TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MUTU ET PECHSTEIN c. SUISSE
(Requêtes nos 40575/10 et 67474/10)
ARRÊT
STRASBOURG
2 octobre 2018
DÉFINITIF
04/02/2019
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
Table des matières
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DES CAS D’ESPÈCE
A. Les faits relatifs à la requête no 40575/10
B. Les faits relatifs à la requête no 67474/10
C. Le fonctionnement de l’arbitrage sportif international
1. Les règles relatives à la nomination des membres du CIAS, en vigueur à l’époque des faits
2. Les règles relatives à la nomination des arbitres du TAS, en vigueur à l’époque des faits
3. Les modifications ultérieures aux règles relatives à la nomination des arbitres du TAS
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
1. La loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987
2. La loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, dans sa version en vigueur à l’époque des faits
3. La jurisprudence pertinente du Tribunal fédéral
III. LES TEXTES INTERNATIONAUX
Le règlement d’arbitrage de la Cour internationale d’arbitrage
IV. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS DE L’UNION EUROPÉENNE
V. LA RÉGLEMENTATION PERTINENTE DE LA FIFA
1. Le règlement de 2001
2. Le code disciplinaire de la FIFA
VI. LA RÉGLEMENTATION PERTINENTE DE L’ISU
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON D’UN MANQUE D’INDÉPENDANCE ET D’IMPARTIALITÉ DU TAS
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention
a) Les thèses des parties
b) L’appréciation de la Cour
2. Sur la compétence ratione personae de la Cour
a) Les thèses des parties
b) L’appréciation de la Cour
3. Sur le non-épuisement des voies de recours internes par la requérante
4. Conclusion sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Sur la validité de l’acceptation de l’arbitrage par les requérants
a) Les thèses des parties et les observations du tiers intervenant
i. Les thèses du Gouvernement communes aux deux requêtes
ii. Requête no 40575/10
α) Les thèses des parties
β) Les observations du tiers intervenant
iii. Requête no 67474/10
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
ii. Application de ces principes aux cas d’espèce
α) Les considérations communes aux deux requêtes
β) Requête no 67474/10
γ) Requête no 40575/10
2. Sur l’indépendance et l’impartialité du TAS
a) Les thèses des parties et les observations du tiers intervenant
i. Requête no 67474/10
α) La thèse de la requérante
β) La thèse du Gouvernement
ii. Requête no 40575/10
α) Les thèses des parties
β) Les observations du tiers intervenant
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
ii. Application de ces principes aux cas d’espèce
α) Requête no 67474/10
β) Requête no 40575/10
‑ En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre D.‑R. M.
‑ En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre L. F.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DE L’ABSENCE D’AUDIENCE PUBLIQUE
A. Sur l’absence d’audience publique devant le TAS
1. Sur la recevabilité
2. Sur le fond
a) Les thèses des parties
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
ii. Application de ces principes au cas d’espèce
B. Sur l’absence d’audience publique devant le Tribunal fédéral
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
A. Dommage
B. Frais et dépens
En l’affaire Mutu et Pechstein c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 décembre 2016 ainsi que les 20 février et 28 août 2018,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (no 40575/10 et no 67474/10) dirigées contre la Confédération suisse et dont, respectivement, un ressortissant roumain, M. Adrian Mutu (« le requérant »), et une ressortissante allemande, Mme Claudia Pechstein (« la requérante »), ont saisi la Cour, respectivement, le 13 juillet 2010 et le 11 novembre 2010, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me M. Hissel, avocat à Eupen (Belgique), et la requérante par Me S. Bergmann, avocat à Berlin. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Schürmann, et par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’Office fédéral de la justice.
3. Le requérant alléguait principalement une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
4. La requérante se plaignait de violations de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.
5. Les requêtes ont été communiquées au Gouvernement le 12 février 2013.
6. Le 23 mai 2013, le club de football Chelsea Football Club Limited (« le club Chelsea » ou « le tiers intervenant ») s’est vu accorder l’autorisation d’intervenir dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement de la Cour) dans le cadre de la requête no 40575/10.
7. Le gouvernement roumain et le gouvernement allemand, qui ont reçu communication de la requête no 40575/10 et de la requête no 67474/10 respectivement (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 1 a) du règlement de la Cour), n’ont pas souhaité exercer leur droit d’intervenir dans la procédure.
8. Le 6 décembre 2016, la Cour a décidé de joindre les deux requêtes en application de l’article 42 § 1 de son règlement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DES CAS D’ESPÈCE
A. Les faits relatifs à la requête no 40575/10
9. Le 11 août 2003, le requérant, joueur de football professionnel, conclut avec le club Chelsea un contrat de travail – régi par le droit anglais –, dont l’échéance était fixée au 30 juin 2008. Le lendemain, il fut transféré du club italien AC Parma au club Chelsea en échange d’une somme de 22 500 000 livres sterling (GBP) – soit environ 26 343 000 euros (EUR). Le contrat prévoyait que le requérant recevrait un salaire annuel brut de 2 350 000 GBP (soit environ 2 751 000 EUR), ainsi qu’une « prime à la signature » de 330 000 GBP (soit environ 386 000 EUR) payable en cinq fois.
10. Le 1er octobre 2004, l’Association anglaise de football procéda à un contrôle antidopage ciblé, qui révéla la présence de cocaïne dans l’échantillon prélevé sur le requérant. Le 28 octobre 2004, le club Chelsea mit fin au contrat du requérant avec effet immédiat. Une mesure de suspension fut prononcée à l’encontre de celui-ci.
11. Une fois la période de suspension échue, le requérant retourna en Italie, où il rejoua au niveau professionnel dès le printemps 2005. Par la suite, il fut successivement au service des clubs Juventus FC, ACF Fiorentina et AC Cesena. Il fut à nouveau suspendu en 2010 pour une période de six mois, pour dopage. Il évolua ensuite dans le championnat français de première division, au sein du club corse d’Ajaccio.
12. Le 26 janvier 2005, le requérant et le club Chelsea décidèrent de soumettre à la commission de recours de la Première Ligue anglaise (« la FAPLAC »), un organe affilié à la Fédération Internationale de Football Association (« la FIFA »), la question de savoir s’il y avait eu rupture unilatérale du contrat par le requérant « sans juste motif » au sens de l’article 21 du règlement de la FIFA concernant le statut et le transfert des joueurs (« le règlement de 2001 »). Le requérant n’était pas obligé d’accepter un arbitrage eu égard à la possibilité offerte par l’article 42 du règlement de 2001 à tout joueur de football de porter un litige l’opposant à son club devant un tribunal étatique.
13. Par une décision du 20 avril 2005, la FAPLAC répondit par l’affirmative à cette question.
14. Saisi d’un appel du requérant, le Tribunal arbitral du sport (« le TAS »), compétent pour connaître des recours contre les décisions de la FAPLAC et présidé par un avocat allemand, Me D.‑R. M., confirma cette décision par une sentence du 15 décembre 2005. La formation arbitrale interpréta les termes « unilateral breach » de l’article 21 du règlement de 2001, et parvint à la conclusion qu’ils visaient la rupture d’un contrat de travail et non pas sa résiliation. Le requérant ne contesta pas cette sentence.
Le 11 mai 2006, le club Chelsea saisit la Chambre de règlement des litiges (« la CRL ») de la FIFA d’une demande de dommages‑intérêts fondée sur la rupture unilatérale du contrat par le requérant. La CRL se déclara d’abord incompétente. Saisi par le club Chelsea, le TAS lui renvoya la cause le 21 mai 2007 afin qu’elle se prononçât sur le fond. Par une décision du 7 mai 2008, la CRL condamna le requérant à verser au club Chelsea la somme de 17 173 990 EUR. La CRL prit pour base la part non amortie des frais payés par le club Chelsea pour le transfert du requérant, en application du droit anglais, par le jeu de l’article 22 du règlement de 2001.
15. Le 2 septembre 2008, le requérant interjeta appel devant le TAS, concluant à sa libération totale du paiement de dommages-intérêts. Il choisit Me J.-J. B., un avocat français, comme arbitre. Le 22 septembre 2008, s’appuyant sur l’article R34 du code de l’arbitrage en matière de sport (« le code de l’arbitrage »), il requit la récusation de l’arbitre choisi par le club Chelsea, Me D.‑R. M, qui avait présidé la formation du TAS ayant émis la sentence du 15 décembre 2005. Par une décision du 13 janvier 2009, le Conseil international de l’arbitrage en matière de sport (« le CIAS ») rejeta cette requête. Le 14 janvier 2009, le TAS informa les parties que la formation arbitrale serait constituée de Me J.-J. B., de Me D.‑R. M. et du professeur L. F., avocat à Milan, qui en assurerait la présidence. Par une sentence du 31 juillet 2009, le TAS rejeta l’appel du requérant. Il jugea que la seule question encore litigieuse, à savoir la question du montant des dommages‑intérêts, avait été tranchée par la CRL en conformité avec l’article 22 du règlement de 2001 et le droit anglais.
16. Le 14 septembre 2009, le requérant déposa un recours devant le Tribunal fédéral suisse (« le Tribunal fédéral »), concluant à l’annulation de cette sentence au motif que le TAS n’avait pas présenté des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité. Selon lui, les arbitres L. F. et D.‑R. M. n’auraient pas dû siéger en son sein. En ce qui concernait le premier, le requérant s’appuyait sur un courriel anonyme selon lequel le cabinet d’avocats dans lequel il était associé représentait les intérêts du propriétaire du club Chelsea. En ce qui concernait le second, le requérant indiquait qu’il avait déjà siégé au sein de la formation ayant rendu la première sentence arbitrale, en date du 15 décembre 2005. Le requérant soutenait également que la sentence était contraire à l’ordre public matériel, à l’interdiction du travail forcé et à son droit au respect de sa vie privée.
17. Par un arrêt du 10 juin 2010 (4A_458/2009), le Tribunal fédéral débouta le requérant, principalement au motif que la formation arbitrale pouvait selon lui être considérée comme « indépendante et impartiale ». Il rejeta ceux des autres moyens du requérant qu’il avait déclarés recevables. Le Tribunal fédéral se prononça notamment en ces termes :
« 3.1 Un tribunal arbitral doit, à l’instar d’un tribunal étatique, présenter des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité (ATF 125 I 389 consid. 4a ; 119 II 271 consid. 3b et les arrêts cités). Le non-respect de cette règle conduit à une composition irrégulière relevant de la disposition précitée (ATF 118 II 359 consid. 3b). Pour dire si un tribunal arbitral présente de telles garanties, il faut se référer aux principes constitutionnels développés au sujet des tribunaux étatiques (ATF 125 I 389 consid. 4a ; 118 II 359 consid. 3c p. 361). Il convient, toutefois, de tenir compte des spécificités de l’arbitrage, et singulièrement de l’arbitrage international, lors de l’examen des circonstances du cas concret (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3 p. 454). A cet égard, l’arbitrage en matière de sport institué par le TAS présente des particularités qui ont déjà été mises en évidence par ailleurs (ATF 129 III 445 consid. 4.2.2.2), telle la liste fermée d’arbitres, et dont on ne saurait faire abstraction, même si elles ne justifient pas en soi de se montrer moins exigeant en matière d’arbitrage sportif qu’en matière d’arbitrage commercial.
(...)
3.2.1 Le recourant soutient que, le 1er septembre 2009, son conseil anglais a reçu un courrier électronique anonyme l’informant, en substance, que le cabinet d’avocats milanais dans lequel le Professeur [L. F.] travaille représentait les intérêts de [R. A.], important homme d’affaires russe qui contrôle l’intimé, circonstance que le président de la Formation avait omis de révéler dans sa déclaration d’indépendance.
Le 13 octobre 2009, [L. F.] a produit une déclaration écrite détaillée, annexée à la réponse du TAS, dans laquelle il conteste vigoureusement les allégations du recourant tirées de ce courrier électronique anonyme. Ladite déclaration a été communiquée au recourant, lequel n’a pas jugé utile d’en réfuter le contenu puisqu’il s’est abstenu de déposer un mémoire de réplique.
3.2.2 Comme le recourant soutient avoir découvert le motif de révision à réception du courrier électronique du 1er septembre 2009, soit avant l’expiration du délai de recours, c’est à bon droit qu’il l’a invoqué dans le cadre du présent recours, au titre de la composition irrégulière du tribunal arbitral (art. 190 al. 2 let. a LDIP), et non pas par la voie d’une demande de révision (arrêt 4A_234/2008 du 14 août 2008 consid. 2.1).
Cela étant, le recourant concède lui-même, dans son mémoire (n. 58 et 62), qu’il n’a pas les moyens de vérifier l’exactitude des informations qui lui ont été communiquées de manière anonyme et que les faits mentionnés dans le courrier électronique en question ne constitueraient un motif de récusation que s’ils étaient avérés. Or, force est d’admettre, sur la base de la déclaration écrite circonstanciée du Professeur [F.], laissée intacte par le recourant, que cette dernière condition n’est pas réalisée. Le président de la Formation y réfute, en effet, point par point, toutes les allégations visant à contester son indépendance par rapport à l’intimé. Comme il n’est pas contredit, sa présence au sein de la Formation ayant rendu la sentence attaquée n’apparaît nullement irrégulière, de sorte que le recourant n’a pas lieu de s’en plaindre a posteriori.
3.3.1 Le recourant conteste également l’indépendance de l’arbitre [D.-R. M.], choisi par l’intimé, au motif que cet arbitre avait déjà présidé la Formation ayant rendu la première sentence, favorable au club anglais, dans le litige divisant les parties. A cet égard, le recourant se réfère aux lignes directrices sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international, édictées par l’International Bar Association (IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration approuvées le 22 mai 2004, « http://www.ibanet.org/publications/Publications_home.cfm » ; ci‑après : les lignes directrices ; à leur sujet, cf. l’arrêt 4A_506/2007 du 20 mars 2008 consid. 3.3.2.2 et les auteurs cités). Selon lui, la circonstance alléguée relèverait du chiffre 2.1.2 de ces lignes directrices, qui vise le cas où l’arbitre a été précédemment impliqué dans l’affaire (« the arbitrator has previous involvment in the case »), circonstance rangée dans la liste dite rouge relative (« waivable red list ») qui appréhende les situations dans lesquelles l’arbitre est tenu de se récuser, sauf consentement exprès des parties (ch. 2 de la Partie II des lignes directrices). De l’avis du recourant, ladite circonstance pourrait également relever du chiffre 3.1.5 de la liste orange (situations intermédiaires devant être révélées, mais ne justifiant pas nécessairement une récusation), lequel s’applique à l’arbitre qui participe, ou a participé durant les trois dernières années, en qualité d’arbitre, à une autre procédure arbitrale relative à une affaire connexe impliquant l’une des parties ou une entité affiliée à l’une des parties (« the arbitrator currently serves, or has served within the past three years, as arbitrator in another arbitration on related issue involving one of the parties or an affiliate of one of the parties »). La désignation de [D.-R. M.] en qualité d’arbitre par l’intimé constituerait, aux dires du recourant, une marque d’appréciation de la partie qui a obtenu gain de cause dans la première affaire opposant les mêmes parties (recours, n. 75 i.f.).
(...)
3.3.3.1 Quoi qu’en dise le recourant, il n’est déjà pas sûr que les deux règles des lignes directrices invoquées par lui trouvent à s’appliquer en l’espèce.
La première d’entre elles suppose que l’arbitre a été précédemment impliqué dans l’affaire (ch. 2.1.2) ; sous-entendu la même affaire, à en juger par le titre de la rubrique où figure cette règle (« 2.1. Relationship of the arbitrator to the dispute »). De ce point de vue, et à s’en tenir à un critère purement formel, la présente affaire se distingue de celle qui a donné lieu à la première sentence, datée du 15 décembre 2005. Preuve en est le fait que les deux causes ont été enregistrées sous des numéros d’ordre différents par le greffe du TAS (CAS 2005/A/876 pour l’une, CAS 2008/A/1644 pour l’autre). Une troisième cause a d’ailleurs été ouverte et liquidée dans l’intervalle par une sentence du 21 mai 2007 émanant de trois autres arbitres (CAS 2006/A/1192).
Quant à la seconde règle, prise elle aussi à la lettre, elle traite du cas où l’arbitre agit – ou a agi durant les trois dernières années – en qualité d’arbitre dans une autre procédure arbitrale concernant l’une des parties (ou une entité affiliée à l’une des parties) et non pas les deux, comme c’est ici le cas. Au demeurant, comme cette règle a été placée dans la liste orange, sa violation ne justifie pas la récusation automatique de l’arbitre visé par elle.
Cela étant, il ne faut pas surestimer le poids de ces arguments de nature formelle. Il sied, en effet, de ne point oublier que les lignes directrices, si elles constituent certes un instrument de travail précieux, n’ont pas pour autant valeur de loi. Dès lors, les circonstances du cas concret, tout comme la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière, resteront toujours décisives pour trancher la question du conflit d’intérêts (arrêt 4A_506/2007, précité, ibid.).
3.3.3.2 Le fait qu’un magistrat a déjà agi dans une cause peut éveiller un soupçon de partialité. Le cumul des fonctions n’est alors admissible que si le magistrat, en participant à des décisions antérieures relatives à la même affaire, n’a pas déjà pris position au sujet de certaines questions de manière telle qu’il ne semble plus à l’avenir exempt de préjugés et que, par conséquent, le sort du procès paraît déjà scellé. Pour en juger, il faut tenir compte des faits, des particularités procédurales ainsi que des questions concrètes soulevées au cours des différents stades de la procédure (ATF 126 I 168 consid. 2 et les arrêts cités). Il n’en va pas autrement dans le domaine de l’arbitrage. Le comportement d’un arbitre au cours de l’instance arbitrale peut également jeter le doute sur son indépendance et son impartialité. Cependant, le Tribunal fédéral se montre exigeant dans l’appréciation du risque de prévention. Ainsi, il est de jurisprudence que les mesures de procédure, justes ou fausses, ne sont pas, comme telles, de nature à fonder un soupçon objectif de prévention à l’égard de l’arbitre qui les a prises (ATF 111 Ia 259 consid. 3b/aa p. 264 et les références). Cette remarque s’applique aussi à l’arbitre qui a pris une part active à une sentence partielle, fût-elle erronée (ATF 113 IA 407 consid. 2a p. 409 i.f.).
