DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ERIOMENCO c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET RUSSIE
(Requête no 42224/11)
ARRÊT
STRASBOURG
9 mai 2017
DÉFINITIF
11/12/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Eriomenco c. République de Moldova et Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mars 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42224/11) dirigée contre la République de Moldova et la Fédération de Russie et dont un ressortissant moldave, M. Vitalie Eriomenco (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant étant à l’époque détenu dans la région transnistrienne de la République de Moldova, la requête a été déposée en son nom par ses parents, Mme Vera Eriomenco et M. Tudor Eriomenco.
2. Le requérant a été représenté par MM. A. Postica, A. Zubco et P. Postica et Mme N. Hriplivîi, juristes auprès de « Promo-LEX », une association moldave de défense des droits de l’homme sise à Chișinău. Le gouvernement moldave a été représenté par son agent, M. L. Apostol. Le gouvernement russe a été représenté par son agent, M. G. Matiouchkine.
3. Le requérant allègue qu’il a été victime d’une violation des articles 3, 5, 8 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et que les États défendeurs ont manqué à leurs obligations au titre de l’article 34 de la Convention.
4. Le 17 octobre 2011, la requête a été communiquée aux gouvernements défendeurs.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1969 et réside à Slobozia (région transnistrienne de la République de Moldova).
6. Le gouvernement moldave a indiqué qu’il lui était impossible de vérifier les faits de la cause au motif que ceux-ci s’étaient déroulés dans une zone sous contrôle exclusif des autorités de la « République moldave de Transnistrie » (« la RMT »), autoproclamée comme telle.
7. Le gouvernement russe n’a pas formulé d’observations sur les circonstances de l’espèce.
8. Le contexte de l’affaire, notamment le conflit armé qui s’est déroulé en Transnistrie en 1991-1992 ainsi que les événements ultérieurs, est décrit dans les arrêts Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie ([GC], no48787/99, §§ 28-185, CEDH 2004-VII) et Catan et autres c. République de Moldova et Russie ([GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, §§ 8-42, CEDH 2012).
9. Les faits de la cause, tels qu’exposés par le requérant et tels qu’ils peuvent être établis à partir des documents versés au dossier, peuvent se résumer comme suit.
A. Arrestation du requérant, perquisition et mise sous scellés de sa maison
10. Le requérant est un homme d’affaires travaillant en « RMT ». Il y a cofondé trois sociétés à responsabilité limitée, dont il était le directeur au moment des faits.
11. Le 29 mars 2011, les représentants de la milice de la « RMT » arrêtèrent le requérant, lui reprochant d’avoir escroqué son principal partenaire d’affaires. Le même jour, le requérant fut placé dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol.
12. Le soir du 29 mars 2011, les autorités de la « RMT » effectuèrent une perquisition au domicile du requérant, une maison sise à Slobozia. À l’issue de la fouille, la maison fut mise sous scellés.
13. Le requérant se serait plaint, à ses dires en vain, aux autorités de la « RMT » d’une impossibilité pour ses proches, à savoir ses parents et ses enfants, d’accéder à la maison.
B. Conditions de détention et état de santé du requérant
14. Il ressort d’une déclaration écrite du requérant du 17 mai 2011 que, après son arrestation survenue le 29 mars 2011, l’intéressé a été placé dans la cellule no 17 des locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol.
Dans sa déclaration, le requérant indiquait ce qui suit : la cellule était occupée par huit détenus ; elle mesurait 2,50 m sur 5 m ; elle se trouvait dans un sous-sol et était dépourvue d’accès à la lumière du jour, de ventilation et d’air frais (les autres détenus y auraient fumé) ; il y avait une odeur persistante de sueur et de moisissure dans la cellule et l’humidité y était élevée ; les toilettes se trouvaient dans la cellule, étaient dans un état déplorable et dégageaient une forte odeur de déjections humaines ; le sol était en béton et n’était pas couvert ; il n’y avait pas de produits d’hygiène ; un seul lavabo se trouvait dans la cellule, il était rouillé et l’eau qui en provenait gouttait en permanence et était de couleur rouille ; les détenus n’avaient pas d’autre choix que de boire cette eau.
Le requérant affirmait également que les détenus lavaient et séchaient leur linge dans la cellule même, qu’il était impossible d’y dormir à cause d’un état de surpopulation et d’une présence d’insectes et qu’il ne pouvait prendre de douche qu’une seule fois par semaine. À cause de l’insalubrité qui aurait régné dans les douches, il aurait attrapé une mycose des pieds. Les promenades à l’air libre auraient été limitées à une heure par jour. Le requérant soutenait en outre que, les premiers jours de sa détention, il n’avait pas reçu de nourriture en raison de la non-adoption immédiate du jugement de placement en détention provisoire (paragraphe 26 ci-dessous). Pendant cette période-là, ses codétenus auraient partagé avec lui leurs rations. Les repas servis ultérieurement auraient été de mauvaise qualité et impossibles à manger. De plus, l’intéressé alléguait que, pendant sa détention initiale dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol, il avait perdu cinq kilogrammes et que son état de santé avait empiré. Son ulcère se serait réveillé, notamment à cause de la qualité de la nourriture, qu’il qualifiait de mauvaise. Le requérant soutenait avoir souffert de douleurs insupportables et s’être vu refuser dans un premier temps l’accès aux soins. Il ajoutait que les médecins l’avaient finalement examiné, à ses dires une seule fois et uniquement après qu’il se fut plaint à de multiples reprises, et qu’ils lui avaient proposé de faire appel à sa famille pour obtenir les médicaments dont il aurait eu besoin.
15. Selon une autre déclaration écrite du requérant, datée du 27 mai 2011, l’intéressé avait été transféré le 15 avril 2011 dans les locaux de détention provisoire de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol. Dans cette déclaration, le requérant soutenait que, alors qu’il aurait dû être hospitalisé, il avait été reconduit le 15 mai 2011 dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol en représailles pour ses plaintes.
