CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE M.M. c. BULGARIE
(Requête no 75832/13)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée le 4 juillet 2017
conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.
STRASBOURG
8 juin 2017
DÉFINITIF
08/09/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire M.M. c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Lәtif Hüseynov, juges,
Pavlina Panova, juge ad hoc,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 mai 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 75832/13) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un apatride, M. M.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 décembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). En vertu de l’article 47 § 3 du règlement de la Cour, le président de la section a décidé de ne pas divulguer l’identité du requérant.
2. Le requérant est représenté par M. K. Kanev, du Comité Helsinki bulgare, organisation non gouvernementale basée à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par ses coagents, Mmes Y. Stoyanova et M. Dimova, du ministère de la Justice.
3. Le 4 décembre 2013, la juge faisant fonction de président de section a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement et d’indiquer au Gouvernement de ne pas expulser le requérant vers la Syrie pour la durée de la procédure devant la Cour.
4. Le 15 janvier 2015, les griefs tirés des articles 2, 3, 13 et 5 § 4 de la Convention concernant le risque pour la vie et l’intégrité physique du requérant si l’ordre d’expulsion devait être mis à exécution, l’existence de recours effectifs à cet égard et le délai d’examen du recours de l’intéressé contre sa détention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour. M. Yonko Grozev, juge élu au titre de Bulgarie, s’étant déporté pour l’examen de cette affaire (articles 28 du règlement), le 20 février 2017, la présidente de la section a décidé de désigner Mme Pavlina Panova pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1991 et réside à Sofia.
A. L’établissement du requérant en Bulgarie
6. Le requérant, né à Damas, en Syrie, est un apatride d’origine palestinienne. Avant 2008, il résidait en Syrie et disposait d’un document d’identité d’apatride délivré par cet État.
7. Il arriva en Bulgarie le 22 juillet 2008, en même temps que sa mère et son frère. Le requérant introduisit successivement deux demandes d’octroi du statut de réfugié en Bulgarie qui furent rejetées par l’Agence pour les réfugiés. Les recours judiciaires qu’il forma contre ces décisions furent respectivement rejetés le 28 juin 2010 et le 4 avril 2011.
8. Le 20 avril 2011, le requérant introduisit une nouvelle demande d’octroi du statut de réfugié. Un premier refus de l’Agence pour les réfugiés fut annulé par le tribunal administratif de Sofia. Par une nouvelle décision du 5 avril 2012, l’Agence pour les réfugiés considéra que les éléments qui lui avaient été soumis n’établissaient pas l’existence d’une crainte de persécutions du requérant en raison de sa race, religion, appartenance à un groupe social ou pour un autre motif, justifiant l’octroi du statut de réfugié. L’agence estima cependant que, en raison de la situation en Syrie, le requérant était exposé, en sa qualité de civil, à « une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé » et décida de lui accorder le statut humanitaire, protection subsidiaire prévue par la loi sur l’asile et les réfugiés.
9. Un titre de séjour lui fut délivré sur ce fondement, avec une durée de validité jusqu’au 18 avril 2015.
B. L’arrêté d’expulsion pris à l’encontre du requérant
10. Par un arrêté du 13 juillet 2013, l’Agence de sécurité nationale (Държавна агенция « Национална сигурност ») ordonna le retrait du titre de séjour du requérant, une interdiction du territoire pour une durée de dix ans et son expulsion au motif que sa présence sur le territoire constituait une menace pour la sécurité nationale. Un arrêté distinct daté du même jour ordonna le placement du requérant en rétention administrative. Le requérant fut arrêté le 13 juillet 2013 et placé dans le centre spécialisé de rétention temporaire des étrangers de Busmantsi, près de Sofia. Les deux arrêtés lui furent notifiés le 14 juillet 2013.
11. Durant sa détention, le requérant put s’entretenir avec des avocats du Comité Helsinki bulgare qui l’assistèrent dans la préparation d’un recours contre les mesures imposées. À cette occasion, les avocats constatèrent que l’expulsion du requérant avait été ordonnée en raison de plusieurs conversations effectuées sur Skype avec une personne se trouvant en Syrie, qui avaient été interceptées par les autorités et dont le contenu avait été considéré comme lié à une entreprise terroriste.
12. Deux recours préparés par les avocats du requérant contre l’arrêté d’expulsion et l’arrêté de placement en rétention furent déposés à la Cour administrative suprême par son frère le 29 juillet 2013, après les heures d’ouverture. Le 5 août, le requérant déposa une demande de relevé de la forclusion du délai légal de quatorze jours, expliquant qu’il n’avait pas reçu copie des décisions prises à son encontre et n’avait pas été en mesure de préparer un recours dans le délai.
13. La demande de relevé de forclusion concernant le recours contre l’arrêté d’expulsion fut rejetée par une décision définitive de la Cour administrative suprême du 29 janvier 2014, qui considéra qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles qui avaient empêché l’intéressé d’introduire un recours dans le délai légal. En conséquence, le 31 janvier 2014, la Cour administrative suprême déclara le recours irrecevable pour cause de tardiveté.
