CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE RAMDA c. FRANCE
(Requête no 78477/11)
ARRÊT
STRASBOURG
19 décembre 2017
DÉFINITIF
09/04/2018
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ramda c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger, présidente,
Erik Møse,
Nona Tsotsoria,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 novembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 78477/11) dirigée contre la République française par un ressortissant algérien, M. Rachid Ramda (« le requérant »), qui a saisi la Cour le 8 décembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me E. Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 7.
4. Le 30 septembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant, né en 1969, est actuellement détenu au centre pénitentiaire de Lannemezan.
A. La genèse de l’affaire
6. Membre du Front Islamique du Salut (F.I.S.), le requérant quitta l’Algérie avant que cette formation politique ne soit dissoute par un jugement du tribunal administratif d’Alger du 19 mars 1992. Après avoir séjourné au Pakistan, il entra au Royaume-Uni en janvier 1993 sous le pseudonyme d’Elias Serbis. Le 26 février 1993, il y présenta une demande d’asile politique en invoquant avoir dû quitter l’Algérie du fait de son appartenance au F.I.S. Sa demande fut rejetée le 10 août 1994.
7. Les 25 juillet, 17 et 26 août, 3, 4 et 7 septembre, 6 et 17 octobre 1995, huit attentats furent commis sur le territoire français.
8. Malgré l’absence de revendication expresse, certains éléments, notamment l’existence de communiqués virulents à l’encontre de la France et le mode opératoire de ces attentats, laissèrent penser qu’ils pouvaient être l’œuvre du Groupement Islamique Armé (G.I.A.).
9. Dans le cadre d’une information ouverte pour identifier les auteurs, les écoutes téléphoniques pratiquées sur les cabines téléphoniques utilisées par un certain B. B. permirent l’arrestation de plusieurs personnes, ainsi que d’orienter les recherches vers le Royaume-Uni et un certain Elyes (autrement appelé notamment Elyesse ou Eliass). Ces noms ou pseudonymes apparurent au cours : d’une conversation téléphonique du 1er novembre, relative à Elyes et la banque Western Union ; d’une perquisition au domicile de B. B., qui permit la découverte d’un document établissant l’existence d’un virement du 16 octobre 1995 sur cette banque et au bénéfice de B. B. ; d’un décodage de liste de numéros de téléphone trouvés chez ou sur B. B., dont trois numéros en Angleterre précédés de la mention « Elyesse » ou « Eliass ». Par ailleurs, B. B., arrêté le 1er novembre 1995, mit directement en cause Ylies, l’accusant de financer la campagne d’attentats depuis Londres et d’être tenu au courant de son déroulement.
10. Dès le 3 novembre 1995, la Direction de la Surveillance du Territoire informa les enquêteurs que le dénommé « Elyes, Ilyes, Lyes, Iliesse, Eliass ou Elyasse », désigné par B. B. comme étant le financier des attentats, pouvait désigner le requérant. Domicilié à Londres, ce dernier était soupçonné d’être l’un des responsables du G.I.A. au Royaume-Uni, notamment en raison de son implication dans la publication Al Ansar (ou Al Ansaar) utilisée par le G.I.A. comme canal d’expression à l’étranger.
11. Les investigations menées à Londres permirent d’établir que le requérant y avait un domicile et qu’il possédait un jeu de clefs correspondant à une seconde adresse londonienne, qui était le siège de la revue Al Ansar où se rendaient toutes les personnes impliquées dans la publication et la distribution du journal. Au siège d’Al Ansar, les enquêteurs découvrirent notamment ce qui suit : des contrats d’abonnement de trois téléphones portables, établis au nom de trois proches du requérant et correspondant aux numéros identifiés chez B. B., qui avait composé leur numéro avant et après chaque attentat ; un bordereau de location de boîte postale au nom de Fares ELIASS portant une empreinte digitale du requérant ; des lettres et communiqués du F.I.S, un communiqué précisant que seul le G.I.A. était habilité à mener le Djihad, une lettre du G.I.A. adressée au Président français et l’invitant à se convertir à l’Islam, une lettre de commentaires sur les attentats survenus en France, des copies d’articles de presse sur l’antiterrorisme mentionnant le nom des juges et des services spécialisés ; un morceau de papier portant l’inscription « Notre Dame 33-1-43-54-46-12 » correspondant au numéro de téléphone de la banque Western Union du 4 rue du Cloître Notre Dame à Paris ; un ticket de change d’une agence Thomas Cook de Londres en date du 21 juillet 1995 pour un montant de 5 000 livres sterling (GBP).
12. Le requérant fut arrêté et placé en garde à vue du 4 au 7 novembre 1995, en application de la loi sur la prévention du terrorisme.
13. Le 7 novembre 1995, il fut placé sous écrou extraditionnel en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré le même jour dans le cadre de l’information judiciaire relative à l’attentat commis le 6 octobre 1995 à proximité de la station de métro Maison Blanche.
14. Trois autres mandats d’arrêts internationaux furent également délivrés à son encontre : le 24 novembre 1995, pour l’attentat du 17 octobre 1995 à la Gare d’Orsay ; le 29 janvier 1996, dans le dossier d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme ; et le 16 janvier 2001, concernant l’attentat commis le 25 juillet 1995 à la station Saint-Michel du RER.
15. Les demandes d’habeas corpus du requérant furent rejetées en juin 1997, puis en 2001. Le 8 octobre 2001, le ministre de l’Intérieur britannique ordonna son renvoi en France, mais sa décision fut censurée par la Haute Cour (High Court, Queen’s Bench Division) le 27 juin 2002.
16. Le 6 avril 2005, le ministre de l’Intérieur britannique prit une nouvelle décision favorable à l’extradition du requérant, au vu des assurances apportées par les autorités françaises quant aux garanties d’un procès équitable et impartial en France. Le 14 octobre 2005, la Haute Cour rejeta le recours du requérant.
17. Le 1er décembre 2005, le requérant fut remis aux autorités françaises, puis il fut placé en détention provisoire le 2 décembre 2005.
B. La procédure correctionnelle
18. Par une ordonnance du 5 février 1999, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir, sur le territoire français et en Angleterre, depuis un temps non prescrit et jusqu’au 4 novembre 1995, participé à une association formée ou à une entente établie en vue de la préparation caractérisée pour un ou plusieurs faits matériels d’un des actes de terrorisme. Le juge d’instruction précisa notamment que le requérant :
« - (...) était chargé de la diffusion du journal « AL ANSAR » servant à la propagande du Groupe Islamique Armé ;
. (...) participait de ce fait à la propagande de cette organisation interdite en France ;
. (...) était l’interlocuteur privilégié en Europe de [D. Z.] alias Abou Abderhamane Amine dans l’organisation et les actions menées par le G.I.A. en Europe ;
. (...) était amené à envoyer de l’argent à des membres du G.I.A. restés en France leur permettant ainsi de financer et de mener des campagnes d’attentats ;
. (...) était en relation avec un très grand nombre de personnes impliquées et condamnées dans des affaires d’associations de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. »
19. Par un jugement du 29 mars 2006, longuement motivé sur plus de trente pages, le tribunal correctionnel présenta tout d’abord les faits au regard du « contexte politico-religieux », de l’apparition du F.I.S. jusqu’au G.I.A., du « contexte des attentats » de 1995, avec leur énumération et leur attribution probable au G.I.A., ainsi que du « contexte relatif à Rachid Ramda ».
20. Statuant sur l’action publique, le tribunal examina en premier lieu la mise en cause du requérant. Il jugea que des indices matériels précis et concordants lui permettaient d’avoir la certitude que le requérant avait bien utilisé différents surnoms et alias apparus au cours des investigations, ce fait étant « indubitable et incontestable ». S’agissant du financement du G.I.A., le tribunal, après avoir rappelé que le ministère public soutenait que le requérant était le financier des groupes du G.I.A. qui avaient réalisé les attentats en France au cours du second semestre 1995, examina longuement et de manière détaillée les éléments de fait indiqués dans le dossier de la procédure. Il releva en particulier que selon un témoin membre du G.I.A., les groupes du G.I.A. avaient une spécialité géographiquement répartie, celui de Londres s’occupant d’envoyer des fonds. En outre, le tribunal nota que le requérant avait effectué un virement de 5 000 GBP le 16 octobre 1995, soit deux jours avant l’attentat du 17 octobre 1995, ce qui était établi par les déclarations des policiers britanniques chargés de surveiller le requérant et des personnels d’un centre de la Western Union qui avait effectué le virement, ainsi que par la découverte des empreintes du requérant sur le bordereau de virement conservé par l’agence de la Western Union. Il rappela en outre que l’un des auteurs des attentats, B.B., avait déclaré que l’argent ayant servi à préparer les différents attentats avait toujours été fourni par le requérant depuis Londres. Il en déduisit que l’ensemble des faits « démontre que Rachid Ramda avait bien la fonction de financier des groupes terroristes se trouvant sur le territoire français ». En outre, en réponse aux réquisitions du parquet sur le rôle du requérant dans la propagande du G.I.A., les premiers juges examinèrent également les différents éléments factuels soumis à son examen, en particulier les nombreuses correspondances et les documents de propagande des thèses et des actions du G.I.A. découverts au cours des perquisitions effectuées dans les différents lieux utilisés par le requérant, ainsi que les déclarations d’un membre du G.I.A. confirmant le rôle du requérant au sein de l’équipe dirigeante du journal Al Ansar qui était l’organe du G.I.A. utilisé en particulier pour la revendication des attentats. Il releva également la présence au domicile du requérant de bulletins valorisant les activités terroristes et meurtrières, visant particulièrement la France. Le tribunal conclut que le requérant avait joué un rôle dans la propagande et la diffusion des idées du G.I.A.