16. Par une lettre du 30 mai 2011, le directeur du Centre d’aide médicale et de réhabilitation sociale du ministère de la Justice de la « RMT » (« le Centre ») informa l’avocat du requérant que le diagnostic de son client posé à une date antérieure avait été confirmé. Il précisait que celui-ci souffrait d’une cardiopathie ischémique, d’une hypertension artérielle, d’une insuffisance cardiaque de deuxième degré, d’une encéphalopathie post-traumatique chronique, d’un ulcère duodénal chronique, d’une prostatite chronique et d’une hernie inguinale récurrente. Il indiquait également que le requérant aurait dû être hospitalisé dans le département de chirurgie de l’hôpital de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol, mais que cela n’avait pas été possible à ce moment-là à cause du transfert de l’intéressé dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol. Il ajoutait que le requérant ne pouvait pas suivre un traitement complet et efficace en dehors du département de chirurgie de l’hôpital en question.
17. Le 8 juin 2011, le requérant fut hospitalisé dans le département de chirurgie susmentionné.
18. Selon une déclaration écrite du requérant du 20 août 2011, il avait été transféré le 27 juillet 2011 de l’hôpital pénitentiaire vers les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol. Il y aurait été détenu quatorze jours et, durant ce laps de temps, son traitement aurait été interrompu. Les conditions de sa détention dans ces locaux de détention provisoire auraient été similaires à celles décrites précédemment (paragraphe 14 ci-dessus). Le requérant se serait alimenté de manière insuffisante en raison de la qualité de la nourriture, qui aurait été mauvaise, et son état de santé aurait empiré. De plus, en raison d’un état de surpopulation, il n’aurait dormi que trois nuits sur treize.
19. Le 10 août 2011, le requérant fut replacé dans les locaux de détention provisoire de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol.
Dans une déclaration écrite du 20 octobre 2011, il décrivait les conditions de sa détention dans cet établissement comme suit : sa cellule, qui aurait été de dimensions réduites, était occupée par vingt à vingt-cinq autres détenus ; les fenêtres de cette cellule étaient couvertes par des plaques de métal qui auraient empêché la lumière du jour d’entrer ; la cellule était sombre et mal aérée. Le requérant indiquait également qu’il avait commencé à souffrir de toux et de fortes douleurs au cœur et à la tête, qu’il avait demandé à être examiné par des médecins et à être transféré à l’hôpital pénitentiaire, mais que ces demandes avaient été vaines. Il ajoutait que ses parents lui avaient envoyé des médicaments le 5 août 2011, mais qu’il ne les avait reçus que douze jours plus tard.
20. Entre août 2011 et février 2012, les parents et l’avocat du requérant demandèrent à plusieurs autorités de la « RMT » de transférer ce dernier à l’hôpital pénitentiaire ou de permettre à ce qu’il fût examiné par des médecins indépendants.
21. Par une lettre du 8 novembre 2011 adressée à l’avocat du requérant, le directeur du Centre confirma le diagnostic précédemment établi (paragraphe 16 ci‑dessus). Il indiquait que le requérant recevait des soins ambulatoires, mais que leurs effets thérapeutiques étaient insignifiants et que la question de son hospitalisation à l’hôpital pénitentiaire pour la poursuite de son traitement était à l’étude.
22. Par une lettre du 20 février 2012, le ministre de la Justice de la « RMT » informa les parents du requérant que l’état de santé de leur fils était satisfaisant, qu’il recevait régulièrement des soins ambulatoires et que, à ce moment-là, il n’était pas nécessaire de l’hospitaliser.
23. Dans l’intervalle, le 30 juin 2011, le service de presse du parquet de la « RMT » avait publié un communiqué selon lequel des inspections dans les locaux de détention provisoire de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol, effectuées pendant le deuxième semestre 2010 et entre janvier et avril 2011, avaient révélé de multiples violations de la réglementation en matière d’hygiène, de conditions matérielles de détention et de soins médicaux.
C. Demandes de visite en détention
24. Le 28 mai 2011, les parents du requérant demandèrent aux autorités compétentes de les autoriser à visiter leur fils. Par une lettre du 17 juin 2011, le chef de la direction des crimes économiques du ministère de l’Intérieur de la « RMT » les informa qu’il était inopportun que le requérant s’entretînt avec les membres de sa famille.
25. Par une lettre du 21 décembre 2011, l’officier transnistrien en charge de l’enquête informa les parents du requérant que leur demande de visiter leur fils en prison avait été rejetée et qu’aucun motif ne justifiait la révision des décisions antérieures de refus d’autoriser leur proche à rencontrer les membres de sa famille.
D. Détention provisoire et condamnation du requérant
26. Par un jugement du 1er avril 2011, le tribunal de Tiraspol ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de soixante jours. Sur recours du requérant, la Cour suprême de la « RMT » rendit un arrêt définitif le 8 avril 2011, par lequel elle confirmait la décision de l’instance inférieure.
27. Par la suite, les tribunaux de la « RMT » prolongèrent la détention provisoire du requérant jusqu’à la condamnation de celui-ci.
28. Par un jugement du 30 décembre 2013, le tribunal de Slobozia reconnut le requérant coupable, à titre principal, des différents chefs d’escroquerie qui lui étaient reprochés et le condamna à une peine de douze ans d’emprisonnement assortie de la confiscation de ses biens. Le 25 février 2014, la Cour suprême de la « RMT » rejeta comme mal fondé le recours formé par le requérant et confirma ce jugement.
29. Le 1er septembre 2016, le requérant fut remis en liberté, étant exonéré de purger le restant de sa peine.
E. Saisine des autorités autres que celles de la « RMT »
30. À des dates différentes, les parents du requérant envoyèrent plusieurs lettres aux autorités de la République de Moldova, d’Ukraine et de la Fédération de Russie afin de dénoncer la situation de leur fils. Ils prirent également contact avec plusieurs ambassades occidentales.
