème du point de vue de l’exigence de « célérité » énoncée à l’article 5 § 4, à moins que ce délai de contrôle plus long ne soit exceptionnellement justifié dans les circonstances de l’affaire (comparer, entre autres, avec G.B. c. Suisse, no 27426/95, §§ 27 et 32-39, 30 novembre 2000 – où la Cour a dit qu’un délai de trente-deux jours pour qu’un procureur fédéral et un tribunal fédéral se prononcent sur la demande d’élargissement d’un requérant était contraire à l’article 5 § 4 –, Lebedev, précité, §§ 98-102 – où la Cour a dit que les autorités étaient responsables de vingt-sept jours sur le délai total qu’il a fallu à la cour d’appel pour statuer sur la demande de remise en liberté du requérant, ce qui était incompatible avec l’article 5 § 4 –, Lebedev, précité, § 97, et Shcherbina, précité, § 65).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
97. En ce qui concerne la période à prendre en considération afin de statuer sur le respect ou non par l’État défendeur de l’exigence de célérité, la Cour observe que le requérant a demandé pour la première fois sa remise en liberté au tribunal régional le 5 mai 2011. Il alléguait que l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011, lequel annulait le jugement qui avait ordonné son placement en détention de sûreté, avait fait disparaître la base juridique sur laquelle se fondait la mesure privative de liberté qui avait été prise à son encontre (paragraphe 10 ci‑dessus). Le lendemain, le 6 mai 2011, le tribunal régional a ordonné son placement en détention de sûreté provisoire. Devant la Cour, le requérant s’est contenté d’alléguer que les juridictions internes n’avaient pas statué à bref délai sur les recours qu’il avait formés contre cette dernière décision (paragraphe 90 ci-dessus). La période à prendre en considération a donc commencé le 29 juin 2011, date à laquelle le tribunal régional a reçu l’appel formé par le requérant contre l’ordonnance de placement en détention du 6 mai 2011. Elle a pris fin le 30 mai 2012, date à laquelle la décision rendue par la Cour constitutionnelle fédérale le 22 mai 2012 a été signifiée à l’avocat du requérant. Elle est donc d’une durée de onze mois et un jour pour trois degrés de juridiction.
98. La Cour observe qu’après avoir reçu, le 29 juin 2011, l’appel introduit par le requérant, le tribunal régional a pris sa décision de refuser de modifier son ordonnance de placement en détention du 6 mai 2011 cinq jours plus tard, le 4 juillet 2011, donc à bref délai.
99. À la suite de la décision du tribunal régional, la cour d’appel, ayant reçu les observations de l’accusation et de la défense, a pris sa décision au sujet de l’appel du requérant le 16 août 2011 ; la procédure devant cette juridiction a donc duré quarante-deux jours.
100. Pour apprécier si le droit du requérant à obtenir une décision à bref délai a quand même été respecté, malgré ce délai plutôt long, étant donné les circonstances de l’affaire, la Cour prend en considération le fait que la procédure devant la cour d’appel était relativement complexe, d’un point de vue tant juridique que factuel. Après le revirement de jurisprudence opéré par la Cour constitutionnelle fédérale dans un arrêt de principe, la cour d’appel devait examiner si, au vu des nouvelles règles plus strictes établies par la Cour constitutionnelle, il demeurait des raisons sérieuses de croire que le placement rétroactif du requérant en détention de sûreté serait ordonné. Il était en particulier devenu nécessaire de déterminer s’il existait des raisons suffisantes de partir du principe que le requérant souffrait d’un trouble mental, alors que l’ancienne version de la loi sur les tribunaux pour mineurs et la jurisprudence antérieure n’imposaient pas pareille appréciation. En procédant à cette appréciation dans le cas du requérant, la cour d’appel s’est appuyée sur les faits établis par le tribunal régional de Ratisbonne dans son jugement du 22 juin 2009, ainsi que sur les rapports remis par quatre experts médicaux au cours de cette procédure et de la procédure antérieure. Elle a soigneusement motivé sa décision d’ordonner le placement du requérant en détention de sûreté provisoire.
