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06/11/2018 | CEDH | N°001-187511

CEDH | CEDH, AFFAIRE K.G. c. BELGIQUE, 2018, 001-187511


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE K.G. c. BELGIQUE

(Requête no 52548/15)

ARRÊT

STRASBOURG

6 novembre 2018

DÉFINITIF

18/03/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire K.G. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Ledi Bianku,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mour

ou-Vikström,
Ivana Jelić, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2018,

Rend l’a...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE K.G. c. BELGIQUE

(Requête no 52548/15)

ARRÊT

STRASBOURG

6 novembre 2018

DÉFINITIF

18/03/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire K.G. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Ledi Bianku,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Ivana Jelić, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 52548/15) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant sri-lankais, M. K.G. (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 octobre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).

2. Le requérant a été représenté par Me K. Melis, avocate exerçant à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier que sa détention ne pouvait pas être justifiée par l’article 5 § 1 f) de la Convention et qu’en tout état de cause elle était arbitraire.

4. Le 30 août 2017, les griefs concernant l’article 5 § 1 ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1990 et réside à Jaffna (Sri-Lanka).

6. Le requérant arriva en Belgique le 7 octobre 2009. Il introduisit une première demande d’asile et fit état aux autorités belges de tortures subies au Sri‑Lanka en raison de son appartenance à la minorité tamoule.

7. Le 26 septembre 2010, le requérant fut placé sous mandat d’arrêt du chef d’attentat à la pudeur commis avec violences ou menaces sur la personne d’une mineure de moins de seize ans. Il fut incarcéré à la prison d’Ypres.

8. Le 9 décembre 2010, le Commissaire général aux réfugiés et apatrides (« CGRA ») rejeta la demande d’asile. Le 2 février 2011, un ordre de quitter le territoire lui fut notifié.

9. Le 13 janvier 2011, le tribunal de première instance d’Ypres condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont un an avec sursis. Le 8 février 2011, le requérant fut libéré de prison.

10. Entre le 11 février 2011 et le 26 mars 2014, le requérant introduisit cinq nouvelles demandes d’asile qui firent toutes l’objet de décisions de non prise en considération par le CGRA. L’instance d’asile considérait que le requérant ne courrait aucun risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Plusieurs ordres de quitter le territoire valables chacun sept jours lui furent délivrés par l’Office des étrangers (« OE ») auxquels il ne donna pas suite.

11. Entre-temps, le requérant s’étant rendu en France, puis en Suisse pour y demander l’asile, le 1er août et le 26 novembre 2013 respectivement, à la demande des autorités françaises et suisses, la Belgique se déclara responsable pour l’examen de ces demandes en application du règlement Dublin. Lors de son séjour en Suisse, le requérant fut diagnostiqué comme souffrant de schizophrénie et d’un kyste arachnoïdien dans le cerveau.

A. Première mesure de rétention

12. Suite à un contrôle administratif de la police d’Anvers, le 14 octobre 2014, le requérant se vit notifier, sur pied de l’article 74/11, § 1, 4o de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers »), une interdiction d’entrée sur le territoire belge de six ans au motif qu’il constituait une menace grave pour l’ordre public. La décision de l’Office des étrangers (« OE ») se référait à la condamnation précitée du requérant, à des procès‑verbaux dressés entre 2012 et 2014 pour agression, vol à l’étalage, contacts avec des mineurs d’âge, etc. ainsi qu’aux ordres de quitter le territoire précédents auxquels le requérant n’avait pas donné suite.

13. Le 19 octobre 2014, le requérant fut placé au centre fermé pour illégaux de Vottem et reçut un ordre de quitter le territoire (articles 7 alinéa 1o, 3o et 12o, et 74/14, § 3, 3o et 4o de la loi sur les étrangers), de reconduite à la frontière (article 7 alinéa 2 de la loi sur les étrangers) et de maintien dans un lieu déterminé en vue de son éloignement (article 7 alinéa 3 de la loi sur les étrangers). Les motifs de la privation de liberté résidaient dans les refus systématiquement opposés par le requérant à quitter le territoire et donc le risque qu’il se soustraie encore une fois.

14. Le 14 novembre 2014, le requérant introduisit un recours visant l’annulation de la décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 14 octobre 2014 devant le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »). Le 18 novembre 2014, il saisit le CCE d’un recours en suspension et annulation de l’ordre de quitter le territoire du 19 octobre 2014. Les recours, motivés dans des termes similaires, reprochaient à l’OE de ne pas avoir examiné les risques encourus au regard de l’article 3 de la Convention, tant liés à sa situation de santé qu’au risque de persécutions au Sri-Lanka. Le requérant tirait également un grief de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention du fait de l’absence d’un examen rigoureux et attentif de sa situation individuelle.

15. Le 25 mai 2015, le CCE rejeta le recours considérant que l’examen de la nécessité alléguée d’un suivi psychiatrique et l’absence de traitement adéquat au Sri-Lanka étaient étrangers à la mesure contestée. De même, la mesure ne comportant pas d’ordre de quitter le territoire immédiatement, le CCE souligna qu’il n’y avait pas lieu de s’interroger sur la violation alléguée de l’article 3 pour d’autres motifs.

B. Deuxième mesure de rétention

16. Entre-temps, le 4 novembre 2014, le requérant introduisit une septième demande d’asile qu’il compléta avec de nouvelles informations les 2 février, 25 août et 1er octobre 2015. Le 7 novembre 2014, il se vit notifier une nouvelle décision de maintien dans un lieu déterminé au motif qu’une demande d’asile était pendante et qu’il représentait un danger pour l’ordre public (article 74/6, § 1erbis, 9o de la loi sur les étrangers).

17. Le 11 novembre 2014, il transmit des informations relatives à son activisme en Belgique pour la défense de la cause tamoule. Le 19 novembre 2014 sa demande d’asile fut prise en considération et le 25 novembre 2014 il fut entendu par le CGRA.

18. Des contacts furent établis en octobre et novembre 2014 par l’OE avec l’ambassade du Sri-Lanka à Bruxelles afin que des documents de voyage soient délivrés.