En l’occurrence, la mission confiée à la Formation du TAS ayant rendu la première sentence arbitrale sous la présidence de l’arbitre [D.-R. M.] était nettement circonscrite. En effet, devant cette instance d’appel, le recourant ne contestait déjà plus avoir commis une violation grave de ses obligations contractuelles en consommant de la cocaïne. Il soutenait, en revanche, que, dans la mesure où l’initiative de résilier le contrat de travail pour ce motif avait été prise par l’intimé, on ne pouvait pas lui imputer une "rupture unilatérale du contrat sans juste motif ou juste cause sportive", au sens de l’art. 21 du Règlement 2001, ni, partant, le condamner à dédommager son ex-employeur. La tâche des arbitres consistait donc uniquement à interpréter les termes "unilateral breach", figurant dans la version anglaise de l’art. 21 du Règlement 2001. La Formation a tranché cette question de principe en ce sens que ladite expression visait la rupture d’un contrat de travail et non pas sa résiliation. Elle a, par ailleurs, réfuté un second argument par lequel le recourant souhaitait qu’une différence fût faite entre le joueur qui abandonne son club sans juste motif et celui qui commet une violation grave de ses obligations contractuelles.
En se prononçant de cette manière, la Formation a certes rendu une sentence favorable à l’intimé, puisqu’elle a écarté une objection dirimante de la partie à qui celui-ci entendait réclamer des dommages-intérêts. Toutefois, hormis le fait que le recourant n’a jamais contesté cette première sentence, et sauf à faire un procès d’intention à l’arbitre [M.], il n’est pas possible d’admettre objectivement qu’en tranchant les deux questions susmentionnées, essentiellement théoriques, l’arbitre ait adopté un comportement propre à faire douter de son impartialité et à accréditer l’idée qu’il avait d’ores et déjà pris fait et cause pour l’intimé. De surcroît, il ne ressort pas de la sentence du 15 décembre 2005 que la Formation y aurait préjugé d’une quelconque manière la question du montant de l’indemnité due par le recourant. Il convient de souligner, en outre, que l’on a affaire ici à une série de trois sentences rendues dans la même cause, matériellement parlant, et qui auraient pu l’être, le cas échéant, par une seule Formation, les deux premières revêtant un caractère préjudiciel par rapport à la troisième, c’est-à-dire la sentence finale formant l’objet du présent recours. Or, sauf circonstances exceptionnelles, il n’est en principe pas admissible de contester a posteriori la régularité de la composition du tribunal arbitral qui a rendu la sentence finale au seul motif que ses membres ont déjà statué dans la même cause en participant au prononcé de sentences préjudicielles ou partielles. Le permettre reviendrait à signer l’arrêt de mort de telles sentences, dont l’utilité n’est pourtant plus à démontrer. Pareilles circonstances, le recourant n’en invoque point. Par conséquent, les doutes qu’il émet rétrospectivement au sujet de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitre [M.] ne sont pas justifiés.
3.4 D’où il suit que le grief tiré de la violation de l’art. 190 al. 2 let. a LDIP tombe à faux tant à l’égard du président [F.] qu’envers l’arbitre [M.] »
B. Les faits relatifs à la requête no 67474/10
18. La requérante est une patineuse de vitesse professionnelle, et elle appartient à la Deutsche Eisschnelllauf-Gemeinschaft (« la DESG »), qui est elle-même membre de l’International Skating Union (« l’ISU »), la fédération internationale de patinage, dont le siège est à Lausanne.
19. Le 6 février 2009, l’ensemble des athlètes inscrits aux championnats du monde de patinage de vitesse devant avoir lieu les 7 et 8 février 2009 à Hamar, en Norvège, parmi lesquels la requérante, furent soumis à des tests antidopage. Le 18 février 2009, la requérante subit un nouveau test. Après examen du profil sanguin de la requérante, l’ISU introduisit une plainte devant sa commission disciplinaire. Une audience fut tenue à Berne les 29 et 30 juin 2009. Par une décision du 1er juillet 2009, ladite commission prononça la suspension de la requérante pour une période de deux ans avec effet rétroactif à compter du 9 février 2009.
20. Le 21 juillet 2009, la requérante et la DESG firent appel de cette décision devant le TAS. Le 17 août 2009, celui-ci leur fit connaître la composition de la formation arbitrale. Aucun commentaire ne fut formulé à ce sujet durant la procédure devant le TAS. L’audience eut lieu à Lausanne les 22 et 23 octobre 2009. Malgré la demande de publicité de l’audience formulée par la requérante, celle-ci se tint à huis clos. Douze experts désignés par les parties furent entendus. Celles-ci purent les interroger librement.
21. Les 23 et 24 novembre 2009, la requérante demanda la réouverture de la procédure. Le 25 novembre 2009, le TAS rejeta cette demande et confirma la suspension de deux ans.
22. Le 7 décembre 2009, la requérante déposa un recours devant le Tribunal fédéral, concluant à l’annulation de la sentence du TAS. Elle soutenait que le TAS ne constituait pas un tribunal « indépendant et impartial » en raison du mode de nomination des arbitres, que son président n’avait pas été impartial car il avait auparavant fait part de sa « ligne dure » contre le dopage et que son secrétaire général avait modifié la décision arbitrale a posteriori. Elle reprochait en outre au TAS de ne pas avoir tenu d’audience publique. Elle se plaignait également d’une violation de son droit d’être entendue et invoquait différents moyens relatifs à l’ordre public.
23. Par un arrêt du 10 février 2010, le Tribunal fédéral rejeta le recours de la requérante. La haute juridiction s’exprima notamment en ces termes :
[traduction du Greffe]
« 3.1.2 Lorsqu’un tribunal arbitral présente un défaut d’indépendance ou d’impartialité, il s’agit d’un cas de composition irrégulière au sens de l’article 190 al. 2 let. a de la LDIP. En vertu du principe de la bonne foi, le droit d’invoquer le moyen se périme cependant si la partie ne le fait pas valoir immédiatement (ATF 129 III 445, consid. 3.1, p. 449 et autres références).
La recourante a saisi elle-même le TAS et a signé l’ordre de procédure du 29 septembre 2009 sans soulever de grief quant à son indépendance ou son impartialité. Dans ces circonstances, attendre d’avoir interjeté appel devant le Tribunal fédéral pour soulever pour la première fois la question de l’impartialité de la formation arbitrale est incompatible avec le principe de la bonne foi. En conséquence, le grief tiré du défaut d’indépendance du tribunal arbitral doit être écarté.
3.1.3 Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la recourante, le TAS doit être vu comme un véritable tribunal arbitral. De surcroît, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il jouit d’une indépendance suffisante par rapport au CIO [le Comité international olympique] pour que les sentences qu’il rend, y compris dans les causes intéressant cet organisme, puissent être considérées comme de véritables jugements, assimilables à ceux d’un tribunal étatique (ATF 129 III 445, consid. 3, pp. 448 et suiv. et autres références).
Indépendamment du fait que les allégations factuelles de la recourante ne reposent pas sur les faits établis dans la sentence attaquée (art. 105 al. 1 LTF), ses arguments de caractère général ne font pas naître de doutes raisonnables quant à l’indépendance du TAS, si bien que le grief tiré du défaut d’indépendance du TAS serait en tout état de cause considéré comme non fondé.
3.2 En deuxième lieu, la recourante se plaint de la prétendue partialité de F., le président de la formation arbitrale. Celui-ci aurait, en octobre 2007, dit adopter « une ligne dure en matière de dopage » à l’un des représentants légaux actuels de la recourante qui souhaitait qu’il fût nommé arbitre dans une affaire impliquant un sportif qu’il représentait. La recourante en déduit qu’avec la nomination de F. par G., ancien membre du Comité national olympique, président d’une fédération sportive internationale et membre de la Commission sport et droit du CIO, la décision était prise d’avance.
Ce grief est infondé. L’accusation selon laquelle le président de la formation arbitrale aurait, dans un autre contexte, affirmé adopter une « ligne dure » dans les affaires de dopage est trop vague et trop générale pour faire naître un doute raisonnable quant à l’indépendance de F., a fortiori en l’absence de lien direct avec ledit contexte (comp. ATF 133 I 89, consid. 33, p. 92 ; ATF. 105 Ia 157, consid. 6a, p. 163).
Les griefs tirés de la partialité du président de la formation arbitrale et de la composition irrégulière de celle-ci en raison d’une prétendue influence du CIO sont sans fondement.
3.3 L’autre grief soulevé par la recourante, selon lequel le CIO et les fédérations sportives internationales auraient influencé la décision par l’intermédiaire du secrétaire général du TAS, lequel aurait rectifié a posteriori la décision attaquée, est pure spéculation et ne repose pas sur des faits établis. Ainsi, la recourante elle-même indique ne pas savoir si le secrétaire général a ou non fait usage de la possibilité de procéder à des « rectifications » de la sentence.
En outre, elle ne soulève pas un grief au sens de l’article 190 al. 2 let. a de la LDIP lorsqu’elle fait valoir que, selon l’article R59 du code du TAS, la décision doit être communiquée au secrétaire général du TAS, lequel peut « procéder à des rectifications de pure forme » et « attirer l’attention de la formation [arbitrale] sur des questions de principe fondamentales ». Contrairement à ce qui est allégué dans le recours, cette démarche ne remet pas en cause le fait que la sentence a été rendue par le TAS et par lui seul. Rien ne montre que celui-ci ait subi une influence illégitime de nature à faire douter de son indépendance.
Le grief tiré du défaut d’indépendance et de la composition irrégulière de la formation arbitrale (art. 190 al. 2 let.a LDIP) est donc infondé et les demandes liées à ce grief doivent en conséquence être rejetées.
4. La recourante allègue par ailleurs une violation du droit à une audience publique.
4.1 C’est à tort qu’elle invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 30 § 3 de la Constitution fédérale et l’article 14 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques puisque, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, ces dispositions ne s’appliquent pas aux procédures d’arbitrage volontaire (comp. arrêts 4P.105/2006 du 4 août 2006, consid. 7.3 ; 4P.64/2001 du 11 juin 2001, consid. 2d/aa, non publié in ATF 127 III 429). Il n’est donc pas possible de déduire des dispositions précitées l’existence d’un droit à une audience publique dans le cadre d’une procédure d’arbitrage.
Le TAS n’a aucunement méconnu le droit de la recourante à une audience publique en rejetant, en application de l’article R57 du code du TAS, qui dispose que l’audience n’est publique qu’en cas d’accord des parties, la demande qu’elle avait formulée pour que son agent fût autorisé à assister à l’audience. L’intéressée ne démontre pas dans quelle mesure le droit à être entendue (art. 190 al. 2 let. d LDIP) et la question de l’ordre public (art. 190 al. 2 let. e LDIP) devraient avoir pour effet d’imposer la tenue d’une audience publique dans le cadre de procédures arbitrales alors que ces audiences se tiennent normalement à huis clos.
Indépendamment de la question de l’existence ou non de ce droit, étant donné la place éminente qu’occupe le TAS dans le secteur sportif, il serait souhaitable [wünschenswert], pour renforcer la confiance en l’équité et en l’indépendance de ses sentences, qu’une audience publique puisse être tenue si l’athlète en fait la demande.
4.2 Alors que la procédure devant le TAS comporte un libre examen des éléments factuels et juridiques, le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral quant aux sentences arbitrales est extrêmement restreint. Ainsi, la présente espèce se prête à une décision sur pièces ; la tenue de débats publics (art. 57 LTF), souhaitée par la recourante, n’est pas indiquée.
L’obligation de tenir des débats publics, qui peut être exceptionnellement imposée par un droit supérieur au droit national – par exemple en cas de requête en vertu de l’article 120 al. 1 let. c. de la LTF ou lorsque le tribunal entend statuer lui-même sur le fond (comp. art. 107 al. 2 LTF) en se fondant sur ses propres constatations factuelles (comp. HEIMGARTNER/WIPRÄCHTIGER, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2008, nos 9 et suiv. sur l’art. 57 LTF ; JEAN-MAURICE FRÉSARD in Commentaire de la LTF, 2009, no 8 et suiv. sur l’art. 57 LTF), ne s’applique pas dans le cadre des procédures arbitrales selon l’article 77 de la LTF.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de tenue de débats publics devant le Tribunal fédéral. »
24. Après avoir été déboutée par le Tribunal fédéral et avoir saisi la Cour de sa requête, la requérante engagea également une procédure à l’encontre de l’ISU devant les juridictions allemandes.
Dans un premier temps, elle obtint gain de cause devant la cour d’appel de Munich, qui, dans un arrêt du 15 janvier 2015, jugea les sentences du TAS inapplicables en Allemagne. Selon cette juridiction, si l’on pouvait considérer que des athlètes acceptaient de se soumettre volontairement à la juridiction d’un tribunal arbitral, cela ne pouvait pas valoir dans le cas du TAS en raison du poids prépondérant des fédérations sportives dans sa composition. Selon la juridiction bavaroise, ce déséquilibre était accepté par les sportifs uniquement parce que, dans le cas contraire, ils ne pourraient pas participer aux compétitions professionnelles. Pour elle, il s’agissait par conséquent d’un « abus de position dominante ».
25. Cet arrêt fut cassé par la Cour fédérale de justice allemande le 7 juin 2016. Selon cette haute juridiction, s’il était vrai que l’ISU exerçait un monopole au sens du droit de la concurrence allemand, les athlètes acceptaient néanmoins librement de souscrire la clause d’arbitrage prévoyant la juridiction du TAS et cette pratique ne constituait donc pas un abus de position dominante.
C. Le fonctionnement de l’arbitrage sportif international
26. Le TAS a officiellement été créé le 30 juin 1984, date de l’entrée en vigueur de ses statuts, dans le but de résoudre les litiges relatifs au sport. Son siège a été fixé à Lausanne. Institution d’arbitrage autonome sur le plan de l’organisation, mais sans personnalité juridique, il était composé à l’origine de soixante membres, désignés à raison d’un quart chacun par le Comité international olympique (« le CIO »), les fédérations internationales (« les FI »), les comités nationaux olympiques (« les CNO ») et le président du CIO. Les frais de fonctionnement du TAS étaient supportés par le CIO, compétent pour modifier les statuts de ce tribunal (pour plus de détails, voir l’arrêt du Tribunal fédéral ATF 119 II 271, consid. 3b).
27. Dans un arrêt rendu en 1993, le Tribunal fédéral a formulé des réserves quant à l’indépendance du TAS par rapport au CIO, en raison des liens organiques et économiques existant entre les deux institutions. Selon lui, il était souhaitable que l’on assurât une indépendance accrue du TAS à l’égard du CIO (ATF 119 II 271, consid. 3b). Cet arrêt a entraîné une importante réforme du TAS.
28. Les principales nouveautés ont consisté en la création à Paris, le 22 juin 1994, du CIAS et dans la rédaction du code de l’arbitrage, entré en vigueur le 22 novembre 1994.
29. Fondation de droit privé soumise au droit suisse, le CIAS, dont le siège est à Lausanne, est composé de vingt membres juristes de haut niveau. Les membres du CIAS sont désignés pour une période renouvelable de quatre ans.
30. Le CIAS a notamment pour mission de sauvegarder l’indépendance du TAS et les droits des parties. Exerçant diverses fonctions, il lui incombe, en particulier, d’adopter et de modifier le code de l’arbitrage, d’administrer et de financer le TAS, d’établir la liste des arbitres du TAS pouvant être choisis par les parties, de statuer en matière de récusation et de révocation des arbitres et de nommer le secrétaire général du TAS.
31. Le TAS établit des formations qui sont chargées de trancher les litiges survenant dans le domaine du sport. Il est composé de deux chambres, à savoir la chambre arbitrale ordinaire et la chambre arbitrale d’appel. La première s’occupe des litiges soumis au TAS en qualité d’instance unique (exécution de contrats, responsabilité civile, etc.), tandis que la seconde connaît des recours dirigés contre des décisions disciplinaires prises en dernière instance par des organismes sportifs, tels que les fédérations (par exemple, suspension d’un athlète pour cause de dopage, de brutalités sur un terrain ou d’injures envers un arbitre de jeu).
1. Les règles relatives à la nomination des membres du CIAS, en vigueur à l’époque des faits
32. À l’époque des faits, les vingt membres du CIAS étaient nommés en vertu de l’article S4 du code de l’arbitrage, rédigé en ces termes :
« a. quatre membres sont désignés par les Fédérations Internationales (FI), à savoir trois par les FI olympiques d’été (ASOIF) et un par les FI olympiques d’hiver (AIWF), choisis en leur sein ou en dehors ;
b. quatre membres sont désignés par l’Association des Comités Nationaux Olympiques (ACNO), choisis en son sein ou en dehors ;
c. quatre membres sont désignés par le Comité International Olympique (CIO), choisis en son sein ou en dehors ;
d. quatre membres sont désignés par les douze membres du CIAS figurant ci-dessus, après des consultations appropriées, en vue de sauvegarder les intérêts des athlètes ;
e. quatre membres sont désignés par les seize membres du CIAS figurant ci-dessus et choisis parmi des personnalités indépendantes des organismes désignant les autres membres du CIAS. »
2. Les règles relatives à la nomination des arbitres du TAS, en vigueur à l’époque des faits
33. Les arbitres du TAS devaient être au nombre de cent cinquante au moins et ils n’étaient pas affectés à une chambre en particulier. La liste des arbitres du TAS était composée en vertu de l’article S14 du code de l’arbitrage, rédigé en ces termes :
« En constituant la liste des arbitres du TAS, le CIAS devra faire appel à des personnalités ayant une formation juridique complète, une compétence reconnue en matière de droit du sport et/ou d’arbitrage international, une bonne connaissance du sport en général et la maîtrise d’au moins une des langues de travail du TAS, dont les noms et qualifications sont portés à l’attention du CIAS, notamment par le CIO, les FI et les CNO. En outre, le CIAS devra respecter, en principe, la répartition suivante :
• 1/5e des arbitres sélectionnés parmi les personnes proposées par le CIO, choisies en son sein ou en dehors ;
• 1/5e des arbitres sélectionnés parmi les personnes proposées par les FI, choisies en leur sein ou en dehors ;
• 1/5e des arbitres sélectionnés parmi les personnes proposées par les CNO, choisies en leur sein ou en dehors ;
• 1/5e des arbitres choisis, après des consultations appropriées, en vue de sauvegarder les intérêts des athlètes ;
• 1/5e des arbitres choisis parmi des personnes indépendantes des organismes chargés de proposer des arbitres conformément au présent article. »
34. Seuls les arbitres figurant sur la liste ainsi constituée ‑ qui y restaient inscrits pendant une période renouvelable de quatre ans (article S13 du code de l’arbitrage) ‑ pouvaient siéger dans une formation arbitrale (articles R33, R38 et R39 du code de l’arbitrage).
35. Selon l’article R54 du code de l’arbitrage, le président de la formation arbitrale était désigné par le président de la chambre arbitrale d’appel du TAS après consultation des arbitres nommés par les parties.