21. Examinant en second lieu la participation du requérant à une association de malfaiteurs dans le cadre d’une entreprise terroriste, le tribunal estima cette infraction constituée, l’information démontrant que plusieurs groupes, respectivement installés dans la région lyonnaise, à Paris et à Lille, étaient à l’origine des attentats de 1995, pour lesquels chacun des membres avait eu une participation soit directe, soit indirecte par l’aide et la fourniture de moyens, tous étant des militants reconnus et pour certains revendiqués du G.I.A. Il jugea que les liens entretenus par le requérant avec les différents membres de ces réseaux, qui avaient l’objectif commun de réaliser des attentats, suffisaient à établir sa participation consciente et volontaire à une entente destinée à accomplir des actes de terrorisme sur le territoire français. Dans son jugement, le tribunal précisa notamment les faits permettant d’établir les relations avec huit membres de trois groupes faisant partie d’un réseau de soutien au G.I.A.
22. Partant, le tribunal correctionnel déclara le requérant coupable d’association de malfaiteurs dans le cadre d’une entreprise terroriste, sur le fondement des articles 450-1 et 421-1 du code pénal, et le condamna à une peine de dix ans d’emprisonnement, ainsi qu’à une interdiction définitive du territoire français. Il motiva sa décision d’infliger la peine d’emprisonnement par le fait « qu’au travers du financement et de la propagande pour le compte du G.I.A., Rachid RAMDA a rendu possible non seulement la réalisation des attentats mais s’en est fait le propagandiste pouvant entraîner l’adhésion de personnes permettant de renforcer la structure de réseaux qui s’étendaient sur plusieurs pays européens», ainsi qu’en raison de « son double discours révélateur à la fois de sa parfaite mauvaise foi et de son absence de tout regret ou remords ». Le tribunal accorda également un euro (EUR) de dommages-intérêts à l’association SOS Attentats, constituée partie civile.
23. Par un arrêt du 18 décembre 2006, devenu définitif, la cour d’appel de Paris confirma ce jugement. Tout en se référant expressément à l’exposé des faits résultant du jugement, elle consacra une trentaine de pages à son analyse et sa motivation concernant les faits reprochés au requérant. La cour d’appel apporta tout d’abord certaines précisions sur le développement et le fonctionnement du G.I.A. Elle précisa en outre que la procédure dont elle était saisie concernait « la campagne d’attentats de l’été et de l’automne 1995 en France », « les faits visés dans la présente procédure concernant les actes préparatoires et ceux ayant permis la réalisation desdits attentats lesquels début[èrent] sur le territoire national en juillet 1995 ». Elle énuméra ensuite les huit attentats commis entre le 25 juillet et le 17 octobre 1995. S’agissant notamment de la preuve de l’existence d’une centrale d’information basée à Londres dont le requérant aurait été maître d’œuvre, elle jugea que cela découlait des appels téléphoniques passés : le lendemain de l’assassinat de l’imam S. à Paris ; deux jours avant l’attentat commis à la station Saint-Michel du RER ; le jour même de cet attentat, le lendemain de la tentative d’attentat contre les installations du TGV Paris-Lyon à Cailloux-sur-Fontaines ; quelques jours après l’attentat commis le 3 septembre boulevard Richard Lenoir à Paris, la tentative d’attentat du 4 septembre place Charles Vallin à Paris et l’attentat commis le 7 septembre rue Jean-Claude Vivand à Villeurbanne, c’est-à-dire le 12 septembre 1995 ; le lendemain des tirs au Col de Maleval et de l’arrestation de trois personnes ; cinq jours avant l’attentat du 6 octobre et deux jours après ce dernier ; le 16 octobre 1995, soit juste avant l’attentat du 17 octobre 1995 ; enfin, le 1er novembre 1995, et ce juste après un échange téléphonique entre B. B. et S. A. B. concernant la préparation d’un attentat sur le marché de Wazemmes à Lille, B. B. ayant précisé que cette conversation avait pour objet de rendre compte au requérant des «derniers actes préparatoires» concernant l’attentat de Lille.
24. La cour d’appel souligna également plusieurs éléments factuels pour reprocher au requérant d’être le maître d’œuvre d’une structure de financement des actions menées par le G.I.A. : l’envoi de fonds le 16 octobre 1995 par le requérant sous la fausse identité de Philippe Hervier depuis l’Angleterre et réceptionnés par B. B. à l’agence Rivoli de la banque Rivaud sous le pseudonyme d’A. Benabbas, ce qui renvoyait à une inscription « 36 800 francs, Lyeso » trouvée dans le carnet de comptes d’A. T. et aux déclarations de B. B. ; le versement d’une somme de 5 000 GBP et de 50 000 francs français (FRF) par le requérant, attesté par le carnet de compte d’A. T. qui mentionnait un envoi de la part de « Walid », pseudonyme du requérant ou prénom de l’un de ses proches qui pouvait être contacté pour le joindre ; les déclarations de plusieurs personnes concernant des propositions de service contre remise d’argent, la recherche d’argent, l’envoi de sommes importantes, ainsi que la remise de 4 000 EUR à M. et l’existence d’un reçu de 100 GBP.
25. Enfin, la cour d’appel releva toute une série de faits permettant d’établir que le requérant était : premièrement, « l’interlocuteur privilégié (...) dans l’organisation et les actions menées par le G.I.A. en Europe », ce qui ressortait notamment d’une conversation téléphonique du 2 décembre 1995, des déclarations d’un témoin membre du G.I.A., ainsi que du contenu détaillé de nombreux documents saisis à Londres (communiqués, habilitations à mener le djihad, documents sur la gestion des fonds, articles et notes manuscrites sur l’action des groupes islamistes en Europe et la lutte antiterroriste, notes sur les armes de guerre et le maniement des explosifs, etc.) ; deuxièmement, « l’agent principal de propagande du G.I.A. à l’extérieur de l’Algérie », avec « son rôle dans la publication AL ANSAAR » (en particulier au regard des documents saisi à Londres chez le requérant : une note sur le moyen de dynamiser la revue, une lettre explicitant les modes de distributions de cette dernière, un équipement informatique que le requérant n’avait pas les moyens de s’offrir, des courriers adressés par des lecteurs et des sympathisants du G.I.A., un nombre important de revues illustrant les thèses et les actions violentes du G.I.A., une quantité substantielle de correspondances se rapportant aux questions algériennes et islamiques, des témoignages, une liste de boîtes postales dans de très nombreux pays correspondant aux abonnés du journal) ; troisièmement, au centre de « la cellule de Londres gravitant autour de [lui et qui] servait également de point de ralliement aux jeunes recrues de passage » dans cette ville, comme le prouvait le parcours de quatre d’entre eux ; et, enfin, quatrièmement, un responsable ayant « un rôle stratégique dans l’organisation extérieure du G.I.A. », comme le démontraient ses relations avec des membres et correspondants d’autres groupes terroristes islamistes du monde entier.
26. Tout en adoptant les motifs retenus par le tribunal correctionnel, la cour d’appel estima en outre qu’il ressortait de la procédure des éléments de preuve suffisants établissant que le requérant était régulièrement joint pour être tenu au courant des évènements, qu’il assurait le financement des opérations du G.I.A. en Europe, qu’il servait de canal de diffusion de l’émir du G.I.A. et d’agent de propagande de cette organisation, notamment à travers la revue Al Ansar, qu’il hébergeait les fugitifs de passage à Londres et pouvait être amené à coordonner l’action extérieure du G.I.A. Elle en déduisit ce qui suit :
« La Cour considère ainsi, comme les premiers juges, établi le fait que le G.I.A. a implanté en Europe « une structure extérieure » destinée à lui permettre de poursuivre son but de renverser le régime algérien, y compris en frappant les institutions et populations de pays soutenant ou réputés soutenir celui-ci, par la mise en place de réseaux en Belgique et en France notamment, servant à la fois de soutien aux maquis algériens par la fourniture d’armes, munitions et matériels divers, ainsi que par l’envoi de djihadistes et de structures de refuges (hébergement et faux papiers d’identité) pour les combattants fuyant le maquis ou venus réaliser les attentats, animés et coordonnés par une cellule implantée à Londres, en charge de trouver les financements et l’emploi des fonds recueillis de façon licite ou illicite.