14. S’agissant du recours contre le placement en rétention du requérant, par une décision du 10 février 2014, la Cour administrative suprême rejeta la demande de relevé de forclusion et déclara le recours irrecevable pour tardiveté, considérant qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles ayant entravé l’exercice du droit de recours.
C. La tentative d’expulsion du requérant et sa demande d’application de l’article 39 du règlement de la Cour
15. Le 26 novembre 2013, le requérant fut transféré à l’aéroport de Sofia et embarqué dans un avion en direction du Liban. Selon le Gouvernement, le requérant aurait déclaré qu’il souhaitait retourner en Syrie et son transfert vers le Liban aurait été organisé à sa demande. Le requérant dément cette affirmation. Il soutient qu’à son arrivée au Liban il aurait indiqué aux autorités qu’il craignait pour sa vie en Syrie et ces dernières ne l’auraient alors pas admis sur leur territoire. Le requérant fut renvoyé en Bulgarie via l’aéroport de Moscou, où il resta pendant 30 heures.
16. Il arriva à l’aéroport de Sofia le 28 novembre 2013 et fut retenu à l’aéroport en raison de l’interdiction d’entrée sur le territoire qui lui avait été imposée. Le 2 décembre, il put rencontrer un représentant du Comité Helsinki bulgare qui, le 4 décembre 2013, saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le même jour, la juge faisant fonction de président de section décida d’indiquer au gouvernement bulgare, en application de la disposition précitée, de ne pas expulser le requérant vers la Syrie pour la durée de la procédure devant la Cour.
17. Le 14 décembre 2013, le directeur de l’Agence de sécurité nationale ordonna le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion. Par un arrêté du même jour, il ordonna le placement du requérant en centre de rétention. Le requérant introduisit un recours judiciaire contre la décision de sursis de la mesure d’expulsion, faisant valoir que la Cour avait enjoint aux autorités bulgares de ne pas l’expulser vers la Syrie et soutenant en outre que la décision était dépourvue de motivation suffisante. Ce recours fut rejeté par un jugement du tribunal administratif de Sofia du 5 mars 2014, qui fut confirmé par la Cour administrative suprême le 25 février 2015. Ces juridictions considérèrent que l’acte était dûment motivé et que le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion était justifié par les difficultés à obtenir un document de voyage pour le requérant, d’une part, et l’application d’une mesure provisoire au titre de l’article 39 du règlement de la Cour, d’autre part. Toutefois, elles estimèrent que l’application d’une mesure provisoire par la Cour n’affectait pas la légalité de la mesure d’expulsion imposée.
D. La détention du requérant
18. Le requérant fut placé au centre de rétention de Busmantsi le 16 décembre 2013, en exécution de l’arrêté du 14 décembre 2013. Le 30 décembre 2013, il saisit le tribunal administratif de Sofia d’un recours contre cet arrêté, en faisant valoir que sa détention ne se justifiait plus compte tenu du sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion. Par un jugement du 10 février 2014, le tribunal administratif de Sofia considéra que, malgré le sursis à l’exécution de l’arrêté, la détention devait toujours être considérée comme justifiée par la procédure d’expulsion en cours, au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Jugeant qu’il existait un risque que le requérant tente de se soustraire à l’exécution de la mesure d’expulsion, il confirma la détention. Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. Le 21 juillet 2014, la Cour administrative suprême fit droit à son recours, annula le jugement et renvoya l’affaire au tribunal administratif afin qu’il statue de nouveau.
19. Parallèlement à cette procédure, à l’issue des six premiers mois de détention du requérant, le directeur du service de la migration saisit le tribunal administratif de Sofia afin qu’il statue sur la prolongation de celle‑ci. Par une ordonnance du 21 juillet 2014, le tribunal administratif ordonna la prolongation de la détention pour une nouvelle durée de six mois avec effet à compter du 16 juin 2014. Le recours formé par le requérant contre cette ordonnance fut rejeté par le tribunal administratif de Sofia le 2 octobre 2014.
20. Par un jugement du 6 octobre 2014, le tribunal administratif, statuant sur renvoi de la Cour administrative suprême (paragraphe 18 ci-dessus), considéra que le risque de soustraction à l’exécution de la mesure d’expulsion n’était pas établi et que les éléments sur la base desquels le jugement du 10 février 2014 avait conclu à l’existence d’un tel risque – que le requérant était psychologiquement instable et qu’il y avait un risque qu’il entreprenne un attentat suicide sur le territoire bulgare – n’étaient basés que sur des affirmations de l’Agence de sécurité nationale qui n’étaient pas corroborés par des éléments de preuve. En conséquence, le tribunal annula l’arrêté de placement en détention et ordonna la remise en liberté du requérant. Le requérant ne fut cependant pas immédiatement libéré, l’Agence de sécurité nationale s’étant pourvu en cassation. Il fut remis en liberté le 16 décembre 2014, à l’expiration d’une nouvelle période de six mois de détention.