36. Lorsqu’ils étaient appelés à siéger, les arbitres devaient signer une déclaration solennelle d’indépendance (article S18 du code de l’arbitrage). Au demeurant, tout arbitre avait l’obligation de révéler immédiatement toute circonstance susceptible de compromettre son indépendance à l’égard des parties ou de l’une d’elles (article R33 du code de l’arbitrage). Il pouvait d’ailleurs être récusé lorsque les circonstances permettaient de douter légitimement de son indépendance. La récusation, qui était de la compétence exclusive du CIAS, devait être requise sans délai dès la connaissance de la cause de récusation (article R34 du code de l’arbitrage). Tout arbitre pouvait être révoqué par le CIAS s’il refusait ou s’il était empêché d’exercer ses fonctions, ou bien s’il ne remplissait pas ses fonctions conformément au code de l’arbitrage. Le CIAS pouvait exercer cette fonction par l’intermédiaire de son Bureau rendant une « décision sommairement motivée » (article R35 du code de l’arbitrage). Lorsque la formation arbitrale était composée de trois arbitres, à défaut de convention, chaque partie désignait son arbitre et le président de la formation était choisi par les deux arbitres ou, à défaut d’entente, nommé par le président de la chambre (article R40.2 du code de l’arbitrage). Les arbitres désignés par les parties ou par d’autres arbitres n’étaient réputés nommés qu’après confirmation par le président de la chambre. Une fois la formation constituée, le dossier était transmis aux arbitres pour instruction de la cause et prononcé de la sentence par ceux-ci.
37. Composé au départ de soixante membres, le TAS comptait à l’époque des faits près de trois cents arbitres.
3. Les modifications ultérieures aux règles relatives à la nomination des arbitres du TAS
38. Le 1er janvier 2012, l’article S14 du code de l’arbitrage a été modifié par la suppression des règles relatives à la nomination des arbitres par cinquièmes. Il se lit de la manière suivante en sa nouvelle formulation, telle que figurant actuellement sur le site Internet du TAS (http://www.tas-cas.org/fileadmin/user_upload/code_fr_010112_avec_modifs.pdf) :
« En constituant la liste des arbitres du TAS, le CIAS devra faire appel à des personnalités ayant une formation juridique complète, une compétence reconnue en matière de droit du sport et/ou d’arbitrage international, une bonne connaissance du sport en général et la maîtrise d’au moins une des langues de travail du TAS, dont les noms et qualifications sont portés à l’attention du CIAS, notamment par le CIO, les FI et les CNO. En outre, le CIAS devra respecter, en principe, la répartition suivante :
• 1/5e des arbitres sélectionnés parmi les personnes proposées par le CIO, choisies en son sein ou en dehors ;
• 1/5e des arbitres sélectionnés parmi les personnes proposées par les FI, choisies en leur sein ou en dehors ;
• 1/5e des arbitres sélectionnés parmi les personnes proposées par les CNO, choisies en leur sein ou en dehors ;
• 1/5e des arbitres choisis, après des consultations appropriées, en vue de sauvegarder les intérêts des athlètes ;
• 1/5e des arbitres choisis parmi des personnes indépendantes des organismes chargés de proposer des arbitres conformément au présent article. »
39. En ses dispositions pertinentes en l’espèce, le code de l’arbitrage, en vigueur au 1er janvier 2017, se lit ainsi :
« S6 Le CIAS exerce les fonctions suivantes :
(...)
3. Il désigne les arbitres constituant la liste des arbitres du TAS et les médiateurs(rices) constituant la liste des médiateurs du TAS ; il peut également les retirer de ces listes (...)
S14 En constituant la liste des arbitres du TAS, le CIAS devra faire appel à des personnalités ayant une formation juridique appropriée, une compétence reconnue en matière de droit du sport et/ou d’arbitrage international, une bonne connaissance du sport en général et la maîtrise d’au moins une des langues de travail du TAS, dont les noms et qualifications sont portés à l’attention du CIAS, notamment par le CIO, les FI, les CNO, ainsi que par les commissions d’athlètes du CIO, des FI et des CNO. Le CIAS peut identifier les arbitres ayant une spécialisation particulière pour traiter certains types de litiges.
En constituant la liste des médiateurs(-rices) du TAS, le CIAS veille à nommer des personnalités ayant de l’expérience dans le domaine de la médiation et une bonne connaissance du sport en général.
S15 Le CIAS publie les listes des arbitres et des médiateurs(-rices) du TAS, ainsi que toute modification ultérieure de ces listes.
S16 Lors de la désignation des arbitres et des médiateurs(-rices), le CIAS prend en considération la représentation continentale et les différentes cultures juridiques. »
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
1. La loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987
40. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (« la LDIP ») sont ainsi libellées :
Chapitre 12 Arbitrage international
Art. 176
« 1 Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à tout arbitrage si le siège du tribunal arbitral se trouve en Suisse et si au moins l’une des parties n’avait, au moment de la conclusion de la convention d’arbitrage, ni son domicile, ni sa résidence habituelle en Suisse.
2 Les dispositions du présent chapitre ne s’appliquent pas lorsque les parties ont exclu par écrit son application et qu’elles sont convenues d’appliquer exclusivement les règles de la procédure cantonale en matière d’arbitrage.
3 Les parties en cause ou l’institution d’arbitrage désignée par elles ou, à défaut, les arbitres déterminent le siège du tribunal arbitral. »
Article 190
« 1 La sentence est définitive dès sa communication.
2 Elle ne peut être attaquée que :
a. lorsque l’arbitre unique a été irrégulièrement désigné ou le tribunal arbitral irrégulièrement composé ;
b. lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent ;
c. lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi ou lorsqu’il a omis de se prononcer sur un des chefs de la demande ;
d. lorsque l’égalité des parties ou leur droit d’être entendues en procédure contradictoire n’a pas été respecté ;
e. lorsque la sentence est incompatible avec l’ordre public.
3 En cas de décision incidente, seul le recours pour les motifs prévus à l’al. 2, let. a et b, est ouvert ; le délai court dès la communication de la décision. »
Article 191
« Le recours n’est ouvert que devant le Tribunal fédéral. La procédure est régie par l’article 77 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral. »
Art. 192
« 1 Si deux parties n’ont ni domicile, ni résidence habituelle, ni établissement en Suisse, elles peuvent, par une déclaration expresse dans la convention d’arbitrage ou un accord écrit ultérieur, exclure tout recours contre les sentences du tribunal arbitral; elles peuvent aussi n’exclure le recours que pour l’un ou l’autre des motifs énumérés à l’art. 190, al. 2.
2 Lorsque les parties ont exclu tout recours contre les sentences et que celles-ci doivent être exécutées en Suisse, la convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères s’applique par analogie. »
2. La loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, dans sa version en vigueur à l’époque des faits
41. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (« la LTF »), dans sa version en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :
Art. 57 Débats
« Le président de la cour peut ordonner des débats. »
Art. 58 Délibération
« 1 Le Tribunal fédéral délibère en audience:
a. si le président de la cour l’ordonne ou si un juge le demande;
b. s’il n’y a pas unanimité.
2 Dans les autres cas, le Tribunal fédéral statue par voie de circulation. »
Art. 59 Publicité
« 1 Les éventuels débats ainsi que les délibérations et votes en audience ont lieu en séance publique.
2 Le Tribunal fédéral peut ordonner le huis clos total ou partiel si la sécurité, l’ordre public ou les bonnes mœurs sont menacés, ou si l’intérêt d’une personne en cause le justifie.
3 Le Tribunal fédéral met le dispositif des arrêts qui n’ont pas été prononcés lors d’une séance publique à la disposition du public pendant 30 jours à compter de la notification. »
Art. 61 Force de chose jugée
« Les arrêts du Tribunal fédéral acquièrent force de chose jugée le jour où ils sont prononcés. »
Art. 77 Arbitrage international
« 1 Le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux aux conditions prévues par les art. 190 à 192 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé.
2 Sont inapplicables dans ces cas les art. 48, al. 3, 93, al. 1, let. b, 95 à 98, 103, al. 2, 105, al. 2, et 106, al. 1, ainsi que l’art. 107, al. 2, dans la mesure où cette dernière disposition permet au Tribunal fédéral de statuer sur le fond de l’affaire.
3 Le Tribunal fédéral n’examine que les griefs qui ont été invoqués et motivés par le recourant. »
Art. 122 Violation de la Convention européenne des droits de l’homme
« La révision d’un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH) peut être demandée aux conditions suivantes:
a. la Cour européenne des droits de l’homme a constaté, dans un arrêt définitif, une violation de la CEDH ou de ses protocoles;
b. une indemnité n’est pas de nature à remédier aux effets de la violation;
c. la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation. »
3. La jurisprudence pertinente du Tribunal fédéral
42. S’agissant de la question de savoir si un athlète professionnel devait être considéré comme « contraint » de se soumettre à une juridiction arbitrale, dans une affaire concernant un joueur de tennis professionnel, le Tribunal fédéral s’est prononcé en ces termes par un arrêt du 22 mars 2007, publié au Recueil officiel (ATF 133 III 235) :
« 4.3.2.2 (...) Le sport de compétition se caractérise par une structure très hiérarchisée, aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Etablies sur un axe vertical, les relations entre les athlètes et les organisations qui s’occupent des diverses disciplines sportives se distinguent en cela des relations horizontales que nouent les parties à un rapport contractuel (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3.2 p. 461). Cette différence structurelle entre les deux types de relations n’est pas sans influence sur le processus volitif conduisant à la formation de tout accord. En principe, lorsque deux parties traitent sur un pied d’égalité, chacune d’elles exprime sa volonté sans être assujettie au bon vouloir de l’autre. Il en va généralement ainsi dans le cadre des relations commerciales internationales. La situation est bien différente dans le domaine du sport. Si l’on excepte le cas – assez théorique – où un athlète renommé, du fait de sa notoriété, serait en mesure de dicter ses conditions à la fédération internationale régissant le sport qu’il pratique, l’expérience enseigne que, la plupart du temps, un sportif n’aura pas les coudées franches à l’égard de sa fédération et qu’il devra se plier, bon gré mal gré, aux desiderata de celle-ci. Ainsi l’athlète qui souhaite participer à une compétition organisée sous le contrôle d’une fédération sportive dont la réglementation prévoit le recours à l’arbitrage n’aura-t-il d’autre choix que d’accepter la clause arbitrale, notamment en adhérant aux statuts de la fédération sportive en question dans lesquels ladite clause a été insérée, à plus forte raison s’il s’agit d’un sportif professionnel. Il sera confronté au dilemme suivant : consentir à l’arbitrage ou pratiquer son sport en dilettante (...). Mis dans l’alternative de se soumettre à une juridiction arbitrale ou de pratiquer son sport « dans son jardin » (...) en regardant les compétitions « à la télévision » (...), l’athlète qui souhaite affronter de véritables concurrents ou qui doit le faire parce que c’est là son unique source de revenus (prix en argent ou en nature, recettes publicitaires, etc.) sera contraint, dans les faits, d’opter, nolens volens, pour le premier terme de cette alternative.
Par identité de motifs, il est évident que la renonciation à recourir contre une sentence à venir, lorsqu’elle émane d’un athlète, ne sera généralement pas le fait d’une volonté librement exprimée. L’accord qui résultera de la concordance entre la volonté ainsi manifestée et celle exprimée par l’organisation sportive intéressée s’en trouvera, dès lors, affecté ab ovo en raison du consentement obligatoire donné par l’une des parties. Or, en acceptant d’avance de se soumettre à toute sentence future, le sportif, comme on l’a vu, se prive d’emblée du droit de faire sanctionner ultérieurement la violation de principes fondamentaux et de garanties procédurales essentielles que pourrait commettre le tribunal arbitral appelé à se prononcer sur son cas. En outre, s’agissant d’une mesure disciplinaire prononcée à son encontre, telle la suspension, qui ne nécessite pas la mise en œuvre d’une procédure d’exequatur, il n’aura pas la possibilité de formuler ses griefs de ce chef devant le juge de l’exécution forcée. Partant, eu égard à son importance, la renonciation au recours ne doit, en principe, pas pouvoir être opposée à l’athlète, même lorsqu’elle satisfait aux exigences formelles fixées à l’art. 192 al. 1 LDIP (...). Cette conclusion s’impose avec d’autant plus de force que le refus d’entrer en matière sur le recours d’un athlète qui n’a eu d’autre choix que d’accepter la renonciation au recours pour être admis à participer aux compétitions apparaît également sujet à caution au regard de l’art. 6 par. 1 CEDH (...). »
43. Un an plus tard, le Tribunal fédéral s’est prononcé comme suit dans une affaire concernant un organisateur de matchs de football (arrêt du 20 mars 2008, 4A_506/2007) :
« 3.2 (...) C’est le lieu d’observer que l’on a affaire ici, contrairement à ce qui est le cas pour la grande majorité des affaires du TAS soumises au Tribunal fédéral, à un litige relevant de la procédure d’arbitrage ordinaire, au sens des art. R38 ss du Code, et non de la procédure arbitrale d’appel consécutive à la contestation d’une décision prise par un organe d’une fédération sportive ayant accepté la juridiction du TAS (cf. art. R47 ss du Code). En cela, le différend soumis au TAS, relativement à l’exécution du contrat international en cause, revêtait toutes les caractéristiques de ceux qui font l’objet d’un arbitrage commercial ordinaire, n’était le contexte sportif dans lequel il s’inscrivait. Ce différend mettait aux prises des parties placées sur un pied d’égalité, qui avaient choisi de le faire trancher par la voie arbitrale et qui n’ignoraient rien des enjeux financiers qu’il comportait ; leur situation était bien différente, sous cet angle, de celle du simple sportif professionnel opposé à une puissante fédération internationale (cf. ATF 133 III 235 consid. 4.3.2.2). »
44. En ce qui concerne l’indépendance du TAS, notamment en raison du mécanisme de nomination des arbitres, dans un arrêt du 27 mai 2003 publié au Recueil officiel (ATF 129 III 445), le Tribunal fédéral s’est prononcé comme suit :
« 3.3.3.2 (...) Tel qu’il a été aménagé depuis la réforme de 1994, le système de la liste d’arbitres satisfait aujourd’hui aux exigences constitutionnelles d’indépendance et d’impartialité applicables aux tribunaux arbitraux. Les arbitres figurant sur la liste sont au nombre de 150 au moins et le TAS en compte environ 200 à l’heure actuelle. La possibilité de choix offerte aux parties est ainsi bien réelle, quoi qu’en disent les recourantes, même si l’on tient compte de la nationalité, de la langue et de la discipline sportive pratiquée par l’athlète qui saisit le TAS. (...)
Force est, en outre, de souligner que le TAS, lorsqu’il fonctionne comme instance d’appel extérieure aux fédérations internationales, n’est pas comparable à un tribunal arbitral permanent d’une association, chargé de régler en dernier ressort des différends internes. Revoyant les faits et le droit avec plein pouvoir d’examen et disposant d’une entière liberté pour rendre une nouvelle décision en lieu et place de l’instance qui a statué préalablement (REEB, Revue, ibid.), il s’apparente davantage à une autorité judiciaire indépendante des parties. A son égard, le système de la liste d’arbitres ne soulève dès lors pas les mêmes objections que celles qu’il rencontre lorsqu’il est utilisé par les tribunaux arbitraux créés par des associations. Au demeurant, il n’est pas certain que le système dit de la liste ouverte - il offre aux parties (ou à l’une d’elles) la possibilité de choisir un arbitre en dehors de la liste, contrairement au système de la liste fermée appliqué par le TAS (cf. CLAY, op. cit., n. 478 p. 400) -, qui a les faveurs de certains auteurs (voir not.: BADDELEY, op. cit., p. 274; STEPHAN NETZLE, Das Internationale Sport-Schiedsgericht in Lausanne. Zusammensetzung, Zuständigkeit und Verfahren, in Sportgerichtsbarkeit, in Recht und Sport, vol. 22, p. 9 ss, 12), constitue la panacée. Au contraire, sous l’angle de l’efficacité du tribunal arbitral, ce système comporte le risque qu’il y ait, au sein du tribunal un ou plusieurs arbitres non spécialisés et enclins à agir comme s’ils étaient les avocats des parties qui les ont désignés (cf., à ce sujet: SCHILLIG, op. cit., p. 160). »
III. LES TEXTES INTERNATIONAUX
Le règlement d’arbitrage de la Cour internationale d’arbitrage
45. La disposition pertinente en l’espèce du règlement d’arbitrage de la Cour internationale d’arbitrage (« le règlement de l’ICC ») peut se lire ainsi :
Article 12
« (...)
4 Lorsque les parties sont convenues que le litige sera résolu par trois arbitres, chacune des parties, respectivement dans la Demande et dans la Réponse, désigne un arbitre pour confirmation. Si l’une des parties s’en abstient, la nomination est faite par la Cour [internationale d’arbitrage].
5 Lorsque le litige est soumis à trois arbitres, le troisième arbitre, qui assume la présidence du tribunal arbitral, est nommé par la Cour [internationale d’arbitrage], à moins que les parties ne soient convenues d’une autre procédure (...) »
IV. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS DE L’UNION EUROPÉENNE
46. Vers la fin des années 1990, à la suite de plusieurs plaintes, la Commission européenne a ouvert une enquête approfondie sur les règles de la FIFA concernant les transferts internationaux de footballeurs. Cette enquête a conduit à l’envoi d’une communication de griefs à la FIFA le 14 décembre 1998. À la suite de cette communication et des échanges avec la Commission européenne, la FIFA a accepté de modifier sa réglementation en prévoyant notamment que, en cas de litige concernant sa mise en œuvre, les joueurs pouvaient recourir à un arbitrage volontaire ou saisir les juridictions nationales. La Commission européenne a estimé que les nouvelles règles répondaient à ses préoccupations et a mis un terme à la procédure.
47. Par ailleurs, par une décision publiée le 8 décembre 2017, à la suite d’une plainte déposée par deux patineurs professionnels, la Commission européenne a conclu que les règles de l’ISU prévoyant des sanctions sévères contre les athlètes qui participent à des épreuves de patinage de vitesse non reconnues par l’ISU sont contraires aux règles de l’UE en matière de pratiques anticoncurrentielles. Elle a par conséquent donné à l’ISU trois mois pour modifier ces règles.
V. LA RÉGLEMENTATION PERTINENTE DE LA FIFA
1. Le règlement de 2001
48. En ses dispositions pertinentes en l’espèce, le règlement de 2001 se lit ainsi :
Article 21
« 1 a) Dans le cas de contrats signés jusqu’au 28e anniversaire du joueur : en cas de rupture unilatérale de contrat sans juste motif ou juste cause sportive au cours des 3 premières années, des sanctions sportives seront appliquées et une indemnité devra être payée.
b) Dans le cas de contrats signés après le 28e anniversaire, les mêmes principes s’appliquent mais seulement au cours des 2 premières années.
c) Dans les cas visés aux deux paragraphes qui précèdent, toute rupture unilatérale de contrat sans juste motif est interdite au cours d’une saison.