31. Par une lettre du 7 juin 2011, le parquet général de la Fédération de Russie informa les parents du requérant que sa juridiction ne s’étendait pas au territoire de la « RMT » et que leur plainte avait été envoyée au parquet général de la République de Moldova.
32. Entre-temps, le 2 juin 2011, le parquet général de la République de Moldova avait informé les parents du requérant qu’une enquête pénale avait été ouverte, concernant leur fils, pour privation illégale de liberté et que, dans le cadre de cette enquête, toutes les circonstances de l’affaire seraient élucidées « compte tenu des possibilités réelles ». Il avait cependant précisé qu’il se trouvait dans l’impossibilité d’entreprendre des démarches procédurales sur le territoire de la « RMT ».
33. Le 4 octobre 2011, le parquet général de la République de Moldova ouvrit également une enquête pénale, concernant le requérant, pour kidnapping, chantage et violation du domicile.
34. Par une lettre du 11 octobre 2011, le chef du « Bureau pour la réintégration » de la République de Moldova informa le père du requérant que les autorités moldaves avaient envoyé une lettre au représentant politique de la « RMT » dans le cadre du processus de négociations menées avec celle-ci, afin d’attirer son attention sur le cas du requérant. Il précisait que, par cette lettre, il avait demandé audit représentant de déployer des mesures promptes pour élucider l’affaire, d’assurer le respect des droits du requérant et de libérer ce dernier au plus vite.
35. Le 20 janvier 2012, le ministère des Affaires intérieures de la République de Moldova envoya au ministère des Affaires intérieures de la « RMT », à la demande de ce dernier, des extraits de différents registres moldaves contenant des données relatives à l’état civil, au domicile, aux propriétés, ainsi qu’aux antécédents pénaux du requérant et des membres de sa famille.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS DE LA RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET D’AUTRES ÉLÉMENTS PERTINENTS
36. Des rapports d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, le droit et la pratique internes pertinents de la République de Moldova, ainsi que d’autres documents pertinents sont résumés dans l’arrêt Mozer c. République de Moldova et Russie ([GC], no 11138/10, §§ 61‑77, 23 février 2016).
EN DROIT
I. JURIDICTION
37. La Cour doit d’abord déterminer si, concernant les faits incriminés, le requérant relève de la juridiction des États défendeurs, au sens de l’article 1 de la Convention.
A. Thèses des parties
38. Le gouvernement moldave affirme que la République de Moldova n’exerce pas sa juridiction sur le territoire contrôlé par la « RMT », mais qu’elle a cependant satisfait à ses obligations positives découlant de l’article 1 de la Convention.
39. Pour sa part, le gouvernement russe soutient que le requérant ne relève pas de sa juridiction et que, par conséquent, la requête doit être déclarée irrecevable ratione personae et ratione loci à l’égard de la Fédération de Russie.
40. Le requérant rétorque qu’il relève de la juridiction des deux États défendeurs. Il estime de surcroît que la République de Moldova n’a pas rempli les obligations positives lui incombant au titre de l’article 1 de la Convention, arguant que cet État n’a pas pris toutes les mesures qui étaient à sa disposition pour assurer dans son chef le respect des droits garantis par la Convention. Il reproche notamment à la République de Moldova d’avoir transmis aux autorités de la « RMT » des données personnelles sur sa famille et lui.
B. Appréciation de la Cour
41. La Cour note que les parties dans la présente affaire adoptent des positions au sujet de la juridiction qui sont identiques à celles adoptées par les parties dans les affaires Catan et autres (précitée, §§ 83-101) et Mozer (précitée, §§ 81-95). En particulier, le requérant et le gouvernement moldave soutiennent que le requérant relève de la juridiction des deux États défendeurs, alors que le gouvernement russe soutient que la Fédération de Russie n’exerce aucune juridiction et ne prend pas de position à l’égard de la juridiction de la République de Moldova. Comme il l’a fait dans l’affaire Mozer (précitée, §§ 92-94), le gouvernement russe exprime le point de vue que l’approche adoptée par la Cour à l’égard de la question de la juridiction dans les affaires Ilaşcu et autres (précitée), Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie (no 23687/05, 15 novembre 2011) et Catan et autres (précitée) était erronée et incompatible avec le droit public international.
42. La Cour rappelle que les principes généraux relatifs à la question de la juridiction au sens de l’article 1 de la Convention à l’égard des actes et faits ayant eu lieu dans la région transnistrienne de la République de Moldova ont été établis dans les arrêts Ilaşcu et autres (précité, §§ 311‑319), Catan et autres (précité, §§ 103-107), ainsi que, plus récemment, Mozer (précité, §§ 97-98).
43. En ce qui concerne la République de Moldova, la Cour note que, dans les affaires Ilaşcu et autres, Catan et autres et Mozer précitées, elle a estimé que, même si la Moldova n’exerçât aucune autorité sur la région transnistrienne, il découlait du fait que la Moldova était l’État territorial que les personnes se trouvant dans cette région relevaient de sa juridiction. L’obligation incombant à la République de Moldova, en vertu de l’article 1 de la Convention, de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés garantis par la Convention, se limitait toutefois à celle de prendre les mesures qui étaient en son pouvoir et en conformité avec le droit international, qu’elles fussent d’ordre diplomatique, économique, judiciaire ou autre (Ilaşcu et autres, précité, §§ 331 et 333, Catan et autres, précité, §§ 109-110, et Mozer, précité, §§ 99-100). Les obligations de la République de Moldova en vertu de l’article 1 de la Convention furent décrites comme des obligations positives (Ilaşcu et autres, précité, §§ 322 et 330-331, Catan et autres, précité, §§ 109-110, et Mozer, précité, § 99).