19. Durant son séjour au centre fermé de Vottem qui dura jusqu’en août 2015 (voir paragraphe 28, ci-dessous), le requérant rencontra un psychiatre à une dizaine de reprises en raison de ses antécédents d’actes de délinquance sexuelle. Il fut encadré par des éducateurs et un traitement médicamenteux antipsychotique lui fut prescrit qui lui permit de stabiliser son état et de participer à des activités du centre.

C. Troisième mesure de rétention

20. Le 6 janvier 2015, un arrêté ministériel de mise à disposition provisoire du Gouvernement fut adopté sur la base de l’article 54 § 2 (ancien), alinéa 2 de la loi sur les étrangers. Selon l’arrêté, il résultait de la condamnation du requérant qu’il existait :

« ... des circonstances exceptionnellement graves, notamment la violence dont [le requérant] a fait preuve, qui justifient qu’il soit mis à la disposition du Gouvernement jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise sur sa demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ; qu’une telle mesure est, en effet, nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité nationale. »

21. À une date indéterminée, le CGRA fut sollicité de donner son avis sur les risques que comporterait un éventuel éloignement du requérant vers le Sri‑Lanka au regard la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié.

22. Le 15 janvier 2015, le CGRA fit part de son avis. Il rappela dans un premier temps que, conformément aux dispositions de la loi sur les étrangers alors en vigueur, le requérant pouvait prétendre à la qualité de réfugié ou à la protection subsidiaire malgré le danger qu’il représentait pour l’ordre public. Le CGRA examina ensuite les déclarations du requérant lors de ses entretiens avec l’OE et le CGRA et les documents qu’il avait déposés, ainsi que des informations concernant la situation générale au Sri‑Lanka. Se référant à la participation avérée du requérant à une manifestation organisée par la diaspora tamoule qui s’était déroulée à Bruxelles à l’encontre du gouvernement en place, le CGRA conclut que la crainte de persécutions de la part des autorités sri-lankaises reposait sur des indices sérieux et qu’un éloignement forcé serait contraire au principe de non‑refoulement figurant dans la Convention de Genève précitée.

23. Invoquant notamment une violation de l’article 5 de la Convention et se référant à l’affaire M.S. c. Belgique (no 50012/08, 31 janvier 2012), le requérant déposa, le 16 juin 2015, une première requête de remise en liberté.

24. Le 30 juin 2015, la chambre du conseil du tribunal de première instance d’Anvers maintint la détention du requérant. La juridiction souligna que la mise à disposition du gouvernement valait jusqu’à ce qu’une décision concernant la demande d’asile fut prise. Elle estima que la mise à disposition était dûment motivée et justifiée au vu des circonstances exceptionnellement graves en l’espèce.

25. Saisie en appel, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers souligna, dans un arrêt du 16 juillet 2015, que la mesure prise sur base de l’article 54 § 2 (ancien), alinéa 2, n’envisageait pas l’éloignement d’un étranger mais avait pour seul but de priver celui-ci de sa liberté lors de l’examen de sa demande d’asile. La juridiction confirma qu’elle n’était soumise à aucun délai et qu’elle pouvait être maintenue tant que nécessaire en raison, comme en l’espèce, de circonstances exceptionnellement graves. Quant à l’article 5 § 1 de la Convention, la juridiction souligna qu’il ne s’opposait pas à la détention d’un étranger pendant l’examen de sa demande d’asile étant donné qu’il permettait la détention d’un étranger pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire. Enfin, la chambre des mises en accusation estima que la référence à l’arrêt M.S. c. Belgique précité n’était pas pertinente vu qu’en l’espèce il ne s’agissait pas d’une procédure d’éloignement, mais d’une application de l’article 54 § 2 (ancien) de la loi sur les étrangers qui avait pour objectif d’autoriser la détention d’un étranger durant l’examen de sa demande d’asile.

26. Le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation. Par un arrêt du 26 août 2015, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle confirma notamment que la mesure prévue par l’article 54 § 2 (ancien) de la loi sur les étrangers n’avait pas pour but ultime l’éloignement du territoire de l’étranger, mais tendait seulement à le priver de sa liberté durant l’examen de sa demande d’asile. Une telle détention constituait une détention pour empêcher l’étranger de pénétrer régulièrement dans le territoire, au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention, à laquelle était assimilée la détention de l’étranger qui était entré illégalement dans le pays et souhaitait y demeurer sans titre de séjour.

27. Il ressort d’un rapport établi par un psychiatre indépendant le 7 juillet 2015 que le requérant refusait de poursuivre son traitement médicamenteux prescrit (voir paragraphe 19, ci-dessus) et que cela laissait craindre la réapparition d’un comportement dangereux.

28. Courant août 2015, le requérant fut transféré au centre fermé pour illégaux 127bis de Steenokkerzeel où il resta jusqu’à son rapatriement (voir paragraphe 52, ci-dessous). Durant son séjour au centre fermé, le requérant rencontra un psychiatre à une dizaine de reprises.

29. Le 7 septembre 2015, un médecin et un psychologue de Médecins du Monde établirent un rapport confirmant le diagnostic qui avait été posé en 2013 lors du séjour du requérant en Suisse (voir paragraphe 11, ci‑dessus) et constatant la présence de lésions cicatricielles compatibles avec les tortures décrites par le requérant.

30. Le 29 septembre et le 17 décembre 2015, invoquant les articles 3 et 5 § 1 de la Convention et se référant notamment à son état de santé mentale, le requérant introduisit une deuxième et une troisième requêtes de mise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal de première instance d’Anvers. Ces requêtes furent rejetées, les 6 octobre et 28 décembre 2015 respectivement. Le requérant interjeta appel contre cette dernière décision.

31. Entre-temps, le 29 octobre 2015, le CGRA prit sa décision en ce qui concerne la septième demande d’asile du requérant (voir paragraphe 16, ci‑dessus). Eu égard à la gravité des faits ayant conduit à la condamnation du requérant et des nouveaux faits de troubles à l’ordre public constatés par la police en 2014 (voir paragraphe 12, ci-dessus), il considéra que celui-ci représentait un danger pour la société au sens des articles 52/4 alinéa 2 (nouveau) et 55/4 § 2 de la loi sur les étrangers et prit une décision de refus du statut de réfugié et d’exclusion du statut de protection subsidiaire.

32. Le requérant introduisit un recours contre cette décision faisant notamment valoir, certificats médicaux à l’appui, qu’il ne constituait pas un tel danger car les faits de 2011 qui lui étaient reprochés étaient la conséquence de graves problèmes psychologiques dont il souffrait.