2 a) Toute rupture unilatérale de contrat sans juste motif ou sans juste cause sportive après les 2 ou 3 premières années n’entraînera pas l’application de sanctions. Des sanctions sportives pourront toutefois être applicables à l’encontre de clubs et/ou d’agents de joueurs occasionnant une rupture de contrat. Une indemnité devra être payée.
b) Une rupture de contrat comme définie dans le paragraphe ci-dessus est interdite au cours de la saison.
c) Des mesures disciplinaires pourront être appliquées par la Chambre de Règlement des Litiges en l’absence de préavis dans les 15 jours suivant le dernier match officiel de la saison nationale du club auprès duquel le joueur était enregistré. »
Article 22
« Sans préjudice des dispositions relatives à l’indemnité de formation fixée à l’article 13 et suivants, et si rien n’est spécifiquement prévu par le contrat, l’indemnité pour rupture de contrat par le joueur ou le club devra être calculée conformément au droit national, aux spécificités du sport et en tenant compte de tout critère objectif inhérent au cas, tel :
1) Rémunération et autres bénéfices dans le contrat en cours et/ou dans le nouveau contrat
2) Durée de la période restante du contrat en cours (jusqu’à cinq ans maximum)
3) Montant de tous les frais payés par l’ancien club amortis au prorata sur le nombre d’années du contrat
4) Si la rupture intervient pendant les “périodes protégées”, définies sous 21.1. »
(...) »
Article 42
« Sans préjudice des droits de tout joueur ou de tout club de demander réparation devant une cour civile dans des litiges opposant clubs et joueurs, il convient d’établir un système arbitral et de règlement des litiges constitué des éléments suivants (...) »
2. Le code disciplinaire de la FIFA
49. La disposition pertinente en l’espèce du code disciplinaire de la FIFA peut se lire ainsi :
Article 64
« 1. Quiconque ne paie pas ou pas entièrement une somme d’argent à un autre (joueur, entraîneur ou club par ex.) ou à la FIFA, alors qu’il y a été condamné par un organe, une commission ou une instance de la FIFA ou par une décision consécutive du TAS en appel (décision financière) ou quiconque ne respecte pas une autre décision (non financière) d’un organe, d’une commission ou d’une instance de la FIFA ou du TAS en appel (décision consécutive) :
a) sera sanctionné d’une amende pour ne pas avoir respecté la décision ;
b) recevra des autorités juridictionnelles de la FIFA un dernier délai de grâce pour s’acquitter de sa dette ou pour respecter la décision (non financière) ;
(...)
4. Une interdiction d’exercer de toute activité relative au football peut par ailleurs être prononcée contre toute personne physique. »
VI. LA RÉGLEMENTATION PERTINENTE DE L’ISU
50. Les dispositions pertinentes en l’espèce du règlement de l’ISU, telles qu’elles étaient rédigées à l’époque des faits, se lisaient ainsi :
IV. Organes judiciaires
Article 24
« 1. Commission disciplinaire
La commission disciplinaire (CD) de l’ISU est un organe indépendant élu par le congrès. Elle agit en tant qu’autorité de première instance qui procède à des auditions et statue sur toutes les accusations qui lui sont adressées par toute autorité de l’ISU ou toute partie à l’ISU et qui sont portées contre un patineur, un officiel, un titulaire de poste ou tout autre participant aux activités de l’ISU (l’auteur présumé) qui se trouve accusé d’une infraction d’ordre disciplinaire ou éthique (l’infraction).
(...) »
V. Arbitrage
Article 25
Tribunal arbitral du sport (TAS) – Arbitrage des appels
« 1. Appels
Les appels contre les décisions de la CD, et contre celles du conseil lorsqu’ils sont autorisés par une disposition expresse de la présente Constitution, peuvent être introduits auprès de la chambre arbitrale d’appel du Tribunal arbitral du sport (TAS), à Lausanne (Suisse).
2. Compétence du TAS
Le TAS est habilité à examiner les appels et à statuer dans les cas suivants :
a) les appels contre toute décision de la CD, ou du président de la CD dans le cas décrit à l’article 24, paragraphe 8.e) ;
b) les appels contre les décisions du conseil imposant une pénalité à un membre ou sa suspension ;
c) les appels contre toute décision du conseil prononçant l’inéligibilité d’un patineur, d’un officiel, d’un titulaire de poste ou de tout autre participant aux activités de l’ISU ;
d) les appels contre toute décision du conseil instruisant en qualité d’organe disciplinaire une plainte contre un membre de la CD.
(...) »
Article 26
Tribunal arbitral du sport (TAS) – Arbitrage ordinaire
« 1. Compétence du TAS
Tous les membres, leurs membres individuels et toutes les autres personnes revendiquant une qualité pour agir en tant que participants actuels ou futurs à l’ISU ou aux compétitions, championnats, congrès ou autres activités de l’ISU, ainsi que l’ISU elle-même, acceptent de se soumettre à l’arbitrage exécutoire rendu selon les règles de la chambre arbitrale ordinaire du Tribunal arbitral du sport (TAS), à Lausanne (Suisse), qui est la seule juridiction compétente en la matière et constitue l’unique mode de règlement de toutes les réclamations et de tous les litiges qui ne sont pas régis par les termes des articles 24 et 25 ci-dessus, à savoir :
a) les réclamations pour dommages, les réclamations financières ainsi que toutes les autres réclamations qui pourraient sinon donner lieu à des poursuites devant un tribunal civil : (1) contre l’ISU ou tout titulaire de poste de l’ISU, officiel de l’ISU, agent ou salarié agissant au nom de l’ISU ; et (2) émanant de l’ISU contre toute partie ayant ou revendiquant une qualité pour agir au sein de l’ISU, telle qu’identifiée ci‑dessus dans le présent article ;
b) les requêtes au titre de l’article 75 du code civil suisse.
(...) » [traduction du greffe]
EN DROIT
51. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant soutient que la formation arbitrale ayant rendu la sentence du 31 juillet 2009 ne peut être considérée comme indépendante et impartiale.
52. Invoquant également l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante estime quant à elle que la commission disciplinaire de l’ISU et le TAS ne peuvent être considérés comme des tribunaux indépendants. La requérante se plaint par ailleurs de n’avoir bénéficié d’une audience publique ni devant la commission disciplinaire de l’ISU, ni devant le TAS, ni devant le Tribunal fédéral. Toujours sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante soutient que son droit à un procès équitable n’a pas été respecté aux motifs que le droit suisse ne prévoit aucune instance compétente pour réexaminer l’établissement des faits après le TAS et que le Tribunal fédéral n’a qu’un pouvoir d’examen très limité. Enfin, invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, la requérante estime que la procédure devant le TAS est contraire au principe de la présomption d’innocence.
53. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 113-115, 20 mars 2018), la Cour estime plus approprié d’examiner l’ensemble de ces griefs sous le seul angle de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON D’UN MANQUE D’INDÉPENDANCE ET D’IMPARTIALITÉ DU TAS
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention
a) Les thèses des parties
54. Le Gouvernement considère que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas aux procédures devant le TAS. Il indique toutefois que, par le biais du contrôle effectué par le Tribunal fédéral en vertu de la loi suisse, le TAS se voit amené dans les faits à mettre en œuvre « certains principes procéduraux » correspondant à « certaines garanties essentielles de l’article 6 § 1 de la Convention », en s’inspirant de la jurisprudence de la Cour. Il s’agit donc, selon le Gouvernement ‑ qui reprend les termes du Tribunal fédéral ‑, d’une application « indirecte » des garanties de l’article 6 § 1 aux procédures devant le TAS.
55. Les parties et le tiers intervenant formulent un certain nombre d’arguments concernant le caractère volontaire ou forcé de l’acceptation par les requérants de la juridiction du TAS. La Cour estime que ces arguments ne relèvent pas de la question de l’applicabilité de l’article 6 § 1, et elle les examinera lorsqu’elle sera amenée à déterminer si l’acceptation de la juridiction du TAS par les requérants valait renonciation aux garanties prévues par cette disposition (paragraphes 77 à 123 ci-dessous).
b) L’appréciation de la Cour
56. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention ne vaut que pour l’examen des « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » et du « bien-fondé de toute accusation en matière pénale » (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 41, série A no 43).
57. En ce qui concerne la requête no 40575/10, la Cour note que le requérant se plaint de la sentence arbitrale du 31 juillet 2009, qui l’a condamné à verser des dommages-intérêts au club Chelsea. Les droits en question sont ici clairement de nature patrimoniale et ils résultent d’une relation contractuelle entre personnes privées. Ce sont donc des droits « à caractère civil » au sens de l’article 6 de la Convention.
58. En ce qui concerne la requête no 67474/10, la Cour observe que c’est la sentence du 25 novembre 2009, confirmant la suspension de la requérante pour deux ans, qui est en cause. Ici aussi, s’agissant d’une procédure disciplinaire menée devant des organes corporatifs et dans le cadre de laquelle le droit de pratiquer une profession se trouve en jeu, le caractère « civil » des droits en question ne fait pas de doute (voir, mutatis mutandis, ibidem, § 48).
59. L’article 6 § 1 de la Convention est par conséquent applicable ratione materiae aux litiges objet de la présente affaire, auxquels les requérants étaient parties devant le TAS.
2. Sur la compétence ratione personae de la Cour
a) Les thèses des parties
60. Dans les deux causes, le Gouvernement considère que la responsabilité de la Suisse ne peut être engagée en raison d’un manquement de la part du TAS à moins que « le Tribunal fédéral [n’ait] omis de corriger un tel manquement dans le cadre de ses compétences ». Il ajoute que le TAS « repose sur une organisation et des normes entièrement indépendantes de l’État ».
61. Les requérants et le tiers intervenant ne se sont pas prononcés sur cette question.
b) L’appréciation de la Cour
62. Le Gouvernement ne soulève pas explicitement une exception d’irrecevabilité ratione personae mais considère toutefois que la responsabilité de la Suisse ne peut être engagée en raison d’un manquement de la part du TAS à moins que « le Tribunal fédéral [n’ait] omis de corriger un tel manquement dans le cadre de ses compétences ».
63. La Cour rappelle que, même si l’État défendeur n’a pas soulevé d’objections quant à sa compétence ratione personae, cette question appelle un examen d’office (voir, mutatis mutandis, Sejdić et Finci c. Bosnie‑Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 27, CEDH 2009).
64. Par ailleurs, elle rappelle que si les autorités d’un État contractant approuvent, formellement ou tacitement, les actes des particuliers violant dans le chef d’autres particuliers soumis à sa juridiction les droits garantis par la Convention, la responsabilité dudit État peut se trouver engagée au regard de la Convention (voir, mutatis mutandis, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 318, CEDH 2004‑VII, et Solomou et autres c. Turquie, no 36832/97, § 46, 24 juin 2008).
65. En l’occurrence, la Cour observe que les griefs soulevés devant elle portent essentiellement, dans les deux cas d’espèce, sur la composition du TAS et sur les procédures suivies devant cette instance. Or le TAS n’est ni un tribunal étatique ni une autre institution de droit public suisse, mais une entité émanant du CIAS, c’est-à-dire d’une fondation de droit privé (paragraphe 29 ci-dessus).
66. Cela étant, la Cour note que, dans des circonstances limitativement énumérées, notamment en ce qui concerne la régularité de la composition de la formation arbitrale, la loi suisse prévoit la compétence du Tribunal fédéral pour connaître de la validité des sentences du TAS (articles 190 et 191 de la LDIP). En outre, dans les présentes causes, cette haute juridiction a rejeté les recours des requérants donnant, de ce fait, force de chose jugée aux sentences arbitrales en question dans l’ordre juridique suisse.
67. Les actes ou omissions litigieux sont donc susceptibles d’engager la responsabilité de l’État défendeur en vertu de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, §§ 120-122, CEDH 2012). Il s’ensuit également que la Cour est compétente ratione personae pour connaître des griefs des requérants quant aux actes et omissions du TAS validés par le Tribunal fédéral.
3. Sur le non-épuisement des voies de recours internes par la requérante
68. Le Gouvernement considère que le grief de la requérante tiré d’un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS devrait être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que la requérante n’avait pas soulevé ce grief devant le TAS et que le Tribunal fédéral n’était par conséquent pas entré en matière.
69. La requérante ne se prononce pas sur cette exception d’irrecevabilité.
70. La Cour rappelle que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne doit pas se substituer aux États contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection (Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, § 69, 25 mars 2014).
71. La Cour rappelle ensuite que les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci. La Cour ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière ‑ deux tâches qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (ibidem, § 70).
72. La Cour rappelle également que l’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 144 et 146, CEDH 2010, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I) et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour. Cet article commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention. Une requête ne satisfaisant pas à ces exigences doit en principe être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (Vučković et autres, précité, § 72).
73. En l’occurrence, la Cour note que la requérante a soulevé le grief tiré d’un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS dans son recours formé le 7 décembre 2009 devant le Tribunal fédéral et que la haute juridiction, dans son arrêt du 10 février 2010, a rejeté ce grief comme étant irrecevable au motif que l’intéressée ne l’avait pas soulevé à temps devant le TAS (paragraphe 23 ci-dessus).
74. À cet égard, la Cour rappelle que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées lorsqu’un appel n’est pas admis à cause d’une erreur procédurale émanant du requérant (Gäfgen, précité, § 143). Or, dans le présent cas d’espèce, dans la mesure où le Tribunal fédéral, après avoir exposé les motifs d’irrecevabilité, s’est quand même prononcé, fût-ce brièvement, sur l’indépendance et l’impartialité du TAS aux points 3.1.3 à 3.3 de son arrêt (paragraphe 23 ci‑dessus), la Cour considère que ce grief ne peut être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 43 et 45, CEDH 2009).
75. Par conséquent, l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement doit être écartée.
4. Conclusion sur la recevabilité
76. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
1. Sur la validité de l’acceptation de l’arbitrage par les requérants
a) Les thèses des parties et les observations du tiers intervenant
i. Les thèses du Gouvernement communes aux deux requêtes
77. Se référant à la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement indique que le droit à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas absolu. En particulier, le Gouvernement dit qu’une personne peut renoncer à l’exercice de certains droits garantis par la Convention au profit d’un arbitrage, lorsqu’il s’agit de trancher une contestation portant sur ses droits et obligations à caractère civil, à condition qu’une telle renonciation soit libre, licite et sans équivoque. Il ajoute que la renonciation ne doit pas être faite sous l’effet de la contrainte et que l’arbitrage ne doit pas avoir été imposé par la loi.
78. En ce qui concerne le cas spécifique du TAS, le Gouvernement considère que le recours à l’arbitrage ne répond pas seulement à l’intérêt des organisations sportives mais également à celui des athlètes, membres de ces organisations, dont ils pourraient par ailleurs influencer les statuts. Selon lui, il est important que les différends sportifs, notamment ceux comportant une dimension internationale, puissent être soumis à une juridiction spécialisée qui soit à même de statuer de manière rapide, économique et, si nécessaire, confidentielle, dans le respect des garanties procédurales énumérées à l’article 190 alinéa 2 de la LDIP. Eu égard à la dimension des manifestations sportives internationales, il ne serait pas concevable que la question de l’arbitrage soit négociée individuellement avec chacun des participants à de telles manifestations. Le Gouvernement précise que ces manifestations sont organisées dans différents pays par des organisations ayant leur siège dans des États différents et qu’elles sont souvent ouvertes à des athlètes du monde entier. À ses yeux, s’il n’était possible de parvenir valablement à aucune solution uniforme pour résoudre les litiges résultant de ces manifestations, cela poserait de graves problèmes à tous les acteurs concernés et porterait gravement atteinte à la sécurité juridique.
79. Enfin, le Gouvernement argue que le TAS pourrait être tenté de déplacer son siège dans un pays non membre du Conseil de l’Europe et de soustraire ainsi entièrement les affaires en question à l’examen de la Cour.
ii. Requête no 40575/10
α) Les thèses des parties
80. Le Gouvernement indique que le requérant ne remet pas en cause la procédure arbitrale de manière générale et ne prétend pas avoir été contraint de recourir à la procédure arbitrale, et, par conséquent, il en conclut que l’intéressé doit être considéré comme ayant volontairement renoncé à certaines des garanties prévues par l’article 6 de la Convention. Au surplus, le Gouvernement estime que le requérant avait accepté dans son contrat de travail de se soumettre au règlement de 2001. Or, à ses yeux, ce règlement ne comportait pas un recours obligatoire à l’arbitrage puisque, en son article 42, il prévoyait que le système arbitral devait être établi « sans préjudice des droits de tout joueur ou de tout club de demander réparation devant une cour civile (...) ». Le Gouvernement soutient donc que, par le jeu de cette disposition, le requérant aurait pu, dès le début, attaquer la décision du club Chelsea de mettre fin à son contrat devant un tribunal anglais.
81. De son côté, le requérant, citant à l’appui de ses thèses certaines analyses de doctrine, soutient que les contrats de travail des joueurs de football professionnels doivent s’analyser en des contrats d’adhésion car les joueurs ne disposeraient pas de la force de négociation contractuelle nécessaire pour imposer aux clubs et aux fédérations de retirer les clauses d’arbitrage. Il allègue, d’une part, que tous les joueurs du club Chelsea étaient obligés d’accepter la clause d’arbitrage dans leur contrat et, d’autre part, que ce genre de pratique est courant dans le monde du football professionnel.
Sa souscription de la clause d’arbitrage n’aurait par conséquent pas été un choix librement consenti et aurait relevé d’une pratique systématique dans le monde du football. Pour les mêmes raisons, la possibilité pour un joueur de football de porter un litige l’opposant à son club devant un tribunal étatique sur la base de l’article 42 du règlement de 2001, mentionnée par le Gouvernement, ne serait qu’apparente.
β) Les observations du tiers intervenant
82. À l’instar du Gouvernement, le tiers intervenant soutient que le requérant a librement choisi de se soumettre à un arbitrage, en acceptant, le 26 janvier 2005, la juridiction de la FAPLAC et, par conséquent, celle du TAS. Le requérant aurait dès lors renoncé volontairement aux garanties prévues par la Convention, conformément à la jurisprudence de la Cour.
Le tiers intervenant cite à ce titre l’affaire Suovaniemi et autres c. Finlande ((déc.), no 31737/96, 23 février 1999), considérant que, dans cette affaire, la Cour avait admis qu’une personne pouvait valablement renoncer au droit à ce que sa cause fût entendue par un tribunal arbitral impartial dès lors que la loi nationale prévoyait une protection suffisante.