44. La Cour ne voit aucune raison de distinguer la présente espèce des affaires mentionnées ci-dessus. Elle observe, par ailleurs, que le gouvernement moldave n’émet pas d’objection quant à l’adoption en l’occurrence d’une approche similaire. Elle conclut donc que le requérant relève en l’espèce de la juridiction de la République de Moldova au sens de l’article 1 de la Convention, mais que la responsabilité de cet État pour les actes dénoncés doit s’établir à la lumière des obligations positives précitées (Ilaşcu et autres, précité, § 335).
45. En ce qui concerne la Fédération de Russie, la Cour rappelle avoir déjà jugé dans l’affaire Ilaşcu et autres que la Fédération de Russie avait contribué, tant militairement que politiquement, à la création d’un régime séparatiste dans la région de Transnistrie en 1991-1992 (Ilaşcu et autres, précité, § 382). Dans les affaires subséquentes ayant eu trait à la Transnistrie, elle a en outre estimé que, jusqu’en juillet 2010, la « RMT » n’avait pu continuer à exister – en résistant aux efforts déployés par la République de Moldova et les acteurs internationaux pour régler le conflit et rétablir la démocratie et la primauté du droit dans la région – que grâce au soutien militaire, économique et politique de la Russie (Ivanţoc et autres, précité, §§ 116-120, Catan et autres, précité, §§ 121-122, et Mozer, précité, §§ 108 et 110). Dans l’affaire Mozer, la Cour a conclu que le degré élevé de dépendance de la « RMT » à l’égard du soutien russe constituait un élément solide permettant de considérer que la Fédération de Russie continuait d’exercer un contrôle effectif et une influence décisive sur les autorités transnistriennes et que, dès lors, le requérant relevait de la juridiction de cet État aux fins de l’article 1 de la Convention (Mozer, précité, §§ 110-111).
46. Faute d’information pertinente nouvelle prouvant le contraire, la Cour estime que cette conclusion est toujours valable pour la période à considérer en l’espèce, à savoir de mars 2011 à septembre 2016. Elle ne voit donc aucune raison de distinguer la présente espèce des affaires Ilaşcu et autres, Ivanţoc et autres, Catan et autres et Mozer précitées.
47. Il s’ensuit que le requérant relève en l’espèce de la juridiction de la Fédération de Russie au sens de l’article 1 de la Convention. Par voie de conséquence, la Cour rejette les exceptions ratione personae et ratione loci formulées par le gouvernement russe.
48. La Cour déterminera ci-après si l’intéressé a eu à subir une violation de ses droits protégés par la Convention de nature à engager la responsabilité de l’un ou l’autre des États défendeurs (Mozer, précité, § 112).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
49. Le requérant se plaint des conditions de sa détention et d’une absence de soins médicaux requis par son état de santé. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
50. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
51. Le requérant allègue que les deux gouvernements défendeurs n’ont pas garanti ses droits au titre de l’article 3 de la Convention, en particulier en ce qui concerne l’administration de soins médicaux et les conditions de sa détention dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol et de l’établissement pénitentiaire no 3 de la même ville.
52. Les gouvernements moldave et russe ne se sont pas exprimés sur le fond de ce grief.
53. La Cour rappelle que l’État doit s’assurer que toute personne détenue le soit dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, il est pourvu à la santé et au bien-être de la personne détenue de manière adéquate (Mozer, précité, § 178, Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 99, 20 octobre 2016, CEDH 2016, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 160 in fine, 15 décembre 2016, CEDH 2016). Dans la plupart des affaires ayant trait à la détention de personnes malades, la Cour a recherché si le détenu concerné avait ou non bénéficié de soins médicaux adéquats en prison. Elle rappelle à cet égard que, même si l’article 3 de la Convention n’autorise pas la libération d’un prisonnier « pour des motifs humanitaires », elle a toujours interprété l’exigence consistant à garantir la santé et le bien-être des détenus, notamment, comme une obligation pour l’État de fournir à ces derniers les soins médicaux requis par leur état de santé (Mozer, précité, § 178).
54. En l’espèce, la Cour relève que le requérant présentait plusieurs pathologies et que les médecins avaient estimé qu’il devait être hospitalisé à l’hôpital pénitentiaire, car, selon eux, un traitement complet et efficace ne pouvait être fourni en dehors de cet établissement (paragraphe 16 ci‑dessus). Pour elle, il est indiscutable que, en l’absence d’un traitement efficace, les soucis de santé du requérant, en particulier ses problèmes cardiaques, pouvaient lui causer de nombreuses souffrances. Elle remarque cependant que les autorités de la « RMT » n’ont permis l’hospitalisation du requérant qu’au bout d’environ deux mois et demi de détention (paragraphe 17 ci‑dessus), que, après un séjour d’un mois et vingt jours à l’hôpital pénitentiaire, le traitement de l’intéressé a été interrompu en raison du transfert de ce dernier dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol (paragraphe 18 ci‑dessus), et que, alors que les effets thérapeutiques des soins ambulatoires s’étaient révélés insignifiants par la suite (paragraphe 21 ci-dessus), les autorités transnistriennes ont refusé une nouvelle hospitalisation du requérant. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que celui-ci n’a pas bénéficié de soins médicaux adéquats.
55. Quant aux conditions de détention du requérant dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol et de l’établissement pénitentiaire no 3 de la même ville, la Cour note que l’intéressé dénonce une grande promiscuité dans les cellules et une absence de lumière naturelle et de ventilation. Concernant les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol, elle relève aussi que le requérant affirme que sa cellule était humide, qu’il devait y laver et y sécher ses vêtements, que les toilettes se trouvaient dans la cellule même et étaient dans un état déplorable, qu’il ne pouvait pas dormir à cause d’une surpopulation et d’une présence d’insectes, qu’il n’avait pas accès à l’eau potable, qu’il ne prenait qu’une douche par semaine et qu’il n’avait droit qu’à une heure de promenade par jour. Pendant sa détention, le requérant aurait par ailleurs dû faire appel à sa famille pour obtenir les médicaments requis par son état de santé.