101. Bien qu’il n’apparaisse pas que le requérant, qui a étoffé à cinq reprises ses moyens d’appel, ait substantiellement contribué à la durée de la procédure, la Cour conclut que, au vu de sa complexité, la procédure devant la cour d’appel a satisfait à l’exigence de célérité dans les circonstances particulières de l’espèce.
102. La Cour observe en outre que la cour d’appel a statué le 29 août 2011 sur le grief du requérant tiré d’une atteinte à son droit d’être entendu et sur son opposition à la décision du 16 août 2011 ; la décision de la cour d’appel a été signifiée à l’avocat du requérant le 6 septembre 2011. La procédure a donc duré vingt et un jours, ce qui, à la lumière des considérations ci-dessus, ne saurait être considéré comme excessif.
103. Pour ce qui est de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale, la Cour note qu’à la suite de l’introduction du recours constitutionnel du requérant le 7 septembre 2011, la haute juridiction a décidé le 25 octobre 2011 (c’est-à-dire après 47 jours) de rejeter la requête du requérant, qui demandait une suspension de l’ordonnance de placement en détention le concernant. La décision du 22 mai 2012, par laquelle la haute juridiction refusait d’examiner le grief, a été signifiée à l’avocat du requérant le 30 mai 2012 (ce qui porte la durée totale à huit mois et 22 jours).
104. La Cour observe à cet égard que la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale était complexe car c’était la première fois depuis son arrêt de principe du 4 mai 2011, adopté à l’égard du requérant, que la haute juridiction devait apprécier si les juridictions ordinaires avaient interprété et appliqué cet arrêt de principe dans le respect du droit constitutionnel du requérant à la liberté. La complexité de la procédure transparaît également dans le fait que la Cour constitutionnelle fédérale a communiqué le recours constitutionnel au gouvernement du Land de Bavière, au président de la Cour fédérale de justice et au procureur général près cette dernière. De plus, elle a, par une décision motivée, rejeté la demande de mesures provisoires qui avait été formulée par le requérant.
105. La Cour considère en outre que les spécificités des procédures devant des juridictions constitutionnelles telles que la Cour constitutionnelle fédérale doivent être prises en compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la conformité avec l’exigence d’un « bref délai » qui est énoncée à l’article 5 § 4. Même si, à l’instar des juridictions inférieures, la Cour constitutionnelle examine la légalité de la détention d’un requérant, elle n’agit pas ce faisant à titre de « quatrième instance » mais recherche uniquement si l’ordonnance de placement en détention respecte le droit fondamental à la liberté. Le fait qu’un détenu peut obtenir un nouveau contrôle d’une ordonnance de placement en détention devant les juridictions ordinaires alors même qu’une procédure antérieure est toujours pendante devant la Cour constitutionnelle (paragraphe 42 ci-dessus) témoigne de la particularité du rôle que tient la Cour constitutionnelle au sein de l’ordre juridique interne
106. De plus, la Cour fait référence à la raison d’être de sa jurisprudence, citée au paragraphe 95 ci-dessus, par laquelle elle se dit disposée à tolérer que le contrôle devant une juridiction de deuxième instance prenne plus de temps. En effet, lorsqu’une ordonnance de placement en détention a été prise par un tribunal dans le contexte d’une procédure offrant les garanties judiciaires appropriées, la procédure ultérieure s’attache moins à l’arbitraire mais veille à offrir des garanties supplémentaires principalement axées sur une évaluation du bien-fondé d’un maintien en détention (comparer avec Lebedev, précité, § 96). Pareilles considérations s’appliquent a fortiori à la procédure devant une juridiction constitutionnelle, c’est-à-dire une instance supplémentaire uniquement chargée d’examiner la conformité d’une mesure privative de liberté avec le droit fondamental à la liberté, et pendant la durée de laquelle une nouvelle procédure de contrôle juridictionnel peut déjà être engagée devant les tribunaux ordinaires.
107. La Cour constate qu’on ne peut pas dire que le requérant, qui a répondu aux observations du gouvernement du Land de Bavière, du président de la Cour fédérale de justice et du procureur général près cette dernière datées respectivement des 28, 24 et 25 novembre 2011 par un mémoire du 1er janvier 2012, ait considérablement contribué à la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale. Néanmoins, compte tenu des spécificités d’une procédure de recours constitutionnel telle que décrite au paragraphe 105 ci-dessus, de la complexité de la procédure qui a été engagée en l’espèce devant la Cour constitutionnelle fédérale et des circonstances particulières de l’affaire en cause, la Cour considère que l’exigence de respect d’un « bref délai » qui est définie à l’article 5 § 4 a été honorée.
108. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
VI. SUR LE DÉFAUT ALLÉGUÉ D’IMPARTIALITÉ DU JUGE P.
109. Le requérant soutient que le juge P. a été partial à son égard dans le cadre de la procédure au principal qui s’est tenue devant le tribunal régional de Ratisbonne relativement à l’ordonnance rétroactive de placement en détention de sûreté prise à son encontre. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, lequel, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
110. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
111. Pour commencer, la Cour doit rechercher si, comme le soutient le requérant, l’article 6 § 1 s’applique à la procédure en cause, laquelle avait pour but de déterminer si la détention de sûreté du requérant devait être ordonnée de manière rétroactive en vertu des articles 7 § 2, alinéa 1, et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs à raison du danger que celui-ci représentait (que laissait présager une infraction pénale grave commise antérieurement) et d’un trouble mental.
112. La Cour note en premier lieu qu’il y a lieu de distinguer la procédure en cause de celles portant sur le contrôle juridictionnel du maintien en détention de sûreté ou du maintien de l’internement psychiatrique d’un requérant préalablement ordonnés par une juridiction pénale, qui constituaient l’objet du litige dans des requêtes antérieures dirigées contre l’Allemagne. Ces procédures, qui avaient trait au contrôle périodique destiné à déterminer si le placement en détention qui avait été précédemment ordonné à l’encontre d’un requérant présentait toujours un caractère légal, devaient être examinées sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention (voir, par exemple, Homann c. Allemagne (déc.), no 12788/04, 9 mai 2007, et Puttrus c. Allemagne (déc.), no 1241/06, 24 mars 2009). En revanche, la procédure en cause ne concerne pas la légalité de la poursuite de la détention du requérant au regard de l’article 5 § 4, mais la question de savoir si une ordonnance rétroactive de placement en détention de sûreté devait initialement être prise à l’encontre de l’intéressé. Or pareille procédure ne relève pas de l’article 5 § 4.
113. La Cour observe par ailleurs que la procédure devant les juridictions pénales concernant l’ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté n’avait plus pour but de statuer sur le « bien-fondé de toute accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1. Le requérant avait été déclaré coupable de meurtre par un jugement définitif rendu en octobre 1999. La procédure relative à l’ordonnance rétroactive de placement en détention de sûreté le concernant à raison de ce meurtre ne comportait plus d’accusation pénale qui aurait été dirigée à son encontre eu égard à une (nouvelle) infraction, raison pour laquelle l’article 6 § 1 ne trouve pas à s’appliquer sous son volet pénal (comparer avec Ganci c. Italie, no 41576/98, § 22, CEDH 2003‑XI, Homann, décision précitée, avec d’autres références, et B. c. Allemagne, précité, § 73).
114. Cependant, la Cour a maintes fois dit qu’une procédure relative à l’internement d’une personne dans le pavillon psychiatrique d’une prison ou dans un établissement psychiatrique portait en substance sur la légalité d’une privation de liberté. Le droit à la liberté étant un droit de caractère civil, l’article 6 § 1 trouve donc à s’appliquer à ces procédures sous son volet civil (voir, entre autres, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 59, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, Laidin c. France (no 2), no 39282/98, §§ 75-76, 7 janvier 2003, et Choulepova c. Russie, no 34449/03, § 59, 11 décembre 2008). La Cour estime que les mêmes considérations valent pour la procédure en cause en l’espèce, qui portait sur la légalité de l’ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté et donc sur le droit de celui-ci à la liberté, à savoir un droit de caractère civil. L’article 6 § 1 trouve par conséquent à s’appliquer sous son volet civil.