33. Le 27 novembre 2015, le CCE rendit un arrêt annulant la décision du CGRA et renvoya l’affaire devant ce dernier en raison de l’absence de motivation sur la situation médicale du requérant dans l’appréciation de sa dangerosité.

34. Le 10 décembre 2015, le CGRA confirma sa décision de refus de protection internationale considérant que l’existence de troubles psychologiques avérés ne changeait rien au fait que le requérant avait été considéré comme étant pénalement responsable des faits graves ayant mené à sa condamnation en 2011, et que ni la perspective ni l’impact d’un éventuel traitement médical ne présentait la moindre garantie qu’une récidive puisse être exclue.

35. Du 29 décembre 2015 au 14 janvier 2016, le requérant séjourna dans un centre de psychiatrie à Gand.

36. Pour les mêmes motifs que précédemment, le maintien en détention du requérant, ordonné par la chambre du conseil (ordonnance du 28 décembre 2015, paragraphe 30, ci-dessus), fut confirmé par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers (arrêt du 12 janvier 2016). Cette dernière précisa en outre qu’aucune violation de l’article 3 de la Convention ne pouvait être constatée, eu égard au fait que le requérant faisait l’objet d’une prise en charge thérapeutique de ses problèmes psychiatriques.

37. Le 28 janvier 2016, le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre ce dernier arrêt. D’après les éléments figurant au dossier, le recours était encore pendant au moment où le requérant fut éloigné du territoire (voir paragraphe 52, ci-dessous).

38. Par un arrêt du 28 janvier 2016, le CCE rejeta le recours introduit par le requérant contre la décision du CGRA du 10 décembre 2015. Il se fondait notamment sur le fait que la première demande d’asile du requérant n’avait pas été jugé crédible et que le requérant n’était en fait pas tellement reconnaissable sur les photos de la manifestation à Bruxelles. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, le CCE considéra en outre que le requérant n’avait pas établi l’existence d’un risque individuel de traitement lié à ses origines tamoules contraire à l’article 3 de la Convention en cas de retour au Sri-Lanka.

D. Quatrième mesure de rétention

39. À la suite de l’arrêt précité du CCE du 28 janvier 2016 confirmant le refus d’accorder la protection internationale au requérant (paragraphe 38, ci‑dessus), un nouvel ordre de quitter le territoire et de maintien dans un lieu déterminé en vue de son éloignement lui fut délivré le 29 janvier 2016 (article 7 alinéa 3 de la loi sur les étrangers).

40. Le requérant saisit le CCE d’une demande de suspension en extrême urgence de l’exécution de cet ordre. Par un arrêt du 4 février 2016, le CCE rejeta cette demande considérant que l’éventuelle suspension et annulation de l’ordre de quitter le territoire ne modifieraient en rien la situation du requérant dès lors que l’ordre de quitter le territoire du 19 octobre 2014 (voir paragraphe 12, ci-dessus) n’avait pas fait l’objet d’une demande de suspension par voie d’une demande de mesures provisoires en extrême urgence, et qu’il continuait donc d’exister.

41. Le 5 février 2016, le requérant introduisit une demande de mesures provisoires d’extrême urgence dans le cadre de son recours contre l’ordre de quitter le territoire du 19 octobre 2014 (voir paragraphe 14, ci-dessus). Cette demande fut rejetée par le CCE par arrêt du 8 février 2016 au motif que l’éventuelle suspension de l’ordre de quitter le territoire du 19 octobre 2014 ne modifierait rien à la situation du requérant dès lors que la demande de suspension de l’ordre de quitter le territoire du 29 janvier 2016 avait été rejetée par l’arrêt du 4 février 2016, et que cet ordre était donc exécutoire.

42. Entre-temps, le 5 février 2016, l’OE reprit contact avec les services consulaires du Sri-Lanka afin que des documents de voyage puissent être établis.

43. Le 9 février 2016, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire en application de l’article 39 du règlement, que la Cour rejeta le 12 février 2016.

44. Le 10 février 2016, le requérant introduisit un recours en annulation auprès du CCE contre l’ordre de quitter le territoire du 29 janvier 2016. Il reprochait à l’OE de ne pas avoir examiné les risques encourus au regard de l’article 3 de la Convention, tant liés à sa situation de santé qu’au risque de persécutions au Sri-Lanka du fait de ses activités passées et présentes au service de la cause tamoule. Le requérant tirait également un grief de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention du fait de l’absence d’un examen rigoureux et attentif de sa situation individuelle.

45. Le 7 mars 2016, le requérant introduisit une demande de régularisation sur la base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers. Il faisait valoir, attestations médicales à l’appui, que les soins dont il avait besoin n’étaient pas disponibles dans le nord du Sri-Lanka d’où il venait.

46. Le 15 mars 2016, l’OE rejeta la demande au motif que le requérant était exclu du bénéfice de l’article 9ter de la loi étant donné la gravité des crimes pour lesquels il avait été condamné et le danger qu’il continuait de représenter pour la société.

47. Le 16 mars 2016, le requérant introduisit une huitième demande d’asile sur la base de nouveaux documents, sur les risques encourus par les demandeurs d’asile ayant été activistes de la cause tamoule à l’étranger qui retournent au Sri-Lanka ainsi que sur les problèmes rencontrés par son père avec l’armée tamoule.

48. Le 17 mars 2016, un nouvel ordre de quitter le territoire lui fut notifié assorti d’un placement en un lieu déterminé, afin de garantir son éloignement, dans l’attente de l’issue de l’examen de sa huitième demande d’asile introduite le 16 mars 2016.

49. Le 23 mars 2016, le CGRA prit une décision de non prise en considération, estimant que les nouveaux éléments présentés par le requérant n’étaient pas de nature à augmenter ou à concrétiser la probabilité, déjà évaluée comme étant non crédible, qu’il puisse prétendre à la reconnaissance comme réfugié ou à la protection subsidiaire.

50. Le 24 mars 2016, le Conseil d’État prit une décision de non‑admissibilité du pourvoi en cassation introduit par le requérant contre l’arrêt du CCE du 28 janvier 2016. Il considéra notamment que rien dans les certificats médicaux fournis ne démontrait que la mémoire cognitive du requérant avait été altérée au point de constituer une explication aux nombreuses contradictions relevées dans ses demandes d’asile successives.