56. La Cour rappelle avoir déjà jugé que les conditions de détention, entre autres, dans le commissariat de Tiraspol et dans l’établissement pénitentiaire no 3 de la même ville étaient contraires à l’article 3 de la Convention en ce qui concerne la période antérieure à 2010 (Mozer, précité, §§ 179-182). Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est notamment fondée sur les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et sur ceux du Rapporteur spécial des Nations unies relatifs à leurs visites respectives dans divers lieux de détention en « RMT » (ibidem, §§ 61-64). Dans la présente affaire, elle note que le requérant a été détenu à partir de mars 2011 et que rien ne lui permet de conclure à l’amélioration après 2010 des conditions de détention dans les lieux de détention susmentionnés. Dès lors, elle estime que la description donnée par le requérant est plus que plausible, d’autant plus qu’elle est largement confortée par les rapports internationaux. Elle souligne de surcroît que les autorités de la « RMT » admettent elles-mêmes que, pour ce qui est de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol, les règles en matière d’hygiène, de conditions matérielles de détention et de soins médicaux n’étaient pas respectées au moment des faits (paragraphe 23 ci‑dessus).
57. La Cour juge donc établi que l’absence de soins adéquats, ainsi que les conditions de détention subies par le requérant dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol et de l’établissement pénitentiaire no 3 de la même ville s’analysent en un traitement inhumain et dégradant, contraire aux exigences de l’article 3 de la Convention.
58. La Cour doit ensuite déterminer si la République de Moldova s’est acquittée en l’espèce de son obligation positive de prendre des mesures appropriées et suffisantes pour garantir au requérant les droits découlant de l’article 3 de la Convention (paragraphes 43-44 ci-dessus). Dans l’arrêt Mozer, elle a dit que les obligations positives incombant à la République de Moldova concernaient tant les mesures nécessaires au rétablissement de son contrôle sur le territoire transnistrien, en tant qu’expression de sa juridiction, que les mesures destinées à assurer le respect des droits des requérants individuels (Mozer, précité, § 151).
59. Concernant le premier aspect des obligations de la République de Moldova, à savoir le rétablissement de son contrôle sur le territoire national, la Cour a jugé dans l’affaire Mozer que, du début des hostilités en 1991‑1992 au mois de juillet 2010, l’État avait pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir (Mozer, précité, § 152). En l’espèce, les parties n’ont présenté aucun argument indiquant que le gouvernement moldave ait modifié sa position sur la Transnistrie dans les années qui se sont écoulées jusqu’à la mise en liberté du requérant en septembre 2016. Dès lors, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente en l’espèce (ibidem).
60. Quant au second aspect des obligations positives de la République de Moldova, à savoir le fait d’assurer le respect des droits du requérant, la Cour estime que les autorités étatiques ont déployé en l’espèce des efforts pour protéger les intérêts de celui-ci. En particulier, le parquet moldave a engagé, à la suite des plaintes déposées par les parents de l’intéressé, des poursuites pénales sur les allégations de privation illégale de liberté, de kidnapping, de chantage et de violation de domicile (paragraphes 32-33 ci‑dessus). Dans le cadre du processus de négociations menées avec la partie transnistrienne, les autorités moldaves se sont également adressées aux autorités de la « RMT » pour leur demander de déployer des mesures promptes pour élucider l’affaire, d’assurer le respect des droits du requérant, ainsi que de remettre celui-ci en liberté au plus vite (paragraphe 34 ci‑dessus).
61. La Cour estime de surcroît que le fait pour les autorités moldaves d’avoir fourni aux autorités de la « RMT » des données personnelles sur le requérant et sa famille ne saurait être perçu comme un manquement aux obligations positives incombant à la République de Moldova. À cet égard, elle observe que rien ne permet d’affirmer que ce comportement était destiné à priver le requérant de ses droits garantis par la Convention.
62. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la République de Moldova a satisfait à ses obligations positives à l’égard du requérant et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention par cet État.
63. Quant à la Fédération de Russie, la Cour observe qu’il n’y a aucune preuve d’une participation directe de personnes agissant au nom de cet État aux mesures prises contre le requérant.
64. Cela étant, elle a établi que la Russie exerçait un contrôle effectif sur la « RMT » pendant la période en question (paragraphes 45-46 ci-dessus). Eu égard à cette conclusion, et conformément à sa jurisprudence, il n’y a pas lieu de déterminer si la Russie exerçait un contrôle précis sur les politiques et les actes de l’administration locale subordonnée (Mozer, précité, § 157). Du fait de son soutien militaire, économique et politique continu à la « RMT », sans lequel celle-ci n’aurait pu survivre, la responsabilité de la Russie se trouve engagée au regard de la Convention à raison de l’atteinte aux droits du requérant (ibidem).
65. En somme, au vu de sa conclusion selon laquelle le requérant a subi un traitement contraire aux exigences de l’article 3 de la Convention (paragraphe 57 ci-dessus), la Cour estime qu’il y a eu violation de cette disposition par la Fédération de Russie.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
66. Sur le terrain de l’article 5 de la Convention, le requérant allègue également qu’il a été arrêté et mis en détention par des milices et des juridictions illégalement créées.
La Cour estime que ce grief doit être examiné sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention, dont les passages pertinents en l’espèce se lisent comme suit :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...) »
A. Sur la recevabilité
67. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
68. Le requérant allègue que sa détention n’était pas régulière. À cet égard, il soutient que les tribunaux de la « RMT » ayant ordonné sa privation de liberté ne peuvent passer pour des autorités judiciaires compétentes au sens de l’article 5 de la Convention et qu’ils ne peuvent être considérés ni comme étant indépendants ni comme fonctionnant dans le respect de l’équité de la procédure.
69. Les gouvernements défendeurs se sont abstenus de commenter le fond de ce grief.
70. La Cour rappelle qu’il est bien établi dans sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 de la Convention que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Cette expression impose que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne ; elle concerne aussi la qualité de la loi, qui doit être compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (voir, par exemple, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 125, CEDH 2013, et Mozer, précité, § 134).