83. Le tiers intervenant indique lui aussi que le règlement de 2001 n’imposait pas l’arbitrage eu égard à la possibilité offerte par son article 42 à tout joueur de football de porter un litige l’opposant à son club devant un tribunal étatique.
iii. Requête no 67474/10
84. Le Gouvernement expose que la requérante avait signé une déclaration par laquelle elle acceptait expressément l’application du règlement de l’ISU établissant l’autorité de la commission disciplinaire de cette fédération, ainsi que celle du TAS en tant qu’instance de recours. À ses yeux, c’est donc de manière délibérée, en signant un document explicite, que la requérante a adhéré à la convention d’arbitrage.
85. Le Gouvernement ajoute que, s’il est vrai que la réglementation applicable obligeait la requérante à accepter la convention d’arbitrage afin de permettre à celle-ci de participer aux compétitions organisées par l’ISU, l’intéressée n’a pas contesté cette obligation au moment de signer sa déclaration. Il indique aussi qu’elle ne s’est pas non plus adressée à un tribunal étatique pour contester l’imposition d’une clause d’arbitrage comme condition à sa participation à une compétition sportive, et ce alors qu’elle en aurait eu la faculté. De même, il estime que, en tant qu’athlète ayant participé à de nombreuses compétitions internationales, elle aurait également pu mettre en avant sa renommée pour tenter de s’opposer à la convention d’arbitrage.
86. Le Gouvernement soutient en outre qu’une inégalité entre les parties, résultant de leurs qualités respectives de participante à une compétition sportive et d’organisatrice de cette même compétition, ne peut avoir pour effet d’invalider une convention d’arbitrage. Admettre le contraire remettrait en question toutes les clauses arbitrales et l’ensemble du droit contractuel.
87. Le Gouvernement en déduit que la convention d’arbitrage acceptée par la requérante ne peut être considérée comme ayant été conclue sous la contrainte. À cet égard, il estime que, même si le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence relative à l’arbitrage sportif (arrêt du 22 mars 2007, ATF 133 III 235 ; paragraphe 42 ci-dessus), considère que les sportifs professionnels n’ont d’autre choix que d’accepter les clauses arbitrales imposées par les fédérations, cela ne pose problème que lorsque les décisions d’arbitrage ne sont pas susceptibles de recours.
88. Se référant à la jurisprudence de la Cour, la requérante indique, quant à elle, que, s’il est vrai qu’une personne peut renoncer à l’exercice de certains droits garantis par la Convention en faveur d’un arbitrage, lorsque le recours à l’arbitrage n’est pas librement consenti, les garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention trouvent à s’appliquer.
89. La requérante soutient que les fédérations sportives profitent de la position de monopole qui serait la leur pour obliger les sportifs de haut niveau à accepter le recours à l’arbitrage du TAS, faute de quoi ceux-ci ne seraient pas autorisés à participer aux compétitions, notamment olympiques. Elle dit que la possibilité, évoquée par le Gouvernement, de refuser la clause d’arbitrage et de recourir devant un tribunal étatique est illusoire. Elle ajoute que, à supposer même qu’un tribunal étatique se prononce sur la question dans un délai compatible avec la participation aux manifestations sportives concernées, sa décision n’aurait de force que dans l’État en question, et ce alors que, d’après elle, les compétitions internationales se déroulent dans une multitude d’États.
90. La requérante avance que même le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence relative à l’arbitrage sportif, considère que les sportifs professionnels n’ont d’autre choix que d’accepter la clause arbitrale. Elle cite, à titre d’exemple, l’arrêt du 22 mars 2007 (ATF 133 III 235 ; paragraphe 42 ci-dessus).
91. La requérante, qui dit avoir souscrit la clause d’arbitrage sous la contrainte, estime par conséquent que les garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention sont applicables dans leur totalité à la procédure la concernant menée devant le TAS.
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
92. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention garantit à toute personne le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 84, 29 novembre 2016 et Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18).
93. Le droit d’accès aux tribunaux, reconnu par l’article 6 § 1, n’est pourtant pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises, car il commande de par sa nature même une réglementation par l’État. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse gréco‑ catholique Lupeni et autres, précité, § 89, Eiffage S.A. et autres c. Suisse (déc.), no 1742/05, 15 septembre 2009, Osman c. Royaume‑Uni, 28 octobre 1998, § 147, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, et Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999‑I).
94. Ce droit d’accès à un tribunal n’implique pas nécessairement le droit de pouvoir saisir une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays ; ainsi, un organe chargé de trancher un nombre restreint de litiges déterminés peut s’analyser en un tribunal à condition d’offrir les garanties voulues (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, § 201, série A no 102). L’article 6 ne s’oppose donc pas à ce que des tribunaux arbitraux soient créés afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers (Suda c. République tchèque, no 1643/06, § 48, 28 octobre 2010). Présentant pour les intéressés comme pour l’administration de la justice des avantages indéniables, les clauses contractuelles d’arbitrage ne se heurtent pas, en principe, à la Convention (Tabbane c. Suisse (déc.), no 41069/12, § 25, 1er mars 2016).
95. En outre, il convient de distinguer entre arbitrage volontaire et arbitrage forcé. S’agissant d’un arbitrage forcé, en ce sens que l’arbitrage est imposé par la loi, les parties n’ont aucune possibilité de soustraire leur litige à la décision d’un tribunal arbitral. Celui-ci doit offrir les garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention (Suda, précité, § 49).
96. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un arbitrage volontaire consenti librement, il ne se pose guère de problème sur le terrain de l’article 6. En effet, les parties à un litige sont libres de soustraire aux juridictions ordinaires certains différends pouvant naître de l’exécution d’un contrat. En souscrivant une clause d’arbitrage, les parties renoncent volontairement à certains droits garantis par la Convention. Une telle renonciation ne se heurte pas à la Convention pour autant qu’elle est libre, licite et sans équivoque (Eiffage S.A. et autres, décision précitée, Suda, précité, § 48, R. c. Suisse, no 10881/84, décision de la Commission du 4 mars 1987, Décisions et rapports (DR) no 51, Suovaniemi et autres, décision précitée, Transportes Fluviais do Sado S.A. c. Portugal (déc.), no 35943/02, 16 décembre 2003, et Tabbane, décision précitée, § 27). De plus, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, la renonciation à certains droits protégés par celle-ci doit s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Pfeifer et Plankl c. Autriche, 25 février 1992, § 37, série A no 227, et Tabbane, décision précitée, § 27).
ii. Application de ces principes aux cas d’espèce
α) Les considérations communes aux deux requêtes
97. À titre liminaire, la Cour rappelle avoir déjà relevé que la LDIP reflétait un choix de politique législative qui répondait au souhait du législateur suisse d’augmenter l’attractivité et l’efficacité de l’arbitrage international en Suisse (Tabbane, décision précitée, § 33) et que la mise en valeur de la place arbitrale suisse pouvait constituer un but légitime (ibidem, § 36).
98. En ce qui concerne le cas spécifique de l’arbitrage sportif, elle considère qu’il y a un intérêt certain à ce que les différends qui naissent dans le cadre du sport professionnel, notamment ceux qui comportent une dimension internationale, puissent être soumis à une juridiction spécialisée qui soit à même de statuer de manière rapide et économique. En effet, les manifestations sportives internationales de haut niveau sont organisées dans différents pays par des organisations ayant leur siège dans des États différents, et elles sont souvent ouvertes à des athlètes du monde entier. Le recours à un tribunal arbitral international unique et spécialisé facilite une certaine uniformité procédurale et renforce la sécurité juridique. Cela est d’autant plus vrai lorsque les sentences de ce tribunal peuvent faire l’objet de recours devant la juridiction suprême d’un seul pays, en l’occurrence le Tribunal fédéral suisse, qui statue par voie définitive.
Sur ce point, la Cour rejoint donc le Gouvernement et reconnaît qu’un mécanisme non étatique de règlement des conflits en première et/ou deuxième instance, avec une possibilité de recours, bien que limitée, devant un tribunal étatique, en dernière instance, pourrait constituer une solution appropriée en ce domaine.
99. En revanche, en ce qui concerne le risque, évoqué par le Gouvernement, que le TAS puisse être tenté de déplacer son siège dans un pays non membre du Conseil de l’Europe afin de soustraire entièrement le contentieux porté devant lui à l’examen de la Cour (paragraphe 79 ci‑dessus), il n’appartient pas à cette dernière de se prononcer in abstracto sur une telle éventualité. Si une telle hypothèse devait se réaliser, il appartiendrait à la Cour de statuer, au cas par cas, lors de l’examen de requêtes introduites devant elle à la suite du prononcé par les juridictions des États parties à la Convention de décisions donnant force exécutoire aux sentences du TAS dans les ordres juridiques respectifs de ces États.
100. En l’occurrence, la question qui se pose à la Cour est celle de savoir si, dans les deux cas d’espèce, en acceptant la juridiction du TAS, les requérants ont renoncé au bénéfice des garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention, qu’ils invoquent dans leurs requêtes respectives. Dans le cas du requérant, il s’agit de l’indépendance et de l’impartialité de deux des arbitres composant la formation arbitrale ayant rendu la sentence du 31 juillet 2009. Dans le cas de la requérante, il s’agit de l’indépendance et de l’impartialité structurelle du TAS en raison du mode de nomination des arbitres.
101. Cette question présuppose que l’acceptation de la juridiction du TAS ait valu renonciation implicite à l’application de tout ou partie des garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention normalement applicables aux litiges portés devant les tribunaux étatiques. Or le Gouvernement soutient que c’est par le jeu de principes généraux d’ordre procédural reconnus par le Tribunal fédéral que l’article 6 trouve à s’appliquer « indirectement » aux procédures devant le TAS (paragraphe 54 ci-dessus).
102. Par conséquent, au moment de choisir d’accepter ou non la juridiction du TAS, et à supposer même qu’ils aient eu recours à des conseils éclairés, les requérants pouvaient au mieux espérer qu’en acceptant la juridiction du TAS ils auraient bénéficié d’une application « indirecte » de l’article 6 § 1. Une telle hypothèse laissait par ailleurs ouverte la question de leurs droits respectifs à un recours individuel devant la Cour, au cas où le TAS et/ou le Tribunal fédéral, dans leur application « indirecte » de l’article 6 § 1, auraient fait une mauvaise interprétation des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour.
103. La Cour part donc du principe que, dans les deux cas d’espèce, l’acceptation de la clause d’arbitrage pouvait valoir renonciation à tout ou partie des garanties prévues par l’article 6 § 1. Elle doit donc déterminer si cette acceptation relevait d’un choix « libre, licite et sans équivoque » au sens de sa jurisprudence. Pour y parvenir, la Cour juge utile de comparer les causes objet de la présente affaire à des affaires d’arbitrage commercial sur lesquelles elle s’est déjà prononcée.
104. Dans l’affaire Tabbane (déc.), précitée, le requérant était un homme d’affaires tunisien qui entretenait des relations commerciales avec la société Colgate. La Cour a considéré qu’en concluant un compromis d’arbitrage le requérant avait expressément et librement renoncé à la possibilité de soumettre les litiges potentiels à un tribunal ordinaire, qui lui aurait offert l’ensemble des garanties de l’article 6 de la Convention. Il n’existait par ailleurs aucune indication quant au fait que le requérant avait agi sous la contrainte en signant la convention d’arbitrage, et l’intéressé ne le prétendait pas.
105. Dans l’affaire Eiffage S.A. et autres (déc.), précitée, les requérantes, qui s’étaient constituées en un groupement d’entreprises de génie civil, se plaignaient d’une clause d’arbitrage contenue dans un contrat qu’elles avaient conclu avec l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (« le CERN ») après avoir répondu à un appel d’offres. La Cour a considéré que les requérantes avaient librement décidé de conclure un contrat avec le CERN et d’en accepter les conditions générales, lesquelles prévoyaient l’arbitrage comme voie exclusive de règlement des différends.
106. Dans l’affaire Transportes Fluviais do Sado S.A. (déc.), précitée, la requérante était une société anonyme ayant conclu un contrat de concession avec une administration publique. La Cour a relevé que c’était la requérante elle-même qui, en accord avec l’administration concédante, avait décidé de soustraire aux juridictions ordinaires certains différends pouvant naître de l’exécution du contrat de concession. La Cour a d’ailleurs remarqué que de telles clauses d’arbitrage étaient courantes s’agissant de ce type de contrat.
107. La Cour souligne que, dans ces trois affaires, les requérants – un homme d’affaires et des sociétés commerciales – étaient libres d’établir ou non des relations commerciales avec les partenaires de leur choix sans que cela affectât leur liberté et leur capacité de mener, avec d’autres partenaires, des projets relevant de leurs domaines d’activité respectifs. Par exemple, il est difficile de croire que l’entreprise Eiffage, qui est très active dans le secteur des travaux publics mais également dans celui du logement résidentiel privé, soit obligée d’accepter des clauses d’arbitrage pour pouvoir exister en tant qu’entreprise de construction. Pour une entreprise de ce type, la renonciation à un ou plusieurs marchés publics comportant une clause d’arbitrage pourrait avoir des répercussions en termes de chiffre d’affaires mais probablement pas en termes de capacité à vivre de son activité de construction.
108. Dans les présentes causes, les requérants sont deux sportifs de haut niveau qui gagnent leur vie en pratiquant leurs disciplines respectives dans les circuits professionnels. Leurs situations respectives ne sont pas comparables à celles qui viennent d’être décrites.
La Cour va les examiner séparément en commençant par la situation de la requérante.
β) Requête no 67474/10
109. La Cour rappelle tout d’abord que la réglementation applicable de l’ISU prévoyait la juridiction obligatoire du TAS pour les litiges résultant, comme dans le cas d’espèce, d’une procédure disciplinaire (paragraphe 50 ci‑dessus).
110. Elle relève ensuite que le Gouvernement ne conteste pas que la réglementation applicable obligeait la requérante à accepter la convention d’arbitrage afin que celle-ci pût participer aux compétitions organisées par l’ISU (paragraphe 85 ci-dessus).
111. Elle rappelle d’ailleurs que le Tribunal fédéral lui-même a admis dans sa jurisprudence relative au TAS que « l’athlète qui souhaite participer à une compétition organisée sous le contrôle d’une fédération sportive dont la réglementation prévoit le recours à l’arbitrage [n’aura] d’autre choix que d’accepter la clause arbitrale, notamment en adhérant aux statuts de la fédération sportive en question dans lesquels ladite clause a été insérée, à plus forte raison s’il s’agit d’un sportif professionnel. Il sera confronté au dilemme suivant : consentir à l’arbitrage ou pratiquer son sport en dilettante » (paragraphe 42 ci-dessus).
112. La Cour note également que la Commission européenne soupçonne l’ISU d’exercer une sorte de monopole sur l’organisation des compétitions de patinage de vitesse (paragraphe 47 ci-dessus).
113. En l’occurrence, la Cour considère que le choix qui s’offrait à la requérante n’était pas de participer à une compétition plutôt qu’à une autre, en fonction de son acceptation ou sa non-acceptation d’une clause d’arbitrage. En effet, contrairement au choix offert aux requérants des affaires Tabbane, Eiffage S.A. et autres, et Transportes Fluviais do Sado S.A. (décisions précitées) – qui avaient eu la possibilité de conclure un contrat avec un partenaire commercial plutôt qu’avec un autre –, le seul choix offert à la requérante était soit d’accepter la clause d’arbitrage et de pouvoir gagner sa vie en pratiquant sa discipline au niveau professionnel, soit de ne pas l’accepter et de devoir renoncer complètement à gagner sa vie en pratiquant sa discipline à un tel niveau.
114. Eu égard à la restriction que la non-acceptation de la clause d’arbitrage aurait apportée à la vie professionnelle de la requérante, l’on ne peut pas affirmer que cette dernière a accepté cette clause de manière libre et non équivoque.
115. La Cour en conclut que, bien qu’elle n’ait pas été imposée par la loi mais par la réglementation de l’ISU, l’acceptation de la juridiction du TAS par la requérante doit s’analyser comme un arbitrage « forcé » au sens de sa jurisprudence (voir, a contrario, Tabbane, décision précitée, § 29). Cet arbitrage devait par conséquent offrir les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 95 ci-dessus).
γ) Requête no 40575/10
116. En ce qui concerne le requérant, la Cour note que, si l’article 42 du règlement de 2001, auquel le requérant était tenu de se soumettre pour pouvoir évoluer dans un club de football professionnel, prévoyait bien le recours à l’arbitrage, le système permettant un tel recours devait être établi « sans préjudice des droits de tout joueur ou de tout club de demander réparation devant une cour civile dans des litiges opposant clubs et joueurs » (voir la partie « La réglementation pertinente de la FIFA »).
La situation du requérant est par conséquent différente de celle de la requérante, dans la mesure où la réglementation applicable de la fédération sportive concernée n’imposait pas l’arbitrage mais laissait le mode de règlement des litiges à la liberté contractuelle des clubs et des joueurs.
117. Or le requérant soutient que, en raison de l’existence d’une disparité quant au pouvoir de négociation contractuelle entre lui-même et le club Chelsea, et entre les joueurs et les clubs de football en général, son acceptation de la clause d’arbitrage n’était pas réellement libre. Il allègue, d’une part, que tous les joueurs du club Chelsea étaient obligés d’accepter la clause d’arbitrage dans leur contrat et, d’autre part, que ce genre de pratique est courant dans le monde du football professionnel, les joueurs n’ayant à ses dires pas une force de négociation suffisante pour s’y opposer.
118. Par ailleurs, le requérant estime que, pour les mêmes raisons, la possibilité pour un joueur de football de porter un litige l’opposant à son club devant un tribunal étatique sur la base de l’article 42 du règlement de 2001, évoquée par le Gouvernement, n’est qu’apparente (paragraphe 81 ci‑dessus).
119. La Cour peut accepter qu’un grand club de football, disposant de moyens financiers considérables, puisse disposer d’un pouvoir de négociation plus important qu’un simple joueur, fût-il de grande renommée. Cela étant, non seulement le requérant n’apporte pas la preuve que tous les joueurs du club Chelsea avaient été obligés d’accepter la clause d’arbitrage, mais il n’apporte pas non plus la preuve que d’autres clubs de football professionnel, disposant peut-être de moyens financiers plus modestes, auraient refusé de l’embaucher sur la base d’un contrat prévoyant le recours à une juridiction ordinaire. Au surplus, il n’apporte pas la preuve de son impossibilité à se prévaloir de l’article 42 du règlement de 2001, qui lui permettait de porter son litige devant un tribunal étatique.