51. Le 26 mars 2016, le requérant fut averti oralement d’un vol prévu pour le lendemain. Prévenu le 27 mars 2016, le représentant du requérant introduisit une demande de suspension en extrême urgence contre l’ordre de quitter le territoire du 17 mars 2016. Constatant que la demande paraissait manifestement tardive, la juge de permanence fixa l’audience le 28 mars 2016.

52. Le requérant fut rapatrié à destination de Singapour le 27 mars 2016 au soir. Il arriva à l’aéroport de Colombo (Sri-Lanka) le 30 mars 2016 où il fut retenu à la frontière pendant treize heures.

53. À son retour à Jaffna, le requérant fut hospitalisé en raison de problèmes psychiatriques. Il est resté en contact avec son représentant.

54. Le 28 mars 2016, le CCE rejeta la demande de suspension en extrême urgence, au motif que le requérant ne s’était pas présenté à l’audience du même jour.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

55. Les principales dispositions de la loi sur les étrangers applicables en l’espèce sont les suivantes :

Article 7
(tel qu’en vigueur jusqu’à sa modification par la loi du 24 février 2017)

« Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le ministre ou son délégué peut donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé ou doit délivrer dans les cas visés au 1o, 2o, 5o, 11o ou 12o, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé :

1o s’il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l’article 2;

2o s’il demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé;

3o si, par son comportement, il est considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale;

4o s’il est considéré par le Ministre, après avis conforme de la Commission consultative des étrangers, comme pouvant compromettre les relations internationales de la Belgique ou d’un État partie à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant la Belgique;

5o s’il est signalé aux fins de non-admission conformément à l’article 3, 5o;

6o s’il ne dispose pas de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers un État tiers dans lequel son admission est garantie, et n’est pas en mesure d’acquérir légalement ces moyens;

7o s’il est atteint d’une des maladies ou infirmités énumérées à l’annexe de la présente loi;

8o s’il exerce une activité professionnelle indépendante ou en subordination sans être en possession de l’autorisation requise à cet effet;

9o si, en application des conventions ou des accords internationaux liant la Belgique, il est remis aux autorités belges par les autorités des États contractants en vue de son éloignement du territoire de ces États;

10o si, en application des conventions ou des accords internationaux liant la Belgique, il doit être remis par les autorités belges aux autorités des États contractants;

11o s’il a été renvoyé ou expulsé du Royaume depuis moins de dix ans, lorsque la mesure n’a pas été suspendue ou rapportée;

12o si l’étranger fait l’objet d’une interdiction d’entrée ni suspendue ni levée.

Sous réserve de l’application des dispositions du Titre IIIquater, le ministre ou son délégué peut, dans les cas visés à l’article 74/14, § 3, reconduire l’étranger à la frontière.

À moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement, l’étranger peut être maintenu à cette fin, pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement, et sans que la durée de maintien ne puisse dépasser deux mois.

Le ministre ou son délégué peut, dans les mêmes cas, assigner à résidence l’étranger pendant le temps nécessaire à l’exécution de cette mesure.

Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger cette détention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mise en détention de l’étranger, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.

Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.

Après cinq mois de détention, l’étranger doit être mis en liberté. »

Article 52/4 ancien
(tel qu’en vigueur jusqu’au 3 septembre 2015)

« S’il existe à l’égard d’un étranger qui a introduit une demande d’asile conformément aux articles 50, 50bis, 50ter ou 51, de sérieuses raisons permettant de le considérer comme un danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale, le Ministre peut, selon le cas, lui refuser l’accès au territoire ou décider qu’il ne peut pas ou ne peut plus y séjourner, ni s’y établir en cette qualité.

Le ministre prend l’avis du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides à propos de la demande d’asile et des mesures d’éloignement prises à son égard avec la question de savoir si celles-ci sont en conformité avec la Convention de Genève, tel que déterminé à l’article 48/3 et avec la protection subsidiaire tel que déterminé à l’article 48/4.

Le Ministre peut enjoindre à l’intéressé de résider en un lieu déterminé pendant que sa demande est à l’examen, s’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale.

Dans des circonstances exceptionnellement graves, le ministre qui a l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers dans ses attributions, peut mettre l’intéressé à titre provisoire à la disposition du gouvernement, s’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale. »

Article 52/4 nouveau
(tel qu’en vigueur depuis le 3 septembre 2015
et jusqu’à sa modification par la loi du 21 novembre 2017)

« Si l’étranger qui a introduit une demande d’asile conformément aux articles 50, 50bis, 50ter ou 51, constitue, ayant été condamné définitivement pour une infraction particulièrement grave, un danger pour la société ou lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme un danger pour la sécurité nationale, le ministre ou son délégué transmet sans délai tous les éléments en ce sens au Commissaire général.

Le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides peut refuser de reconnaître le statut de réfugié si l’étranger constitue un danger pour la société, ayant été condamné définitivement pour une infraction particulièrement grave, ou lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme un danger pour la sécurité nationale. Dans ce cas le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides émet un avis quant à la compatibilité d’une mesure d’éloignement avec les articles 48/3 et 48/4.

Le Ministre peut enjoindre à l’intéressé de résider en un lieu déterminé pendant que sa demande est à l’examen, s’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale.

Dans des circonstances exceptionnellement graves, le ministre qui a l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers dans ses attributions, peut mettre l’intéressé à titre provisoire à la disposition du gouvernement, s’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale. »

Article 54
(tel qu’en vigueur jusqu’à la modification du § 1er
et l’abrogation du § 2 par la loi du 21 novembre 2017)

« § 1er. Entre la notification de la décision exécutoire relative à la demande d’asile et jusqu’à l’expiration du délai pour quitter le territoire, le ministre ou son délégué peut désigner un centre de retour au demandeur d’asile concerné ainsi qu’aux membres de sa famille.

(...)

§ 2. Dans des circonstances graves, s’il l’estime nécessaire pour la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale, le ministre peut enjoindre à l’étranger qui a introduit une demande d’asile de résider en un lieu déterminé pendant que sa demande est à l’examen.