71. Dans l’affaire Mozer, la Cour a jugé que, jusqu’en 2010, il n’existait pas dans la région transnistrienne un système reflétant une tradition judiciaire conforme à la Convention (Mozer, précité, § 148). Dès lors, ni les tribunaux de la « RMT » ni, par implication, aucune autre autorité de la « RMT » ne pouvaient ordonner que le requérant dans cette affaire fût « arrêté et détenu [régulièrement] » au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention, et, par conséquent, la détention de ce requérant, qui était fondée sur les ordonnances rendues par les tribunaux de la « RMT », n’était pas régulière aux fins de cette disposition (ibidem, § 150).
72. En l’absence d’information pertinente nouvelle prouvant le contraire, la Cour considère que les constatations formulées dans l’arrêt Mozer, évoquées au paragraphe précédent, demeurent valables en ce qui concerne la période à laquelle se rapporte la présente cause. Partant, elle estime qu’il y a eu violation en l’espèce de l’article 5 § 1 de la Convention.
73. Pour les mêmes raisons que celles qu’elle a formulées dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 3 de la Convention (paragraphes 58-62 ci-dessus), la Cour dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention par la République de Moldova.
74. Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le même cadre (paragraphes 63-65 ci-dessus), la Cour conclut à la violation de cette disposition par la Fédération de Russie.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
75. Le requérant dénonce en outre la fouille et la mise sous scellés de son domicile, qu’il estime avoir été illégales. Il se plaint également de ne pas avoir été autorisé à recevoir en prison des visites des membres de sa famille, et ce, à ses dires, sans aucune justification. Il invoque à cet égard l’article 8 de la Convention, qui se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
76. De plus, le requérant se plaint de la confiscation de ses biens, en ce qu’elle aurait été irrégulière. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
77. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
78. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant argue que l’interdiction des visites familiales pendant sa privation de liberté était une mesure inadmissible dans une société démocratique. De plus, il soutient que la perquisition et la mise sous scellés de sa maison n’étaient pas légales.
Sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, il se plaint d’avoir été privé illégalement de sa maison et des parts sociales qu’il détenait dans les sociétés cofondées par lui.
79. Les gouvernements défendeurs n’ont formulé aucune observation sur le fond de ces griefs.
80. La Cour observe que le requérant n’a manifestement pas pu rencontrer ses parents pendant une très longue période, soit, à tout le moins, du 29 mars 2011 – jour de son arrestation – au mois de décembre 2011 (paragraphes 24-25 ci-dessus). Elle conclut qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par l’intéressé de son droit au respect de sa vie familiale, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention.
81. La Cour estime en outre que, en raison de la perquisition de la maison du requérant et de la mise sous scellés de ce bien (paragraphe 12 ci‑dessus), il y a eu également ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressé au respect de son domicile, tel que garanti par l’article 8 § 1 de la Convention.
82. Elle juge enfin que, du fait de la confiscation des biens du requérant à la suite de sa condamnation (paragraphe 28 ci-dessus), il y a eu ingérence dans l’exercice par l’intéressé du droit au respect de ses biens, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Elle rappelle avoir affirmé à plusieurs reprises qu’une confiscation de biens relevait du second alinéa de cet article (voir, parmi beaucoup d’autres, AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 51, série A no 108, Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 51, CEDH 2001‑VII, Varvara c. Italie, no 17475/09, § 83, 29 octobre 2013, et Vasilevski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 22653/08, § 52, 28 avril 2016).
83. La Cour relève, à titre surabondant, que les gouvernements défendeurs ne contestent pas le fait que les mesures décrites ci-dessus constituaient des ingérences dans l’exercice des droits du requérant garantis par l’article 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
84. Il reste à examiner si ces ingérences se justifiaient au regard du § 2 de l’article 8 de la Convention et du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention respectivement. Selon la jurisprudence bien établie de la Cour, il appartient à celle-ci de rechercher si les ingérences en question étaient prévues par la loi, correspondaient à un ou plusieurs buts légitimes (dans le cas de l’article 8 de la Convention) ou à l’intérêt général (dans le cas de l’article 1 du Protocole no 1) et étaient proportionnées à la réalisation du ou des but recherchés.
85. La Cour note qu’aucun élément dans la présente affaire ne lui permet de conclure que les ingérences litigieuses avaient une base légale (comparer avec Mozer, précité, § 193). Ce constat rend superflu l’examen du respect des autres exigences évoquées au paragraphe précédent.
86. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention dans le chef de l’intéressé.
87. Pour les mêmes raisons que celles qu’elle a formulées dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 3 de la Convention (paragraphes 58-62 ci-dessus), la Cour dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ou de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention par la République de Moldova.
88. Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le même cadre (paragraphes 63-65 ci-dessus), la Cour conclut à la violation de ces dispositions par la Fédération de Russie.
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 3, 5 § 1 ET 8 DE LA CONVENTION ET L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
89. Le requérant soutient n’avoir disposé d’aucun recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, pour faire valoir ses droits garantis par la Convention et ses Protocoles. Cette disposition se lit comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
90. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
91. Le requérant allègue n’avoir eu aucun moyen à sa disposition pour faire valoir ses droits face aux actes des autorités de la « RMT », et il affirme que les gouvernements défendeurs n’ont fait mention d’aucun recours qu’il aurait dû exercer.
92. Les gouvernements défendeurs ne formulent aucune observation sur ce point.
93. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention exige un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi beaucoup d’autres, Géorgie c. Russie (I) [GC], no 13255/07, § 210, CEDH 2014 (extraits), Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 131, CEDH 2014, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 148, CEDH 2014, Mozer, précité, § 207, et Khlaifia et autres, précité, § 268).
94. Eu égard à ses constats de violation des articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour ne peut que conclure au caractère « défendable » des griefs soulevés par le requérant aux fins de l’article 13 précité.