21. Le pourvoi de l’Agence de sécurité nationale contre le jugement du 6 octobre 2014 fut rejeté par la Cour administrative suprême le 6 avril 2015. Par un arrêté du directeur de la direction régionale des affaires intérieures du 6 avril 2015, le requérant se vit imposer l’obligation de se présenter au commissariat une fois par semaine à titre de contrôle administratif.
E. Développement ultérieurs concernant le statut du requérant
22. À la suite de l’application de l’article 39 du règlement par la Cour, les autorités compétentes tentèrent, en cherchant notamment l’assistance de la représentation du Haut-commissariat aux réfugiés en Bulgarie, de trouver un pays tiers qui serait prêt à accueillir le requérant. Le 8 avril 2014, le requérant signa une déclaration de retour volontaire vers l’Allemagne où résidait son père. Il signa de telles déclarations concernant l’Australie et la Turquie, avant de les retirer ultérieurement. Il n’apparaît cependant pas que les autorités aient trouvé un pays tiers prêt à l’accueillir.
23. Le 24 mars 2015 le requérant se vit délivrer un nouveau permis de séjour sur la base du statut humanitaire qui lui avait été accordé, valable jusqu’au 24 mars 2018. Selon les dernières informations fournies par les parties, le requérant réside et travaille actuellement à Sofia.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. L’expulsion des ressortissants étrangers
24. La loi de 1998 sur les étrangers en République de Bulgarie (закон за чужденците в Република България) régit l’entrée, le séjour et le statut des ressortissants étrangers. Les articles 39a et suivants régissent les mesures coercitives qui peuvent être imposées dans ce domaine, à savoir le retrait du permis de séjour, la reconduite à la frontière, l’expulsion, l’interdiction d’entrée sur le territoire ou l’interdiction de quitter le territoire.
25. En vertu des articles 42 et 10, alinéa 1, de la loi, l’expulsion d’un ressortissant étranger est ordonnée, entre autres, lorsque sa présence sur le territoire crée une menace sérieuse pour la sécurité nationale ou l’ordre public ou lorsqu’il existe des informations indiquant que l’intéressé agit contre la sécurité et les intérêts du pays, fait partie d’un groupe ou d’une organisation criminels ou est lié à des activités de terrorisme, de contrebande, de trafic d’armes, de stupéfiants, d’êtres humains ou de migrants clandestins.
26. En vertu de l’article 46 de la loi, les arrêtés d’expulsion peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel devant la Cour administrative suprême, qui statue en dernier ressort. Le recours n’a pas d’effet suspensif. Conformément à l’article 149 du code de procédure administrative, le recours doit être introduit dans un délai de quatorze jours à compter de la notification de l’acte.
27. L’article 44a, introduit dans la loi sur les étrangers en 2001, interdit l’expulsion d’un étranger vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté seraient menacées, ou dans lequel il risque d’être exposé à des persécutions, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. L’appréciation de ce risque est en général effectuée par les autorités chargées de l’exécution de la mesure d’éloignement. En effet, l’arrêté d’expulsion ou de reconduite à la frontière ne désigne pas le pays vers lequel l’éloignement doit avoir lieu. Le pays de destination est en principe déterminé dans la décision ordonnant l’exécution pratique de la mesure d’éloignement. Cependant, la loi ne précise pas les modalités selon lesquelles les autorités administratives appliquent cette disposition et le Gouvernement n’a pas fourni d’exemples concrets de son application (pour plus de détails, voir Auad c. Bulgarie, no 46390/10, §§ 38, 105 et 106, 11 octobre 2011).
28. Un nouvel alinéa 2 de cet article, adopté en mars 2013, dispose que lorsqu’un tel danger a été établi par une décision de justice définitive, l’autorité ayant ordonné la mesure d’expulsion doit prendre un nouvel arrêté indiquant le pays vers lequel l’intéressé ne doit pas être expulsé. Cet acte n’est pas susceptible de recours. La Cour ne dispose toutefois pas d’informations ou d’exemples concrets concernant la manière dont cette disposition aurait été appliquée en pratique.
B. La rétention administrative en vertu de la loi sur les étrangers
29. Les dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers ont été modifiées en mai 2009 aux fins de transposition de la directive européenne 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
30. L’article 44 de la loi dispose en ses parties pertinentes :
« (6) Lorsqu’un ressortissant étranger s’est vu imposer une mesure [de reconduite à la frontière ou d’expulsion] et que son identité n’a pas pu être établie, qu’il entrave l’exécution de la mesure ou lorsqu’il existe un risque de fuite, l’autorité ayant pris ladite mesure peut ordonner le placement de ce ressortissant dans un centre spécialisé de rétention temporaire des étrangers, afin d’organiser sa reconduite à la frontière ou son expulsion. (...)