120. Contrairement à la requérante, le requérant n’a donc pas démontré que le seul choix qui s’offrait à lui consistait à accepter la clause d’arbitrage et pouvoir gagner sa vie en pratiquant sa discipline au niveau professionnel, ou ne pas l’accepter et renoncer complètement à gagner sa vie en pratiquant sa discipline à un tel niveau. La Cour considère donc que l’on ne peut, dans le cas d’espèce, parler d’un arbitrage « forcé » (Tabbane, décision précitée, § 29).
121. Reste à savoir si le choix du requérant était « sans équivoque », c’est-à-dire si, en optant, même librement, pour la juridiction du TAS au lieu de celle d’un tribunal étatique, le requérant avait renoncé en toute connaissance de cause au droit à ce que son litige avec le club Chelsea fût tranché par un tribunal indépendant et impartial. À cet égard, la Cour rappelle que, dans sa décision Suovaniemi et autres (précitée), elle a considéré que le choix des requérants de se soumettre à un arbitrage était non seulement volontaire, car ils avaient librement accepté la convention d’arbitrage, mais également « sans équivoque », puisqu’ils n’avaient pas récusé, au cours de la procédure arbitrale, l’arbitre dont ils contestaient l’indépendance et l’impartialité.
122. En l’occurrence, la Cour note que, le 22 septembre 2008, s’appuyant sur l’article R34 du code de l’arbitrage, le requérant avait requis la récusation de l’arbitre choisi par le club Chelsea, Me D.‑R. M., dont il contestait l’indépendance et l’impartialité (paragraphe 15 ci-dessus). Par conséquent, à la différence de ce qui a été jugé dans l’affaire Suovaniemi et autres (déc.), précitée, l’on ne peut pas considérer que, en acceptant la clause d’arbitrage dans son contrat et en choisissant de porter l’affaire devant le TAS – et non devant un tribunal étatique, comme il y était autorisé par l’article 42 du règlement de 2001 –, le requérant avait renoncé « sans équivoque » à contester l’indépendance et l’impartialité du TAS lors d’un éventuel litige l’opposant au club Chelsea.
123. Par conséquent, dans le cas du requérant aussi, la procédure d’arbitrage devait offrir les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 95 ci-dessus).
2. Sur l’indépendance et l’impartialité du TAS
a) Les thèses des parties et les observations du tiers intervenant
i. Requête no 67474/10
α) La thèse de la requérante
124. La requérante soutient que le TAS n’est ni indépendant ni impartial. Elle indique que, selon le droit procédural applicable au TAS, les deux parties à un litige peuvent chacune nommer un arbitre de leur choix, mais qu’elles n’ont aucune influence sur la nomination du troisième arbitre chargé de présider la formation arbitrale, et que le président de la formation arbitrale est nommé par le greffe du TAS, et notamment par son secrétaire général. Elle indique aussi que le TAS est financé par les fédérations sportives et que, par conséquent, ce système de nomination implique que les arbitres désignés par le greffe du TAS sont enclins à favoriser les fédérations. La requérante soutient d’ailleurs que le président de la formation arbitrale ayant statué sur sa cause avait un préjugé contre les athlètes accusés de dopage car il avait auparavant toujours refusé d’être nommé en tant qu’arbitre par un athlète accusé de dopage, préférant toujours représenter les fédérations.
125. La requérante dit ensuite que les arbitres doivent être choisis parmi ceux présents sur la liste élaborée par le CIAS, dont la grande majorité des membres serait nommée par les fédérations. Elle estime que la composition de cette liste ne garantit donc pas une représentation équilibrée des intérêts des athlètes par rapport à ceux des fédérations. Elle estime en outre que l’obligation pour les parties de choisir leur arbitre respectif sur cette liste montre que le TAS ne constitue pas un véritable tribunal arbitral, puisque, selon elle, les parties à un arbitrage classique peuvent choisir leurs arbitres librement.
126. Par ailleurs, la requérante indique que, d’après l’article R59 du code de l’arbitrage, la sentence arbitrale est soumise avant son prononcé au secrétaire général du TAS et que celui-ci pourra lui apporter des corrections de forme mais aussi attirer l’attention de la formation arbitrale sur des questions de principe, tout en n’ayant pas siégé en tant qu’arbitre (paragraphe 23 ci‑dessus). Elle en déduit que cela illustre de manière supplémentaire le manque d’indépendance et d’impartialité du TAS – allégué par elle – eu égard à la nomination du secrétaire général du TAS par le CIAS et à la prétendue domination de ce dernier par les fédérations. Pour ce qui est de son cas particulier, la requérante se dit convaincue que le secrétaire général du TAS a exercé une influence réelle sur la sentence arbitrale, puisque le prononcé de la sentence aurait été plusieurs fois retardé par rapport aux dates annoncées.
β) La thèse du Gouvernement
127. Le Gouvernement conteste la position de la requérante sur la nomination du président de la formation arbitrale. Il indique que, selon l’article R54 du code de l’arbitrage, le président de la formation arbitrale est désigné par le président de la chambre arbitrale d’appel du TAS après consultation des arbitres nommés par les parties. Selon lui, le secrétaire général du TAS ne joue aucun rôle à cet égard, même si la lettre informant les parties de ladite nomination est signée par un membre du greffe du TAS.
Le Gouvernement ajoute que, dans la pratique, si les parties s’accordent sur le nom du président de la formation arbitrale, le président de la chambre arbitrale d’appel suit généralement leur choix.
128. En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité du président de la formation arbitrale ayant statué sur la cause de la requérante, qui, d’après celle-ci, a refusé de siéger en tant qu’arbitre dans des cas similaires et nourrit ainsi des préjugés contre les athlètes accusés de dopage, le Gouvernement indique que l’intéressée n’a pas demandé la récusation de cet arbitre, alors qu’elle en aurait eu la faculté en vertu de l’article R34 du code de l’arbitrage. Il indique en outre que, devant le Tribunal fédéral, la requérante a avancé un autre argument tenant à des déclarations précédentes que cet arbitre aurait faites quant à son adoption d’une « ligne dure » contre le dopage.
129. En ce qui concerne le choix des arbitres à partir de la liste du TAS, le Gouvernement reconnaît que cette liste est obligatoire pour les parties. Cela étant, il considère, d’une part, que cette liste évolue régulièrement et, d’autre part, que le fait que les arbitres sont choisis par le CIAS n’implique pas que ceux-ci soient favorables aux fédérations, puisque le CIAS serait lui-même composé de manière équilibrée. Le Gouvernement ajoute que les biographies des membres du CIAS montrent que ceux-ci proviennent aussi bien du monde sportif, que du monde judiciaire, que du monde de l’arbitrage international.
130. Quant au mode de financement du TAS, qui, selon la requérante, est un autre élément de la dépendance de celui-ci envers les fédérations, le Gouvernement indique qu’environ 60 % du budget du CIAS sont versés par « les différentes entités du Mouvement olympique », les 40 % restants étant versés par les utilisateurs du TAS par le biais des frais d’arbitrage. Il précise que la contribution versée par le Mouvement olympique a pour but de permettre à tous les athlètes désireux de contester une décision en matière disciplinaire de bénéficier de la gratuité des services du TAS et de son greffe, ce qui aurait d’ailleurs été le cas de la requérante.
Le Gouvernement indique également que les juridictions étatiques sont toujours financées par les États et que la Cour elle-même est financée par les États membres du Conseil de l’Europe. Selon lui, l’on ne peut en déduire un manque d’impartialité dans les litiges impliquant ces États.
131. En ce qui concerne le rôle du secrétaire général du TAS, le Gouvernement expose que, selon les dispositions des articles R46 et R59 du code de l’arbitrage, avant le prononcé de la sentence arbitrale, le secrétaire général du TAS a en effet la possibilité de proposer des rectifications de forme et d’attirer l’attention de la formation arbitrale sur des questions de principe fondamentales, notamment lorsque la sentence modifie la jurisprudence du TAS. Toutefois, les membres de la formation arbitrale resteraient libres de choisir de prendre en considération ou non les observations du secrétaire général. Il s’agirait d’une pratique courante dans le monde de l’arbitrage, attestée par l’article 31 du règlement de l’ICC.
Par ailleurs, selon le Gouvernement, les allégations de la requérante quant à la prétendue influence du secrétaire général du TAS sur la sentence la concernant ne sont pas étayées et le retard de trois jours dans le prononcé de la sentence, dont l’intéressée se plaint, était dû à une demande de prolongation de délai formée par la formation arbitrale elle-même.
ii. Requête no 40575/10
α) Les thèses des parties
132. Le Gouvernement indique d’emblée que, dans sa requête, le requérant s’est contenté d’un renvoi à son recours en matière civile devant le Tribunal fédéral du 14 septembre 2009, sans prendre position sur une éventuelle violation de l’article 6 § 1 de la Convention ni remettre en cause les conclusions du Tribunal fédéral.
133. Le Gouvernement indique ensuite que l’article 190 de la LDIP, tel qu’interprété par le Tribunal fédéral (ATF 118 II 359 consid. 3b), comprend le non-respect de la règle voulant qu’un tribunal arbitral présente des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité. Il se réfère en outre à la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle le TAS constitue un véritable tribunal arbitral qui respecte les garanties nécessaires d’indépendance et d’impartialité et dont les sentences sont assimilables aux jugements d’un tribunal étatique (par exemple, ATF 129 III 445, consid. 3.3.4), et il précise que cette jurisprudence a été réaffirmée par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 10 juin 2010 portant rejet du recours du requérant. De même, il dit que l’ordre public procédural énoncé à l’article 190 alinéa 2 lettre a) de la LDIP garantit aux parties le droit à un jugement indépendant sur les conclusions et l’exposé des faits soumis au tribunal d’une manière conforme à la procédure applicable. Il ajoute qu’il y a violation de l’ordre public procédural « lorsque des principes fondamentaux et largement reconnus ont été violés, ce qui conduit à une contradiction insupportable avec le sentiment de justice, de telle sorte que la contradiction apparaît incompatible avec les valeurs reconnues dans un État de droit ». Le Gouvernement assure que l’exigence d’indépendance et d’impartialité d’un tribunal fait partie des principes fondamentaux ressortissant de la conception suisse du droit procédural, visés par l’article 27 alinéa 2 lettre b) de la LDIP.
134. En ce qui concerne le président de la formation du TAS ayant rendu la sentence du 31 juillet 2009, qui, selon le requérant, était associé dans un cabinet d’avocats représentant les intérêts du propriétaire du club Chelsea, le Gouvernement fait observer que le requérant lui-même se dit dans l’incapacité d’apporter la preuve de cette circonstance, par ailleurs réfutée point par point par l’intéressé, et il considère que c’est donc à juste titre que le Tribunal fédéral n’a pas suivi le requérant sur ce point.
135. En ce qui concerne Me D.‑R. M., le Gouvernement se réfère aux conclusions du Tribunal fédéral (paragraphe 17 ci-dessus) selon lesquelles la circonstance que le président de la formation arbitrale ayant rendu la sentence du 31 juillet 2009 avait déjà siégé dans la formation ayant rendu la sentence du 15 décembre 2005 n’était pas de nature à faire naître des doutes quant à l’appréciation objective de son indépendance et de son impartialité, étant donné la mission circonscrite confiée à la formation ayant rendu la première sentence et le fait que l’on était en présence d’une « série de trois sentences rendues dans la même cause », « les deux premières revêtant un caractère préjudiciel par rapport à la troisième ».
136. Pour sa part, le requérant renvoie aux arguments développés dans son recours devant le Tribunal fédéral (paragraphe 16 ci-dessus).
β) Les observations du tiers intervenant
137. Le tiers intervenant soutient que le système mis en place par la loi suisse, par le biais du contrôle exercé par le Tribunal fédéral, garantit une protection suffisante quant à l’indépendance et l’impartialité des formations du TAS.
Au surplus, le tiers intervenant, suivant le Tribunal fédéral, considère : d’une part, que l’arbitre D.‑R. M. n’avait à aucun moment de la procédure donné de signes de partialité ; d’autre part, que les trois sentences arbitrales devaient être considérées comme faisant partie de la même cause, qui aurait pu être entendue par une formation unique, et que, par conséquent, il était légitime qu’un même arbitre ait pu faire partie de deux des formations les ayant rendues ; et, enfin, que les allégations du requérant quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre L. F. n’étaient pas étayées.
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
138. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 6 § 1 un « tribunal » doit toujours être « établi par la loi ». Cette expression reflète le principe de l’État de droit, inhérent à tout le système de la Convention et de ses protocoles. En effet, un organe n’ayant pas été établi conformément à la volonté du législateur serait nécessairement dépourvu de la légitimité requise dans une société démocratique pour entendre la cause des particuliers. L’expression « établi par la loi » concerne non seulement la base légale de l’existence même du tribunal, mais encore la composition du siège dans chaque affaire (Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 114, 28 novembre 2002). La « loi » visée par cette disposition est donc non seulement la législation relative à l’établissement et à la compétence des organes judiciaires, mais également toute autre disposition du droit interne dont le non-respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire.
139. Par ailleurs, la Cour rappelle qu’une autorité qui ne figure pas parmi les juridictions d’un État peut, aux fins de l’article 6 § 1, s’analyser néanmoins en un « tribunal » au sens matériel du terme (Sramek c. Autriche, no 8790/79, § 36, 22 octobre 1984). Un « tribunal » se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence (ibidem, et Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 233, CEDH 2001‑IV). La compétence de décider est inhérente à la notion même de « tribunal ». La procédure devant un « tribunal » doit assurer « la solution juridictionnelle du litige » voulue par l’article 6 § 1 (Benthem c. Pays-Bas, 23 octobre 1985, § 40, série A no 97). Aux fins de l’article 6 § 1, un tribunal ne doit pas nécessairement être une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires. Il peut avoir été institué pour connaître de questions relevant d’un domaine particulier dont il est possible de débattre de manière adéquate en dehors du système judiciaire ordinaire (Rolf Gustafson c. Suède, 1er juillet 1997, § 45, Recueil 1997‑IV). En outre, seul mérite l’appellation de « tribunal » au sens de l’article 6 § 1 un organe jouissant de la plénitude de juridiction et répondant à une série d’exigences telles que l’indépendance à l’égard de l’exécutif comme des parties en cause (Beaumartin c. France, 24 novembre 1994, § 38, série A no 296‑B, et Di Giovanni c. Italie, no 51160/06, § 52, 9 juillet 2013).
140. Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil 1997-I, et Brudnicka et autres c. Pologne, no 54723/00, § 38, CEDH 2005-II).
141. L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel en telle occasion, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Fey c. Autriche, 24 février 1993, §§ 27‑28 et 30, série A no 255-A, et Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 42, CEDH 2000‑XII).
142. La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective) mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 119, CEDH 2005‑XIII). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante de plus (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996-III).
143. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables (Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 106, CEDH 2013, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 78, CEDH 2015).
144. Enfin, les concepts d’indépendance et d’impartialité objective sont étroitement liés et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 62, CEDH 2006‑XIII).
ii. Application de ces principes aux cas d’espèce
145. Comme la Cour l’a rappelé plus haut (paragraphes 91-94 ci‑dessus), l’article 6 de la Convention ne s’oppose pas à ce que des tribunaux arbitraux soient créés afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers (Suda, précité, § 48), les clauses contractuelles d’arbitrage présentant pour les intéressés comme pour l’administration de la justice des avantages indéniables (Tabbane, décision précitée, § 25). Les parties à un litige peuvent renoncer à certains droits garantis par l’article 6 § 1 pour autant que cette renonciation est libre, licite et sans équivoque. Dans le cas contraire, le tribunal arbitral doit offrir les garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention (Suda, précité, § 49).
146. La Cour admet qu’en matière d’arbitrage commercial et d’arbitrage sportif consenti de manière libre, licite et non équivoque les notions d’indépendance et d’impartialité pourraient être interprétées avec souplesse, dans la mesure où l’essence même du système arbitral repose sur la nomination des instances décisionnelles, ou du moins d’une partie d’entre elles, par les parties au litige.
147. Or, dans la présente affaire, la Cour a conclu que la renonciation aux droits garantis par l’article 6 § 1 de la part de la requérante n’avait pas été libre et « sans équivoque » (paragraphe 114 ci-dessus), que la renonciation de la part du requérant n’avait pas été « sans équivoque » (paragraphe 122 ci-dessus) et que, par conséquent, les procédures d’arbitrage qui concernaient les intéressés devaient offrir l’ensemble des garanties de l’article 6 § 1.
148. La Cour doit donc rechercher si le TAS pouvait passer pour un tribunal « indépendant et impartial, établi par la loi » au sens de cette disposition et des principes énoncés aux paragraphes 138 à 144 ci-dessus, au moment où il a statué sur les causes respectives des requérants.
149. Elle relève, à cet égard, que, même si le TAS était l’émanation d’une fondation de droit privé (voir, cependant, Suda, précité, § 53), il bénéficiait de la plénitude de juridiction pour connaître, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, de toute question de fait et de droit qui était soumise dans le cadre des litiges dont il était saisi (Chypre, précité, § 233, et Sramek, précité, § 36). Ses sentences apportaient une solution de type juridictionnel à ces litiges et pouvaient faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral dans les circonstances limitativement énumérées aux articles 190 à 192 de la LDIP.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence constante, considérait les sentences rendues par le TAS comme de « véritables jugements, assimilables à ceux d’un tribunal étatique » (paragraphe 23 ci‑dessus).
Au moment de statuer sur les causes respectives des requérants, par le jeu combiné de la LDIP et de la jurisprudence du Tribunal fédéral, le TAS avait donc les apparences d’un « tribunal établi par la loi » au sens de l’article 6 § 1, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté explicitement par les requérants. Reste à savoir s’il pouvait passer pour « indépendant » et « impartial » au sens de la même disposition.
α) Requête no 67474/10
150. La requérante soutient en premier lieu que le président de la formation arbitrale ayant statué sur sa cause avait auparavant toujours refusé d’être nommé en tant qu’arbitre par un athlète accusé de dopage, préférant toujours représenter les fédérations sportives. Elle en déduit un préjugé de cet arbitre à l’encontre des athlètes accusés de dopage et donc un manque d’impartialité.
La Cour note que, devant le Tribunal fédéral, la requérante avait utilisé un autre argument pour tenter de démontrer le manque d’impartialité du président de la chambre arbitrale. Elle avait soutenu que, par le passé, celui‑ci avait représenté la « ligne dure » de la lutte contre le dopage (paragraphe 23 ci‑dessus).
Quoi qu’il en soit, comme le Tribunal fédéral, la Cour n’aperçoit aucun élément factuel susceptible de mettre en doute l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre en question. Les allégations de la requérante en ce sens sont trop vagues et hypothétiques et doivent par conséquent être rejetées.