95. Aussi considère-t-elle que l’intéressé était en droit de disposer d’un recours interne effectif au sens de cette disposition pour faire valoir ses griefs tirés des articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
96. La Cour note que rien dans le dossier n’indique qu’il existait un quelconque recours effectif que le requérant aurait pu exercer pour faire valoir les griefs susmentionnés.
97. Pour ce qui est de la responsabilité de la République de Moldova, la Cour relève avoir jugé que les « recours » que cet État devait offrir aux justiciables consistaient à donner à ceux-ci la possibilité de fournir aux autorités moldaves des informations détaillées sur leur situation et d’être informés des diverses démarches juridiques et diplomatiques entreprises par ces autorités (Mozer, précité, § 214). Dans l’affaire Mozer précitée, elle a notamment conclu que la République de Moldova avait mis des procédures à la disposition du requérant en proportion de sa capacité restreinte à protéger les droits de l’intéressé et qu’elle avait ainsi satisfait à ses obligations positives (ibidem, § 216). En l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente. En conséquence, elle conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention par la République de Moldova.
98. Quant à la responsabilité de la Fédération de Russie, compte tenu des motifs formulés dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 3 de la Convention (paragraphes 63-65 ci-dessus) et en l’absence de toute observation émanant du gouvernement russe sur ce point, la Cour conclut à la violation par la Fédération de Russie de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Mozer, précité, § 218).
VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION
99. Invoquant l’article 34 de la Convention, le requérant allègue que les autorités de la « RMT » ont entravé l’exercice de son droit de recours individuel. Cette disposition, en ses passages pertinents en l’espèce, se lit comme suit :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique (...) Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
A. Thèses des parties
100. Le requérant soutient que ses proches n’ont pas été autorisés à lui rendre visite en prison, ce qui l’aurait empêché de préparer sa défense devant la Cour, et que ses rencontres avec son avocat au niveau interne étaient surveillées par les gardiens de la prison, ce qui aurait rendu impossible la signature d’un pouvoir écrit de représentation devant la Cour. Il affirme également ne pas avoir eu accès à différents documents détenus par les autorités de la « RMT ».
101. Les gouvernements défendeurs ne se sont pas exprimés sur ce point.
B. Analyse de la Cour
102. La Cour rappelle d’emblée qu’un grief tiré de l’article 34 de la Convention revêt un caractère procédural et que, par conséquent, il ne soulève aucune question de recevabilité au regard de la Convention (Cooke c. Autriche, no 25878/94, § 46, 8 février 2000, et Hilal Mammadov c. Azerbaïdjan, no 81553/12, § 115, 4 février 2016).
103. Elle rappelle ensuite que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré à l’article 34 de la Convention soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec elle, sans que les autorités les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs (voir, entre autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 105, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 105, Recueil 1996‑VI). À cet égard, le terme « presse[r] » vise non seulement la coercition directe et les actes flagrants d’intimidation, mais aussi les actes ou contacts indirects et de mauvais aloi tendant à dissuader ou décourager les requérants de se prévaloir du recours qu’offre la Convention (Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, § 160, Recueil 1998‑III).
104. Dans la présente affaire, la Cour relève que le requérant se trouvait dans une situation particulièrement vulnérable, puisqu’il se trouvait enfermé et constamment soumis à l’autorité des administrations des lieux de détention en « RMT » et qu’il n’avait pas été autorisé, dans un premier temps pour le moins, à recevoir la visite de ses proches (paragraphes 24-25 ci-dessus) (voir, mutatis mutandis, Cotleţ c. Roumanie, no 38565/97, § 71, 3 juin 2003, et Klyakhin c. Russie, no 46082/99, § 122, 30 novembre 2004). Les possibilités pour l’intéressé de communiquer avec le monde extérieur – et notamment avec la Cour – étaient donc considérablement réduites.
105. Quant à l’allégation selon laquelle les rencontres du requérant avec son avocat au niveau interne étaient surveillées par des gardiens, la Cour souligne qu’elle a déjà eu l’occasion de constater l’existence d’une telle pratique dans les prisons de Transnistrie (Mozer, précité, §§ 44 et 195). Elle juge donc cette allégation plausible, et elle estime que le requérant a été vraisemblablement empêché de signer un pouvoir écrit habilitant des représentants à défendre ses intérêts devant elle. Rien dans le dossier ne prouve que l’intéressé a eu la possibilité de signer un tel pouvoir, et les gouvernements défendeurs n’ont pas soutenu qu’il avait bénéficié de cette faculté.
106. La Cour juge que les difficultés rencontrées par le requérant ont atteint un degré tel que l’exercice effectif du droit de l’intéressé au regard de l’article 34 de la Convention a été sérieusement contrecarré. Le fait qu’elle a pu achever l’examen au fond des griefs formulés devant elle n’empêche pas que l’entrave à l’exercice de ce droit puisse être qualifiée de contraire à l’article 34 de la Convention (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 478, CEDH 2005‑III). Eu égard à ce constat, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si l’impossibilité alléguée de consulter différents documents détenus par les autorités de la « RMT » a constitué une atteinte à l’exercice par le requérant de son droit de recours individuel.
107. Pour les mêmes raisons que celles qu’elle a formulées dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 3 de la Convention (paragraphes 58-62 ci-dessus), la Cour dit que la République de Moldova n’a pas manqué à ses obligations découlant de la dernière phrase de l’article 34 de la Convention.
108. Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le même cadre (paragraphes 63-65 ci-dessus), la Cour estime que la Fédération de Russie a manqué à ses obligations au titre de la dernière phrase de l’article 34 de la Convention.