(8) La rétention administrative se poursuit tant que les conditions énoncées au paragraphe 6 sont réunies, sans pouvoir dépasser six mois. (...) Exceptionnellement, lorsque la personne concernée refuse de coopérer avec les autorités compétentes, ou qu’il existe un retard dans l’obtention des documents requis pour la reconduite à la frontière ou l’expulsion, la durée de la rétention peut être prolongée de douze mois supplémentaires. (...) »
31. L’article 46a est libellé comme suit :
« (1) L’arrêté de placement en rétention administrative est susceptible d’un recours conformément aux dispositions du code de procédure administrative, dans un délai de quatorze jours à compter du placement effectif. Le recours n’interrompt pas l’exécution de la mesure.
(2) Le tribunal (...) examine le recours en audience publique et doit rendre sa décision dans un délai d’un mois suivant l’ouverture de la procédure. La comparution de la personne concernée n’est pas obligatoire. La décision du tribunal peut faire l’objet d’un recours devant la Cour administrative suprême, qui statue dans un délai de deux mois.
(3) Tous les six mois, le directeur du centre de rétention pour étrangers présente une liste des étrangers qui y ont séjourné pendant plus de six mois en raison des obstacles à leur éloignement du territoire. Ladite liste est communiquée au tribunal administratif dans le ressort duquel le centre de rétention est situé.
(4) À l’issue de chaque période de six mois à compter de la date de placement en rétention, le tribunal statue, sans tenir d’audience, soit d’office, soit à la demande de intéressé, sur la prolongation, la modification ou la levée de la mesure de rétention. L’ordonnance du tribunal peut faire l’objet d’un recours selon les modalités prévues par le code de procédure administrative.
(5) Lorsque le tribunal annule la mesure de placement en rétention ou décide la remise en liberté du ressortissant étranger, ce dernier est immédiatement libéré. »
Le code de procédure administrative, auquel renvoie l’article 46a de la loi sur les étrangers, prévoit que tout acte administratif peut faire l’objet d’un recours judiciaire devant le tribunal administratif. Le recours n’est pas suspensif de l’exécution de l’acte (articles 145 et suivants du code). Le jugement rendu par le tribunal administratif est susceptible d’un recours en cassation devant la Cour administrative suprême qui a un effet suspensif (articles 208 et suivants du code). Si elle décide d’annuler le premier jugement au motif d’une violation substantielle des règles procédurales ou si la résolution de l’affaire exige le rassemblement de nouvelles preuves autres que des preuves écrites, la Cour administrative suprême doit renvoyer l’affaire au tribunal administratif afin que celui-ci statue de nouveau. Dans les autres cas, elle règle l’affaire au fond (article 222 du code).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2, 3 ET 13 DE LA CONVENTION EN CAS D’EXPULSION DU REQUÉRANT
32. Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant soutient qu’il existe un danger pour sa vie et un risque qu’il soit soumis à des traitements inhumains et dégradants s’il était expulsé, directement ou indirectement, vers son pays d’origine, la Syrie. Au regard de l’article 13, il dénonce l’absence en droit bulgare de voies de recours effectives pour remédier à ses griefs tirés des articles 2 et 3.
A. Thèses des parties
33. Le Gouvernement demande la radiation du rôle de cette partie de la requête. Il expose que le requérant s’est vu délivrer un nouveau permis de séjour valide jusqu’au 24 mars 2018 sur la base du statut humanitaire qui lui a été accordé en raison de la situation en Syrie, qu’il réside régulièrement en Bulgarie et a actuellement un travail. Le Gouvernement produit une lettre émanant de l’Agence pour la sécurité nationale et une autre lettre de la direction de la migration du ministère de l’Intérieur qui indiquent, respectivement :
« [Le requérant] est apatride et s’est vu accorder un statut humanitaire, il n’existe dès lors pas de motif de l’expulser ou de le transférer vers un pays tiers, dans la mesure où l’exécution de la mesure prise à son encontre en application de la loi sur les étrangers n’est plus nécessaire. »
« La direction de la migration, eu égard au respect du principe de non-refoulement et de l’interdiction posée à l’article 44a du la loi sur les étrangers : « un étranger [...] ne peut être expulsé vers un pays où sa vie et sa liberté sont en danger ou dans lequel il risque d’être exposé à des persécutions, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants », n’envisage pas d’exécuter la mesure d’expulsion imposée à l’étranger. »
34. Le Gouvernement considère que le cadre juridique interne, le statut humanitaire accordé au requérant et les assurances fournies par les autorités compétentes selon lesquelles le requérant ne sera pas éloigné vers la Syrie ou un pays tiers suffisent pour justifier la radiation du rôle de la requête.
35. Le requérant réplique que l’arrêté ordonnant son expulsion n’a pas été annulé et en déduit que les autorités envisagent toujours son expulsion vers la Syrie ou un pays tiers.
B. Appréciation de la Cour
36. L’article 37 § 1 de la Convention dispose :
« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure
a) que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou
b) que le litige a été résolu ; ou
c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.
Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.