151. En ce qui concerne le financement du TAS par les instances sportives, comme le Gouvernement (paragraphe 130 ci-dessus), la Cour relève que les juridictions étatiques sont toujours financées par le budget de l’État et considère qu’on ne peut pas déduire de cette circonstance un manque d’indépendance et d’impartialité de ces juridictions dans les litiges opposant des justiciables à l’État. Par analogie, on ne saurait déduire un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS en raison exclusivement de son mode de financement.
152. La Cour prend également note de la position de la requérante, qui soutient que le TAS ne peut être considéré comme un tribunal indépendant et impartial en raison d’un problème structurel tenant à un déséquilibre entre les fédérations et les athlètes dans le mécanisme de nomination des arbitres.
153. La Cour rappelle qu’à l’époque des faits, en vertu de l’article S14 du code de l’arbitrage, la liste des arbitres du TAS était établie par le CIAS et devait être composée de la manière suivante: pour trois cinquièmes, d’arbitres sélectionnés parmi les personnes proposées par le CIO, les FI et les CNO, choisis en leur sein ou en dehors ; pour un cinquième, d’arbitres choisis par le CIAS « après des consultations appropriées, en vue de sauvegarder les intérêts des athlètes » ; et, pour un cinquième, d’arbitres choisis, toujours par le CIAS, parmi des « personnes indépendantes » des organismes susmentionnés (paragraphe 33 ci-dessus). Le CIAS n’était donc tenu de choisir qu’un cinquième des arbitres parmi des personnalités indépendantes des instances sportives susceptibles de s’opposer aux athlètes dans le cadre de litiges portés devant le TAS. La Cour note d’ailleurs que ce mécanisme de nomination par cinquièmes a été supprimé en 2012 et remplacé par une formulation plus générale (paragraphe 38 ci-dessus).
154. En outre, la Cour relève que même la nomination du cinquième d’arbitres indépendants à l’égard des instances sportives se faisait à la discrétion du CIAS. Or le CIAS était lui-même composé en totalité par des personnalités issues de ces instances (paragraphe 32 ci-dessus), ce qui révèle l’existence d’un certain lien entre le CIAS et des organisations susceptibles de s’opposer aux athlètes lors d’éventuels litiges portés devant le TAS, notamment d’ordre disciplinaire.
155. De surcroît, d’une part, les arbitres étaient nommés pour un mandat de quatre ans renouvelable, sans limitation du nombre de mandats, et d’autre part, le CIAS avait le pouvoir de révoquer, par une décision « sommairement motivée » sur la base de l’article R35 du code de l’arbitrage, tout arbitre refusant ou étant empêché d’exercer ses fonctions, ou bien ne remplissant pas ses fonctions conformément aux dispositions du même code (voir, a contrario et mutatis mutandis, Di Giovanni, précité, § 57, et Luka c. Roumanie, no 34197/02, § 44, 21 juillet 2009).
156. En l’espèce, la formation arbitrale ayant statué sur le litige opposant la requérante à l’ISU était composée de trois arbitres, tous choisis à partir de la liste établie par le CIAS, selon les modalités qui viennent d’être décrites, et soumis au pouvoir de révocation de ce dernier. Même la faculté laissée à la requérante de nommer l’arbitre de son choix était limitée par l’obligation de recourir à cette liste (articles R33, R38 et R39 du code de l’arbitrage), de sorte que la requérante ne disposait pas d’une totale liberté de choix – alors que pareille liberté est la règle, par exemple, en matière d’arbitrage commercial, en vertu de l’article 12 du règlement de l’ICC.
157. Cela étant, la Cour note que la liste des arbitres établie par le CIAS comportait, à l’époque des faits, quelque 300 arbitres (paragraphe 37 ci‑dessus). Or la requérante n’a pas présenté d’éléments factuels permettant de douter en général de l’indépendance et de l’impartialité de ces arbitres. Même en ce qui concerne la formation arbitrale ayant statué sur sa cause, la requérante n’a contesté in concreto qu’un seul arbitre, en l’occurrence le président de la formation arbitrale, sans par ailleurs étayer ses allégations (paragraphe 150 ci-dessus).
Si la Cour est prête à reconnaître que les organisations susceptibles de s’opposer aux athlètes dans le cadre de litiges portés devant le TAS exerçaient une réelle influence dans le mécanisme de nomination des arbitres en vigueur à l’époque des faits, elle ne peut pas conclure que, du seul fait de cette influence, la liste des arbitres était composée, ne serait-ce qu’en majorité, d’arbitres ne pouvant pas passer pour indépendants et impartiaux, à titre individuel, objectivement ou subjectivement, vis-à-vis de ces organisations.
La Cour ne voit donc pas de motifs suffisants pour s’écarter de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, selon laquelle le système de la liste d’arbitres satisfait aux exigences constitutionnelles d’indépendance et d’impartialité applicables aux tribunaux arbitraux et le TAS, lorsqu’il fonctionne comme instance d’appel extérieure aux fédérations internationales, s’apparente à une autorité judiciaire indépendante des parties (paragraphe 44 ci-dessus).
158. Pour ce qui est du pouvoir du secrétaire général du TAS d’apporter des modifications de forme à la sentence arbitrale et d’attirer l’attention de la formation arbitrale, après les délibérations, sur des questions de principe, qui, selon la requérante, constitue une illustration de plus du manque d’indépendance et d’impartialité du TAS vis-à-vis des instances sportives, la Cour note que la requérante n’a pas apporté la preuve que la sentence du 25 novembre 2009 a été modifiée par l’intervention du secrétaire général du TAS, a fortiori dans un sens qui lui aurait été défavorable.
La Cour n’aperçoit donc aucune raison de s’écarter des conclusions du Tribunal fédéral, qui, dans son arrêt du 10 février 2010, a jugé ces allégations comme une pure spéculation ne reposant sur aucun fait établi (paragraphe 23 ci-dessus).
159. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’un prétendu manque d’indépendance et d’impartialité du TAS.
β) Requête no 40575/10
160. La Cour observe que la situation du requérant est différente de celle de la requérante. D’une part, le requérant a librement choisi de recourir au TAS plutôt qu’à un tribunal étatique, alors que, contrairement à la requérante, il en avait la possibilité (paragraphes 116 à 123 ci-dessus). D’autre part, il ne se plaint pas d’un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS en raison d’un problème structurel tenant au mécanisme de nomination des arbitres. Il se plaint uniquement d’un manque d’indépendance et d’impartialité, à titre individuel, de deux arbitres ayant composé la formation arbitrale qui a rendu la sentence du 31 juillet 2009.
‑ En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre D.‑R. M.
161. La question qui se pose est celle de savoir si le fait que Me D.‑R. M. avait déjà siégé dans la formation ayant rendu la sentence du 15 décembre 2005 a pu légitimement donner à craindre de la part de celui-ci un parti pris quant à la sentence rendue le 31 juillet 2009.
162. Pour se prononcer sur l’existence d’une raison légitime de douter de l’impartialité de cet arbitre, le point essentiel est de savoir si les questions que celui-ci avait traitées dans la sentence du 31 juillet 2009 étaient analogues à celles sur lesquelles il avait eu à statuer dans la sentence du 15 décembre 2005 (voir, mutatis mutandis, Morel c. France, no 34130/96, § 47, CEDH 2000‑VI). Pour qu’un préjugé ait pu se créer, il faut, d’une part, que l’arbitre mis en cause ait eu successivement à connaître de faits identiques et, d’autre part, qu’il ait eu à répondre à la même question ou, du moins, que l’écart entre les questions qu’il a eu à trancher ait été infime (voir, mutatis mutandis, Liga Portuguesa de Futebol Profissional c. Portugal, no 4687/11, § 69, 17 mai 2016).
163. La Cour note que la question tranchée par la première sentence arbitrale était celle de l’interprétation des termes « unilateral breach » de l’article 21 du règlement de 2001, et que celle tranchée par la sentence du 31 juillet 2009 était en revanche liée à la correcte application de l’article 22 du règlement de 2001 par la CRL dans sa décision du 7 mai 2008 relative aux dommages-intérêts que le requérant devait verser au club Chelsea.
164. Par conséquent, comme le Tribunal fédéral l’a, à juste titre, relevé, bien que les faits générateurs de la cause soient les mêmes, les questions juridiques tranchées par les deux formations arbitrales sont à l’évidence nettement distinctes, la première portant sur la responsabilité contractuelle du requérant, la deuxième sur le quantum des dommages-intérêts devant être versés à la partie lésée.
165. Dès lors, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’un défaut d’impartialité de l’arbitre D.‑R. M.
‑ En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre L. F.
166. Selon le requérant, l’arbitre L. F. était associé dans un cabinet d’avocats représentant les intérêts du propriétaire du club Chelsea et il ne pouvait donc pas passer pour indépendant et impartial envers ce club.
167. La Cour note que, par un arrêt longuement motivé et ne révélant aucune trace d’arbitraire, le Tribunal fédéral a conclu que le requérant n’avait pas apporté la preuve de ses allégations. Le requérant l’a d’ailleurs reconnu lui-même devant cette haute juridiction, et il ne soutient pas le contraire devant la Cour.
168. La Cour n’aperçoit donc aucune raison sérieuse de substituer son propre avis à celui du Tribunal fédéral sur ce point et conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’un défaut d’impartialité de l’arbitre L. F.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DE L’ABSENCE D’AUDIENCE PUBLIQUE
169. La requérante se plaint de n’avoir bénéficié d’une audience publique ni devant la commission disciplinaire de l’ISU, ni devant le TAS, ni devant le Tribunal fédéral, malgré ses demandes explicites en ce sens. Elle indique que l’exigence de publicité des débats est l’une des garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention, que les États peuvent déroger à celle-ci uniquement dans les conditions expressément énumérées par cette disposition et que, en l’occurrence, pareilles conditions n’étaient pas réunies.
A. Sur l’absence d’audience publique devant le TAS
1. Sur la recevabilité
170. La Cour rappelle ses conclusions quant à sa compétence ratione personae (paragraphe 67 ci-dessus).
171. Constatant par ailleurs que cette partie de la requête no 67474/10 n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare par conséquent recevable.
2. Sur le fond
172. À titre liminaire, la Cour rappelle sa conclusion quant au caractère forcé de l’arbitrage auquel la requérante était partie (paragraphe 115 ci‑dessus).
a) Les thèses des parties
173. La requérante expose que, pour statuer sur sa cause, le TAS a tenu deux jours d’audiences et qu’au cours de celles-ci de nombreux experts ont été entendus sur des questions scientifiques complexes. Elle soutient à cet égard que les thèses des experts cités par elle ont été rejetées de manière non objective et sur un ton moqueur, et que cela n’aurait pas le cas si le TAS avait autorisé la présence du public.
174. Le Gouvernement estime, sans autres précisions, que, l’article 6 § 1 n’étant pas directement applicable aux procédures devant le TAS, ce dernier ne pouvait être tenu de statuer sur la base d’une audience publique.
b) L’appréciation de la Cour
i. Principes généraux
175. La Cour rappelle que la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Cette publicité protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique (Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 33, série A no 325‑A, B. et P. c. Royaume-Uni, nos 36337/97 et 35974/97, § 36, CEDH 2001‑III, Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 70, 5 février 2009, Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 39, CEDH 2006‑VI, et Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 67, 17 décembre 2013).
176. L’article 6 § 1 ne fait cependant pas obstacle à ce que les juridictions décident, au vu des particularités de la cause soumise à leur examen, de déroger à ce principe : aux termes mêmes de cette disposition, « (...) l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice » ; le huis clos, qu’il soit total ou partiel, doit alors être strictement commandé par les circonstances de l’affaire (Diennet, § 34, Martinie, § 40, Olujić, § 71, et Nikolova et Vandova, § 68, précités).
177. L’article 6 n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Cela est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (voir, par exemple, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003, et Şahin Karakoç c. Turquie, no 19462/04, § 36, 29 avril 2008). Partant, la Cour ne saurait conclure, même dans l’hypothèse d’une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). La Cour a ainsi déjà considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques pouvaient remplir les conditions de l’article 6 même en l’absence de débats publics (Jurisic et Collegium Mehrerau c. Autriche, no 62539/00, § 65, 27 juillet 2006, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 30‑31, 28 février 2012).
ii. Application de ces principes au cas d’espèce
178. La Cour rappelle que, dans son arrêt du 10 février 2010, le Tribunal fédéral s’est limité à juger que la requérante ne pouvait pas invoquer un quelconque droit à une audience publique devant le TAS, tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, car cette disposition n’était pas applicable aux procédures d’arbitrage volontaire. Le Tribunal fédéral a toutefois souligné que, compte tenu de l’importance du TAS en matière de sport, la tenue d’une telle audience aurait été « souhaitable » (paragraphe 23 ci‑dessus).
179. La Cour rappelle en outre que les principes relatifs à la publicité des audiences en matière civile, tels qu’ils ont été décrits ci-dessus, valent non seulement pour les tribunaux ordinaires mais également pour les juridictions ordinales statuant en matière disciplinaire ou déontologique (Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 43, Recueil 1998‑III).
180. Cela étant, la Cour a déjà jugé que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 § 1 n’empêchaient une personne de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, à l’exercice du droit à la publicité des débats (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A).
181. Or cela n’est pas le cas en l’occurrence. D’une part, comme la Cour l’a reconnu plus haut, il s’agit d’un arbitrage forcé. D’autre part, il n’est pas contesté que la requérante avait expressément demandé la tenue d’une audience publique et que celle-ci lui a été refusée sans qu’aucune des conditions énumérées à l’article 6 § 1 fût remplie.
182. La Cour considère que les questions débattues dans le cadre de la procédure litigieuse – qui étaient relatives au point de savoir si c’était à juste titre que la requérante avait été sanctionnée pour dopage, et pour la résolution desquelles le TAS a été amené à entendre de nombreux experts – nécessitaient la tenue d’une audience sous le contrôle du public. En effet, la Cour observe qu’il y avait une controverse sur les faits et que la sanction infligée à la requérante avait un caractère infamant, étant susceptible de porter préjudice à son honorabilité professionnelle et à son crédit (voir, mutatis mutandis, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 122, 4 mars 2014). D’ailleurs, malgré sa conclusion quelque peu formaliste, le Tribunal fédéral lui-même, dans son arrêt du 10 février 2010, a expressément reconnu au travers d’un obiter dictum qu’une audience publique devant le TAS aurait été souhaitable.
183. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la non-publicité des débats devant le TAS.
184. Cette conclusion la dispense d’examiner le grief de la requérante quant à l’absence d’audience devant la commission disciplinaire de l’ISU, dont le TAS était l’organe de recours disposant de la plénitude de juridiction (paragraphe 169 ci-dessus).
B. Sur l’absence d’audience publique devant le Tribunal fédéral
185. La Cour rappelle que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques peuvent remplir les conditions de l’article 6 de la Convention même en l’absence de débats publics (Jurisic et Collegium Mehrerau, précité, § 65, et Mehmet Emin Şimşek, précité, §§ 30-31).
186. En l’occurrence, elle note que, dans son arrêt du 10 février 2010, le Tribunal fédéral a rejeté la demande de tenue d’une audience publique formulée par la requérante en rappelant que, d’après la LTF, les audiences publiques n’étaient tenues que dans des cas exceptionnels ou lorsque lui‑même entendait statuer sur le fond de l’affaire qui lui était soumise « en se fondant sur ses propres constatations factuelles ».
187. Dans le cas d’espèce, l’objet du litige devant le Tribunal fédéral portait uniquement sur les garanties procédurales applicables au TAS. Il s’agissait donc de questions juridiques hautement techniques qui ne comportaient aucun examen de faits éventuellement susceptible d’exiger la tenue d’une audience publique. La Cour est convaincue que ce type de litige peut être valablement résolu sans le recours à une audience publique (voir, mutatis mutandis, Döry, précité, § 37, et Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, § 58, série A no 263).
188. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
189. Invoquant les articles 4 § 1 et 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaint de la somme qu’il a été condamné à verser au club Chelsea.
190. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant que les griefs du requérant tirés des articles 4 § 1 et 8 de la Convention relèvent de sa compétence, la Cour estime que ces griefs ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles. Dès lors, ces griefs doivent être déclarés irrecevables, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
191. Par ailleurs, la Cour relève que la Suisse n’a pas ratifié le Protocole no 1 à la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête no 40575/10 est incompatible ratione personae (Ocelot S.A. c. Suisse (déc.), no 20873/92, 25 mai 1997) et qu’elle doit également être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
192. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
193. Au titre de la satisfaction équitable, la requérante réclame la somme de 3 584 126,09 euros (EUR), assortie d’intérêts, pour dommage matériel et la somme de 400 000 EUR pour dommage moral. Pour la ventilation du montant du préjudice matériel, elle renvoie aux conclusions qu’elle avait déposées dans le cadre de la procédure civile engagée contre l’ISU devant les juridictions allemandes.
Dans ses observations, que la Cour a reçues avant la fin de la procédure devant les juridictions allemandes (paragraphes 24 et 25 ci-dessus), le Gouvernement indique que, au moment de la présentation des observations de la requérante, la procédure devant lesdites juridictions était encore pendante. Il considère que la référence à cette procédure ne constitue pas une demande de satisfaction équitable au sens de la Convention et qu’il convient par conséquent de la rejeter.
194. En ce qui concerne le préjudice matériel, la Cour n’aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué par la requérante (Gajtani c. Suisse, no 43730/07, § 125, 9 septembre 2014). En effet, rien ne permet de dire que, si la sentence arbitrale avait été prononcée par un tribunal arbitral ayant statué en audience publique, les conclusions de ce tribunal arbitral auraient été favorables à la requérante.
195. En ce qui concerne le préjudice moral, statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer 8 000 EUR à la requérante, pour la violation constatée dans le chef de celle-ci.
B. Frais et dépens
196. La requérante n’a pas formulé de demande spécifique à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables quant aux griefs tirés d’un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS ainsi que de l’absence d’une audience publique devant le TAS, et irrecevables pour le surplus ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant aux griefs des requérants tirés de l’indépendance et l’impartialité du TAS ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans le chef de la requérante à raison de l’absence d’une audience publique devant le TAS ;
4. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, par cinq voix contre deux, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Fatoş AracıHelena Jäderblom
Greffière adjointePrésidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Keller et Serghides.
H.J.
F.A.
OPINION COMMUNE EN PARTIE DISSIDENTE, EN PARTIE CONCORDANTE DES JUGES KELLER ET SERGHIDES
1. Pour les raisons énoncées aux paragraphes 175 à 183 de l’arrêt, nous avons voté avec la majorité en faveur du constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence d’audience publique devant le TAS.