VII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
109. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
110. Le requérant réclame une somme globale de 1 938 676,45 lei moldaves (MDL) (soit 123 596 euros (EUR)) pour dommage matériel. Il expose que ce montant inclut d’abord la valeur de la maison confisquée par les autorités de la « RMT », estimée à 1 800 000 MDL (114 755 EUR) par un expert immobilier, dont le rapport d’expertise a été versé au dossier. Il demande également le remboursement du coût des aliments, des produits d’hygiène, des affaires personnelles et des médicaments qui lui ont été apportés en prison, ainsi que des frais de transport engagés par ses parents pour leurs déplacements en Transnistrie en lien avec sa privation de liberté. Ces dépenses, pour lesquelles le requérant soumet une liste détaillée ainsi que plusieurs factures, auraient été engagées entre le 29 mars 2011 – date de l’arrestation de l’intéressé – et le mois de mars 2012.
111. Le gouvernement moldave indique que, compte tenu de difficultés qu’il aurait rencontrées pour apprécier le bien-fondé de l’affaire, il n’est pas en mesure de se prononcer en connaissance de cause sur les prétentions de satisfaction équitable formulées par le requérant.
112. Le gouvernement russe estime qu’il n’a pas à verser d’indemnité puisque, selon lui, aucune violation des droits du requérant ne peut lui être imputée. Il ajoute que, dans tous les cas, il est impossible de vérifier les sommes demandées, lesquelles, au demeurant, seraient excessives et non étayées.
113. La Cour rappelle avoir jugé qu’en l’espèce la Moldova ne peut être tenue pour responsable d’aucune violation de la Convention. En conséquence, il n’y a pas lieu que cet État défendeur verse au requérant une indemnité pour dommage matériel.
114. La Cour a conclu ci-dessus à la violation par la Fédération de Russie des articles 3, 5 § 1, 8 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi qu’au manquement par cet État aux obligations lui incombant au titre de l’article 34 de la Convention. Elle a notamment estimé que les biens du requérant, y compris sa maison, avaient été confisqués en violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Compte tenu des documents dont elle dispose, notamment le rapport d’expertise immobilière, qui n’a pas été contesté par le gouvernement russe, elle alloue au requérant la somme de 114 755 EUR.
115. Eu égard aux autres éléments dont elle dispose, la Cour accorde également au requérant la somme de 5 000 EUR, correspondant au coût des aliments, des produits d’hygiène, des affaires personnelles et des médicaments qui n’ont pas pu lui être fournis pendant sa détention, ainsi qu’aux frais de transport engagés par ses parents pour leurs déplacements en Transnistrie (comparer avec Mozer, précité, § 230).
116. La Cour alloue donc au requérant la somme totale de 119 755 EUR au titre du préjudice matériel, à verser par la Fédération de Russie.
B. Dommage moral
117. Le requérant sollicite également 60 000 EUR au titre du préjudice moral, en réparation des souffrances qu’il dit avoir endurées.
118. Les gouvernements défendeurs réitèrent leurs observations résumées respectivement aux paragraphes 111 et 112 ci-dessus.
119. La Cour rappelle avoir jugé qu’en l’espèce la Moldova ne pouvait être tenue pour responsable d’aucune violation des droits garantis au requérant par la Convention. En conséquence, il n’y a pas lieu que cet État défendeur verse au requérant une indemnité pour dommage moral.
120. Eu égard aux violations commises par la Fédération de Russie constatées ci-dessus et à leur gravité, la Cour estime qu’il se justifie en l’espèce d’allouer une réparation pour dommage moral. Statuant en équité, elle accorde au requérant la somme de 20 000 EUR, à verser par la Fédération de Russie.
C. Frais et dépens
121. Le requérant demande enfin 665 EUR pour les frais et dépens engagés devant les instances nationales, ainsi que 8 040 EUR pour les frais afférents à la procédure devant la Cour. Il produit des reçus relatifs à des frais postaux et à des sommes versées au niveau interne, ainsi qu’un contrat conclu entre ses parents et les représentants qui l’ont défendu devant la Cour. Il fournit également un relevé détaillé des heures de travail prestées par les représentants en question pour la présente affaire (67 heures au taux horaire de 120 EUR).
122. Les gouvernements défendeurs répètent leurs arguments respectifs avancés ci-dessus relativement aux montants réclamés pour le dédommagement des préjudices matériel et moral.
123. La Cour rappelle avoir jugé qu’en l’espèce la Moldova s’était acquittée de ses obligations positives et ne pouvait donc être tenue pour responsable d’aucune violation de la Convention. En conséquence, il n’y a pas lieu que cet État défendeur verse au requérant une indemnité pour frais et dépens.
124. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères rappelés ci-dessus, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 3 000 EUR, tous frais confondus, à verser par la Fédération de Russie.
D. Intérêts moratoires
125. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable à l’égard de la République de Moldova ;
2. Déclare, à la majorité, la requête recevable à l’égard de la Fédération de Russie ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention par la République de Moldova ;
4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention par la Fédération de Russie ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention par la République de Moldova ;
6. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention par la Fédération de Russie ;
7. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention par la République de Moldova ;
8. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention par la Fédération de Russie ;
9. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention par la République de Moldova ;
10. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention par la Fédération de Russie ;
11. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation par la République de Moldova de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
12. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation par la Fédération de Russie de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
13. Dit, à l’unanimité, que la République de Moldova n’a pas failli à ses obligations au titre de l’article 34 de la Convention ;
14. Dit, par six voix contre une, que la Fédération de Russie a failli à ses obligations au titre de l’article 34 de la Convention ;
15. Dit, par six voix contre une,
a) que la Fédération de Russie doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 119 755 EUR (cent dix-neuf mille sept cent cinquante-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel,
ii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
iii. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
16. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 mai 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Dedov.
A.I.K.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE DEDOV
Mon vote dans cette affaire repose sur le raisonnement que j’ai exposé dans mon opinion dissidente en l’affaire Mozer c. République de Moldova et Russie ([GC], no 11138/10, CEDH 2016) quant à la question du contrôle effectif de la Fédération de Russie sur la Transnistrie.