(...) que [le requérant] « a pris sciemment une part déterminante par les actes matériels rappelés par le tribunal et ci-dessus par la cour, dans la réalisation du but poursuivi par le G.I.A. participant depuis Londres à la mise en œuvre de la structure extérieure du groupe et a joué un rôle essentiel au sein de l’organisation dont l’objectif était la préparation, l’assistance à la réalisation et l’exploitation des attentats réalisés ».
27. Par un arrêt du 14 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.
C. La procédure criminelle
28. Par un arrêt du 13 février 2001, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris prononça la mise en accusation de B. B., S. A. B. et du requérant pour l’attentat du 17 octobre 1995 et les renvoya devant la cour d’assises de Paris spécialement composée. Le requérant fut dans ce cadre accusé de complicité de tentatives d’assassinats, de destruction et dégradation de biens appartenant à autrui par l’effet d’une substance explosive ayant entraîné sur autrui une mutilation ou des infirmités permanentes, des incapacités temporaires totales de plus de huit jours et de huit jours au plus, en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise terroriste, ainsi que du délit connexe d’infraction à la législation sur les explosifs en relation avec une entreprise terroriste.
29. Les 3 août et 27 novembre 2001, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma les ordonnances du juge d’instruction de Paris respectivement en date des 27 avril (concernant l’attentat du 25 juillet 1995) et 13 juillet 2001 (concernant l’attentat du 6 octobre 1995) ordonnant notamment la mise en accusation du requérant et de B. B. et leur renvoi devant la cour d’assises spécialement composée, le requérant afin d’y être jugé pour complicité de crimes d’assassinat, de tentatives d’assassinats, de destructions ou dégradations de biens appartenant à autrui par l’effet de substances explosives ayant entraîné la mort, des mutilations ou des infirmités permanentes, des incapacités temporaires totales de plus de huit jours et de huit jours au plus, commis en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que du délit connexe d’infraction à la législation sur les explosifs en relation avec une entreprise terroriste.
30. Ces trois arrêts de la chambre de l’instruction précisèrent que la complicité du requérant avait consisté : à transmettre les instructions du G.I.A. ordonnant la commission d’attentats par explosif et donnant une méthode de fabrication à B. B. ; à répercuter à la direction du G.I.A. les informations opérationnelles données par les auteurs des attentats concernés ; à procurer aux auteurs des attentats les moyens financiers nécessaires non seulement à la confection de l’engin explosif, mais aussi à l’ensemble de la logistique ayant permis la préparation et la réalisation des attentats. Les arrêts des 13 février et 3 août 2001 ajoutèrent le fait d’avoir permis, en cas de besoin, d’assurer la fuite des auteurs basés sur le territoire français.
31. Dans ces arrêts, les juges retinrent notamment les faits suivants à l’encontre du requérant : les trois téléphones portables utilisés par ce dernier avaient été appelés par B. B. les 16 et 22 octobre, ainsi que le 1er novembre 1995 ; la découverte au domicile de B. B. d’un ticket d’une opération de change intervenue le 16 octobre 1995 à 15 heures 50 (heure de Paris) pour un montant de 36 800 FRF, ainsi qu’un avis de transfert de fonds de 38 000 FRF depuis un bureau de la Western Union en Angleterre, les vérifications ayant permis d’établir que le requérant était entré dans un magasin Londis de Wembley comportant un bureau de la Western Union le 16 octobre 1995 à 14 heures 34 pour en sortir à 15 heures 26 (heure de Londres) ; les empreintes du requérant découvertes sur le bordereau de transfert retrouvé dans le bureau de la Western Union du magasin Londis ; l’indication « LYESO - 36.600 FF » portée au crédit dans la comptabilité tenue par B. B., les mentions « West Union » et «West-Union Banque» également portées par B. B. sur la page d’un document contenant notamment le repérage de l’attentat du 17 octobre ; la détention par le requérant des coordonnées de l’agence de la Western Union située rue du Cloître à Notre-Dame à Paris ; le ticket de change en date du 21 juillet 1995 trouvé au domicile du requérant portant sur un montant de 5 000 GBP changé à Londres au taux de 7,5 %, au dos duquel était inscrit le numéro d’une cabine publique de Corbeil Essonne utilisé par A. T. et l’inscription au crédit dans la comptabilité tenue par B. B. de la somme de « 5 000 livres sterling de la part de [W.] convertis au taux de 7,5 » ; un envoi de 6 945 GBP le 20 juillet 1995 ; l’enregistrement entre les 20 et 25 juillet 1995 d’une dépense de 300 FRF pour l’achat d’un « billet GB » tendant à établir que les fonds, après avoir été changés en Angleterre, avaient été acheminés à Paris dans les jours précédant l’attentat à la station Saint-Michel du RER ; une correspondance de British Telecom adressée à « Walid » au 122 Hamlet Garden, domicile du requérant. Ils opposèrent également au requérant le contenu d’un disque dur, découvert dans un appartement londonien dont le requérant avait les clés, contenant deux rapports financiers relatifs, d’une part, aux activités du G.I.A. implanté en Belgique et, d’autre part, à la comptabilité chronologique établie entre septembre 1994 et le 1er novembre 1995, date de l’arrestation de B.B.
32. Dans son arrêt du 13 février 2001, relatif à l’attentat du 17 octobre 1995, la chambre de l’instruction releva en particulier que les trois lignes téléphoniques du requérant avaient été appelées à de nombreuses reprises depuis des cabines téléphoniques utilisées par B.B., dans des temps proches des différents attentats, en particulier la veille de celui commis le 17 octobre 1995. Elle rapprocha ces appels des déclarations de B.B. et d’un autre complice, qui projetaient également un attentat sur le marché de la ville de Lille, selon lesquelles ils rendaient compte au requérant des préparatifs des opérations, en particulier pour les faits commis le 17 octobre 1995. La chambre de l’instruction opposa également au requérant un virement d’un montant de 36 800 FRF qu’il avait effectué depuis Londres la veille de cet attentat, ainsi qu’en attestaient ses empreintes sur le bordereau de transfert retrouvé dans le bureau de la Western Union à Londres, réceptionné le même jour par B.B. à Paris. Le lien entre ce virement et l’attentat du 17 octobre 1995 était également établi par les déclarations de B.B., ainsi que par un appel sur le portable du requérant le jour-même, après réception de l’argent viré.
33. Dans son arrêt du 3 août 2001, concernant plus spécialement l’attentat du 25 juillet 1995, la chambre de l’instruction souligna que le téléphone portable anglais du requérant avait été appelé deux jours avant cet attentat depuis une cabine téléphonique située à Paris, à proximité du domicile de B.B., et d’où d’autres appels avaient été passés, en particulier vers un portable détenu par un membre du réseau du G.I.A. en France une minute avant d’appeler le requérant, ; que la veille de l’attentat, puis le jour même, le requérant avait été appelé depuis la France, notamment d’une cabine voisine de la précédente sur ces différentes lignes téléphoniques, en raison de son rôle d’intermédiaire entre les auteurs des attentats et le maître d’œuvre en Algérie. Surtout, elle nota que le requérant avait procédé, à deux reprises, à savoir les 2 et 20 juillet 1995, respectivement pour un montant de 5 000 et 6 945 GBP, à des envois de fonds directement liés à la commission de l’attentat du 25 juillet 1995.
34. Enfin, dans son arrêt du 27 novembre 2001, la chambre de l’instruction nota également qu’il résultait de ces différents éléments que le requérant avait envoyé des fonds aux auteurs des attentats, non seulement en relation avec la campagne d’attentats dans son ensemble mais aussi pour servir directement à la commission de l’attentat du 6 octobre 1995. Concernant ce dernier, elle releva en outre que les directives du G.I.A. sur les campagnes d’attentats, qui étaient accompagnées de conseils pour la fabrication des explosifs, avaient transité par le requérant, ce dernier ayant par ailleurs assuré le financement de l’ensemble du dispositif opérationnel mis en place en France pour assurer le succès des attentats, avec obligation de lui rendre des comptes de l’utilisation des sommes versées. Elle nota que certains appels téléphoniques établissaient que le requérant avait été tenu au courant du déroulement des attentats, en particulier celui du 6 octobre 1995 qui avait notamment été suivi par un appel téléphonique du 8 octobre 1995 pour expliquer au requérant que tout s’était bien passé le 6 octobre.
35. Le 26 octobre 2007, la cour d’assises de Paris, spécialement composée de sept magistrats professionnels, déclara le requérant coupable des faits reprochés dans le cadre des trois attentats. Elle le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans. Le 29 octobre 2007, le requérant interjeta appel.
36. En appel, les débats devant la cour d’assises de Paris, cette fois spécialement composée de neuf magistrats professionnels, se déroulèrent du 16 septembre au 13 octobre 2009. Cent quatre-vingt-seize personnes physiques, ainsi que la RATP, la SNCF, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, l’agent judiciaire du Trésor et l’association SOS Attentats se constituèrent partie civile.