2. Toutefois, nous présentons cette opinion séparée afin d’exprimer notre désaccord avec le raisonnement de la majorité tenant à deux aspects cruciaux. En effet, nous estimons, d’une part, que la structure ainsi que la composition du TAS ne satisfont pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité prévues à l’article 6 § 1 de la Convention et, d’autre part, qu’il n’est pas certain que le TAS soit un tribunal « établi par la loi ».
3. De plus, nous souhaitons expliquer pourquoi le fait que M. Mutu a renoncé à ses droits consacrés à l’article 6 § 1 de la Convention n’aurait pas dû être pris en compte par la majorité pour rejeter le grief de l’intéressé concernant l’impartialité de deux des trois arbitres ayant statué sur son cas.
4. Enfin et surtout, il convient de noter que cette affaire soulève de nouvelles questions importantes. En effet, il n’est pas évident qu’un litige ayant opposé un athlète à la fédération sportive dont il est membre puisse relever de la juridiction de la Cour. De plus, la Cour doit se pencher pour la première fois sur les règles gouvernant l’arbitrage sportif, un domaine juridique auquel le public est de plus en plus sensible. Il découle de ce qui précède que cette « affaire soulève [plusieurs questions] grave[s] relative[s] à l’interprétation ou à l’application de la Convention (...) ou encore une question grave de caractère général » au sens de l’article 43 § 2 de la Convention.
I. Le manque d’indépendance et d’impartialité du TAS
5. Nous avons voté contre la majorité dans la mesure où nous estimons que les griefs relatifs aux défauts d’indépendance et d’impartialité du TAS soulevés par Mme Pechstein auraient dû être accueillis par la Cour (paragraphe 157 de l’arrêt). En effet, à notre avis, la structure du TAS ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et d’impartialité prévues à l’article 6 § 1 de la Convention.
6. C’est avant tout et surtout le paragraphe 157 de l’arrêt qui soulève, à nos yeux, plusieurs problèmes. D’une part, la majorité constate que Mme Pechstein n’a contesté la nomination que d’un seul arbitre, celle du président du tribunal arbitral (paragraphe 157 de l’arrêt). D’autre part, elle note ce qui suit :
« Si la Cour est prête à reconnaître que les organisations susceptibles de s’opposer aux athlètes dans le cadre de litiges portés devant le TAS exerçaient une réelle influence dans le mécanisme de nomination des arbitres en vigueur à l’époque des faits, elle ne peut pas conclure que, du seul fait de cette influence, la liste des arbitres était composée, ne serait-ce qu’en majorité, d’arbitres ne pouvant pas passer pour indépendants et impartiaux, à titre individuel, objectivement ou subjectivement, vis-à-vis de ces organisations ».
7. La majorité semble reconnaître l’ « influence » que le CIAS exerce sur la procédure de sélection des arbitres, mais en même temps elle ne considère pas que cette « influence » ait pu avoir un impact sur l’indépendance et/ou l’impartialité des arbitres qui figurent sur la liste à partir de laquelle les formations arbitrales sont composées. De plus, la majorité ne parvient pas à la conclusion que cette « influence » ait pu avoir un impact sur les arbitres qui ont tranché le litige dans la présente espèce. À notre avis, la majorité n’aurait pas dû se contenter de justifier un tel raisonnement en faisant une simple référence à un arrêt du Tribunal fédéral, qui s’était notamment exprimé ainsi : « depuis la réforme de 1994, le système de la liste d’arbitres satisfait aujourd’hui aux exigences constitutionnelles d’indépendance et d’impartialité applicables aux tribunaux arbitraux » (paragraphes 44 et 157 de l’arrêt). En effet, la Cour procède à une interprétation autonome des notions contestées.
8. Toutefois, la majorité semble s’appuyer sur trois de nos prémisses. Premièrement, les organisations qui nomment les arbitres (les Fédérations Internationales (FI), le Comité International Olympique (CIO) et les Comités Nationaux Olympiques (CNO)) représentent toutes une partie à l’arbitrage ; en effet, elles représentent les instances sportives et non les athlètes. La majorité elle-même constate que ces organisations sont « susceptibles de s’opposer aux athlètes lors d’éventuels litiges portés devant le TAS » (paragraphe 154 de l’arrêt). Ainsi, la majorité concède qu’il y a divergence d’intérêts entre les organisations d’une part et les athlètes d’autre part.
9. Deuxièmement, la majorité des membres du CIAS et du TAS sont des représentants de ces organisations. Quant au CIAS, douze (c’est-à-dire trois cinquièmes) de ses membres sont nommés par les organisations. Quatre membres additionnels (donc un cinquième de ses membres) sont élus par les douze membres désignés par les organisations. Ces seize membres élisent, à leur tour, les quatre membres restants. Il découle de ce qui précède que les organisations exercent une influence non négligeable sur la composition du CIAS (paragraphes 32, 153 et 154 de l’arrêt).
10. Quant au TAS, à l’époque des faits, le CIAS élisait trois cinquièmes de ses membres sur la base d’une liste, qui lui était directement soumise par les organisations (les mêmes organisations qui ont une influence considérable sur la composition du CIAS). Les deux cinquièmes restants des membres du TAS soit étaient chargés de représenter les intérêts des athlètes (un cinquième) soit étaient des experts indépendants (un cinquième). Un cinquième seulement des membres du TAS pouvait donc passer, au mieux, pour indépendant vis-à-vis de ces organisations, les individus composant ce cinquième étant de surcroît choisis par le CIAS, un organe qui est sous l’influence des organisations précitées. Cette situation remet en cause non seulement l’indépendance et l’impartialité des experts indépendants nommés par le CIAS, mais aussi celles des individus chargés de représenter les intérêts des athlètes. Ce mécanisme de nomination par cinquièmes a d’ailleurs été supprimé en 2012 et remplacé par une formulation plus générale : le CIAS doit désormais « faire appel à des personnalités (...) dont les noms et qualifications sont portés à son attention, notamment par le CIO, les FI et les CNO » (paragraphe 38 de l’arrêt). En d’autres termes, aucune règle ne prévoit aujourd’hui que les athlètes doivent être représentés, ne serait-ce que par un cinquième des membres du CIAS.
11. Enfin, le système de sélection des arbitres procure une « influence » disproportionnée et injustifiée aux organisations (directement et indirectement par le biais du CIAS) sur la procédure de sélection des arbitres, qui sont chargés de trancher les différends entre les organisations et les athlètes. En d’autres termes, ce système de sélection « révèle l’existence d’un certain lien entre le CIAS et des organisations susceptibles de s’opposer aux athlètes lors d’éventuels litiges portés devant le TAS, notamment d’ordre disciplinaire » (voir paragraphe 154 de l’arrêt et, mutatis mutandis, Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, nos 21257/93 et 3 autres, § 59, Recueil des arrêts et décisions 1998-III). Un lien que, pour utiliser le terme exact de l’arrêt Gautrin précité, nous considérons comme « troublant ».
12. Nous estimons pour notre part que la majorité n’a pas su tirer les conclusions nécessaires des trois prémisses décrites ci-dessus. La majorité semble exiger que cette « influence » soit prouvée « à titre individuel », c’est-à-dire pour chaque arbitre siégeant au sein d’une formation arbitrale ou pour une majorité d’individus, qui figurent sur la liste sur la base de laquelle les arbitres sont choisis (paragraphe 157 de l’arrêt). À notre avis, imposer une telle exigence va au-delà de ce que la Cour exige dans les cas d’ « impartialité objective » et d’ « indépendance ».
13. En vertu de la jurisprudence constante de la Cour, il ne suffit pas que les arbitres soient impartiaux à titre individuel si la structure générale de l’organisation est dépourvue de l’apparence d’indépendance et d’impartialité. Pour déterminer si un tribunal est « indépendant », la Cour « a (...) égard au mode de désignation et à la durée du mandat des membres (...), à l’existence de garanties contre des pressions extérieures (...) et au point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (...) » (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, nos 7819/77 et 7878/77, § 78, série A no 80). Lorsque la Cour procède à cette analyse, elle ne doit donc pas nécessairement se pencher sur la question de savoir si un juge en particulier était partial ou dépourvu d’indépendance. Ainsi, si elle était amenée à analyser la composition des conseils de prud’hommes ou celle des tribunaux des baux et loyers, elle veillerait toujours à ce que la composition soit équilibrée. Elle n’accepterait pas un conseil de prud’hommes composé (presque) exclusivement de représentants des employeurs, et ceci même si le représentant dans le cas d’espèce était impartial. À notre avis, rien ne justifie que la Cour n’applique pas ce raisonnement mutatis mutandis en l’espèce.
14. En raison de la manière dont les membres du TAS et du CIAS sont nommés, nous estimons, comme la majorité, que ces deux organes sont sous l’influence des organisations. Toutefois, nous considérons que cette influence indirecte des organisations est considérable. D’abord, le CIAS contrôle la stabilité des membres du TAS, c’est-à-dire que même si ces membres sont nommés pour un mandat de quatre ans, ils peuvent être révoqués à tout moment par le CIAS sur la base d’une décision « sommairement motivée » (paragraphe 155 de l’arrêt). De plus, les présidents des deux chambres du TAS sont également membres du CIAS. Si les parties n’arrivent pas à se mettre d’accord, il leur incombe de nommer les présidents des formations arbitrales. Troisièmement, le système dit des « listes fermées » a pour conséquence que les athlètes sont obligés de choisir leur arbitre parmi les personnes sélectionnées par le CIAS. L’argument avancé par le Tribunal fédéral selon lequel « le système [de liste ouverte] comporte le risque qu’il y ait, au sein du tribunal, un ou plusieurs arbitres non spécialisés et enclins à agir comme s’ils étaient les avocats des parties qui les ont désignés » (paragraphe 44 de l’arrêt) ne convainc pas. En effet, dans des domaines beaucoup plus techniques – tels que l’industrie pharmaceutique ou aéronautique – les parties peuvent choisir leur arbitre en toute liberté sans que cela ne pose problème.
15. Contrairement à la majorité, nous estimons qu’il résulte de ces observations que le TAS est dépourvu de l’apparence d’indépendance et que, plus généralement parlant, il n’offre pas les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention. Ce manque d’indépendance était d’ailleurs explicitement reconnu dans le texte même de l’article S14 du code de l’arbitrage, en vigueur à l’époque des faits, qui soulignait que seulement « 1/5e des arbitres [devaient être] choisis parmi des personnes indépendantes des organismes chargés de proposer des arbitres conformément au présent article ») et constitue un problème fondamental de cette institution. À notre avis, la Cour aurait dû procéder à une analyse plus approfondie quant à la crainte légitime des athlètes de se soumettre à la juridiction d’un organisme dépourvu de l’apparence d’indépendance. En effet, comme elle a déjà pu le juger dans d’autres affaires, « l’optique du requérant entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiables » (voir Pescador Valero c. Espagne, 17 juin 2003, no 62435/00, § 23, Recueil 2003-VII, et, dans le même sens, De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, no 9186/80, § 30, série A no 86). Compte tenu de ce qui précède, les appréhensions de la requérante semblent « objectivement justifiables ». Dès lors, la requérante n’aurait pas dû être tenue de prouver la partialité et le manque d’indépendance des arbitres ayant statué sur son cas.
16. Eu égard aux problèmes structurels du TAS, nous avons voté en faveur du constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans le cas de Mme Pechstein, non seulement en raison de l’absence d’audience publique mais aussi en raison de la partialité et du défaut d’indépendance du TAS.
17. Nous partageons l’avis de nos collègues dans le cas de M. Mutu dans la mesure où celui-ci, contrairement à Mme Pechstein, n’a pas soulevé ce grief devant les autorités nationales ni devant cette Cour. De plus, nous sommes d’accord avec la majorité dans la mesure où celle-ci rejette le grief du requérant quant à la partialité de deux des trois arbitres qui ont statué sur son cas (paragraphes 160 à 168 de l’arrêt).
II. Le TAS, un tribunal « établi par la loi » ?
18. Lorsqu’un organe a autant de pouvoir que le TAS, qu’il est capable et prêt à déterminer les droits et obligations à caractère civil de ses membres (dans le cas d’espèce, les athlètes) et que ses décisions sont revêtues de la formule exécutoire, la Cour doit d’abord s’assurer qu’un tel organe est un tribunal « établi par la loi » tel que l’entend l’article 6 de la Convention, avant de déterminer s’il est indépendant et impartial ou non.
19. Dès lors, la majorité aurait d’abord dû se pencher sur la question de savoir si le TAS était un tribunal « établi par la loi » avant de conclure qu’il était en effet indépendant et impartial.
20. Dans de nombreux arrêts et décisions, la Cour a reconnu la légalité de l’arbitrage volontaire au sens de l’article 6 de la Convention. Dans ces affaires, la question de l’interprétation du critère « établi par la loi » ne s’est pas posée étant donné que les requérants respectifs avaient renoncé à leur droit d’accès à un tribunal étatique établi par la loi (voir, par exemple, Deweer c. Belgique, 27 février 1980, no 6903/75, § 49, série A no 35, Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, nos 9006/80 et 6 autres, §§ 29, 200 et 201, série A no 102, Pastore c. Italie (déc.), no 46483/99, 25 mai 1999, Eiffage S.A. et autres c. Suisse (déc.), no 1742/05, 15 septembre 2009, et Tabbane c. Suisse (déc.), no 41069/12, 1er mars 2016, §§ 30-31).
21. En revanche, dans l’affaire Suda c. République tchèque (28 octobre 2010, no 1643/06, § 53) le requérant n’avait pas librement décidé de soumettre sa requête à un tribunal arbitral. Dans cette affaire, la Cour a considéré que le tribunal arbitral n’avait pas été « établi par la loi » étant donné, d’une part, qu’il avait été constitué d’arbitres qui figuraient sur une liste établie par une société à responsabilité limitée et, d’autre part, qu’il se fondait sur une clause compromissoire.
22. Le TAS est une institution d’arbitrage non dotée de la personnalité juridique (paragraphe 26 de l’arrêt) qui fait partie du CIAS, qui lui-même est une fondation de droit privé suisse (paragraphe 29 de l’arrêt). Le TAS ressemble donc au tribunal arbitral décrit dans l’affaire Suda précitée.
23. La Cour a jugé que l’article 6 de la Convention n’imposait pas au « législateur de régir chaque détail dans ce domaine par un texte adopté par le Parlement (« a formal Act of Parliament ») à condition toutefois qu’il prévoie au moins le cadre organisationnel de l’organisation judiciaire » (Lindner c. Allemagne (déc.), no 32813/96, 9 mars 1999). Même si la Cour s’est prononcée ainsi en présence d’un pouvoir exécutif discrétionnaire plutôt que d’organes de droit privé, un tribunal complètement privé n’est pas davantage « établi par la loi » qu’un tribunal créé grâce à un décret exécutif et ceci même dans les hypothèses selon lesquelles il y aurait moins de doute quant à l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral.
24. De plus, la compétence ratione materiae ainsi que ratione loci des juridictions doit également être établie par la loi (Rapport de la Commission du 12 octobre 1978 à propos de l’affaire Zand c. Autriche, D.R. 15, p. 70). Dans l’affaire Coëme et autres c. Belgique (22 juin 2000, nos 32492/96 et 4 autres, Recueil 2000-VII), par exemple, la Cour a pu juger que bien qu’il s’agissait d’un « tribunal établi par la loi » au sens général du terme (idem, § 99), la Cour de cassation belge ne l’était pas dans le cas d’espèce étant donné que la règle sur laquelle elle fondait la juridiction contestée ne figurait dans aucune loi (idem, §§ 107 et 108).
25. Bien que la Cour n’ait jamais procédé à une analyse approfondie du critère « établi par la loi » prévu à l’article 6 de la Convention en relation avec des entités de droit privé exerçant une fonction juridictionnelle (dans le cas d’espèce, la détermination de droits et d’obligations à caractère civil) sans l’accord des parties, nous estimons que, si nous concluons à la non-violation de l’article 6 § 1, la Cour aurait dû donner quelques indications quant aux conditions dans lesquelles des entités privées peuvent être considérées comme étant des « tribunaux établis par la loi ».
III. La renonciation « volontaire » de M. Mutu utilisée à son détriment
26. Nous ne pouvons suivre la majorité dans son raisonnement selon lequel les griefs avancés par M. Mutu quant au défaut d’impartialité du TAS doivent être rejetés en raison du fait qu’il se soit soumis, de manière volontaire, à la juridiction du TAS et non à celle d’un tribunal ordinaire (paragraphe 160 de l’arrêt). La majorité admet que M. Mutu n’a pas renoncé « sans équivoque » à ses droits consacrés à l’article 6 § 1 de la Convention. Prendre en considération sa renonciation volontaire lors de l’analyse de ses revendications semble dès lors contredire la constatation susmentionnée.
27. De manière plus générale, quand une procédure n’offre pas les garanties minimales quant à l’impartialité et à l’indépendance, la Cour devrait analyser de manière plus stricte la question de savoir si la renonciation du requérant était en effet « libre, licite et sans équivoque ». À notre avis, il est concevable qu’une procédure puisse être équitable même en l’absence d’audience publique ou même si les parties n’avaient pas accès à tous les documents. Or il paraît difficilement concevable qu’un individu puisse renoncer à son droit à un tribunal indépendant et impartial et toujours faire l’objet d’une « procédure équitable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
Conclusion
28. Bien que nous soyons d’accord avec la majorité que l’absence d’audience publique dans le cas de Mme Pechstein constitue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, nous estimons que les problèmes structurels de cette institution d’arbitrage auraient dû conduire la Cour à constater une violation de l’article 6 § 1 dans son volet consacré à l’indépendance et à l’impartialité des tribunaux.
29. Nous sommes du même avis que la majorité en ce qui concerne M. Mutu. Le requérant n’a pas été victime d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention d’une part parce que les éléments de preuve quant à la partialité et au défaut d’indépendance des arbitres à titre individuel n’étaient pas suffisants et d’autre part parce qu’il n’a pas soulevé de grief relatif à un défaut structurel d’indépendance de l’organisme d’arbitrage. Même si M. Mutu n’a pas soulevé ce dernier grief, et que la Cour n’a donc pas pu l’examiner dans cette affaire, nous estimons qu’une fois que la majorité a constaté que l’intéressé n’avait pas renoncé à ses droits « sans équivoque », cet argument n’aurait pas dû être utilisé à son détriment.
30. Pour les raisons exposées ci-dessus, nous estimons que l’indépendance et l’impartialité du TAS soulèvent des « questions graves relatives à l’interprétation ou à l’application de la Convention » au sens de l’article 43 § 2 de la Convention. Les problèmes structurels de cette institution d’arbitrage ainsi que les questions de compétence juridictionnelle de la Cour auraient dû être soumis à un examen plus strict, d’autant plus que le TAS constitue pour un nombre considérable d’athlètes professionnels la seule instance de recours jouissant de la compétence de juger en fait et en droit.