2. La Cour peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient. »
37. La Cour observe que, selon sa jurisprudence, dès lors qu’un requérant menacé d’expulsion a obtenu un permis de séjour et ne risque plus d’être expulsé, elle considère que l’affaire a été résolue au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention et la raye de son rôle. Par ailleurs, dans certaines affaires où le requérant n’avait pas obtenu de permis de séjour et où la menace d’expulsion n’avait pas complètement disparu, mais où il ressortait des éléments dont elle disposait que le requérant ne risquait plus, ni à ce moment, ni avant longtemps, d’être expulsé, la Cour a estimé qu’il ne se justifiait plus de poursuivre l’examen de la requête, au sens de l’article 37 § 1 c) et a également décidé de rayer celle-ci du rôle. La Cour a en effet toujours envisagé la question sous l’angle d’une violation potentielle de la Convention et, dans la mesure où la menace d’une telle violation disparait ou n’est plus imminente, la poursuite de l’examen de la requête ne se justifie plus, sous réserve de l’application de l’article 37 § 1 in fine (Khan c. Allemagne [GC], no 38030/12, §§ 33-35, 21 septembre 2016, et les références de jurisprudence qui y sont citées).
38. En l’espèce, la Cour observe que, à la suite de la mesure provisoire qu’elle a indiquée aux autorités bulgares en application de l’article 39 de son règlement, l’exécution de la mesure d’expulsion prise à l’encontre du requérant a été suspendue. Devant la Cour, le gouvernement défendeur et les autorités internes compétentes ont donné l’assurance que l’expulsion du requérant vers la Syrie n’était pas envisagée, en tout cas tant que la situation dans ce pays demeurait inchangée (paragraphes 33-34 ci-dessus). La Cour n’aperçoit aucune raison de douter du sérieux de ces assurances expresses (voir Khan, précité, § 37, et Boutagni c. France, no 42360/08, §§ 20 et 48, 18 novembre 2010, et, à titre de comparaison, Auad, précité, § 105, où la Cour a relevé l’absence d’assurances expresses de la part du Gouvernement). La Cour observe également que le requérant dispose d’un titre de séjour délivré sur le fondement de la protection subsidiaire qui lui a été accordée.
39. Par conséquent, la Cour considère que le requérant ne risque pas, pour le moment et pour une période de temps substantielle, d’être expulsé vers la Syrie. Dans ces circonstances, il ne se justifie pas de procéder à un examen des conditions actuelles dans l’État de destination, d’autant plus qu’il ne peut être exclu que ces conditions évoluent avant que les autorités bulgares ne décident de procéder à l’expulsion du requérant (Isman c. Suisse (déc.), no 23604/11, § 24, 21 janvier 2014, et I.A. c. Pays-Bas (déc.), no 76660/12, § 20, 27 mai 2014). Par ailleurs, dans l’hypothèse où l’expulsion du requérant vers la Syrie ou un autre pays où il encourt un risque serait envisagée, l’intéressé aurait la possibilité de saisir la Cour d’une nouvelle requête et de demander l’application de mesures provisoires sur la base de l’article 39 du règlement.
40. Concernant le grief du requérant tiré de l’article 13 de la Convention relativement à l’absence de recours effectif en droit interne, la Cour rappelle que le fait qu’il ne soit pas, à ce jour, menacé d’expulsion n’implique pas nécessairement qu’il ne dispose plus de « grief défendable » à faire valoir au sens de l’article 13. En effet, pour évaluer la situation sous l’angle de cette disposition, la Cour doit se placer au moment où la procédure litigieuse interne s’est déroulée même si, comme en l’espèce, le risque d’expulsion a évolué dans le temps (I.M. c. France, no 9152/09, § 100, 2 février 2012, et L.T. c. Belgique (déc. comité), § 27, no 31201/11, 12 mars 2013). Toutefois, le point de savoir si une affaire peut être rayée du rôle est indépendante de la question de savoir si un requérant conserve ou non la qualité de victime de la violation alléguée (P.M. c. France (déc.), no 25074/09, 25 mai 2010). En l’espèce, dans la mesure où elle a constaté que l’expulsion du requérant n’était plus imminente, la Cour considère qu’il ne se justifie pas non plus d’examiner s’il a disposé d’un recours effectif pour faire valoir les griefs qui y sont relatifs.
41. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen des griefs tirés des articles 2, 3 et 13. Elle considère par ailleurs qu’aucune circonstance particulière touchant au respect des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles n’exige la poursuite de leur examen en vertu de l’article 37 § 1 in fine. S’agissant plus particulièrement du grief du requérant relatif à l’efficacité des recours existant en droit bulgare et à l’absence d’effet suspensif de ces recours, la Cour observe qu’elle a déjà examiné de tels griefs dans de précédentes affaires dans lesquelles elle a constaté la violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention (M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 124-133, 26 juillet 2011, et Auad, précité, §§ 117-123). L’exécution des arrêts prononcés dans ces affaires est actuellement pendante devant le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Dès lors, il n’y pas de risque qu’une question d’intérêt général échappe à l’examen de la Cour.
42. Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu’il convient de mettre fin à l’application de l’article 39 du règlement et de rayer du rôle les griefs tirés des articles 2, 3 et 13 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
43. Le requérant allègue que le recours qu’il a introduit pour contester la légalité de son placement en détention en décembre 2013 n’a pas été examiné « à bref délai ». Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention qui dispose :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception du Gouvernement
44. Dans ses observations complémentaires du 16 juin 2015, en réponse à celles du requérant, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il se réfère à l’article 2, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État, tel que modifié en décembre 2012, qui prévoit un droit à indemnisation en cas de violation des droits garantis aux paragraphes 1 à 4 de l’article 5. Le Gouvernement soutient que le requérant a la possibilité d’engager une action sur le fondement de cet article et d’obtenir une indemnisation pour la violation alléguée de l’article 5 § 4 concernant la durée excessive de l’examen de son recours.
45. Invité à commenter sur l’exception soulevée par le Gouvernement, le requérant soutient que le recours invoqué n’est pas applicable à une détention aux fins d’expulsion.
46. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 55 de son règlement, si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d’irrecevabilité, elle doit le faire, pour autant que la nature de l’exception et les circonstances le permettent, dans ses observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête. En l’espèce, elle relève que le Gouvernement n’a pas soulevé d’exception de non-épuisement des voies de recours internes dans ses observations initiales sur la recevabilité et le fond, transmises à la Cour le 12 mars 2015. La possibilité pour le requérant d’introduire une action sur le fondement de la loi sur la responsabilité de l’État n’a été abordée que dans les observations complémentaires et sur la satisfaction équitable du Gouvernement. Ce dernier n’a fourni aucune explication à ce retard et la Cour ne relève aucune circonstance exceptionnelle de nature à l’exonérer de son obligation de soulever toute exception d’irrecevabilité en temps utile. Elle relève en particulier qu’à la date du dépôt des premières observations du Gouvernement, le 12 mars 2015, la détention du requérant avait pris fin et l’intéressé avait en principe accès à la voie de recours invoquée par le Gouvernement.
47. Il s’ensuit que le Gouvernement est forclos à exciper du non‑épuisement des voies de recours internes (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 52, CEDH 2016, voir aussi Dhahbi c. Italie, no 17120/09, §§ 24-25, 8 avril 2014, et Boris Kostadinov c. Bulgarie, no 61701/11, § 44, 21 janvier 2016).
2. Conclusion sur la recevabilité
48. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
49. Le requérant fait valoir que la durée d’examen du recours qu’il a introduit le 30 décembre 2013 pour contester son placement en centre de rétention s’élève à plus d’une année et est manifestement excessive compte tenu des exigences de l’article 5 § 4. Il souligne que les tribunaux n’avaient toujours pas statué sur son recours au moment où il été remis en liberté en raison de l’expiration du délai légal prévu pour la détention.
50. Le Gouvernement fait valoir qu’en vertu de l’article 46a de la loi sur les étrangers, le requérant avait accès à un recours juridictionnel pour contester la légalité de sa détention, qui faisait par ailleurs l’objet d’un contrôle périodique tous les six mois. Il souligne que la mise en œuvre de ces recours a permis la libération du requérant lorsque la détention n’était plus justifiée et considère que la durée d’examen de son recours n’était pas excessive.
2. Appréciation de la Cour
51. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît à toute personne privée de sa liberté le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin de faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la légalité, au sens de la Convention, de sa privation de liberté. La juridiction chargée de ce contrôle doit statuer sur la légalité de la détention « à bref délai » et avoir compétence pour ordonner la libération en cas de détention illégale (voir, parmi d’autres, M.A. c. Chypre, no 41872/10, § 160-162, CEDH 2013 (extraits)).
52. Le droit à un recours juridictionnel consacré par l’article 5 § 4 et les garanties procédurales qui y sont prescrites visent à protéger l’individu contre une détention arbitraire (Khoudiakova c. Russie, no 13476/04, § 93, 8 janvier 2009) ou contre la poursuite d’une détention qui, quoique initialement ordonnée de manière régulière, a pu par la suite devenir irrégulière et perdre toute justification (Rahmani et Dineva c. Bulgarie, no 20116/08, § 78, 10 mai 2012). En particulier, les exigences relatives à la rapidité et à un contrôle juridictionnel périodique, à des intervalles raisonnables, ont pour raison d’être qu’un détenu ne doit pas courir le risque de rester en détention longtemps après le moment où sa privation de liberté a perdu toute justification (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, § 20, série A no 164, et Rahmani et Dineva, loc. cit.). Les garanties prévues à l’article 5 § 4 ne s’appliquent cependant qu’aux personnes privées de leur liberté. En conséquence, elles ne peuvent être invoquées lorsqu’un détenu a été remis en liberté de manière régulière (Stephens c. Malte (no 1), no 11956/07, §§ 102‑103, 21 avril 2009).