37. À l’audience du 16 septembre 2009, les conseils du requérant déposèrent des conclusions aux fins de constatation de l’extinction de l’action publique et de nullité des poursuites en application du principe « ne bis in idem ». Invoquant l’article 4 du Protocole no 7 et l’arrêt Sergueï Zolotoukhine c. Russie prononcé par la Grande Chambre de la Cour le 10 février 2009, ils firent valoir que les faits matériels dont était saisie la cour d’assises étaient identiques à ceux pour lesquels le requérant avait déjà été condamné par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 18 décembre 2006 devenu définitif. Selon eux, les faits matériels allégués dans la procédure criminelle, à savoir des transferts de fonds à destination des auteurs des attentats, des transmissions d’instructions aux mêmes auteurs, ainsi que le suivi de la préparation et de la commission des attentats, l’avaient également été dans le cadre de la procédure correctionnelle.
38. Par un arrêt incident du 17 septembre 2009, la cour d’assises spécialement composée rejeta l’exception tirée de la violation du principe ne bis in idem en se prononçant comme suit :
« Attendu que si la défense de Rachid RAMDA fait à bon droit observer que l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes », il importe cependant de considérer en l’espèce :
. que les faits sur lesquels se sont fondés les juridictions correctionnelles comporteraient-ils l’évocation d’actes criminels visés aux présentes poursuites, ne se limitent aucunement à ces derniers pour asseoir la culpabilité de Rachid RAMDA ; que pour caractériser en effet le délit d’association de malfaiteurs, infraction autonome prévue et réprimée par l’article 450-1 du code pénal, celles-ci ont analysé l’ensemble des éléments de nature à caractériser l’implication de l’accusé en son sein et dont le but consistait à organiser, développer et pérenniser un mouvement déterminé à imposer sa cause, notamment par le recours à la clandestinité et à la mise en œuvre de moyens matériels et intellectuels (recrutement et contacts réguliers avec des activistes, diffusion d’informations sur les activités et les thèses du G.I.A., recherche de fonds, d’armes, de matériels divers...), sans se donner nécessairement et exclusivement pour objectif la commission des attentats visés aux poursuites ;
. que les faits dont se trouve saisie la Cour diffèrent substantiellement des précédents en ce qu’ils visent un comportement criminel dirigé vers la réalisation d’objectifs ponctuels, précisément déterminés et non indissociablement liés entre eux, et animés par une motivation spécifique consistant en particulier à fournir, en connaissance de cause, à autrui, les moyens de porter délibérément atteinte à la vie humaine ou à l’intégrité physique ou psychique de l’individu par le recours à des charges explosives ;
. Attendu dans ces conditions que la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées par la cour d’appel de Paris ne sauraient conduire la cour d’assises à considérer que l’action publique dirigée contre Rachid RAMDA se trouve éteinte et à déclarer nulles les poursuites criminelles dont il fait l’objet ;
. Qu’il appartiendra dès lors à cette dernière, à l’issue des débats et à la lumière de ceux-ci de dire, par ses réponses aux questions qui lui seront posées, si Rachid RAMDA est coupable ou non des actes de complicité qui lui sont imputés (...) ».
39. Par un arrêt incident du 24 septembre 2009, la cour d’assises d’appel spécialement composée sursit à statuer sur une demande de supplément d’information, qu’elle rejeta finalement par un autre arrêt incident, le 8 octobre 2009.
40. Soixante-trois questions concernant le seul requérant furent posées à la cour d’assises d’appel spécialement composée : vingt-six concernaient les faits relatifs à l’attentat du 25 juillet 1995, dix-huit les faits relatifs à celui du 6 octobre 1995 et dix-neuf relatifs à celui du 17 octobre 1995. Les questions indiquaient précisément les différents faits reprochés, ainsi que les dates et les lieux de leur commission, outre la liste des noms des dizaines de victimes d’un homicide, d’une tentative d’homicide, d’une mutilation ou d’une infirmité permanente, d’une blessure entraînant une incapacité de travail de plus ou moins huit jours, ou encore d’une dégradation de leurs biens. Il fut répondu « oui à la majorité » à soixante-et-une d’entre elles (certaines questions, suivies de l’énumération de noms de victimes pour chacun desquels une réponse individuelle était nécessaire, firent également l’objet de mentions partielles « sans objet ») et « sans objet » à deux questions. Outre les précisions sur les lieux et les dates à chaque fois concernés, ainsi que l’indication des victimes en fonction de leurs préjudices (décès, mutilation ou infirmité permanente, incapacité totale de travail de plus de huit jours ou de huit jours au plus, destructions et dégradations de biens), les questions visaient en particulier le fait pour le requérant d’avoir ou non agi avec préméditation (questions nos 2, 8, 28 et 46), ainsi que la provocation à la commission de certains faits par le requérant (questions nos 5, 11, 20, 25, 31, 36, 43, 49, 57 et 62), son aide apportée aux auteurs des attentats (questions nos 10, 19, 24, 30, 35, 42, 48, 56 et 61) ou encore l’existence d’instructions données par lui pour la réalisation de certains crimes (questions nos 6, 12, 21, 26, 32, 37, 44, 50, 58 et 63). Les parties ne formulèrent pas d’observations sur les questions.
41. Il fut notamment répondu « oui » aux questions relatives au fait que le requérant avait sciemment aidé à fabriquer ou détenir des engins explosifs, ainsi qu’à donner des instructions en ce sens concernant les attentats des 25 juillet, 6 et 17 octobre 1995, ainsi que d’avoir sciemment provoqué cette fabrication ou cette détention pour les attentats des 25 juillet et 17 octobre 1995.
42. Par un arrêt du 13 octobre 2009, la cour d’assises d’appel spécialement composée déclara le requérant coupable et le condamna à la peine de la réclusion criminelle à perpétuité, fixant à vingt-deux ans la période de sûreté et prononçant son interdiction définitive du territoire français. Elle renvoya l’audience civile à une date ultérieure. Le requérant forma un pourvoi en cassation.
43. Le 15 juin 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. S’agissant du moyen tiré de l’absence de motivation de la déclaration de culpabilité et notamment fondé sur l’article 6 de la Convention, elle s’exprima comme suit :
« Attendu que, d’une part, les questions critiquées, posées dans les termes de la loi, caractérisent en tous leurs éléments les actes de complicité dont M. Ramda a été déclaré coupable ;
Attendu que, d’autre part, sont reprises dans l’arrêt de condamnation les réponses qu’en leur intime conviction, les magistrats composant la cour d’assises d’appel spécialement composée, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité, ont donné aux questions sur la culpabilité posées conformément aux dispositifs des décisions de renvoi et soumises à la discussion des parties ;
Qu’en cet état, et dès lors qu’ont été assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, il a été satisfait aux exigences conventionnelles et légales invoquées ».
44. Concernant le moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem en raison de la condamnation définitive du requérant pour des faits identiques par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 décembre 2006, la Cour de cassation jugea que l’association de malfaiteurs constitue un délit distinct tant des crimes préparés ou commis par ses membres que des infractions caractérisées par certains faits qui la concrétisent.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
45. La Cour rappelle qu’en droit français les infractions sont notamment classées en trois catégories, en fonction de la gravité des faits reprochés : les contraventions, les délits et les crimes. En résumé, alors que les contraventions concernent les infractions les moins graves, les délits correspondent à des comportements plus répréhensibles, jugés par le tribunal correctionnel, qui sont punis de peines pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement, ainsi que d’amendes, de peines alternatives à l’emprisonnement ou encore de peines complémentaires. Les faits les plus graves constituent quant à eux des crimes, qui relèvent de la compétence de la cour d’assises et qui sont punissables de la réclusion criminelle pouvant aller jusqu’à la perpétuité, outre la possibilité d’infliger des peines d’amende et des peines complémentaires. Les dispositions pertinentes du code pénal, concernant les infractions pour lesquelles le requérant a été condamné, se lisaient comme suit à l’époque des faits :
A. La procédure correctionnelle
Article 450-1
« Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis de dix ans d’emprisonnement.
La participation à une association de malfaiteurs est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000 F d’amende. »
B. La procédure criminelle
Article 121-6
« Sera puni comme auteur le complice de l’infraction, au sens de l’article 121-7. »
Article 121-7
« Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.
Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »
Article 132-72
« La préméditation est le dessein formé avant l’action de commettre un crime ou un délit déterminé. »
Article 221-1
« Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. »
Article 221-3
« Le meurtre commis avec préméditation constitue un assassinat. Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
(...) »
Article 222-11
« Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende. »
Article 322-6
« La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000 F d’amende. »
Article 322-7
« L’infraction définie à l’article 322-6 est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 1 000 000 F d’amende lorsqu’elle a entraîné pour autrui une incapacité totale de travail pendant huit jours au plus. »
Article 322-8
« L’infraction définie à l’article 322-6 est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 1 000 000 F d’amende :
1o Lorsqu’elle est commise en bande organisée ;
2o Lorsqu’elle a entraîné pour autrui une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours.
Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article. »
Article 322-9
« L’infraction définie à l’article 322-6 est punie de trente ans de réclusion criminelle et de 1 000 000 F d’amende lorsqu’elle a entraîné pour autrui une mutilation ou un infirmité permanente.
Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables à l’infraction prévue par le présent article. »
46. Par ailleurs, le code pénal définissait ainsi les actes de terrorisme :
Article 421-1
« Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :
1o Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ;
2o Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code ;
3o La fabrication ou la détention de machines, engins meurtriers ou explosifs, définies à l’article 3 de la loi du 19 juin 1871 qui abroge le décret du 4 septembre 1870 sur la fabrication des armes de guerre ;
. la production, la vente, l’importation ou l’exportation de substances explosives, définies à l’article 6 de la loi no 70-575 du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives ;
. l’acquisition, la détention, le transport ou le port illégitime de substances explosives ou d’engins fabriqués à l’aide desdites substances, définis à l’article 38 du décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions ;
. la détention, le port et le transport d’armes et de munitions des première et quatrième catégories, définis aux articles 31 et 32 du décret-loi précité ;
. les infractions définies aux articles 1er et 4 de la loi no 72-467 du 9 juin 1972 interdisant la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage, l’acquisition et la cession d’armes biologiques ou à base de toxines. »
47. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, applicables au moment des faits, se lisaient comme suit :
Article 698-6
« Par dérogation aux dispositions du titre Ier du livre II, (...), la cour d’assises prévue par l’article 697 est composée d’un président et, lorsqu’elle statue en premier ressort, de six assesseurs, ou lorsqu’elle statue en appel, de huit assesseurs. Ces assesseurs sont désignés comme il est dit aux alinéas 2 et 3 de l’article 248 et aux articles 249 à 253.
La cour ainsi composée applique les dispositions du titre Ier du livre II sous les réserves suivantes :
1o Il n’est pas tenu compte des dispositions qui font mention du jury ou des jurés ;
2o Les dispositions des articles 254 à 267, 282, 288 à 292, 293, alinéas 2 et 3, 295 à 305 ne sont pas applicables ;
3o Pour l’application des articles 359, 360 et 362, les décisions sont prises à la majorité.
Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 380-1, en cas d’appel d’une décision d’une cour d’assises composée comme il est dit au présent article, la chambre criminelle de la Cour de cassation peut désigner la même cour d’assises, autrement composée, pour connaître de l’appel. »
48. Les dispositions de l’article 706-25, insérées dans le Titre XV du code de procédure pénal relatif à la poursuite, à l’instruction et au jugement des actes de terrorisme, disposaient quant à elles :
Article 706-25
« Pour le jugement des accusés majeurs, les règles relatives à la composition et au fonctionnement de la cour d’assises sont fixées par les dispositions de l’article 698-6. (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
49. Le requérant se plaint de l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises spécialement composée. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
50. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
51. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
52. Le requérant indique d’emblée que l’intime conviction, qui n’est pas l’arbitraire ou l’intuition, doit reposer sur des preuves librement appréciées. Elle trouve son support dans la liberté de la preuve, et non dans l’absence de preuve. Partant, si, au cours des débats, la défense invoque des éléments à décharge sérieux, elle doit, pour comprendre et accepter le verdict, connaître les principales raisons pour lesquelles la cour d’assises s’est déclarée convaincue de la culpabilité de l’accusé.
53. Il indique que sur les soixante-trois questions lues à l’audience, vingt-huit l’ont visé personnellement, tout en ajoutant que douze concernaient l’attentat du 25 juillet 1995, neuf celui du 6 octobre 1995 et neuf celui du 17 octobre 1995. Il considère que ces vingt-huit questions étaient rédigées de façon abstraites par le président à l’issue des débats et qu’elles ne contenaient aucune référence factuelle ni aucune motivation sur la complicité reprochée. Leur rédaction était telle qu’il ignorerait les motifs pour lesquels il a été répondu oui à chacune d’elles, alors qu’il a nié toute implication personnelle dans chacun des trois attentats.
54. Le requérant indique en particulier que certains éléments factuels ne lui permettent pas de comprendre les raisons de sa condamnation, dès lors qu’il les conteste. Selon lui, les débats ayant montré des lacunes dans l’enquête, des imprécisions et des incertitudes sur son implication personnelle, la lecture combinée des actes de mise en accusation et des vingt-huit questions ne lui permettait donc pas de comprendre les motifs de sa condamnation.
55. Il estime en outre que la violation de l’article 6 est d’autant plus caractérisée que le verdict n’a pas été prononcé par un jury populaire, mais par un jury entièrement composé de magistrats professionnels, tenus d’indiquer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels ils se fondent. Les magistrats professionnels composant une cour d’assises doivent motiver leur verdict, comme c’est le cas lorsqu’ils siègent en correctionnel, cette obligation faisant indiscutablement partie des exigences modernes du procès équitable.
b) Le Gouvernement
56. Le Gouvernement se fonde tout d’abord sur la jurisprudence de la Cour relative aux cours d’assises avec participation d’un jury populaire, tout en relevant le fait que la question de l’absence de motivation d’un verdict criminel rendu en France par un jury composé de magistrats professionnels est soulevée pour la première fois devant la Cour. Il indique que le Conseil constitutionnel, lorsqu’il s’est prononcé le 3 septembre 1986 sur la composition spéciale de la cour d’assises statuant en matière d’actes de terrorisme (déc. no 86-213), a estimé que l’exception dans la formation de la cour d’assises n’avait qu’un caractère limité, que la différence de traitement tendait à déjouer les risques de pressions ou de menaces sur les jurés citoyens, et qu’une cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels satisfait aux conditions d’indépendance et d’impartialité. En outre, l’accusé bénéficie des mêmes informations et garanties que devant une cour d’assises de droit commun, et ce y compris la possibilité d’interjeter appel depuis la loi no 2000-516 du 15 juin 2000.
57. De plus, le Gouvernement souligne que la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a introduit l’obligation de motiver les arrêts de cours d’assises à compter du 1er janvier 2012 est applicable aux arrêts rendus par les cours d’assises spécialement composées.
58. Dès lors, le Gouvernement estime qu’en l’espèce les garanties procédurales ont permis au requérant de comprendre le verdict rendu à son encontre et que la procédure répondait aux exigences conventionnelles. Il relève notamment que le requérant était seul accusé en appel et que les arrêts de mise en accusation ont été lus dans leur intégralité, ainsi que les questions posées en première instance, les réponses faites à ces questions et la décision de condamnation. Il ajoute que les débats se sont déroulés du 16 septembre au 13 octobre 2009 et que les charges ont été débattues contradictoirement, le requérant ayant été entendu et en mesure de se défendre en discutant chaque élément de preuve. Le Gouvernement relève que pas moins de soixante-trois questions ont été posées et que les réponses positives ont confirmé les trois arrêts de mise en accusation, ainsi que la condamnation criminelle prononcée en première instance. Il précise notamment que le requérant pouvait solliciter la reformulation des questions ou demander que soient retenues une ou plusieurs questions supplémentaires.
2. Appréciation de la Cour
59. La Cour rappelle que si la Convention ne requiert pas que les jurés populaires donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un tel jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010, Agnelet c. France, no 61198/08, § 56, 10 janvier 2013, et Lhermitte c. Belgique [GC], no 34238/09, § 66, CEDH 2016), dans le cadre des procédures qui se déroulent devant des magistrats professionnels, la compréhension par un accusé de sa condamnation est assurée au premier chef par la motivation des décisions de justice. Dans ces affaires, les juridictions internes doivent exposer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent (Hadjianastassiou c. Grèce, no 12945/87, 16 décembre 1992, § 33, série A no 252, et Taxquet, précité, § 91). La motivation a également pour finalité de démontrer aux parties qu’elles ont été entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision. En outre, elle oblige le juge à fonder son raisonnement sur des arguments objectifs et préserve les droits de la défense. Toutefois, même pour les magistrats professionnels, l’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A, et Taxquet, précité, § 91). Si les tribunaux ne sont pas tenus d’apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288), il doit ressortir de la décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, 15 février 2007).
60. Elle rappelle également qu’en tout état de cause, pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90, et Lhermitte, précité, § 67). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-I, et Taxquet, précité).
61. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict et à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury, outre la prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours (Papon c. France (déc.), no 54210/00, CEDH 2001-XII, Taxquet, précité, § 92, et Lhermitte, précité, § 68). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Taxquet, précité, § 93, Lhermitte, précité, § 69, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 126, CEDH 2017).
62. La Cour constate que si la présente affaire concerne une cour d’assises, il s’agit en l’espèce, à la différence des requêtes comparables qui lui ont été soumises dans le passé, d’une cour d’assises spécialement composée, c’est-à-dire non pas avec la participation d’un jury populaire, mais constituée uniquement de magistrats professionnels. Partant, indépendamment de la terminologie retenue, la question de l’absence de motivation ne se pose pas au regard de la présence d’un jury populaire.