Dans des circonstances exceptionnellement graves, le ministre peut mettre l’intéressé à titre provisoire à la disposition du Gouvernement, s’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale. »

Article 74/6
(tel qu’en vigueur depuis le 3 septembre 2015
et jusqu’à sa modification par la loi du 21 novembre 2017)

« § 1. L’étranger qui est entré dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées par l’article 2 ou dont le séjour a cessé d’être régulier et qui, en vertu de l’article 52, se voit refuser le statut de réfugié ou le statut de protection subsidiaire par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides peut, en attendant ladite autorisation ou son éloignement du territoire, être maintenu en un lieu déterminé lorsque le Ministre, ou son délégué, estime ce maintien nécessaire pour garantir l’éloignement effectif du territoire, au cas où la décision visée à l’article 52 deviendrait exécutoire.

§ 1er bis. L’étranger qui est entré dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées à l’article 2 ou dont le séjour a cessé d’être régulier, et qui introduit une demande d’asile, peut être maintenu par le ministre ou son délégué dans un lieu déterminé afin de garantir l’éloignement effectif du territoire, lorsque :

1o l’étranger a été renvoyé ou expulsé du Royaume depuis moins de 10 ans et cette mesure n’a pas été suspendue ou rapportée; ou

2o l’étranger a, après avoir quitté son pays ou après le fait l’ayant amené à en demeurer éloigné, résidé plus de trois mois dans un pays tiers, sans crainte au sens de l’article 1er, A (2), de la Convention de Genève, tel que déterminé à l’article 48/3 et sans motifs sérieux qui prouvent le risque réel qu’il subisse une atteinte grave telle que déterminée à l’article 48/4; ou

3o l’étranger a, après avoir quitté son pays ou après le fait l’ayant amené à en demeurer éloigné, résidé dans plusieurs pays tiers pendant une durée totale supérieure à trois mois, sans crainte au sens de l’article 1er, A (2), de la Convention de Genève, tel que déterminé à l’article 48/3 et sans motifs sérieux qui prouvent le risque réel qu’il subisse une atteinte grave telle que déterminée à l’article 48/4; ou

4o l’étranger est en possession d’un titre de transport valable à destination d’un pays tiers, à la condition qu’il dispose des documents de voyage lui permettant de poursuivre son trajet vers ledit pays; ou

5o l’étranger a, sans justification, présenté sa demande après l’expiration du délai fixé à l’article 50, alinéa 1er, 50bis, alinéa 2 ou 51, alinéa 1er ou 2, ou n’a pas satisfait, sans justification, à l’obligation de présentation conformément à l’article 51/6, alinéa 1er, ou 51/7, alinéa 2; ou

6o l’étranger s’est soustrait volontairement à une procédure entamée à la frontière; ou

7o l’étranger visé à l’article 54, § 1er, alinéa 1er, se soustrait, pendant au moins quinze jours, à l’obligation de présentation dont les modalités sont déterminées par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres; ou

8o l’étranger n’a pas introduit sa demande au moment où les autorités chargées du contrôle aux frontières l’interrogent sur les raisons de sa venue en Belgique et n’a pas apporté de justification à ce sujet; ou

9o l’étranger a déjà introduit une autre demande d’asile; ou

10o l’étranger refuse de communiquer son identité ou sa nationalité, fournit de fausses informations pour établir son identité ou sa nationalité, ou a présenté des documents de voyage ou d’identité faux ou falsifiés; ou

11o l’étranger a détruit ou s’est débarrassé d’un document de voyage ou d’identité qui pouvait contribuer à constater son identité ou sa nationalité; ou

12o l’étranger introduit une demande d’asile dans le but de reporter ou de déjouer l’exécution d’une décision précédente ou imminente devant conduire à son éloignement; ou

13o l’étranger entrave la prise d’empreintes digitales visée à l’article 51/3; ou

14o l’étranger a omis de déclarer qu’il avait déjà introduit une demande d’asile dans un autre pays lorsqu’il introduit sa demande d’asile; ou

15o l’étranger refuse de déposer la déclaration ou de répondre au questionnaire visés à l’article 51/10, alinéa 1er.

§ 2. La durée du maintien décidé en application du §§ 1er et 1bis ne peut excéder deux mois. Lorsque l’étranger visé au §§ 1er et 1bis fait l’objet d’une décision de refus de séjour, le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger son maintien par période de deux mois si les démarches en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables après que la décision de refus de séjour est devenue exécutoire, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable. Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.

Après cinq mois de maintien, l’étranger doit être mis en liberté.

Dans les cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale du maintien puisse de ce fait dépasser huit mois.

La durée du maintien est suspendue d’office pendant le délai utilisé pour introduire un recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers, tel que prévu à l’article 39/57. Si, conformément à l’article 39/76, § 1er, un délai est accordé au Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides ou à la partie requérante ou intervenante afin d’examiner les nouveaux éléments apportés par une des parties ou afin de communiquer ses remarques, la durée du maintien est également suspendue d’office pendant ces délais. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

56. Le requérant allègue que sa détention n’a pas été conforme à l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

57. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

58. Le Gouvernement fait valoir que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes contre les deux premières mesures de privation de liberté ni contre la dernière.

59. Le requérant ne fournit pas d’explication sur ce point.

60. Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. Les États n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui‑ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69‑70, 25 mars 2014, Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, §§ 220-221, CEDH 2014 (extraits), et Gherghina c. Roumanie [GC] (déc.), no 42219/07, §§ 83-84, 9 juillet 2015).

61. En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de l’exercer (Akdivar et autres, précité, § 68, Vučković et autres, précité, § 77, Mocanu et autres, précité, § 225, et Gherghina, déc. précitée, §§ 88-89).

62. En l’espèce, la Cour note qu’il y a eu plusieurs titres de détention, qui ont couvert des périodes de privation de liberté successives. Or, le requérant n’a pas contesté les décisions prises le 19 octobre 20

14, le 7 novembre 2014 et le 29 janvier 2016 par l’OE de le maintenir dans un lieu déterminé en vue de son éloignement. Il disposait pourtant, en vertu de l’article 71 de la loi sur les étrangers, de la possibilité de déposer une requête de mise en liberté auprès de la chambre du conseil du tribunal de première instance.