53. Par ailleurs, si l’article 5 § 4 n’astreint pas les Etats contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention, lorsqu’un État se dote d’un tel système, il doit en principe accorder les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance, notamment en ce qui concerne l’exigence de statuer à « bref délai » (Navarra c. France, 23 novembre 1993, §§ 28-29, série A no 273-B). La Cour a toutefois considéré que l’exigence de célérité pouvait être moins contraignante s’agissant de la procédure en appel, en particulier lorsque la régularité de la détention a été confirmée par un premier degré de juridiction (Veliyev c. Russie, no 24202/05, § 164, 24 juin 2010, et Khoudiakova, précité, § 93).
54. La question de savoir si l’exigence du « bref délai » a été respectée doit s’apprécier à la lumière des circonstances de chaque espèce (Khoudiakova, précité, § 95). La Cour a par exemple considéré que des délais de 17 ou 23 jours pour un degré de juridiction et des délais de 43 ou 54 jours pour deux degrés de juridiction n’étaient pas compatibles avec l’article 5 § 4 (voir, respectivement, Kadem c. Malte, no 55263/00, § 44, 9 janvier 2003, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, §§ 85-88, CEDH 2000‑XII, Jablonski c. Pologne, no 33492/96, § 94, 21 décembre 2000 et Khoudiakova, précité, §§ 99-100). Pour déterminer si une décision a été rendue avec la célérité requise au regard de cette disposition, la Cour tiendra compte du délai d’examen du recours, de la complexité des questions à trancher, de la célérité dont les autorités ont fait preuve et des retards imputables au requérant ou dus à des éléments objectifs (voir Delijorgji c. Albanie, no 6858/11, § 87, 28 avril 2015, et la jurisprudence qui y est citée).
55. En l’espèce, la Cour note que le droit interne a été modifié en mai 2009 et prévoit désormais un recours spécifique en application de l’article 46a, alinéa 1, de la loi sur les étrangers pour contester une détention ordonnée en vue d’une expulsion ou d’une reconduite à la frontière, ainsi qu’un contrôle périodique automatique de la justification de la détention, en application de l’article 46a, alinéa 4, de cette loi. Le requérant a fait usage de cette possibilité et a introduit, le 30 décembre 2013, un recours pour contester son deuxième placement en rétention. Il n’a cependant pas pu obtenir de décision finale sur son recours avant le 6 avril 2015. Toutefois, pour les besoins de l’article 5 § 4, la Cour tiendra uniquement compte de la période allant jusqu’à la libération du requérant, le 16 décembre 2014. Après cette date, le requérant n’étant plus privé de sa liberté, les garanties de l’article 5 § 4 ne trouvent en effet plus à s’appliquer (paragraphe 52 ci‑dessus, in fine). Le délai d’examen à prendre en considération s’élève donc à près de douze mois, ce qui apparaît de prime abord incompatible avec l’exigence de célérité voulue par l’article 5 § 4.
56. La Cour relève en particulier que le tribunal administratif s’est prononcé sur le recours du requérant le 10 février 2014, soit quarante-deux jours après son introduction, ce qui apparaît excessif au regard de sa jurisprudence (paragraphe 54 ci-dessus) et ce d’autant plus que le placement en rétention avait été ordonné par une autorité non judiciaire et qu’il s’agissait d’un premier examen de la légalité de la détention par un tribunal (Shcherbina c. Russie, no 41970/11, §§ 65-70, 26 juin 2014). Ensuite, plus de cinq mois se sont écoulés avant que la Cour administrative suprême ne statue sur le recours, le 21 juillet 2014. Même en tenant compte du caractère moins contraignant de l’exigence de célérité concernant l’examen par un deuxième degré de juridiction, un tel délai apparaît excessif. Les retards ainsi accusés ont été aggravés par le fait que la Cour administrative suprême n’a pas statué sur le fond du recours mais l’a renvoyé pour un nouvel examen au tribunal administratif, remettant la procédure à son stade initial. Le tribunal administratif ne s’est prononcé que deux mois et demi plus tard, le 6 octobre 2014. Enfin, la Cour relève que malgré le constat, fait à cette dernière date, que la détention du requérant n’était pas justifiée, ce dernier a été maintenu en détention pendant plusieurs mois encore en raison des délais qui se sont avérés nécessaires pour l’examen du recours formé par l’agence de sécurité nationale. Il a finalement été remis en liberté le 16 décembre 2014, à l’expiration du délai légal de la détention, avant même que la Cour administrative suprême ait pu statuer de manière définitive sur son recours.