63. Il reste que l’arrêt de la cour d’assises d’appel en date du 13 octobre 2009 n’est pas davantage motivé que ne l’étaient les arrêts des cours d’assises avec jurys populaires avant la loi no 2011-939 du 10 août 2011 (Agnelet, précité, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, respectivement nos 44446/10, 30010/10, 53406/10 et 60995/09, 10 janvier 2013, et Matis c. France (déc.), no 43699/13, 6 octobre 2015), loi également applicable aux cours d’assises spécialement composées.
64. Dès lors, tout en soulignant que, dans les procédures qui se déroulent devant des magistrats professionnels, les juridictions internes doivent exposer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent, la Cour rappelle que l’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce (paragraphe 59 ci-dessus). Elle estime donc pertinent, au regard des spécificités de cette procédure, largement similaire à celle d’une cour d’assises avec intervention d’un jury populaire, d’examiner le grief du requérant à la lumière des principes dégagés dans son arrêt Taxquet (précité ; cf. également Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, précités, et Lhermitte, précité).
65. La Cour rappelle d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie, à savoir neuf magistrats au lieu de sept en première instance dans le cas d’une cour d’assises spécialement composée (voir, notamment, Agnelet, précité, § 63).
66. S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées à la cour d’assises en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant n’était pas le seul accusé et que l’affaire était complexe.
67. Par ailleurs, les trois arrêts de mise en accusation avaient une portée limitée, puisqu’ils intervenaient avant les débats qui constituent le cœur du procès. La Cour constate néanmoins que ces arrêts concernaient chacun un attentat distinct et qu’ils étaient particulièrement motivés quant aux faits reprochés, présentant les évènements de manière très circonstanciée. De plus, au cours de la procédure de première instance, l’accusé avait déjà eu l’occasion d’évaluer en détail les accusations portées contre lui et de faire valoir ses moyens de défense. Outre le fait que les arrêts de mise en accusation restaient le fondement de sa mise en accusation devant la cour d’assises d’appel, les débats qui s’étaient déroulés en première instance lui permettaient de disposer d’une connaissance accrue des charges qui lui étaient opposées et des raisons pour lesquelles il risquait d’être condamné en appel.
68. Quant aux questions posées concernant le requérant, elles furent au nombre de soixante-trois, vingt-six concernant les faits relatifs à l’attentat du 25 juillet 1995, dix-huit les faits relatifs à celui du 6 octobre 1995 et dix-neuf relatifs à celui du 17 octobre 1995. Il fut répondu « oui à la majorité » à soixante-et-une d’entre elles (certaines questions, suivies de l’énumération de noms de victimes pour chacune desquelles une réponse individuelle était nécessaire, firent également l’objet de mentions partielles « sans objet ») et « sans objet » à deux questions (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour constate en particulier qu’outre les précisions sur les lieux et les dates à chaque fois concernés, ainsi que l’indication des victimes en fonction de leurs préjudices (décès, mutilation ou infirmité permanente, incapacité totale de travail de plus de huit jours ou de huit jours au plus, destructions et dégradations de biens), les questions visaient en particulier le fait pour le requérant d’avoir ou non agi avec préméditation (questions nos 2, 8, 28 et 46), ainsi que la provocation à la commission de certains faits par le requérant (questions nos 5, 11, 20, 25, 31, 36, 43, 49, 57 et 62), son aide apportée aux auteurs des attentats (questions nos 10, 19, 24, 30, 35, 42, 48, 56 et 61) ou encore l’existence d’instructions données par lui pour la réalisation de certains crimes (questions nos 6, 12, 21, 26, 32, 37, 44, 50, 58 et 63). La Cour estime que par leur nombre et leur précision, ces questions formaient une trame apte à servir de fondement à la décision (voir, mutatis mutandis, Papon c. France (no 2) (déc.), no 54210/00, CEDH 2001‑XII). Elle note d’ailleurs que si le requérant conteste la rédaction de ces questions (paragraphe 53 ci-dessus), il n’a pas proposé de les modifier ou d’en poser d’autres (voir, mutatis mutandis, Lhermitte, précité, § 79).
69. Partant, au vu de l’examen conjugué des trois arrêts de mise en accusation particulièrement motivés, des débats au cours des audiences, et ce tant en première instance et qu’au cours de la procédure en appel dont le requérant a bénéficié, ainsi que des questions, nombreuses et précises, posées à la cour d’assises, le requérant ne saurait prétendre ignorer les raisons de sa condamnation.
70. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre (cf., mutatis mutandis, Legillon c. France, no 53406/10, § 67, 10 janvier 2013, Voica, précité, § 53, et Bodein c. France, § 42, no 40014/10, 13 novembre 2014). Pour autant, la Cour se félicite de ce que la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 imposant dorénavant la rédaction d’une « feuille de motivation » (cf. Legillon, Voica et Bodein, précités, respectivement §§ 68, 54 et 43), s’applique également aux cours d’assises spécialement composées (paragraphe 63 ci-dessus).
71. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7
72. Le requérant estime avoir été poursuivi et condamné deux fois pour des faits identiques, compte tenu de sa condamnation définitive par la cour d’appel de Paris le 18 décembre 2006. Il invoque l’article 4 du Protocole no 7, ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »
73. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
74. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
75. Le requérant soutient qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que les faits à apprécier doivent s’entendre du comportement ou de la conduite du requérant par les juridictions correctionnelles puis par les cours d’assises. Il allègue que les faits criminels visés dans les arrêts de la chambre de l’instruction sont englobés dans les faits litigieux pour lesquels il a été définitivement condamné par la cour d’appel de Paris le 18 décembre 2006.
76. Dans sa requête et ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant fait valoir des éléments en lien avec des opérations de financement et des appels téléphoniques. En particulier, s’agissant tout d’abord de l’attentat du 25 juillet 1995, il souligne le fait que l’envoi de 5 000 GBP visé par l’arrêt du 3 août 2001 a déjà été pris en compte par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 décembre 2006. Quant à un envoi de 6 945 GBP imputé par l’arrêt de la chambre de l’instruction du 3 août 2001, il devrait, selon lui, être englobé dans les faits de l’arrêt du 18 décembre 2006, lequel aurait pris en compte la totalité des actes matériels commis par le requérant au titre de son rôle financier dans la préparation des attentats.
77. Quant aux appels téléphoniques du 24 juillet 1995 visés dans l’arrêt de mise en accusation du 3 août 2001 et non cités dans l’arrêt du 18 décembre 2006, le requérant note que, dans ce dernier, la cour d’appel de Paris l’a précisément condamné pour son rôle de coordinateur de l’action extérieure du G.I.A., se fondant sur le fait que les preuves de l’existence d’une centrale d’information à Londres dont il aurait été le maître d’œuvre découlait de la corrélation entre les appels téléphoniques et les attentats. Les appels du 24 juillet seraient donc indissociablement liés aux appels téléphoniques passés par le requérant au titre de son rôle de coordinateur des différents attentats.
78. Il en va de même pour les appels des 26 septembre et 22 octobre 1995 évoqués par le Gouvernement et qui, s’ils ne sont pas cités dans l’arrêt du 18 décembre 2006, sont à ses yeux indissociablement liés aux autres.
b) Le Gouvernement
79. Le Gouvernement considère que le requérant n’a pas été condamné pour les mêmes faits, dès lors qu’il s’est vu reprocher des infractions distinctes, dont les éléments constitutifs sont différents. Il estime que les faits pour lesquels le requérant a été condamné par la cour d’appel de Paris, le 18 décembre 2006, à dix ans d’emprisonnement ne sont pas identiques ou substantiellement les mêmes que ceux pour lesquels la cour d’assises d’appel spécialement composée l’a condamné, le 13 octobre 2009, à la réclusion criminelle à perpétuité. Il indique notamment que la cour d’appel de Paris a examiné l’implication du requérant dans les faits d’association de malfaiteurs, tandis que la cour d’assises spécialement composée a jugé son implication comme complice dans les attentats des 25 juillet, 6 octobre et 17 octobre 1995. Pour le Gouvernement, il s’agit donc dans les deux cas de faits différents : en matière correctionnelle, le requérant s’est vu reprocher l’affiliation à un groupement terroriste, alors que la cour d’assises spécialement composée a jugé des actes précis de complicité dans la commission d’attentats terroristes. Au surplus, il souligne que chaque peine prononcée est réputée commune aux infractions en concours dans la limite du maximum légal à chacune d’entre elles.
80. À titre subsidiaire, si la Cour devait considérer que les faits doivent s’entendre du comportement ou de la conduite du requérant reprochés par les juridictions correctionnelles puis par les cours d’assises, le Gouvernement soutient qu’ils ne sont pas non plus identiques ou substantiellement les mêmes. Il note ainsi que l’arrêt du 18 décembre 2006 ne visait pas certains faits retenus par la suite.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
81. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits qui sont en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 82, CEDH 2009, et A et B c. Norvège ([GC], nos 24130/11 et 29758/11, § 108 CEDH 2016).