63. Par conséquent, dans la mesure où la requête concerne les périodes de détention consécutives à ces décisions (du 19 octobre 2014 au 6 janvier 2015 et du 29 janvier 2016 au 27 mars 2016), elle doit être rejetée pour non‑épuisement des voies de recours internes en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, J.N. c. Royaume‑Uni, no 37289/12, §§ 48-53, 19 mai 2016).

64. Par ailleurs, la Cour constate que la requête, en ce qu’elle concerne la période de détention consécutive à l’arrêté ministériel de mise à disposition du Gouvernement (du 6 janvier 2015 au 29 janvier 2016) durant laquelle le requérant a introduit trois requêtes de mise en liberté, n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable dans la mesure précitée.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

65. Le requérant se plaint que sa mise à disposition du Gouvernement le 6 janvier 2015 ne respectait pas les voies légales étant donné que l’article 54 § 2 (ancien) de la loi sur les étrangers ne prévoyait pas de délai maximal de détention et que les autorités n’ont jamais envisagé d’alternatives moins contraignantes, pourtant prévues par la loi.

66. Le requérant soutient en outre que cette mesure de détention n’entrait dans les prévisions d’aucune des exceptions autorisées par l’article 5 § 1 f). Contrairement à ce qu’ont affirmé les juridictions internes, sa situation ne pouvait être assimilée en droit interne à celle d’un étranger détenu à la frontière durant l’examen de sa demande d’asile dès lors qu’il était présent en Belgique depuis 2009. Par ailleurs, aucune procédure d’expulsion ne pouvait être considérée comme étant en cours puisqu’il avait introduit une demande d’asile le 4 novembre 2014, ou à tout le moins à partir du moment où le 15 janvier 2015, le CGRA rendit son avis négatif. Durant cette période, il n’y avait pas de perspective réaliste d’éloigner le requérant. Preuve en est que l’arrêté de mise à disposition pris le 6 janvier 2015 a été pris en application de l’article 54 § 2 (ancien) de la loi sur les étrangers et non de l’article 52/4 de la même loi qui, lui, aurait pu interrompre la procédure d’asile et permettre l’éloignement après avis du CGRA. Sa détention avait en réalité pour seul motif la sécurité nationale, ce qui sort des limites de l’article 5 § 1 f). Il estime que sa situation est comparable à celle du requérant dans l’affaire M.S. c. Belgique précitée dans laquelle la Cour a conclu à une violation du second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

67. Le requérant fait en outre valoir que sa détention était arbitraire du fait que sa dangerosité n’était plus démontrée, qu’elle s’est déroulée dans un lieu inadapté à son état de santé mentale et qu’elle était d’une durée excessive.

b) Le Gouvernement

68. Le Gouvernement explique que chacune des périodes de détention du requérant respectait la loi interne et l’un des buts autorisés par l’article 5 § 1 f). La mise à disposition du Gouvernement, fondée sur l’article 54 § 2 (ancien) alinéa 2 de la loi sur les étrangers, était liée à la procédure d’asile du requérant. Elle entrait dans les prescriptions de la première partie de l’article 5 § 1 f) qui autorise la détention d’un étranger pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, situation à laquelle est assimilée la situation de l’étranger qui est entré légalement dans le pays et souhaite y demeurer sans titre de séjour valable. Durant cette période les autorités se sont montrées diligentes : le CGRA prit position quant aux risques encourus en cas d’éloignement, informa le requérant qu’il était en attente d’informations actualisées, prit sa décision de refus et le CCE rendit son arrêt qui clôtura la procédure. La circonstance qu’un avis négatif ait été émis par le CGRA le 15 janvier 2015 n’empêchait pas le ministre de maintenir la mise à disposition. Bien que la procédure d’éloignement du requérant ait été suspendue durant l’instruction de sa demande d’asile, sa détention était destinée à assurer son expulsion en cas de refus du statut de réfugié.

69. Selon le Gouvernement, la loi belge était suffisamment précise et prévisible pour permettre au requérant, qui était assisté d’un avocat, de prévoir les différentes possibilités pour l’État de le détenir. En ce qui concerne sa dangerosité, outre que le requérant n’a pas sollicité la levée de la mise à disposition du Gouvernement, il ressort des rapports médicaux versés au dossier que le risque de récidive était patent et que le requérant refusait de prendre ses médicaments; de plus, le requérant avait fait l’objet de plusieurs procès-verbaux postérieurement à sa condamnation pour des faits d’agression, de vol et de contacts avec des mineures. En outre, rien ne démontre que l’état de santé du requérant se serait détériorée durant la détention ni que le lieu de détention n’était pas adapté à son état de santé mentale. Celui-ci a, au contraire, bénéficié, dans chacun des centres fermés, d’une attention particulière et d’un suivi psychothérapeutique et a été admis dans un centre de psychiatrie quand cela s’est avéré nécessaire. Enfin, un délai de onze mois s’est écoulé entre l’introduction de la dernière demande d’asile du requérant et la clôture de la procédure, ce qui ne peut passer pour excessif.

2. Appréciation de la Cour

70. La Cour a rappelé les principes généraux applicables en matière de détention des étrangers aux fins de contrôle de l’immigration dans l’arrêt Thimothawes c. Belgique (no 39061/11, §§ 56-65, 4 avril 2017, et références citées).

a) Respect des voies légales

71. La mise du requérant à la disposition du Gouvernement, et donc le maintien de sa détention du 6 janvier 2015 au 29 janvier 2016, fut décidée par arrêté ministériel sur base de l’article 54 § 2 (ancien) alinéa 2 de la loi sur les étrangers. Alors que l’article 54 § 1 (ancien) permettait à l’OE de désigner un « centre de retour » où l’étranger devait attendre l’expiration du délai pour quitter le territoire après le rejet de sa demande d’asile (voir paragraphe 55, ci‑dessus), l’article 54 § 2 (ancien) alinéa 2 permettait au ministre, « dans des circonstances exceptionnellement graves » liées à l’ordre public ou la sécurité nationale, de mettre l’étranger déjà « à titre provisoire » à la disposition du gouvernement, alors même que la procédure d’asile était encore en cours.

72. Le requérant se plaint que l’article 54 § 2 (ancien) de la loi sur les étrangers ne prévoyait pas de durée maximale de détention. La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle si l’existence ou l’absence de durée maximale de détention en matière d’immigration est au nombre des facteurs que la Cour peut prendre en compte pour apprécier si le droit interne est « suffisamment accessible, précis et prévisible », elle n’est en elle-même ni nécessaire ni suffisante pour garantir la conformité aux exigences de l’article 5 § 1 f) (J.N. c. Royaume-Uni, précité, §§ 83-86 et 90, et références citées).

73. Le requérant reproche aux autorités de ne pas avoir recouru à des mesures moins contraignantes que la détention, pourtant prévues par la loi sur les étrangers, pour tenir compte de son état de santé. La Cour rappelle qu’elle a déjà estimé que des décisions généralisées ou automatiques de placement en détention des demandeurs d’asile sans appréciation individuelle des besoins particuliers des intéressés pouvaient poser problème au regard de l’article 5 § 1 f) et qu’il appartenait aux autorités de détecter les éventuels cas de vulnérabilité particulière qui s’opposaient à la détention (Thimothawes c. Belgique, no 39061/11, § 73, 4 avril 2017, et références citées). Ainsi, dans l’arrêt Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique (no 10486/10, §§ 124-125, 20 décembre 2011) cité par le requérant, la Cour a condamné la carence des autorités belges à envisager une mesure moins sévère pour sauvegarder l’intérêt public de la détention et éviter de maintenir la requérante en détention. La Cour relève, toutefois, qu’à la différence de la situation qui se présentait dans cette affaire, en l’espèce, le poids de l’intérêt public pesait lourdement dans le choix de maintenir le requérant en détention et il ne ressort pas du dossier que la détention mettait la santé du requérant en danger ni que son état de santé se soit aggravé durant la détention (voir paragraphe 88, ci‑dessous).

74. Le requérant soutient ensuite que sa dangerosité, n’ayant pas été réévaluée, ne pouvait correspondre à la notion de « circonstances exceptionnellement graves » prévue par l’article 54 § 2 (ancien) alinéa 2 de la loi sur les étrangers. La Cour observe que tant l’arrêté ministériel de mise à disposition du requérant que les décisions judiciaires relatives au contrôle de la légalité de la détention expliquaient en quoi les faits reprochés au requérant s’analysaient en de telles circonstances. Il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause cette appréciation qui n’apparaît ni arbitraire ni manifestement déraisonnable. En tout état de cause, la Cour rappelle qu’il n’est pas exigé, pour justifier une privation de liberté sur base de l’article 5 § 1 f), que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil 1996‑V, et A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, CEDH 2009).

75. Eu égard à ce qui précède, la Cour n’aperçoit rien qui lui permette de douter que la mise du requérant à la disposition du Gouvernement reposait sur une base légale certaine.

b) Poursuite d’un but autorisé par l’article 5 § 1 f)

76. Alors que le requérant soutient qu’à partir de l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 6 janvier 2015, sa détention n’entrait plus dans aucune des prévisions de l’article 5 § 1 f), le Gouvernement considère que la détention du requérant pendant la période considérée visait à l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire tant que se poursuivait l’examen de sa demande d’asile (première partie de l’article 5 § 1 f). Cette dernière approche était également celle de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers qui considéra, dans son arrêt du 16 juillet 2015, qu’à la différence de la situation qui se présentait dans l’affaire M.S. c. Belgique précitée, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une procédure d’éloignement telle qu’envisagée par l’article 52/4 (ancien) de la loi sur les étrangers, mais d’une application de l’article 54 § 2 (ancien) de la loi qui avait pour seul objectif d’autoriser la détention d’un étranger durant l’examen de sa demande d’asile. La Cour de cassation confirma cette interprétation dans son arrêt du 26 mai 2015.

77. Le requérant reproche aux autorités de ne pas avoir adopté de ligne claire. Alors qu’il était maintenu en détention sur pied de l’article 54 § 2 (ancien) de la loi, le ministre compétent semble avoir envisagé, en demandant l’avis du CGRA, de suspendre la procédure d’asile nouvellement entamée et de prononcer l’éloignement du requérant en application de l’article 52/4, alinéa 2 (ancien) de la loi, sans toutefois poursuivre cette voie à son terme (voir paragraphe 21, ci-dessus). La Cour rappelle que pour déterminer à quel moment une détention s’inscrivant dans le cadre du contrôle de l’immigration relève de l’une ou l’autre partie de l’article 5 § 1 f), le droit national peut fournir une indication utile (Suso Musa c. Malte, no 42337/12, § 97, 23 juillet 2013). Toutefois, pour évaluer la régularité de la détention au regard de l’article 5 § 1 f), il importe peu que le droit national corresponde à l’un ou l’autre des volets de cette disposition pourvu que la détention repose sur une base légale interne certaine.

78. L’approche précitée des juridictions internes, réitérée par le Gouvernement devant la Cour, dit s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle tant qu’un État n’a pas autorisé officiellement l’entrée sur son territoire, celle-ci est « irrégulière ». Il est vrai que selon la Cour la détention d’un individu en quête d’asile souhaitant entrer dans le pays mais ayant pour cela besoin d’une autorisation dont il ne dispose pas encore peut viser à « empêcher l’intéressé de pénétrer irrégulièrement » durant l’instruction de sa demande d’asile (voir, notamment, Saadi c. Royaume‑Uni [GC], no 13229/03, CEDH 2008, Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, 13 décembre 2011, et Thimothawes, précité).

79. Pour autant, la Cour estime que la thèse du requérant n’est pas dénuée de fondement. Sa situation n’était en effet pas assimilable à celle des requérants dans les affaires précitées ; ces derniers n’étaient pas encore « entrés » sur le territoire et avaient introduit une demande d’asile à la frontière. Or, en l’espèce, le requérant n’a certes pas été autorisé à résider en Belgique mais y a séjourné pendant huit ans, et y a également été incarcéré à la suite d’une condamnation pénale.

80. Cela ne signifie toutefois pas, contrairement à ce que soutient le requérant, que sa détention sortait du cadre autorisé par l’article 5 § 1 f). Force est en effet de constater, ainsi que le souligne le Gouvernement, que les autorités belges ont poursuivi, par le biais de mesures successives de détention et tout au long de celle-ci, le dessein de l’éloigner et donc que la détention du requérant entrait également dans les prévisions de la seconde partie de l’article 5 § 1 f)) (voir, mutatis mutandis, Chahal c. Royaume‑Uni, précité, M.S. c. Belgique, précité, et J.N. c. Royaume‑Uni, précité ; voir également les affaires dirigées contre la Grèce : A.A. c. Grèce, no 12186/08, 22 juillet 2010, R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011, Ahmade c. Grèce, no 50520/09, 25 septembre 2012, et A.E. c. Grèce, no 46673/10, 27 novembre 2014).