115. Constatant en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
116. Le requérant estime que le juge P. a été partial envers lui dans le cadre de la procédure en cause, en violation des articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention. Selon lui, le juge P. a fait montre de préjugé personnel à son égard étant donné qu’à la suite du prononcé du jugement du tribunal régional le 22 juin 2009, ce juge a invité son ancienne avocate à prendre garde de ne pas le trouver devant chez elle à l’attendre pour la « remercier » en personne une fois qu’il aurait été remis en liberté. Selon le requérant, le juge P. a ainsi fait savoir qu’il le considérait comme capable de commettre une infraction violente ou sexuelle grave sur la personne de son avocate.
117. Le requérant souligne que le juge P. n’a pas intégré son commentaire sur le prétendu risque représenté par lui-même dans les motivations du jugement rendu par le tribunal régional le 22 juin 2009, mais qu’il l’a formulé dans un contexte dans lequel ce risque était selon lui dénué de toute pertinence. D’après le requérant, le juge n’avait aucune raison de dire qu’il pouvait représenter une menace pour son avocate dans le cadre d’une conversation portant sur l’éventualité de son transfert ultérieur d’un lieu de détention de sûreté dans un établissement psychiatrique.
118. De l’avis du Gouvernement, la procédure en cause était conforme à l’article 5 § 4 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier, le Gouvernement indique que l’observation adressée par le juge P. à l’avocate qui assurait alors la défense du requérant n’a pas soulevé de doutes objectivement justifiés à propos de l’impartialité du juge.
119. Le Gouvernement concède qu’il fallait comprendre la remarque litigieuse formulée par le juge comme signifiant que celui-ci considérait que le requérant était dangereux. Il ajoute toutefois que cette appréciation concordait avec la conclusion qui avait été rendue par le tribunal régional, dans lequel siégeait le juge P., dans son jugement du 22 juin 2009, soit juste avant que le juge P. ne prononçât cette remarque. Il précise que dans ce jugement, le tribunal avait ordonné de manière rétroactive le placement du requérant en détention de sûreté car il existait un risque élevé que celui-ci ne commît de nouvelles infractions pénales attentatoires à la vie et à l’intégrité sexuelle. Selon le Gouvernement, ce commentaire ne justifiait donc pas de craindre un défaut d’impartialité de la part du juge P. dans le cadre de la procédure en cause, lors de laquelle le tribunal régional, au sein duquel siégeait le juge P., a rendu un autre jugement à l’encontre du requérant le 3 août 2012 (c’est-à-dire plus de trois ans plus tard). À ce moment-là, qui plus est, la situation (en particulier juridique) du requérant avait de l’avis du Gouvernement changé sous l’effet de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011.
2. Appréciation de la Cour
120. La Cour rappelle que, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 191, CEDH 2003‑VI et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 104, CEDH 2013).
121. Pour ce qui est de la démarche subjective, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (Morel c. France, no 34130/96, § 41, CEDH 2000‑VI, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 94, CEDH 2009).
122. Quant à l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant est le point de savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 44, CEDH 2000‑XII, et Micallef, précité, § 96).
123. On ne saurait poser en principe général découlant du devoir d’impartialité qu’une juridiction de recours annulant une décision administrative ou judiciaire a l’obligation de renvoyer l’affaire à une autre autorité juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 97, série A no 13, et Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 38, série A no 325‑A).
124. En ce qui concerne le défaut allégué d’impartialité du juge P. en l’espèce, la Cour observe que les juridictions nationales ont fondé leur examen de l’affaire sur l’hypothèse que le juge P. avait pu faire la déclaration en question (paragraphe 23 ci-dessus) et elle mènera donc son analyse à partir de cette même hypothèse. Elle relève en outre que le juge P. a fait la déclaration litigieuse dans le cadre d’un échange confidentiel entre les juges du tribunal régional et deux avocats qui avaient assuré la défense du requérant. Cette discussion, qui a eu lieu juste après que le tribunal régional, le 22 juin 2009, a rendu son premier jugement ordonnant rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté, portait sur un éventuel transfert ultérieur du requérant vers un hôpital psychiatrique. Il apparaît que les parties ne contestent pas – et la Cour se rallie à cette interprétation – que la remarque qui aurait été faite par le juge P. dans ce contexte, qui tendait à inciter l’avocate du requérant à prendre garde que celui-ci ne vînt pas lui rendre visite pour la « remercier » une fois qu’il serait remis en liberté, devait être comprise comme signifiant que le juge P. estimait qu’il existait un risque que le requérant commît sur la personne de son avocate une infraction violente ou sexuelle grave (semblable à celle dont il avait été jugé coupable) s’il était remis en liberté.
125. La Cour tient à souligner d’emblée l’importance de la déontologie dans l’exercice des fonctions judiciaires. Aux fins de déterminer s’il est établi, au vu de la remarque qu’il a pu formuler, que le juge P. nourrissait personnellement un préjugé à l’encontre du requérant (voir la « démarche subjective » ci-dessus), la Cour attache une importance décisive au contexte dans lequel le juge P. aurait formulé cette remarque. À supposer, comme l’ont fait les juridictions nationales, que le juge a effectivement prononcé la remarque en question, il l’a fait immédiatement après que le tribunal régional au sein duquel il siégeait avait ordonné rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté car il considérait que celui-ci entretenait toujours des fantasmes sexuels violents et qu’il existait un risque élevé que l’intéressé commît de nouveau des infractions sexuelles graves, comme un meurtre à caractère sexuel, s’il était remis en liberté (paragraphe 8 ci-dessus). Dans ces conditions, la remarque du juge P. s’analysait en substance en une confirmation de la conclusion qui avait été établie par le tribunal régional dans le jugement qu’il venait de rendre. La Cour n’est donc pas persuadée que, même à supposer que cette remarque ait bien été prononcée, il existe des éléments suffisants démontrant que le juge P. ait fait montre d’hostilité pour des raisons personnelles et ait donc entretenu un préjugé personnel à l’encontre du requérant.
126. La Cour doit ensuite rechercher si le comportement du juge P. peut susciter des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité de celui-ci du point de vue d’un observateur extérieur (voir la « démarche objective » susmentionnée). Elle note que dans la procédure en cause, le tribunal régional, où siégeait le juge P., était appelé à décider de nouveau s’il était nécessaire d’ordonner rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté après que la Cour constitutionnelle fédérale eut annulé son jugement du 22 juin 2009 et renvoyé l’affaire devant cette juridiction.
127. Compte tenu de sa jurisprudence (paragraphe 123 ci-dessus), la Cour considère que le simple fait que le juge P. avait déjà siégé au sein de la formation collégiale qui avait rendu la première ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté et que de plus, à la suite de l’annulation de ce jugement, il avait également siégé dans la formation qui avait de nouveau ordonné rétroactivement de placer le requérant en détention de sûreté le 3 août 2012, ne suffit pas à soulever des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité.
128. La Cour estime par ailleurs que le fait que le juge P. a dans sa remarque litigieuse censément confirmé le 22 juin 2009 qu’il considérait le requérant comme dangereux ne permet pas de douter de manière objectivement justifiée de l’impartialité du juge dans la procédure en cause ici. Dans cette procédure, qui a pris fin trois ans environ après que la remarque litigieuse a été prononcée, le tribunal régional a entendu de nouveaux témoignages afin de déterminer si, à cette époque et en vertu de la loi telle que modifiée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale qui a renversé sa jurisprudence antérieure, il y avait lieu d’ordonner rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté. La déclaration litigieuse ne fournit aucune raison légitime de craindre que le juge P. n’ait pas mené la nouvelle appréciation nécessaire du niveau de danger que représentait le requérant sur la base des éléments produits et des arguments avancés au cours de la nouvelle procédure.
129. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur au titre des articles 5 et 7 § 1 de la Convention relative à la détention de sûreté du requérant du 6 mai 2011 au 20 juin 2013 et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements qui y sont exposés ;
3. Décide de rayer du rôle cette partie des requêtes conformément à l’article 37 § 1 c) de la Convention ;
4. Déclare le restant des requêtes recevable ;
5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention à raison de la détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013 en conséquence de l’ordonnance litigieuse relative à son placement rétroactif en détention de sûreté ;
6. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention à raison de la détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013 en conséquence de l’ordonnance litigieuse relative à son placement rétroactif en détention de sûreté ;
7. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de la durée de la procédure de contrôle de la détention de sûreté provisoire du requérant ;
8. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du défaut allégué d’impartialité du juge P. dans le contexte de la procédure au principal relative à l’ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 2 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan BlaškoErik Møse
Greffier adjointPrésident