82. La garantie consacrée à l’article 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. À ce stade, les éléments du dossier comprendront forcément la décision par laquelle la première « procédure pénale » s’est terminée et la liste des accusations portées contre le requérant dans la nouvelle procédure. Normalement, ces pièces renfermeront un exposé des faits concernant l’infraction pour laquelle le requérant a déjà été jugé et un autre se rapportant à la seconde infraction dont il est accusé. Ces exposés constituent un utile point de départ pour l’examen par la Cour de la question de savoir si les faits des deux procédures sont identiques ou sont en substance les mêmes. Peu importe quelles parties de ces nouvelles accusations sont finalement retenues ou écartées dans la procédure ultérieure, puisque l’article 4 du Protocole no 7 énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l’interdiction d’une seconde condamnation ou d’un second acquittement (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 83).
83. La Cour doit donc faire porter son examen sur les faits décrits dans ces exposés, qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 84).
84. Ce faisant, il lui appartient de déterminer si les nouvelles poursuites avaient pour origine des faits qui étaient en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de la condamnation définitive (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 82 ; voir également Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 224, 4 mars 2014, Kapetanios et autres c. Grèce, nos 3453/12, 42941/12 et 9028/13, § 68, 30 avril 2015). Dans son arrêt A et B c. Norvège, qui concernait la conduite de procédures mixtes, c’est-à-dire à la fois pénales et administratives, la Cour a notamment confirmé cette approche qui, comme elle l’a relevé, constitue l’apport le plus notable de l’arrêt Sergueï Zolotoukhine précité (A et B, précité, § 108).
b) Application en l’espèce des principes susmentionnés
85. La Cour note tout d’abord que la condamnation infligée au requérant, en matière correctionnelle, par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 18 décembre 2006, a acquis force de chose jugée le 14 mars 2007, date du rejet du pourvoi du requérant (paragraphe 27 ci-dessus). À partir de ce moment, le requérant devait donc être considéré comme ayant été « déjà condamné en raison d’une infraction par un jugement définitif » au sens de l’article 4 du Protocole no 7.
86. Les poursuites en matière criminelle, qui s’inscrivaient dans le cadre du choix procédural des autorités judiciaires et qui ont donné lieu aux arrêts de mise en accusation en février, août et novembre 2001, et qui ont conduit à la condamnation du requérant par des cours d’assises spécialement composées les 26 octobre 2007 et 13 octobre 2009, n’ont pas été arrêtées.
87. La Cour note que, contrairement à ce que semble affirmer le Gouvernement (paragraphe 79 ci-dessus), il ressort des principes énoncés dans l’affaire Sergueï Zolotoukhine précitée que la question à trancher n’est pas celle de savoir si les éléments constitutifs des infractions reprochées dans les procédures correctionnelle et criminelle étaient ou non identiques, mais si les faits reprochés au requérant dans le cadre des deux procédures se référaient à la même conduite. Lorsque la même conduite du même contrevenant et dans le même cadre temporel se trouve en jeu, la Cour se doit de vérifier si les faits de l’infraction pour laquelle le requérant a d’abord été condamné et ceux de l’infraction dont la poursuite a été maintenue étaient identiques ou étaient en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 94).
88. S’agissant de la procédure correctionnelle, la Cour relève que le tribunal a pris soin de présenter les faits de manière détaillée dans son jugement du 29 mars 2006. Après avoir replacé l’affaire dans son contexte et apprécié les éléments permettant de mettre le requérant en cause (paragraphes 19-20 ci-dessus), il a estimé que la participation de celui-ci à une association de malfaiteurs dans le cadre d’une entreprise terroriste était avérée, l’information judiciaire ayant démontré que plusieurs groupes terroristes étaient installés dans la région lyonnaise, à Paris et à Lille et que les liens entretenus par le requérant avec les différents membres de ces réseaux de soutien au G.I.A., qui avaient l’objectif commun de réaliser des attentats, suffisaient à établir sa participation consciente et volontaire à une entente destinée à accomplir des actes de terrorisme sur le territoire français. Dans son jugement, le tribunal a notamment précisé les faits permettant d’établir les relations du requérant avec huit membres de ces groupes et jugé qu’au travers du financement et de la propagande pour le compte du G.I.A., le requérant avait permis de renforcer la structure de réseaux qui s’étendaient sur plusieurs pays européens » (paragraphes 21-22 ci-dessus).
89. La Cour constate ensuite que, dans son arrêt du 18 décembre 2006, la cour d’appel de Paris a explicité son raisonnement et sa motivation. Dans un premier temps, elle a détaillé les appels téléphoniques apportant la preuve de l’existence d’une centrale d’information basée à Londres dont le requérant aurait été maître d’œuvre. Elle a ainsi évoqué les appels passés : le lendemain de l’assassinat de l’imam S. à Paris ; deux jours avant l’attentat commis à la station Saint-Michel du RER ; le jour même de cet attentat, le lendemain de la tentative d’attentat contre les installations du TGV Paris-Lyon à Cailloux-sur-Fontaines ; quelques jours après l’attentat commis le 3 septembre boulevard Richard Lenoir à Paris, la tentative d’attentat du 4 septembre place Charles Vallin à Paris et l’attentat commis le 7 septembre rue Jean-Claude Vivand à Villeurbanne, c’est-à-dire le 12 septembre 1995 ; le lendemain des tirs au Col de Maleval et de l’arrestation de trois personnes ; cinq jours avant l’attentat du 6 octobre et deux jours après ce dernier ; le 16 octobre 1995, soit juste avant l’attentat du 17 octobre 1995 ; enfin, le 1er novembre 1995, et ce juste après un échange téléphonique entre B. B. et S. A. B. concernant la préparation d’un attentat sur le marché de Wazemmes à Lille, B. B. ayant précisé que cette conversation avait pour objet de rendre compte au requérant des «derniers actes préparatoires» concernant l’attentat de Lille (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour note que la cour d’appel de Paris a ensuite énuméré les éléments factuels établissant que le requérant était le maître d’œuvre d’une structure de financement des actions menées en France par le G.I.A. À ce titre, elle a évoqué l’envoi de fonds le 16 octobre 1995 par le requérant sous une fausse identité et réceptionnés par B. B., le versement d’une somme de 5 000 GBP et de 50 000 FRF par le requérant, ainsi que les déclarations de plusieurs personnes concernant des propositions de service contre remise d’argent, la recherche d’argent, l’envoi et la remise de sommes (paragraphe 24 ci‑dessus). De plus, la cour d’appel a énoncé des faits permettant d’établir que le requérant était à la fois, premièrement, l’interlocuteur privilégié dans l’organisation et les actions menées par le G.I.A. en Europe (ce qui ressortait notamment d’une conversation téléphonique du 2 décembre 1995, des déclarations d’un témoin membre du G.I.A., ainsi que du contenu détaillé de nombreux documents saisis à Londres - communiqués, habilitations à mener le djihad, documents sur la gestion des fonds, articles et notes manuscrites sur l’action des groupes islamistes en Europe et la lutte antiterroriste, notes sur les armes de guerre et le maniement des explosifs, etc.), deuxièmement, l’agent principal de propagande du G.I.A. à l’extérieur de l’Algérie (compte tenu de son rôle dans la publication Al Ansar établi par des documents saisis à Londres chez le requérant - une note sur le moyen de dynamiser la revue, une lettre explicitant les modes de distribution de cette dernière, un équipement informatique que le requérant n’avait pas les moyens de s’offrir, des courriers adressés par des lecteurs et des sympathisants du G.I.A., un nombre important de revues illustrant les thèses et les actions violentes du G.I.A., une quantité substantielle de correspondances se rapportant aux questions algériennes et islamiques, des témoignages, une liste de boîtes postales dans de très nombreux pays correspondant aux abonnés du journal), troisièmement, l’acteur central de la cellule de Londres qui servait également de point de ralliement aux jeunes recrues de passage dans cette ville et, enfin, quatrièmement, un responsable jouant un rôle stratégique dans l’organisation extérieure du G.I.A., comme le démontraient ses relations avec des membres et correspondants d’autres groupes terroristes islamistes du monde entier (paragraphe 25 ci-dessus).
90. La Cour constate enfin que la cour d’appel a motivé son arrêt par la part déterminante prise sciemment par le requérant dans la structure extérieure implantée en Europe par le G.I.A. afin de renverser le régime algérien, par la mise en place de réseaux en Belgique et en France notamment, servant à la fois de soutien aux maquis algériens par la fourniture d’armes, munitions et matériels divers, ainsi que par l’envoi de djihadistes et la mise en place de structures de refuge pour les combattants fuyant le maquis algérien ou venus réaliser les attentats (paragraphe 26 ci‑dessus).