81. En tout état de cause, le principe selon lequel la détention doit être régulière et ne peut pas être arbitraire doit s’appliquer à une détention relevant de la première partie de l’article 5 § 1 f) de la même façon qu’à une détention visée par le second volet (Saadi, précité, § 73).

c) Régularité de la détention

82. Afin de déterminer si le requérant a été protégé contre l’arbitraire, la Cour doit déterminer si la période considérée, qui s’est ouverte le 6 janvier 2015, lorsque la détention du requérant fut maintenue par l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement, et s’est achevée le 29 janvier 2016, lorsque la procédure d’asile a pris fin sur le refus du CCE de lui reconnaître le statut de réfugié, était excessive et si les autorités internes ont poursuivi avec diligence les procédures internes afin de poursuivre leur but ultime d’éloignement du requérant.

83. À cet égard, le requérant déduit de la carence des autorités à prendre des mesures en vue de concrétiser son éloignement pendant la période considérée que sa détention n’était pas liée au but qu’elles poursuivaient. La Cour estime, quant à elle, qu’il saurait difficilement être reproché aux autorités de ne pas avoir fait preuve, à ce stade, de plus de diligence en vue de l’expulsion du requérant étant donné qu’il bénéficiait, en tant que demandeur d’asile, de la protection contre le refoulement, tant que durait l’instruction de sa demande d’asile. Cette dernière doit être regardée, dans le contexte de la présente affaire, comme un préalable nécessaire à l’éloignement effectif du requérant.

84. Contrairement à ce que le requérant soutient, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de réserver un sort particulier à la période qui a couru après l’avis donné par le CGRA, le 15 janvier 2015, quant aux risques encourus en cas d’éloignement au Sri-Lanka. En effet, contrairement à la situation qui se présentait dans l’arrêt M.S. c. Belgique précité (§§ 154-156), le CGRA est en l’espèce revenu, dans sa décision du 29 octobre 2015, sur son avis négatif rendant de nouveau possible l’éloignement du requérant sans enfreindre la Convention.

85. Il convient donc d’examiner la diligence avec laquelle les autorités ont traité la demande d’asile que le requérant avait introduite le 4 novembre 2014 et à propos de laquelle il avait été entendu par le CGRA le 25 novembre 2014. Au cours de la période considérée, le CGRA a émis un avis sur la conformité de l’éloignement avec la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié, a actualisé les informations sur la situation générale au Sri-Lanka et a statué sur la demande d’asile du requérant le 29 octobre 2015 en tenant compte des nouveaux éléments apportés par le requérant en cours de procédure. Le 27 novembre 2015, le CCE a accueilli le recours du requérant contre cette décision et le CGRA a pris une nouvelle décision le 10 décembre 2015 qui est devenu définitive le 28 janvier 2016 à la suite du rejet par le CCE du recours introduit par le requérant. La Cour n’estime pas que ces délais aient été excessifs.

86. Quant à la procédure de contrôle de la légalité de la détention, il faut relever que la première requête de mise en liberté a été introduite par le requérant le 16 juin 2015 et qu’une décision a été rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance d’Anvers le 30 juin 2015. La chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers a rejeté l’appel formé contre cette décision le 16 juillet 2015. Par un arrêt du 28 août 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi introduit par le requérant contre cet arrêt. Le 29 septembre et le 17 décembre 2015, le requérant a encore introduit deux autres requêtes de mise en liberté qui furent rejetées par la chambre du conseil du tribunal de première instance les 6 octobre et 28 décembre 2015 respectivement.

87. La Cour souligne que l’affaire du requérant comportait des considérations importantes, liées à la clarification des risques effectivement encourus par le requérant au Sri-Lanka, à la sauvegarde de la sécurité publique eu égard aux faits graves qui lui avaient été reprochés et au risque de récidive ainsi qu’à sa situation de santé mentale. Il était tant de l’intérêt du requérant que de l’intérêt général à une bonne administration de la justice que les autorités procèdent à un examen minutieux de tous les points et éléments pertinents et, en particulier, que les éléments se rapportant à la menace pour la sécurité nationale et à la santé du requérant aient été examinés par des instances présentant des garanties contre l’arbitraire (voir, mutatis mutandis, Chahal, précité, §§ 117 et 122, et M.S. c. Belgique, précité, § 152).

88. S’agissant du caractère adapté du lieu de détention, la Cour rappelle que pour pouvoir conclure à une violation de l’article 5 § 1, le requérant aurait dû établir qu’il était dans une situation particulière qui pouvait prima facie conduire à la conclusion que sa détention n’était pas justifiée (Thimothawes, précité, § 79). Or, la seule santé mentale du requérant n’était pas, en l’espèce, de nature à pouvoir conduire à une telle conclusion : le requérant a bénéficié d’une attention particulière dans les deux centres fermés où il a séjourné et il n’est pas démontré que les services de soutien psychologique auraient fait état de contre-indication à la détention (voir paragraphes 19, 28 et 35, ci-dessus). Eu égard à ce constat, il ne saurait être considéré, comme le soutient le requérant, que la mesure de détention n’était pas adaptée à son état de santé mentale ni que les autorités auraient été tenues de chercher des mesures moins restrictives à sa détention (voir paragraphe 73, ci-dessus).

89. Reste enfin à déterminer si la détention du requérant, sur base de l’arrêté ministériel du 6 janvier 2015, pendant presque treize mois ne s’est pas prolongée pendant un laps de temps déraisonnable, avec pour conséquence que la privation de liberté était disproportionnée. À ce sujet, la Cour considère qu’eu égard aux enjeux en cause, et étant donné que les autorités nationales ont agi avec la diligence voulue, la durée de la mise à disposition du Gouvernement ne peut être considérée comme ayant été excessive.

90. Partant, il n’y pas a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la période de détention du 6 janvier 2015 au 29 janvier 2016 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 novembre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-187511
Date de la décision : 06/11/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulières)

Parties
Demandeurs : K.G.
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MELIS K.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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