57. La Cour rappelle que l’exigence du « bref délai » doit s’apprécier à la lumière des circonstances de chaque espèce et, entre autre, en fonction de la complexité des questions à trancher. Elle n’exclut pas que, en l’espèce, les questions relatives à la sécurité nationale et le placement en rétention du requérant aient pu exiger des appréciations complexes. Toutefois, le Gouvernement n’a fourni aucun élément susceptible de justifier un délai d’examen aussi long (voir, mutatis mutandis, Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, §§ 47-48, CEDH 1999-II). La Cour relève en particulier que l’examen du recours du requérant paraît dépasser les délais prévus par le droit interne tant en première instance qu’en appel (paragraphes 31 et 56 ci‑dessus). En outre, l’examen du recours a été retardé par le fait que, conformément à la procédure prévue par le droit interne, la Cour administrative suprême n’a pas statué sur le fond du recours mais l’a renvoyé pour un nouvel examen par le tribunal administratif. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur le système procédural existant dans l’État défendeur. Force est toutefois de constater que le renvoi de l’affaire par la Cour administrative suprême et la nécessité de procéder à un nouvel examen du recours du requérant a eu pour effet de retarder l’examen de celui-ci de manière significative. La Cour rappelle à cet égard qu’il appartient aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de la Convention et en particulier de l’article 5 § 4 (R.M.D. c. Suisse, 26 septembre 1997, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI).
58. La Cour relève par ailleurs que, alors que la procédure d’examen de son recours était pendante, le 21 juillet 2014 le tribunal administratif de Sofia a, dans le cadre du contrôle périodique de la détention en application de l’article 46a, alinéa 4, de la loi sur les étrangers, ordonné la prolongation de la détention du requérant. Le recours de l’intéressé contre cette décision a été examiné le 2 octobre 2014. La Cour n’a aucune raison de douter que le contrôle exercé à cette occasion sur la prolongation de la détention du requérant était en mesure, comme l’exige l’article 5 § 4 de la Convention, de porter sur la légalité de sa détention et de conduire, le cas échant, à sa libération. Cependant, même en admettant que cette décision ait pu mettre fin à la période à prendre en considération sous l’angle de l’article 5 § 4 concernant l’examen du recours initial du requérant, le délai écoulé depuis l’introduction de ce recours le 30 décembre 2013, soit environ neuf mois, ne peut passer pour satisfaisant à la condition de « bref délai » posée par cette disposition.
59. Eu égard à ce qui précède, la Cour constate que le requérant n’a pas pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention était jugée illégale. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 43 § 4 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
L’article 43 § 4 du règlement de la Cour, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :
« Lorsqu’une requête a été rayée du rôle, les dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour (...) »
A. Dommage
61. Le requérant réclame 2 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de la violation de l’article 5 § 4 de la Convention. Il demande en outre 5 000 EUR pour le préjudice qu’il aurait subi du fait de la violation des articles 2, 3 et 13 relativement à son expulsion.
62. Le Gouvernement considère ces prétentions excessives et invite la Cour à accorder au requérant, en cas de constat de violation, un montant conforme à sa jurisprudence dans des affaires similaires.
63. La Cour observe qu’elle a ci-dessus constaté uniquement la violation de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle considère qu’il y a lieu d’octroyer le montant demandé par le requérant à ce titre, soit 2 000 EUR.
B. Frais et dépens
64. Le requérant demande également 5 029 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il produit deux contrats de représentation juridique et les décomptes du travail effectué par ses avocats, d’un total de dix-neuf heures concernant les procédures internes et de quarante-trois heures pour la procédure devant la Cour, au taux horaire de 80 EUR. Il produit en outre une facture pour des frais de traduction d’un montant de 69 EUR. Il demande que le montant alloué par la Cour soit directement versé à l’organisation Comité Helsinki bulgare.[1]
65. Le Gouvernement soutient que le nombre d’heures revendiqué au titre du travail juridique est excessif et que le taux horaire indiqué est supérieur à ceux habituellement pratiqués en Bulgarie.
66. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 41 de la Convention, les frais et dépens ne peuvent être recouvrés que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 109, 14 septembre 2010) et, qu’en l’espèce, seule une violation de l’article 5 § 4 de la Convention a été constatée. Elle rappelle cependant que l’article 43 § 4 de son règlement l’autorise à accorder au requérant une somme pour frais et dépens lorsque la requête est rayée du rôle (Khan, précité, § 44). Les principes généraux régissant le remboursement des frais au titre de l’article 43 § 4 du règlement sont en substance identiques à ceux appliqués dans le cadre de l’article 41 de la Convention. Autrement dit, pour pouvoir donner lieu à remboursement, les frais doivent se rapporter aux violations alléguées, avoir été réellement et nécessairement encourus et être raisonnables quant à leur taux (ibidem). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
67. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer du rôle les griefs tirés des articles 2, 3 et 13 de la Convention ;
2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 4 ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :
i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte indiqué par le représentant du requérant, le Comité Helsinki bulgare[2] ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente
* * *
[1]. Rectifié le 4 juillet 2017 : « Il demande que le montant alloué par la Cour soit directement versé à l’organisation Comité Helsinki bulgare. » a été rajouté.
[2]. Rectifié le 4 juillet 2017 : « , à verser sur le compte indiqué par le représentant du requérant, le Comité Helsinki bulgare » a été rajouté.