91. S’agissant de la procédure criminelle, la Cour relève que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a, par trois arrêts des 13 février, 3 août et 27 novembre 2001, prononcé la mise en accusation du requérant devant la cour d’assises de Paris pour complicité des crimes commis à l’occasion des attentats des 25 juillet, 6 et 17 octobre 1995 (paragraphes 28‑29 ci-dessus). Elle relève que ces arrêts, qui concernaient cette fois un comportement criminel précis, dirigé vers la réalisation d’objectifs ponctuels que représentaient chacun des attentats commis à Paris les 25 juillet, 6 et 17 octobre 1995, ont précisé les éléments factuels à l’origine de la poursuite du requérant et de son renvoi devant la cour d’assises. En particulier, le requérant s’est vu reprocher d’avoir, pour ces trois attentats, à la fois transmis les instructions du G.I.A. ordonnant leur réalisation à l’aide d’explosifs, tout en répercutant à la direction du G.I.A. les informations opérationnelles données par les auteurs de ces attentats, fourni une méthode de fabrication des explosifs à ses complices chargés d’agir à Paris, tout en leur procurant les moyens financiers nécessaires à la confection des explosifs et à l’ensemble de la logistique ayant permis la préparation et la réalisation de ces attentats précis (paragraphe 30 ci-dessus).
92. La Cour observe que ces arrêts de la chambre de l’instruction énumérèrent des faits précis, en particulier : l’appel à destination des trois téléphones portables utilisés par le requérant par l’un des principaux organisateurs sur place et auteur des attentats, B. B., les 16 et 22 octobre, ainsi que le 1er novembre 1995 ; la découverte au domicile de B. B. d’un ticket d’une opération de change intervenue le 16 octobre 1995 pour un montant de 36 800 FRF, ainsi qu’un avis de transfert de fonds de 38 000 FRF ; la découverte des empreintes du requérant sur le bordereau de transfert retrouvé dans le bureau de la Western Union du magasin Londis ; l’indication « LYESO - 36.600 FF » portée au crédit dans la comptabilité tenue par B. B., les mentions « West Union » et «West-Union Banque» également portées par B. B. sur la page d’un document contenant notamment le repérage de l’attentat du 17 octobre ; la détention par le requérant des coordonnées de l’agence de la Western Union située rue du Cloître à Notre-Dame à Paris ; un ticket de change en date du 21 juillet 1995 trouvé au domicile du requérant portant sur un montant de 5 000 GBP changé à Londres au taux de 7,5 %, au dos duquel était inscrit le numéro d’une cabine publique de Corbeil Essonne utilisé par l’un des auteurs des attentats et l’inscription de l’opération au crédit dans la comptabilité tenue par B. B. ; un envoi de 6 945 GBP le 20 juillet 1995 ; l’enregistrement entre les 20 et 25 juillet 1995 d’une dépense de 300 FRF pour l’achat d’un « billet GB » tendant à établir que les fonds, après avoir été changés en Angleterre, avaient été acheminés à Paris dans les jours précédant l’attentat à la station Saint-Michel du RER. Ils opposèrent également au requérant le contenu d’un disque dur, découvert dans un appartement londonien dont il avait les clés, contenant deux rapports financiers relatifs, d’une part, aux activités du G.I.A. implanté en Belgique et, d’autre part, à la comptabilité chronologique établie entre septembre 1994 et le 1er novembre 1995, date de l’arrestation de B.B. (paragraphe 31 ci-dessus).
93. La Cour note également que la chambre de l’instruction a souligné certains éléments factuels spécifiques aux différents attentats. Ainsi, dans son arrêt du 13 février 2001, relatif à l’attentat du 17 octobre 1995, elle a insisté sur le fait que les trois lignes téléphoniques du requérant avaient été appelées à de nombreuses reprises depuis des cabines téléphoniques utilisées par B.B., dans des temps proches des différentes attentats, en particulier la veille de celui commis le 17 octobre 1995, pour lui rendre compte des préparatifs en cours, tout en soulignant le fait que le virement d’un montant de 36 800 FRF effectué depuis Londres la veille de cet attentat était directement lié à l’attentat commis le 17 octobre 1995 (paragraphe 32 ci‑dessus). Dans son arrêt du 3 août 2001, concernant l’attentat du 25 juillet 1995, la chambre de l’instruction a souligné que le téléphone portable anglais du requérant avait été appelé deux jours avant depuis une cabine téléphonique située à proximité du domicile de B.B. à Paris et utilisée pour contacter un autre membre du G.I.A. en France, que la veille de l’attentat, puis le jour même, le requérant avait été appelé depuis la France, notamment d’une cabine voisine de la précédente sur ces différentes lignes téléphoniques, en raison de son rôle d’intermédiaire entre les auteurs des attentats et le maître d’œuvre en Algérie et, enfin, que le requérant avait procédé, les 2 et 20 juillet 1995, respectivement pour un montant de 5 000 et 6 945 GBP, à des envois de fonds directement liés à la commission de l’attentat du 25 juillet 1995 (paragraphe 33 ci-dessus). Enfin, dans son arrêt du 27 novembre 2001, concernant l’attentat du 6 octobre 1995, la chambre de l’instruction a retenu que les directives du G.I.A. sur les campagnes d’attentats, qui étaient accompagnées de conseils pour la fabrication des explosifs, avaient transité par le requérant, ce dernier ayant, d’une part, dû rendre des comptes de l’utilisation des sommes versées par lui et d’autre part, été tenu au courant du déroulement des attentats, en particulier celui du 6 octobre 1995 par un appel téléphonique du 8 octobre 1995 (paragraphe 34 ci-dessus). Par la suite, la cour d’assises a également retenu le fait qu’il avait sciemment aidé à fabriquer ou détenir des engins explosifs, donné des instructions en ce sens pour les attentats des 25 juillet, 6 et 17 octobre 1995, et sciemment provoqué cette fabrication ou cette détention pour les attentats des 25 juillet et 17 octobre 1995 (paragraphe 41 ci-dessus).
94. Ayant ainsi procédé à l’examen comparatif, d’une part, de l’arrêt du 18 décembre 2006, par lequel la cour d’appel de Paris a condamné le requérant et, d’autre part, des trois arrêts de la chambre de l’instruction des 13 février, 3 août et 27 novembre 2001 l’ayant renvoyé devant la cour d’assises spécialement composée, la Cour constate que ces décisions s’appuient sur des faits nombreux et détaillés qui sont distincts. Elle estime en particulier que si le virement de 5 000 GBP invoqué par le requérant (paragraphe 76 ci-dessus) est mentionné dans l’arrêt de la cour d’appel ainsi que dans les arrêts de la chambre de l’instruction, cette circonstance ne saurait constituer un élément de similarité déterminant. Quant à l’envoi de 6 945 GBP et aux appels téléphoniques dont le requérant entend tirer argument, la Cour observe, comme le requérant lui-même, qu’aucun d’eux ne figure cumulativement dans l’arrêt de condamnation prononcé par la cour d’appel et dans l’un des arrêts de mise en accusation prononcés par la chambre de l’instruction. Elle n’est pas convaincue sur ce point par les affirmations du requérant selon lesquelles le premier de ces éléments devrait être considéré comme englobé dans les faits de l’arrêt du 18 décembre 2006, tandis que les suivants seraient indissociablement liés à d’autres appels téléphoniques figurant dans cet arrêt (paragraphes 76-78 ci-dessus). En tout état de cause, indépendamment de ces éléments repris par le requérant dans ses observations, il apparaît que non seulement les trois arrêts de mise en accusation rendus en 2001 ignorent de nombreux éléments factuels évoqués dans le cadre de la procédure correctionnelle, mais surtout qu’ils visent des comportements et s’appuient sur des faits qui ne furent pas évoqués durant la première procédure.
95. La Cour en conclut que le requérant n’a pas été poursuivi ou condamné dans le cadre de la procédure criminelle pour des faits qui auraient été en substance les mêmes que ceux ayant fait l’objet de la condamnation correctionnelle définitive.
96. Enfin, et à toutes fins utiles, la Cour rappelle qu’il est légitime que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme, qu’elle ne saurait en aucun cas cautionner (voir, notamment, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 126, 19 février 2009, Ismoïlov et autres c. Russie, no 2947/06, § 126, 24 avril 2008, et Daoudi c. France, no 19576/08, § 65, 3 décembre 2009). De plus, le requérant a été condamné par la cour d’assises non seulement pour des faits différents de ceux pour lesquels il avait été jugé dans le cadre de la première procédure, mais également pour des crimes de complicité d’assassinat et de tentatives d’assassinat. Or, s’agissant de ces infractions, la Cour entend souligner qu’il s’agit de violations graves des droits fondamentaux, au regard de l’article 2 de la Convention, pour lesquels les États ont l’obligation de poursuivre et punir les auteurs (mutatis mutandis, Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, §§ 127-128, CEDH 2014), sous réserve de respecter les garanties procédurales des personnes concernées (cf., notamment, mutatis mutandis, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 252, CEDH 2016), comme ce fut le cas en l’espèce pour le requérant.
97. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 décembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente